« Plus encore que dans le domaine économique, le chaos propre à la période de décomposition exerce ses effets dans celui des relations politiques entre Etats. Au moment de l'effondrement du bloc de l'Est, conduisant à la disparition du système d'alliances issu de la seconde guerre mondiale, le CCI avait mis en évidence :
-que cette situation mettait à l'ordre du jour, sans que cela soit immédiatement réalisable, la reconstitution de nouveaux blocs, l'un étant dirigé par les Etats-Unis et l'autre par l'Allemagne ;
-que, de façon immédiate, elle allait déboucher sur un déferlement d'affrontements ouverts que "l'ordre de
Yalta" avait réussi auparavant à maintenir dans un cadre "acceptable"pour les deux gendarmes du monde. » (...) « Depuis, cette tendance au "chacun pour soi", au chaos dans les relations entre Etats, avec son cortège d'alliances de circonstance et éphémères, n'a nullement été remise en cause, bien au contraire. »(...)
« ... assez rapidement la tendance au "chacun pour soi " a pris le dessus sur la tendance à la reconstitution d'alliances stables préfigurant de futurs blocs impérialistes ce qui a contribué à multiplier et aggraver les affrontements militaires. » (« Résolution sur la situation internationale » parue dans la Revue Internationale n° 90)
C'est ainsi que, lors de son 12e congrès, le CCI a défini sa vision de la situation mondiale sur le plan impérialiste, vision qui a été, ces derniers mois, illustrée et confirmée à de trop nombreuses reprises. L'instabilité grandissante que connaît le monde capitaliste se traduit notamment par une multiplication de conflits meurtriers aux quatre coins de la planète. Cette aggravation de la barbarie capitaliste est avant tout le fait des grandes puissances qui ne cessent de nous promettre « un monde de paix et de prospérité» mais dont les rivalités toujours plus aiguës et ouvertes coûtent de plus en plus cher à l'humanité en nombre de morts, en généralisation de la terreur et de la misère.
Parce que « la première puissance mondiale est confrontée, depuis qu'a disparu la division du monde en deux blocs, à une contestation permanente de son autorité de la part de ses anciens alliés » (Ibid.), elle a dû mener contre ces derniers et contre leurs intérêts impérialistes, dans la dernière période, « une contre-offensive massive » notamment dans l'ex-Yougoslavie et en Afrique. Malgré cela, les anciens alliés continuent de défier les Etats-Unis jusque dans ses chasses gardées comme l'Amérique latine ou le Moyen-Orient.
Nous ne pouvons traiter ici de toutes les parties du monde qui subissent les effets de la tendance « au chacun pour soi » et de l'exacerbation des rivalités impérialistes entre les grandes puissances. Nous n'aborderons donc que quelques situations qui illustrent parfaitement cette analyse et qui ont connu, ces derniers temps, des rebondissements significatifs.
Afrique noire : les intérêts français au plus mal
Dans la résolution citée plus haut nous affirmions aussi que la première puissance mondiale « a réussi à infliger au pays qui l'avait défiée le plus ouvertement, la France, un très sérieux revers dans ce qui constitue son "pré carré", l'Afrique. » L'évidence des faits à ce moment-là nous autorisait à dire que : «Après l'élimination de l'influence française au Rwanda, c'est maintenant la principale position de la France sur ce continent, le Zaïre qui est en train de lui échapper avec l'effondrement du régime de Mobutu sous les coups de la "rébellion" de Kabila massivement soutenue par le Rwanda et l'Ouganda, c'est-à-dire par les Etats-Unis. »
Depuis, les hordes de Kabila ont éjecté Mobutu et sa clique et pris le pouvoir à Kinshasa. Dans cette victoire et en particulier dans les massacres monstrueux des populations civiles qu'elle a occasionnés, le rôle direct et actif joué par l'Etat américain, notamment à travers les nombreux « conseillers » qu'il a mis à la disposition de Kabila, est aujourd'hui un secret de polichinelle. Hier, c'était l'impérialisme français qui armait et conseillait les bandes hutues, responsables des massacres au Rwanda, pour déstabiliser le régime pro-US de Kigali ; aujourd'hui, c'est Washington qui en fait de même, contre les intérêts français, avec les « rebelles » tutsis de Kabila.
Le Zaïre est ainsi passé sous la coupe exclusive des Etats-Unis. La France, quant à elle, a perdu un pion essentiel, ce qui signe son éviction complète de la « région des grands lacs ».
De plus, cette situation n'a pas tardé à provoquer une déstabilisation en chaîne des pays voisins qui sont encore sous l'influence française. L'autorité et la crédibilité du « parrain français » ont en effet pris un sacré coup dans la région, ce dont les Etats-Unis essaient de tirer profit au maximum. Ainsi, depuis quelques semaines, le Congo-Brazzaville est déchiré par la guerre que se livrent les deux derniers présidents qui sont pourtant tous les deux des « créatures » de la France. Les pressions et les nombreux efforts de médiation faits par Paris ne connaissent pour le moment aucun succès. En Centrafrique, pays qui est actuellement soumis à une situation de chaos sanglant, cette même impuissance se manifeste. Ainsi, malgré deux interventions militaires très musclées et la création d'une « force africaine d'interposition» à sa botte, l'impérialisme français n'arrive toujours pas à maintenir l'ordre sur place. Plus grave, le président centrafricain Ange Patassé, une autre « créature » de la France, menace maintenant de recourir à l'aide américaine signifiant ainsi sa défiance vis-à-vis de son parrain actuel. Cette perte de crédit tend aujourd'hui à se généraliser à travers toute l'Afrique noire jusqu'à commencer à atteindre les pions les plus fidèles de Paris. Plus généralement, l'influence française s'effrite sur l'ensemble du continent comme l'a clairement démontré, par exemple, le dernier sommet annuel de l'OUA où des « initiatives françaises » significatives ont été repoussées :
- l'une concernait la reconnaissance du nouveau pouvoir de Kinshasa que Paris voulait retarder et placer sous condition ; sous la pression des Etats-Unis et de ses alliés africains, Kabila a non seulement obtenu une reconnaissance immédiate mais également un soutien économique « pour reconstruire son pays » ;
-une autre concernait la nomination d'une nouvelle direction à la tête de l'organisme africain ; le « candidat » de la France, abandonné par ses «amis», a dû retirer sa candidature avant le vote.
L'impérialisme français subit actuellement sur le continent noir une série de revers graves sous les coups de boutoir de l'impérialisme américain, et il s'agit pour lui d'un déclin historique, essentiellement au profit de ce dernier, dans ce qui était, il n'y a pas si longtemps, son pré carré.
« C'est une punition particulièrement sévère que cette puissance (les Etats-Unis) est en train d'infliger à la France et qui se veut exemplaire à l'adresse de tous les autres pays qui voudraient l'imiter dans sa politique de défi permanent. » (Ibid.)
Cependant, malgré son déclin, l'impérialisme français a encore des arguments à faire valoir, des cartes à jouer pour défendre ses intérêts et riposter à l'offensive, pour le moment victorieuse, des américains. C'est notamment dans ce but qu'il a engagé tout un redéploiement stratégique de ses forces militaires en Afrique. Si, sur ce plan (et sur d'autres), Paris est loin de pouvoir rivaliser avec Washington, cela ne signifie nullement qu'elle va baisser les bras; et, pour le moins, il est sûr que, dès à présent, elle va mettre en oeuvre toutes ses capacités de nuisance pour mettre en difficulté la politique et les intérêts américains. Les populations africaines n'ont donc pas fini de subir dans leur chair la rivalité entre les grands gangsters capitalistes.
Derrière les massacres en Algérie, les mêmes intérêts sordides des « grands »
L'Algérie est un autre terrain qui subit de plein fouet les effets de la décomposition du capitalisme mondial et sur lequel s'exerce l'antagonisme féroce entre les « grands ». En effet, voilà près de cinq années que ce pays ne cesse de s'enfoncer dans un chaos toujours plus sanglant et barbare. Les règlements de compte en série, les incessants massacres en masse de populations civiles, les multiples attentats meurtriers perpétrés jusqu'au coeur de la capitale plongent ce pays dans l'horreur et la terreur quotidiennes. Depuis 1992, début de ce que les médias bourgeois appellent hypocritement « la crise algérienne », il ne fait aucun doute que le chiffre de 100 000 tués a été dépassé. S'il y a bien une population (et donc un prolétariat) qui est prise en otage dans une guerre entre fractions bourgeoises, c'est bien celle d'Algérie. Il est clair aujourd'hui que ceux qui assassinent quotidiennement, qui sont les responsables directs de la mort de ces milliers d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards, ce sont des bandes armées à la solde des différents camps en présence :
- celui des islamistes dont la fraction la plus dure et la plus fanatique, le GIA, draine notamment une jeunesse décomposée, désoeuvrée, sans perspective (du fait de la situation économique dramatique de l'Algérie aujourd'hui qui jette la majorité de la population dans le chômage, la misère et la famine) sinon celle de plonger dans la plus profonde délinquance. Al Wasat, le journal de la bourgeoisie saoudienne qui paraît à Londres, reconnaît que « cette jeunesse a d'abord constitué un moteur dont le FIS s'est servi pour effrayer tous ceux qui se mettaient en travers de sa route vers le pouvoir » mais que celle-ci a tendu à lui échapper de plus en plus ;
- l'Etat algérien, lui-même, dont il apparaît aux yeux de tout le monde qu'il est impliqué directement dans de nombreux massacres qu'il a imputés aux « terroristes islamistes ». Les témoignages recueillis notamment sur la boucherie (entre 200 et 300 morts) qui a eu lieu dans la banlieue algéroise, à Raïs, à la fin du mois d'août dernier prouvent, s'il en était besoin, que le régime de Zéroual est loin d'être innocent : « Cela a duré de 22h 30 à 2h 30. Ils (les massacreurs) ont pris tout leur temps. (...) Aucun secours n'est arrivé. Les forces de sécurité sont pourtant toutes proches. Les premiers arrivés ce matin ont été les pompiers. » (témoignages cités dans le journal Le Monde) Il est clair aujourd'hui qu'une bonne partie des carnages perpétrés en Algérie sont l'oeuvre soit des services de sécurité de l'Etat soit des « milices d'autodéfense » armées et contrôlées par ce même Etat. Ces milices ne sont pas chargées, comme veut le faire croire le régime en place, « de veiller sur la sécurité des villages » ; elles sont pour l'Etat un moyen de quadrillage de la population, une arme redoutable pour éliminer ses opposants et imposer son ordre par la terreur.
Face à cette situation d'épouvante, « l'opinion mondiale », c'est-à-dire les grandes puissances occidentales surtout, a commencé à exprimer son « émotion ». Ainsi, quand le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan cherche à encourager « la tolérance et le dialogue » et appelle à « une solution urgente », Washington, qui se dit « horrifiée », lui apporte immédiatement son soutien. L'Etat français, quant à lui, n'est pas en reste question compassion mais s'interdit de faire de « l'ingérence dans les affaires de l'Algérie ». L'hypocrisie dont font preuve tous ces « grands démocrates » est absolument effarante mais elle a de plus en plus de mal à masquer leurs responsabilités dans l'horreur que vit ce pays. Par fractions bourgeoises algériennes interposées, c'est une guerre sans merci que se livrent notamment la France et les Etats-Unis depuis la disparition des grands blocs impérialistes. L'enjeu de cette sordide rivalité est pour Paris de conserver l'Algérie dans son giron et pour Washington de la récupérer à son profit ou, pour le moins, de déstabiliser l'influence de sa rivale.
Dans cette bataille, le premier coup a été porté par l'impérialisme américain qui a soutenu, en sous main, le développement de la fraction intégriste du FIS (qui était à sa botte via le soutien de l'Arabie Saoudite) à tel point que celle-ci, en 1992, est arrivée aux portes du pouvoir. Et c'est un véritable coup d'Etat perpétré par le régime en place à Alger, avec le soutien du parrain français, qui a permis d'écarter le danger qui était imminent tant pour les fractions bourgeoises qui sont au pouvoir que pour les intérêts français. Depuis la politique menée par l'Etat algérien, notamment avec l'interdiction du FIS, la chasse et l'emprisonnement de nombre de ses dirigeants et militants, a permis de réduire l'influence de ce dernier dans le pays. Mais si cette politique, sur ce plan, a été globalement couronnée de succès, elle est, par contre, responsable de la situation de chaos actuelle. C'est elle qui a jeté des fractions du FIS dans l'illégalité, la guérilla et les actions terroristes. Aujourd'hui, les islamistes sont discrédités du fait notamment de leurs multiples et abominables exactions. On peut donc affirmer qu'avec le soutien de Paris le régime de Zéroual est pour l'instant parvenu à ses fins mais aussi que l'impérialisme français a réussi globalement à résister à l'offensive de la première puissance mondiale et à préserver ses intérêts en Algérie. Le prix de ce « succès », ce sont les populations qui le paient aujourd'hui et le paieront encore demain. En effet, quand récemment les Etats-Unis ont parlé d'apporter tout leur soutien « aux efforts personnels » de Kofi Annan, c'était pour signifier qu'il ne sont pas prêts à lâcher le morceau; ce à quoi Chirac leur a immédiatement répondu en dénonçant, à l'avance, toute politique « d'ingérence dans les affaires algériennes », laissant entendre par là qu'il défendra bec et ongles son pré carré.
Moyen-Orient : les difficultés grandissantes de la politique américaine
Si les seconds couteaux impérialistes, comme la France, ont du mal à conserver leur autorité dans leurs zones d'influence traditionnelles et y subissent même des reculs sous les coups de boutoir des Etats-Unis, ces derniers ne sont pas épargnés par les difficultés dans leur politique, difficultés qu'ils subissent jusque dans leurs chasses gardées comme le Moyen-Orient. Cette zone sur laquelle ils ont, depuis la guerre du Golfe, un contrôle quasi-exclusif est soumise à une instabilité grandissante qui remet en question leur « pax americana » et leur autorité. Dans notre résolution citée ci-dessus, nous avions déjà souligné un certain nombre d'exemples illustrant la contestation grandissante du leadership américain par un certain nombre de pays vassaux de cette région du monde. Notamment, à l'automne 1996, « les réactions presque unanimes d'hostilité envers les bombardements de l'Irak par 44 missiles de croisière », réactions auxquelles se sont joints des « fidèles » comme l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Un autre exemple significatif a été celui de « la venue au pouvoir en Israël, contre la volonté affichée des Etats-Unis, de la droite, laquelle a tout fait depuis pour saboter le processus de paix avec les palestiniens qui constituait un des plus beaux succès de la diplomatie US ». La situation qui s'est développée depuis a confirmé de manière éclatante cette analyse.
Dès mars dernier, le « processus de paix » subissait un recul significatif avec l'arrêt des négociations israélo-palestinienne du fait de la politique cynique de colonisation des territoires occupés développée par le gouvernement Netanyahou. Depuis, la tension n'a cessé de monter dans la région. Elle s'est soldée notamment, durant cet été, par plusieurs attentats suicide meurtriers, attribués au Hamas, en plein Jérusalem ce qui a été l'occasion pour l'Etat hébreu d'accentuer sa répression contre les populations palestiniennes et d'imposer un «blocus des territoires libres». Par ailleurs, une série de raids de Tsahal, avec leur cortège de destruction et de morts, ont été lancés contre le Hezbollah au Sud-Liban. Face à ce dérapage accéléré de la situation, la Maison Blanche a dû dépêcher sur place, successivement, ses deux principaux émissaires, Dennis Ross et Madeleine Albright, sans grand succès. Cette dernière a même reconnu qu'elle n'avait pas trouvé « la meilleure méthode pour remettre le processus de paix sur les rails ». Et en effet, malgré les fortes pressions de Washington, Nétanyahou reste sourd et poursuit sa politique agressive contre les palestiniens mettant en danger l'autorité d'Arafat et donc ses capacités à contrôler les siens. Quant aux pays arabes, ils sont de plus en plus nombreux à exprimer leur mauvaise humeur vis-à-vis de la politique américaine qu'ils accusent de sacrifier leurs intérêts au profit de ceux d'Israël. Parmi ceux qui bravent l'autorité du parrain américain se trouve la Syrie qui, actuellement, est en train de développer des relations économiques et militaires avec Téhéran et s'est même permis de rouvrir ses frontières avec l'Irak. Par ailleurs, ce qui était proprement inconcevable il y a très peu de temps se produit aujourd'hui : l'Arabie Saoudite, « le plus fidèle allié » des américains mais aussi le pays qui était jusque là le plus opposé au « régime des mollahs », renoue des liens avec l'Iran. Ces attitudes nouvelles vis-à-vis de l'Iran et de l'Irak, deux des principales cibles de la politique US ces dernières années, ne peuvent être perçues par Washington que comme des bravades, voire des camouflets.
Dans ce contexte de difficultés aiguës pour leur rivale d'outre-Atlantique, les bourgeoisies européennes se font fort de jeter de l'huile sur le feu. D'ailleurs, notre résolution affirmait déjà cet aspect en soulignant que la contestation du leadership américain se confirme « plus généralement, (par) la perte du monopole du contrôle de la situation au Moyen-Orient, zone cruciale s'il en est, notamment illustrée par le retour en force de la France qui s'est imposée comme co-parrain du règlement du conflit entre Israël et le Liban... ». Ainsi, durant l'été, on a vu l'Union Européenne doubler Dennis Ross sur le poteau et enfoncer un coin dans les fissures du dispositif diplomatique américain, son « envoyé spécial » proposant la mise sur pied d'un « comité de sécurité permanent » pour permettre à Israël et à l'OLP de « collaborer de manière permanente et non pas intermittente ». Tout récemment encore, le ministre des affaires étrangères du gouvernement français, H.Védrine, soufflait un peu plus sur les braises en taxant la politique de Netanyahou de « catastrophique », dénonçant ainsi implicitement la politique américaine. De plus, il affirmait haut et fort que « le processus de paix » était « cassé » et qu'il n'a « plus de perspective ». Il s'agit là, pour le moins, d'un encouragement, adressé aux palestiniens et à tous les pays arabes, à se détourner des Etats-Unis et de leur « pax americana».
« C'est pour cela que les succès de la contre-offensive actuelle des Etats-Unis ne sauraient être considérés comme définitifs, comme un dépassement de la crise de leur leadership. » Et même si « la force brute, les manoeuvres visant à déstabiliser leurs concurrents (comme aujourd'hui au Zaïre), avec tout leur cortège de conséquences tragiques n'ont donc pas fini d'être employés par cette puissance » (Ibid.), ces mêmes concurrents, eux, n'ont pas non plus fini de mettre en oeuvre toutes leurs capacités de nuisance contre la politique à visée hégémonique de la première puissance mondiale.
Aujourd'hui, aucun impérialisme, pas même le plus fort, n'est à l'abri des menées déstabilisatrices de ses concurrents. Les prés carrés, les chasses gardées tendent à disparaître. Il n'y a plus sur la planète de zones « protégées ». Plus que jamais, le monde est livré à la concurrence débridée selon la règle du « chacun pour soi ». Et tout cela contribue à élargir et à accentuer le chaos sanglant dans lequel s'enfonce le capitalisme.
Elfe, 20 septembre 1997
Dans la lutte constante qu'ils mènent contre le marxisme, les professeurs bourgeois ont pour argument favori l'idée que ce dernier serait une pseudoscience, du même genre que la phrénologie ou d'autres charlataneries de ce style. On trouve la présentation la plus élaborée de cette thèse dans le livre de Karl Popper, The Open Society and it’s ennemies, qui est une justification classique du libéralisme et de... la « guerre froide ». Selon Popper, le marxisme n'est pas une science de la société car on ne peut ni vérifier ni réfuter ses propositions par l'expérience pratique condition sine qua non de toute véritable investigation scientifique.
