Mais qu'en est-il de la multiplication des guerres locales et des massacres ? Pourquoi l'accroissement indéniable et la généralisation de la misère dans le monde ? Pourquoi l'augmentation du chômage et la dégradation des conditions d'existence du prolétariat ? Comment comprendre les famines, la recrudescence des épidémies, la corruption et l'insécurité croissantes ? D'où viennent les catastrophes dites naturelles et les menaces sur l'environnement à l'échelle planétaire ? Sinon du fait de la subsistance du capitalisme, de ces relations sociales, de ces rapports de production, qui n'ont que faire des besoins humains et répondent à la poursuite d'un seul objectif : le profit ; et “pas simplement la poursuite d'un profit tangible, mais d'un profit toujours croissant.” (2)
Face à cette objection on se trouve en présence de diverses réponses.
La “mondialisation” et la fable de la “démocratie”pour masquer le chaos capitalisteSoit tout cela ne seraP>Soit tout cela ne serait qu'une exagération de cassandres qui refusent de voir les bienfaits du système actuel. Cette réponse est en général celle des thuriféraires du capitalisme libéral. Pour ces derniers les conséquences désastreuses de la survie du capitalisme sont le prix normal à payer dans ce système social, le résultat intangible d'une loi de la nature qui implique l'élimination des plus faibles et le salut seulement pour les plus forts.
Soit tous ces fléaux du monde moderne à l'aube du 21e siècle sont réels mais ils sont considérés avant tout comme des excès ou des imperfections, comme les conséquences d'erreurs commises par des responsables trop âpres au gain et pas assez soucieux du bien de tous. Ce serait le résultat du capitalisme “sauvage”. Il faudrait donc, selon ces conceptions, un contrôle, une régulation bien pensée, organisée par les gouvernements, par les Etats, par des organismes locaux, nationaux et internationaux adéquats (par exemple sur le mode des fameuses ONG, les organisations dites non gouvernementales). Cela pourrait gommer les effets dévastateurs de ce système, le transformer , le transformer en une véritable organisation de “citoyens”, en faire un authentique hâvre de paix et de prospérité pour tous. Cette réponse est en général, avec des variantes, celle de la gauche de l'appareil politique de la bourgeoisie, de la social-démocratie et des ex-partis staliniens, des écologistes. C'est la conception de la mouvance “anti-mondialisation”. Et on y trouve également les courants gauchistes qui mettent en sourdine leur phraséologie révolutionnaire traditionnelle pour apporter une contribution radicale au concert de défense de la démocratie. C'est le cas de toutes sortes de chapelles trotskistes ou ex-maoistes, anarchistes ou libertaires, tous des courants divers plus ou moins défroqués du gauchisme socialiste, communiste, libertaire des années 1970-80. Au delà des différences, tout le monde se réclame donc aujourd'hui de la démocratie, de l'extrême droite à l'extrême gauche.
Les contestataires qui prétendaient autrefois critiquer le cirque parlementaire ont démasqué leur vraie nature de fervents défenseurs de la démocratie bourgeoise autrefois honnie. Beaucoup sont d'ailleurs aujourd'hui, prat aujourd'hui, pratiquement dans tous les pays, aux commandes de l'Etat, à des postes de responsabilité dans d'honorables institutions, organismes et entreprises, bien intégrés au système. Pour les autres, qui se sont maintenus dans une opposition plus ou moins radicale aux gouvernements et à ces mêmes institutions (3), ils dénoncent les excès et les erreurs du système, mais au fond ne posent jamais la véritable question de la nature de ce système.
Un des meilleurs exemples de cette idéologie nous est régulièrement fourni par le mensuel français Le Monde diplomatique. Ainsi, dans le numéro de janvier 2001 de ce journal, on trouve que “Le nouveau siècle commence à Porto Alegre [au Brésil où se tient le 1er Forum social mondial fin janvier 2001]. Tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, contestent ou critiquent la mondialisation néolibérale vont se réunir... (...) Non pas pour protester comme à Seattle, à Washington, à Prague et ailleurs, contre les injustices, les inégalités et les désastres que provoquent, un peu partout dans le monde, les excès du néolibéraéolibéralisme. Mais pour tenter, dans un esprit positif et constructif cette fois, de proposer un cadre théorique et pratique permettant d'envisager une mondialisation de type nouveau et affirmer qu'un autre monde, moins inhumain et plus solidaire, est possible.” (4)
Et dans le même numéro, on trouve un article de Toni Negri, figure emblématique de Potere Operaio (5), qui développe l'idée qu'aujourd'hui il n'y a plus d'impérialisme mais un “Empire” capitaliste !? Le propos semble rester fidèle à la “lutte des classes” et à la “bataille des exploités contre le pouvoir du capital”. Mais ce n'est qu'une apparence. L'article prétend surtout inventer une sorte de nouvelle perspective à la lutte des classes. Ce qui l'amène tout droit sur un vieux terrain éculé : la nécessité de la défense de la démocratie en lieu et place de celle de la “révolution” ; l'identification de citoyens en lieu et place de l'identité de classe du prolétariat. “Ces luttes exigent, outre un salaire garanti, une nouvelle expression de la démocratie dans le contrôle des conditions politiques de itions politiques de reproduction de la vie. (...) la plupart de ces idées sont nées lors des manifestations parisiennes de l'hiver 1995, cette "Commune de Paris sous la neige" (!) qui exaltait (...) l'auto-reconnaissance subversive des citoyens des grandes villes.”
Quelles que soient les intentions subjectives de ces protagonistes de la contestation du système capitaliste, de ces défenseurs de la perspective de la démocratie, tout cela sert d'abord et avant tout objectivement à entretenir des illusions sur la possibilité de réformer ce système ou de le transformer graduellement.
Ce que la classe ouvrière a besoin de comprendre, contre ces vieilles idées réformistes remises au goût du jour, c'est que l'impérialisme, ce “stade suprême du capitalisme” comme disait Lénine, règne toujours en maître. Qu'il touche “tous les Etats, du plus petit au plus grand” comme disait Rosa Luxemburg. Qu'il est à la base de la multiplication des guerres locales et de la prolifération des massacres à travers le monde dans toutes les zones de conflits militaires. Face aux nombreuses questions et inqui&ea questions et inquiétudes sur l'inanité et l'absurdité du monde actuel, face à l'absence grandissante de perspective qui imbibe toute la société, face à cette ambiance pesante de vie au jour le jour, face au chacun pour soi, à la décomposition du tissu social, à la déliquescence de la solidarité collective, la classe ouvrière a besoin de comprendre que la perspective du capitalisme n'est pas un monde de citoyens qu'une bonne démocratie pourra faire vivre dans la paix, dans l'abondance et la prospérité. Ce que la classe ouvrière a besoin de comprendre c'est que la société actuelle est et reste une société de classes, un système d'exploitation de l'homme par l'homme, dont le moteur est le profit et le fonctionnement dicté par l'accumulation du capital. Que la démocratie est une démocratie bourgeoise, la forme la plus élaborée de la dictature de la classe capitaliste.
Ce qui a changé depuis 1991 ce n'est pas que le capitalisme aurait triomphé du communisme et se serait donc imposé comme le seul système social viable. Ce qui a changé c'est que le régime capitaliste et imp&eacuiste et impérialiste du bloc soviétique s'est effondré sous les coups de la crise économique et face à la pression militaire de son ennemi, le bloc occidental. Ce qui a changé c'est la configuration impérialiste de la planète qui régissait le monde depuis la seconde guerre mondiale. Ce n'est pas le communisme ou un système en transition vers le communisme qui s'est effondré à l'Est. Le véritable communisme, qui n'a encore jamais existé, reste à l'ordre du jour. Il ne pourra être instauré que par le renversement révolutionnaire de la domination capitaliste par la classe ouvrière internationale. Il est l'unique alternative à ce que promet la survivance de la société capitaliste : l'enfoncement dans un chaos indicible qui pourrait signifier à terme la destruction définitive de l'humanité.
La “nouvelle économie” en perdition, la crise ininterrompueAlors que les festivités de l'an 2000 s'étaient tenues sous les auspices de l'euphorie de la “nouvelle économie”, l'année 2001 a commencé par une inquiétude clairement affichée sur la saichée sur la santé économique du capitalisme mondial. Les nouveaux gains prodigieux promis n'ont pas été au rendez-vous. Au contraire, après un an de déboires et de désillusions, les champions du e-business et de la net-économie ont multiplié les faillites et licencié à tour de bras, dans un contexte général morose. Quelques exemples : “Avec le refroidissement de la nouvelle économie, il y a eu une rafale d'annonces de licenciements. Plus de 36 000 emplois des "pointcom" ont été supprimés dans la seconde moitié de l'an dernier, y inclus 10 000 le mois dernier.” (6)
Nous avons analysé à plusieurs reprises dans les colonnes de cette Revue internationale la situation de la crise économique (7). Nous ne reviendrons pas en détail sur ces analyses dont les conclusions sont à nouveau confirmées aujourd'hui. En décembre dernier, les grands magazines de la presse internationale titraient “Chaos” (8) et “Un atterrissage brutal ?” (9). Au delà des grandes phrases rassurantes et creuses, la bourgeoisie a besoin de savoir ce qu'il en est vraiment des profits qu'elle peut ets qu'elle peut espérer de ses placements. Et il faut bien se rendre à l'évidence. La “nouvelle économie” n'est rien d'autre qu'un avatar de la “vieille économie”, c'est-à-dire tout simplement un produit non pas de la croissance mais bien de la crise de l'économie capitaliste. Le développement des communications via Internet n'est pas la “révolution” promise. L'utilisation à grande échelle d'Internet, aussi bien au niveau des échanges commerciaux et des transactions financières et bancaires qu'au sein des entreprises et des administrations, ne change rien aux lois incontournables de l'accumulation du capital qui exigent le bénéfice net, la rentabilité et la compétitivité sur le marché.
Tout comme n'importe quelle innovation technique, l'avantage compétitif procuré par l'utilisation d'Internet disparaît très rapidement à partir du moment où cette utilisation se généralise. Et, de plus, dans le domaine de la communication et des transactions, pour que la technique fonctionne et soit efficace, cela suppose que toutes les entreprises soient connectées. Et donc l'innovation que constitue l'utilisation de ce r l'utilisation de ce réseau contient elle-même la fin du propre avantage qu'elle est censée constituer !
Au départ, la grande “révolution technologique” de l'Internet devait permettre un développement colossal du “modèle” B2C, un acronyme qui signifie “business to consumer”, c'est-à-dire procurer un rapport direct du producteur au consommateur. En fait il s'agit tout bêtement de pouvoir consulter des catalogues et passer des commandes par correspondance électronique via Internet plutôt que par courrier ! Belle innovation ! Révolution technologique nous disait-on ? Très rapidement le B2C a été abandonné au profit du B2B, le “business to business”, la mise en rapport direct des entreprises entre elles. Le premier “modèle” misait sur des gains procurés par une vente par correspondance par courrier électronique, somme toute peu profitable puisque dédiée essentiellement à la consommation des ménages. Le second était censé mettre en rapport direct les entreprises. Les gains devaient alors provenir de deux “débouchés”. D'un côté les entreprises pouvaient gagtreprises pouvaient gagner de l'argent ou plutôt réduire leurs dépenses du fait de la réduction des intermédiaires dans leurs relations. Ce n'est déjà pas un vrai débouché mais une simple réduction des dépenses ! D'un autre côté on devait assister à l'ouverture d'un fabuleux “marché”, celui constitué par la nécessité de fournir sur Internet les services adéquats (annuaires, listes, catalogues, applications informatiques, moyens de paiement, etc) ; en fait le retour par la fenêtre des... intermédiaires qu'on venait de chasser par la porte. Merci Internet ! Là aussi il a bien fallu se rendre à l'évidence, le profit n'était pas au rendez-vous. Ces “modèles” économiques ont vite été abandonnés. 98 % des start ups de ces trois dernières années, ces entreprises de la “nouvelle économie” supposées constituer l'exemple de l'avenir radieux du développement capitaliste, ont disparu. Dans celles qui ont subsisté, les salariés, un temps euphoriques face à leur enrichissement (virtuel !) par les dividendes de stock options gétions généreusement octroyées et qui ne comptaient plus leurs heures de travail, ont déchanté. Il est significatif que les syndicats, qui délaissaient cette main d'oeuvre jusqu'à maintenant, arrivent en force sur le secteur. Non pas que le syndicalisme soit soudain devenu un défenseur des travailleurs (10), mais bien plutôt parce qu'il serait dangereux de laisser se développer librement la réflexion parmi des travailleurs brutalement dégrisés
Cette idéologie de la net-économie est une claire illustration de l'impasse de l'économie bourgeoise, du déclin historique des rapports de production capitalistes. Dans cette idéologie le profit devait paraît-il désormais être tiré du développement du commerce et non plus directement de la production. Le marchand devait en quelque sorte prendre le pas sur le producteur. Mais qu'est-ce que cette idéologie sinon l'aspiration au retour à un capitalisme de marchands tel qu'il existait à la fin du... Moyen âge. A l'époque le capitalisme commençait à se développer par l'essor du commerce, lequel allait briser les entraves des rapports de production féodaux qui eeacute;odaux qui enfermaient les forces productives dans le carcan du servage. Aujourd'hui, et depuis plus d'un siècle déjà, le marché mondial est entièrement conquis par le capitalisme et le commerce mondial engorgé par une surproduction généralisée qui ne parvient pas à trouver de débouchés suffisants. Le salut du capitalisme ne viendra pas d'un nouvel essor du commerce qui est complètement impossible dans les conditions historiques de l'époque actuelle.
Nous n'avons considéré dans cet article que la net-économie, parce que son effondrement au cours de l'année 2000 a été l'aspect le plus médiatisé de la crise économique capitaliste. Mais, comme poursuit le magazine cité plus haut, “les suppressions d'emplois sont allées bien au delà de la planète "pointcom". Il y a eu plus de 480 000 licenciements en novembre. General Motors licencie 15 000 ouvriers avec la fermeture d'Oldsmobile. Whirlpool réduit ses effectifs de 6300 ouvriers, Aetna en fait partir 5000.” (11) En effet l'année 2001 s'ouvre avec une accélération considérable de la crise. Aux Etats-Unis des mesures d'u-Unis des mesures d'urgence ont été prises par A. Greenspan, le patron de la Réserve fédérale, pour essayer de conjurer le spectre de la récession. La “nouvelle économie” a fait long feu et la crise de la “vieille économie” se poursuit inexorablement. Endettement colossal à tous les niveaux, attaques toujours plus fortes des conditions de vie du prolétariat à l'échelle internationale, incapacité d'intégrer dans les rapports de production capitalistes des masses croissantes de sans-travail, etc., telles sont les conséquences fondamentales de l'économie capitaliste. Les Etats, les banques centrales, les Bourses, le FMI, en général toutes les institutions financières et bancaires et tous les “acteurs” de la politique mondiale s'efforcent de réguler le fonctionnement chaotique de cette “économie de casino” (12), mais les faits sont têtus et les lois du capitalisme finissent toujours par s'imposer.
Tout comme dans le domaine économique où les différents discours servent surtout à masquer le déclin historique du capitalisme et la profondeur de la crise, dans le domaine de l'impérialisme les discoursrialisme les discours sur la paix servent à cacher un chaos grandissant et des antagonismes démultipliés à tous les niveaux. La situation actuelle au Moyen Orient en est un claire illustration
La paix dans l'impasseau Moyen-OrientLorsque cette Revue internationale paraîtra, le plan que Clinton essayait de faire passer à tout prix avant de quitter les affaires sera resté lettre morte comme c'était prévisible.
Les protagonistes de ce “processus de paix” ne savent pas vraiment eux-mêmes comment faire face à la situation. Chacun essaie de défendre au mieux ses positions sans qu'aucune des parties soit capable de proposer une issue stable et viable à l'imbroglio que constitue la situation de guerre endémique qui perdure dans cette région du monde. L'Etat d'Israel est bien décidé à lâcher le moins possible de ses prérogatives et l'Autorité palestinienne sous la houlette d'Arafat ne peut accepter quoi que ce soit qui apparaîtrait comme une capitulation de ses ambitions.
L'Etat d'Israel défend une position de force acquise depuis sa fondation en 1947, au travers de plusieurs guerres contre les Etats arabes voisins (Jordanie, Syrie, Liban(Jordanie, Syrie, Liban et Egypte), avec le soutien indéfectible des Etats-Unis. Bastion de la résistance du bloc impérialiste occidental à l'offensive menée depuis les années 1950 par le bloc impérialiste russe, via les Etats arabes qui s'inféodèrent à l'URSS, l'Etat d'Israel s'est forgé un place de gendarme de cette région du monde qu'il n'est pas prêt de se laisser contester.
Mais depuis l'effondrement du bloc impérialiste russe il y a dix ans, la situation a évolué. Les Etats-Unis ont réorienté leur politique au Moyen-Orient. La guerre du Golfe en 1991 avait pour objectif d'imposer la reconnaissance du statut de superpuissance mondiale des Etats-Unis face aux velléités des alliés du bloc occidental comme la Grande-Bretagne, la France, et surtout l'Allemagne, de prendre leurs distances avec leur parrain devenu encombrant. La discipline de bloc n'était désormais plus de mise puisque la menace du bloc adverse avait disparu. Mais la guerre du Golfe avait aussi un second objectif, celui d'imposer la mainmise totale des Etats-Unis sur le Moyen-Orient.
Dans la période du partage du monde en deux grands blocs impérialistes, l'administration amédministration américaine pouvait tolérer que ses alliés tiennent des positions influentes sur la scène impérialiste dans certaines régions du monde. Elle pouvait même déléguer à certains d'entre eux la charge de mener une politique extérieure qui, même si elle manifestait parfois des oppositions aux intérêts américains, était de toute façon contrainte de s'inscrire dans l'orbite du bloc occidental. Au Moyen-Orient, la Grande-Bretagne pouvait ainsi avoir une influence prépondérante au Koweit, la France au Liban et en Syrie, l'Allemagne et la France en Irak, etc. En 1991, la guerre du Golfe donnait le signal de la volonté des Etats-Unis de reprendre en charge totalement par eux-mêmes la “pax americana”. La conférence de Madrid en octobre 1991 puis les négociations d'Oslo à partir du début 1993 allaient déboucher sur la signature de la déclaration de principe israélo-palestinienne à Washington en septembre 1993, sous la seule autorité des Etats-Unis, sans les anciens alliés. En mai 1994, Arafat et Rabin signaient au Caire l’accord d’autonomie Gaza-Jéricho et l'armée israélienne entamait un retrait entamait un retrait pour permettre l'arrivée triomphale de Yasser Arafat à Gaza en juillet 1994.
Mais cette évolution allait provoquer de la part d'une fraction significative de la bourgeoisie israélienne une véritable rupture avec la politique des Etats-Unis, pour la première fois de la courte histoire de ce pays. En novembre 1995 Rabin était assassiné par “un extrémiste”. C'était la période où le Likoud de Netanyahou devait sérieusement entraver les plans de la diplomatie américaine. Les Etats-Unis allaient reprendre la main en mai 1999 par le retour aux affaires du Parti travailliste avec Ehoud Barak comme premier ministre, ce qui devait aboutir à l'accord de Charm el-Cheikh entre Arafat et Barak en septembre 1999. Pourtant, le sommet de Camp David de juillet 2000, supposé constituer le couronnement de la capacité des Etats-Unis à imposer leur paix au Moyen-Orient, capote et s’achève sans accord. Dans cet épisode, la politique de l'un des anciens alliés, la France, constitue ouvertement une tentative de sabotage de la politique des Etats-Unis que ceux-ci dénoncent d'ailleurs ouvertement comme telle. Et, en Israël même, c'est le retour en forcele retour en force de la résistance au “processus de paix” à l'américaine, avec la fameuse visite d’Ariel Sharon, vieux faucon du Likoud, sur l’esplanade des Mosquées en septembre 2000, ce qui va donner le signal de nouveaux affrontements violents qui gagnent rapidement la Cisjordanie et la Bande de Gaza. En octobre 2000, un nouveau sommet de Charm el-Cheikh qui prévoit l’arrêt des violences, la création d’une commission d’enquête et la reprise des négociations, n'aboutit à rien sur le terrain où l’Intifada et la répression continuent.
Aujourd'hui, la situation n'est donc plus la même que celle des guerres ouvertes comme la Guerre des six-jours de 1967 ou la Guerre du Kippour de 1973 quand l'armée israélienne affrontait directement les armées des Etats arabes, au sein desquelles participaient les différents Fronts de libération de la Palestine. Elle n'est pas non plus la même que celle de la guerre de 1982 où Israël avait envahi le Liban et avait encouragé les massacres en masse des réfugiés des camps palestiniens de Sabra et Chatila par les milices chrétiennes, ses alliés (plus de 20 000 victimes en quelques jours)es en quelques jours). Il s'agissait encore d'une situation où dominait avant tout le clivage fondamental entre les grands blocs impérialistes, au delà des oppositions circonstancielles pouvant exister au sein des forces du même bloc. Et même si Yasser Arafat, depuis sa première venue à la tribune des Nations Unies en 1976, essayait de s'attirer les bonnes grâces de la diplomatie américaine, il restait encore et toujours, aux yeux de cette dernière, suspect de connivence avec “l'Empire du mal” - expression du président américain de l'époque, Reagan, pour qualifier l'URSS.
Aujourd'hui, il y a des clivages partout. La bourgeoisie israélienne ne se considère plus indéfectiblement liée à la tutelle des Etats-Unis. Déjà, dès la guerre du Golfe en 1991, une fraction significative de celle-ci, dans l'armée notamment, s'était élevée contre l'interdiction qui avait été faite à Israël de riposter militairement aux tirs de missiles irakiens sur son territoire. Alors que l'armée israélienne était (et est encore) une des plus efficaces et opérationnelles, l'humiliation d'être contrainte à la pate à la passivité et de s'en remettre pour sa défense à l'Etat-major américain avait été une pillule très amère. Ensuite, le “processus de paix” qui met quasiment sur un pied d'égalité israéliens et palestiniens, qui impose le retrait de l'armée israélienne du sud Liban, qui envisage de céder le plateau du Golan, etc., n'est pas du tout du goût de la fraction la plus “radicale” de la bourgeoisie israélienne. Et ce “processus de paix” n'est pas non plus facilement acceptable comme tel pour le parti travailliste de Barak. Même si ce parti est plus proche des Etats-Unis que le Likoud et qu'il a surtout une vision à long terme plus réaliste de la situation du Moyen-Orient, il est le parti de la guerre, celui qui a mené l'armée et les principales campagnes militaires. Il est d'ailleurs celui sous l'autorité duquel se sont le plus développées les fameuses implantations des colons en territoire palestinien ! Contrairement aux idées reçues et aux mystifications, la gauche, le parti travailliste n'est pas plus porté à “la paix” que la droite, le Likoud. S'il existe des nuances, il n'y a pas de divery a pas de divergence fondamentale entre ces deux fractions de la bourgeoisie israélienne. Il y a toujours eu unité nationale dans la guerre comme dans la “paix” (les accords de paix avec l'Egypte avaient été menés par la droite dans les années 1970).
