Le communisme n'est pas un bel idéal, il est à l'ordre du jour de l'histoire [4° partie]

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La Plate-forme de l'Internationale Communiste

Introduction du CCI

Parallèlement à la série d'articles « Le com­munisme n'est pas un bel idéal, il est à l'or­dre du jour de l'histoire », nous publions certains documents du mouvement révolu­tionnaire au 20e siècle liés aux moyens et aux buts de la révolution prolétarienne. Nous commençons par la plate-forme de l'Internationale Communiste adoptée lors de son congrès de fondation, en mars 1919, comme base d'adhésion de tous les groupes et courants authentiquement révolutionnai­res au nouveau parti mondial.

L'année 1919 a marqué le zénith de la grande vague révolutionnaire qui s'est déve­loppée dans le sillage de la guerre impéria­liste de 1914-18. Sous la direction du parti bolchevik, l'insurrection d'Octobre en Russie et la prise du pouvoir par le prolétariat or­ganisé en conseils ouvriers ont allumé une flamme qui a menacé d'embraser le monde capitaliste. Entre 1918 et 1920, au coeur du capitalisme mondial, l'Allemagne a vu se développer une série de surgissements révo­lutionnaires ; des grèves de masse ont éclaté dans les principales villes industrielles de l'Italie à l'Ecosse, des Etats-Unis à l'Argentine. Au moment où se tenait le pr­emier congrès de l'Internationale, arrivait la nouvelle de la proclamation de la République hongroise des soviets.

Mais, dans le même temps, d'autres événe­ments qui ont eu lieu juste avant ce congrès démontraient les graves conséquences qui pourraient en résulter si ce mouvement de masse croissant n'était pas guidé par un parti communiste clair programmatiquement et internationalement centralisé. La défaite du soulèvement de Berlin en janvier 1919, marqué notamment par l'assassinat de Luxemburg et Liebknecht, a été en grande partie le résultat de l'incapacité du KPD naissant à détourner les ouvriers des pièges tendus par la bourgeoisie et à les amener à préserver leurs forces pour un moment plus propice. La fondation de l'IC correspondait donc aux besoins les plus urgents de la lutte de classe. Elle a été le couronnement du travail inlassable mené par la gauche révo­lutionnaire depuis l'effondrement de la 2e Internationale en 1914.

Mais loin d'être une direction imposée de l'extérieur, l'IC constituait elle-même un produit organique du mouvement proléta­rien. La clarté de ses positions programma­tiques en 1919 reflétait son lien étroit avec les forces les plus profondes à l'oeuvre dans la vague révolutionnaire. De même, sa dé­générescence opportuniste ultérieure fut in­timement liée au déclin de cette vague et à l'isolement du bastion russe.

Le projet de plate-forme a été rédigé par Boukharine et le délégué du KPD Eberlein qui, de plus, ont eu la responsabilité d'en présenter les principaux points au congrès. Les remarques introductives faites par Boukharine méritent d'être rappelées parce qu'elles montrent comment la plate-forme in­tégrait certaines des avancées théoriques les plus importantes accomplies par le mou­vement communiste au sortir du naufrage de la social-démocratie :

« D'abord, l'introduction théorique. Celle-ci donne la caractéristique générale de l'épo­que tout entière, sous un angle très particu­lier, à savoir sous l'angle de l'effondrement du système capitaliste. Auparavant, lorsqu'on écrivait de telles introductions, on donnait simplement une description géné­rale du système capitaliste. A mon avis, cela ne suffit plus aujourd'hui. Nous devons non seulement donner la caractéristique géné­rale du système capitaliste et impérialiste, mais décrire également le processus de désagrégation et d'effondrement de ce système. C'est le premier point de vue. L'autre est que nous devons considérer le système capitaliste, non pas seulement dans sa forme abstraite, mais également pratique en tant que capitalisme mondial, et que nous devons considérer celui-ci comme une totalité économique. Si nous considérons à présent ce système capitaliste économique mondial du point de vue de son effondre­ment nous devons poser la question sui­vante : comme cet effondrement a-t-il été rendu possible ? Et il s'agit alors en premier lieu d'analyser les contradictions du système capitaliste » (Procès-verbal du premier congrès de l'IC; Rapport sur la plate-forme.)