En fait, le marxisme ne revendique pas d'être « une science » du même type que les sciences naturelles. II reconnaît que les rapports sociaux humains ne peuvent être soumis à un examen précis et contrôlé comme le sont les processus physiques, chimiques ou biologiques. Ce qu'il affirme par contre, c'est qu'en tant que vision mondiale d'une classe exploitée qui n'a aucun intérêt ni à occulter ni à travestir la réalité sociale, il est seul capable d'appliquer la méthode scientifique à l'étude de la société et de l'évolution historique. II est certain qu'on ne peut examiner l'histoire dans les conditions d'un laboratoire. On ne peut tester les prévisions d'une critique sociale révolutionnaire par des expérimentations répétées et soigneusement contrôlées. Mais même en tenant compte de cela, il est toujours possible d'extrapoler à partir du mouvement passé et présent des processus historiques, économiques et sociaux, et de dessiner à grands traits le mouvement à venir. Et ce qui est si frappant dans le gigantesque enchaînement des événements historiques inaugurés par la première guerre mondiale, c'est précisément à quel point il vérifie les prévisions du marxisme dans le laboratoire vivant de faction sociale.
Une prémisse fondamentale du matérialisme historique, c'est le fait que, comme toutes les précédentes sociétés de classes, le capitalisme atteindrait une phase où ses rapports de production, de conditions de développement des forces productives, se transformeraient en entraves, plongeant l'ensemble de la superstructure juridique et politique de la société dans la crise et ouvrant une époque de révolution sociale. Les fondateurs du marxisme ont donc analysé en profondeur les contradictions de la structure capitaliste, ses bases économiques, qui allaient entraîner le système dans sa crise historique. Cette analyse était inévitablement générale et ne pouvait parvenir à des prévisions précises. quant à la date de la crise révolutionnaire. Malgré cela, même Marx et Engels ont parfois été victimes de leur impatience révolutionnaire et ont annoncé de façon précipitée le déclin général du système et donc l'imminence de la révolution prolétarienne. La forme qu'allait prendre cette crise historique n'était pas non plus très claire. Prendrait-elle la forme de dépressions économiques cycliques comme celles qui avaient marqué la période ascendante ou sous une forme plus vaste et sans possibilité de renouveau? Là encore, on ne pouvait avancer qu'une perspective générale. Néanmoins, dès le Manifeste Communiste, le dilemme essentiel auquel était confrontée l'humanité était annoncé: socialisme ou retour à la barbarie; émergence d'une forme supérieure de rapports humains ou déchaînement de toutes les tendances destructrices inhérentes au capitalisme - ce que le Manifeste appelle «la ruine commune des classes en lutte ».
Cependant, vers la fin du 19e siècle, avec l'entrée du capitalisme dans sa phase impérialiste, une phase de militarisme débridé et de compétition aigüe pour la conquête des zones extra-capitalistes qui restaient sur la planète, le désastre où le capitalisme menait l'humanité a commencé à apparaître clairement, non sous la forme d'une vaste dépression économique mais sous celle d'une catastrophe militaire à grande échelle: la guerre globale en tant que compétition économique sous d'autres formes, mais développant de plus en plus sa propre dynamique malsaine, détruisant toute la civilisation sous ses roues meurtrières. D'où la remarquable « prophétie » d’Engels en 1887:
« Aucune guerre n'est désormais possible pour la Prusse allemande qu'une guerre mondiale, et une guerre mondiale d'une étendue et d'une violence inconnues jusqu’'ici. Huit ou dix millions de soldats se massacreront les uns les autres, et ce faisant, engloutiront toute l'Europe jusqu'à ce qu'ils l'aient dépouillée et mise à nu comme un essaim de sauterelles ne pourrait jamais le faire. Les dévastations de la guerre de Trente ans, comprimées sur trois ou quatre ans et étendues au continent tout entier; la famine, la peste, la chute générale dans la barbarie des armées et de la masse des populations ; le chaos sans espoir du système artificiel de commerce, d'industrie et de crédit, aboutissant à la banqueroute générale ; l'effondrement des vieux Etats et de la sagesse traditionnelle de leur élite au point que les couronnes tomberont par douzaine et qu'il n’y aura personne pour les ramasser; l'impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira vainqueur de la bataille ; un seul résultat est absolument certain : l'épuisement général et l'établissement des conditions de la victoire finale du prolétariat.
Telle est la perspective quand le système de surenchère mutuelle dans les armements, poussée à ses extrémités, finit par porter ses inévitables fruits. Voilà, mes seigneurs, princes, hommes d'Etat, voilà où, dans votre sagesse, vous avez conduit la vieille Europe. Et lorsqu'il ne vous restera plus rien à faire qu'à engager la dernière grande danse guerrière, cela nous ira très bien. La guerre peut nous repousser peut-être temporairement en arrière, elle peut nous arracher une position que nous avons déjà conquise. Mais quand des forces que vous ne pourrez plus contrôler seront lâchées, les choses iront comme elles iront; à la fin de la tragédie, vous serez ruinés et la victoire du prolétariat aura eu lieu ou sera en tous cas inévitable. » ([1] [4])
Les fractions révolutionnaires qui, en 1914, ont maintenu les principes internationalistes face à la guerre, avaient de bonnes raisons de se rappeler ces paroles d’Engels. Dans la Brochure de Junius, Rosa Luxemburg n'a eu qu'à les remettre à jour:
« Friedrich Engels a dit un jour: "La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou la rechute dans la barbarie". Mais que signifie donc une "rechute dans la barbarie" au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd'hui ? Jusqu'ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d'œil autour de nous en ce moment même et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l'impérialisme aboutit à l'anéantissement de la civilisation -sporadiquement pendant la durée d'une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C'est exactement ce que Friedrich Engels avait prédit une génération avant nous voici quarante ans. Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix : ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c'est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme et contre sa méthode d'action : la guerre. C'est là un dilemme de l'histoire du monde, un "soit l'un, soit l'autre" encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. (..) L'avenir de la civilisation et de l'humanité en dépend. »
Luxemburg, développant à partir des prévisions d’Engels, ajoute que si le prolétariat ne se débarrasse pas du capitalisme, la guerre impérialiste ne sera que la première d'une série de conflits globaux toujours plus dévastateurs qui finiront par menacer la survie même de l'humanité. Tel a été, en fait, le drame du 20e siècle, preuve la plus parlante du fait que, comme l'écrit Lénine, « le capitalisme a vécu. Il est devenu le frein le plus réactionnaire du progrès humain. » ([2] [5])
Mais si la guerre de 1914 a confirmé cet aspect de l'alternative historique - la décadence du système capitaliste, son plongeon dans la régression - la révolution russe et la vague révolutionnaire internationale qui a suivi, ont confirmé, avec non moins de clarté, l'autre aspect : selon les termes du Manifeste du 1 er congrès de 17nternationale communiste en 1919, l'époque de la désintégration capitaliste est aussi l'époque de la révolution communiste ; et la classe ouvrière est la seule force sociale qui puisse mettre fin à la barbarie capitaliste et inaugurer la nouvelle société. Les terribles privations de la guerre impérialiste et la désintégration du régime tsariste ont entraîné toute la société russe dans un tourbillon social. Mais, au sein de la révolte d'une immense population composée en majorité d'ouvriers et de paysans en uniforme, c'est la classe ouvrière des centres urbains qui a créé les nouveaux organes révolutionnaires de lutte - les soviets, les comités d'usine, les gardes rouges - qui ont servi de modèle au reste de la population, qui ont fait les avancées les plus rapides au niveau de la conscience politique (ces avancées se sont exprimées à travers la croissance spectaculaire du parti bolchevik) et qui, à chaque étape du processus révolutionnaire, ont agi en déterminant le cours des événements : dans le renversement du régime tsariste en février, en déjouant les plans de la contre-révolution en septembre, en menant l'insurrection en octobre. De même, c'est la classe ouvrière en Allemagne, en Hongrie, en Italie et sur tout le globe qui, par ses grèves et ses luttes, a mis fin à la guerre et a menacé l'existence même du capital mondial.
Si les masses prolétariennes ont réalisé ces prouesses révolutionnaires, ce n'est pas parce qu'elles étaient intoxiquées par quelque vision millénariste, ni qu'elles avaient été dupées par une poignée de conspirateurs machiavéliques, mais parce qu'à travers leur lutte pratique, leurs débats et leurs discussions, elles ont vu que les slogans et le programme des marxistes révolutionnaires correspondaient à leurs propres intérêts et besoins de classe.
Trois ans après l'ouverture de l'époque de la révolution prolétarienne, la classe ouvrière a fait la révolution -elle a pris le pouvoir dans un pays et a défié l'ordre capitaliste dans le monde entier. Le spectre du « bolchevisme », du pouvoir soviétique, de la mutinerie contre la machine de guerre impérialiste a fait tomber des couronnes et a hanté partout la classe dominante. Pendant trois ans et plus, il semblait que la prévision d'Engels se confirmait dans tous ses aspects : la barbarie de la guerre assurait la victoire du prolétariat. Evidemment, comme les professeurs bourgeois n'ont de cesse de nous le rappeler : « ça a raté ». Et ils ajoutent que ça ne pouvait que rater car le projet grandiose de liquider le capitalisme et de créer une société humaine est tout simplement contraire à la « nature humaine ». Mais la classe dominante de l'époque ne s'est pas assise en attendant que la « nature humaine » suive son cours. Pour exorciser le spectre de la révolution mondiale, elle s'est donné la main sur toute la planète pour combiner ses forces contre-révolutionnaires, à travers l'intervention militaire contre la république soviétique, par la provocation et le massacre des ouvriers révolutionnaires, de Berlin à Shanghai. Et quasiment sans exception, ce sont les tenants du libéralisme et de la social-démocratie, c'est-à-dire les Kerensky, les Noske et les Woodrow Wilson, que la majorité des professeurs présentent comme l'incarnation d'une alternative plus rationnelle et plus réalisable face aux rêves impossibles du marxisme, qui furent les dirigeants et les organisateurs des forces de la contre-révolution.
La physique quantique du 20e siècle a reconnu comme une nécessité une prémisse fondamentale de la dialectique: on ne peut examiner la réalité de l'extérieur. L'observation influence le processus qu'on observe. Le marxisme n'a jamais revendiqué d'être une « science » neutre « de la société » car il prend parti de l'intérieur du processus et, ce faisant, se définit comme une force qui accélère et transforme le processus. Les académiciens bourgeois peuvent se dire impartiaux et neutres mais, quand ils commentent la réalité sociale, leur point de vue partisan apparaît clairement. La différence avec les marxistes c'est que ces derniers font partie du mouvement vers une société libre, tandis que les professeurs qui critiquent le marxisme, finissent toujours par faire l'apologie des forces les plus sanglantes de la réaction sociale et politique.
D'historique et général qu'il était au 19e siècle, le programme communiste est devenu très précis. En 1917, la question brûlante était celle du pouvoir politique, de la dictature du prolétariat. Et c'est au prolétariat russe qu'a échu la résolution de ce problème, en théorie comme en pratique. L'Etat et la révolution de Lénine -La doctrine marxiste de l'Etat et les tâches du prolétariat dans la révolution - écrit en août-septembre 1917, a déjà été maintes fois mentionné dans ces articles puisque nous avons non seulement tenté de réexaminer beaucoup de ces questions mais surtout d'appliquer sa méthode. Si nous répétons des choses que nous avons déjà dites, tant pis: certaines choses valent la peine d'être répétées. Comme L'Etat et la révolution occupe une place très importante dans l'évolution de la théorie marxiste de l'Etat, nous ne nous excuserons pas d'en faire ici le principal sujet d'un article.
Comme nous l'avons montré dans l'article précédent (Revue Internationale n° 90), l'expérience directe de la classe ouvrière et l'analyse de cette expérience par les minorités marxistes avaient déjà, avant la guerre et la vague révolutionnaire, jeté les bases de travail essentielles pour résoudre le problème de l’Etat dans la révolution prolétarienne. La Commune de Paris de 1871 avait déjà mené Marx et Engels à la conclusion que le prolétariat ne pouvait « seulement s'emparer » de l'ancien Etat bourgeois mais devait le détruire et le remplacer par de nouveaux organes de pouvoir. Les grèves de masse de 1905 avaient démontré que les soviets des députés ouvriers constituaient la forme du pouvoir révolutionnaire la plus appropriée à la nouvelle époque historique qui s'ouvrait. Pannekcek dans sa polémique avec Kautsky avait réaffirmé que la révolution ne pouvait qu'être le résultat d'un mouvement de masse qui paralyse et désintègre le pouvoir d’Etat de la bourgeoisie.
Mais le poids de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier avant la guerre était trop grand pour être dissipé, même par les polémiques les plus vives. Ce que la Commune avait enseigné avait été désappris durant les décennies de parlementarisme et de légalisme, de réformisme croissant dans le parti et les syndicats. De plus, l'abandon de la vision révolutionnaire de Marx et Engels ne se restreignait aucunement à des gens ouvertement révisionnistes tels que Bernstein. A travers le travail du courant autour de Kautsky, le fétichisme parlementaire et la théorisation d'une voie pacifique, «démocratique » au socialisme étaient en fin de compte présentés comme le fin mot du « marxisme orthodoxe ». Dans une telle situation, ce n'est que lorsque les positions de la gauche de la 2e Internationale ont fusionné avec le vaste mouvement des masses que l'amnésie prolétarienne sur sa propre histoire a pu être surmontée. Cela n'en diminue pas pour autant l'importance de l'intervention «théorique » des révolutionnaires sur cette question, au contraire. Quand la théorie révolutionnaire s'empare des masses et devient une force matérielle, sa clarification et sa dissémination deviennent plus urgentes et plus décisives que jamais.
Dans un article de la Revue Internationale n° 89, le CCI a rappelé l'importance vitale de l'intervention politique et théorique des Thèses d'avril de Lénine qui montraient au parti et à l'ensemble de la classe ouvrière comment sortir du brouillard de confusion créé par les mencheviks, les socialistes-révolutionnaires et toutes les forces de compromis et de trahison. Au cœur de la position de Lénine, en avril, se trouve l'insistance sur le fait que la révolution russe ne peut se concevoir que comme partie de la révolution socialiste mondiale. Qu'en conséquence, le prolétariat devait poursuivre sa lutte contre la république parlementaire - présentée par les opportunistes et les bourgeois de gauche comme le plus grand acquis de la révolution et que le prolétariat ne devait pas seulement lutter pour une république parlementaire mais pour le transfert du pouvoir aux soviets, pour la dictature du prolétariat en alliance avec les paysans pauvres.
Pour leur part, les opposants politiques de Lénine, surtout ceux qui se couvraient du voile de l'orthodoxie marxiste, ont immédiatement accusé Lénine d'anarchisme, de chercher à occuper le trône vacant de Bakounine. Cette offensive idéologique de l'opportunisme requerrait une réponse, une réaffirmation de l'alphabet marxiste, mais aussi un approfondissement théorique à la lumière de l'expérience historique récente. L'Etat et la révolution a répondu à ce besoin, fournissant en même temps l'une des plus remarquables démonstrations de la méthode marxiste, de la profonde interaction entre la théorie et la pratique. Lénine avait écrit, plus de 10 ans auparavant, qu'« il n y a pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ». Forcé à ce moment-là de rentrer dans la clandestinité et de se cacher dans le territoire finlandais à cause de la répression qui suivit les Journées de juillet (Revue Internationale n° 90), Lénine a reconnu la nécessité de se plonger à fond dans les classiques du marxisme, dans l'histoire du mouvement ouvrier afin de clarifier les buts immédiats d'un mouvement de masse immensément pratique.
L'Etat et la révolution constitue une continuation et une clarification de la théorie marxiste. Mais cela n'a pas empêché la bourgeoisie (à laquelle les anarchistes comme d'habitude faisaient souvent écho) de dire de ce livre qui insiste sur le pouvoir des soviets et la destruction de toute bureaucratie, qu'il était le produit d'une conversion temporaire de Lénine à l'anarchisme. Ils font fait selon différents angles. Un historien gauchiste « sympathique » comme Liebman par exemple (Leninism under Lenin, London 1975) parle de L'Etat et la révolution comme du travail d'un « Lénine libertaire », cherchant à faire croire que ce livre exprime un enthousiasme de courte durée de Lénine pour le potentiel créateur des masses en 1917-18, en opposition au Lénine « plus autoritaire » de 1902-1903, ce Lénine qui rejetait soi-disant la spontanéité des masses et défendait un parti de style jacobin formant l'état-major de celles-ci. Mais la capacité de Lénine à répondre au mouvement spontané, à la créativité des masses, même pour corriger à leur lumière ses propres exagérations et ses propres erreurs, ne se limite pas à 1917. Elle s'est déjà clairement manifestée en 1905 (voir l'article sur 1905 dans la Revue Internationale n° 90). En 1917, Lénine était convaincu que la révolution prolétarienne était à l'ordre du jour et n'était plus désormais limitée par la théorie de la « révolution démocratique » en Russie. C'est ce qui l’a conduit à compter encore plus sur la lutte autonome de la classe ouvrière; mais c'était le développement de ses positions précédentes, et non une soudaine conversion à l'anarchisme.
D'autres approches, plus ouvertement hostiles, du livre L'Etat et la révolution le considèrent comme faisant partie d'une ruse machiavélique pour que les masses s'alignent sur les projets des bolcheviks de faire un coup d’Etat et d'établir la dictature du parti. Les anarchistes et les conseillistes sont très friands d'arguments de cet acabit. On ne va pas les réfuter en détail ici. Cela fait partie de notre défense d'ensemble de la révolution russe et de l'insurrection d'Octobre, en particulier contre les campagnes de la bourgeoisie (Voir l'article sur l'insurrection d'octobre dans ce même numéro). Ce qu'on peut dire, c'est que la défense intransigeante par Lénine des principes marxistes sur la question de l’Etat, à partir du moment où il est rentré d'exil en avril, l’a mis en extrême minorité. Et il n'y avait aucune garantie que la position qu'il défendait, conquière les masses. En partant de cette, vision, le machiavélisme de Lénine devient carrément surhumain et nous quittons le monde de la réalité pour les divagations de la théorie conspiratrice. Une autre démarche, malheureusement contenue dans un article publié dans Internationalism, notre publication aux Etats-Unis, il y a plus de 20 ans lorsque l'idéologie conseilliste avait un poids considérable sur les nouveaux groupes révolutionnaires qui surgissaient, consiste à passer L’Etat et la révolution au peigne fin et à chercher la « preuve » que le livre de Lénine, à la différence des écrits de Marx sur la dictature du prolétariat, continue de contenir le point de vue d'un autoritaire qui ne peut envisager que les ouvriers se libèrent eux-mêmes par leurs propres forces (voir dans Internationalism n° 3, « La dictature du prolétariat : Marx contre Lénine »).
Nous ne chercherons pas à éviter de traiter les faiblesses qui existent réellement dans L'Etat et la révolution. Mais nous n'irons nulle part en créant une fausse opposition entre Marx et Lénine, pas plus qu'en considérant L'Etat et la révolution comme un point de jonction entre Lénine et Bakounine. Le livre de Lénine est en complète continuité avec Marx, Engels et toute la tradition marxiste avant lui ; et la tradition marxiste qui fa suivi a, à son tour, tiré beaucoup de force et de clarté de ce travail indispensable.