Mais il n'y a pas que l'Etat d'Israel qui soit susceptible d'avoir des velléités de jouer son propre jeu et d'essayer de s'affranchir de la tutelle des Etats-Unis. La Syrie a pu mettre la main sur le Liban moyennant un marchandage de son attitude “neutre” dans la guerre du Golfe en 1991. Pour autant il est exclu, de son point de vue, d'accepter l'annexion du plateau du Golan conquis par Israël en 1967. Là aussi il y a matière à friction. Et au sein même de la bourgeoisie palestinienne, l'organisation du Fatah d'Arafat et les organisations plus radicales sont loin d'être d'accord entre elles. Toute la région, à l'image de la situation mondiale, est en proie à la montée du chacun pour soi. L'influence largement prépondérante de la diplomatie américaine est en fait très superficielle, recouvrant un grand nombre de barils de poudre toujours prêts à exploser dans le contexte de surarmement de tous les rarmement de tous les protagonistes de la région.
Quant aux autres grandes puissances impérialistes, si elles ne peuvent pas ouvertement saboter les initiatives des Etats-Unis sous peine de se voir mises hors jeu, comme c'est le cas actuellement de la diplomatie française, si toutes sont officiellement rentrées dans le rang pour soutenir le “processus de paix”, ceci n'exclut pas qu'en sous-main elles entreprennent des actions visant à faire capoter le plan Clinton, ou tout autre plan de la diplomatie américaine d'ailleurs. Arafat lui-même en appelle parfois à l'implication de l'Union européenne dans les négociations car il aimerait bien ne pas dépendre seulement des Etats-Unis pour sa survie politique. Ceci dit, ce n'est pas avec l'UE qu'il va discuter, mais avec l'Administration américaine.
Dans ce chacun pour soi qui domine aujourd'hui, à part les Etats-Unis qui font tout pour maintenir leur statut de seule superpuissance militaire de la planète et hormis l'Allemagne qui poursuit en arrière-plan une politique impérialiste discrète et masquée pour accroître son influence qui avait été complètement bridée depuis la 2e guerre mondiale pendant la & mondiale pendant la “guerre froide”, aucune autre des grandes puissances ne peut avoir de vision à long terme. Et aucun des Etats moins puissants non plus. Chacun s'efforce de défendre ses intérêts nationaux, de se défendre là où il est attaqué, en particulier en sapant et en semant le désordre dans les positions de l'adversaire. Aucun d'eux n'est capable aujourd'hui de mettre en place une politique constructive et durable. Au Moyen Orient, l'heure n'est pas à la stabilisation de la situation. Même une “paix armée” comme elle a pu perdurer en Europe de l'Est pendant la “guerre froide” n'est plus possible aujourd'hui.
Quant à la possibilité de la création de l'Etat palestinien, l'incommensurable absurdité de la configuration du projet lui-même ferait presque apparaître l'organisation des bantoustans de l'Apartheid en Afrique du sud comme une structure sociale rationnelle ! Il y a les Territoires sous contrôle exclusif de l'Autorité palestinienne : c'est sur la carte quelques grosses taches en Cisjordanie avec la bande de Gaza, mais pas tout entière. Il y a les Territoires sous contrôle mixte, où Israël est responsable de la sénsable de la sécurité : d'autres taches en Cisjordanie seulement. Et le tout se situe dans l'environnement des Territoires de Cisjordanie sous le contrôle exclusif d'Israël, avec des routes spécialisées pour protéger les colonisations israéliennes... Comment peut-on faire croire qu'une telle aberration contienne une once de progrès, un iota de satisfaction des besoins des populations, quelque chose à voir avec un prétendu “droit des peuples à disposer d'eux-mêmes”.
Toute l'histoire de la décadence du capitalisme a déjà montré combien tous les Etats nationaux qui n'avaient pas pu atteindre leur maturité au cours de la phase d'ascendance du mode de production capitaliste n'ont pas pu constituer un cadre économique et politique solide et viable à long terme, comme la Yougoslavie et l'URSS l'ont montré en se délitant. Les Etats hérités de la décolonisation partent en lambeaux en Afrique. La guerre fait rage en Indonésie, au Timor oriental. Le terrorisme sévit au sud de l'Inde au Sri Lanka. La tension est extrême à la frontière indo-pakistanaise, entre la Thaïlande et la Birmanie. En Amérique du sud, la Colom du sud, la Colombie est en proie à une déstabilisation permanente. La guerre est endémique entre Pérou et Equateur. Partout des frontières sont contestées car elles n'ont pas de réelle solidité faute d'avoir pu être vraiment acceptées et reconnues depuis le 19e siècle.
Dans ce contexte, non seulement “la patrie palestinienne ne sera jamais qu'un Etat bourgeois au service de la classe exploiteuse et opprimant ces mêmes masses, avec des flics et des prisons” (13), mais de plus cet Etat ne pourra être qu'une aberration, un Etat-croupion, un symbole non pas de la formation d'une nation mais de la décomposition dont est porteuse la survivance du capitalisme dans la période historique actuelle. Et le partage des souverainetés dans un entrelacement indescriptible de zones, de villes et de villages, de routes, attribués aux uns et aux autres, ce n'est pas un “processus de paix”, c'est un champ de mines pour aujourd'hui et pour demain, où tout peut être porteur de conflit à tout instant. C'est une situation où l'irrationalité du monde actuel est poussée à l'extrême.
oOo
Le 21e siècle commence avec uve;cle commence avec une nouvelle accélération des conséquences dramatiques pour l'humanité de la survivance du mode de production capitaliste. La prospérité promise par la “nouvelle économie” tout comme la paix promise au Moyen Orient ne sont pas au rendez-vous. Elle ne peuvent pas l'être car le capitalisme est un système décadent, un corps malade sous perfusion, qui ne peut entraîner dans sa décomposition actuelle que vers le chaos, la misère et la barbarie.
MG.
1. “Ideas: No, Economics Isn’t King”, F. Zakaria, Newsweek, Janvier 2001.
2. Rosa Luxemburg, L'accumulation du capital, Tome II, “IV. Critique des critiques ou : ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste”, Ed. Maspéro 1967, p.141.
3. En réalité, ils ont pour la plupart des postes “officieux” (en France par exemple : Krivine de la Ligue communiste révolutionnaire, trotskiste, ou Aguiton, fondateur du syndicat “de base” SUD PTT) et même des fonctions de conseillers occultes des administrations de la gaucministrations de la gauche de la bourgeoisie.
4. Le Monde diplomatique, janvier 2001, “Porto Alegre”, I. Ramonet.
5. Groupe d'extrême-gauche extra-parlementaire italien dans les années 1960-70.
6. Time, 10 janvier 2001, “This Time It's Different”.
7. Voir ces dernières années les articles “La nouvelle économie : une nouvelle justification du capitalisme” (n° 102), “La fausse bonne santé du capitalisme” (n° 100), “Le gouffre qui se cache derrière la "croissance ininterrompue"” (n° 99), la série d'articles “Trente ans de crise ouverte du capitalisme” (n° 96, 97 et 98).
8. Newsweek, 18 décembre 2000.
9. The Economist, 9-15 décembre 2000.
10. Voir notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière.
11. Time, ibid.
12. Voir “Une économie de casino”, Revue internationale n° 87.
13. “Ni Israël, ni Palestine, les prolétaires n'ont pas de patrie”, Prise de position publiée dans toute la presse territoriale du CCI, en français dans Révolution internationale n° 307 et Internationalisme n° 269.
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Notes en anglais
1. “2000 was not really the first year of the 21st century. In substantive terms, the 21st century began in 1991 with the fall of Soviet communism, the collapse of the bipolar order and the rise of global capitalism as the uncontested ideology of our age.” (“Ideas: No, Economics Isn’t King”, F.Zakaria, Newsweek, Jan. 2001)
6. “As the new economy has cooled, there has been a steady drumbeat of layoff announcements. More than 36,000 dotcom employees were cut in the second half of last year, including some 10,000 last month.” (Time, January 10, 2001, “This Time It's Different”)
11. “But the firings went well beyond dotcomland. There were more than 480,000 layoffs through November. General Motors is laying off 15,000 workers with the closing of Oldsmobile. Whirlpool is trimming 6,300 workers; Aetna is letting go 5,000.” (Time, idem)
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Le siècle qui commence sera décisif pour l'histoire de l'humanité. Si le capitalisme poursuit sa domination de la planète, la société sera plongée avant 2100 dans la plus totale barbarie, une barbarie à côté de laquelle celle qu'elle a connue au cours du 20e siècle fera figure d'une petite migraine, une barbarie qui la ramènera à l'âge de pierre ou qui carrément la détruira. C'est pourquoi, s'il existe un avenir pour l'espèce humaine, il est entièrement entre les mains du prolétariat mondial dont la révolution peut seule renverser la domination du mode de production capitaliste qui est responsable, du fait de sa crise historique, de toute la barbarie actuelle. Encore faut-il que le prolétariat soit capable dans l'avenir de trouver en lui-même la force qui lui a manqué jusqu'à présent pour accomplir cette tâche.
Dans la première partie de cet article, nous avons tenté de comprendre pourquoi le prolétariat avait échoué dans ses tentatives révolutionnaires du passé, notamment dans la plus grande d'entre elles, celle qui a débuté en 1917 en Russie. Nous avons mis en évidence que, du fait de la terrible défaite subie à l'issue de cette tentative, il avait manqué les autres rendez-vous que lui avait donnés l'histoire : la grande crise du capitalisme au cours des années 1930 et la seconde guerre mondiale. En particulier, nous avons souligné qu'à l'issue de cette dernière "le prolétariat a touché le fond. Ce qu'on lui présente, et qu'il interprète, comme sa grande «victoire», le triomphe de la démocratie contre le fascisme, constitue sa défaite historique la plus totale. Le sentiment de victoire qu'il éprouve, la croyance que cette «victoire» entraîne dans les «vertus sacrées» de la démocratie bourgeoise, cette même démocratie qui l'a conduit dans deux boucheries impérialistes et qui a écrasé sa révolution au début des années 1920, l'euphorie qui le submerge, sont les meilleurs garants de l'ordre capitaliste."
En Europe, c'est-à-dire le principal champ de bataille de la révolution et aussi de la guerre mondiale, la victoire alliée a paralysé pendant quelques années les luttes ouvrières. Si le ventre des prolétaires est vide, leur tête est pleine de l'euphorie de la "victoire". De plus, les politiques de capitalisme d'Etat que mènent tous les gouvernements d'Europe constituent un moyen supplémentaire de mystification de la classe ouvrière. Ces politiques correspondent fondamentalement aux besoins du capitalisme européen dont l'économie a été ravagée par la guerre. Les nationalisations, de même qu'un certain nombre de mesures "sociales" (comme une plus grande prise en charge par l'Etat du système de santé) sont des mesures parfaitement capitalistes. Elles permettent à l'Etat de mieux planifier et coordonner la reconstruction d’un potentiel productif en ruines et en plein chaos. En même temps, elles permettent une gestion plus efficace de la force de travail. Par exemple, les capitalistes ont tout intérêt à disposer d'ouvriers en bonne santé, surtout à un moment où l'on demande à ces derniers un effort de production exceptionnel, avec des conditions de vie des plus précaires et où il existe une pénurie de main-d'oeuvre. Cependant, ces mesures capitalistes sont présentées comme des "victoires ouvrières", non seulement par les partis staliniens dont le programme contient l'étatisation complète de l'économie, mais aussi par les partis sociaux-démocrates et notamment par le parti travailliste en Grande-Bretagne. Cela explique pourquoi, dans tous les pays d'Europe, les partis de Gauche, y compris les partis staliniens, sont présents au gouvernement, soit dans des coalitions avec les partis de la Droite "démocratique" (comme la Démocratie chrétienne en Italie), soit à la tête du gouvernement (en Grande-Bretagne, c'est le travailliste Attlee qui remplace en juillet 1945 le conservateur Churchill au poste de premier ministre, malgré l'immense popularité de ce dernier et les services inestimables qu'il a rendus à la bourgeoisie anglaise).
Mais au bout de deux ans, comme ne sont pas tenues les promesses d'un "avenir meilleur" que les partis "ouvriers", socialistes et staliniens, leur avaient faites pour leur faire accepter les sacrifices les plus insupportables, les ouvriers commencent à mener toute une série de luttes. En France, par exemple, au printemps 1947, la grève dans la plus grande usine du pays, Renault, contraint le parti stalinien (dont le chef Maurice Thorez n'avait cessé auparavant d'appeler les ouvriers de tous les secteurs à "travailler d'abord, revendiquer ensuite") à quitter le gouvernement. Par la suite, ce parti, relayé par le syndicat qu'il contrôle, la CGT, lance toutes une série de grèves pour défouler la colère ouvrière avant qu'elle ne le surprenne, mais aussi et surtout pour faire pression sur les autres secteurs bourgeois pour qu'ils fassent à nouveau appel à ses services dans les ministères. Mais les autres partis bourgeois font la sourde oreille. Ils n'ont aucune crainte quant à la loyauté des staliniens dans la défense du capital national contre la classe ouvrière. Cependant la Guerre froide a commencé et dans les pays d'Europe occidentale les secteurs dominants de la bourgeoisie se sont rangés derrière les Etats-Unis. D'ailleurs, dans tous les autres pays d'Europe où les partis staliniens participaient au gouvernement, soit ils s'accaparent le pouvoir s'ils se trouvent dans la zone d'occupation russe, soit ils en sont chassés s'ils sont établis dans la zone d'occupation occidentale.
A partir de ce moment en Europe de l'ouest, les conditions de vie de la classe ouvrière commencent à connaître une petite amélioration. Cela n'a rien à voir avec une quelconque générosité de la bourgeoisie, évidemment. En réalité, les milliards de dollars du plan Marshall ont commencé à arriver afin d'attacher fermement la bourgeoisie d'Europe de l'Ouest au bloc américain et de saper l'influence des partis staliniens qui, désormais, sont à la tête des luttes ouvrières.
Dans les pays d'Europe de l'Est qui, eux, ne bénéficient pas de la manne américaine puisque les partis staliniens l'ont refusée sur ordre de Moscou, la situation tarde plus longtemps à s'améliorer quelque peu. Cependant, la colère ouvrière ne peut s'y exprimer de la même manière. Dans un premier temps, les ouvriers sont appelés à soutenir les partis communistes qui leur promettent monts et merveilles d'autant plus que ces derniers, non seulement participent aux gouvernements qui se sont mis en place au moment de la "Libération" (comme dans la plupart des pays occidentaux), mais qu'ils prennent la tête de ces gouvernements grâce au soutien de l'"Armée rouge" et qu'ils éliminent les partis "bourgeois". La mystification qu'on présente aux ouvriers est celle de la "construction du socialisme". Cette mystification remporte un certain succès, comme par exemple en Tchécoslovaquie où le "coup de Prague" de février 1948, c'est-à-dire la prise de contrôle du gouvernement par les staliniens, est réalisé avec la sympathie de beaucoup d'ouvriers.
Mais assez rapidement, dans les "démocraties populaires", le principal instrument du contrôle de la classe ouvrière est la force brute et la répression. Ainsi, le soulèvement ouvrier qui se développe en juin 1953 à Berlin Est et dans de nombreuses villes de la zone d'occupation soviétique est écrasé dans le sang par les chars russes ([1] [3]). Et si la colère ouvrière qui commence à se manifester en Pologne par la grande grève de Poznan de juin 1956 est désamorcée par le retour de Gomulka (un dirigeant stalinien exclu du parti en 1949 pour "titisme" et emprisonné de 1951 à 1955) à la tête du pays le 21 octobre 56, le soulèvement des ouvriers hongrois qui débute quelques jours après sera réprimé de façon sauvage par les tanks russes à partir du 4 novembre, faisant 25 000 morts et 160 000 réfugiés. ([2] [4])
Les émeutes ouvrières de 1953 et 1956 dans les pays "socialistes" étaient la preuve évidente que ces pays n'avaient rien "d'ouvrier". Cependant, tous les secteurs de la bourgeoisie vont dans le même sens pour empêcher les prolétaires de tirer les véritables leçons de ces événements.
Dans les pays de l'Est, la propagande "communiste", les références permanentes au "marxisme" et à "l'internationalisme prolétarien" des dirigeants staliniens constituent le meilleur moyen de détourner la colère ouvrière d'une perspective de classe et d'accroître les illusions des prolétaires envers la démocratie bourgeoise et le nationalisme. C'est ainsi que le 17 juin 1953, un immense cortège d'ouvriers de Berlin Est s'est dirigé vers l'ouest de la ville sur la grande avenue "Unter den Linden". L'objectif de ce cortège était de rechercher la solidarité des ouvriers de Berlin Ouest mais il contenait également l'illusion que les autorités occidentales pourraient venir en aide aux ouvriers de l'Est. Ces autorités, après qu'elles aient fermé leur secteur, ont toutefois par la suite, avec le cynisme qui les caractérise, rebaptisé "Unter den Linden" en "avenue du 17 juin". De même, les revendications de juin 1956 des ouvriers polonais, si elles contenaient évidemment des aspects économiques de classe, étaient fortement teintées d'illusions démocratiques et surtout nationalistes et religieuses. C'est pour cela que Gomulka, qui se présentait comme un "patriote" ayant tenu tête à la Russie et qui avait, dès son retour au pouvoir, fait libérer le cardinal Wyszynski (interné dans un monastère depuis septembre 1953) a pu reprendre le contrôle de la situation à la fin de 1956. De même, en Hongrie, l'insurrection ouvrière, si elle est capable de s'organiser en conseils ouvriers, reste fortement marquée par les illusions démocratiques et nationalistes. D'ailleurs, l'insurrection avait fait suite à la répression sanglante d'une manifestation appelée par les étudiants qui revendiquaient l'instauration en Hongrie d'un cours "à la polonaise". De même, les mesures que décide à son retour Imre Nagy (un vieux stalinien limogé de son poste de chef du parti par la tendance "dure" en avril 55) ont pour but d'exploiter ces illusions afin de reprendre les choses en main : constitution d'un gouvernement de coalition et annonce du retrait de la Hongrie du pacte de Varsovie. Mais pour l'URSS, cette dernière mesure est inacceptable et elle décide de faire intervenir ses tanks.
L'intervention des troupes russes constitue évidemment un aliment supplémentaire du nationalisme dans les pays d'Europe de l'Est. En même temps, elle est utilisée abondamment par la propagande des secteurs "démocratiques" et pro-américains de la bourgeoisie des pays d'Europe occidentale alors que les partis staliniens de ces pays utilisent cette même propagande pour présenter l'insurrection des ouvriers de Hongrie comme un mouvement chauvin, voire "fasciste", à la solde de l'impérialisme américain.
Ainsi, tout au long de la "Guerre froide", et même quand celle-ci a laissé place à la "coexistence pacifique" après 1956, la division du monde en deux blocs constitue un instrument de premier ordre de mystification de la classe ouvrière. Dans les années 1930, comme nous l'avons vu dans la première partie de cet article, l'identification du communisme à l'URSS stalinienne avait provoqué une profonde démoralisation de certains secteurs de la classe ouvrière qui ne voulaient pas d'une société "à la soviétique" et qui s'étaient de nouveau tournés vers les partis sociaux-démocrates. En même temps, la majorité des ouvriers qui continuaient à espérer une révolution prolétarienne suivaient les partis staliniens qui se réclamaient de celle-ci dans leur politique de défense de la "Patrie socialiste" et de lutte "antifasciste", ce qui permit de les embrigader dans la seconde guerre mondiale. Dans les années 1950, le même type de politique continue de diviser et désorienter la classe ouvrière. Une partie de celle-ci ne veut plus rien savoir du communisme (identifié à l'URSS) alors que l'autre partie continue de subir la domination idéologique des partis staliniens et de ses syndicats. Ainsi, dès la guerre de Corée, l'affrontement Est-Ouest est mis à profit pour opposer les différents secteurs de la classe ouvrière et embrigader des millions d'ouvriers derrière le camp soviétique au nom de "la lutte contre l'impérialisme". Par exemple, le Parti communiste français et le Mouvement de la Paix qu'il contrôle, organisent le 28 mai 1952 une grande manifestation à Paris contre la venue du général américain Ridgway, commandant des troupes américaines en Corée. Comme Ridgway est accusé (en fait à tort) d'utiliser des armes microbiennes, la manifestation regroupant plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers (principalement des militants du PC) dénonce "Ridgway-la-Peste" et demande la sortie de la France de l'OTAN. Il y a des affrontements très violents avec la police et le numéro 2 du PCF, Jacques Duclos, est arrêté. La détermination du PCF à affronter la police et l'arrestation de son dirigeant "historique" redonnent une image de marque "révolutionnaire" à un parti qui, 5 ans auparavant, occupait les palais et les ministères de la République bourgeoise. A la même période, les guerres coloniales constituent une occasion supplémentaire de détourner les ouvriers de leur terrain de classe au nom, encore une fois, de la "lutte contre l'impérialisme" (et non de la lutte contre le capitalisme) face auquel l'URSS est présentée comme le champion du "droit et de la liberté des peuples".
Ce type de campagnes se poursuivra dans de nombreux pays tout au long des années 1950 et 1960, notamment avec la guerre du Vietnam où les Etats-Unis s'engagent massivement à partir de 1961.
S'il est un pays où la division du monde en deux blocs antagonistes a pesé d'un poids considérable, où la contre-révolution s'est manifestée avec une ampleur toute particulière, c'est bien l'Allemagne. Le prolétariat de ce pays avait constitué pendant plusieurs décennies l'avant-garde du prolétariat mondial. Les ouvriers du monde entier étaient conscients que le sort de la révolution se jouerait en Allemagne. C'est exactement ce qui s'est vérifié entre 1919 et 1923. La défaite du prolétariat de ce pays a déterminé la défaite du prolétariat mondial. Et la terrible contre-révolution qui s'y est abattue par la suite, avec le visage barbare du nazisme, était avec le stalinisme l'expression la plus claire de la contre-révolution qui s'est abattue sur les ouvriers de tous les pays.
Après la seconde guerre mondiale, la division de l'Allemagne en deux, chaque morceau appartenant à un des grands blocs impérialistes, a permis des deux côtés du rideau de fer une destruction massive de la conscience dans les masses ouvrières, faisant du prolétariat allemand, pendant plusieurs décennies, non plus l'avant-garde, mais l'arrière-garde du prolétariat d'Europe sur le plan de la combativité et de la conscience.
Cependant, l'élément essentiel qui paralyse la classe ouvrière tout au long de cette période et permet le maintien de soumission idéologique au capitalisme est la "prospérité" que connaît ce système avec la reconstruction des économies détruites par la guerre.
Entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1960, le capitalisme mondial connaît ce que les économistes et politiciens bourgeois ont appelé les "trente glorieuses" puisqu'ils comptent la période qui va de 1945 à 1975 (année marquée par une très forte récession mondiale), sans compter les difficultés qui s'étaient déjà manifestées en 1967 et 1971.