Boukharine continue en soulignant égale­ment que, dans cette époque de désintégra­tion, « la forme primitive du capital, du ca­pital dispersé et inorganisé, a presque dis­paru. Ce processus avait déjà commencé avant la guerre et s'est renforcé au cours de la guerre. Cette guerre a joué un grand rôle d'organisation. Sous sa pression, la forme du capitalisme financier s'est transformée en une forme supérieure, la forme du capi­talisme d'Etat. »

Ainsi, dès le début, l'IC s'est fondée sur la compréhension que, du fait même que le capitalisme développait son économie au ni­veau mondial, il atteignait ainsi ses limites géographiques et entrait dans sa période de déclin historique. Cela remet à leur place tous les actuels tenants de la « modernité » qui imaginent que la « globalisation » est une nouveauté et que celle-ci va donner un nouveau souffle au capitalisme ! Mais c'est aussi un rappel pénible pour ces organisa­tions révolutionnaires (de tradition bordi­guiste notamment) qui se revendiquent des positions programmatiques de l'IC et qui rejettent cependant la notion de décadence du capitalisme qui est la pierre de touche de la politique révolutionnaire aujourd'hui. Il en va de même pour la notion de capitalisme d'Etat que Boukharine a de façon centrale contribué à élaborer ; nous aurons l'occasion de revenir sur sa signification dans la suite de notre série sur le communisme. Il suffit de dire ici que l'Internationale considérait qu'elle était assez importante pour l'inclure comme caractéristique fondamentale de la nouvelle époque.

Après l'introduction générale, la plate-forme se tourne vers les questions centrales de la révolution prolétarienne : d'abord et avant tout, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière ; ensuite, l'expropriation de la bourgeoisie et la transformation économi­que de la société. Sur le premier point, la plate-forme affirme les leçons essentielles de la révolution d'Octobre : la nécessité de détruire le vieil Etat bourgeois et de le remplacer par la dictature du prolétariat, organisé dans le système des conseils ou soviets. Ici, la plate-forme est complétée par les Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat rédigées par Lénine et adoptées au même Congrès. La rupture avec la social-démocratie et son fétichisme de la démocratie en général et des parlements bourgeois en particulier a été axée autour de ce point ; et la revendication du transfert du pouvoir aux conseils ouvriers a constitué le cri de ralliement, simple mais irremplaçable, de l'ensemble du mouvement international.

La partie sur les mesures économiques est nécessairement générale ; à ce moment-là, en effet, ce n'était qu'en Russie que ces mesures pouvaient se poser comme une question concrète (mais non se résoudre en Russie seulement). Cette partie met en avant les traits essentiels de la transition vers une société communiste : l'expropriation des grandes entreprises privées et d'Etat ; les premiers pas vers la socialisation de la dis­tribution en remplacement du marché ; l'in­tégration graduelle des petits producteurs à la production sociale. La série sur le com­munisme examinera ultérieurement certai­nes des difficultés et des erreurs qui ont en­travé le mouvement révolutionnaire de cette époque. Cependant, les mesures mises en avant par l'IC constituaient néanmoins un point de départ adéquat et leurs faiblesses auraient pu être dépassées si la révolution mondiale s'était développée avec succès.

La partie sur « Le chemin de la victoire » est également assez générale. Là où elle est le plus explicite, c'est dans son insistance sur la nécessité de l'internationalisme et du re­groupement international des forces révolu­tionnaires, en rupture complète avec les social-chauvins et les Kautskystes et en contradiction absolue avec la politique op­portuniste du Front unique développée après 1921. Sur d'autres questions sur lesquelles l'IC devait exprimer des confusions dange­reuses – le parlement, la question nationale, les syndicats – la plate-forme reste extrê­mement ouverte. La possibilité d'utiliser le parlement comme tribune pour la propa­gande révolutionnaire est affirmée, c'est sûr, mais seulement comme une tactique subor­donnée aux méthodes de la lutte de masse. La question nationale n'est pas du tout men­tionnée, mais ce que le Manifeste adopté par le congrès fait ressortir c'est que la victoire de la révolution communiste dans les pays développés constitue la question clé pour l'émancipation des masses opprimées des colonies. Sur la question syndicale, l'ouver­ture de la plate-forme est encore plus évi­dente comme Boukharine l'explique dans sa présentation :