La première tâche de L'Etat et la révolution a été de réfuter les conceptions des opportunistes sur la nature fondamentale de l’Etat. La tendance opportuniste dans le mouvement ouvrier, en particulier l'aile lassallienne de la social-démocratie allemande, s'est depuis longtemps basée sur l'idée que l’Etat est essentiellement un instrument neutre qui peut tout aussi bien être utilisé au bénéfice de la classe exploitée que pour défendre les privilèges des exploiteurs. Bien des combats théoriques menés par Marx et Engels vis-à-vis du parti allemand avaient pour but de démolir l'idée d'un « Etat populaire », en montrant que l’Etat, comme produit spécifique de la société de classe, est par essence un instrument de la domination d'une classe sur la société et sur la classe exploitée en particulier. Mais, comme nous l'avons vu, en 1917 l'idéologie de l’Etat comme instrument neutre que les ouvriers pouvaient s'approprier, avait pris un habit « marxiste », en particulier entre les mains des kautskystes. C'est pourquoi L'Etat et la révolution commence et finit par une attaque contre la distorsion opportuniste du marxisme; au début, par un passage célèbre à juste titre : « C'est sur cette façon d"accommoder" le marxisme que se rejoignent aujourd'hui la bourgeoisie et les opportunistes du mouvement ouvrier. On oublie, on refoule, on altère le côté révolutionnaire de la doctrine, son âme révolutionnaire. On met au premier plan, on exalte ce qui est ou parait être acceptable pour la bourgeoisie... Devant cette situation, devant cette diffusion inouïe des déformations du marxisme, notre tâche est tout d'abord de rétablir la doctrine de Marx sur l'Etat. » ([3] [6])
A cette fin, Lénine procède en rappelant le travail des fondateurs du marxisme, d'Engels en particulier, en ce qui concerne les origines historiques de l’Etat. Mais bien que Lénine parle de son travail comme d'une excavation sous les décombres de l'opportunisme, sa recherche a plus qu'un intérêt archéologique. D’Engels (L'origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat), nous apprenons que l’Etat surgit comme produit des antagonismes de classe irréconciliables et sert à empêcher ces antagonismes de faire exploser la fabrique sociale. Mais de peur qu'on en conclue que l’Etat serait une sorte d'arbitre social, Lénine, à la suite d’Engels, a tôt fait d'ajouter que lorsque l'Etat maintient la cohésion, il le fait dans l'intérêt de la classe économiquement dominante. II apparaît donc comme un organe de répression et d'exploitation par excellence.
Dans le feu de la révolution russe, cette question « théorique » était d'une importance gigantesque. Les mencheviks et les SR opportunistes qui agissaient maintenant de plus en plus comme aile gauche de la bourgeoisie, présentaient l’Etat qui a succédé à la chute du Tsar en février 1917 comme une sorte d' « Etat populaire », comme une expression de la « démocratie révolutionnaire ». Les ouvriers devaient donc subordonner leurs intérêts de classe égoïstes à la défense de cet Etat qui, avec un peu de persuasion, pourrait sûrement s'adapter aux besoins de tous les opprimés. En démolissant les fondements de l'idée d'un « Etat neutre », Lénine préparait le terrain pour le renversement pratique de cet Etat. Pour étayer ses arguments contre les soi-disant « démocrates révolutionnaires», Lénine rappelle les paroles lourdes de sens d’Engels sur les limites du suffrage universel. «Il faut noter encore qu'Engels est tout à fait catégorique lorsqu'il qualifie le suffrage universel d'instrument de domination de la bourgeoisie. Le suffrage universel, dit-il, tenant manifestement compte de la longue expérience de la social-démocratie allemande, est : "... l'indice qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l’Etat actuel. "
Les démocrates petit-bourgeois tels que nos socialistes-révolutionnaires et nos mencheviks... attendent précisément quelque chose "de plus" du suffrage universel. Ils partagent eux-mêmes et inculquent au peuple cette idée fausse que le suffrage universel, "dans l’Etat actuel", est capable de traduire réellement la volonté de la majorité des travailleurs et d'en assurer l'accomplissement. » ([4] [7])
Ce rappel de la nature bourgeoise de la version la plus «démocratique» dans « l’Etat actuel » était vital en 1917, au moment où Lénine appelle à une forme de pouvoir révolutionnaire qui puisse réellement exprimer les besoins de la classe ouvrière. Mais au cours de ce siècle, les révolutionnaires ont dû faire le même rappel. Les héritiers les plus directs des réformistes social-démocrates, les partis travaillistes et socialistes d'aujourd'hui, ont construit l'ensemble de leur programme (en défense du capital) sur l'idée d'un Etat neutre, bénévole qui, en s'emparant des principales industries et des services sociaux, prendrait un caractère «public » ou même « socialiste ». Mais cette imposture est également ardemment colportée par ceux qui se disent être les héritiers de Lénine, les staliniens et les trotskistes qui n'ont jamais cessé de défendre l'idée que les nationalisations et les services de l’Etat providence seraient des conquêtes ouvrières et constitueraient autant d'étapes vers le socialisme, même dans « l’Etat actuel ». Ces soi-disant « léninistes » sont parmi les adversaires les plus acharnés de la « substance révolutionnaire » du travail de Lénine.
Puisque l’Etat est un instrument de la domination de classe, un organe de violence dirigé contre la classe exploitée, le prolétariat ne peut pas compter sur lui pour défendre ses intérêts immédiats ni l'utiliser comme instrument de construction du socialisme. Lénine montre comment le concept marxiste de dépérissement de l’Etat a été distordu par l'opportunisme pour justifier l'idée que la nouvelle société pouvait naître graduellement, harmonieusement, au moyen de l’Etat existant qui se démocratiserait et s'approprierait les moyens de production, « dépérissant » au fur et à mesure que les bases matérielles du communisme s'établiraient. Retournant à nouveau à Engels, Lénine insiste sur le fait que ce qui « dépérit » n'est pas l’Etat bourgeois existant, mais l’Etat qui surgit de la révolution prolétarienne laquelle est nécessairement une révolution violente ayant pour tâche de «détruire » le vieil Etat bourgeois. Evidemment, Engels et Lénine rejettent tous deux l'idée anarchiste selon laquelle l’Etat peut simplement être aboli en une nuit: en tant que produit de la société de classe, la disparition finale de toute forme d’Etat ne peut avoir lieu qu'après une période plus ou moins longue de transition. Mais l’Etat de la période de transition n'est pas l'ancien Etat bourgeois. Celui-ci gît désormais en ruine, et ce qui prend sa place est une nouvelle forme d’Etat, un demi-Etat qui permet au prolétariat d'exercer sa domination sur la société, mais qui est déjà en processus « d'extinction ». Pour renforcer et approfondir cette position fondamentale du marxisme, Lénine continue en examinant l'expérience historique réelle de « l’Etat et la révolution » et le développement de la théorie marxiste en lien avec cette expérience. C'est ce que Pannekcek, malgré toutes ses capacités, a négligé de faire, se trouvant ainsi plus vulnérable face à l'accusation opportuniste d'« anarchisme».
Le point de départ de Lénine est constitué par les débuts du mouvement marxiste, c'est à-dire la période qui précède juste les révolutions de 1848. Ayant relu Le Manifeste Communiste et Misère de la philosophie, Lénine développe que dans ces livres les éléments clé par rapport à l’Etat sont :
Concernant la nature de ce « renversement violent », du rapport exact entre le prolétariat révolutionnaire et l’Etat bourgeois existant, il n'était évidemment pas possible d'être précis étant donnée l'absence d'expérience historique concrète. Cependant, Lénine souligne que « si le prolétariat a besoin de l’Etat en tant qu'organisation spéciale de la violence contre la bourgeoisie, une question s'impose : une telle organisation est-elle concevable sans que soit au préalable détruite, démolie, la machine d'Etat que la bourgeoisie a créée pour elle-même? C'est à cette question que nous amène le Manifeste communiste et c'est d'elle que parle Marx quand il résume l'expérience de la révolution de 18481851. »([5] [8])
Ensuite, Lénine continue en citant un passage clé du 18 Brumaire de Louis Bonaparte dans lequel Marx dénonce l’Etat comme un « effroyable corps parasite » et où il souligne qu'avant la révolution prolétarienne, «toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine au lieu de la briser. » ([6] [9])
Comme nous l'avons mentionné dans notre article de la Revue Internationale n° 73, les révolutions de 1848, tout en posant pour la première fois la question de « détruire » 1’Etat, ont permis également à Marx d'avoir quelques aperçus sur la façon dont, au cours de la lutte, le prolétariat forme ses propres comités indépendants, de nouveaux organes de l'autorité révolutionnaire. Mais le contenu prolétarien des mouvements de 1848 était trop faible, trop immature pour répondre à la question: « Qu'est ce qui remplacera le vieil appareil d’Etat bourgeois? » Lénine continue donc sur la seule expérience précédente de prise de pouvoir par le prolétariat, la Commune de 1871. Il trace, très en détails, les principales leçons que Marx et Engels ont tirées de la Commune:
Ses caractéristiques les plus importantes étaient :
Lénine n'a pas pu faire son tour d'horizon de l'histoire au-delà de l'expérience de la Commune. A l'origine, il avait l'intention d’écrire un septième chapitre de L’Etat et la révolution : « Nous verrons plus loin que les révolutions russes de 1905 et de 1917, dans un cadre différent, dans d'autres conditions, continuent l'œuvre de la Commune et confirment la géniale analyse historique de Marx. » ([8] [11]) Mais l'accélération de l'histoire l’a privé de cette opportunité. « Je n'ai pas eu le temps d'écrire une seule ligne de ce chapitre, j'ai été "interrompu" par une crise politique, la veille de la révolution d'Octobre 1917. Une telle "interruption" ne pouvait qu'être la bienvenue ; mais la rédaction de la deuxième partie de la brochure (L'expérience des révolutions russe de 1905 et 1917) devra probablement être repoussée pour longtemps. II est plus agréable et plus utile de passer par "l'expérience de la révolution" que d'écrire à son sujet. » ([9] [12])
En fait, la seconde partie ne fut jamais rédigée. Il est sûr que le septième chapitre aurait eu une immense valeur. Mais Lénine avait achevé l'essentiel. La réaffirmation des enseignements de Marx et Engels sur la question de l’Etat constituait une base suffisante pour un programme révolutionnaire dans la mesure où la question primordiale était la nécessité de détruire l’Etat bourgeois et d’établir la dictature du prolétariat. Mais de toutes façons, le travail de Lénine, comme nous l'avons déjà dit, ne fut jamais une simple répétition. En revenant au passé en profondeur et dans un but militant, les marxistes font aussi avancer leur vision théorique. De cette façon L'Etat et la révolution a permis deux importantes clarifications pour le programme communiste. D'abord, il a identifié les soviets comme successeurs naturels de la Commune même si ces organes ne sont mentionnés qu'en passant. Lénine n'a pas pu analyser en profondeur pourquoi les soviets constituaient une forme supérieure d'organisation révolutionnaire par rapport à la Commune. Peut-être aurait-il pu faire des développements à partir du point de vue de Trotsky, dans ses écrits sur 1905, où ce dernier souligne en particulier que les soviets de députés ouvriers, étant basés sur les assemblées sur les lieux de travail, sont une forme d'organisation mieux adaptée pour assurer l'autonomie de classe du prolétariat (la Commune était basée sur des unités territoriales et non de travail, reflétant une phase moins développée de la concentration prolétarienne). En effet, des écrits ultérieurs de Lénine montrent que c'était la compréhension à laquelle il était parvenu ({C}[10]{C} [13]). Mais même si Lénine n'a pas pu examiner plus en détail les soviets dans L Etat et la révolution, il ne fait aucun doute qu'il les considérait comme les organes les plus appropriés pour détruire l’Etat bourgeois et former la dictature du prolétariat. A partir des Thèses d'avril, le slogan « Tout le pouvoir aux soviets » était avant tout celui de Lénine et du parti bolchevik reformé.
Deuxièmement, Lénine a été capable de faire de claires généralisations sur le problème de l’Etat et de sa destruction révolutionnaire. Dans la partie de son ouvrage qui traite des révolutions de 1848, Lénine avait posé la question: « on se demandera peut-être s'il est juste de généraliser l'expérience, les observations et les conclusions de Marx, et de les appliquer au-delà des limites de l'histoire de France de ces trois années : 1848-1851 ? s ([11] [14])
La formule « concentration de toutes les forces » de la révolution prolétarienne sur la « destruction » de l'appareil d’Etat était-elle valable dans tous les pays ? La question avait toujours une importance extrême en 1917 parce que, malgré les leçons que Marx et Engels avaient tirées de la Commune de Paris, ils avaient quand même laissé beaucoup de place à l'ambiguïté sur la possibilité que le prolétariat gagne pacifiquement à travers le processus électoral dans certains pays, ceux qui avaient les institutions parlementaires les plus développées et l'appareil militaire le moins important. Comme Lénine le souligne, Marx mentionnait en particulier la Grande Bretagne mais aussi des pays tels que les Etats-Unis et la Hollande. Cependant, là-dessus, Lénine n'a pas eu peur de corriger Marx et d’aller au bout de sa pensée. Il l’a fait en utilisant la méthode de Marx, plaçant la question dans le contexte historique adapté. « Plus particulièrement, l'impérialisme - époque du capital bancaire, époque des gigantesques monopoles capitalistes, époque où le capitalisme monopoliste se transforme par voie de croissance en capitalisme monopoliste d'Etat- montre le renforcement extraordinaire de la "machine d’Etat", l'extension inouïe de son appareil bureaucratique et militaire en liaison avec une répression accrue du prolétariat, aussi bien dans les pays monarchiques que dans les républiques les plus libres. s ([12] [15])
Et le résultat, c'est que: «Aujourd'hui, en 1917, à l'époque de la première grande guerre impérialiste, cette restriction de Marx ne joue plus. L’Angleterre comme l’Amérique, les plus grands et les derniers représentants de la "liberté" anglo-saxonne dans le monde entier (absence de militarisme et de bureaucratisme) ont glissé entièrement dans le marais européen, fangeux et sanglant, des institutions militaires et bureaucratiques qui se subordonnent tout et écrasent tout de leur poids. Maintenant, en Angleterre comme en Amérique, "la condition première de toute révolution populaire réelle", c'est la démolition, la destruction de la "machine de 1’ Etat toute prête". » ([13] [16])
De ce fait, il ne devait plus y avoir d'exception.
La cible principale de L’Etat et la révolution était l'opportunisme qui, comme on l’a vu, n'a pas hésité à accuser Lénine d’anarchisme lorsque celui-ci s'est mis à insister sur la nécessité de détruire l'appareil d’Etat. Mais, comme Lénine l’a rétorqué, « la critique de l'anarchisme se réduit habituellement, pour les social-démocrates actuels, à cette pure banalité petite-bourgeoise : "Nous admettons 1’Etat, les anarchistes non!"... » ([14] [17])
Tout en démolissant de telles stupidités, Lénine rappelle la véritable critique marxiste de l'anarchisme, en se basant en particulier sur ce qu'Engels disait pour répondre aux absurdités des « antiautoritaires » : une révolution est justement la chose la plus autoritaire qui puisse être. Rejeter toute autorité, toute utilisation du pouvoir politique, c'est renoncer à la révolution. Lénine fait soigneusement la distinction entre la position marxiste qui offre une solution historique réalisable au problème de la subordination, des divisions entre dirigeants et dirigés, entre Etat et société, et celle de l'anarchisme qui ne propose que les rêves apocalyptiques d'une dissolution immédiate de tous ces problèmes ; rêves qui ont, en fin de compte, le résultat le plus conservateur:
« Nous ne sommes pas des utopistes. Nous ne "rêvons "pas de nous passer d'emblée de toute administration, de toute subordination ; ces rêves anarchistes, fondés sur l'incompréhension des tâches qui incombent à la dictature du prolétariat, sont foncièrement étrangers au marxisme et ne servent en réalité qu'à différer la révolution socialiste jusqu'au jour où les hommes auront changé. Nous, nous voulons la révolution socialiste avec les hommes tels qu'ils sont aujourd'hui, et qui ne se passeront pas de subordination, de contrôle, de "surveillants et de comptables".
Mais c'est au prolétariat, avant-garde armée de tous les exploités et de tous les travailleurs, qu'il faut se subordonner. » ([15] [18])
Contrairement aux anarchistes qui voulaient que l'extinction de l’Etat soit le résultat d'un acte de volonté révolutionnaire, le marxisme reconnaît qu'une société sans Etat ne peut émerger que lorsque les racines économiques et sociales des divisions de classe ont été arrachées et que la voie vers l'éclosion d'une société d'abondance matérielle est ouverte. En soulignant la base économique du dépérissement de l’Etat, Lénine revient une fois de plus aux classiques, en particulier à la Critique du programme de Gotha de Marx d'où il tire les points suivants:
Lorsque Lénine écrivait L'Etat et la révolution, le monde était au bord d'une révolution communiste. La défense des positions de Marx sur les transformations économiques n'était pas une abstraction. Elle se présentait comme une nécessité programmatique imminente. La classe ouvrière était poussée à la confrontation révolutionnaire par des besoins immédiats et brûlants : le besoin de pain et celui d'en finir avec le massacre impérialiste, etc. Mais l'avant-garde communiste ne doutait pas que la révolution puisse s'arrêter à la solution de ces questions immédiates. Celle-ci devrait aller jusqu'à sa conclusion historique ultime: l'inauguration d'une nouvelle phase de l’histoire de l'humanité.
Nous avons déjà signalé que L'Etat et la révolution est un travail incomplet. En particulier, Lénine n'a pas pu faire de développements sur le rôle des soviets comme « la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat ». Mais même si son œuvre n'avait pas été « interrompue » par l'insurrection d'octobre, elle ne pouvait exprimer que le plus haut point de clarté atteint avant l'expérience de la révolution. La révolution russe elle-même (et par dessus tout sa défaite) devait apporter beaucoup de leçons sur les problèmes de la période de transition; aussi nous ne pouvons reprocher à Lénine de n'avoir pas résolu ces questions avant que l'expérience réelle du prolétariat ne les pose. Nous reviendrons sur ces questions dans d'autres articles et sous différents angles mais il est utile d'esquisser les trois domaines principaux dans lesquels l'expérience qui a suivi devait révéler les inévitables faiblesses et lacunes de L'Etat et la révolution.
Bien que Lénine ait clairement défendu la notion d'une transformation communiste de l'économie - notion que Marx a développée en opposition aux tendances « socialistes d’Etat » dans le mouvement ouvrier ([18] [21]) son travail souffre encore de certaines ambiguïtés sur le rôle de l’Etat durant la transition économique. Nous avons vu que ces ambiguïtés existaient aussi dans le travail de Marx et Engels. Mais durant la période de la 2e Internationale, on pensait de plus en plus que la première étape sur la voie du communisme était l'étatisation de l'économie nationale, qu'une économie complètement nationalisée ne pouvait plus être une économie capitaliste. Dans plusieurs de ses écrits de l'époque, tout en dénonçant les « trusts capitalistes d’Etat » qui étaient devenus la forme de l'organisation capitaliste dans la guerre impérialiste, Lénine avait tendance à considérer ces trusts comme des instruments neutres, comme une sorte de marchepied vers le socialisme, comme une forme de centralisation économique dont le prolétariat victorieux pourrait simplement s'emparer en bloc. Dans un travail rédigé en septembre 1917, « Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? », Lénine est plus explicite :
« Le capitalisme a créé des appareils de contrôle sous forme de banques, de cartels, service postal, coopératives de consommation, associations d'employés. Sans les grandes banques, le socialisme serait irréalisable.