Nous n'allons pas examiner ici les causes ni de la croissance économique rapide de ces années ni celles de la fin de cette croissance, examen qui a fait l'objet de nombreux articles dans cette Revue internationale ([3] [5]). Ce qu'il est important de signaler c'est que la crise ouverte qui commence à se développer à partir de 1967 (ralentissement de l'économie mondiale, récession en Allemagne, dévaluation de la Livre sterling, montée du chômage) constitue une nouvelle confirmation du marxisme, lequel a toujours: annoncé que le capitalisme était incapable de surmonter définitivement ses contradictions économiques, responsables, en dernier ressort, des convulsions du 20e siècle (et notamment des deux guerres mondiales). Ce qu'il est important de signaler c'est que la crise ouverte qui commence à se développer à partir de 1967 (ralentissement de l'économie mondiale, récession en Allemagne, dévaluation de la livre sterling, montée du chômage) constitue une nouvelle confirmation du marxisme, lequel à toujours :
En ce sens, la soumission idéologique de la classe ouvrière au capitalisme, l'ensemble des mystifications qui ont réussi à maintenir éloignées les masses ouvrières de toute perspective d'une remise en cause du capitalisme ne pouvaient être dépassées qu'avec la fin du "boom" d'après-guerre.
C'est justement ce qui est advenu en 1968.
Fin 1967, alors que tous les idéologues de la bourgeoisie continuaient de célébrer les fastes de l'économie capitaliste, alors que certains, qui pourtant se réclamaient de la révolution et même du marxisme, ne parlaient plus que de la capacité de la société bourgeoise à "intégrer" la classe ouvrière ([6] [8]), alors même que les groupes issus de la Gauche communiste qui s'était dégagée de la 3e Internationale dégénérescente ne voyaient pas la moindre sortie du tunnel, la petite revue Internacionalismo (devenue la publication du CCI au Venezuela) publiait un article intitulé "1968, une nouvelle convulsion du capitalisme commence", qui se concluait ainsi :
"Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients, concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n 'est pas possible de l'arrêter avec des réformes, des dévaluations ni autre type de mesures économiques capitalistes et qu 'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse de développement de la combativité de la classe, qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'Etat bourgeois."
Le seul mais grand mérite de nos camarades qui avaient publié cet article était d'être restés fidèles aux enseignements du marxisme lesquels allaient se vérifier magistralement quelques mois après. En effet, en mai 1968, éclatait en France la plus grande grève de l'histoire, celle où le plus grand nombre d'ouvriers (près de 10 millions) allaient simultanément arrêter le travail.
Un événement d'une telle ampleur était le signe d'un changement fondamental dans la vie de la société : la terrible contre-révolution qui s'était abattue sur la classe ouvrière à la in des années 1920, et qui s'était poursuivie pendant deux décennies après la seconde guerre mondiale, avait pris fin. Et cela s'est confirmé rapidement dans toutes les parties du monde par une série de luttes d'une importance inconnue depuis des décennies :
En même temps que se produisait ce réveil des luttes ouvrières, on pouvait assister à un retour en force de l'idée de la révolution, laquelle était discutée par de nombreux ouvriers en lutte, particulièrement en France et en Italie qui avaient connu les mouvements les plus massifs. De même, ce réveil du prolétariat s'est manifesté par un intérêt accru pour la pensée révolutionnaire, les textes de Marx-Engels et les écrits marxistes, notamment ceux de Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg, mais aussi ceux des militants de la Gauche communiste, comme Bordiga, Gorter et Pannekoek. Cet intérêt s'est concrétisé par le surgissement de toute une série de petits groupes tentant de rejoindre les positions de la Gauche communiste et de s'inspirer de son expérience.
Nous n'allons pas ici faire le tableau de l'évolution des luttes ouvrières depuis 1968 ni des groupes se réclamant de la Gauche communiste. ([7] [9]) En revanche, nous allons essayer de mettre en évidence pour quelles raisons ne s'est pas encore réalisée, trois décennies après, la prévision faite par nos camarades du Venezuela en 1967 : la "lutte sanglante et directe pour la destruction de l Etat bourgeois".
Les obstacles qu'a rencontrés le prolétariat tout au long de ces trente dernières années ont été au fur et à mesure mis en évidence par notre organisation. Aussi la partie qui suit n'est fondamentalement qu'un simple résumé de ce que nous avons dit en d'autres occasions.
La première cause de la longueur du chemin qui conduit aujourd'hui à la révolution communiste est d'ordre objectif. La vague révolutionnaire qui avait démarré en 1917 et s'était étendue par la suite dans de nombreux pays était une réponse à une aggravation soudaine et terrible des conditions de vie de la classe ouvrière : la guerre mondiale. Moins de trois ans avaient suffi pour que le prolétariat, qui était entré dans la guerre "la fleur au fusil", complètement aveuglé par les mensonges bourgeois, commence à ouvrir les yeux et à redresser la tête face à la barbarie à laquelle il était confronté dans les tranchées, à la terrible exploitation qu'il subissait à l'arrière.
La cause objective du développement des luttes ouvrières à partir de 1968 est l'aggravation de la situation économique du capitalisme que sa crise ouverte contraint d'attaquer toujours plus les conditions de vie des travailleurs. Mais contrairement aux années 1930, où la bourgeoisie avait totalement perdu le contrôle de la situation, la crise ouverte actuelle ne se développe pas sur une période de quelques années mais à travers un processus couvrant plusieurs décennies. Ce rythme lent du développement de la crise résulte du fait que la classe dominante a tiré les leçons de son expérience passée et qu'elle a systématiquement mis en oeuvre toute une série de mesures lui permettant de "gérer" la descente dans le gouffre ([8] [10]). Cela ne remet pas en cause le caractère insoluble de la crise capitaliste mais permet à la classe dominante d'étaler dans l'espace et dans le temps les attaques qu'elle porte à la classe ouvrière tout en masquant pendant toute une période, y compris à ses propres yeux, le fait que cette crise n'a pas d'issue.
Le deuxième facteur permettant d'expliquer la longueur du chemin de la révolution pour la classe ouvrière est le déploiement par la classe dominante de toutes une série de manoeuvres politiques destinées à épuiser ses luttes et à contrecarrer sa prise de conscience.
A grands traits on peut ainsi résumer les différentes stratégies de la bourgeoisie depuis 1968 :
La caractéristique la plus marquante de ces mouvements, et qui traduit une prise de conscience en profondeur au sein de la classe ouvrière, est la difficulté croissante des appareils syndicaux classiques à contrôler les luttes, ce qui se traduit par l'utilisation de plus en plus fréquentes d'organes se présentant comme non syndicaux, voire anti-syndicaux (comme les "coordinations" en France et en Italie en 1986-88), mais qui ne sont en réalité que des structures "de base" du syndicalisme.
Tout au long de cette période, la bourgeoisie a déployé une quantité considérable de manoeuvres destinées à contenir la combativité ouvrière et à retarder la prise de conscience du prolétariat. Mais dans cette politique anti ouvrière, elle a été puissamment aidée par le développement d'un phénomène, la décomposition de la société capitaliste résultant du fait que si le surgissement historique du prolétariat à la fin des années 1960 avait empêché la bourgeoisie de donner sa propre réponse à la crise de son système, une nouvelle guerre impérialiste mondiale (comme la crise de 1929 avait débouché sur la seconde boucherie mondiale), il ne pouvait empêcher, tant qu'il n'avait pas renversé le capitalisme lui-même, l'ensemble des caractéristiques de la décadence de ce système de se développer toujours plus :
"Dans ce blocage momentané de la situation mondiale, l'histoire ne s'est pas arrêtée pour autant. Pendant deux décennies, la société a continué de subir l'accumulation de toutes les caractéristiques de la décadence exacerbées par l'enfoncement dans la crise économique alors même que, chaque jour plus, la classe dominante faisait la preuve de son incapacité à surmonter cette dernière. Le seul projet que cette classe puisse proposer à l'ensemble de la société est celui de résister au jour le jour, au coup par coup, et sans espoir de réussite, à l'effondrement irrémédiable du mode de production capitaliste. Privée du moindre projet historique capable de mobiliser ses forces, même le plus suicidaire comme la guerre mondiale, la société capitaliste ne pouvait que s'enfoncer dans le pourrissement sur pied, la décomposition sociale avancée, le désespoir généralisé." ([9] [11])
L'entrée du capitalisme en décadence dans la phase ultime de celle-ci, celle de la décomposition a pesé d'un poids négatif croissant sur la classe ouvrière tout au long des années 1980 :
"Au départ, la décomposition idéologique affecte évidemment en premier lieu la classe capitaliste elle-même et, par contrecoup, les couches petites-bourgeoises, qui n'ont aucune autonomie propre. On peut même dire que celles-ci s'identifient particulièrement bien avec cette décomposition dans la mesure où leur situation spécifique, l'absence de tout avenir, se calque sur la cause majeure de la décomposition idéologique : l'absence de toute perspective immédiate pour l'ensemble de la société. Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l'humanité et, en ce sens, c'est dans ses rangs qu 'il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n'est pas épargné, notamment du fait que la petite bourgeoise qu'il côtoie en est justement le principal véhicule. Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique :
"Un des facteurs aggravants de cette situation est évidemment le fait qu’une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu 'elle n'ait eu l'occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, défaire l'expérience d'une vie collective de classe. En fait, le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s'il n'est pas en soi une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S'il peut en général contribuer à démasquer l'incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd'hui, un puissant facteur de «lumpénisation» de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d'autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. Cette situation s'est traduite, tout au long des années 1980, qui ont connu une montée considérable du chômage, par l'absence de mouvements significatifs ou de tentatives réelles d'organisation de la part des ouvriers sans emploi. Le fait qu'en pleine période de contre-révolution, lors de la crise des années 1930, le prolétariat, notamment aux Etats-Unis, ait pu se donner ces formes de lutte illustre bien, par contraste, le poids des difficultés que représente à l'heure actuelle, en raison de la décomposition, le chômage dans la prise de conscience du prolétariat. " ([10] [12])
Dans ce contexte de difficultés rencontrées par la classe ouvrière dans le développement de sa prise de conscience allait intervenir fin 1989 un événement historique considérable, lui même manifestation de la décomposition du capitalisme, l'effondrement des régimes staliniens d'Europe de l'Est, de ces régimes que tous les secteurs de la bourgeoisie avaient toujours présenté comme "socialistes" :
"Les événements qui agitent à l'heure actuelle les pays dits «socialistes», la disparition de fait du bloc russe, la faillite patente et définitive du stalinisme sur le plan économique, politique et idéologique, constituent le fait historique le plus important depuis la seconde guerre mondiale avec le resurgissement international du prolétariat à la fin des années 1960. Un événement d'une telle ampleur se répercutera, et a déjà commencé à se répercuter, sur la conscience de la classe ouvrière, et cela d'autant plus qu'il concerne une idéologie et un système politique présentés pendant plus d'un demi-siècle par tous les secteurs de la bourgeoisie comme «socialistes» et «ouvriers». Avec le stalinisme, c'est le symbole et le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l'histoire qui disparaissent. Mais cela ne signifie pas que le développement de la conscience du prolétariat mondial en soit facilité pour autant, au contraire. Même dans sa mort, le stalinisme rend un dernier service à la domination capitaliste : en se décomposant, son cadavre continue encore à polluer l'atmosphère que respire le prolétariat. Pour les secteurs dominants de la bourgeoisie, l'effondrement ultime de l'idéologie stalinienne, les mouvements «démocratiques», «libéraux» et nationalistes qui bouleversent les pays de l'Est constituent une occasion en or pour déchaîner et intensifier encore leurs campagnes mystificatrices. L'identification systématiquement établie entre communisme et stalinisme, le mensonge mille fois répété, et encore plus martelé aujourd'hui qu'auparavant, suivant lequel la révolution prolétarienne ne peut conduire qu 'à la faillite, vont trouver avec l'effondrement du stalinisme, et pendant toute une période, un impact accru dans les rangs de la classe ouvrière. C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat, dont on peut dès à présent -notamment avec le retour en force des syndicats- noter les manifestations, qu'il faut s'attendre. Si les attaques incessantes et de plus en plus brutales que le capitalisme ne manquera pas d'asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n'en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avancer dans sa prise de conscience. En particulier, l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats. " ([11] [13])
Cette prévision que nous avions faite en octobre 1989 s'est pleinement vérifiée tout au long des années 1990. Le recul de la conscience au sein de la classe ouvrière s'est manifesté par une perte de confiance en ses propres forces qui a provoqué le recul général de sa combativité dont on peut voir aujourd'hui encore les effets.
En 1989 nous définissions les conditions de la sortie du recul pour la classe ouvrière:
"Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classes, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne. Cela dit, on ne peut en prévoirai 'avance l'ampleur réelle ni la durée. En particulier, le rythme de l'effondrement du capitalisme occidental -dont on peut percevoir à l'heure actuelle une accélération avec la perspective d'une nouvelle récession ouverte- va constituer un facteur déterminant du moment où le prolétariat pourra reprendre sa marche vers la conscience révolutionnaire. En balayant les illusions sur le «redressement» de l'économie mondiale, en mettant à nu le mensonge qui présente le capitalisme «libéral» comme une solution à la faillite du prétendu «socialisme», en dévoilant la faillite historique de l'ensemble du mode de production capitaliste, et non seulement de ses avatars staliniens, l'intensification de la crise capitaliste poussera à terme le prolétariat à se tourner de nouveau vers la perspective d'une autre société, à inscrire de façon croissante ses combats dans cette perspective." ([12] [14])
Et justement, les années 1990 ont été marquées par la capacité de la bourgeoisie mondiale, et particulièrement son principal secteur, celui des Etats-Unis, de ralentir le rythme de la crise et de donner même l'illusion d'une "sortie du tunnel". Une des causes profondes du faible degré de combativité actuel de la classe ouvrière, en même temps que ses difficultés à développer sa confiance en elle et sa conscience réside bien dans les illusions que le capitalisme a réussi à créer sur la "prospérité" de son économie.
Cela dit, il existe un autre élément plus général permettant d'expliquer les difficultés de la politisation actuelle du prolétariat, une politisation lui permettant de comprendre, même de façon embryonnaire, les enjeux des combats qu'il mène afin de les féconder et de les amplifier :
''Pour comprendre toutes les données de la période présente et à venir, il faut également prendre en considération les caractéristiques du prolétariat qui aujourd'hui mène le combat :
Ce sont ces caractéristiques essentielles qui expliquent que le cours historique actuel soit aux affrontements de classe et non à la guerre impérialiste. Cependant ce qui fait la force du prolétariat actuel fait aussi sa faiblesse : du fait même que seules des générations qui n'avaient pas connu la défaite étaient aptes à retrouver le chemin des combats de classe, il existe entre ces générations et celles qui ont mené les derniers combats décisifs dans les années 1920, un fossé énorme que le prolétariat d'aujourd'hui paie au prix fort :
Ces caractéristiques expliquent en particulier le caractère éminemment heurté du cours actuel des luttes ouvrières. Elles permettent de comprendre les moments de manque de confiance en soi d'un prolétariat qui n'a pas conscience de la force qu'il peut constituer face à la bourgeoisie. Elles montrent également la longueur du chemin qui attend le prolétariat, lequel ne pourra faire la révolution que s'il a consciemment intégré les expériences du passé et s'est donné son parti de classe.
Avec le surgissement historique du prolétariat à la fin des années 1960 a été mise à l'ordre du jour la formation de celui-ci mais sans que cela puisse se réaliser du fait :
Ainsi, on peut voir combien est long pour le prolétariat le chemin qui mène à la révolution communiste. Profondeur et longueur de la contre-révolution, disparition presque totale de ses organisations communistes, décomposition du capitalisme, effondrement du stalinisme, capacité de la classe dominante à contrôler la chute de son économie et à semer des illusions sur celle-ci. Il semble que, depuis 30 ans, et même depuis les années 1920, rien n'ait été épargné à la classe ouvrière dans sa progression sur ce chemin.
A la fin de la première partie de cet article, nous avons évoqué les différents rendez-vous avec l'histoire manques par le prolétariat au cours du 20e siècle : la vague révolutionnaire qui a mis fin à la première guerre mondiale et qui s'est achevée par sa défaite, l'effondrement de l'économie mondiale à partir de 1929, la seconde guerre mondiale. On a vu que le prolétariat n'avait pas manqué le rendez-vous que l'histoire lui a donné à partir de la fin des années 1960 mais, en même temps, nous avons pu mesurer la quantité d'obstacles auxquels il s'est affronté depuis et qui ont ralenti d'autant son chemin vers la révolution prolétarienne.
Les révolutionnaires du siècle dernier, à commencer par Marx et Engels, pensaient que la révolution pourrait avoir lieu au cours de leur siècle. Ils s'étaient trompés et ils furent toujours les premiers à reconnaître leur erreur. En réalité, ce n'est qu'au début du 20e siècle que les conditions matérielles de la révolution prolétarienne ont été réunies, ce qui s'est confirmé par la première boucherie impérialiste mondiale. A leur tour, les révolutionnaires du début du 20e siècle pensaient qu'avec la présence de ses conditions objectives, la révolution communiste aurait lieu au cours de leur siècle. Eux aussi s'étaient trompés. Lorsqu'on passe en revue l'ensemble des événements historiques qui ont empêché que la révolution n'ait lieu jusqu'à présent, on peut avoir le sentiment que "le prolétariat n'a pas eu de chance", qu'il a été confronté à une suite de catastrophes et de faits défavorables, bien que non inéluctables pour chacun d'entre eux. C'est vrai que chacun de ces faits n'était pas écrit d'avance et que pour peu de choses, l'histoire aurait pu évoluer autrement. Par exemple, la révolution en Russie aurait pu tout aussi bien être écrasée par les armées blanches ; ce qui aurait évité que ne se développe le stalinisme qui a constitué le plus grand ennemi du prolétariat au cours du 20e siècle, le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l'histoire, dont les effets négatifs continuent à se faire sentir plus de trente ans après qu'elle n'ait pris fin. De même, il n'était pas inéluctable à priori que les alliés remportent la seconde guerre mondiale, relançant pour une très longue période la force de l'idéologie démocratique, qui constitue dans les pays les plus développés un des poisons les plus efficaces contre la conscience communiste du prolétariat. De même, dans une autre configuration de la guerre, le régime stalinien aurait pu ne pas survivre au conflit, ce qui aurait évité que l'antagonisme entre les blocs ne soit présenté comme l'affrontement entre capitalisme et socialisme. Nous n'aurions pas connu alors l'effondrement du bloc "socialiste" dont les conséquences idéologiques néfastes pèsent aujourd'hui d'un poids si fort sur la classe ouvrière.
Cela dit, l'accumulation de tous les obstacles qui se sont présentés face au prolétariat au cours du 20e siècle ne peut être considérée dans sa globalité comme une simple succession de "malchances" mais sont fondamentalement la .manifestation de l'immense difficulté que représente la révolution prolétarienne.
Un aspect de cette difficulté provient de la capacité de la classe bourgeoise à tirer profit des différentes situations qui se présentent à elle, à les retourner systématiquement contre la classe ouvrière. C'est la preuve que cette classe, malgré l'agonie prolongée de son mode de production, malgré la barbarie qu'elle ne peut empêcher de développer un peu partout dans le monde, malgré le pourrissement sur pied de sa société et la décomposition de son idéologie, reste particulièrement vigilante et sait faire preuve de la plus grande intelligence politique lorsqu'il s'agit d'empêcher le prolétariat d'avancer vers la révolution. Une des raisons pour lesquelles les prévisions des révolutionnaires du passé sur l'échéance de la révolution ne se sont pas réalisées est qu'ils ont sous-estimé la force de la classe dirigeante, particulièrement son intelligence politique. Aujourd'hui, les révolutionnaires ne pourront réellement contribuer au combat du prolétariat pour la révolution que s'ils savent reconnaître cette force politique de la bourgeoisie -notamment tout le machiavélisme qu'elle sait déployer quand nécessaire- et que s'ils mettent en garde les ouvriers contre tous les pièges que lui tend la classe ennemie.
Mais il existe une autre raison plus fondamentale encore de l'immense difficulté du prolétariat à parvenir à la révolution. C'est une raison qui était déjà signalée dans le passage si souvent cité du texte de Marx "Le 18 brumaire de Louis Bonaparte" :
"Les révolutions prolétariennes... se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours... reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu 'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !"
Effectivement, une des causes de la très grande difficulté de la grande majorité des ouvriers à se tourner vers la révolution est le vertige qui les saisit lorsqu'ils pensent que la tâche est impossible tellement elle est immense. Effectivement, la tâche qui consiste à renverser la classe la plus puissante que l'histoire ait connue, le système qui a fait connaître à l'humanité un véritable pas de géant dans la production matérielle et la maîtrise de la nature se présente comme presque impossible. Mais ce qui donne le plus le vertige à la classe ouvrière c'est l'immensité de la tâche qui consiste à édifier une société radicalement nouvelle, enfin libérée des maux qui ont accablé la société humaine depuis ses origines, la pénurie, l'exploitation, l'oppression, les guerres.
Lorsque les prisonniers ou les esclaves portaient en permanence des chaînes aux pieds, ils s'habituaient souvent à cette contrainte au point d'avoir le sentiment qu'ils ne pourraient plus marcher sans leurs chaînes et, quelques fois, ils refusaient qu'on leur retire celles-ci. C'est un peu ce qui arrive au prolétariat. Alors qu'il porte en lui la capacité de libérer l'humanité, la confiance lui manque encore pour s'acheminer consciemment vers cet objectif.
Mais le moment approche où "les circonstances elles-mêmes [crieront] : Hic Rhodus, hic salta !". Si elle reste entre les mains de la bourgeoisie, la société humaine ne parviendra pas au prochain siècle, sinon en lambeaux et n'ayant absolument plus rien d'humain. Tant que cet extrême ne sera pas atteint, tant qu'il restera un système capitaliste, même plongé dans la plus profonde des crises, il subsistera nécessairement sa classe exploitée, le prolétariat. Et il subsistera par conséquent la possibilité que celui-ci, aiguillonné par la faillite économique totale du capitalisme, surmonte enfin ses hésitations pour s'attaquer à la tâche immense que l'histoire lui a confiée, la révolution communiste.
Fabienne.
[1] [16] Voir notre article "Allemagne de l'Est: l'insurrection ouvrière de juin 1953" dans la Revue internationale n° 15.
[2] [17] Voir notre article "Lutte de classe en Europe de l'Est (1920-1970)" (dans la Revue internationale n°27).
[3 [18] Voir également notre brochure "La décadence du capitalisme".
[4] [19] "Ainsi, des faits eux-mêmes, il [Marx] tira une vue tout à fait claire de ce que jusque-là il n 'avait fait que déduire, moitié a priori, de matériaux insuffisants : à savoir que la crise commerciale mondiale de 1847 avait été la véritable mère des révolutions de Février [Paris] et de Mars [Vienne et Berlin] et que la prospérité industrielle revenue peu à peu dès le milieu de 1848 et parvenue à son apogée en 1849 et 1850, fut la force vivifiante où la réaction européenne puisa une nouvelle vigueur." (Engels, Préface de 1895 aux "Luttes de classes en France")
[5] [20] "Une nouvelle révolution ne sera possible qu'à la suite d'une nouvelle crise, mais l'une est aussi certaine que l'autre". (Marx, "Les luttes de classes en France")
[6] [21] C'était le cas, notamment, de l'idéologue des révoltes étudiantes des années 1960, Herbert Marcuse, qui considérait que la classe ouvrière ne pouvait plus désormais constituer une force révolutionnaire et que le seul espoir de bouleversement de la société provenait des secteurs marginalisés de celle-ci comme les noirs ou les étudiants aux Etats-Unis ou les paysans pauvres du Tiers-Monde.