« Si nous avions écrit pour des russes, nous aurions traité du rôle des syndicats dans le processus de transformation révolution­naire. Mais, d'après l'expérience des com­munistes allemands, cela est impossible car ces camarades nous disent que les syndicats allemands sont entièrement opposés aux nô­tres. Chez nous, les syndicats jouent le rôle principal dans le processus du travail posi­tif. Le pouvoir soviétique s'appuie précisé­ment sur eux ; en Allemagne c'est le con­traire. Cela semble être dû au fait qu'en Allemagne les syndicats étaient aux mains des jaunes, des Legien et Cie. Ils étaient dirigés contre l'intérêt du prolétariat alle­mand et ils le sont encore, mais le proléta­riat liquide à présent ces vieux syndicats. A leur place sont apparues en Allemagne de nouvelles formes d'organisation, les conseils d'usine qui essaient de prendre en main les usines. Les syndicats ne jouent plus de rôle positif. Nous ne pouvons pas élaborer ici de lignes directrices concrètes ; c'est pourquoi nous avons dit de manière générale que pour la gestion des usines il fallait créer des organes sur lesquels le prolétariat s'appuie, organisations qui sont très étroitement liées et intriquées à la production. »

Nous pouvons discuter certaines formula­tions de Boukharine, en particulier sur le rôle des syndicats en Russie, mais le pas­sage donne quand même une indication frappante sur l'attitude réceptive de l'Internationale à ce moment-là. Confrontée aux nouvelles conditions imposées par la décadence du capitalisme, l'IC manifestait une préoccupation, celle que les nouvelles méthodes de lutte prolétarienne adaptées à ces conditions s'expriment. Cela est une preuve éclatante que sa plate-forme était bien le produit du haut niveau atteint par le mouvement mondial du prolétariat et qu'elle reste une référence essentielle pour les révo­lutionnaires d'aujourd'hui.

CDW.

Plate-forme de l'Internationale Communiste

Les contradictions du système capitaliste mondial, auparavant dissimiluées dans son sein, se sont manifestées avec une force inouïe en une formidable explosion : la grande guerre impérialiste mondiale.

Le capitalisme a tenté de surmonter sa propre anarchie en organisant la production. A la place des nombreuses entreprises con­currentes se sont organisées de vastes asso­ciations capitalistes (syndicats, cartels, trusts) ; le capital bancaire s'est uni au capi­tal industriel ; toute la vie économique est tombée sous la domination d'une oligarchie financière capitaliste qui, par son organisa­tion sur la base de ce pouvoir, a acquis une maîtrise exclusive. Le monopole supplante la libre concurrence. Le capitaliste isolé se transforme en membre d'une association capitaliste. L'organisation remplace l'anar­chie insensée.

Mais, dans la mesure où, dans les différents Etats, les procédés anarchiques de la pro­duction capitaliste ont été remplacés par l'organisation capitaliste, les contradictions, la concurrence, l'anarchie, n'ont cessé de s'aggraver dans l'économie mondiale. La lutte entre les plus grands Etats conquérants a conduit, par une nécessité de fer, à la monstrueuse guerre impérialiste. La soif de bénéfices a poussé le capitalisme mondial à la lutte pour la conquête de nouveaux mar­chés, de nouvelles sphères d'investissement, de nouvelles sources de matières premières et la main-d'oeuvre à bon marché des escla­ves coloniaux. Les Etats impérialistes qui se sont partagés le monde entier, qui ont trans­formé des millions de prolétaires et de pay­sans d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, d'Australie, en bêtes de somme, devaient tôt ou tard révéler dans un conflit gigantesque la nature anarchique du capital. Ainsi se produisit le plus grand des crimes – la guerre mondiale de brigandage.

Le capitalisme a tenté de surmonter les con­tradictions de sa structure sociale. La socié­té bourgeoise est une société de classes. Mais le capital des grands Etats « civilisés », s'est efforcé d'étouffer les contradictions sociales. Aux dépens des peuples coloniaux qu'il exploitait, le capital a corrompu ses esclaves salariés, créant une communauté d'intérêts entre les exploiteurs et les exploi­tés – communauté d'intérêts dirigée contre les colonies opprimées et les peuples colo­niaux jaunes, noirs ou rouges ; il a enchaîné la classe ouvrière européenne ou américaine à la « patrie » impérialiste.