Les grandes banques constituent 1"'appareil d'Etat" dont nous avons besoin pour réaliser le socialisme et que nous prenons tout prêt au capitalisme.. » ([19] [22])
Dans L'Etat et la révolution, Lénine exprime une idée similaire quand il écrit:
« Tous les citoyens deviennent les employés et les ouvriers d'un seul "cartel" du peuple entier, de Mat. » ([20] [23])
II est évidemment juste que la transformation communiste ne commence pas de zéro - son point de départ inévitable est constitué par les forces productives existantes, les réseaux de transport, de distribution existants, etc. Mais 1’histoire nous a enseigné qu'il fallait être extrêmement prudent vis-à-vis de l’idée de simplement s'emparer des organismes et des institutions économiques créés par le capital pour ses besoins propres, surtout quand ils sont des archétypes d'institutions tels que les grandes banques. Plus important encore, la révolution russe et, en particulier, la contre-révolution stalinienne ont montré que la simple transformation de l'appareil productif en une propriété d’Etat ne supprime pas l'exploitation de l'homme par 1’homme. C'est une erreur qui est nettement présente dans l’Etat et la révolution lorsque Lénine écrit que dans la première phase du communisme, « ... l'exploitation de l'homme par l'homme sera impossible, car on ne pourra s'emparer, à titre de propriété privée, des moyens de production, fabriques, machines, terre, etc. » ([21] [24])
Cette faiblesse est aggravée par l'insistance de Lénine sur le fait qu'il y a une «distinction scientifique» à faire entre le socialisme et le communisme (le premier étant défini comme la phase inférieure du communisme). En fait, Marx et Engels n'ont pas véritablement théorisé une telle distinction, et ce n'est pas par hasard si, dans la Critique du programme de Gotha, Marx parle des phases inférieure et supérieure du communisme, car il voulait transmettre l'idée d'un mouvement dynamique entre le capitalisme et le communisme, non celle d'un « troisième» mode de production fixe défini par « la propriété publique». Pour finir et de façon plus significative, quand Lénine parle de la transition économique dans L’Etat et la révolution, il n'est pas explicite sur le fait que la dynamique vers le communisme ne peut se développer qu'à l'échelle internationale ; cela ouvre la porte à l'idée qu'au moins certaines étapes de la « construction socialiste » pourraient être réalisées dans un seul pays.
La tragédie de la révolution russe constitue un parfait témoignage du fait que même si on étatise l'ensemble de l'économie, même si on a le monopole du commerce extérieur, les lois du capital global continuent de s'imposer sur un bastion prolétarien isolé. En l'absence d'extension de la révolution mondiale, ces lois défieront toute tentative de jeter les fondements d'une quelconque « construction socialiste », transformant même l'ancien bastion du prolétariat en un nouveau et monstrueux « trust capitaliste d’Etat » en compétition sur le marché mondial. Une telle mutation ne peut que s'accompagner d'une contre-révolution politique ne laissant aucune trace de la dictature du prolétariat.
On a noté que Lénine ne disait pas grand chose du rôle du parti dans L'Etat et la révolution. Est-ce une preuve supplémentaire de la conversion temporaire de Lénine à l'anarchisme en 1917 ? Question idiote! La clarification théorique contenue dans l’Etat et la révolution constitue elle-même une préparation du parti bolchevik à son rôle de dirigeant direct dans l'insurrection d'octobre. Par sa rude polémique contre ceux qui injectent l'idéologie bourgeoise dans le prolétariat, c'est avant tout un document politique « de parti » ayant pour but d'éloigner les ouvriers de ces influences et de les gagner aux positions du parti révolutionnaire.
Cependant, la question subsiste: à la veille de la vague révolutionnaire mondiale, comment les révolutionnaires (et pas seulement les bolcheviks) envisagent-ils le rapport entre le parti et la dictature du prolétariat ? L'unique référence au parti dans L'Etat et la révolution ne nous donne pas de réponse claire puisqu'elle est formulée de façon ambiguë : « En éduquant le parti ouvrier, le marxisme éduque une avant-garde du prolétariat capable de prendre le pouvoir et de mener le peuple tout entier au socialisme, de diriger et d'organiser un régime nouveau, d'être l'éducateur, le guide et le chef de tous les travailleurs et exploités pour l'organisation de leur vie sociale, sans la bourgeoisie et contre la bourgeoisie. » ([22] [25])
C'est ambigu parce qu'on ne sait pas si c'est le parti comme tel qui assume le pouvoir ou si c'est le prolétariat que Lénine définit souvent comme l'avant-garde de toute la population opprimée. La brochure « Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? » est un meilleur guide pour appréhender le niveau de compréhension de la question. Dès le titre, on voit la confusion principale : les révolutionnaires de l'époque, malgré leur engagement envers le système de délégation des soviets qui avait rendu obsolète le vieux système de représentation parlementaire, étaient encore tirés en arrière par l'idéologie parlementaire au point qu'ils considéraient que c'était le parti ayant la majorité dans les soviets centraux, qui devait former le gouvernement et administrer l’Etat. Dans des articles ultérieurs, nous examinerons plus en détail comment cette conception a mené à un enchevêtrement fatal du parti avec l’Etat et créé une situation insupportable qui a vidé les soviets de leur vie prolétarienne, dressé le parti contre la classe et, surtout, transformé le parti, de fraction la plus radicale de la classe révolutionnaire en un instrument de conservation sociale.
Mais cette évolution n'a pas eu lieu de façon autonome. Elle a, avant tout, été déterminée par l'isolement de la révolution et le développement matériel d'une contre-révolution interne. En 1917, l'insistance dans tous les écrits de Lénine, que ce soit dans la brochure qu'on vient de mentionner ou dans L'Etat et la révolution, ne porte pas sur l'exercice de la dictature par le parti mais par l'ensemble du prolétariat (et de façon croissante par l'ensemble de la population) qui prend en charge ses affaires économiques et politiques, à travers sa propre expérience pratique, ses propres débats, ses propres organisations de masse. Aussi, lorsque Lénine répond par l’affirmative à la question: les bolcheviks garderont le pouvoir d’Etat ? c'est seulement parce qu'il s'appuie sur l'idée que quelques centaines de milliers de bolcheviks feront partie d'un effort bien plus grand, l'effort de millions d'ouvriers et de paysans pauvres qui, dès le premier jour, apprendront à diriger l’Etat en leur nom. Donc, le vrai pouvoir n'est pas aux mains du parti mais des masses. Si les premiers espoirs de la révolution avaient été réalisés, si la Russie n'avait pas sombré dans la guerre civile, la famine et le blocus international, les contradictions évidentes de cette position auraient pu être résolues dans la bonne direction, démontrant que dans un système authentique de délégués élus et révocables, cela n'a aucun sens de parler d'un parti qui détient le pouvoir.
Dans la Critique du programme de Gotha, Marx décrit l’Etat de transition comme «rien d'autre que la dictature du prolétariat ». Lénine reprend cette identification entre le pouvoir de la classe ouvrière et l’Etat de transition dans L’Etat et la révolution lorsqu'il parle d'un « Etat prolétarien » ou d'un « Etat des ouvriers en armes » et qu'il souligne théoriquement ces formulations en définissant l’Etat comme étant essentiellement composé de « corps d'hommes armés ». Bref, dans la période de transition, l’Etat ne représente pas plus que les ouvriers en armes, évinçant la bourgeoisie.
Comme on le verra dans de prochains articles, cette formulation s'est rapidement avérée inadéquate. Lénine lui-même a dit que le prolétariat avait besoin de l’Etat, non seulement pour supprimer la résistance des exploiteurs, mais aussi pour mener le reste de la population non exploiteuse dans la direction socialiste. Et cette dernière fonction, la nécessité d'intégrer la population largement paysanne dans le processus révolutionnaire, donna naissance à un Etat qui n'était pas seulement constitué des délégués ouvriers des soviets, mais aussi des soviets de soldats et de paysans. Avec l'ouverture de la guerre civile, les milices ouvrières armées, les Gardes rouges, n'étaient pas une force adéquate pour combattre la puissance de la contre-révolution. La principale force armée de l’Etat soviétique était désormais l’Armée rouge, elle aussi formée dans sa majorité de paysans. En même temps, la nécessité de combattre la subversion et le sabotage internes donna naissance à la Tchéka, force de police spéciale qui a de plus en plus échappé au contrôle des soviets. Dans les semaines de l'insurrection d'octobre, l’Etat-Commune était devenu quelque chose de plus que « les ouvriers en armes ». Par dessus tout, avec l'isolement croissant de la révolution, le nouvel Etat était de plus en plus infesté par la gangrène de la bureaucratie, répondant de moins en moins aux organes élus par le prolétariat et les paysans pauvres. Loin de commencer à dépérir, le nouvel Etat était en train d'envahir toute la société. Loin de se plier à la volonté de la classe révolutionnaire, il est devenu le point central d'une sorte de dégénérescence et de contre-révolution internes qu'on n'avait jamais vues auparavant.
Dans son bilan de la contre-révolution, la Gauche communiste italienne devait porter une attention particulière au problème de l’Etat de transition ; l’une des conclusions principales à laquelle sont parvenus Bilan et Internationalisme à la suite de la révolution russe, c'est qu'il n'était plus possible d'identifier la dictature du prolétariat avec l’Etat de transition. Nous reviendrons sur cette question dans d'autres articles. Pour le moment cependant, il est important de souligner que même si les formulations du mouvement marxiste avant la révolution russe souffraient de sérieuses faiblesses sur cette question, en même temps, cette idée de non identification entre le prolétariat et l’Etat de transition n'est pas tombée du ciel. Lénine était tout à fait conscient de la définition d'Engels sur l’Etat de transition comme n'étant rien d'autre qu'un « mal nécessaire ». Et dans son livre, il y a une forte insistance sur la nécessité que les ouvriers soumettent tous les fonctionnaires d’Etat à une supervision et à un contrôle constant, en particulier les éléments de l’Etat qui incarnent avec le plus d'évidence une certaine continuité avec l'ancien régime, tels les «experts » techniques et militaires que les soviets seront forcés d'utiliser.
Lénine développe aussi un fondement théorique pour cette attitude de méfiance saine du prolétariat envers le nouvel Etat. Dans la partie sur la transformation économique, il explique que, comme son rôle sera de sauvegarder la situation de « droit bourgeois », on peut définir 1’Etat de transition comme « l’Etat bourgeois, sans la bourgeoisie ! » Même si cette formulation représente plus une provocation et un appel à la réflexion qu'une claire définition de la nature de classe de l’Etat de transition, Lénine a saisi l'essentiel : puisque la tâche de 1’Etat est de sauvegarder un état de choses qui n'est pas encore communiste, 1’Etat-Commune révèle sa nature fondamentalement conservatrice et c'est ce qui le rend particulièrement vulnérable à la dynamique de la contre-révolution. Ces perceptions théoriques sur la nature de l’Etat devaient permettre à Lénine de développer certains points de vue importants sur la nature du processus de dégénérescence, même lorsque lui-même était partiellement pris dedans. Par exemple, sa position sur les syndicats dans le débat de 1921 quand il reconnaît la nécessité pour les ouvriers de maintenir des organes de défense même contre l’Etat de transition, ou ses avertissements sur la croissance de la bureaucratie d’Etat vers la fin de sa vie. Le parti bolchevik a pu succomber à une mort insidieuse, mais les fractions communistes de gauche se devaient de reprendre le flambeau de la clarification. Cependant, il ne fait aucun doute que les développements théoriques les plus importants qu'ont effectués ces dernières, ont pu être réalisés en prenant comme point de départ l'immense contribution de Lénine dans L'Etat et la révolution.
[1] [26] Engels, 15 décembre 1887, traduit de l'anglais par nous.
[2] [27] « Réponse aux questions d'un correspondant américain », 20 juillet 1919.
[3] [28] L’Etat et la Révolution, in Oeuvres choisies de Lénine, Editions du Progrès, Moscou 1968, Tome II, chapitre 1, page 291.
[4] [29] Ibid., page 298.
[5] [30] Ibid., chapitre 2, page 307.
[6] [31] 6. Ibid., page 308.
[7] [32] Ibid., chapitre 3, page 315.
[8] [33] Ibid., page 331.
[9] [34] Post-scriptum à la première édition de L Etat et la révolution, traduit de l'anglais par nous.
[10] [35] Voir en particulier les K Thèses et rapport sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat v, écrites par Lénine et adoptées par l'Internationale communiste à son congrès de fondation en 1919. Parmi d'autres points qui seront examinés dans un prochain article, ce texte affirme que « le pouvoir des soviets, c'est-à-dire la dictature du prolétariat, est organisé de façon à rapprocher les masses laborieuses de l'appareil administratif. Tel est également le but de la réunion de l'exécutif et du législatif dans l'organisation soviétique de I’ Etat, et du remplacement des circonscriptions territoriales par des unités électorales fondées sur l'entreprise: usine, fabrique... » (thèse 16).
[11] [36] Ibid. note 3, chapitre 2, page 311.
[12] [37] Ibid., page 312.
[13] [38] Ibid., chapitre 3, page 316.
[14] [39] Ibid., chapitre 4, page 336.
[15] [40] Ibid., chapitre 3, page 325.
[16] [41] Ibid., chapitre S, page 358.
[17] [42] Ibid., page 367.
[18] [43] Lire « Le communisme contre le socialisme d'Etat » dans la Revue Internationale n°79.
[19] [44] Oeuvres choisies, idem note 3, page 418.
[20] [45] Idem note 3, chapitre 5, page 366.
[21] [46] Ibid., page 359.
[22] [47] Ibid., chapitre 2, page 307.
S'il est un combat, dans le mouvement ouvrier, que les révolutionnaires marxistes dignes de ce nom ont toujours mené jusqu'au bout, même dans les pires conditions, c'est bien celui pour sauver leur organisation, Parti ou Internationale, des griffes de l'opportunisme et pour l'empêcher de sombrer dans la dégénérescence ou, encore pire, de trahir.
C'est cette attitude que Marx et Engels ont eue dans la première Internationale. Elle a été aussi celle des « gauches » de la deuxième Internationale. Rappelons nous combien Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et les Spartakistes ([1] [51]) ont mis de temps pour prendre la décision de rompre avec le vieux parti, que ce soit avec la Social-Démocratie allemande ou avec les Indépendants. Le but qu'ils recherchaient était, dans le meilleur des cas, de renverser la direction opportuniste en gagnant à eux la majorité du parti oui dans le pire, c'est-à-dire quand l'espoir d'un redressement n'existait plus, de ne quitter l'organisation qu'en ayant entraîné avec eux le maximum d'éléments sains. Ils se sont battus tant qu'ils estimaient qu'existait encore au sein du parti la plus petite étincelle de vie et qu'ils pouvaient gagner à eux les meilleurs éléments. Cette attitude a toujours été celle des marxistes, la seule méthode utilisée à toutes les époques par les révolutionnaires. De plus, l'expérience historique montre que, le plus souvent, les « gauches » ont lutté, résisté à un tel point que c'est le vieux parti qui les a exclues et non elles qui ont rompu ([2] [52]). Trotsky par exemple a consacré plus de 6ans de sa vie à combattre au sein du parti bolchevik avant d'en être exclu.
Le combat des « gauches » de la troisième Internationale est, quant à lui, particulièrement éloquent dans la mesure où il a été mené pendant la pire période qu'ait connue le mouvement ouvrier : celle de la plus longue et terrible contre-révolution de l'histoire qui a commencé à la fin des années 1920. Et c'est pourtant dans cette situation contre-révolutionnaire, de recul dramatique du mouvement ouvrier, que les militants de la « gauche » de ÏÏC vont mener un combat mémorable et titanesque. Parmi eux, certains pensaient même que celui-ci était pratiquement perdu d'avance mais cela ne les empêchait pas de continuer car ce n'est ni le courage ni la volonté qui leur faisaient défaut ([3] [53]). Ainsi, malgré tout, s'il restait encore une toute petite chance de redresser le parti et 1’IC, ils estimaient qu'il était de leur devoir de chercher à sauver ce qu'il était encore possible de sauver des griffes du stalinisme triomphant. Ce combat est aujourd'hui, très souvent, au mieux minimisé et, au pire, totalement oublié par tous ces éléments qui, dès leurs premières divergences, quittent l'organisation à cause de leur « honneur blessé ». Cette attitude est une offense à la classe ouvrière et exprime clairement le mépris des petits bourgeois pour le dur combat de générations d'ouvriers et de révolutionnaires qui y ont trop souvent laissé leur vie, combat que ces petits messieurs jugent peut être peu brillant ou indigne d'eux.
La Gauche italienne n'a pas seulement mis en pratique cette méthode, elle l'a enrichie politiquement et théoriquement. En s'appuyant sur son héritage, le CCI, à de très nombreuses reprises, a développé cette question et notamment il a amplement montré quand et comment un parti trahit ([4] [54]). Ce sont les positions prises face aux deux événements majeurs que sont la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne qui permettent de conclure, de façon irrévocable, si une organisation politique a trahi sa classe ou pas. Tant que cette trahison n'est pas avérée, tant que le parti n'est pas passé avec armes et bagages dans le camp ennemi, le rôle des véritables révolutionnaires est de se battre bec et ongles pour le conserver dans le camp du prolétariat. C'est ce qu'ont fait les « gauches » de 1’IC, et cela dans les conditions les plus dramatiques, celles d'un triomphe absolu de la contre-révolution.
Cette politique est toujours valable aujourd'hui. Et elle est d'autant plus aisée à assumer que nous sommes dans un cours à des affrontements de classes, dans une situation autrement plus favorable pour le combat du prolétariat et pour celui des révolutionnaires. Dans le contexte historique actuel, où la révolution n'est pas encore à l'ordre du jour non plus que la guerre mondiale, les conditions sont beaucoup moins propices à la trahison d'une organisation prolétarienne ([5] [55]). C'est donc la même méthode que tout révolutionnaire conscient et conséquent se doit, a fortiori, d'appliquer s'il pense que son organisation est en train de dégénérer, ce qui signifie qu'il doit se battre en son sein pour la redresser. D ne s'agit sûrement pas d'adopter une attitude petite bourgeoise qui consiste à se sauver tout seul comme ont tendance à le faire certains « révolutionnaires en chambre », à tendance individualiste et contestataire ou qui baignent dans un esprit estudiantin de soixante-huitards attardés et qui sont aujourd'hui rapidement attirés par les sirènes du parasitisme. C'est pourquoi tous ceux qui quittent précipitamment leur organisation en l'accusant de tous les maux, sans avoir mené le combat en son sein jusqu'au bout, comme l'a fait RV par exemple ([6] [56]), sont des irresponsables et méritent d'être combattus comme de pauvres petits bourgeois sans principes.
Le long combat des « gauches » de l’IC
La crise du mouvement communiste se manifeste au grand jour au cours de l'année 1923. Quelques faits l'attestent. Après le 3e congrès de 11C, qui révèle le poids grandissant de l'opportunisme, la répression s'abat en Russie sur Kronstadt et des grèves se développent notamment à Petrograd et à Moscou. Parallèlement se crée l'Opposition ouvrière au sein du Parti Communiste russe.
Trotsky exprime le sentiment général quand il affirme : « La cause fondamentale de la crise de la révolution d'octobre réside dans le retard de la révolution mondiale. » ([7] [57]) Dès cette époque, en effet, le retard de la révolution mondiale pèse sur le mouvement ouvrier dans son ensemble. De surcroît, celui-ci est désorienté par les mesures de capitalisme d'Etat prises en URSS avec la NEP. Les derniers échecs subis par le prolétariat en Allemagne retardent d'autant l'espérance d'une extension de la révolution en Europe.
Le doute commence à travailler les révolutionnaires ; Lénine est du nombre ([8] [58]). En 1923, la révolution russe est étranglée économiquement par le capitalisme qui domine la planète. Sur ce plan, la situation de l'URSS est catastrophique et le problème posé au sein des instances dirigeantes, à ce moment-là, est le suivant : la NEP doit-elle être intégralement maintenue ou être corrigée par une aide à l'industrie ?