[7] [22] Un tel tableau a fait l'objet de nombreux articles de notre Revue internationale. On peut signaler plus particulièrement la partie du rapport sur la lutte de classe du 13e congrès du CCI publiée dans la Revue internationale n° 99.
[8] [23] Voir notre série d'articles "Trente ans de crise ouverte du capitalisme" dans les numéros 96 à 98 de la Revue internationale.
[9] [24] "Révolution communiste ou destruction de l'humanité", Manifeste du 9e congrès du CCI. Sur cette question, voir plus particulièrement notre article : "La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme" dans la Revue internationale n° 62.
[10] [25] Ibid.
[11] [26]"Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est ", Revue internationale n°60.
[12] [27] Ibid.
[13] [28] Résolution sur la situation internationale du 6e congrès du CCI, Revue internationale n° 44.
Pas une organisation internationale de la bourgeoisie, OMC, Banque Mondiale, OCDE, ou FMI, qui n’affiche ses préoccupations de tout mettre en œuvre pour un “ développement durable ” soucieux de l’avenir des prochaines générations. Pas un Etat qui ne proclame son souci de respecter l’environnement. Pas une organisation non gouvernementale (ONG) à vocation écologiste qui n’ait ménagé ses efforts en manifestations, pétitions, mémorandums divers. Pas un journal de la bourgeoisie qui ne se fende d’un article pseudo-scientifique sur le réchauffement global de la planète. Tout ce beau monde, pétri de bonnes intentions – n’en doutons pas ! – s’était donné retait donné rendez-vous à La Haye du 13 au 25 novembre 2000 pour définir les modalités d’application du protocole de Kyoto[1]. Pas moins de 2000 délégués, représentant 180 pays, entourés par 4000 observateurs et journalistes étaient donc sensés nous concocter la recette miracle pour en finir avec les dérèglements climatiques observés. Résultat : rien. Strictement rien. Ou plutôt si : une preuve de plus que pour la bourgeoisie, les considérations de survie de l’humanité passent loin, loin, très loin derrière la défense du capital national.
Il y a dix ans, dans l’article “ écologie : c’est le capitalisme qui pollue la Terre ” de la Revue Internationale n°63, le CCI affirmait : “ le désastre écologique est maintenant une menace tangible pour l’écosystème de la planète lui-même ”. Force est de constater que le capitalisme met cette menace à exécution. Tout au long des années 90, le saccacute;es 90, le saccage de la planète s’est poursuivi à un rythme effréné : déforestation, érosion des sols, pollution toxique de l’air, des nappes phréatiques ou des océans, pillage des ressources naturelles fossiles, disséminations de substances chimiques ou nucléaires, destruction d’espèces animales et végétales, explosion des maladies infectieuses, enfin augmentation continue de la température moyenne à la surface du globe (7 des années les plus chaudes du millénaire se sont produites dans les années 90). Les désastres écologiques sont toujours plus combinés, plus globaux, prenant souvent un caractère irréversible, avec des conséquences à long terme difficilement prévisibles.
Si la bourgeoisie s’est avérée incapable de faire quoi que ce soit pour seulement freiner cette folie destructrice, elle n’est pas pour autant restée les deux pieds dans le même sabot pour ce qui est de cacher sa propre responsabilité derrière une multitude de paravents idéologiques. Il s’agit pour la bourgeoisie de présenter les calamit&eaer les calamités écologiques - quand elle ne peut pas les ignorer purement et simplement ! - en dehors de la sphère des rapports sociaux capitalistes, en dehors de la lutte de classe. De là toutes les fausses alternatives, des mesures gouvernementales aux discours anti-mondialisation des ONG, qui visent à obscurcir la seule perspective possible pour sortir l’humanité de ce cauchemar : le renversement révolutionnaire du mode de production capitaliste par la classe ouvrière.
En effet, pour les révolutionnaires, il est clair que c’est la logique productiviste propre au capitalisme qui est en cause, comme l’a analysé Marx dans le Capital : “ Accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise. Et elle ne s’est pas fait un instant illusion sur les douleurs d’enfantement de la richesse : mais à quoi bon des jérémiades qui ne changent rien aux fatalités historiques ? ” (Livre I – Chap. XXIV). Voilà la logique et le cynisme sans borne du capitalisme : l’accumulation du capitulation du capital et non la satisfaction des besoins humains est le but véritable de la production capitaliste et peu importe alors le sort réservé à la classe ouvrière ou à l’environnement. Avec la saturation globale des marchés, effective depuis 1914, le capitalisme est entré en décadence. C’est à dire que cette accumulation du capital est devenue toujours plus conflictuelle, toujours plus convulsive. Dès lors “ la destruction impitoyable de l’environnement par le capital prend une autre dimension et une autre qualité […] c’est l’époque dans laquelle toutes les nations capitalistes sont obligées de se concurrencer dans un marché mondial sursaturé ; une époque, par conséquent, d’économie de guerre permanente, avec une croissance disproportionnée de l’industrie lourde ; une époque caractérisée par l’irrationnel, le dédoublement inutile de complexes industriels dans chaque unité nationale, […] le surgissement de mégalopoles, […] le développement de types d’agriculture qui n’ont pas été moins dommageable écologiquement que la plupart des types d&art des types d’industrie ” (Revue Internationale n°63). Cette tendance a encore franchi un palier supplémentaire avec la phase terminale de la décadence capitaliste, sa phase de décomposition qui depuis 20 ans caractérise le pourrissement sur pied du système capitaliste dans la mesure ou ni le prolétariat, ni la bourgeoisie n’arrivent à imposer leur solution : respectivement révolution prolétarienne ou guerre généralisée.
Le capitalisme a mis le chaos et la destruction à l’ordre du jour de l’histoire. Les conséquences pour l’environnement sont catastrophiques. C’est ce que nous allons illustrer (très partiellement tant les dégâts sont nombreux) en montrant comment à chaque fois, la bourgeoisie allume des contre-feux idéologiques pour que tous ceux qui se posent légitimement la question de savoir ce qu’il serait possible de faire pour enrayer ce cycle barbare de destruction se fourvoient dans des impasses.
Par son caractère mondial et l’étendue de ses implications, la question du changement climatique est ement climatique est de première importance. Ce n’est pas pour rien que la bourgeoisie en a fait un des axes majeurs de ses campagnes médiatiques. Les pédants peuvent bien prétendre qu’ “ en matière de météorologie et de climatologie, l’homme a décidément la mémoire courte ” (Le Monde 10/09/2000) ou invoquer des peurs millénaristes, une telle attitude, dont ne se départit jamais totalement la bourgeoisie, défend implicitement le statu-quo, une position dominante, le sentiment d’être “ à l’abri ”. Le prolétariat lui ne peut se permettre ce luxe. Physiquement, ce sont toujours les ouvriers et les fractions les plus pauvres de la population mondiale qui sont atteints de plein fouet par les conséquences apocalyptiques des perturbations globales dans le cycle de vie terrestre introduites par l’apprenti sorcier capitaliste.
L’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), en charge de la synthèse des travaux scientifiques sur les changements climatiques, dans son “ rapport pour les décideurs ” du 22 octobre 2000 rappelle les données fondamentalecute;es fondamentales observées, qui toutes traduisent une rupture qualitative dans l’évolution du climat: “ la température moyenne de surface a augmenté de 0,6°C depuis 1860 […]. De nouvelles analyses indiquent que le XXe siècle a probablement connu le réchauffement le plus important de tous les siècles depuis mille ans dans l’hémisphère Nord […] La surface de la couverture neigeuse a diminué d’environ 10% depuis la fin des années 1960 et la période de glaciation des lacs et des rivières a diminué d’environ deux semaines dans l’hémisphère Nord pendant le XXe siècle. […] diminution de l’épaisseur de la glace de 40% en Arctique […] le niveau moyen des mers s’est élevé de 10 cm à 20 cm pendant le XXe siècle […] le rythme d’élévation des mers pendant le XXe siècle a été environ dix fois plus important que pendant les derniers trois mille ans. […] Les précipitations ont augmenté de 0,5 à 1 % par décennie pendant le XXe siècle sur la plupart des continents de moyenne et haute latitudes de l’hémisphère Nord. La pluie a dimiNord. La pluie a diminué sur la plupart des terres intertropicales ”.
Cette fracture est encore plus nette si l’on considère les concentrations des gaz dits à effet de serre[2], puisque “ depuis le début de l’ère industrielle, la composition chimique de la planète a subi une évolution sans précédent ”[3], ce que ne peut nier le rapport de l’IPCC : “ Depuis 1750, la concentration atmosphérique de gaz carbonique (CO2) s’est accrue d’un tiers. La concentration actuelle n’a jamais été dépassée depuis quatre cent vingt mille ans et probablement pas durant les vingt millions d’années passées. […] Le taux de concentration de méthane (CH4) dans l’atmosphère a été multiplié par 2,5 depuis 1750 et continue de s’accroître ”. En fait c’est essentiellement au XXe siècle, particulièrement dans les dernières décennies, et non depunnies, et non depuis 1750 que ces changements ont été observés.
Le simple fait de mettre en parallèle la durée de la décadence du capitalisme avec des périodes de l’ordre de centaines de milliers d’années, voire de millions d’années, est en soi l’acte d’accusation le plus formidable qui puisse être dressé de l’incurie et de l’irresponsabilité démentielle du capitalisme comme mode de production, car c’est un fait incontestable que ces mutations sont le résultat direct de l’activité sauvage et anarchique de l’industrie et de transports à combustions fossiles. Il va sans dire que si dans la même période le capitalisme a considérablement développé ses capacités productrices, la classe ouvrière et la plus grande partie de la population de la planète n’en ont pas récolté les fruits. De ce point de vue, le bilan social et humain de la décadence capitaliste, fait de guerres et de misère, est terriblement plus sombre encore que le bilan “ climatique ” et ne saurait donc aucunement tenir lieu de circonstance atténuante[4].
Par ailleurs, le fait que le rapport de l’IPCC signale que “ les preuves d’une influence humaine sur le climat global sont plus fortes maintenant qu’au moment du deuxième rapport ” de 1995, n’est là que pour dédouaner la bourgeoisie qui n’a eu de cesse de manipuler le discours scientifique tout au long des années 1990 en posant de mauvaises questions. Ainsi, une fois le réchauffement admis (très en retard par rapport aux études scientifiques), la question de la bourgeoisie fut : quelle est la preuve formelle que ce réchauffement est lié à l’activité industrielle et non pas à un cycle naturel ? Sous cette forme directe, il était effectivement difficile de répondre scientifiquement. Par contre ce qui a toujours été particulièrement flagrant, c’est cette rupture qualitative dans l’évolution observée du climat, décrite plus haut, alors même que les tendances cycliques du climat (parfaitement connues et modélisées car pilotées par des paramètress paramètres astronomiques tels que la variation de l’orbite terrestre, de l’inclinaison de l’axe de rotation de la terre, etc.) nous situent dans une période de glaciation relative depuis 1000 ans et pour 5000 ans encore. Et comme si ce n’était pas assez, deux autres paramètres vont également dans le sens du refroidissement : le cycle d’activité solaire et l’augmentation des particules dans l’atmosphère… augmentation due également à la pollution industrielle (mais aussi aux éruptions volcaniques). C’est assez dire l’hypocrisie de la bourgeoisie qui attendait des “ preuves ” ! Maintenant qu’il est difficile de contester l’origine anthropique du réchauffement, la nouvelle question qui occupe les médias bourgeois est : peut on démontrer formellement le lien entre ce réchauffement et les phénomènes extrêmes récemment observés (cyclones Mitch et Eline, tempêtes en France, inondations au Venezuela, en Grande Bretagne, etc.) ? Encore une fois la communauté scientifique est bien en mal de répondre à ce questionnement très peu… scientifique, dont le seul objectif est de distiller l&f est de distiller l’idée que finalement ce réchauffement n’aura pas forcément des conséquences sensibles. Des organismes officiels tels Météo-France s’en sortent par des formules jésuitiques assez délectables: “ il n’est pas démontré que les évènements extrêmes récents soient le signe d’un changement climatique, mais lorsque ce changement climatique sera pleinement perceptible, il est vraisemblable qu’il puisse s’accompagner d’une augmentation des évènements extrêmes ” !
Et d’ici 2100, les changements climatiques à venir sont sidérants, toujours selon l’IPCC : “ l’accroissement moyen de la température de surface est estimé devoir être de 1,5 à 6°C […] cette augmentation serait sans précédent dans les dix mille dernières années ” tandis que l’élévation des mers serait de 0,47 mètre en moyenne, “ ce qui est deux à quatre fois le taux observé pendant le XXe siècle ”. Encore, ces prévisions n’intègrent-elles pas le rythme réel de déforestation (au rythme actuel, toutes les forêts auront disparu dans 600 ans). Aussi terribles et meurtrières que pourraient être les conséquences probables de ces variations climatiques en terme d’inondations, de cyclones dans certaines zones et de sécheresses ailleurs, en terme de pénurie d’eau potable, de disparitions d’espèces animales, etc., pour Dominique Frommel, directeur de recherche à l’INSERM, “ le principal danger n’est pas là. Il se trouve dans la dépendance de l’homme à son environnement. Les migrations, la surconcentration humaine en milieu urbain, la diminution des réserves aquafères, la pollution et la pauvreté ont, de tout temps [mais le capitalisme a particulièrement développé mégalopoles, pauvreté et pollution !], créé des conditions propices à la diffusion des micro-organismes infectieux. Or la capacité reproductrice et infectieuse de nombre d’insectes et rongeurs, vecteurs de parasites ou de virus, est fonction de la température et de l’humidité du milieu. Autrement dit, une hausse de la températ la température, même modeste, donne le feu vert à l’expansion de nombreux agents pathogènes pour l’homme et l’animal. C’est ainsi que des maladies parasitaires – telles que le paludisme, les schistosomiases et la maladie du sommeil – ou des infections virales comme la dengue, certaines encéphalites et fièvres hémorragiques – ont gagné du terrain ces dernières années. Soit elles ont fait leur réapparition dans des secteurs où elles avaient disparu, soit elles touchent à présent des régions jusque là épargnées. […] Les projections pour l’an 2050 montrent que le paludisme menacera 3 milliards d’êtres humains. […] De la même façon, le nombre des maladies transmises par l’eau se multiplie. Le réchauffement des eaux douces favorise la prolifération des bactéries. Celui des eaux salines – en particulier quand elles sont enrichies d’effluents humains – permet aux phytoplanctons, véritables viviers de bacilles cholériques, de se reproduire à une cadence accélérée. Pratiquement disparu d’Amérique latine à partir de 1960, le choléra a fait 1 368 05te;ra a fait 1 368 053 victimes entre 1991 et 1996. Parallèlement de nouvelles infections surgissent ou débordent bien au-delà des niches écologiques où elles restaient jusque-là confinées. […] la médecine reste désarmée, malgré ses progrès, devant l’explosion de maintes pathologies inattendues. L’épidémiologie des maladies infectieuses […] pourrait prendre au XXIème siècle de nouveaux visages, notamment avec l’expansion des zoonoses, ces infections transmissibles de l’animal vertébré à l’homme, et vice versa ” (Manière de Voir n°50 p. 77).
A ce niveau de responsabilité historique, la riposte idéologique de la bourgeoisie a été d’organiser de gigantesques kermesses hyper médiatisées, qui du Sommet de la Terre de Rio (1992) à La Haye en passant par Kyoto et Berlin, veulent nous faire croire que la classe dominante aurait enfin pris conscience des dangers qui menacent la planète. La mystification opère à plusieurs niveaux.
D’abord faire croire qued faire croire que si les objectifs fixés à Kyoto étaient atteints, cela constituerait un premier pas significatif. Hors, non seulement de toute évidence les objectifs ne seront pas atteints, mais même si c’était le cas, le rythme dérisoire fixé ne saurait remettre en cause la tendance actuelle au réchauffement. Toutes les ONG et tous les partis écologistes qui s’inscrivent à fond dans la problématique des discussions sur les modalités d’application du protocole de Kyoto, participent donc de cette mystification. En aucun il ne peut s’agir d’un premier pas en avant, tout au plus un pas de coté.
Deuxièmement, faire croire que si les Etats n’arrivent pas toujours à s’entendre, c’est parce qu’ils auraient une vision différente des moyens de parvenir à l’objectif commun de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En fait, chaque capital national défend ses intérêts bien compris et essaie d’imposer par le biais des négociations des normes de production aussi proches que possible des siennes, de ses capacités technologiques, de son mode d’approvisioode d’approvisionnement énergétique, etc. Par exemple, ni la France ni les USA ne respectent les engagements de Kyoto (depuis 1990 les émissions de gaz carbonique ont été de +11% pour les USA et de +6,5% pour la France), mais quand le président Chirac déclare que “ c’est d’abord vers les Américains que se porte l’espoir d’une limitation efficace des gaz à effet de serre ” (Le Monde 20/11/2000), il faut traduire: dans la guerre commerciale qui nous oppose, nous aimerions bien vous mettre un boulet au pied. Il en est de même pour la mise en place d’un système d’ “ observance ” réclamé par l’Union Européenne pour taxer financièrement ceux qui dépasseraient les quotas de pollution (encore une fois, il n’est pas question d’empêcher la pollution). Autant demander aux USA de financer Airbus et de brider la production de Boeing ! Pour les pays du tiers-monde, c’est encore plus simple : le poids de la crise, de la dette et de la misère, rendent systématiques le pillage des ressources naturelles et le laissez-faire accordé aux grandes compagnies occidentales qui alimente la corruption locale. ruption locale. C’est une réalité indépassable du capitalisme. Dans ce cadre, tout soutient à une mesure plutôt qu’une autre revient à faire le jeu d’un ou plusieurs Etats.
Enfin, dernière mystification, celle si chère aux réformistes de tous poils : l’idée qu’il faut lutter pour un capitalisme propre, respectueux de l’environnement, sans concurrence, un capitalisme imaginaire. Cette sainte croisade se fait au nom de l’anti-mondialisation et adresse ses déchirantes suppliques à l’Etat pour qu’il légifère, taxe, contraigne les multinationales honnies. Mais de la même façon que la législation du travail ne freine en rien l’exploitation capitaliste, le chômage, la misère et surtout n’empêche pas de passer outre cette législation si besoin est, de même toute législation, contrainte fiscale ou autre mesure à prétention écologiste ne pourrait être que quelque chose de parfaitement assimilable par le capitalisme, voire de favorable à la modernisation de l’appareil productif, quand il ne s’agirait pas purement et simplement d’une fmplement d’une forme déguisée de protectionnisme ou de justificatif commode pour des mesures anti-ouvrières (licenciements pour fermeture d’usines polluantes, baisse de salaires pour absorber les coût de mise aux normes, etc.). De ce point de vue les écotaxes (je pollue mais je paye... un peu) et le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre dont le principe est admis, montrent le chemin du réalisme capitaliste en matière de lutte contre la pollution et le réchauffement global !
C’est pour cette raison que les tenants de l’écologie politique et les ONG les plus cohérents en viennent à justifier les mesures à prendre du point de vue de la rentabilité du capital lui-même et il n’est pas rare de les voir investir, à titre consultant, les centres de décision de la bourgeoisie. C’est évident pour les partis “ verts ” qui participent à de nombreux gouvernements (France, Allemagne) mais aussi pour des ONG comme le “ World Conservation Monitoring Centre ”, devenu une antenne des Nations Unies et soutenant que “ les politiques et mesures concernant le chures concernant le changement climatique doivent avoir un rapport efficacité/frais de façon à assurer des bénéfices globaux au coût le plus faible possible ”. Dans le même sens, les pourvoyeurs de l’idéologie anti-mondialisation (concrètement anti-USA) en France, Le Monde Dilomatique, s’offusque de ce que “ l’impact combiné des coûts sociaux du transport automobile – bruit, pollution de l’air, congestion de la circulation, consommation d’espace et manque de sécurité – pourrait représenter jusqu’à 5% du produit national brut (PNB) ” (Manière de Voir n°50 p. 70). Cette conversion au réalisme écologique peut aussi prendre la forme d’une aide effective à l’Etat comme on a pu le voir avec les offres de service de Greenpeace après le naufrage du chimiquier Ievoli-Sun au large des côtes françaises en novembre 2000.
C’est une caractéristique de tous les courants écologistes, ONG ou partis, que de faire de l’Etat capitaliste le garant des intérêts communs. Leur mode d’action se veut donc fondamentalemet donc fondamentalement a-classiste (puisque nous sommes tous concernés) et démocratique (ce sont aussi les champions de la démocratie locale) : c’est la pression populaire, le sursaut citoyen, qui doivent imposer à l’Etat (qu’on imagine sincèrement ému par une telle mobilisation) de prendre des mesures en faveur de l’environnement. Il va sans dire qu’une telle forme de contestation, qui ne remet en cause ni les fondements du mode de production capitaliste ni le pouvoir politique de la classe dominante, est totalement assimilé par la bourgeoisie. Et pour ceux qui n’adhéreraient pas à ces contes de fées, leur démoralisation est encore une victoire de la bourgeoisie.
Nous avons vu qu’il est parfaitement illusoire de penser qu’il existerait des mécanismes intégrés au capitalisme qui permettraient d’en finir avec les désastres écologiques[5] alors que ceux-ci sont le résultat du fonctionnement le plus intime du capitalisme. Ce sont donc les rapports sociaux capitalistes qu’il faut extirper pour établir une sociét&ea société dont la satisfaction des besoins humains, au centre du mode de production, ne se ferait pas aux dépends de l’environnement naturel puisque les deux sont indissociablement liés. Une telle société, le communisme, ne peut être mis en œuvre que par le prolétariat, la seule force sociale ayant développé une conscience et une pratique qui tendent à “ révolutionner le monde existant ”, à “ transformer pratiquement l’état de chose donné ” (Marx, Idéologie Allemande).
Dès son apparition comme théorie révolutionnaire du prolétariat, le marxisme s’est affirmé contre l’idéologie bourgeoise, y compris contre les conceptions matérialistes jusque là les plus avancées, qui ne voyaient dans la nature qu’un objet extérieur à l’homme et non pas une nature historique. La maîtrise de la nature n’a donc jamais signifié pour le prolétariat le saccage de la nature : “ à chaque pas il nous est rappelé, qu’en aucune façon, nous ne régnons sur eacute;gnons sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu’un en dehors de la nature – mais que nous, avec notre chair, notre sang et notre cerveau, appartenons à la nature, existons en son sein, et que toute notre supériorité consiste dans le fait que nous avons l’avantage sur toutes les autres créatures d’être capables d’apprendre ses lois et de les appliquer correctement ” (Engels, Dialectique de la Nature).