Mais, cette même méthode de corruption permanente, qui servait à alimenter le pa­triotisme de la classe ouvrière et sa sujétion morale, s'est transformée en son contraire grâce à la guerre. L'extermination, la sujé­tion totale du prolétariat, le joug mons­trueux, l'appauvrissement, la dégénéres­cence, la faim dans le monde entier – telle fut la dernière rançon de la paix sociale. Et cette paix a fait faillite. La guerre impéria­liste est transformée en guerre civile.

Une nouvelle époque est née : l'époque de désagrégation du capitalisme, de son effon­drement intérieur. L'époque de la révolution communiste du prolétariat.

Le système impérialiste croule. Troubles aux colonies, fermentation parmi les petites nationalités jusqu'à présent privées de leur indépendance, insurrections du prolétariat, révolutions prolétariennes victorieuses dans plusieurs pays, décomposition des armées impérialistes, incapacité absolue des classes dirigeantes à diriger dorénavant les desti­nées des peuples – tel est le tableau de la situation actuelle dans le monde entier.

L'humanité, dont toute la culture a été dévas­tée, est menacée de destruction totale. Il n'est plus qu'une force capable de la sau­ver, et cette force, c'est le prolétariat. L'ancien « ordre » capitaliste n'existe plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos, – et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productrice : la classe ouvrière. C'est elle qui doit instituer l'ordre véritable, l'ordre communiste. Elle doit bri­ser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, effacer les frontières entre les Etats, transformer le monde en une vaste communauté travaillant pour elle-même, réaliser la solidarité fraternelle et la libération des peuples.

Entre temps, contre le prolétariat, le capital mondial s'est armé pour le dernier combat. Sous le couvert de la Société des Nations et des bavardages pacifiques, il tente un der­nier effort pour recoller les parties désagré­gées du système capitaliste et diriger ses forces contre la révolution prolétarienne montante.

A ce nouveau et immense complot des classes capitalistes, le prolétariat doit ré­pondre par la conquête du pouvoir politique, tourner ce pouvoir contre ses ennemis de classe et s'en servir comme levier pour la transformation économique de la société. La victoire définitive du prolétariat mondial marquera le commencement de l'histoire véritable de l'humanité libérée.

LA CONQUETE DU POUVOIR POLITIQUE

La conquête du pouvoir politique par le prolétariat signifie la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie. L'appareil d'Etat bourgeois avec son armée capitaliste, placée sous le commandement d'un corps d'officiers bourgeois et de junkers, avec sa police et sa gendarmerie, ses geôliers et ses juges, ses prêtres, ses fonctionnaires, etc., constitue le plus puissant instrument de domination de la bourgeoisie. La conquête du pouvoir poli­tique ne peut consister en un simple chan­gement de personnes dans les ministères, mais signifie la destruction de l'appareil d'Etat ennemi, la prise en mains de la force réelle, le désarmement de la bourgeoisie, du corps d'officiers contre-révolutionnaires, des gardes blancs, l'armement du prolétariat, des soldats révolutionnaires et de la garde rouge ouvrière ; la destitution de tous les juges bourgeois et l'organisation des tribunaux prolétariens, la destruction du fonctionna­risme réactionnaire et la création de nou­veaux organes d'administration prolétariens. La victoire prolétarienne est assurée par la désorganisation du pouvoir ennemi et l'or­ganisation du pouvoir prolétarien ; elle si­gnifie la destruction de l'appareil d'Etat bourgeois et la construction de l'appareil d'Etat prolétarien. Ce n'est qu'après sa vic­toire complète, quand le prolétariat aura définitivement brisé la résistance de la bourgeoisie, qu'il pourra obliger ses anciens adversaires à le servir utilement, les ame­nant progressivement, sous son contrôle, à l'oeuvre de construction communiste.

DEMOCRATIE ET DICTATURE

Comme tout Etat, l'Etat prolétarien est un appareil de contrainte et cet appareil est maintenant dirigé contre les ennemis de la classe ouvrière. Sa mission est de briser et de rendre impossible la résistance des ex­ploiteurs qui emploient dans leur lutte dés­espérée tous les moyens pour étouffer la révolution dans le sang. D'autre part, la dic­tature du prolétariat qui donne officielle­ment à la classe ouvrière l'hégémonie dans la société est une institution provisoire.