Le début du combat de Trotsky
Trotsky commence son combat ([9] [59]) au sein du bureau politique (BP) du PCUS où la majorité veut maintenir le statu quo. Il est en désaccord sur la question de la situation économique en Russie et sur la question organisationnelle dans le PCUS. Pour ne pas rompre l'unité du parti, ce désaccord reste interne au sein du BP. Il ne sera rendu public qu'à l'automne 1923, notamment dans son livre Cours nouveau ([10] [60]).
D'autres manifestations d'opposition vont également s'exprimer à travers :
- Une lettre du 15 octobre 1923 adressée au Comité central du PCUS et signée par 46 personnalités connues, dont des communistes de gauche et de l'opposition (Piatakov, Préobrajenski mais aussi Ossinski, Sapronov, Smirnov, etc.). Ils réclament la convocation d'une conférence spéciale pour prendre des mesures commandées par les circonstances en attendant le congrès ;
- la création du groupe « Centralisme démocratique » avec Sapronov, Smirnov, etc. ;
- la réactivation de « l'Opposition ouvrière » avec Chliapnikov ;
- la création du « Groupe ouvrier » de Miasnikov, de Kuznezov, etc. ([11] [61])
Parallèlement à ces événements, en février 1923, Bordiga, depuis la prison, porte ses premières graves critiques à l’IC, notamment sur la question du « front unique », dans son « Manifeste à tous les camarades du PCI » et, sur la base de ce désaccord de fond, il demande de pouvoir se démettre de ses fonctions de dirigeant du parti communiste italien (PCI) pour ne pas avoir à défendre des positions qu'il ne partage pas ([12] [62]).
Pour développer un combat politique plus efficace, Bordiga adopte, comme Trotsky, une attitude de prudence. Et il donne, deux ans plus tard, la clé de sa méthode dans la lettre à Korsch du 26 octobre 1926 : « Zinoviev et surtout Trotsky sont des hommes qui ont un grand sens de la réalité ; ils ont compris qu'il faut encore encaisser des coups sans passer à l'offensive ouverte ». Voilà comment les révolutionnaires agissent : avec patience. Ils sont capables de mener un long combat pour arriver à leurs fins, ils savent encaisser des coups, avancer prudemment et surtout travailler, tirer des leçons pour les combats futurs de la classe ouvrière.
Cette attitude est à mille lieues de celle des « révolutionnaires du dimanche » excités et avides d'on ne sait quel succès immédiat ou encore de celle de notre « révolutionnaire en chambre », RV, seulement intéressé à sauver son « moi ». Il fuit ses responsabilités en ne cessant de se lamenter de ce que le CCI lui aurait fait subir au cours du dernier débat interne auquel il a participé et qui aurait été, selon ses dires, pire que ce que Staline a fait subir à l'opposition de gauche (sic!). Au delà de son caractère calomnieux, cette comparaison serait risible si ce n'était une question très sérieuse. Et personne ne connaissant un tant soi peu l'histoire de l'Opposition et de sa fin tragique, ne croira une telle fable.
La crise de 1925-26
La poursuite du combat de Trotsky et celui de la gauche italienne.
La période qui suit le 5e Congrès de 1’IC est caractérisée par :
- la poursuite de la « bolchévisation » des PC et de ce que l'on a appelé le « cours droitier » de 1’IC. Le but de Staline et de ses sbires était d'éliminer en particulier les directions des partis français et allemand, c'est-à-dire celle de Treint et celle de Ruth Fischer, qui avaient été le fer de lance de Zinoviev au 5e Congrès de l’IC et qui n'étaient pas disposées à faire un tournant adroite.
- la « stabilisation » du capitalisme, ce qui pour la direction de 11C voulait dire qu'il fallait prévoir « une adaptation». Il est dit dans le rapport d'activité politique du Comité central du 14e congrès du PCUS (décembre 1925): «Ce que nous avions pris à un certain moment pour une courte pause s'est transformée en toute une période».
En marge des débats du congrès, l'événement le plus important pour le mouvement ouvrier a été la désintégration, fin 1925, de la troïka Zinoviev, Kamenev, Staline, qui assurait la direction du PCUS et de L'Internationale depuis que Lénine avait été contraint de renoncer à son activité politique. Pourquoi cette désintégration? Son existence était liée au combat contre Trotsky. Quand celui-ci et la première opposition ont été muselés, Staline n'avait plus besoin des « vieux bolcheviks » autour de Zinoviev et de Kamenev pour prendre la direction de l'Etat, du parti russe et de 1’IC. La situation de « stabilisation » lui fournit l'occasion d'un changement de politique.
Zinoviev, tout en se heurtant à Staline sur la politique intérieure soviétique, s'exprime dans le même sens sur la politique mondiale : « La première difficulté réside dans l'ajournement de la révolution mondiale. Au début de la révolution d'octobre, nous étions persuadés que les ouvriers des autres pays viendraient à notre secours dans quelques mois ou, dans le pire des cas, dans quelques années. Aujourd'hui, malheureusement, l'ajournement de la révolution mondiale est un fait établi, il est certain que la stabilisation partielle du capitalisme représente toute une époque et qu'à cette stabilisation correspond tout un complexe nouveau et beaucoup plus grand de difficultés. »
Mais tandis que les directions du parti et de 1’IC reconnaissent cette « stabilisation », elles affirment en même temps que le 5e congrès avait vu juste et que sa politique était correcte. Cependant, elles opèrent un tournant politique sans le dire ouvertement.
Si, à ce moment-là, Trotsky reste silencieux, la « gauche italienne » adopte une attitude plus politique en poursuivant ouvertement le combat. Bordiga soulève la question russe en février 1925 ainsi que la «question Trotsky » dans un article de l'Unité.
La gauche du PCI pour s'opposer à la « bolchévisation » crée le « Comité d'Entente » (mars-avril 1925). Mais, pour ne pas être exclu du parti par la direction de Gramsci, Bordiga ne rejoint pas immédiatement ce comité. C'est seulement en juin qu'il se rallie aux vues de Damen, Fortichiari et Repossi. Ce comité n'est, toutefois, pas encore une véritable fraction, ce n'est qu'un moyen d'organisation. Finalement la « gauche » sera contrainte de dissoudre le Comité d'Entente pour ne pas être exclue du parti alors qu'elle est encore majoritaire en son sein.
En Russie, au printemps 1926, c'est la création de l'Opposition Unifiée autour de la première opposition de Trotsky qui a été rejoint par Zinoviev, Kamenev, Kroupskaïa, pour la préparation du 15e Congrès du PCUS.
La répression stalinienne se renforce et frappe cette fois-ci les nouveaux oppositionnels :
- Sérébriakov, Préobrajenski (13) sont exclus du parti ;
- d'autres sont mis en prison (Miasnikov du Groupe ouvrier) ou en passe de l'être comme Fichelev, le directeur de l'imprimerie nationale ;
-des protagonistes de premier plan de la guerre civile sont chassés de l'armée : Grunstein (directeur de l'école de l'air), l'ukrainien Okhotnikov ;
- un peu partout, dans l'Oural, à Leningrad, à Moscou..., la GPU a décapité les organisations locales de l'Opposition en faisant exclure ses responsables du parti.
Mais, en octobre 1927, Trotsky et Zinoviev sont exclus du Comité central du PCUS.
Après 1927, le combat continue
La capitulation des zinoviévistes n'empêche pas la gauche russe de continuer le combat. Rien n'arrête ces militants qui sont de véritables combattants de la classe ouvrière, ni les brimades, ni les menaces, ni l'exclusion.
«L'exclusion du parti nous enlève nos droits de membres du parti, elle ne peut nous relever des obligations contractées par chacun d'entre nous à son entrée dans le parti communiste. Exclus du parti nous resterons quand même fidèles à son programme, à ses traditions, à son drapeau. Nous continuerons à travailler au renforcement du parti communiste et de son influence sur la classe ouvrière. » ([13] [63])
C'est une extraordinaire leçon de politique révolutionnaire que nous donne ainsi Rakovsky. Oui, c'est la méthode des marxistes, c'est notre méthode. Les révolutionnaires ne quittent jamais leurs organisations à moins d'en être exclus et même exclus ils continuent le combat pour leur redressement.
Au cours des années qui vont suivre, les oppositionnels vont tout faire pour revenir dans le parti. Ils sont d'ailleurs convaincus que leur exclusion n'est que temporaire.
Mais, très rapidement, en janvier 1928, commencent les déportations. Elles sont d'une extrême rigueur car aucun travail, aucun moyen de subsistance n'est garanti au déporté sur les lieux de résidence obligatoire. Les brimades pleuvent sur la famille qui perd son appartement à Moscou. Ainsi, Trotsky part pour Alma-Ata et 48 heures après, Rakovsky pour Astrakan. Le combat ne s'arrête toujours pas et l'Opposition en exil s'organise.
Bien que de nouveaux coups pleuvent, les oppositionnels et leur représentant le plus éminent, Rakovsky, poursuivent inlassablement le combat malgré les capitulations successives et l'expulsion de Trotsky d'URSS.
Durant cette période, des rumeurs circulent, distillées sournoisement par la GPU, selon lesquelles Staline va enfin appliquer la politique de l'Opposition. Immédiatement, c'est le déclenchement d'un début d'explosion de l'Opposition dans laquelle Radek semble avoir joué un rôle de provocateur ([14] [64]). Cet épisode connaît la démobilisation des plus faibles ; il permet au pouvoir stalinien de repérer les éléments chancelants et d'évaluer le moment le plus favorable pour les frapper ou les amener à capituler.
Face à ces nouvelles difficultés, Rakovsky rédige une déclaration (août 1929) : « Nous faisons appel au comité central (...) en (lui) demandant de nous faciliter notre rentrée dans le parti, en relaxant les bolcheviks-léninistes (...) en rappelant d'exil L.D. Trotsky (...) Nous sommes entièrement disposés à renoncer aux méthodes fractionnelles de lutte et à nous soumettre aux statuts et à la discipline du parti qui garantissent à chacun de ses membres le droit de défendre ses opinions communistes. »
Cette déclaration n'a aucune chance d'être acceptée par le pouvoir d'abord à cause de la demande qui y est faite pour le retour d'exil de Trotsky, mais aussi parce qu'elle est rédigée de telle façon qu'elle cherche à faire la preuve de la duplicité de Staline et de sa responsabilité dans cette affaire. Elle atteint son but et enraie le vent de panique dans les rangs des oppositionnels. La vague de capitulation est stoppée.
Malgré les embûches, les brimades atroces, les assassinats, le combat de Rakovsky et du centre de l'opposition va se poursuivre, de façon organisée, en Russie jusqu'en février 1934. La plupart d'entre eux continuent encore à résister dans les camps. ([15] [65])
L'abandon de Rakovsky n'est en aucune manière une capitulation honteuse comme l'a été, par exemple, celle des zinoviévistes. Dans un article de Bilan ([16] [66]) il est d'ailleurs clairement affirmé : « Le camarade Trotsky (...) a publié une note dans laquelle, après avoir déclaré qu'il ne s'agit pas là d'une capitulation idéologique et politique, il écrit : "Nous avons maintes fois répété que la restauration du PC en URSS ne peut se faire que par la voie internationale. Le cas Rakovsky le confirme d'une manière négative, mais éclatante." Nous nous solidarisons avec l'appréciation (...) au sujet de Rakovsky, car son dernier geste n'a rien à voir avec les honteuses capitulations des Radek, Zinoviev, Kamenev... »
Un combat au niveau international
Le combat se déroule aussi au niveau mondial avec la création de l'opposition de gauche internationale après l'expulsion de Trotsky de l'URSS en 1929.
Au 6« Plénum de 1’IC (février-mars 1926), Bordiga participe pour la dernière fois à une réunion de l'Internationale. Dans son discours, il dit : « Il est désirable qu'il se forme une résistance de gauche ; je ne dis pas une fraction, mais une résistance de gauche sur le terrain international contre de pareils dangers de droite ; mais je dois dire tout à fait ouvertement que cette réaction saine, utile et nécessaire ne peut et ne doit pas se présenter sous l'aspect de la manoeuvre et de l'intrigue, sous la forme de bruits que l'on répand dans les coulisses et dans les couloirs. »
Et à partir de 1927, le combat de la « gauche italienne » (GI) se poursuit dans l'émigration en France et en Belgique. Les militants qui n'ont pu quitter l'Italie se retrouvent en prison ou, comme Bordiga, soumis à la résidence forcée dans les îles. La GI lutte au sein des partis communistes et de l’IC malgré le fait que beaucoup de ses membres en sont exclus. Son but essentiel est d'intervenir au sein de ces organisations afin de redresser leur cours dégénérescent qui n'est pas forcément fatal. « Les partis communistes (...) sont des organes où l'on doit travailler pour combattre l'opportunisme. Nous sommes convaincus que les situations imposeront aux dirigeants de nous réintégrer, en tant que fraction organisée (souligné par nous), à moins que les situations ne doivent voir l'éclipsé totale des partis communistes. Dans ce cas aussi, que nous jugeons fort improbable, nous nous trouverons dans la possibilité d'accomplir notre devoir communiste. » ( [17] [67])
C'est à travers cette vision qu'apparaît toute la différence entre Trotsky et la GI. En avril 1928, cette dernière se constitue en fraction en réponse à la résolution du 9e plénum élargi de 11C (du 9 au 25 février 1928) qui décide que l'on ne peut être en même temps membre de 11C et soutenir les positions politiques de Trotsky. Dès cet instant, les membres de la GI, ne pouvant plus être membres de 11C, se trouvent contraints de se constituer en fraction.
Dans la résolution de fondation de la fraction, ils s'assignent les tâches suivantes : « 1) la réintégration de tous les expulsés de l'Internationale qui se réclament du Manifeste communiste et acceptent les thèses du 2e Congrès mondial.
2)la convocation du 6e Congrès mondial sous la présidence de Léon Trotsky.
3)mise à l'ordre du jour au 6e congrès mondial de l'expulsion de l'Internationale de tous les éléments qui se déclarent solidaires avec les résolutions du 15e congrès russe. » ([18] [68])
Ainsi, quand l'Opposition russe demande sa réintégration dans le parti, la GI souhaite surtout se maintenir en tant que fraction au sein de 1’IC et des PC parce qu'elle pense que la régénérescence passe désormais par un travail de fraction. « Par fraction nous entendions l'organisme qui construit les cadres devant assurer la continuité de la lutte révolutionnaire, et qui est appelée à devenir le protagoniste de la victoire prolétarienne. Contre nous,... [l'Opposition] affirmait qu'il ne fallait pas proclamer la nécessité de la formation des cadres : la clé des événements se trouvant entre les mains du centrisme et non entre les mains des fractions. » (souligné par nous) ([19] [69])
Aujourd'hui, cette politique qui consiste à répéter les demandes de réintégration à 1’IC (la GI l'a abandonnée seulement après 1928) peut paraître erronée puisqu'elle n'a pas réussi à enrayer la dégénérescence des partis communistes et de l'Internationale. Mais, sans elle, l'opposition se serait retrouvée à l'extérieur de 1’IC et aurait abouti à une situation d'isolement pire encore. Les oppositionnels se seraient retrouvés éloignés de la masse des militants communistes et n'auraient plus pu peser sur leur involution ([20] [70]). C'est cette méthode, théorisée plus tard par la GI, qui a permis de maintenir le lien avec le mouvement ouvrier et qui lui a permis de transmettre ses acquis à la « gauche » communiste actuelle dont le CCI fait partie.
A contrario, la politique d'isolement du groupe Réveil communiste ([21] [71]) par exemple, a été catastrophique. Ce groupe n'y a pas survécu. Il a été incapable de donner naissance à un courant organisé. Il a surtout confirmé la méthode et la thèse classique du mouvement ouvrier : on ne rompt pas à la légère d'une organisation du prolétariat ; on ne rompt pas sans avoir préalablement épuisé toutes les solutions, après avoir utilisé tous les moyens, d'une part, pour aboutir à une clarification politique des divergences et, d'autre part, pour convaincre le maximum d'éléments sains.
Les leçons tirées par la Gauche italienne
Nous n'avons pas dressé ce vaste panorama historique pour le plaisir de faire oeuvre d'historien mais pour en tirer les enseignements nécessaires pour le mouvement ouvrier et notre classe aujourd'hui. Effectivement ce long développement nous enseigne que « l'histoire du mouvement ouvrier est l'histoire de ses organisations » comme l'affirmait Lénine. Aujourd'hui il est de bon ton de se séparer, sans aucun principe, d'une organisation politique du prolétariat et cela pour un oui ou pour un non. Tout en ayant les mêmes bases programmatiques, on crée une nouvelle organisation, ou bien, sans avoir passé au crible de la critique le programme et la pratique d'une organisation, on décrète qu'elle dégénère. Le simple rappel de l'histoire de la 3e Internationale nous montre quelle doit être la véritable attitude des révolutionnaires, à moins de penser qu'il n'y a guère besoin des organisations révolutionnaires ou d'avoir la prétention de découvrir tout seul tout ce que nous ont légué les organisations du passé. Nous n'avons pas cette prétention. Sans le travail théorique et politique de la gauche italienne, ni le CCI ni les autres groupes de la gauche communiste (le BIPR et les divers PCI) existeraient aujourd'hui.
Il est bien évident que, si nous nous réclamons de l'attitude de l'Opposition et de la Gauche italienne, nous ne pouvons pas nous réclamer entièrement des conceptions de l'Opposition et de Trotsky.
Par contre, nous approuvons celle qui est mise en avant, au début des années 1930, dans Bilan :
« Il est parfaitement exact que le rôle des fractions est surtout un rôle d'éducation de cadres au travers des événements vécus, et grâce à la confrontation rigoureuse de la signification des événements. (...) Sans le travail des fractions, la révolution russe aurait été impossible. Sans les fractions, Lénine lui-même, serait resté un rat de bibliothèque et ne serait pas devenu un chef révolutionnaire.
Les fractions sont donc les seuls endroits historiques où le prolétariat continue son travail pour son organisation de classe. De 1928 jusque maintenant, le camarade Trotsky a totalement négligé ce travail de construction des fractions et, de ce fait, il n'a pas contribué à réaliser les conditions effectives pour le mouvement de masse. » ([22] [72])
De même, nous reprenons à notre compte ce que la GI a mis en évidence concernant la perte des organisations politiques dans une période de recul historique du prolétariat, en l'occurrence dans un cours à la guerre (celui des années 1930) ce qui n'est, bien évidemment, pas le cas aujourd'hui :
«La mort de l'Internationale Communiste dérive de l'extinction de sa fonction : l'IC est morte de la victoire du fascisme en Allemagne ; cet événement a épuisé historiquement sa fonction et a manifesté le premier résultat définitif de la politique centriste.
Le fascisme, victorieux en Allemagne, a signifié que les événements empruntaient le chemin opposé à celui de la révolution mondiale pour prendre la voie qui conduit à la guerre.
Le parti ne cesse d'exister, même après la mort de l'Internationale, LE PARTI NE MEURT PAS, IL TRAHIT. ».
Tous ceux qui, aujourd'hui, se disent d'accord avec les positions et principes de la GI et qui accusent de dégénérescence une organisation, ont le devoir et la responsabilité de tout faire pour empêcher que cette dynamique ne se poursuive et mène à la trahison, comme l'ont fait avant eux les camarades de Bilan.