Il reste évident que la prise de conscience de la gravité des problèmes écologiques ne peut être en soi un facteur de mobilisation dans les luttes que la classe ouvrière devra mener jusqu’à la révolution communiste, comme nous le disions dans la Revue Internationale n°63 et confirmé par les 10 dernières années: “ la question en tant que telle ne permet pas au prolétariat de s’affirmer comme force sociale distincte. Au contraire […] elle fournit à la bourgeoisie un prétexte idéal pour ses campagnes interclassistes […]. La classe ouvrière ne pourra prendre en charge la question écologique dans sa totalité totalité qu’après avoir pris le pourvoir politique au niveau mondial ”. Mais les aberrations de ce système capitaliste en pleine décomposition touchent aussi directement les prolétaires (santé, alimentation, logement) et à ce titre peuvent ressurgir comme élément de radicalisation dans les luttes économiques à venir.
Quand à tous les éléments étrangers au prolétariat mais sincèrement révoltés par le spectacle affligeant du massacre de la planète, la seule issue constructive à leur indignation est de faire la critique de l’idéologie écologiste, et, comme les y invitait le Manifeste Communiste de se hisser à la compréhension générale de l’histoire de la lutte de classes et de rejoindre le combat du prolétariat dans ses organisations révolutionnaires.
La lutte contre la destruction de l’environnement n’est pas un problème technique, mais politique : plus que jamais le capitalisme est un danger mortel pour l’a survie de l’humanité et plus que jamais l’avenir demais l’avenir de l’humanité est entre les mains du prolétariat. Il ne s’agit nullement d’une vision messianique ou abstraite. C’est une nécessité qui trouve ses racines dans la réalité du mode de production capitaliste. Pour trancher le nœud de l’histoire humaine entre révolution communiste ou plongée dans la barbarie, le prolétariat devra faire vite. Plus le temps passe, plus la décomposition accélérée de la société capitaliste laissera un héritage apocalyptique à gérer par la société communiste.
1Le protocole de Kyoto (décembre 1997) est la pétition de principes des Etats signataires de la convention sur les changements climatiques de Rio de Janeiro (1992), s’engageant à réduire de 5,2% d’ici 2010 les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.
2L’effet de serre est un “ processus [qui] fait jouer un rôle considérable aux gaz minoritaires de l’atmosphère (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, méthane, ozone) : en empêchant le rayonnement infrarouge terrestre de quitter librement la planète, ils maintiennent suffisamment de chaleur près du sol pour rendre la planète habitable (elle aurait autrement une température moyenne de -18°C) ” (Hervé Le Treut, directeur de recherche au Laboratoire de Météorologie Dynamique à Paris - Le Monde 07/08/2000).
3Hervé Le Treut, idem.
4Voir l’article “ Le siècle le plus barbare de l’histoire ” dans la Revue Internationale n°101
5Nous ne pouvons développer faute de place les autres facettes du désastre écologique : désertification et déforestation incontrôlée, disparitions d’espèces animales avec les pertes médicinales potentielles que cela implique (d’ici 2010, 20% des espèces connues auront disparu, dont un tiers des espèces domestiques), empoissonnement permanent à la dioxine, utilisation massive de pesticides toxiques, pénurie d’eau potable (un enfant meurt toutes les 8 secondes de manque d’eau ou d’eau de mauvaise qualité), contamination nucléaire militaire et civile, saccage de régions entières pour l’exploitation pétrolière, épuisement des ressources océaniques, guerres locales, etc. Comme pour le réchauffement global, les “ solutions ” de la bourgeoisie sont de masquer la réalité quand elle peut et dans tous les cas de continuer de l’aggraver.
L'article de Josep Rebull sur "Les Journées de Mai 1937", que nous publions ci-dessous, fait partie d'un travail sérieux et intéressant d'Agustin Guillamon sur la Guerre d'Espagne qu'il nous a communiqué. Ce texte était paru à l'origine dans un bulletin interne de discussion pour le 2e congrès du Comité local de Barcelone du POUM, à la suite des événements de mai 1937. Sa publication actuelle participe de l'indispensable réflexion qui doit se mener aujourd'hui sur la guerre d'Espagne ([1] [32]). Il apporte, en particulier, des éléments de clarification importants sur l'attitude politique du courant anarchiste et du POUM ([2] [33]) durant ces tragiques événements.
Ces Journées de mai 1937 furent, en effet, une nouvelle et dramatique expérience pour la classe ouvrière. Elles ont été aussi une occasion pour les staliniens et les anarchistes "officiels" de développer une politique anti-ouvrière et de montrer qu'ils étaient devenus des défenseurs patentés des intérêts du capitalisme.
Au cours de ces luttes, seuls quelques trotskistes autour de G. Munis ainsi que le groupe anarchiste Les amis de Durruti se sont clairement placés aux côtés des ouvriers de Catalogne.
L'article de J. Rebull montre une grande clairvoyance sur le résultat de ces Journées de mai et sur le cours général de la lutte de classe. Il est de plus à saluer pour le courage politique dont il fait preuve du fait que la position violemment critique qui y est développée contre la direction du POUM est faite "de l'intérieur", par un militant de ce parti.
En effet, Josep Rebull ([3] [34]) fut membre du POUM durant les années 1930. Il est nécessaire ici de rappeler que ce parti s'était créé en 1935 à partir du BOC (Bloc Ouvrier et Paysan) ([4] [35]) de Joaquin
Maurin ([5] [36]) auquel se sont joints des éléments comme Andrès Nin ([6] [37]). Celui-ci avait rompu d'abord avec l'Opposition de Gauche Internationale puis avec Trotsky en 1934. Dans le POUM, Maurin conserva la fonction de secrétaire général puis Nin en devint le secrétaire politique (7). Pendant la guerre d'Espagne, tandis que Maurin croupissait dans les geôles de Franco, Nin participa, en tant que ministre de la justice, au gouvernement de la Generalitat de Catalogne avec la CNT (le syndicat anarchiste) et les partis de la bourgeoisie républicaine et catalaniste comme l'Esquerra Catalana de Lluis Companys et Josep Tarradellas.
Malgré ses désaccords profonds avec la politique du POUM durant la guerre d'Espagne et, bien qu'après celle-ci, il ait opéré un certain rapprochement avec les positions de la Gauche communiste, Josep Rebull n'a jamais été capable de rompre formellement avec ce parti.
Durant cette période historique qui va de la fin des années 1930 au début des années 1940, les énergies révolutionnaires furent particulièrement réduites et isolées de leur classe. Parmi elles, il y avait la Gauche italienne qui a eu, à ce moment-là, l'immense mérite de comprendre quelle était la véritable dynamique de la situation. Ce faisant elle s'est trouvée à contre-courant de toutes les autres tendances politiques révolutionnaires. La Gauche italienne a su se placer dans une
5.Il n'est pas secrétaire général pour bien noter que cette fonction était conservée pour J. Maurin.
vision historique avec une véritable compréhension marxiste de la réalité du rapport de force entre les classes et de son évolution ; elle a su mettre au cœur de son analyse la notion de cours historique. Ainsi elle a pu déterminer que ce dernier n'était plus favorable à la classe ouvrière, qu'il s'était inversé définitivement à la fin des années 1920 et que, depuis lors, la contre-révolution et la marche à la guerre impérialiste généralisée étaient devenues le cadre de la situation politique internationale.
C'est cette vision générale claire qui manque le plus à Rebull et qui fait que son article présente de sérieuses limites politiques. La plus grave d'entre elles consiste à avoir 1 ' illusion que la révolution prolétarienne était possible en Espagne en 1936 et même en 1937. Il défend, en effet, l'idée selon laquelle s'il avait existé une véritable direction révolutionnaire durant les Journées de mai 1937, la situation aurait pu tourner différemment. Mais, au-delà de ces confusions politiques importantes, nous voulons saluer cet article de Josep Rebull et en retenir les nombreux éléments de clarification politique qui vont bien au-delà de la simple compréhension des événements de mai 1937 à Barcelone.
Que devons-nous retenir de cet article ?
- En mai 1937, la bourgeoisie, espagnole et internationale a réussi définitivement à mettre au pas les dernières expressions prolétariennes en Espagne. Après les Journées de mai 1937, la répression est en marche et peut s'abattre sur la classe ouvrière espagnole avant aboutir à la deuxième guerre mondiale. Il montre que les Journées de mai ont été une grave déroute de la classe ouvrière et "un triomphe pour la bourgeoisie pseudo démocratique."
- Il renoue avec une vision historique des flux et des reflux de la lutte de classe. Comme Marx, au moment de la Commune de Paris ([7] [38]), comme Lénine au cours de la Révolution russe ([8] [39]) ou Rosa Luxemburg ([9] [40]) pendant la Révolution allemande, il analyse où en est le moment de la lutte de classe. Il est un des seuls éléments du POUM mais aussi parmi les autres révolutionnaires espagnols à alerter sur l'impérieuse "nécessité de passer dans la clandestin ité après les journées de mai 1937. Cette appréciation, la plus complexe à diagnostiquer pour un révolutionnaire, de : «où en est la lutte de classe ?», est tout à l'honneur des marxistes. Mais, c'est leur rôle et leur fonction de comprendre le rythme de la lutte de classe et de l'exprimer devant leur classe. S'ils ne jouent pas ce rôle, personne ne le fera et, ce faisant, ils ne seraient d'aucune utilité. "
Il critique non seulement le PC espagnol et le PC catalan, le PSUC, mais également la CNT qui se situe en appui du pouvoir républicain dominé par les staliniens et la fraction de "gauche" de la bourgeoisie républicaine. Il écrit sur la direction de la CNT que "le mouvement de mai a démontré le vrai rôle des dirigeants anarcho-syndicalistes. Comme les réformistes de toutes les époques, ils ont été - consciemment ou inconsciemment - les instruments de la classe ennemie dans les rangs ouvriers ".
Il tire des leçons sur la véritable fonction des Fronts populaires : "dans le futur, la classe ouvrière ne peut avoir aucun doute sur la fonction réservée aux fronts populaires dans chaque pays. "
Il donne une marche à suivre dans la nouvelle situation créée par l'échec des Journées de mai. Contrairement au POUM qui voit dans ces événements une victoire de la classe ouvrière, il y voit son échec et, dans ce cadre annonce qu'il faut se préparer, pour survivre, à prendre des mesures de clandestinité.
Roi.
"Les Journées de mai" ([10] [41])
Préalables
Une fois qu'a disparu le second pouvoir dans sa forme organisée, c'est-à-dire une fois qu'ont disparu les organes nés en juillet en opposition au gouvernement bourgeois, la contre-révolution, actuellement représentée par les partis petits-bourgeois et réformistes, s'est attaquée successivement (avec prudence dans un premier temps, de façon agressive ensuite) aux positions révolutionnaires du prolétariat, principalement en Catalogne, région dans laquelle la révolution avait eu le plus d'énergie.
La puissance de la classe ouvrière a été en partie neutralisée par ces attaques ; par la dictature contre-révolutionnaire des dirigeants de l'UGT ([11] [42]) en Catalogne d'un côté, de l'autre par la collaboration de la CNT aux gouvernements de Valence et de Barcelone.
Malgré ce handicap ([12] [43]), le prolétariat s'est progressivement convaincu - se détachant des dirigeants réformistes collaborateurs de la bourgeoisie - que seule son action énergique dans la rue serait en mesure de mettre un terme aux avancées de la contre-révolution. Les affrontements armés qui ont eu lieu dans de multiples endroits de Catalogne pendant le mois d'avril étaient en fait le prélude des événements de mai à Barcelone.
Globalement, la lutte entre la révolution et la contre-révolution se posait (et continue à se poser) dans les termes suivants, en ce qui concerne la Catalogne :
Depuis juillet, les secteurs révolutionnaires CNT-FAI et POUM pouvaient compter sur la majorité des prolétaires en armes, mais les objectifs concrets et une tactique efficace leur ont fait défaut. C'est pour cela que la révolution a perdu l'initiative.
Les secteurs contre-révolutionnaires PSUC-Esquerra, sans pouvoir compter sur une base aussi nombreuse - ils étaient quasi inexistants en juillet-, ont poursuivi dès le début des objectifs bien déterminés et ont eu une tactique conséquente. Pendant que la CNT - force numériquement décisive - s'emmêlait dans le labyrinthe des institutions bourgeoises tout en parlant de noblesse et de loyauté dans les rapports (avec les autres composants de ces institutions, ndt) ses adversaires et collaborateurs ont préparé soigneusement et exécuté par étapes un plan de provocation et de discrédit dont la première phase fut l'élimination du POUM. Tout comme ce dernier, la CNT s'est mise sur la défensive face à ces attaques, d'abord feutrées puis ouvertes. Ils ont donc permis à la contre-révolution de prendre l'offensive.
C'est dans ce contexte que se déroulèrent les événements de mai.
La lutte
La lutte qui commença le [lundi] 3 mai fut provoquée, épisodiquement, par les forces réactionnaires du PSUC-Esquerra, qui tentèrent d'occuper le central téléphonique de Barcelone. La fraction la plus révolutionnaire du prolétariat répondit à la provocation en s'emparant de la rue et en s'y fortifiant. La grève s'étendit comme une traînée de poudre et avec une ampleur absolue.
Bien qu'il soit né décapité, ce mouvement ne peut en aucune façon être qualifié de "putsch". On peut affirmer que toutes les armes aux mains de la classe ouvrière furent présentes sur les barricades. Pendant les premiers jours, le mouvement recueillit la sympathie de la classe ouvrière en général - nous en prenons pour preuve l'amplitude, la rapidité et l'unanimité de la grève - qui plongea la classe moyenne, sous l'influence naturellement de la terreur, dans une attitude de neutralité expectative.
Les ouvriers engagèrent toute leur combativité et tout leur enthousiasme, jusqu'au moment où ils durent constater l'absence de coordination et d'objectif final au mouvement, et nombreux furent les secteurs combatifs qui furent alors envahis par le doute et la démoralisation. Seuls ces facteurs psychologiques peuvent expliquer que ces mêmes ouvriers interrompent leur avancée, contre les ordres de leurs dirigeants, sur le Palais de la Generalitat alors qu'ils n'en étaient qu'à quelques mètres.
Du côté du gouvernement se rangeaient une partie des forces de l'Ordre public, les staliniens, Estât Català, Esquerra, ces dernières étant pour le moins très peu combatives. Quelques compagnies de l'Ordre public se déclarèrent neutres, refusant de réprimer les ouvriers, et d'autres se laissèrent désarmer. Les Patrouilles de contrôle se rangèrent dans leur écrasante majorité du côté des ouvriers.
Les organisations révolutionnaires ne créèrent aucun centre directeur et coordinateur. Malgré cela, la ville fut à ce point entre les mains du prolétariat que les liens purent se créer parfaitement dès le mardi entre les foyers ouvriers. Très peu d'entre eux restèrent isolés ; il aurait suffi d'une offensive concentrée sur les centres officiels pour que la ville tombe complètement sans grand effort entre les mains des ouvriers ([13] [44]).
En général, la lutte se maintint dans l'expectative des deux côtés. Les forces du gouvernement parce qu'elles ne disposaient pas des effectifs nécessaires pour prendre l'initiative, les forces ouvrières parce qu'elles n'avaient ni direction ni objectif.
Des forces extérieures pouvaient à tout moment venir s'incorporer au combat, comme les forces présentes sur le front qui étaient disposées à revenir sur la capitale - certaines forces des secteurs révolutionnaires avaient coupé la route à la division Karl Marx -, et les troupes qu'envoyait le gouvernement de Valence, qui n'étaient pas très certaines d'arriver. Dès le mercredi, plusieurs navires français et anglais se positionnaient face au port de Barcelone, probablement disposés à intervenir.
Les forces prolétariennes dominèrent la rue durant quatre jours et demi : du lundi après-midi jusqu'au vendredi. Les organes de la CNT attribuèrent au mouvement la durée d'un seul jour - le mardi. Les organes du POUM lui en attribuèrent trois. En d'autres termes, chacun a considéré terminé le mouvement à partir du moment où il a donné l'ordre de repli. Mais en réalité, les ouvriers se retirèrent BIEN APRES les ordres, parce qu'il n'y avait aucune direction capable d'orienter un repli progressif et, surtout, à cause de la trahison des dirigeants confédéraux (la CNT - Confédération nationale du travail, ndt) ; les uns, par des déclarations pathétiques à la radio ; les autres en collaborant avec Companys, selon ses propres déclarations : «Le gouvernement disposait de peu de moyens de défense, très peu, et ce n 'était pas faute de l'avoir prévu, mais il ne pouvait pas y remédier. Malgré cela, il a contenu la subversion sans hésiter, avec ses seules forces, assisté par la ferveur populaire et en ayant des conversations à la Generalidad avec divers délégués syndicaux, en présence de quelques délégués de Valencia, préparant le retour à la normale» (Hoja Oficial, 17 mai).
Telle fut donc, à grands traits, l'insurrection de mai.
Les dirigeants de la CNT
Le prolétariat se lança dans ce mouvement instinctivement, spontanément, sans une direction ferme, sans objectif positif concret pour avancer de façon décidée. La CNT-FAI, en n'expliquant pas clairement à la classe ouvrière la signification des événements d'avril, laissa le mouvement sans tête dès sa naissance.
Tous les dirigeants confédéraux n'étaient pas contre le mouvement dès le début. Les Comités de la localité de Barcelone non seulement l'appuyèrent mais ils tentèrent même de l'organiser d'un point de vue militaire. Mais ceci ne pouvait se faire sans avoir défini préalablement les objectifs politiques à réaliser. Les doutes et les hésitations de ces comités se concrétisèrent dans la pratique par une série d'instructions ambiguës et équivoques, moyen terme entre la volonté de la base et la capitulation des comités supérieurs.
Ce sont ces derniers, Comités national et régional, qui prirent une décision ferme : la retraite. Cette retraite, ordonnée sans conditions, sans obtenir le contrôle de l'ordre public, sans la garantie des bataillons de sécurité, sans organismes pratiques de front ouvrier, et sans explication convaincante à la classe ouvrière, mettant dans le même sac tous les éléments en lutte (révolutionnaires et contre-révolutionnaires), restera comme une des grandes capitulations face à la bourgeoisie et comme une trahison du mouvement ouvrier.
Dirigeants et dirigés ne tarderont pas à en souffrir les graves conséquences, si la formation du Front ouvrier révolutionnaire ne se concrétise pas ([14] [45]).
La direction du POUM
Fidèle à sa ligne de conduite depuis le 19 juillet, la direction du POUM resta à la remorque des événements. Nos dirigeants se sont inscrits dans le mouvement au fur et à mesure de leur déroulement, sans avoir été partie prenante ni dans le déclenchement du mouvement ni dans sa dynamique ultérieure. On ne peut nommer "orientation" le mot d'ordre de Comité de défense, lancé d'ailleurs en retard et avec une mauvaise diffusion, qui plus est sans dire un mot du rôle antagonique de ces comités face aux gouvernements bourgeois.
D'un point de vue pratique, tout le mérite de l'action revient aux comités inférieurs et de base du Parti. La Direction n'édita pas même un Manifeste, pas même un tract, pour orienter le prolétariat en armes.
Comme ceux qui combattaient sur les barricades, quand nos camarades dirigeants se rendirent compte que le mouvement n'allait concrètement à la recherche d'aucun objectif final, il ordonna la retraite ([15] [46]). Dans le cours des événements, la décision de prendre sa direction dès le début ayant manqué, et face à la capitulation des dirigeants confédéraux, l'ordre de se retirer tendait évidemment à éviter le massacre.
Malgré cette absence d'orientation de la part de nos dirigeants, la réaction les présente comme étant les dirigeants et les initiateurs du mouvement. C'est un honneur tout à fait immérité qu'on leur rend, quoiqu'ils le rejettent en disant que c'est une calomnie ([16] [47]).
Le Front populaire
Pour tous ceux qui voyaient le Front populaire comme le sauveur de la classe ouvrière, ce mouvement est extrêmement riche en leçons. Il fut provoqué précisément par des composantes du Front populaire dans le but de renforcer l'appareil répressif de la bourgeoisie, il reste comme la preuve la plus évidente que le Front populaire est un Front contre-révolutionnaire qui en empêchant l'écrasement du capitalisme - cause du fascisme-prépare le chemin de ce dernier, tout en réprimant par ailleurs toute tentative de mener la révolution en avant.
La CNT, apolitique jusqu'au 19 juillet, est tombée dans le piège du Front populaire dès son entrée dans l'arène politique, cette malheureuse expérience se soldant par de nouvelles saignées dans les rangs prolétariens.
Pour les positions politiques du POUM antérieures au 19 juillet, cette évolution violente du Front populaire constitue une victoire théorique, puisqu'elles l'avaient prévue et prévenue.
Par rapport au stalinisme, il s'est pour la première fois dévoilé être une ennemi déclaré de la révolution prolétarienne, se mettant de l'autre côté de la barricade, luttant contre les ouvriers révolutionnaires en faveur de la bourgeoisie du Front populaire, dont le stalinisme est le fondateur et principal défenseur.
{Dans le} futur, la classe ouvrière ne peut plus avoir le moindre doute sur le rôle des Fronts populaires dans chaque pays.
Le danger d'intervention
La peur qu'avaient certains secteurs de l'intervention armée de l'Angleterre et de la France pendant le mouvement de mai montre une incompréhension du rôle joué à ce moment-là par ces puissances.
L'intervention anglo-française contre la révolution prolétarienne espagnole existe plus ou moins secrètement depuis plusieurs mois. Cette intervention s'exerce dans le contrôle de ces impérialismes sur les gouvernements de Valence et de Barcelone par le stalinisme ; on la retrouve dans la récente lutte au sein du gouvernement de Valence (toujours par l'intermédiaire du stalinisme) qui s'est conclue par l'élimination de Largo Caballero ([17] [48]) et de la CNT ; on la retrouve enfin dans les accords de "non-intervention" qui ne sont appliqués et respectés que lorsqu'il s'agit de défavoriser le prolétariat espagnol. L'intervention ouverte des navires de guerre ou de troupes d'occupation ne ferait que modifier la forme de l'intervention.
Ouverte ou masquée, il faudra vaincre cette intervention ou elle nous vaincra.
A l'instar de toute révolution ouvrière, la notre doit et devra éliminer les exploiteurs nationaux, mais elle devra aussi mener l'inéluctable combat pour empêcher les tentatives interventionnistes du capitalisme international. Il ne peut y avoir de triomphe de la révolution sans affronter et vaincre sur cet aspect de la guerre. Vouloir contourner ce problème revient à renoncer à la victoire, car jamais les impérialistes ne cesseront de leur propre gré de vouloir intervenir dans notre révolution.
Une bonne politique internationale de la part des révolutionnaires espagnols peut réveiller en notre faveur le prolétariat de ces pays qu'on veut mobiliser contre le prolétariat espagnol, et même le faire se retourner contre leur propre gouvernement. C'est l'exemple de la Révolution russe de 1917.