Dans la mesure où sera brisée la résistance de la bourgeoisie, où celle-ci sera expropriée et se transformera en une masse laborieuse, la dictature du prolétariat disparaîtra, l'Etat dépérira et les classes sociales avec lui.

La prétendue démocratie, c'est-à-dire la démocratie bourgeoise, n'est rien d'autre que la dictature bourgeoise déguisée. La « volonté populaire » tant prônée est une fiction, comme l'unité du peuple. En fait, il n'existe que des classes dont les intérêts antagoniques sont irréductibles. Et comme la bourgeoisie n'est qu'une petite minorité, elle utilise cette fiction, cette prétendue « volonté populaire » nationale, afin d'af­fermir, sous le couvert de ces belles phrases, sa domination sur la classe ouvrière, et de lui imposer sa volonté de classe. Au con­traire, le prolétariat constituant l'énorme majorité de la population, utilise ouverte­ment la violence de classe de ses organisa­tions de masses, de ses conseils, pour sup­primer les privilèges de la bourgeoisie et assurer la transition vers une société com­muniste sans classes.

L'essence de la démocratie bourgeoise réside dans la reconnaissance purement formelle des droits et des libertés, précisément inac­cessibles au prolétariat et aux éléments semi-prolétariens, du fait de leur manque de ressources matérielles, tandis que la bour­geoisie a toutes les possibilités de tirer parti de ces ressources matérielles, de sa presse et de son organisation, pour mentir au peuple et le tromper. Au contraire, l'essence du système des conseils – ce nouveau type de pouvoir d'Etat – consiste en ce que le prolé­tariat a la possibilité d'assurer dans les faits ses droits et sa liberté. Le pouvoir du conseil remet au peuple les plus beaux palais, les maisons, les typographies, les réserves de papier, etc., pour sa presse, ses réunions, ses associations. Ce n'est qu'alors que devient possible la véritable démocratie proléta­rienne.

Avec son système parlementaire, la démo­cratie bourgeoise ne donne qu'en paroles le pouvoir aux masses. Les masses et leurs organisations sont tenues complètement à l'écart et du pouvoir véritable et de la véri­table administration de l'Etat. Dans le sys­tème des Conseils, les organisations de masse et par elles les masses elles-mêmes gouvernent l'Etat, appelant à administrer un nombre toujours plus grand d'ouvriers ; et ce n'est que de cette façon que tout le peuple travailleur est à peu près appelé à prendre part effectivement au gouvernement de l'Etat. Le système des Conseils s'appuie de la sorte sur les organisations des masses prolétariennes, représentées par les Conseils eux-mêmes, les syndicats révolutionnaires, les coopératives, etc.

La démocratie bourgeoise et le parlementa­risme, renforcés par la séparation des pou­voirs législatif et exécutif et l'absence du droit de révoquer les députés, achèvent de séparer les masses de l'Etat. Au contraire, le système des Conseils, par le droit de révo­cation, par la fusion des pouvoirs législatif et exécutif et par la capacité des Conseils à constituer des collectivités de travail, lie les masses aux organes de l'administration. Ce lien est encore affermi par le fait que, dans le système des Conseils, les élections ne se font pas d'après des subdivisions territoriales artificielles, mais d'après les unités locales de la production.

Le système des Conseils rend ainsi possible la véritable démocratie prolétarienne, démo­cratie pour le prolétariat et à l'intérieur du prolétariat, dirigée contre la bourgeoisie. Dans ce système, la position dominante est assurée au prolétariat industriel, auquel ap­partient, du fait de sa meilleure organisation et de son plus grand développement politi­que, le rôle de classe dirigeante, et dont l'hégémonie permettra au semi-prolétariat et aux paysans pauvres de s'élever progressi­vement. Ces privilèges temporaires du prolé­tariat industriel doivent être utilisés pour arracher les masses non possédantes de la petite-bourgeoise paysanne à l'influence des gros propriétaires ruraux et de la bour­geoisie, pour les organiser et les appeler à collaborer à la construction communiste.

