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Nous publions ci-dessous la deuxième partie du compte-rendu d’une réunion publique du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) qui s’est tenu le 15 mai à Berlin, à laquelle le CCI a participé, et qui portait sur les causes de la guerre impérialiste.
Dans la première partie de ce compte-rendu, publié dans le dernier numéro de RI (n°349), nous avons mis en évidence le danger de l’empirisme bourgeois qui conduit le BIPR à emboîter le pas aux campagnes des sociaux-démocrates et de l’idéologie altermondialiste dans son analyse des causes de l’offensive impérialiste des Etats-Unis en Irak.
Le lien entre la crise économique et la guerre
Au cours de cette deuxième partie de la discussion en particulier,
différentes questions critiques ont été adressées au CCI. Celles-ci mettaient
en question l’importance donnée à la signification des questions stratégiques
dans nos analyses des rivalités impérialistes. Le camarade du FKG[1] a critiqué
le fait que –à son avis– le CCI explique les tensions impérialistes par les
rivalités militaires sans les relier à la crise économique, et en excluant
apparemment les facteurs économiques. Il a mis en avant l’exemple des objectifs
économiques de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale, de façon à
insister, contre la position du CCI, sur le fait que les Etats impérialistes
cherchent une solution à la crise économique dans la guerre. Un camarade
d’Autriche, autrefois membre fondateur dans ce pays du "Groupe Communiste
International", voulait savoir si le CCI accorde une certaine importance
au rôle du pétrole ou si, au contraire, il considère que c’est par simple
coïncidence si la cible de la "lutte contre le terrorisme" prend
place précisément dans une région où se trouvent les plus grandes réserves de
pétrole du monde. Le représentant du GIS a aussi demandé une précision sur
notre prise de position selon laquelle la guerre moderne n’est pas une
solution, mais est elle-même l’expression de l’explosion de la crise.
La délégation du CCI a répondu que, de notre point de vue, le marxisme, loin de
nier le lien entre crise et guerre, est capable de l’expliquer de façon
beaucoup plus profonde. Cependant, pour le CCI, la guerre impérialiste n’est
pas l’expression des crises cycliques qui étaient typiques du XIXe siècle mais
le produit de la crise permanente du capitalisme décadent. En tant que telle,
elle est le résultat de la rébellion des forces productives contre les rapports
de production de la société bourgeoisie qui sont devenus trop étroits pour
elles. Dans son livre l’Anti-Dühring, Friedrich Engels affirme que la
contradiction centrale dans la société capitaliste est celle qui existe entre
une production qui devient déjà socialisée et une appropriation de cette
production qui reste privée et anarchique. A l’époque de l’impérialisme, une
des principales expressions de cette contradiction est celle qui existe entre
le caractère mondial du processus de production et l’Etat-nation en tant
qu’instrument le plus important de l’appropriation privée capitaliste. La crise
du capitalisme décadent est une crise de toute la société bourgeoise. Elle
trouve son expression strictement économique dans la dépression économique, le
chômage massif, etc. mais elle s’exprime aussi au niveau politique, militaire,
c’est-à-dire à travers des conflits militaires toujours plus destructeurs. La
caractéristique de cette crise de tout le système est l’accentuation permanente
de la concurrence entre les Etats-nations aussi bien au niveau économique que
militaire. C’est pourquoi nous nous sommes élevés, au cours de la réunion,
contre l’hypothèse du représentant de "l’Internationale Communiste"
(voir première partie du compte-rendu) selon laquelle, dans la lutte pour
l’hégémonie mondiale, la bourgeoisie américaine utiliserait des moyens
militaires et la bourgeoisie européenne des moyens économiques. En réalité,
cette lutte est menée en utilisant tous les moyens possibles. La guerre
commerciale est aussi enragée que la guerre militaire. Il est vrai, bien
évidemment, que chaque fraction nationale de la bourgeoisie, à travers la
guerre, cherche toujours une sortie à la crise. Mais parce que le monde, depuis
le début du XXe siècle, a déjà été partagé, cette "solution" ne peut
être envisagée qu’aux dépens des autres, en général les Etats capitalistes
voisins. Dans le cas des grandes puissances, cette "solution" ne peut
que résider dans la domination sur le monde et en tant que telle, elle exige
l’exclusion ou la subordination radicale des autres grandes puissances. Cela
veut dire que cette recherche de sortie de la crise prend de plus en plus un
caractère utopique et irréaliste. Le CCI parle ici d’une
"irrationalité" croissante de la guerre.
Au cours de la décadence capitaliste, il apparaît régulièrement que la
puissance prend l’initiative de déclencher la guerre en ressorte finalement
comme le vaincu : l’Allemagne dans les deux guerres mondiales par exemple.
Cela révèle la nature de plus en plus irrationnelle et incontrôlable de la
guerre.
Ce que nous critiquons dans l’analyse que le BIPR fait de la guerre, ce n’est
pas du tout l’affirmation selon laquelle la guerre a des causes économiques,
mais la confusion entre les déterminations économiques et la rentabilité
économique. De plus, nous critiquons le fait d’expliquer chaque mouvement dans
la constellation impérialiste par une cause économique immédiate, ce qui, à
notre avis, constitue une tendance matérialiste vulgaire. Cela s’est révélé
précisément sur la question du pétrole. Il va sans dire que la présence de
ressources pétrolières au Moyen-Orient joue un rôle considérable. Cependant,
les puissances industrielles –d’abord et avant tout les Etats-Unis– n’avaient
pas besoin d’occuper militairement ces champs pétrolifères pour établir leur
prédominance économique sur cette matière première ou d’autres. Ce qui est en
jeu, c’est avant tout l’hégémonie militaire et stratégique sur des sources
d’énergie potentiellement décisives dans les épisodes de guerre.
