Au cours des derniers mois, il y a eu au Soudan environ 30.000 morts
et 120.000 personnes chassées de leur maison et réduites
à mourir de faim ou de maladie, dans la pire des errances. «Les
installations d’eau, les stocks alimentaires, les outils pour le
travail agricole ont été détruits, le bétail
volé, des milliers de villages brûlés, des hommes
exécutés, des femmes et des jeunes filles violées»
(«Soudan : sans aide, un million de personnes pourraient
mourir au Darfour»,
International Herald Tribune du 11 juin) Ce
véritable génocide, qui ne peut que nous rappeler celui
du Rwanda, perpétré sous la haute direction de l’impérialisme
français, s’inscrit directement dans la ligne de ces guerres
qui ont martyrisé le Soudan au cours des trente dernières
années y faisant au moins trois millions de morts et des millions
de déplacés. Des guerres menées de plus en plus
sauvagement où tout esprit de compassion a disparu et qui aboutit
finalement au fait que : «
Le déplacement des populations
à grande échelle est devenu la caractéristique
majeure de la guerre. Ce n’est pas la conséquence directe
des combats mais l’un de ses objectifs, cela signifie que ces populations,
groupes entiers ou individus, qui ont été déplacés
hors de chez eux, sont soit enrôlés de force dans les troupes
de combat, soit utilisés comme force de travail obligatoire.»
(«Les causes profondes des guerres civiles au Soudan», D.H.
Jonhson,
The International African Institute, 2003) Un pays, qui, à
l’image de la plupart des nations d’Afrique, s’enfonce
de plus en plus fortement dans une instabilité chronique, une
guerre permanente dans laquelle le gouvernement central de Khartoum
pourrait perdre toute autorité, laissant libre cours aux combats,
non seulement à l’Ouest dans le Darfour, mais aussi dans
l’Est et dans le Sud du pays, avec un risque de guerre civile généralisée.
Le Soudan, un enjeu des affrontements impérialistes
Le Soudan en tant qu’Etat national est le produit de la lutte
des puissances coloniales pour se répartir l’Afrique au
19e siècle. C’est l’impérialisme anglais qui
réalisa cette création dans le but, d’une part de
stopper l’avancée de ses rivaux français, allemands,
et italiens, et d’autre part pour asseoir sa domination sur le
Nord, le Centre et l’Est de l’Afrique. Le Soudan a des frontières
avec l’Egypte, la Libye, le Kenya et l’Ouganda, tous ces pays
étaient d’anciennes colonies britanniques. Ce pays avait
également des frontières avec les colonies rivales de
l’Angleterre : le Congo belge, le Tchad sous contrôle
de la France et l’Abyssinie (Ethiopie) gouvernée par l’Italie.
Pour imposer sa loi, l’impérialisme anglais écrasa
sans pitié la population qui s’était soulevée,
comme lors de la bataille d’Omdurman en 1898 quand des rebelles,
armés de façon rudimentaire, furent massacrés par
les armes sorties des dernières technologies de l’impérialisme
britannique «démocratique et civilisateur.»
Dans la redistribution impérialiste qui a suivi la Seconde Guerre
mondiale, l’impérialisme britannique fut obligé d’abandonner
son empire africain. A cette époque, l’Afrique devint l’un
des principaux champs de bataille de la période de la guerre
froide entre le bloc américain et le bloc soviétique.
Le Soudan était pleinement partie prenante de cette situation
surtout à partir des années 1960. Profitant du mécontentement
des fractions nationalistes du Sud, le bloc russe tenta de déstabiliser
les fractions pro-américaines au pouvoir. Ce soutien devint plus
marqué lorsque la partie pro-russe de la bourgeoisie éthiopienne
renversa Haïlé Selassié au début des années
1970. La principale fraction du Sud, l’armée de libération
du peuple soudanais (ALPS) était armée et entraînée
en Ethiopie.
En riposte, les Etats-Unis et le bloc de l’Ouest armèrent
et instruisirent l’Etat soudanais non seulement pour réprimer
l’ALPS mais encore pour soutenir les forces rebelles en Ethiopie.
Dans les années 1990, après la chute du mur de Berlin,
le gouvernement soudanais essaya de se débarrasser de la tutelle
américaine et de mener sa propre politique impérialiste.
A nouveau aujourd’hui, contrairement à ce que voudrait nous
faire croire la bourgeoisie, ce génocide n’a pas pour cause
essentielle la confrontation entre des groupes ethniques depuis bien
longtemps opposés. On veut nous expliquer que cette guerre oppose
deux tribus principales : d’un côté les négro-africains
(Fours, Zaghawas, etc..) et, de l’autre, des tribus d’origine
arabe en oubliant cyniquement de préciser que ces ethnies sont
entièrement armées et manipulées par différentes
puissances impérialistes, petites et grandes. Cette nouvelle
généralisation des combats se développe en effet
au moment où l’impérialisme américain pensait
avoir réussi à contrôler le Soudan. C’est depuis
l’attentat terroriste de 2001 à New York et dans le cadre
de leur campagne «guerre totale au terrorisme», que les
Etats-Unis ont entrepris de tenter de mettre au pas le gouvernement
central de Khartoum, prétextant pour cela leur lien avec le terrorisme
international. L’impérialisme américain avait notamment
réussi à imposer un cessez-le-feu et à faire signer
«un accord de paix définitif» entre le gouvernement
et le principal mouvement rebelle du Sud-Est (ALPS) de John Garang.
Mais après comme avant le «plan de paix», le gouvernement
et les fractions rebelles s’étaient déjà pleinement
impliqués dans le conflit du Darfour, démontrant ainsi
ouvertement l’incapacité de l’impérialisme américain
d’imposer sa loi au Soudan.