L'EXPROPRIATION DE LA BOURGEOISIE ET LA SOCIALISATION DES MOYENS DE PRODUCTION

La décomposition du système capitaliste et de la discipline capitaliste du travail rendent impossible, étant donné les relations entre les classes, la reconstitution de la production sur les anciennes bases. La lutte des ou­vriers pour l'augmentation des salaires, même en cas de succès, n'amène pas l'amé­lioration espérée des conditions d'existence, l'augmentation des prix des produits de con­sommation rendant chaque succès illusoire. La lutte énergique des ouvriers pour l'aug­mentation des salaires dans tous les pays dont la situation est désespérée, par sa puis­sance élémentaire, par sa tendance à la généralisation, rend impossibles dorénavant les progrès de la production capitaliste. L'amélioration de la condition des ouvriers ne pourra être atteinte que lorsque le prolé­tariat lui-même s'emparera de la production. Pour élever les forces productives de l'éco­nomie, pour briser au plus vite la résistance de la bourgeoisie qui prolonge l'agonie de la vieille société, créant par là même le danger d'une ruine complète de la vie économique, la dictature prolétarienne doit réaliser l'ex­propriation de la grande bourgeoisie et des hobereaux et faire des moyens de production et de transport la propriété collective de l'Etat prolétarien.

Le communisme est en train maintenant de naître sur les décombres de la société capi­taliste ; l'histoire ne laisse pas d'autre issue à l'humanité. Les opportunistes, en retardant la socialisation par leur utopique revendica­tion du rétablissement de l'économie capita­liste, ne font qu'ajourner la solution de la crise et créent la menace d'une ruine totale. La révolution communiste apparaît dans une telle période comme le seul moyen qui per­mette de sauvegarder la force productive, la plus importante de la société, le prolétariat, et avec lui l'ensemble même de la société.

La dictature prolétarienne n'entraîne aucun partage des moyens de production et de transport. Au contraire, sa tâche est de réali­ser une plus grande centralisation des forces productives et de subordonner l'ensemble de la production à un plan unique.

Le premier pas vers la socialisation de toute l'économie comporte nécessairement les mesures suivantes : socialisation des grandes banques qui dirigent maintenant la produc­tion ; prise en mains par le pouvoir d'Etat prolétarien de tous les organes de l'Etat capi­taliste régissant la vie économique ; prise en mains de toutes les entreprises communa­les ; socialisation des branches d'industrie trustées ou cartellisées ; de même, sociali­sation des branches d'industrie dont le degré de concentration et de centralisation rend la réalisation techniquement possible ; sociali­sation des propriétés agricoles et leur trans­formation en entreprises agricoles dirigées par la société.

Quant aux entreprises de moindre impor­tance, le prolétariat doit, en tenant compte de leur dimension, les socialiser petit à petit et les unifier.

Il importe de souligner ici que la petite pro­priété ne doit pas être expropriée et que les petits propriétaires qui n'exploitent pas le travail salarié ne doivent subir aucune me­sure de violence. Cette classe sera peu à peu intégrée dans l'organisation socialiste. L'exemple et la pratique démontreront en ef­fet la supériorité de la nouvelle structure sociale qui libère la classe des petits paysans et la petite-bourgeoisie urbaine du joug éco­nomique des grands capitalistes usuriers, des hobereaux, des impôts excessifs (principalement par suite de l'annulation des dettes d'Etat, etc.).

La tâche de la dictature prolétarienne dans le domaine économique ne peut être réalisée que dans la mesure où le prolétariat saura créer des organes centralisés de direction de la production et réaliser la gestion par les ouvriers eux-mêmes. A cette fin, il devra tirer parti de celles de ses organisations de masses qui sont le plus étroitement liées au processus de production.

Dans le domaine de la distribution, la dicta­ture prolétarienne doit remplacer le com­merce par une juste répartition des produits. Parmi les mesures indispensables, il faut indiquer : la socialisation des grandes entre­prises commerciales, la prise en mains par le prolétariat de tous les organes de distri­bution bourgeois étatiques et municipaux ; le contrôle des grandes unions coopératives dont l'organisation aura encore, pendant la période de transition, une importance éco­nomique considérable ; la centralisation progressive de tous ces organes et leur trans­formation en un système unique de réparti­tion rationnelle des produits.

De même que dans le domaine de la pro­duction, dans celui de la répartition il im­porte d'utiliser tous les techniciens et les spécialistes qualifiés – sitôt que leur résis­tance dans le domaine politique aura été brisée et qu'ils seront en état de servir, non plus le capital, mais le nouveau système de production.