Discussion du mouvement
Le mouvement étant spontané, deux positions essentiellement pouvaient se prendre sur la marche à suivre (nous excluons l'inhibition) :
a) le considérer comme un mouvement de protestation, et dans ce cas il fallait lui donner rapidement un délai à court terme et prendre les mesures en conséquence pour éviter les sacrifices inutiles. En juillet 17, les dirigeants bolcheviques s'étaient efforcés de retenir le mouvement prématuré du prolétariat de la capitale sans pour autant perdre de leur prestige, ayant su justifier leur position.
b) Considérer que le mouvement était décisif pour la prise du pouvoir et dans ce cas le POUM, en tant qu'unique Parti marxiste révolutionnaire, aurait dû prendre la tête du mouvement de façon ferme, résolue et inébranlable, pour le coordonner et le diriger. Dans ce cas, il ne fallait naturellement pas attendre de se retrouver par hasard constitué en état-major de la révolution, il fallait agir rapidement, étendre le front de la lutte, l'étendre à toute la Catalogne, proclamer sans détour que le mouvement était dirigé contre le gouvernement réformiste, clarifier d'entrée que les Comités de défense et leur Comité central devaient se constituer sans atermoiement, les organiser à tout prix pour qu'ils deviennent des organes de pouvoir face au gouvernement de la Generalitat, et attaquer sans délai les endroits stratégiques en profitant des longues heures de désorientation et de panique que connaissaient nos adversaires.
Mais si la crainte qui s'est manifestée dans la direction du POUM à s'affronter aux dirigeants confédéraux dès le début (il était ensuite trop tard) est un cas de renoncement au détriment du Parti, c'est-à-dire contraire aux premières mesures adoptées au début du mouvement et contraire à son indépendance politique, l'excuse possible d'un parti qui n'aurait pas été en conditions d'assumer la direction du mouvement n'est pas moins contraire aux intérêts du Parti, car le POUM ne pourra jamais jouer d'autre rôle que celui de véritable Parti bolchevique, prenant la direction du mouvement et non en déclinant "modestement" l'orientation résolue des mouvements de la classe ouvrière. Il ne suffit pas que le Parti qui se dit "de la révolution" soit aux côtés des travailleurs en lutte, encore doit-il être une avant-garde.
S'il n'avait pas hésité, s'il n'avait pas une fois de plus attendu les positions des éléments "trentistes" de la direction confédérale (le courant ouvertement réformiste de la CNT - ndt), et même en cas de défaite, de répression et d'illégalité, le POUM serait sorti extrêmement renforcé de cette bataille.
Le seul groupe qui tenta de prendre une position d'avant-garde fut celui des Amis de Durruti qui, sans avancer de mots d'ordre totalement marxistes, eut le mérite indiscutable de proclamer qu'il luttait et appelait à lutter contre le gouvernement de la Generalitat.
Les résultats immédiats de cette insurrection ouvrière sont une défaite de plus pour la classe ouvrière et un nouveau triomphe pour la bourgeoisie pseudo démocratique ([18] [49]). Mais une action plus efficace, plus concrète de la direction de notre parti aurait pu avoir pour résultat une victoire au moins partielle des ouvriers. Dans le pire des cas, on aurait pu organiser un Comité central de défense, basé sur les délégations des barricades. Il aurait pour cela suffit de constituer d'abord une assemblée de délégués de chaque barricade du POUM et de quelques barricades de la CNT-FAI pour élire un Comité central provisoire. Ce Comité central, par un court Manifeste, aurait ensuite pu convoquer une deuxième assemblée en invitant des délégations de groupes absents lors de la première, et ainsi créer un organe central de défense. Dans le cas où le repli aurait quand même été estimé nécessaire, il aurait été possible de maintenir ce Comité central de défense comme organe embryonnaire de double pouvoir, c'est-à-dire comme Comité provisoire du Front ouvrier révolutionnaire, qui par sa démocratisation au moyen de la création de Comités de défense sur les lieux de travail et dans les casernes aurait pu poursuivre la lutte bien plus avantageusement qu'à présent contre les gouvernements bourgeois ([19] [50]).
Nous ne pouvons cependant pas exclure une variante infiniment plus favorable. Le Comité central de défense une fois constitué, comme indiqué, peut-être aurait-il été possible de prendre le pouvoir politique. Les forces bourgeoises (démoralisées et encerclées dans le centre de Barcelone) auraient pu être vaincues par une offensive rapide et organisée.
Ce pouvoir prolétarien à Barcelone aurait naturellement eu des répercussions dans toute la Catalogne et dans plusieurs endroits en Espagne. Toutes les forces du capitalisme national et international se seraient démenées pour l'écraser. Sa destruction aurait cependant été inévitable s'il ne s'était immédiatement renforcé par les moyens suivants : a) une volonté sans hésitation du POUM à agir en tant qu'avant-garde marxiste révolutionnaire, capable d'orienter et de diriger le nouveau pouvoir en collaboration avec les autres secteurs actifs de l'insurrection ; b) l'organisation du nouveau pouvoir se basant sur les Conseils ouvriers, de paysans et de combattants ou, ce qui revient au même, sur des Comités de défense constitués démocratiquement et centralisés comme il se doit ; c) l'extension de la Révolution en Espagne, par le biais d'une offensive rapide en Aragon ; d) la solidarité des ouvriers des autres pays. Sans ces conditions, la classe ouvrière catalane n'aurait pu se maintenir longtemps au pouvoir.
Pour mettre un terme à ce chapitre, disons que les hypothèses ici formulées veulent apporter des éléments à la discussion générale que les Journées de mai susciteront longtemps dans le milieu révolutionnaire.
Conclusions
1. La classe ouvrière se trouve toujours dans une situation défensive, dans des conditions pires qu'avant l'insurrection de mai. Elle aurait pu passer à l'offensive en mai, si la trahison et les capitulations n'avaient pas déterminé une défaite partielle qui ne signifie cependant pas [encore] une défaite définitive de la Révolution actuelle. Les ouvriers possèdent davantage d'armes qu'avant les Journées de mai, et s'ils ne se laissent pas entraîner par la provocation à une lutte prématurée, ils pourront dans quelques mois être à nouveau en conditions de prendre l'offensive.
2. Ne pas avoir su prendre le pouvoir en juillet 36 a conduit à une nouvelle insurrection : celle de mai 37. La défaite de celle-ci rend inéluctable une nouvelle lutte armée que nous avons le devoir de préparer. Tant que ne sera pas détruit l'Etat bourgeois, contre lequel nous devons diriger notre lutte révolutionnaire, l'insurrection armée du prolétariat reste toujours une perspective du futur.
3. Le mouvement de mai a démontré le véritable rôle des dirigeants anarcho-syndicalistes. Comme tous les réformistes de toutes les époques, ils ont été -consciemment ou inconsciemment - les instruments de la classe ennemie dans les rangs ouvriers. La Révolution dans notre pays ne peut vaincre qu'à travers la lutte simultanée contre la bourgeoisie et les dirigeants réformistes de tout poil, y compris de la CNT-FAI.
4. On a vu qu'il n'existe pas de vrai parti marxiste d'avant-garde dans notre révolution, et que cet instrument indispensable pour la victoire définitive reste à forger. Le parti de la révolution ne peut avoir une direction hésitante et en permanence dans l'expectative, mais elle doit être fermement convaincue qu'il faut être devant la classe ouvrière, l'orienter, l'impulser, vaincre avec elle ([20] [51]). Il ne peut se déterminer uniquement à travers les faits consommés, mais doit avoir une ligne politique révolutionnaire qui serve de base à son action et empêche les adaptations opportunistes et les capitulations ([21] [52]). Il ne peut baser son action sur l'empirisme et l'improvisation, mais doit au contraire utiliser en sa faveur les principes de la technique et de l'organisation modernes. Il ne peut se permettre les moindres légèretés à sa direction, car elles se répercutent douloureusement amplifiées à la base, semant le germe de l'indiscipline, de l'absence d'abnégation, de la perte de conviction sur le triomphe de la révolution prolétarienne chez les moins forts.
5. Une fois de plus, la nécessité inéluctable d'un Front ouvrier révolutionnaire a été démontrée, qui ne peut se constituer que sur la base d'une lutte à mort à la fois contre la bourgeoisie et son Etat, et contre le fascisme sur les fronts. Si les directions des organisations ouvrières révolutionnaires n'acceptent pas ces bases ([22] [53]) (qui s'opposent certainement à l'action qu'elles ont menée depuis juillet jusqu'à présent), il sera alors nécessaire de les promouvoir par la pression de la base.
6. Aucune des leçons apprises ne pourra être utile si le prolétariat, et en premier lieu le Parti marxiste révolutionnaire, ne se livre pas à un intense travail pratique d'agitation et d'organisation. Même la lutte contre les menaces et les restrictions de la clandestinité exige une activité infatigable si nous ne voulons pas être irrémédiablement écrasés. Le point de vue affirmant que le Parti ne sera pas plongé dans la clandestinité ne peut se comprendre que comme l'expression de l'intention d'une nouvelle adaptation et d'une nouvelle démission devant la lutte révolutionnaire en ce moment, intention peut-être décisive ([23] [54]).
J. Rebull
[1] [55] Cf. le livre en espagnol que le CCI vient de publier Espana 1936 : Franco y la républica masacran a los trabajadores, Valencia, avril 2000, 159 p.
[2] [56] Voir par exemple Histoire du POUM, Victor Alba, Editions Champ Libre, Paris, 1975. Histoire écrite par un ancien membre du POUM.
[3] [57] Cf. : le travail effectué sur J. Rebull, par A. Guillamon dans Balance n° 19 et 20, octobre 2000.
[4] [58] El Bloque Obrero y Campesino est fondé en mars 1931 à Terrassa, ville de la banlieue industrielle de Barcelone.
[5] [59] Né en 1896 à Bonanza (Province de Huesca), il subit 1'influence de la révolution russe et de l'anarcho-syndicalisme. En 1919, il est membre de la CNT, participe au 2e Congrès de la CNT où il rencontre Andrés Nin et avec lui, il se prononce pour 1'adhésion à l'Internationale communiste. Le congrès approuva cette adhésion. Il est ensuite membre du Parti communiste espagnol et un de ses dirigeants jusqu'à son expulsion de ce parti avec la Fédération communiste catalano-baléare en 1930 qui représentait le tiers du parti.
[6] [60] Né en 1892 à Vendrell en Catalogne. Ce dernier possède le même parcours politique que J. Maurin. Puis il devient un des secrétaires de l'Internationale Syndicaliste Rouge à Moscoujusqu'en 1928. Ayant manifesté sa sympathie pour Trotsky il est démis de ses fonctions. Quand il réussit à quitter l'URSS et à rentrer en Espagne en 1930, il participe à l’Opposition de gauche internationale. Après sa rupture avec celle-ci, il fait partie du groupe qui porte le nom de Gauche Communiste. La proposition de fusion de Nin avait été refusée en 1934 par le BOC, elle se réalisa le 29 septembre 1935 et prit le nom de POUM. Nin est assassiné en 193 7 par les agents du NKVD de Staline.
[7] [61] Marx a été capable de saluer la lutte mais aussi de dire qu ' elle était perdue et ne pouvait qu ' aboutir à un échec sanglant du fait de son isolement. Selon Marx, les prolétaires étaient partis "à l'assaut du ciel ".
[8] [62] Au cours des "journées de juillet" 1917, Lénine est capable de dire que le moment n'est pas favorable à la classe ouvrière. Par contre, à partir du mois de septembre, il pousse à la préparation de 1'insurrection.
[9] [63] Dans l'Ordre règne à Berlin elle sait qu'après l'échec de la semaine insurrectionnelle, la bourgeoisie va déchaîner sa répression. Elle ne saura pas en tirer les conclusion sjusqu'au bout ; cette erreur lui coûtera cher car elle sera assassinée comme K. Liebknecht.
1. [10] [64] Il existe deux versions du texte de Josep Rebull. La première fut publiée dans le Bulletin du Comité local du POUM, datée du 29 mai 1937. La seconde fut publiée dans le Bulletin de discussion édité par le Comité de défense du Congrès (du POUM), Paris, 1er juillet 1939. Les passages ajoutés dans ce dernier seront mises entre crochets : [ ]. Les modifications plus importantes seront indiquées par des notes en bas de page. Les rares indications du rapporteur de ce travail d'archives seront placées entre les signes {}
[11] [65] L'UGT est le deuxième syndicat en importance après la CNT anarchiste. Il est sous la direction du PSOE, le parti socialiste espagnol, mais en Catalogne il est contrôlé par le PSUC stalinien.
[12] [66] Dans le texte de 1939, le mot anglais "handicap" est remplacé par le mot espagnol "desventaja" (désavantage).
[13] [67] Note 1 de Rebull, qui fut supprimée dans la version publiée en 1939} La cél. 72 possède un plan de Barcelone avec les barricades et les positions des forces en présence durant la bataille. Son examen s'avère extrêmement intéressant. Il est à la disposition de tous les camarades.
[14] [68] {La différentiation que fait Josep Rebull entre les Comités locaux de Barcelone et les comités supérieurs, national et régional, est à souligner. Au sein de la CNT, à Barcelone, l'organisation informelle des Comités de fabrique et de défense des quartiers était coordonnée par Manuel Escorza. Cf. la coïncidence avec Abel Paz, Viaje alpasado (1936-39) (Voyage danslepassé, 1936-39), Ed. Autor, Barcelone, 1995.}
[15] [69] [«Les travailleurs qui combattaient dans la rue étant dépourvus d'objectifs concrets et d'une direction responsable, le POUM ne pouvait qu'ordonner et organiser une retraite stratégique... » (Résolution du CC sur les Journées de mai, point 3)]. {Cette note n'apparaît pas dans la version de 1937}.
5. [16] [70] [«Unepartie de la presse nationale et étrangère fait les efforts les plus extraordinaires - et ils doivent l'être - pour nous présenter comme les "agents provocateurs " des événements qui se sont déroulés la semaine dernière à Barcelone... Si nous avions donné l'ordre de commencer le mouvement le 3 mai, nous n'aurions aucune raison de le cacher. Nous avons toujours assumé nos paroles et nos actes... Notre Parti ne fit que se joindre à lui - nous l'avons déjà dit à maintes reprises et nous le répétons simplement aujourd'hui. Les travailleurs étaient dans la rue et notre Parti se devait d'être présent aux côtés des travailleurs... » (Editorial de La Batalla, 11 mai 1937, souligné par nous).] {Cette note n'était pas publiée dans la version de 1937}.
[17] [71] Dirigeant socialiste de gauche
[18] [72] {Note ajoutée par Rebull en 1939} :[La direction du POUM comprit tout au contraire que l'ordre de repli donnait la victoire aux ouvriers. L'épilogue de cette "victoire ouvrière" fut la répression sanglante.]
[19] [73] {Cette note existait déjà dans le premier texte publié en 1937} : [Le Comité local de Barcelone travailla dans ce sens dès le mardi, mais il manqua l'enthousiasme de la direction pour aller jusqu'au bout].
[20] [74] {Rebull constate que le POUM n'est pas un parti révolutionnaire, et qu'il ne le sera jamais tant que dominera la stratégie politique de l'actuel CE}.
[21] [75] {Il s'agit là d'une critique directe au CE du POUM].
[22] [76] {Note ajoutée par Rebull en 1939} : [Bases qui font partie des Contre thèses que nous invoquions au début].
[23] [77] {Note ajoutée par Rebull en 193 9} :[Ldirection ne prit en effet pas les mesures nécessaires par rapport au travail illégal et l'organisation clandestine. Malheureusement, comme nous 1 ' avons vu, ces mêmes dirigeants furent les premières victimes de cette erreur.] {C'est le premier avertissement manifesté par un dirigeant poumiste sur l'imminence de la répression contre les révolutionnaires, et donc sur la nécessité urgente de se préparer à la clandestinité, répression qui commença à partir du 16 juin avec la mise hors la loi du POUM, l'arrestation de ses dirigeants, la séquestration et 1 ' assassinat de Nin, la persécution des militants}.
Il y a 80 ans, en mars 1921, 4 ans après la prise du pouvoir par la classe ouvrière lors de la Révolution d'octobre 1917 en Russie, le Parti bolchevik met fin par la force à l'insurrection de la garnison de la flotte de la Baltique à Kronstadt sur la petite île de Kotline dans le Golfe de Finlande à 30 kilomètres de Petrograd.
Le Parti bolchevik avait dû mener durant plusieurs années un combat sanglant dans la guerre civile contre les armées contre-révolutionnaires des bourgeoisies russe et étrangères. Mais la révolte de la garnison de Kronstadt est nouvelle et différente : c'est une révolte au sein même des partisans ouvriers du régime des soviets qui avaient été à l'avant-garde de la Révolution d'octobre. Ceux-ci mettent en avant des revendications en vue de corriger les nombreux abus et les déviations intolérables du nouveau pouvoir.
Depuis lors, l'écrasement violent de cette lutte reste une référence pour comprendre le sens du projet révolutionnaire. C'est encore plus vrai aujourd'hui alors que la bourgeoisie s'évertue à prouver à la classe ouvrière qu'il y a un fil ininterrompu reliant Marx et Lénine à Staline et au goulag.
Notre intention n'est pas de rentrer dans tous les détails historiques. Il y a déjà d'autres articles dans la Revue internationale qui reviennent plus précisément sur l'événement. (Revue internationale n°3, "Les leçons de Kronstadt" et n°100, "1921 : le prolétariat et l'Etat de transition")
Par contre, nous saisirons l'occasion de cet anniversaire pour nous concentrer de manière polémique sur deux types d'arguments concernant la révolte de Kronstadt : d'abord l'utilisation de ces événements par les anarchistes pour prouver la nature autoritaire et contre-révolutionnaire du marxisme et des partis qui agissent en son nom ; ensuite l'idée qui existe toujours dans le camp prolétarien aujourd'hui selon laquelle l'écrasement de la rébellion était une "tragique nécessité" pour défendre les acquis d'Octobre.
La vision anarchiste selon l'historien anarchiste Voline :
"Lénine n'a rien compris - on plutôt n'a rien voulu comprendre - au mouvement de Kronstadt. L'essentiel pour lui et pouzr son parti était de se maintenir au pouvoir, coûte que coûte (...). En tant que marxistes, autoritaires et étatistes, les bolcheviks ne pouvaient admettre la liberté des masses, leur indépendance d'action. Ils n'avaient aucune confiance dans les masses libres. Ils étaient persuadés que la chute de leur dictature signifierait la ruine de toute l'oeuvre entreprise et la mise en péril de la Révolution avec laquelle ils se confondaient (..).
Kronstadt fut la première tentative populaire entièrement indépendante pour se libérer de tout joug et réaliser la Révolution sociale : tenlative faite directement, résolument, hardiment par les masses laborieuses elles-mêmes, sans «bergers politiques», sans «chefs» ni tuteurs. Ce lut le premier pas vers la troisième Révolution sociale. Kronstadt tomba. Mais le devoir fut accompli et ce fut l'essentiel. Dans le labyrinthe compliqué et ténébreux des chemins qui s'offrent aux masses humaines en révolution, Kronstadt est un phare lumineux qui éclaire la bonne route. Peu importe que, dans des circonstances qui furent leurs les révoltés aient encore parlé du pouvoir (des Soviets) au lieu de bannir â tout jamais le mot et l'idée de «pouvoir», au lieu de parler de coordination, d'organisation, d'administration. C'est le dernier tribut paye au passé. Une fois l'entière liberté de discussion, d'organisation et d'action définitivement acquise par les masses laborieuses elles-mêmes, une fois le vrai chemin de l'activité populaire indépendante entrepris, le reste viendra s'enchainer automatiquernent. "(Voline, La Révolution inconnue)
Donc, pour les anarchistes dont Voline exprime brièvement les visions, la répression de la révolte de Kronstadt est naturelle. C'est la conséquence logique des conceptions marxistes des bolcheviks. Le substitutionnisme du parti, l'identification de la dictature du prolétariat à la dictature du parti, la création d'un Etat de transition étaient l'expression d'une grande soif de pouvoir, d'autorité sur les masses à qui les bolcheviks n'accordaient aucune confiance. Selon Voline, le bolchevisme signifie le remplacement d'une forme d'oppression par une autre.
Mais pour lui, Kronstadt n'est pas une simple révolte mais un modèle pour le futur. Si le soviet de Kronstadt s'était limité aux tâches économiques et sociales (coordination, organisation, administration) et avait oublié les tâches politiques (ses propos sur le pouvoir des soviets), il aurait représenté l'image de ce que la vraie révolution sociale devrait être : une société sans leader, sans parti, sans Etat, sans pouvoir d'aucune sorte, une société de liberté immédiate et totale.
Malheureusement pour les anarchistes, la première de leurs leçons coïncide très exactement avec l'idéologie dominante de la bourgeoisie mondiale selon laquelle la révolution communiste ne peut mener qu'à une nouvelle forme de tyrannie.
Cette coïncidence de vues entre les anarchistes et la bourgeoisie n'est pas accidentelle. Les deux mesurent l'histoire selon des abstractions telles que l'égalité, la solidarité et la fraternité, contre la hiérarchie, la tyrannie et la dictature. La bourgeoisie utilise cyniquement et hypocritement ces principes moraux contre la Révolution d'octobre pour justifier la brutalité des forces contrerévolutionnaires entre 1918 e t 1920 quand elle a engagé des interventions armées et appliqué le blocus économique contre la Russie. D'un autre côté, l'alternative concrète au bolchevisme proposée par les anarchistes n'est qu'une utopie naïve dans laquelle les difficultés historiques auxquelles la révolution prolétarienne s'est trouvé et se trouvera confrontée, disparaissent mystérieusement.
Mais, comme les événements d'Espagne en 1936 vont confirmé, après avoir rejeté la conception historique marxiste de la révolution, la naïveté anarchiste est obligée de capituler dans la pratique face à la contre-révolution de la bourgeoisie.
Si les bolcheviks étaient, comme il est dit par Voline, fondamentalement motivés par une passion pour le pouvoir absolu, l'anarchisme est par contre incapable de répondre à toute une série de questions qui émergent de la réalité historique. Si le but ultime des bolcheviks était le pouvoir, pourquoi, contrairement à la majorité de la Social-démocratie, se sont ils condamnés à une période d'ostracisme entre 1914 et 1917 en dénonçant la guerre impérialiste et en appelant à la transformer en guerre civile? Pourquoi, contrairement aux mencheviks et aux socialistesrévolutionnaires, ont-ils refusé de se joindre au gouvernement provisoire avec la bourgeoisie russe libérale après la révolution de février 1917 ([1] [80]) et ont-ils, à la place, mis en avant le mot d'ordre : "tout le pouvoir aux Conseils ouvriers" ?
Pourquoi ont-ils eu confiance dans les capacités de la classe ouvrière russe à commencer la révolution prolétarienne mondiale en octobre, contrairement à la majeure partie de la Social-démocratie internationale qui la considérait comme trop arriérée et trop peu nombreuse pour renverser la bourgeoisie ? Pourquoi au contraire ont-ils fait confiance à la classe ouvrière, gagné et obtenu son appui pour faire tous les sacrifices nécessaires pour survivre au blocus des Alliés et pour résister les armes à la main aux armées contre-révolutionnaires lors de la guerre civile ?
Comment comprendre qu'ils aient pu inspirer la classe ouvrière internationale qui a suivi la voie russe dans ses tentatives révolutionnaires en Europe et dans le reste du monde? Comment le parti bolchevik a-t-il pu être à l'initiative de la création d'une nouvelle internationale, l'Internationale communiste, à l'échelle mondiale ?
Enfin, pourquoi le proccssus d'intégration du parti dans l'appareil d'Etat et l'usurpation du pouvoir ouvrier des organes de masse (les conseils ouvriers et les comités d'usine) et finalement l'utilisation de la force contre la classe ouvrière ne sont-ils pas arrivés du jour au lendemain, mais après une période de plusieurs années ?