Mais la GI, en critiquant Trotsky, avait aussi stigmatisé l'existence de tous ces individus sans principes (ou qui ne veulent pas savoir dans quel cours historique ils se situent) qui ne pensent qu'à construire de nouvelles organisations en dehors de celles qui existent déjà ou, comme on le voit aujourd'hui avec le développement du parasitisme, qui ne pensent qu'à détruire celles qu'ils viennent de quitter :
« D'une façon analogue, pour ce qui concerne la fondation de nouveaux partis [ici la GI parlait de Trotsky qui en 1933 proposait la construction de nouveaux partis], les sportsmen du "grand faire", au lieu de construire l'organisme pour l'action politique (..) ont fait beaucoup de tapage sur la nécessité de ne pas perdre un seul instant pour se précipiter au travail. (...).
Il est bien évident que la démagogie et le succès éphémère sont du côté du sport et non de côté du travail révolutionnaire. ».
A tous ces petits messieurs, ces nouveaux « sportsmen », ces fondateurs irresponsables de nouvelles chapelles, ces redresseurs de torts et de partis qui se jettent dans la dénonciation tonitruante des organisations prolétariennes existantes, nous tenons à rappeler notamment le travail patient et révolutionnaire de l'Opposition et surtout celui de la Gauche italienne dans les années 1920 et 1930 pour sauver leurs organisations et enfin préparer les cadres du futur parti, au lieu de quitter leur organisation pour se « sauver » eux-mêmes.
OR.
[1] [73] Voir les numéros de la Revue Internationale sur la révolution allemande
[2] [74] Les révolutionnaires qui vont fonder le KAPD sont exclus du Parti communiste allemand (KPD), ils ne rompent pas avec lui
[3] [75] Pierre Naville qui l’a rencontré à Moscou en 1927, a souligné que Rakovsky ne nourrissait aucune illusion à l'époque. Il ne prévoyait que des années de souffrance et de répression ce qui évidemment ne l'a pas arrêté dans sa détermination de véritable combattant de la classe ouvrière, cf. : p. 274, Rakovsky, ou la révolution dans tous les pays, Pierre Broué, Fayard et Trotsky vivant de Pierre Naville.
[4] [76] Cf. nos textes sur la gauche italienne et la brochure sur La Gauche Communiste d'Italie
[5] [77] Une telle trahison n'est jamais exclue, par exemple si une organisation prolétarienne, du fait de son manque de clarté sur la question des luttes de « libération nationale », se laisse entraîner sur le terrain du gauchisme, c'est-à-dire de la bourgeoisie, en soutenant un camp impérialiste contre un autre dans les conflits pouvant exister entre grandes puissances au nom des « luttes de libération nationale ». C'est ce qui est arrivé à certaines sections du Parti communiste international (bordiguiste) au début des années 1980.
[6] [78] Voir notre brochure La prétendue paranoïa du CCI.
[7] [79] L. Trotsky, L'Internationale Communiste après Lénine, PUF Paris 1979, p. 25.
[8] [80] Philippe Robrieux, Histoire intérieure du parti communiste français, tome 1, pp. 122 et suivantes.
[9] [81] Au début, ce combat devait être mené ensemble avec Lénine sur la question du régime intérieur du Parti et de la bureaucratie. Mais Lénine eut sa deuxième attaque et ne reviendra plus au travail ; cf. : A. Rosmer dans l'introduction à De la révolution, recueil d'articles et de textes de Trotsky, Editions de Minuit, pp. 21 et 22.
[10] [82] Livre publié en décembre 1923.
[11] [83] Cf. Manifeste du groupe ouvrier du PCUS, février 1923 in Invariance n°6, 1975.
[12] [84] La « gauche » du PCI représente encore la majorité du parti.
[13] [85] Anciens secrétaires du parti avant Staline.
[14] [86] Rakovsky, ou la révolution dans tous les pays, Pierre Broué, Fayard.
[15] [87] Ante Ciliga : 10 ans au pays du mensonge déconcertant, Champ libre, Paris, 1977, cf. : pp. 233 et suivantes.
[16] [88] Bilan n°5,mars 1934.
[17] [89] Réponse du 8/7/1928 de la GI à l'Opposition communiste de Paz, cf. : Contre le Courant n°13.
[18] [90] Il s'agit notamment la résolution d'exclusion de tous ceux qui se solidarisaient avec Trotsky. Citation de Prometeo n°l, mai 1928.
[19] [91] Bilan n° 1, novembre 1933, cf. : p. 26.
[20] [92] Par exemple, H. Chazé est resté au sein du PCF jusqu'en 1931-32 où il était secrétaire du Rayon de Puteaux. Cf. : son livre Chronique de la révolution espagnole, Spartacus.
[21] [93] Voir notre brochure sur La Gauche communiste d'Italie.
[22] [94] Bilan n° 1, « Vers l'Internationale deux et trois quarts..? », 1933. Les trotskistes finiront par sombrer, après s'être lancés pendant les années 1930 à corps perdu dans toutes les aventures, dans tous les regroupements sans principe comme avec le PSOP (la Social-Démocratie de gauche), après avoir fait de l'entrisme dans la SFIO.
Dans le précédent numéro de la Revue Internationale, nous avons publié la première partie d'un article en réponse à la polémique « Les racines politiques du malaise organisationnel du CCI » parue dans le n° 15 de Internationalist Communiste la revue en langue anglaise du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) constitué par la Communist Workers' Organisation (CWO) et le Partito Comunista Internazionalista (PCInt). Dans cette première partie, après avoir rectifié un certain nombre d'affirmations du BIPR qui témoignent d'une méconnaissance de nos propres positions, nous sommes revenus sur l'histoire de la Fraction italienne de la Gauche Communiste Internationale qui est le courant politique dont se réclament tant le BIPR que le CCI. En particulier, nous avons mis en évidence que l'ancêtre du CCI, la Gauche Communiste de France (GCF), était bien plus qu'un «groupe minuscule », comme la qualifie le BIPR ; c'était en réalité la véritable héritière politique de la Fraction italienne ayant basé sa constitution sur les acquis de cette dernière. Ce sont justement ces acquis que le PCInt a laissés de côté ou carrément rejetés lors de sa constitution en 1943 et plus encore lors de son premier congrès à la fin de 1945. C'est ce que nous allons mettre en évidence dans cette deuxième partie de l'article.
Pour les communistes l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier et de ses organisations ne correspond nullement à une curiosité de type académique. C'est au contraire un moyen indispensable pour leur permettre de fonder solidement leur programme, de s'orienter dans la situation présente et d'établir de façon claire des perspectives d'avenir. En particulier, l'examen des expériences passées de la classe ouvrière doit permettre de vérifier la validité des positions qui ont été défendues alors par les organisations politiques et d'en tirer les leçons. Les révolutionnaires d'une époque ne s'instaurent pas comme juges de leurs aînés. Mais ils doivent être en mesure de mettre en évidence les positions justes comme les erreurs des organisations du passé, de même qu'ils doivent savoir reconnaître le moment où une position correcte dans un certain contexte historique devient caduque lorsque les conditions historiques changent. Faute de quoi, ils éprouvent les plus grandes difficultés à assumer leur responsabilité, condamnés qu'ils sont à répéter les erreurs du passé ou bien à maintenir une position anachronique.
Une telle approche est le B A BA pour une organisation révolutionnaire. Si on s'en rapporte à son article, le BIPR partage cette approche et nous considérons comme très positif que cette organisation y ait abordé, parmi d'autres aspects, la question de ses propres origines historiques (ou plutôt les origines du PCInt) comme la question de celles du CCI. Il nous semble que la compréhension des désaccords entre nos deux organisations doit partir de l'examen de leurs histoires respectives. C'est pour cela que notre réponse à la polémique du BIPR se concentre sur cet aspect. Nous avions commencé à le faire dans la première partie de cet article pour ce qui concerne la Fraction italienne et la GCF. Il s'agit maintenant de revenir sur l'histoire du PCInt.
En fait, un des points importants qu'il s'agit ici d'établir est le suivant : peut-on considérer, comme le dit le BIPR, que « le PCInt était la création de la classe ouvrière ayant eu le plus de réussite depuis la révolution russe » ([1] [97]). Si tel est le cas, alors il faut considérer l'action du PCInt comme exemplaire et source d'inspiration pour les organisations communistes d'aujourd'hui et de demain. La question qui se pose est la suivante : à quoi peut-on mesurer le succès d'une organisation révolutionnaire ? La réponse s'impose d'elle-même : si elle s'acquitte correctement des tâches qui sont les siennes dans la période historique où elle agit. En ce sens, les critères de « réussite » qui seront sélectionnés sont en eux-mêmes significatifs de la façon dont on conçoit le rôle et la responsabilité de l'organisation d'avant-garde du prolétariat.
Les critères de « réussite » d'une organisation révolutionnaire
Une organisation révolutionnaire est l'expression, de même que facteur actif, du processus de prise de conscience qui doit conduire le prolétariat à assumer sa tâche historique de renversement du capitalisme et d'instauration du communisme. Une telle organisation est un instrument indispensable du prolétariat au moment du saut historique que représente sa révolution communiste. Lorsqu'une organisation révolutionnaire est confrontée à cette situation particulière, comme ce fut le cas des partis communistes à partir de 1917 et au début des années 1920, le critère décisif sur lequel doit être appréciée son action est sa capacité de rassembler autour d'elle, et du programme communiste qu'elle défend, les grandes masses ouvrières qui constituent le sujet de la révolution. En ce sens, on peut considérer que le parti bolchevik a pleinement accompli sa tâche en 1917 (non seulement, d'ailleurs vis-à-vis de la révolution en Russie, mais vis-à-vis de la révolution mondiale puisque c'est également lui qui a été le principal inspirateur de la constitution et du programme révolutionnaire de l'Internationale Communiste fondée en 1919). De février à octobre 1917, sa capacité à se lier aux masses en pleine effervescence révolutionnaire, à mettre en avant, à chaque moment du processus de maturation de la révolution, les mots d'ordre les plus adaptés tout en faisant preuve de la plus grande intransigeance face aux sirènes de l'opportunisme, a constitué un facteur incontestable de son «succès ».
Ceci dit, le rôle des organisations communistes ne se limite pas aux périodes révolutionnaires. Si c'était le cas, alors il n'aurait I existé de telles organisations que dans la I période qui va de 1917 à 1923 et on se demande quelle serait la signification de l'existence du BIPR et du CCI aujourd'hui. Il est clair qu'en dehors des périodes directement «révolutionnaires, les organisations communistes ont pour rôle de préparer la révolution, c'est-à-dire de contribuer du mieux possible au développement de la condition essentielle de celle-ci : la prise de conscience par l'ensemble du prolétariat de ses buts historiques et des moyens à employer pour y parvenir. Cela signifie, en premier lieu, que la fonction permanente des organisations communistes (qui est donc également la leur dans les périodes révolutionnaires) est de définir de la façon la plus claire et cohérente possible le programme du prolétariat. Cela signifie, en second lieu et en lien direct avec la première fonction, de préparer politiquement et organisationnellement le parti qui devra se trouver à la tête du prolétariat au moment de la révolution. Enfin, cela passe notamment par une intervention permanente dans la classe, en fonction des moyens de l'organisation, afin de gagner aux positions communistes les éléments qui tentent de rompre avec l'emprise idéologique de la bourgeoisie et de ses partis.
Pour en revenir à « la création de la classe ouvrière ayant eu le plus de réussite depuis la révolution russe », c'est-à-dire le PCInt (suivant l'affirmation du BIPR), on doit se poser la question : de quelle « réussite » s'agit-il ?
A-t-il joué un rôle décisif dans l'action du prolétariat au cours d'une période révolutionnaire ou d'activité intense du prolétariat ?
A-t-il apporté des contributions de premier plan à l'élaboration du programme communiste, à l'exemple, entre autres, de la Fraction italienne de la Gauche communiste, organisation dont il se réclame ?
A-t-il jeté des bases organisationnelles significatives et solides sur lesquelles pourra, s'appuyer la fondation du futur parti communiste mondial, avant-garde de la révolution prolétarienne à venir ?
Nous allons commencer par répondre à cette dernière question. Dans une lettre du 9 juin 1980 adressée par le CCI au PCInt, au lendemain de l'échec de la troisième conférence des groupes de la Gauche communiste, nous écrivions :
« Comment expliquez-vous (...) que votre organisation, qui était déjà développée au moment de la reprise de classe en 1968, n'ait pu mettre à profit cette reprise pour s'étendre au niveau international alors que la nôtre, pratiquement inexistante en 1968, ait, depuis cette date, décuplé ses forces et se soit implantée dans dix pays ? »
La question que nous posions alors reste d'actualité aujourd'hui. Depuis cette époque, le PCInt à réussi à élargir son extension internationale en constituant le BIPR en compagnie de la CWO (qui a repris, pour l'essentiel ses positions et analyses politiques) ([2] [98]). Mais il faut bien reconnaître que le bilan du PCInt, après plus d'un demi siècle d'existence, est bien modeste. Le CCI a toujours mis en évidence et déploré l'extrême faiblesse numérique et l'impact très réduit des organisations communistes, dont la nôtre, dans la période présente. Nous ne sommes pas du genre à pratiquer le bluff où à nous décerner des galons pour nous faire reconnaître comme le « véritable état-major du prolétariat ». Nous laissons à d'autres groupes la manie de se prendre pour le « vrai Napoléon » et de le proclamer. Cela dit, en s'appuyant sur le critère de « réussite » qu'on examine ici, celle de la « minuscule GCF », bien qu'elle ait cessé d'exister depuis 1952, est incomparablement plus satisfaisante que celle du PCInt. Avec des sections ou des noyaux dans 13 pays, 11 publications territoriales régulières en 7 langues différentes (dont celles qui sont les plus répandues dans les pays industrialises : anglais, allemand, espagnol et français), une revue théorique trimestrielle en trois langues, le CCI, qui s'est constitué autour des positions et des analyses politiques de la GCF, est aujourd'hui l'organisation de la Gauche communiste non seulement la plus importante et étendue, mais aussi et surtout celle qui a connu la dynamique de développement la plus positive au cours du dernier quart de siècle. Le BIPR peut bien sûr considérer que la «réussite» actuelle des héritiers de la GCF, si on la compare à celle du PCInt, est justement la preuve de la faiblesse de la classe ouvrière. Lorsque celle-ci aura développé beaucoup plus ses combats et sa conscience, elle reconnaîtra la validité des positions et des mots d'ordre du BIPR et se regroupera beaucoup plus massivement qu'aujourd'hui autour de lui. On se console comme on peut.
Ainsi, lorsque le BIPR évoque au superlatif absolu la « réussite » du PCInt, il ne peut s'agir (à moins de se réfugier dans des spéculations sur ce que sera le BIPR dans l'avenir) de sa capacité à jeter les bases organisationnelles futures du parti mondial. Nous en sommes conduits à examiner un autre critère : le PCInt de 1945-46 (c'est-à-dire lorsqu'il adopte sa première plateforme) a-t-il apporté des contributions de premier plan à l'élaboration du programme communiste?
Nous n'allons pas passer en revue ici l'ensemble des positions contenues dans cette plate-forme qui contient effectivement d'excellentes choses. Nous n'allons évoquer que quelques points programmatiques, extrêmement importants déjà à cette époque, sur lesquels on ne trouve pas dans la plateforme une grande clarté. Il s'agit de la nature de l'URSS, de la nature des luttes dites de « libération nationale et coloniale » et de la question syndicale.
La plate-forme actuelle du BIPR est claire sur la nature capitaliste de la société ayant existé en Russie jusqu'en 1990, sur le rôle des syndicats comme instruments de la préservation de l'ordre bourgeois que le prolétariat ne peut en aucune façon « reconquérir » et sur la nature contre-révolutionnaire des luttes nationales. Cependant, cette clarté n'existait pas dans la plate-forme de 1945 où 1’URSS était encore considérée comme un « Etat prolétarien », où la classe ouvrière était appelée à soutenir certaines luttes nationales et coloniales et où les syndicats étaient encore considérés comme des organisations que le prolétariat pouvait « reconquérir », notamment grâce à la création, sous l'égide du PCInt, de minorités candidates à leur direction ([3] [99]). A la même époque, la GCF avait déjà remis en cause la vieille analyse de la Gauche italienne sur la nature prolétarienne des syndicats et compris que la classe ouvrière ne pouvait plus, en aucune façon, reconquérir ces organes. De même, l'analyse sur la nature capitaliste de l'URSS avait déjà été élaborée au cours de la guerre par la Fraction italienne reconstituée autour du noyau de Marseille. Enfin, la nature contre-révolutionnaire des luttes nationales, le fait qu'elles constituaient de simples moments des affrontements impérialistes entre grandes puissances, avait déjà été établi par la Fraction au cours des années 1930. C'est pour cela que nous maintenons aujourd'hui ce que la GCF disait déjà du PCInt en 1946 et qui fâche le BIPR quand il se plaint que « la GCF affirmait que le PCInt ne constituait pas une avancée par rapport à la vieille Fraction de la Gauche communiste qui était allée en exil en France durant la dictature de Mussolini ». Sur le plan de la clarté programmatique, les faits parlent d'eux mêmes. ([4] [100])
2)La lutte du parti ne peut viser directement à la scission des masses organisées dans les syndicats.
3)Le processus de reconstruction du syndicat, s'il ne peut se réaliser qu'à travers la conquête des organes dirigeants du syndicat, découle d'un programme d'encadrement des luttes de classe sous la direction du parti. »
Ainsi, on ne peut pas considérer que les positions programmatiques qui étaient celles du PCInt en 1945 fassent partie de sa «réussite» puisqu'une bonne parti d'entre elles a dû être révisée par la suite, notamment en 1952, lors du congrès qui a vu la scission de la tendance de Bordiga et encore ultérieurement. Si le BIPR nous permet de faire un peu d'ironie, nous pourrions dire que certaines de ses positions actuelles sont plus inspirées de celles de la GCF que de celles du PCInt de 1945. Alors où réside le « grand succès » de cette organisation ? Il ne reste plus que la force numérique et que l'impact qu'elle a eus à un moment donné de l'histoire.
Effectivement, le PCInt a compté, entre 1945 et 1947, près de 3000 membres et un nombre significatif d'ouvriers se reconnaissait en lui. Est-ce à dire que cette organisation a pu jouer un rôle significatif dans le cours des événements historiques et les infléchir dans le sens de la révolution prolétarienne, même si celle-ci n'a pas eu lieu finalement. Evidemment, il est hors de question de reprocher au PCInt d'avoir failli à sa responsabilité face à une situation révolutionnaire car une telle situation n'existait pas en 1945. Mais c'est justement là où le bât blesse. Comme le dit l'article du BIPR, le PCInt misait « sur le fait que la combativité ouvrière ne resterait pas limitée au nord de l'Italie alors que la guerre approchait de sa fin ». En fait, le PCInt s'était constitué en 1943 sur la base du resurgissement des combats de classe dans le nord de l'Italie en misant sur le fait que ces combats étaient les premiers d'une nouvelle vague révolutionnaire qui allait surgir de la guerre comme ce fut le cas au cours du premier conflit mondial. L'histoire s'est chargée par la suite de démentir une telle perspective. Mais en 1943, il était tout à fait légitime de la mettre en avant ([5] [101]). Après tout, l'Internationale Communiste et la plupart des partis communistes, dont le parti italien, s'étaient formés alors que la vague révolutionnaire commencée en 1917 était déjà sur le déclin après le tragique écrasement du prolétariat allemand en janvier 1919. Mais les révolutionnaires de l'époque n'en avaient pas encore conscience (et c'est justement un des grands mérites de la Gauche italienne que d'avoir été un des premiers courants à constater cette inversion du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat). Cependant, lorsque s'est tenue la conférence de fin 1945-début 1946, la guerre était déjà terminée et les réactions prolétariennes qu'elle avait engendrées dès 1943 avaient été étouffées dans l'oeuf grâce à une politique préventive systématique de la part de la bourgeoisie ([6] [102]). Malgré cela, le PCInt n'a pas remis en cause sa politique antérieure (même si un certain nombre de voix se sont élevées dans la conférence pour constater le renforcement de l'emprise bourgeoise sur la classe ouvrière). Ce qui était une erreur tout à fait normale en 1943 l'était déjà beaucoup moins à la fin de 1945. Cependant, le PCInt a continué sur sa lancée et il ne remettra jamais plus en cause la validité de la formation du parti en 1943.