Crise et décadence du capitalisme
Le BIPR a rejeté de façon véhémente l’affirmation du CCI selon laquelle la
guerre moderne serait l’expression de l’impasse du capitalisme. Le représentant
de Battaglia Comunista a bien admis que la nature destructrice du capitalisme
conduit tôt ou tard à la destruction de l’humanité. Mais tant que cette calamité
finale n’a pas eu lieu, le capitalisme peut continuer son expansion de façon
illimitée. Selon le camarade de Battaglia, ce ne sont pas les guerres
actuelles, imposées par les Etats-Unis, mais les "vraies guerres
impérialistes" du futur (par exemple entre l’Amérique et l’Europe) qui
seraient les moyens de cette expansion, étant donné qu’une destruction
généralisée ouvrirait la route à une nouvelle phase d’accumulation.
Nous avons été d’accord sur le fait que le capitalisme est capable de balayer
l’humanité. Toutefois, la destruction de la production excédentaire, considérée
d’un point de vue historique, n’a même pas suffi à surmonter les crises
cycliques du capitalisme ascendant du XIXe siècle.
C’est pour cela que, selon Marx et Engels, l’ouverture de nouveaux marchés
aussi était nécessaire. Alors que, dans le cadre de l’économie naturelle, la
surproduction ne pouvait qu’apparaître comme un excès par rapport aux limites
physiques maximales de la consommation humaine, dans le régime de production de
biens de consommation, et surtout dans le capitalisme, la surproduction est
toujours exprimée par rapport à la consommation existante de ceux qui possèdent
de l’argent. C’est une catégorie économique plus que physiologique. Cela
signifie que la destruction par la guerre ne résout pas par elle-même le
problème fondamental du manque de demande solvable.
Avant tout, le point de vue défendu ici par le BIPR, concernant l’expansion
possible du capitalisme jusqu’au moment de la destruction physique, n’est pas
compatible avec la vision d’une décadence du capitalisme –une vision que le
BIPR semble de plus en plus abandonner. En effet, selon le point de vue
marxiste, le déclin d’un mode de production s’est toujours accompagné d’un
développement croissant des entraves aux forces productives du fait de la
production existante et des rapports de propriété. Il semble que, pour
Battaglia, la guerre paraît encore jouer le rôle de moteur de l’expansion
économique comme au XIXe siècle.
Quand le représentant de Battaglia parlait, pendant la réunion, des
"guerres vraiment impérialistes" à venir, il ne faisait que confirmer
notre impression que cette organisation considère les guerres de la période
actuelle comme une simple continuation de la politique économique des Etats-Unis
avec d’autres moyens, et pas comme des conflits impérialistes. Pour notre part,
nous avons insisté sur le fait que ces guerres sont aussi des guerres
impérialistes et que les grandes puissances impérialistes à travers elles
entrent en conflit les unes avec les autres – pas directement, mais par exemple
via les guerres à la périphérie. La série de guerres en ex-Yougoslavie, qui à
l’origine étaient suscitées par l’Allemagne, confirme aussi que dans ce
processus, les Etats- Unis sont loin d’être les seuls agresseurs.
Un débat très utile
Dans sa conclusion à la discussion, le porte-parole du BIPR a défendu le
point de vue selon lequel cette discussion aurait révélé que le débat entre le
BIPR et le CCI est "inutile". Et cela, parce que pendant des
décennies, le BIPR a accusé le CCI "d’idéalisme" et le CCI a accusé
le BIPR de "matérialisme vulgaire" sans qu’aucune des deux
organisations n’ait modifié son point de vue.
A notre avis, c’est un jugement plutôt négatif sur une discussion dans
laquelle, non seulement les deux organisations, mais aussi tout un éventail de
groupes et de personnes différentes ont participé de façon très engagée. Il est
évident que la nouvelle génération de militants qui s’intéressent à la
politique dans l’aire germanophone doit trouver un grand intérêt à venir
connaître les positions des organisations internationalistes existantes, à
s’informer autant que possible des accords et des désaccords entre elles. Quoi
de mieux pour répondre à cette demande qu’un débat public ?
Pour autant que nous sachions, aucun révolutionnaire sérieux jusqu’à présent
n’a jamais pensé, par exemple, à mettre en doute l’utilité du débat entre
Lénine et Rosa Luxembourg sur la question nationale, uniquement parce que ni
l’un ni l’autre n’ont jamais modifié leur position de base sur la question. Au
contraire : la position actuelle de la "gauche communiste" sur
les soi-disant mouvements de libération nationale est en grande partie fondée
sur les résultats de ce débat.
Le CCI, pour sa part, reste entièrement favorable au débat public et continuera
à appeler à de tels débats et à y participer. Ce débat représente en effet un
moment indispensable du processus de prise de conscience du prolétariat.
(section du CCI en Allemagne)
[1] Les Amis d’une société sans classes.