La théorie de la «méchanceté» inhérente aux bolcheviks n'explique ni la dégénérescence de la révolution russe en général, ni l'épisode de Kronstadt en particulier.
En 1921, la révolution en Russie et le parti bolchevik qui la dirige sont confrontés à une situation très difficile. L'extension de la révolution en Allemagne et aux autres pays semble beaucoup moins probable qu'elle ne l'était en 1919.
La situation économique mondiale s'est relativement stabilisée et le soulèvement des ouvriers en Allemagne a échoué.
En Russie, malgré la victoire dans la guerre civile, la situation est dramatique du fait des assauts répétés des forces armées contre-révolutionnaires et de l'étranglement du pays organisé sciemment par la bourgeoisie internationale. L'infrastructure industrielle est en ruines et la classe ouvrière a été décimée par les sacrifices qu'elle a consentis sur les champs de bataille de la guerre mondiale puis de la guerre civile, ou parce qu'elle est contrainte de quitter en masse les villes pour la campagne afin de pouvoir survivre.
Les bolcheviks sont aussi aux prises avec l'impopularité croissante du régime, non seulement de la part de la paysannerie qui a déclenché une série d'insurrections dans les provinces, mais surtout dans la classe ouvrière qui a engagé une vague de grèves à Petrograd à la mi-février 1921. C'est alors que surgit Kronstadt.
Comment la Russie pouvait-elle rester un bastion de la révolution mondiale, survivre à la désaffection de la classe ouvrière et à la désintégration économique tout en attendant le soutien révolutionnaire qui tardait de la part de la classe ouvrière des autres pays en particulier des pays européens ?
Les anarchistes n'ont pas d'explication à la dégénérescence de la révolution. Ils ferment les yeux sur le problème de la suprématie politique du prolétariat, de la centralisation de son pouvoir, de l'extension internationale de la révolution et de la période de transition vers la société communiste. Cela n'empêche pas que les bolcheviks ont commis une erreur catastrophique en donnant une réponse militaire à la révolte de Kronstadt et en traitant la résistance de la classe ouvrière à leur égard comme un acte de trahison et contre- révolutionnaire.
Mais le parti bolchevik ne bénéficie pas de la sagesse rétrospective et du recul historique par rapport à l'événement que les révolutionnaires doivent avoir aujourd'hui. Il ne peut s'appuyer que sur les acquis du mouvement ouvrier de l'époque qui n'a jamais dû se confronter auparavant à la tâche immense et difficile de se maintenir au pouvoir dans un monde capitaliste hostile. Le rapport entre les soviets et le parti de la classe ouvrière après la prise du pouvoir victorieuse n'est pas clair, ni non plus le rapport de ces deux organes de la classe ouvrière avec l'Etat de transition qui succède inévitablement à la destruction de l'Etat bourgeois.
En prenant le pouvoir d'Etat et en y incorporant graduellement les conseils ouvriers et les comités d'usine, le parti bolchevik patauge dans l'inconnu. Selon l'opinion dominante de l'époque au sein même du mouvement ouvrier, le danger principal pour la révolution vient de l'extérieur du nouvel appareil d'Etat : de la bourgeoisie internationale, de la bourgeoisie russe en exil et de la paysannerie.
Aucune tendance au sein du mouvement communiste à ce moment, même pas la courant de «gauche», n'a de perspective alternative même si certains révolutionnaires protestent, y compris au sein même du parti bolchevik, contre la bureaucratisation du régime. Mais les orientations de ces révolutionnaires sont limitées et contiennent d'autres dangers. L'Opposition ouvrière de Kollontaï et Chliapnikov appelle les syndicats à défendre les ouvriers contre les excès de l' Etat en oubliant que les conseils ouvriers sont devenus les organes de masse du prolétariat révolutionnaire.
D'autres au sein du parti bolchevik s'opposent à l'écrasement de la révolte : les membres du parti à Kronstadt se joignent au mouvement et des éléments comme Miasnikov vont former, par la suite, le Groupe ouvrier et s'opposent à la solution militaire. Mais les tendances de «gauche» qui existent dans le parti et dans l'Internationale Communiste appuient cependant l'usage de la violencc malgré leurs critiques au régime bolchevik. L'Opposition Ouvrière russe se porte même volontaire pour l'assaut contre Kronstadt. Le Parti conununiste ouvrier allemand, le KAPD, qui est contre la dictature du parti, appuie également l'action militaire contre la rébellion de Kronstadt (cela n'empêche pas certains anarchistes, aujourd'hui, comme ceux de la Fédération anarchiste de Grande Bretagne, de se revendiquer du KAPD et de la présenter comme leur ancêtre).
Finalement les revendications du Conseil ouvrier de Kronstadt, contrairement à l'opinion de Voline, ne fournissent pas non plus une perspective alternative cohérente puisqu'elles se situent principalement dans un contexte immédiat et local et qu'elles ne prennent pas en compte les questions plus larges posées par le bastion prolétarien et la situation mondiale. En particulier, elles ne donnent pas de réponses sur le rôle que le parti d'avant-garde doit avoir ([2] [81]).
Ce n'est que plus tard, bien plus tard, que les révolutionnaires, en essayant de tirer toutes les leçons de la défaite de la révolution russe et de la vague révolutionnaire de 1917-23, pourront pointer les véritables leçons de cet épisode tragique.
"Des circonstances se produisent où un secteur prolétarien - et nous concédons même qu'il ait été la proie inconsciente de manouvres ennemies - passe à la lutte contre l'Etutproléturierz. Contment.faire face à cette situation ? En partant de la question principielle que ce n'est pas par la force et la violence qu'on impose le socialisme au prolétariat. Il valait mieux perdre Kronstadt que de le garder au point de vue géographique alors que substantiellement cette victoire ne pouvait avoir qu'un seul résultat.- celui d'altérer les bases mêmes, la substance de l'action rnenée par le prolétariat. " (Octobre n° 2, mars 1938, organe du Bureau international des Fractions de la Gauche communiste)
La Gauche communiste met le doigt sur le problème essentiel : en utilisant la violence de 1'Etat contre la classe ouvrière, le parti bolchevik fait pénétrer la contre révolution en son sein. La victoire contre Kronstadt accélère la tendance du parti bolchevik à devenir un instrument de l'Etat russe contre la classe ouvrière.
A partir de cette compréhension, la Gauche cornmuniste sera capable de tirer une autre conclusion d'importance. Pour se maintenir comme avant-garde du prolétariat, le parti communiste doit protéger son autonomie vis-à-vis de l'Etat post-révolutionnaire qui reflète la tendance inévitable à la préservation du statu-quo et qui empêche l'avancée du processus révolutionnaire.
La vision bordiguiste
Cependant, au sein de la Gauche communiste d'aujourd'hui, cette conclusion est loin d'être défendue par tous. En fait, une partie de la Gauche, particulièrement le courant bordiguiste, est revenue aux justifications de Lénine et de Trotsky sur la répression de Kronstadt, et cela en complète contradiction avec la position de la Fraction italienne en 1938 :
"Il serait vain de disculer des terribles exigences d'une situation qui ont contraint les bolcheviks a écraser Kronstadt avec quelqu'un qui refuse par principe qu’un pouvoir prolétarien en train de naître ou de se consolider puisse tirer sur des ouvriers. L'examen du terrible problème que l'Etat prolétarien a dû affronter renforce à son tour la critique d'une vision de la révolution à l'eau de rose et permet de comprendre pourquoi l'écrasement de cette rébellion fut, selon le mot de Trotsky : «une tragique nécessité», mais une nécessité et même un devoir. " ("Kronstadt : une tragique nécessité ", Programme communiste n°88, organe théorique du Parti communiste international, mai 1982)
Passant par-dessus la tradition à laquelle il prétend appartenir, le courant bordiguiste peut bien défendre l'internationalisme intransigeant du parti bolchevik, mais il défend aussi avec tout autant de véhémence ses erreurs. Il reste ainsi incapable d'apprendre de toutes les conditions de la dégénérescence du parti et de la révolution ([3] [82]).
Selon ce courant, le rapport du parti à la classe ouvrière et à l'Etat post révolutionnaire dans le processus révolutionnaire ne pose pas de problème de principe mais seulement d'opportunité, de tactique, sur comment dans chaque situation l'avant-garde révolutionnaire assume sa fonction de la meilleure manière :
"Cette lutte titanesque ne peut pas ne pas provoquer au sein même du prolétariat des tensions terribles. En effet, s'il est évident que le parti ne fait pas la révolution et ne dirige pas la dictature contre, ni rnême, sans les masses, la volonté révolutionnaire de la classe ne se manifeste pas par des consultations électorales ou des «sondages» mettant en évidence une «majorité numérique» ou, chose encore plus absurde, une unanimité. Elle s 'exprime par une montée et une orientation toujours plus précise de luttes où les fractions les plus déterminées entraînent les indécis et les hésitants, et balaient s'il le faut les opposant. Au cours des vicissitudes de la guerre civile et de la dictature, les positions et les rapports des différentes couches peuvent changer. Et, loin de reconnaitre en vertu d'on ne sait quelle «démocratie soviétique» le même poids et la même importance à toutes les couches ouvrières, ou petites-bourgeoises, explique Trotsky dans Terrorisme et communisme, leur droit même de participer aux soviets, c'est-à-dire aux organees de l'Etat prolétarien, dépend de leur attitude dans la lutte.
Aucune « règle constitutionnelle», aucun «principe démocratique» ne permet d'harmoniser alors les rapports au sein du prolétariat. Aucune recette ne permet de résoudre les contradictions entre les besoins locaux et les exigences de la révolution internationale, entre les besoins immédiats et les exigences de la lutte historique de la classe, contradictions qui trouvent leur expression dans l'opposition des diverses fractions du prolétariat. Aucun formalisme ne permet de codifier les rapports entre le parti, fraction la plus avancée de la classe et organe de sa lutte révolutionnaire, et les masses qui subissent à des degrès divers la pression des conditions locales et immédiates. Même le meilleur parti, celui qui sait «observer l'état d'esprit de la masse et influer sur lui» comme dit Lénine, doit parfois demander l'impossible aux masses. Plus exactement, il ne trouve la «limite» du possible qu'en essayant d'aller plus loin. " (Ibid.)
En 1921, le parti bolchevik choisit la mauvaise voie sans aucune expérience antérieure et sans paramètre pour s'orienter. Aujourd'hui, de manière absurde, les bordiguistes font des erreurs commises par les bolcheviks une vertu et déclarent qu"`il n’y a pas de principe ". Ils font disparaître le problème de l'exercice du pouvoir prolétarien en présentant les méthodes pour arriver à une position commune de toute la classe ouvrière comme formalistes et abstraites. Même s'il est vrai qu'il n'y a jamais de moyen idéal pour établir un consensus dans une situation extrêmement mouvante, les conseils ouvriers ont montré qu'ils sont les moyens les plus adéquats pour refléter et exprimer la volonté révolutionnaire en évolution du prolétariat comme un tout, même si l'expérience de 1918 en Allemagne et ailleurs montre qu'ils peuvent être vulnérables à la récupération par la bourgeoisie. Même si les bordiguistes ont la générosité d'admettre que le parti ne peut pas faire la révolution sans les masses, pour eux, celles-ci n'ont donc aucun moyen d'exprimer leur volonté révolutionnaire comme classe dans son ensemble sauf à travers le parti et avec la permission du parti. Et le parti peut, si nécessaire, corriger le prolétariat avec des fusils comme à Kronstadt. Selon cette logique, la révolution prolétarienne a deux mots d'ordre contradictoires : avant la révolution "tout le pouvoir aux soviets" ; après la révolution "tout le pouvoir au parti".
A l'opposé de la revue Octobre, les bordiguistes ont oublié que contrairement à la révolution bourgeoise, les tâches de la révolution prolétarienne ne peuvent être déléguées à une minorité. Elles ne peuvent être réalisées que par la majorité consciente. L'émancipation des ouvriers est l'oeuvre de la classe ouvrière elle même.
Les bordiguistes rejettent à la fois la démocratie bourgeoise et la démocratie ouvrière comme s'il s'agissait de la même supercherie. Mais les conseils ouvriers - les moyens par lesquels le prolétariat se mobilise pour le renversement du capitalisme - doivent être les organes de la dictature prolétarienne qui reflètent et régulent les tensions et les différences au sein du prolétariat et qui maintiennent leur pouvoir armé sur l'Etat transitoire. Le parti, indispensable avant-garde, aussi clair et en avance sur le reste du prolétariat qu'il puisse être à tel ou tel moment, ne peut se substituer lui-même à l'ensemble de la classe Ouvrière organisée en conseils ouvriers pour l'exercice de ce pouvoir.
Cependant, après avoir démontré le droit du parti - en pratique sinon "en principe" - de tirer sur les ouvriers, les bordiguistes, comme s'ils reculaient devant l'horreur de cette conclusion, continuent ensuite en déniant de toute façon tout caractère prolétarien à la révolte de Kronstadt. Reprenant une des définitions de Lénine d'alors, Kronstadt est une "contre-révolution petite bourgeoise" qui ouvre la porte à la réaction des gardes blancs.
Il ne fait pas de doute que toutes sortes d'idées confuses et même réactionnaires sont exprimées par les ouvriers de Kronstadt. Certaines apparaissent dans leur plate-forme. Il est aussi vrai que les forces organisées de la contre-révolution essaient d'utiliser la rébellion pour leurs propres fins. Mais les ouvriers de Kronstadt continuent à se considérer en continuité avec la révolution de 1917 et partie intégrante du mouvement prolétarien à l'échelle mondiale :
"Que les travailleurs du monde entier sachent que nous, les défenseurs du Pouvoir des soviets, protégeons les conquètes de la révolution sociale. Nous vaincrons ou nous périrons dans les ruines de Kronstadt, en nous battant pour la juste cause des masses prolétariennes. " (Pravda de Kronstadt)
Quelles que soient les confusions qu'ils expriment, il est absolument indéniable que leurs revendications reflétaient aussi les intérêts du prolétariat face aux terribles conditions d'existence, à l'oppression croissante de la bureaucratie étatique et à la perte de son pouvoir politique avec l'atrophie des conseils. Les tentatives d'alors faites par les bolcheviks pour les stigmatiser comme petits-bourgeois et agents potentiels de la contre-révolution ne sont bien sûr qu'un prétexte pour sortir par la force d'une situation terriblement dangereuse et complexe.
Avec l'avantage du recul historique et du travail théorique de la Gauche communiste, nous pouvons voir l'erreur de basé du raisonnement des bolcheviks : ils écrasent la révolte de Kronstadt et néanmoins, c'est une dictature anti prolétarienne, le stalinisme - pouvoir absolu de la bureaucratie capitaliste - qui finira par massacrer les communistes. En fait, en écrasant les efforts des ouvriers de Kronstadt pour régénérer les conseils, en s'identifiant avec l'Etat les bolcheviks ouvrent la voie au stalinisme sans le savoir. Ils participent à l'accélération du processus contre-révolutionnaire qui allait avoir des conséquences beaucoup plus terribles et tragiques pour la classe ouvrière qu'une restauration des blancs. En Russie, la contre-révolution triomphe en se proclamant elle-même communiste. L'idée que la Russie stalinienne est l'incarnation vivante du socialisme et en continuité directe avec la Révolution d'octobre sème une terrible confusion et une démoralisation incalculable dans les rangs de la classe ouvrière partout dans le monde. Nous vivons encore avec les conséquences de cette distorsion de la réalité, avec l'identification entre la mort du stalinisme et la mort du communisme que fait la bourgeoisie depuis 1959.
Mais les bordiguistes, malgré cette expérience, s'identifient toujours avec l'erreur tragique de 1921. C'est à peine une "tragique" nécessité pour eux mais un devoir communiste qui devra être répété !
Comme les anarchistes, les bordiguistes ne voient aucune contradiction entre le parti bolchevik de 1917 qui dirige mais aussi s'en remet et dépend de la volonté armée du prolétariat révolutionnaire organisé dans les conseils et le parti bolchevik de 1921 qui a vidé les conseils de leur pouvoir antérieur, qui a retourné la violence de l'Etat contre la classe ouvrière. Mais alors que les anarchistes aident la bourgeoisie dans ses campagnes actuelles qui présentent les bolcheviks comme des tyrans machiavéliques, les bordiguistes célèbrent cette image malheureuse comme le point culminant de l'intransigeance révolutionnaire.
Mais une Gauche communiste digne de ce nom, tout en se réclamant de l'héritage bolchevik, doit aussi être capable de critiquer ses erreurs. L'écrasement de la révolte de Kronstadt en est une des plus négatives et dramatiques.
Como.
[1] [83] Révolution qui a vu les masses ouvrières et populaires mettre à bas le tsarisme.
[2] [84] Voir la Revue Internationale n°3 sur la Plateforme de la révolte de Kronstadt.
[3] [85] Le Bureau international pour le parti révolutionnaire, le BIPR, autre branche de la Gauche communiste a une position ambiguë sur Kronstadt. Un article publié dans Revolutionary perspectives n° 23 (1986) réaffirme le caractère prolétarien de la Révolution d'octobre et du parti bolchevik qui la dirigea. Il rejette les idéalisations anarchistes de la révolte de Kronstadt en soulignant que la révolte reflétait des conditions profondément défavorables pour la révolution prolétarienne et qu'elle contenait beaucoup d'éléments confus et réactionnaires. En même temps l'article critique l'idée bordiguiste selon laquelle l'assaut contre Kronstad tétait une nécessité pour préserver la dictature du parti. Il affirme qu'une des leçons essentiel les de Kronstadt est que la dictature du prolétariat doit être exercée par la classe ouvrière elle-même au moyen des conseils ouvriers (les soviets) et non par le parti. L'article montre aussi que les erreurs des bolcheviks concernant le rapport entre le parti et la classe, dans le contexte général d'isolement dcla Révolution russe, ont accéléré la dégénérescence interne à la fois du parti et de l'Etat soviétique. Cependant l'article ne caractérise pas la révolte comme prolétarienne et ne répond pas à la question fondamentale : est-il possible que la dictature prolétarienne utilise la violence contre le mécontentement de la classe ouvrière ? Et qui plus est, il dit que la répression de la révolte était plus que justifiée puisqu'elle était le résultat de manipulations de la contre-révolution - même si cette répression a ouvert un chapitre de lente agonie dans le mouvement ouvrier.
Nous avons salué à plusieurs reprises le surgissement d'éléments et de groupes révolutionnaires en Europe orientale et notamment en Russie. Ce phénomène s'inscrit très nettement dans un cadre international. Sur tous les continents, les groupes politiques prolétariens, qui représentent la tradition de la Gauche communiste, ont établi de nouveaux contacts avec ce type d'éléments durant ces dernières années. Il faut donc y voir une tendance caractéristique de la période présente à l'échelle du moyen terme. Depuis l'effondrement de l'URSS et de son bloc impérialiste, la bourgeoisie n'a cessé de proclamer triomphalement la faillite du communisme et la fin de la lutte de classe. Déjà déboussolée par ces événements, la classe ouvrière ne pouvait que reculer sous les coups de marteau de ces campagnes idéologiques bourgeoises. Mais en dehors des périodes de contre-révolution, une classe historique ne peut que réagir face à des attaques qui remettent profondément en cause son être et sa perspective propre. Si elle ne peut le faire encore par la généralisation de ses luttes revendicatives, alors c'est par le renforcement de son avant-garde politique qu'elle se défend. Les éléments isolés, les cercles de discussion, les noyaux et les petits groupes qu'on a vu apparaître et qui se placent sur le terrain de la perspective révolutionnaire, ne doivent pas chercher leur raison d'être en eux-mêmes ou dans la contingence. Ils sont une sécrétion de la classe ouvrière internationale. C'est dire la responsabilité qui pèse sur leurs épaules. Ils doivent en premier lieu reconnaître le processus historique dont ils sont le produit et mener jusqu'au bout le combat pour la conscience, pour la clarification politique, sans craindre la dureté de la tâche.
Dans les pays à la périphérie des grandes puissances capitalistes, ces petites minorités se heurtent à mille difficultés : la dispersion géographique, les problèmes de langue, la situation d'arriération économique. Aux difficultés matérielles s'ajoutent encore les difficultés politiques résultant de la faiblesse du mouvement ouvrier et du faible ancrage, voire de l'absence, d'une tradition du marxisme révolutionnaire. En Russie, où la contre-révolution stalinienne a été la plus terrible, "au pays du grand mensonge" ([1] [88]) comme disait Anton Ciliga, l'entreprise de destruction et de travestissement du programme communiste a été poussée à son comble. Les potentialités contenues dans ces nouvelles énergies révolutionnaires se mesurent à la façon dont elles cherchent à surmonter ces difficultés :
- par l'affirmation de l'internationalisme prolétarien, comme le montre leur dénonciation de la guerre et de tous les camps impérialistes en Tchétchénie et en ex Yougoslavie ;
- par la recherche de contacts internationaux ;
- par la redécouverte des courants politiques qui, dans les années 1920, avaient été les premiers à se lancer, au nom du communisme, dans le combat contre la dégénérescence du mouvement communiste, la montée de l'opportunisme et du stalinisme. Voilà le terrain qu'occupe depuis toujours le marxisme révolutionnaire : il est international, internationaliste et développe une vision historique.
La démarcation vis-à-vis du gauchisme
Cette démarche révèle la nature authentiquement prolétarienne de ces groupes qui sont très vite confrontés à la nécessité de se démarquer du trotskisme actuel lequel trouve toujours de bonnes raisons pour inviter les ouvriers à participer à la guerre impérialiste, ainsi que du maoïsme, pur rejeton du "national-communisme" stalinien. C'est une frontière de classe qui sépare la Gauche communiste internationaliste du "gauchisme" ([2] [89]).
Il est bien évident que tous ces éléments prolétariens qui sont le produit d'une même situation sont en même temps très hétérogènes. Refuser la confusion entre communisme et stalinisme, dénoncer les affirmations les plus grossières de la propagande ennemie n'est pas le plus difficile car le contenu bourgeois de ces discours apparaît très vite sous la surface. "C'est bien Lénine qui a donné ses fondements au futur régime qu'on appelle «stalinien» " La preuve, poursuivent les journalistes les moins subtils, "c'est bien Lénine le fondateur de l’Internationale Communiste, dont le but est la «révolution socialiste mondiale». De son propre aveu, Lénine n'a entrepris la révolution d'Octobre que dans la conviction de l'inéluctabilité d'une révolution européenne, à commencer par la révolution allemande" (L'Histoire, n°250, p. 19) On peut se rendre compte très vite des mensonges véhiculés par l'étroitesse nationale de nos universitaires chevronnés. Mais l'offensive de la bourgeoisie ne se réduit pas à une telle caricature. Il reste encore à identifier et à défendre la signification profonde de la révolution russe et de l'œuvre de Lénine. Ici on se heurte non seulement à un avilissement de la théorie marxiste opéré de façon plus subtile par le gauchisme mais aussi à une série de confusions dangereuses ou de points programmatiques qui sont encore l'objet de discussions serrées au sein même du milieu politique prolétarien.