Mais le plus grave pour le PCInt n'est pas dans l'erreur d'appréciation de la période historique et dans la difficulté à reconnaître cette erreur. Bien plus catastrophique a été la façon dont le PCInt s'est développé et les positions qu'il a été amené à prendre pour cela, notamment du fait qu'il a essayé de « s'adapter » aux illusions croissantes d'une classe ouvrière en recul.
La constitution du PCInt
Lors de sa formation en 1943, le PCInt se réclamait des positions politiques élaborées par la Fraction italienne de la Gauche communiste. D'ailleurs, si son principal animateur, Onorato Damen, un des dirigeants de la Gauche dans les années 20, était resté en Italie depuis 1924 (la plupart du temps dans les prisons mussoliniennes d'où les bouleversements de 1942-43 l'avaient tiré) ([7] [103]), il comptait dans ses rangs un certain nombre de militants de la Fraction qui étaient rentrés en Italie au début de la guerre. Et effectivement, dans les premiers numéros de Prometeo clandestin (qui reprend le nom traditionnel du journal de la Gauche, celui des années 1920 et celui de la Fraction italienne dans les années 1930) publiés à partir de novembre 1943, on trouve des dénonciations très claires de la guerre impérialiste, de l'antifascisme et des mouvements « partisans » ([8] [104]). Cependant, à partir de 1944 le PCI s’oriente vers une politique d’agitation en direction des groupes de partisans et diffuse, en juin, un manifeste qui incite à la « transformation des formations de partisans là où elles sont composées d'éléments prolétariens de saine conscience de classe, en organes d'autodéfense prolétarienne, prêtes à intervenir dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. » En août 1944, Prometeo n° 15 va plus loin dans les compromissions : « Les éléments communistes croient sincèrement à la nécessité de lutte contre le nazi-fascisme et pensent, qu'une fois cet obstacle abattu, ils pourront marcher vers la conquête du pouvoir, en battant le capitalisme. » C'est la remise en vigueur de l'idée sur laquelle se sont appuyés tous ceux qui, au cours de la guerre d'Espagne, comme les anarchistes et les trotskistes, avaient appelé les prolétaires à «d'abord remporter la victoire sur le fascisme, ensuite faire la révolution ». C'est l'argument de ceux qui trahissent la cause du prolétariat pour se ranger derrière le drapeau d'un des camps impérialistes. Ce n'était pas le cas du PCInt car il restait fortement imprégné de la tradition de la Gauche du parti communiste d'Italie qui s'était distinguée, face à la montée du fascisme au début des années 1920, par son intransigeance de classe. Cela dit, de tels arguments dans la presse du PCInt permettent de mesurer l'ampleur des dérapages. Par ailleurs, suivant l'exemple de la minorité de la Fraction de 1936 qui avait rejoint les unités antifascistes du POUM en Espagne, un certain nombre de militants et de cadres du PCInt s'enrôlent dans les groupes partisans. Mais si la minorité avait rompu la discipline organisationnelle, il n'en est rien pour ces militants du PCInt : ils ne font qu'appliquer les consignes du Parti. ([9] [105])
De toute évidence, la volonté de regrouper un maximum d'ouvriers dans ses rangs et autour de lui, à un moment où ces derniers succombent massivement aux sirènes des « partisans », conduit le PCInt à prendre des distances avec l'intransigeance qu'il avait affichée au départ contre l'antifascisme et les «bandes partisanes». Ce n'est pas là une «calomnie» du CCI prenant le relaie des « calomnies » de la GCF. Ce penchant à recruter de nouveaux militants sans trop se préoccuper de la fermeté de leurs convictions internationalistes a été relevée par le camarade Danielis, responsable de la fédération de Turin en 1945 et ancien membre de la Fraction : « Une chose doit être claire pour tout le monde : le Parti a subi l'expérience grave d'un facile élargissement de son influence politique - non en profondeur (car difficile) mais en surface. Je dois faire part d'une expérience personnelle qui servira de mise en garde face au danger d'une facile influence du Parti sur certaines couches, de masses, conséquence automatique d'une non moins facile formation théorique des cadres... On devait donc penser qu'aucun inscrit au Parti n'aurait accepté les directives du »Comité de Libération Nationale ». Or, le 25 avril au matin [date de la "libération" de Turin] toute la Fédération de Turin était en armes pour participer au couronnement d'un massacre de 6 années, et quelques camarades de la province - encadrés militairement et disciplinés - entraient à Turin pour participer à la chasse à l'homme... Le Parti n'existait pas ; il s'était volatilisé. » (Procès verbal du Congrès de Florence du PCInt, 6-9 mai 1948) De toute évidence, Danielis était aussi un « calomniateur » !
Sérieusement, si les mots ont un sens, la politique du PCInt qui lui a permis ses « grands succès » de 1945, n'était rien moins qu'opportuniste. En faut-il d'autres exemples ? On pourrait citer cette lettre du 10 février 1945 adressée par le «Comité d'agitation » du PCInt « aux comités d'agitation des partis à direction prolétarienne et des mouvements syndicaux d'entreprise pour donner à la lutte révolutionnaire du prolétariat une unité de directives et d'organisation... Dans ce but, il est proposé un rassemblement de ces divers comités pour mettre au point un plan d'ensemble. » (Prometeo, avril 1945) ([10] [106]). Les «partis à direction prolétarienne » dont il est question sont notamment le parti socialiste et le parti stalinien. Aussi surprenant que cela apparaisse aujourd'hui, c'est la stricte vérité. Lorsque nous avons rappelé ces faits dans la Revue Internationale n° 32, le PCInt nous avait répondu : « Le document "Appel du Comité d'agitation du PCInt" contenu dans le numéro d'avril 45 fut-il une erreur? D'accord. Ce fut la dernière tentative de la Gauche italienne d'appliquer la tactique de "front unique à la base" préconisée par le PC d'Italie dans sa polémique avec l'IC dans les années 21-23. En tant que telle, nous la cataloguons dans les "péchés véniels" parce que nos camarades ont su l'éliminer tant sur un plan politique que théorique, avec une clarté qui aujourd'hui nous rend sûrs de nous face à quiconque. » (Battaglia Comunista n° 3, février 1983) A cela nous répondions : « On ne peut que rester admiratif devant la délicatesse et l'habileté avec lesquelles BC ménage son amour-propre. Si une proposition de front unique avec les bouchers staliniens et sociaux-démocrates n'est qu'un simple "péché véniel", qu'aurait dû faire le PCInt pour qu'on puisse parler d'erreur... Entrer au gouvernement ? » (Revue internationale n°34) ([11] [107]). En tout cas il est clair qu'en f!l944, la politique du PCInt représentait bien jun pas en arrière par rapport à celle de la l« vieille fraction ». Et quel pas ! La Fraction | avait depuis longtemps fait une critique en profondeur de la tactique du front unique et [elle ne se serait pas avisée, depuis 1935, de (qualifier le parti stalinien de « parti à direction prolétarienne»; sans parler de la social-démocratie dont la nature bourgeoise était reconnue depuis les années 1920.
Cette politique opportuniste du PCInt, nous la retrouvons dans « l'ouverture » et le manque de rigueur dont il fait preuve à la fin de la guerre afin de s'élargir. Les ambiguïtés du PCInt formé dans le Nord du pays ne sont encore que peu de choses à côté de celles des groupes du Sud qui sont admis dans le Parti à la fin de la guerre, telle la «Frazione di sinistra dei comunisti e socialisti » constituée à Naples, autour de Bordiga et Pistone, qui, jusqu'au début de 1945 pratique l'entrisme dans le PCI stalinien dans l'espoir de le redresser et qui est particulièrement floue concernant la question de l'URSS. Le PCInt ouvre également ses portes à des éléments du POC (Parti Ouvrier Communiste) qui avait constitué pendant un certain temps la section italienne de la 4e internationale trotskiste.
Il faut rappeler aussi que Vercesi, qui durant la guerre estimait qu'il n'y avait rien à faire et qui, à la fin de celle-ci, avait participé à la « Coalizione Antifascista » de Bruxelles ([12] [108]), s'intègre également dans le nouveau parti sans que celui-ci lui demande ne serait-ce que de condamner sa dérive antifasciste. Sur cet épisode, O. Damen, pour le PCInt, avait écrit au CCI, à l'automne 1976 : « Le Comité antifasciste de Bruxelles dans la personne de Vercesi, qui au moment de la constitution du PCInt pense devoir y adhérer, maintient ses propres positions bâtardes jusqu'au moment où le parti, rendant le tribut nécessaire à la clarté, se sépare des branches mortes du bordiguisme. » A cela nous répondions : « Qu'en termes galants ces choses là sont dites ! Il - Vercesi - pense devoir y adhérer ?! Et le Parti, qu'en pense-t-il ? Ou est-ce que le Parti est une société de bridge où adhère qui veut bien y penser ? » (Revue internationale n° 8). Il faut noter que dans cette lettre O. Damen avait la franchise de reconnaître qu'en 1945 le parti n'avait pas encore « rendu le tribut nécessaire à la clarté » puisque ce n'est que plus tard (en fait en 1952) qu'il le fit. On peut prendre acte de cette affirmation qui contredit toutes les fables sur la prétendue « grande clarté » ayant présidé à la fondation du PCInt puisque celui-ci représentait, au dire du BIPR, « un pas en avant » par rapport à celle de la Fraction. ([13] [109])
Le PCInt n'est pas non plus très regardant en ce qui concerne les membres de la minorité de la Fraction qui, en 1936, s'étaient enrôlés ans les milices antifascistes en Espagne et qui avaient rejoint l’Union Communiste([14] [110]). Ces éléments peuvent intégrer le Parti sans faire la moindre critique de leurs errements passés. Sur cette question, O. Damen nous écrivait dans la même lettre : « En ce qui concerne les camarades qui pendant la période de la guerre d'Espagne décidèrent d'abandonner la Fraction de la Gauche italienne pour se lancer dans une aventure en dehors de toute position de classe, rappelons que les événements d'Espagne, qui ne faisaient que confirmer les positions de la Gauche, leur ont servi de leçon pour les faire rentrer de nouveau dans le sillon de la gauche révolutionnaire. » (Ibid.) A quoi nous répondions : « il n'a jamais plus été question de retour de ces militants à la Gauche Communiste, jusqu'au moment de la dissolution de la Fraction et l'intégration de ses militants dans le PCInt (fin 45). Il n'a jamais été question de "leçon ", ni de rejet de position, ni de condamnation de leur participation à la guerre antifasciste d'Espagne de la part de ces camarades. » Si le BIPR estime qu'il s'agit là d'une nouvelle «calomnie » du CCI, qu'il nous indique les documents qui le prouvent. Et nous poursuivions : « C'est tout simplement l'euphorie et la confusion de la constitution du Parti "avec Bordiga" qui ont incité ces camarades... à le rejoindre... Le Parti en Italie ne leur a pas demandé de comptes, non pas par ignorance... mais parce que le moment n'était pas à "de vieilles querelles" ; la reconstitution du Parti effaçait tout. Ce parti qui n'était pas trop regardant sur Vagissement des partisans présents dans ses propres militants ne pouvait se montrer rigoureux envers cette minorité pour son activité dans un passé déjà lointain et lui ouvrait "naturellement" ses portes... »
En fait, la seule organisation qui ne trouve pas grâce aux yeux du PCInt et avec qui elle ne veut pas avoir de rapports est la GCF, justement parce que celle-ci continue de s'appuyer sur la même rigueur et la même intransigeance qui avaient caractérisé la Fraction durant les années 1930. Et c'est vrai que la Fraction de cette période n'aurait pu que condamner le bric à brac sur lequel s'est constitué le PCInt, un bric à brac tout à fait semblable à celui pratiqué alors par le trotskisme et contre lequel la Fraction n'avait pas de mots assez durs.
Dans les années 1920, la Gauche communiste s'était opposée à l'orientation opportuniste prise par l'Internationale Communiste à partir de son troisième congrès consistant notamment à vouloir « aller aux masses », à un moment où la vague révolutionnaire refluait, en faisant entrer dans ses rangs les courants centristes issus des partis socialistes (les Indépendants en Allemagne, les « Terzini » en Italie, Cachin-Frossard en France, etc.) et en lançant la politique de « Front unique » avec les PS. A la méthode du « rassemblement large » employée par 1’IC pour constituer les partis communistes, Bordiga et la Gauche opposaient la méthode de la « sélection » basée sur la rigueur et [l'intransigeance dans la défense des principes. Cette politique de 11C avait eu des conséquences tragiques avec l'isolement, voire l'exclusion, de la Gauche et l'envahissement du parti par les éléments opportunistes qui allaient constituer les meilleurs vecteurs de la dégénérescence de 1’IC et de ses partis.
Au début des années 1930, la Gauche italienne, fidèle à sa politique des années 20, avait bataillé au sein de l'opposition de Gauche internationale pour imposer cette I même rigueur face à la politique opportuniste de Trotsky pour qui l'acceptation des quatre premiers congrès de l’IC et surtout de sa propre politique manoeuvrière étaient des critères bien plus importants de regroupement que les combats menés dans 1’IC contre sa dégénérescence. Avec cette politique, les éléments les plus sains qui tentaient de construire un courant international de la Gauche communiste avaient été soit corrompus, soit découragés, soit condamnés à l'isolement. Bâti sur des fondations aussi fragiles, le courant trotskiste avait connu crise sur crise avant que de passer avec armes et bagages dans le camp bourgeois au cours de la seconde guerre mondiale. La politique intransigeante de la Fraction lui avait valu, pour sa part, d'être exclue de l'Opposition internationale en 1933 alors que Trotsky s'appuyait sur une fantomatique « Nouvelle Opposition Italienne » constituée d'éléments qui, à la tête du PCI encore en 1930, avaient voté pour l'exclusion de Bordiga de celui-ci.
En 1945, soucieux de rassembler le maximum d'effectifs, le PCInt qui se réclame de la Gauche, reprend à son compte non pas la politique de cette dernière face à 1’IC et face au trotskisme mais la politique que la Gauche avait justement combattue : rassemblement « large » basé sur les ambiguïtés programmatiques, regroupement - sans leur demander de comptes - de militants et de «personnalités»([15] [111]) qui avaient combattu les positions de la Fraction lors de la guerre d'Espagne ou au cours de la guerre mondiale, politique opportuniste flattant les illusions des ouvriers sur les partisans et sur les partis passés à l'ennemi, etc. Et pour que la ressemblance soit la plus complète possible, exclusion de la Gauche communiste internationale du courant, la GCF, qui revendiquait la plus grande fidélité au combat de la Fraction, en même temps qu'on ne voulait reconnaître comme seul groupe représentant la Gauche communiste en France que la FFGC-bis. Faut-il rappeler que celle-ci était constituée de trois jeunes éléments ayant scissionné de la GCF en mai 1945, de membres de l'ex-minorité de la Fraction exclue pendant la guerre d'Espagne et de membres de l'ex-Union Communiste qui s'était laissé aller à l'antifascisme au même moment ([16] [112]) ? N'y a-t-il pas là une certaine similitude avec la politique de Trotsky à l'égard de la Fraction et de la NOI ?
Marx a écrit que « si l'histoire se répète, la première fois c'est comme tragédie et la deuxième fois comme farce ». Il y a un peu de cela dans l'épisode peu glorieux de la formation du PCInt. Malheureusement, la suite des événements allait montrer que cette répétition par le PCInt en 1945 de la politique combattue par la Gauche dans les années 1920 et dans les années 1930 a eu des conséquences assez dramatiques.
Les conséquences de la démarche opportuniste du PCInt
Lorsqu'on lit le procès verbal de la conférence du PCInt de la fin 1945-début 1946, on est frappé par l'hétérogénéité qui y règne.
Sur l'analyse de la période historique, qui constitue une question essentielle, les principaux dirigeants s'opposent. Damen continue de défendre la « position officielle » :
« Le nouveau cours de l'histoire de la lutte du prolétariat va s'ouvrir. Il revient à notre parti la tâche d'orienter cette lutte dans un sens qui permette, à la prochaine et inévitable crise, que la guerre et ses artisans soient détruits à temps et définitivement par la révolution prolétarienne » (« Rapport sur la situation générale et les perspectives », page 12)
Mais certaines voix constatent, sans le dire ouvertement, que les conditions ne sont pas propices à la formation du parti :
« ... ce qui domine aujourd'hui, c'est l'idéologie jusqu'au-boutiste du CLN et du mouvement partisan, et c'est pour cela même qu'il n'existe pas les conditions pour l'affirmation victorieuse de la classe prolétarienne. Par suite, on ne peut pas qualifier le moment actuel autrement que comme réactionnaire. » (Vercesi, « Le parti et les problèmes internationaux », page 14)
« En concluant ce bilan politique, il est nécessaire de se demander si nous devons aller de l'avant en suivant une politique d'élargissement de notre influence, ou bien si la situation nous impose avant tout (dans une atmosphère encore empoisonnée) de sauvegarder les bases fondamentales de notre délimitation politique et idéologique, de renforcer idéologiquement les cadres, de les immuniser contre les bacilles qu'on respire dans l'ambiance actuelle et de les préparer ainsi aux nouvelles positions politiques qui se présenteront demain. A mon avis, c'est dans cette dernière direction que l'activité du parti doit être orientée dans tous les domaines. » (Maffi, «Relation politique-organisationnelle pour l'Italie septentrionale », page 7)
En d'autres termes, Maffi préconise le développement d'un travail classique de fraction.
Sur la question parlementaire, on constate la même hétérogénéité :
« C'est pourquoi nous utiliserons, en régime démocratique, toutes les concessions que l'on nous fera, dans la mesure où cette utilisation ne lésera pas les intérêts de la lutte révolutionnaire. Nous restons irréductiblement antiparlementaires ; mais le sens du concret qui anime notre politique nous fera repousser toute position abstentionniste déterminée à priori. » (O. Damen, Ibid. page 12.)
« Maffi, reprenant les conclusions auxquelles le parti est arrivé, se demande si le problème de l'abstentionnisme électoral doit être posé dans son ancienne forme (participer ou non aux élections, selon que la situation va ou non vers l'explosion révolutionnaire) ou si, au contraire, dans une ambiance corrompue par les illusions électorales, il ne conviendrait pas de prendre une position nettement anti-électorale, même au prix de l'isolement. Ne pas s'accrocher aux concessions que nous fait la bourgeoisie (concessions qui ne sont pas un acte de faiblesse mais de force de sa part) mais au processus réel de la lutte de classe et à notre tradition de gauche. » (Ibid. page 12)
Faut-il rappeler ici que la Gauche de Bordiga dans le parti socialiste italien s'était fait connaître au cours de la première guerre mondiale comme «Fraction abstentionniste » ?