Le prolétariat n'a pas l'intention de les op­primer : au contraire, lui seul leur donnera, le premier, la possibilité de développer l'ac­tivité créatrice la plus intense. La dictature prolétarienne remplacera la division du tra­vail physique et intellectuel, propre au capi­talisme, par leur union, fusionnant ainsi le travail et la science.

En même temps qu'il expropriera les fabri­ques, les mines, les propriétés, etc., le prolé­tariat devra mettre fin à l'exploitation de la population par les capitalistes propriétaires d'immeubles, remettre les grandes habita­tions aux Conseils ouvriers locaux, installer la population ouvrière dans les appartements bourgeois, etc.

Au cours de cette période d'immense trans­formation, le pouvoir des Conseils doit, d'une part, échafauder un énorme appareil de gouvernement toujours plus centralisé et, d'autre part, appeler à un travail d'adminis­tration directe des couches toujours plus nombreuses des masses laborieuses.

LE CHEMIN DE LA VICTOIRE

La période révolutionnaire exige que le prolétariat use d'une méthode de lutte qui concentre toute son énergie, à savoir l'action directe des masses jusque et y compris sa suite logique, le choc direct, la guerre décla­rée avec la machine d'Etat bourgeoise. A ce but doivent être subordonnés tous les autres moyens tels que, par exemple, l'utilisation révolutionnaire du parlementarisme bour­geois.

Les conditions préliminaires indispensables à cette lutte victorieuse sont : la rupture, non seulement avec les laquais directs du capital et les bourreaux de la révolution commu­niste – dont les social-démocrates de droite assument aujourd'hui le rôle, – mais encore la rupture avec le « Centre » (groupe Kautsky), qui, au moment critique, aban­donne le prolétariat et lie partie avec ses ennemis déclarés.

D'un autre côté, il est nécessaire de réaliser un bloc avec ces éléments du mouvement ouvrier révolutionnaire qui, bien que n'ayant pas appartenu auparavant au parti socialiste, se placent maintenant dans l'ensemble sur le terrain de la dictature prolétarienne sous la forme du pouvoir des Conseils, c'est-à-dire avec les éléments révlutionnaires du syndi­calisme.

La montée du mouvement révolutionnaire dans tous les pays, le danger, pour cette révolution, d'être étouffée par la ligue des Etats bourgeois, les tentatives d'union des partis social-traîtres (formation de l'Internationale jaune, à Berne), dans le but de servir bassement la ligue de Wilson – et enfin la nécessité absolue pour le prolétariat de coordonner ses efforts – tout cela nous conduit inévitablement à la fondation de l'Internationale communiste, véritablement révolutionnaire et véritablement proléta­rienne.

L'Internationale, qui subordonnera les inté­rêts dits nationaux aux intérêts de la révolut­ion mondiale, réalisera ainsi l'entraide des prolétaires des différents pays – car sans cette solidarité économique et autre, le pro­létariat ne sera pas capable d'édifier une société nouvelle. D'autre part, contrairement à l'Internationale socialiste jaune, l'Internationale prolétarienne et communiste soutiendra les peuples exploités des colonies dans leur lutte contre l'impérialisme, afin de hâter l'effondrement final du système impé­rialiste mondial.

Les brigands capitalistes affirmaient, au début de la guerre mondiale, qu'ils ne fai­saient que défendre leur patrie. Mais l'im­périalisme allemand devait révéler sa nature bestiale véritable par la série de ses san­glants forfaits commis en Russie, en Ukraine, en Finlande. Maintenant se dé­masquent à leur tour, même aux yeux des couches les plus arriérées de la population, les puissances de l'Entente qui pillent le monde entier et assassinent le prolétariat. D'accord avec la bourgeoisie allemande et les social-patriotes, des phrases hypocrites sur la paix aux lèvres, elles s'efforcent d'écraser, au moyen de leurs armes de guerre et de troupes coloniales abruties et barbares, la révolution du prolétariat européen. La terreur blanche des bourgeois-cannibales a été féroce au-delà de toute expression. Les victimes sont innombrables dans les rangs de la classe ouvrière qui a perdu ses meilleurs champions : Liebknecht, Rosa Luxemburg.

Le prolétariat doit se défendre à tout prix. L'Internationale communiste appelle le pro­létariat mondial à cette lutte décisive. Arme contre arme ! Violence contre violence ! A bas la conspiration impérialiste du capital ! Vive la République internationale des Conseils prolétariens !

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