De même, sur la question syndicale le rapporteur, Luciano Stefanini, affirme, contre la position qui sera finalement adoptée :
« La ligne politique du Parti, face au problème syndical, n'est pas encore suffisamment claire. D'un côté on reconnaît la dépendance des syndicats vis-à-vis de l'Etat' capitaliste ; de l'autre côté, on invite les ouvriers à lutter dans leur sein et à les conquérir de l'intérieur pour les porter sur une position de classe. Mais cette possibilité est exclue par l'évolution capitaliste que nous avons mentionnée plus haut... le syndicat actuel ne pourra pas changer sa physionomie d'organe d'Etat... Le mot d'ordre de nouvelles organisations de masse n'est pas actuel, mais le Parti a le devoir de prévoir quel sera le cours des événements et d'indiquer à partir d'aujourd'hui aux travailleurs quels seront les organismes qui, surgissant de l'évolution des situations, s'imposeront comme le guide unitaire du prolétariat sous la direction du parti. La prétention d'obtenir des positions de commande dans les actuels organismes syndicaux en vue de les transformer doit être définitivement liquidée. » (pages 18-19)
Au lendemain de cette conférence, la GCF pouvait écrire :
« Le nouveau parti n'est pas une unité politique mais un conglomérat, une addition de courants et de tendances qui ne manqueront pas de se manifester et de se heurter. L'armistice actuel ne peut être que très provisoire. L'élimination de l'un ou de l'autre courant est inévitable. Tôt ou tard la définition politique et organisationnelle s'imposera. » {Internationalisme n° 7, février 1946)
Après une période de recrutement intense, cette délimitation commence à se produire. Dès la fin 1946, le trouble que provoque dans le PCInt sa participation aux élections (beaucoup de militants ont en tête la tradition abstentionniste de la Gauche) conduit la direction du Parti à faire dans la presse une mise au point intitulée « Notre force » et qui en appelle à la discipline. Après l'euphorie de la conférence de Turin, beaucoup de militants découragés quittent le Parti sur la pointe des pieds. Un certain nombre d'éléments rompt pour participer à la formation du POI trotskiste, preuve qu'il n'avait pas sa place dans une organisation de la Gauche communiste. Beaucoup de militants sont exclus sans que les divergences apparaissent clairement, du moins dans la presse publique du Parti. Une des principales fédérations fait scission pour constituer la « Fédération autonome de Turin ». En 1948, lors du Congrès de Florence, le Parti a déjà perdu la moitié de ses membres et sa presse la moitié de ses lecteurs. Quant à « l'armistice » de 1946, il s'est transformé en «paix armée» que les dirigeants essayent de ne pas troubler en escamotant les principales divergences. C'est ainsi que Maffi affirme qu'il s'est « abstenu de traiter tel problème » parce que «je savais que cette discussion aurait pu empoisonner le Parti ». Cela n'empêche pas, cependant, le Congrès de remettre radicalement en cause la position sur les syndicats adoptée deux ans et demi auparavant (pourtant la position de 1945 était sensée représenter la plus grande clarté !). Cette paix armée va finalement déboucher sur l'affrontement (notamment après l'entrée de Bordiga dans le Parti en 1949) qui conduira à la scission de 1952 entre la tendance animée par Damen et celle animée par Bordiga et Maffi laquelle sera à l'origine du courant « Programma Comunista».
Quand aux « organisations soeurs » sur lesquelles le PCInt comptait pour constituer un Bureau international de la Gauche communiste, leur sort est encore moins enviable : la Fraction belge cesse de publier L'Internationaliste en 1949 et disparaît peu après ; la Fraction française-bis connaît au même moment une éclipse de deux ans, avec le départ de la plupart de ses membres, avant de réapparaître comme Groupe français de la Gauche communiste internationale qui se rattachera au courant «bordiguiste »([17] [113])
La «plus grande réussite depuis la révolution russe » a donc été de courte durée. Et lorsque le BIPR, pour appuyer son argumentation sur cette « réussite », nous dit que le PCInt « malgré un demi siècle de domination capitaliste par la suite, continue à exister et s'accroît aujourd'hui », il oublie de préciser que le PCInt actuel, en termes d'effectifs et d'audience dans la classe ouvrière, n'a plus grand chose à voir avec ce qu'il était au sortir de la dernière guerre. Sans s'appesantir sur des comparaisons, on peut considérer que l'importance actuelle de cette organisation est sensiblement la même que celle de l'héritière directe de la « minuscule GCF », la section en France du CCI. Et nous voulons bien croire que le PCInt « s'accroît aujourd'hui ». Le CCI a également constaté au cours de la dernière période un intérêt plus grand pour les positions de la Gauche communiste ce qui s'est traduit notamment par un certain nombre de nouvelles adhésions. Cela dit, nous ne pensons pas que l'accroissement actuel des forces du PCInt lui permettra de sitôt de retrouver ses effectifs de 1945-46.
Ainsi cette grande « réussite » s'est achevée de façon assez peu glorieuse en une organisation qui, tout en continuant à se dénommer « parti », est contrainte de jouer le rôle d'une fraction. Ce qui est plus grave, c'est qu'aujourd'hui le BIPR ne tire pas les enseignements de cette expérience et surtout ne remet pas en cause la méthode opportuniste qui était une des raisons des « glorieux succès » de 1945 préfigurant les «insuccès» qui allaient suivre ([18] [114]).
Cette attitude non-critique envers les errements opportunistes du PCInt à ses origines peut nous faire craindre que le BIPR, lorsque le mouvement de la classe sera plus développé qu'aujourd'hui, soit tenté de recourir aux mêmes expédients opportunistes que nous avons signalés. Dès à présent, le fait que le BIPR retienne comme principal «critère de réussite » d'une organisation prolétarienne le nombre de membres et l'impact qu'elle a pu avoir à un moment donné, en laissant de côté sa rigueur programmatique et sa capacité à jeter les bases d'une travail au long terme met en évidence l'approche immédiatiste qui est le sienne sur la (question d'organisation. Et nous savons que l'immédiatisme constitue l'antichambre de l'opportunisme. On peut également signaler d'autres conséquences fâcheuses, plus immédiates encore, de l'incapacité du PCInt de faire la critique de ses origines.
En premier lieu, le fait que le PCInt ait maintenu après 1945-46 (quand il est devenu évident que la contre-révolution continuait à imposer sa chape de plomb) la thèse de la validité de la fondation du parti l'a conduit à réviser radicalement toute la conception de la Fraction italienne sur les rapports entre Parti et Fraction. Pour le PCInt, désormais, la formation du Parti peut intervenir à tout moment, indépendamment du rapport de forces entre prolétariat et bourgeoisie ([19] [115]). C'est la position des trotskistes, pas de la Gauche italienne qui a toujours considéré que le Parti ne pourrait se former que lors d'une reprise historique des combats de classe. Mais en même temps, cette remise en cause s'accompagne de la remise en cause qu'il puisse exister des cours historiques déterminés et antagoniques : cours vers les affrontements de classe décisifs ou cours vers la guerre mondiale. Pour le BIPR ces deux cours peuvent être parallèles, ne pas s'exclure mutuellement ce qui l'a conduit à une incapacité notoire d'analyser la période historique présente comme on l'a vu dans notre article « La CWO et le cours historique, une accumulation de contradictions » paru dans la Revue Internationale n° 89. C'est pour cela que nous écrivions dans la première partie du présent article (Revue Internationale n° 90) : «... à y regarder de plus près, l'incapacité actuelle du BIPR à fournir une analyse sur le cours historique trouve en bonne partie ses origines dans des erreurs politiques concernant la question d'organisation, et plus particulièrement sur la question des rapports entre fraction et parti. »
A la question pourquoi les héritiers de la « minuscule GCF » ont-ils réussi là où ceux du glorieux parti de 1943-45 ont échoué, c'est-à-dire à constituer une véritable organisation internationale, nous proposons à la réflexion du BIPR la réponse suivante : parce la GCF, et le CCI à sa suite, sont restés fidèles à la démarche qui avait permis à la Fraction de constituer au moment de la débâcle de l’IC le principal courant, et le plus fécond, de la Gauche communiste :
- la rigueur programmatique comme fondement de la constitution d'une organisation rejetant tout opportunisme, toute précipitation, toute politique de « recrutement » sur des bases floues ;
- une claire vision de la notion de Fraction et des liens de cette dernière avec le Parti ;
- la capacité à identifier correctement la nature du cours historique.
Le plus grand succès depuis la mort de 1’IC (et non depuis la révolution russe) ce n'est pas le PCInt qui l'a remporté mais bien la Fraction. Non pas en termes numériques mais en termes de sa capacité de préparer, au delà de sa propre disparition, les bases sur lesquelles pourra demain se constituer le Parti mondial.
En principe le PCint (et à sa suite le BIPR) se présente comme héritier politique de la Fraction italienne. Nous avons mis en évidence dans cet article combien, lors de sa constitution, cette organisation s'était éloignée de la tradition et des positions de la Fraction. Depuis, le PCint a clarifié toute une série de questions programmatiques, ce que nous considérons comme extrêmement positif. Toutefois il nous semble que le PCint ne pourra apporter sa pleine contribution à la constitution du futur parti mondial que s'il met en accord ses déclarations et ses actes, c'est-à-dire s'il se réapproprie véritablement la tradition et la démarche politiques de la Fraction italienne. Et cela suppose en premier lieu qu'il soit capable de faire une critique sérieuse de l'expérience de la constitution du PCint en 1943-45 au lieu d'en faire le panégyrique et de la prendre comme exemple.
Fabienne
[1] [116] Nous supposons que, emporté par son enthousiasme, l'auteur de l'article a été victime d'un glissement de plume et qu'il voulait dire « depuis la fin de la vague révolutionnaire du premier après guerre et de l'Internationale Communiste ». En revanche, si ce qui est écrit traduit bien sa pensée, on peut se poser des questions sur sa connaissance de l'histoire et sur son sens des réalités : n'a-t-il jamais entendu parler, entre autres exemples, du Parti Communiste d'Italie qui, au début des années 1920, avait un impact autrement plus important que celui du PCInt en 1945 en même temps qu'il se trouvait à l'avant-garde de l'ensemble de l'Internationale sur toute une série de questions politiques ? En tout cas, pour la suite de notre article, nous préférons nous baser sur la première hypothèse : polémiquer contre des absurdités n'est d'aucun intérêt.
[2] [117] Notons qu'au cours de cette même période, le CCI s'est élargi de trois nouvelles sections territoriales : en Suisse et dans deux pays de la périphérie du capitalisme, le Mexique et l'Inde, qui font l'objet d'un intérêt tout particulier de la part du BIPR (voir notamment à ce sujet l'adoption par le 6e Congrès du PCInt, en avril 1997, de « Thèses sur la tactique communiste dans les pays de la périphérie capitaliste »).
[3] [118] Voici comment était formulée la politique du PCInt à l'égard des syndicats : « Le contenu substantiel du point 12 delà plate-forme du parti peut être concrétisé dans les points suivants : 1) Le parti aspire à la reconstruction de la CGL au travers de la lutte directe du prolétariat contre le patronat dans des mouvements de classe partiels et généraux.
[4] [119] Le PCInt d'aujourd'hui est bien embarrassé par cette plate-forme de 1945. Aussi quand il a republié, en 1974, ce document en même temps que le « Schéma de Programme » rédigé en 1944 par le groupe de Damen, a-t-il pris soin d'en faire une critique en règle en l'opposant au « Schéma de programme » pour lequel il n'a pas de mots assez élogieux. Dans la présentation on peut lire : « En 1945, le Comité Central reçoit un projet de Plate-forme politique du camarade Bordiga qui, nous le soulignons, n'était pas inscrit au parti. Le document dont l'acceptation fut demandée en termes d'ultimatum, est reconnu comme incompatible avec les fermes prises de position adoptées désormais par le Parti sur les problèmes les plus importants et, malgré les modifications apportées, le document a toujours été considéré comme une contribution au débat et non comme une plateforme défait (...) Le CC ne pouvait, comme on l'a vu, accepter le document que comme une contribution tout à fait personnelle pour le débat du congrès futur qui, reporté en 1948, mettra en évidence des positions très différentes. » Il aurait fallu préciser PAR QUI ce document était considéré comme « une contribution au débat ». Probablement par le camarade Damen et quelques autres militants. Mais ils ont conservé pour eux leurs impressions car la Conférence de 1945-46, c'est-à-dire la représentation de l'ensemble du Parti, a pris une tout autre position. Ce document a été adopté à l'unanimité comme plate-forme du PCInt, servant de base d'adhésion et de constitution d'un Bureau international de la Gauche communiste. En revanche, c'est le « Schéma de Programme » qui a été renvoyé à la discussion pour le prochain congrès. Et si les camarades du BIPR pensent encore une fois que nous « mentons » et que nous « calomnions », qu'ils se rapportent alors au procès verbal de la Conférence de Turin de la fin 1945. Sil y a mensonge, c'est dans la façon dont le PCInt présentait en 1974 sa « version » des choses. En fait, le PCInt est tellement peu fier de certains aspects de sa propre histoire qu'il éprouve le besoin de les enjoliver un peu. Cela dit, on peut se demander pourquoi le PCInt a accepté de se soumettre à un « ultimatum » de qui que ce soit, et particulièrement de quelqu'un qui n'était même pas membre du Parti.
[5] [120] Comme on l'a vu dans la première partie de cet article, la Fraction italienne avait considéré, à sa conférence d'août 1943, qu' «avec le nouveau cours qui s'est ouvert avec les événements d'août en Italie, le cours de la transformation de la Fraction en parti s'est ouvert ». La GCF, à sa fondation en 1944, avait repris la même analyse.
[6] [121] Nous avons à de nombreuses reprises mis en évidence dans notre presse en quoi consistait cette politique systématique de la bourgeoisie, comment cette classe, ayant tiré les leçons de la première guerre, s'est partagée systématiquement le travail, laissant le soin aux pays vaincus de faire le « sale travail » (répression anti-ouvrière dans le Nord de l'Italie, écrasement de l'insurrection de Varsovie, etc.) en même temps que les vainqueurs bombardaient systématiquement les concentrations ouvrières d'Allemagne, se chargeaient ensuite de faire la police chez les vaincus en occupant tout le pays et en gardant pendant plusieurs années les prisonniers de guerre.
[7] [122] La GCF et le CCI ont souvent critiqué les positions programmatiques défendues par Damen ainsi que sa démarche politique. Cela ne retire rien à l'estime qu'on peut avoir pour la profondeur de ses convictions communistes, son énergie militante et son grand courage.
[8] [123] .« Ouvriers ! Au mot d'ordre de guerre nationale, qui arme les prolétaires italiens contre des prolétaires allemands et anglais, opposez le mot d'ordre de la révolution communiste, qui unit par-delà les frontières les ouvriers du monde entier contre leur ennemi commun : le capitalisme. » {Prometeo n° 1, 1er novembre 1943) «A l'appel du centrisme [c'est ainsi que la Gauche italienne qualifiait le stalinisme] de rejoindre les bandes partisanes, on doit répondre par la présence dans les usines d'où sortira la violence de classe qui détruira les centres vitaux de l'Etat capitaliste » (Prometeo du 4 mars 1944)
[9] [124] Pour plus d'éléments sur la question de l'attitude du PCInt envers les partisans voir <r Les ambiguïtés sur les "partisans" dans la constitution du Parti Communiste Internationaliste en Italie » dans la Revue Internationale n° 8.
[10] [125] Nous avons publié dans la Revue internationale n°32 le texte complet de cet appel ainsi que nos commentaires à son propos.
[11] [126] Il faut préciser que dans la lettre envoyée par le PCInt au PS en réponse à celle de ce dernier suite à l'appel, le PCInt s'adressait aux canailles social-démocrate en les appelant « chers camarades ». Ce n'était pas la meilleure façon de démasquer aux yeux des ouvriers les crimes commis contre le prolétariat par ces partis depuis la première guerre mondiale et la vague révolutionnaire qui l'a suivie. C'était par contre un excellent moyen de flatter les illusions des ouvriers qui les suivaient encore.
[12] [127] Voir à ce propos la première partie de cet article dans la Revue Internationale n° 90.
[13] [128] Sur ce sujet, il vaut la peine de donner d'autres citations du PCInt : « Les positions exprimées par le camarade Perrone (Vercesi) à la Conférence de Turin (1946) (...) étaient de libres manifestations d'une expérience toute personnelle et avec une perspective politique fantaisiste à laquelle il n'est pas licite de se référer pour formuler des critiques à la formation du PCInt » {Prometeo n° 18, 1972) L'ennui c'est que ces positions étaient exprimées dans le rapport sur « Le Parti et les problèmes internationaux » présenté à la Conférence par le Comité central dont Vercesi faisait partie. Le jugement des militants de 1972 est vraiment bien sévère pour leur Parti en 1945-46, un Parti dont l'Organe central présente un rapport dans lequel on peut dire n'importe quoi. Nous supposons qu'après cet article de 1972 son auteur s'est fait sérieusement réprimander pour avoir ainsi « calomnié » le PCInt de 1945 au lieu de reprendre la conclusion que O. Damen avait apportée à la discussion sur ce rapport : « // n'y a pas de divergences mais des sensibilités particulières qui permettent une clarification organique des problèmes » (Procès-verbal, page 16) Il est vrai que le même Damen a découvert plus tard que les « sensibilités particulières » étaient en fait des « positions bâtardes » et que la « clarification organique » consistait à « se séparer des branches mortes ». En tout cas, vive la clarté de 1945 !
[14] [129] Sur la minorité de 1936 dans la Fraction, voir la première partie de cet article dans la Revue Internationale n° 90
[15] [130] Il est clair que l'une des raisons pour laquelle le PCInt de 1945 accepte d'intégrer Vercesi sans lui demander de comptes et de se faire «forcer la main » par Bordiga sur la question de la plate-forme c'est qu'il compte sur le prestige de ces deux dirigeants « historiques » pour attirer à lui un maximum d'ouvriers et de militants. L'hostilité de Bordiga aurait privé le PCInt des groupes et éléments du Sud de l'Italie ; celle de Vercesi l'aurait coupé de la Fraction belge et de la FFGC-bis.
[16] [131] Sur cet épisode, voir la première partie de notre article.
[17] [132] On peut donc constater que la «minuscule GCF », qui avait été traitée par le mépris et tenue soigneusement à l'écart par les autres groupes, a survécu malgré tout plus longtemps que la Fraction belge et que la FFGC-bis. Jusqu'à sa disparition en 1952, elle publiera 46 numéros d'Internationalisme qui constituent un patrimoine inestimable sur lequel s'est bâti le CCI.
[18] [133] C'est vrai que la méthode opportuniste n'est pas seule à expliquer l'impact qu'a pu avoir le PCInt en 1945. En fait, il existe à cet impact deux causes fondamentales :
- l'Italie est le seul pays où nous ayons assisté à un réel et puissant mouvement de la classe ouvrière au cours de la guerre impérialiste et contre elle ;
- la Gauche communiste, du fait qu'elle avait assumé la direction du Parti jusqu'en 1925, que Bordiga ait été le principal fondateur de ce parti, jouissait auprès des ouvriers d'Italie d'un prestige incomparablement plus important que dans les autres pays.
A contrario, une des causes de la faiblesse numérique de la GCF est justement le fait qu'il n'y avait pas en France de tradition de la Gauche communiste dans la classe ouvrière et que celle-ci avait été incapable de surgir au cours de la guerre mondiale. Il y a aussi le fait que la GCF s'est interdit toute attitude opportuniste à l'égard des illusions des ouvriers envers la « Libération » et les « partisans ». En cela elle a suivi l'exemple de la Fraction en 1936 face à la guerre d'Espagne ce qui a conduit celle-ci à l'isolement qu'elle même constatait dans Bilan n° 36.
[19] [134] Sur cette question, voir notamment notre article « Le rapport Fraction-Parti dans la tradition marxiste », Revue Internationale n° 59.
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