Il y a donc tout un processus de clarification que tous ces éléments n'ont pas forcément parcouru jusqu'au bout. Pour comprendre le phénomène stalinien, il faut encore se confrontera l'analyse trotskiste de "l'Etat ouvrier dégénéré", à celle des anarchistes qui y voient un produit normal du "socialisme autoritaire", à celle des conseillistes qui, au nom d'un marxisme parfaitement mécaniste, voient dans le bolchevisme l'instrument adapté aux besoins du capitalisme en Russie. Derrière ces questions c'est le problème de la filiation historique et de la cohérence du programme communiste qui est posé. Rejeter l'impatience activiste et se confronter à ce problème, c'est la condition pour rejoindre les rangs des militants anonymes qui poursuivent aujourd'hui la lutte pour le communisme, communisme qui, pour la première fois il y a 150 ans, fut présenté au prolétariat international sous la forme du Manifeste de Marx et d'Engels.
Mais quel est le fil qui relie la lutte prolétarienne d'hier, d'aujourd'hui et de demain? C'est toujours en partant de la dernière expérience révolutionnaire du prolétariat que l'on peut retrouver ce fil. C'est-à-dire, aujourd'hui, en partant de la révolution d'Octobre 1917. Il ne s'agit pas ici d'un respect religieux envers le passé. Il s'agit d'un bilan critique de la révolution, de ses magnifiques avancées et aussi de ses erreurs et de sa défaite. La révolution russe elle-même n'aurait pu être possible sans les enseignements tirés de la Commune de Paris. Sans le bilan critique de celle-ci effectué par la Fraction marxiste, sans les Adresses du Conseil général de l’AIT ou la magnifique synthèse de Lénine exprimée par la suite dans L'Etat et la révolution, le prolétariat russe n'aurait pu vaincre. On retrouve ici la profonde unité de la pratique et de la théorie, de l'action et du programme communiste. Et ce sont les Fractions de la Gauche communiste qui assumèrent la lourde tâche de tirer le bilan de la révolution russe. Tout autant que dans le passé, ce bilan est vital pour la prochaine révolution.
C'est pourquoi nous saluons chaleureusement et soutenons de toutes nos forces les efforts en vue de la réappropriation de ce bilan. Pour notre part, nous nous sommes efforcés de fournir tous les documents de la Gauche communiste dont ces camarades ont besoin mais aussi de faire connaître leurs prises de position les plus significatives quand les problèmes de traduction pouvaient être surmontés, d'alimenter la controverse sur les principales questions politiques avec un état d'esprit militant, avec la volonté d'ouverture et de solidarité qui caractérise la discussion parmi les communistes.
Nous avons déjà rendu compte de l'évolution du milieu politique prolétarien en Russie dans la Revue Internationale n° 92 et 101 ainsi que dans nos organes de presse territoriaux. Nous voulons aujourd'hui rendre compte de notre correspondance avec le Bureau Sud du Parti Ouvrier Marxiste. Le POM (ou Marxist Labour Party) entend se situer dans la continuité du mouvement ouvrier et c'est en ce sens que le terme Ouvrier fait référence au Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie. Dans cette correspondance, les camarades s'expriment en tant que Bureau Sud car ils ne peuvent engager la responsabilité du POM sur le détail de leurs prises de position du fait même de la poursuite de la discussion en son sein. Mais laissons-les présenter eux-mêmes leurs luttes politiques depuis le premier congrès de mars 1990 qui décida la constitution du "P.O.M- Le parti de la dictature du prolétariat".
"C'est dans la bonne humeur que fut créé un nouveau parti communiste, ce qui tranchait avec le PCUS de Gorbatchev existant alors en URSS. Mais la composition idéologique des participants à ce premier congrès était aussi diverse qu'instable, une première rupture se produisit. Un petit groupe de 12 personnes (qui pensaient que la Russie était un «Etat féodal» avec une industrie développée à grande échelle et donc que l'URSS devait passer par une révolution bourgeoise pour arriver à la révolution socialiste) s'installèrent dans une pièce adjacente, aussitôt après la scission, et mirent sur pied un comité pour la création d'un parti «démocratique du travail (marxiste)». Mais ils n 'arrivèrent à rien et se sont dissous." ( lettre du 10/07/1999)
"Aucun trotskiste n'a participé à ce premier congrès, mais il restait quelques staliniens et des partisans du «féodalisme industriel» qui, contrairement aux scissionnistes, ne pensaient pas qu'une révolution bourgeoise était nécessaire.
Néanmoins, tous les participants trouvèrent une unité dans les slogans : «la classe ouvrière doit s'organiser» et «le pouvoir des Soviets (Conseils) est le pouvoir des ouvriers». Le deuxième congrès se tint également à Moscou en septembre 1990. Y furent adoptés plusieurs textesdu parti, dont le programme. Le caractère capitaliste d'Etat de l'URSS y fut adopté. Il va sans dire que les défenseurs restant du «féodalisme industriel en URSS» quittèrent le parti lors de ce congrès et constituèrent leur propre «Parti de la dictature du prolétariat (bolchevik)». Les staliniens, qui étaient très peu nombreux, quittèrent également le parti. " (Idem)
"Lors de la première conférence du POM en février 1991 furent abandonnés les termes «Le parti de la dictature du prolétariat» dans la dénomination du groupe. En 1994-1995 se constitua au sein du parti une petite fraction qui croyait qu'il y avait eu un mode de production néo-asiatique en URSS. Au début janvier 1996, cette fraction fit sécession et rejoignit les trotskistes morenistes (Argentine) de l'International Workers Party qui sont assez actifs en Russie et en Ukraine.'" (Idem)
"Dans le programme adopté au second congrès figurent notamment les principes de base suivants :
- La nécessité de la dictature du prolétariat pour la transition au communisme (socialisme) et la nécessité de cette transition elle-même;
- la dictature de la classe ouvrière urbaine, plus précisément, est une nécessité mais pas le parti de la dictature du prolétariat ou celle de «tous les travailleurs» ou encore celle «du peuple» ;
- la ruine du parti russe du prolétariat dans les années 20 et la nécessité de sa création aujourd'hui ;
- la reconnaissance que la "dictature de la classe " et la "dictature du parti " comme avant-garde de la classe ne sont pas une seule et même chose. "
Les camarades terminent en précisant : "Bien que dans le programme de 1990 soient absentes la critique de la théorie du «socialisme en un seul pays» et la nécessité de la révolution mondiale, elles sont pour nous un lieu commun et sont comprises comme allant de soi. "(Idem)
On voit donc combien la lutte a été âpre en Russie, combien il était vital de se séparer des staliniens défroqués qui se prennent encore pour des révolutionnaires. On voit aussi quelle pression exerce toute une panoplie de sectes trotskistes qui tentent de vendre des recettes révolutionnaires de leur composition. En 1980, les syndicats occidentaux (la CFDT en France, l'AFL-CIO aux Etats-Unis...) s'étaient empressés d'apporter leur soutien logistique à Solidarnosc contre la lutte des ouvriers polonais. Aujourd'hui, ce sont les trotskistes qui se ruent à l'Est, avec leurs bons conseils et leurs subsides, pour empêcher la renaissance d'un milieu politique prolétarien. Cette renaissance ne peut concerner encore qu'une minorité face aux multiples expressions d'une idéologie dominante par définition omniprésente.
La question de la filiation historique
Dans leurs lettres du 15 (que nous noterons [A]) et du 20 mars [B] 2000, les camarades prennent position sur notre polémique avec le BIPR publiée dans la Revue Internationale n°100 (La lutte de la classe ouvrière dans les pays de la périphérie du capitalisme) mais surtout ils développent une série dépositions officielles du Bureau Sud du POM.
Le rédacteur de ces deux lettres précise : "Les autres membres du BS du POM sont en accord avec les positions essentielles de ce commentaire. Vous pouvez donc regarder l'exposé ci-dessus comme notre position commune." [B]
Précisons tout d'abord que les camarades sont quelque peu décontenancés devant la polémique entre le CCI et le BIPR, tout simplement parce qu'ils n'ont pas encore eu les moyens d'examiner de près les positions fondamentales des uns et des autres. C'est pourquoi ils ont du mal à identifier réellement les divergences et qu'ils y voient plutôt des chicanes, des insistances sur tel aspect de la réalité plutôt que tel autre, "car très souvent, ce sont deux côtés d'une seule unité dialectique", disent-ils. Finalement, "vous avez tous raison", tout dépend de quel point de vue on se place. Nous pensons que l'expérience et la discussion leur permettront de se faire une opinion plus précise sur ce qui est commun et sur les divergences au sein du camp prolétarien. Les camarades écrivent :
"Voilà la faiblesse de la Gauche communiste en Europe occidentale selon nous : au lieu de coopérer avec succès et d'égal à égal, ou bien vous vous ignorez les uns les autres, ou bien vous «démasquez» les autres en «ramenant la couverture sur soi» comme disent les Russes. (...) Selon nous, le BS du POM, tous les communistes de Gauche, les «capétatistes» [ceux qui reconnaissent la nature capitaliste d'Etat de l'URSS], doivent travailler comme des collaborateurs scientifiques d'un centre de recherches, d'un centre unique ! [A]"
Nous n'avons pas peur de l'ironie polémique dont étaient friands tous les grands révolutionnaires, car il s'agit, à partir de l'exposé des positions réelles de nos adversaires, de montrer à quelles conséquences elles conduisent et de défendre fermement ce que nous considérons comme des principes intangibles du marxisme. Ce que nous attaquons, ce n'est pas telle personne ou tel groupe, mais une position qui relève d'une démarche opportuniste ou d'une erreur théorique qu'il faudra payer cher demain. C'est pourquoi l’intransigeance révolutionnaire ne contredit jamais la nécessaire solidarité entre communistes.
A partir de cette première impression, les camarades concluent à la faiblesse de la Gauche communiste en tant que courant historique. C'est surtout cette idée que nous voulons critiquer. Constatant que le BIPR et le CCI divergent sur la question de l'impérialisme et de la décadence du capitalisme, les camarades estiment qu'il y a là une erreur sur la méthode, qu'il ne s'agit pas de dire "soit... soit" mais de dire "et...et". En fait, c'est un reproche qui a souvent été adressé à la Gauche communiste. Il est évident que nous ne souscrivons pas à toutes les prises de position de la Gauche communiste qui a commencé à se dégager au sein de l'Internationale communiste. Par contre, c'est à tort qu'on l'a accusée d'être antiparti, d'impatience activiste, d'un radicalisme à la petite semaine qui refuse par principe les concessions, de glissements vers l'anarchisme et finalement d'un purisme stérile qui ne voit les questions qu'en termes d'oppositions tranchées, ou blanc, ou noir ; soit l'un soit l'autre. Tous les chefs de file de la Gauche communiste étaient profondément marxistes et attachés à la notion de parti. Leur but était précisément de défendre le parti contre l'opportunisme. Telle était la tâche de l'heure. "Camarade, écrivait Gorter dans sa 'Réponse à Lénine', la fondation de la Troisième Internationale n'a nullement fait disparaître pour autant l'opportunisme de nos propres rangs. Nous le constatons d'ores et déjà dans tous les partis communistes, dans tous les pays. Il aurait d'ailleurs été miraculeux et contraire à toutes les lois du développement que le mal dont la Deuxième Internationale est morte ne lui survive pas au sein de la Troisième !" (Editions Spartacus, 1979, p.85) "Il est absurde, stérile et extrêmement dangereux, reprenait Bordiga, de prétendre que le parti et l'Internationale sont mystérieusement assurés contre toute rechute dans l'opportunisme ou toute tendance à y retourner ! " (Projet de thèses de la Gauche au Congrès de Lyon, 1926) C'était le signe qu'un travail de fraction était à l'ordre du jour, et non pas un simple travail oppositionnel qui conduisit le courant de Trotsky dans l'impasse puis la faillite. Par là, la Gauche s'affirmait comme la réelle continuatrice du courant marxiste dans l'histoire du mouvement ouvrier. Elle reprenait ce travail de fraction que Lénine avait entrepris depuis 1903 face à l'opportunisme au sein de la Deuxième Internationale et qui avait permis aux bolcheviks de dénoncer tous les camps impérialistes en 1914, de rester fidèles aux principes du communisme et de permettre au parti de jouer tout son rôle au moment de 1'insurrection d'Octobre. C'était un travail pour le parti et non pas contre le parti. Il fallait mener le combat jusqu'au bout malgré les exclusions et toutes les entraves qu'y opposait la discipline formelle de la direction. Tel est le véritable esprit de Lénine dont la Gauche s'est inspirée. En 1911, Lénine systématise la notion de fraction à partir de l'expérience qu'avaient acquise les bolcheviks depuis leur constitution en fraction lors de la conférence de Genève de 1904 -."Une fraction est une organisation à l'intérieur du parti, qui est unie non pas par le lieu de travail, par la langue ou par quelque autre condition objective, mais par un système de conceptions communes sur les problèmes qui se posent au parti. " (Au sujet d'une nouvelle fraction de conciliateurs, les vertueux. Oeuvres complètes, tome 17, Editions de Moscou) En aucune façon l'intransigeance révolutionnaire ne s'oppose au réalisme, elle seule peut réellement prendre en compte les situations concrètes. Quoi de plus réaliste que le rejet par la Gauche communiste d'Italie de la position de Trotsky qui voyait s'ouvrir en 1936 une nouvelle période révolutionnaire.
La fraction est donc centrale dans la question de la filiation historique. C'est elle qui assure le lien entre l'ancien et le nouveau parti, à condition qu'elle sache tirer les leçons de l'expérience de la classe ouvrière et les traduire par un nouvel enrichissement du programme. Par exemple, les révolutionnaires avaient constaté que, depuis la première guerre mondiale, le rôle du parlement bourgeois s'était transformé. Mais c'est la Gauche communiste qui en tire les conséquences sur le plan des principes : rejet du parlementarisme révolutionnaire et de la participation aux élections de la démocratie bourgeoise. Une deuxième condition est également nécessaire pour la formation du nouveau parti. Il faut que le rapport de force entre les classes se soit modifié à l'avantage de la classe ouvrière permettant ainsi au parti d'influencer réellement le cours de la lutte de classe. Or cette influence et la fonction d'orientation politique qui échoit au parti ne sont possibles que lorsque la société avance vers une situation révolutionnaire. La formation du parti anticipe l'ouverture de la période révolutionnaire. C'est la Gauche communiste d'Italie qui, le plus profondément, a énoncé le rôle de la fraction et le moment de ce passage. Ecoutons ce qu'elle dit dans Bilan n°l :
"La transformation de la fraction en Parti est conditionnée par deux éléments intimement liés :
1. L'élaboration, par la Fraction, de nouvelles positions politiques capables de donner un cadre solide aux luttes du Prolétariat pour la Révolution dans sa nouvelle phase plus avancée. (...)
2. Le renversement des rapports de classe du système actuel (...) avec l'éclatement de mouvements révolutionnaires qui pourront permettre à la Fraction de reprendre la direction des luttes en vue de l'insurrection. "
Le matérialisme dialectique enseigne que le mouvement de la réalité est un phénomène complexe où agit une multitude de facteurs. C'est ce que nous rappellent les camarades du POM. Mais ils oublient que le système des contradictions qui produit la réalité débouche à certains moments sur une alternative claire et tranchée. Alors c'est soit l'un soit l'autre, ou le socialisme ou la barbarie, ou une politique prolétarienne ou une politique bourgeoise. La dérive centriste de la direction de l'Internationale, depuis le mot d'ordre de la conquête des masses, tient entièrement à la recherche de raccourcis immédiatistes qui altéraient profondément la politique de classe : et les conseils et les syndicats, et la lutte en dehors du parlement et le parlementarisme révolutionnaire, et l'internationalisme et le nationalisme... Et ce fut le désastre. A chaque innovation politique un nouveau pas était franchi vers la défaite. Loin de renforcer les partis et noyaux communistes, les alliances nouées avec la social-démocratie ne firent que dilapider les forces qui ne pouvaient se développer que sur la base d'un programme clairement communiste. Le livre de Lénine, La maladie infantile du communisme, le gauchisme, symbolise ce tournant centriste. Il part avec 1'idée de critiquer ce qu'il considère comme des erreurs passagères et inévitables d'un courant authentiquement révolutionnaire. "Evidemment l'erreur représentée par le doctrinarisme de gauche dans le mouvement ouvrier, dit-il, est, à l'heure présente, mille fois moins dangereuse et moins grave que l'erreur représentée par le doctrinarisme de droite (...)" (Editions 10/18, 1962, p. 159) Mais il finit par confondre les positions de la Gauche avec celles de l'anarchisme tandis qu'il rehausse le prestige de la droite sous prétexte qu'elle maintient encore sous sa domination de larges fractions du prolétariat. C'est ça le centrisme. Et la droite va largement utiliser cette autorité qui lui est conférée pour isoler la Gauche.
Travail salarié et marché mondial, deux caractères fondamentaux du capitalisme
Les camarades écrivent : ''Nous estimons que le XXIe siècle verra de nouvelles batailles pour l'indépendance nationale. Malgré toute la puissance (et même la décadence, selon vous) du capitalisme dans les pays hautement développés, le capitalisme dans les pays arriérés continue de se développer, de grandir à sa propre allure, si l'on peut dire. Et ce n 'est pas une question qui relève des principes, c 'est la réalité objective /"[A]
C'est effectivement un point de divergence important au sein du milieu politique prolétarien. Comme les camarades le savent, nous pensons que Lénine s'est trompé lorsqu'il répondit à Rosa Luxemburg : "Des guerres nationales ne sont pas seulement probables, elles sont inévitables, à une époque d'impérialisme, du côté des colonies et des semi-colonies." (Sur une brochure de Junius, octobre 1916, reproduit in Contre le courant, Maspero, 1970, tome 2, p. 158) Mais ce qu'il importe de souligner ici, c'est que cette position ne signifie pas chez les camarades un abandon de l'internationalisme prolétarien, même si, à notre avis, cela concourt à l'affaiblir. Le souci est de définir à quelles conditions une unité du prolétariat international est possible et non pas d'utiliser Lénine pour masquer un soutien à l'une ou 1'autre puissance impérialiste, comme le font les gauchistes.
" Vous avez sans doute remarqué combien nous sommes peu léninistes. Néanmoins, nous sommes d'avis que la position de Lénine fut la meilleure sur cette question. Chaque nation (attention ! nation, pas nationalité ou groupe national, ethnique, etc..) a le droit complet à disposer d'elle-même dans le cadre de son territoire ethnico-historique, jusqu'à la séparation et la formation d'un Etat indépendant. (...) Ce qui intéresse les marxistes c'est la question de la libre disposition pour le prolétariat de son autodétermination à l'intérieur de telle ou telle nation, c'est-à-dire la possibilité de disposer librement de soi, s'il existe déjà comme une classe pour soi, ou la possibilité pour les éléments pré prolétaires de se constituer en classe dans le cadre du nouvel Etat bourgeois national. Tel est le cas de la Tchétchénie. La Tchétchénie-Ingouchie était industrialisée sous le pouvoir soviétique, mais plus de 90% des ouvriers étaient d'origine russe, les Tchétchènes étaient des paysans petits-bourgeois ou des intellectuels, des fonctionnaires, etc. Que la nouvelle bourgeoisie tchétchène crée le prolétariat tchétchène national, qu 'elle commence à exploiter son prolétariat national, ses parents, ses natifs (les ouvriers russes n 'y reviendront pas maintenant pour être décapités par les nationalistes) et nous verrons quelle sera (d'unité ferme de la nation tchétchène» ! C 'est alors seulement que la possibilité pour les prolétaires russes et tchétchènes de s'unir sera réelle objectivement, pas avant." [A]
Néanmoins, cette position aboutit à une série de contradictions que les camarades ne résolvent pas en déclarant simplement :
"Selon nous, la reconnaissance de l'objectivité de la lutte nationale ne signifie pas la «justifier» (à propos, que veut dire le terme «justifier» ?) ou même appeler à une alliance avec des fractions de la bourgeoisie nationale !" [B]
Tout le problème est de savoir quelle est cette réalité objective qui est ici invoquée. Or celle-ci correspond à une époque révolue, l'époque de la formation des nations bourgeoises contre le féodalisme. Les camarades ont-ils réellement analysé les motivations nationalistes de la bourgeoisie tchétchène ? Si oui, ils se seraient rendu compte que ces revendications nationales n'ont plus le même contenu que celui d'une étape antérieure du développement social. Les marxistes ont souvent décrit cette étape. Rosa Luxemburg la résume ainsi : "La bourgeoisie française avait, pendant la grande révolution, le droit déparier en tant que tiers état au nom du «peuple français», et même la bourgeoisie allemande pouvait s 'estimer, jusqu 'à un certain point en 1848, comme le représentant du «peuple" allemand» (...). Dans les deux cas, cela voulait dire que la cause révolutionnaire de la classe bourgeoise, au stade d'alors du développement social, coïncidait avec celle du peuple tout entier car ce dernier constituait encore avec la bourgeoisie une masse indifférenciée opposé au féodalisme dominant." (La question nationale et l'autonomie. Publié in Les marxistes et la question nationale, L'Harmattan, 1997, p. 195) Ce que les camarades ne voient pas c'est que le stade du développement social n'est pas donné par la situation locale tchétchène mais par l'environnement social, parla situation générale. Embarquée dans le jeu sanglant de l'impérialisme, complètement dépendante du marché mondial, la Tchétchénie a perdu depuis longtemps les principales caractéristiques d'une société féodale.
Selon les camarades, il existe une bourgeoisie progressiste dans un certain nombre de pays "parce que le capitalisme national y continue de s'élever spontanément à partir des secteurs traditionnels, conformément aux lois générales du développement des peuples à l'époque de la deuxième superformation sociale, celle de propriété privée. Elles sont trois ces formations : la formation de la communauté primitive (n °1) ; puis celle de la propriété privée : l'esclavage antique, le féodalisme et le capitalisme y compris (n°2), et enfin la formation du communisme authentique (n °3). Telle est la triade d'après Marx (voir les ébauches de sa lettre de réponse à Vera Zassoulitch, 1881). Mais il y a peu de pays (et il y en a de moins en moins) où le capitalisme national s'aut dèveloppant prédomine. Là où ça a lieu, la bourgeoisie progressiste peut arriver au pouvoir et le peuple (les ouvriers y compris, d'autant plus qu'ils sont encore en état préprolétaire !) la soutiendra. Mais tout ça est bien temporaire, car déplus en plus de choses dépendront de la bourgeoisie impérialiste mondiale, le cas de l'Afghanistan en témoigne. (...) Le capitalisme peut être comparé à une vague dans la «mer» de la deuxième superformation sociale (voir plus haut) et pas à une vague mais au processus d'ondes ! La deuxième superformation (Marx l'appela aussi «économique») engendre ces vagues elle-même de l'intérieur ! Mais les limites, les bords de cette «mer» de la «superformation économique» sont les limites du capitalisme en même temps, ils sont ces bords contre lesquels ce dernier «se brise» dans son ondulation.
La caractéristique essentielle de cette «mer» de la formation sociale économique (la deuxième dans la triade) est la loi de la valeur. Mais le «processus d'ondes» commence, est excité et poussé par... le petit producteur-propriétaire ! Il fut, est et sera l'agent d'action de la loi de la valeur sur toute l'étendue de la formation sociale économique (la «deuxième», celle de la propriété privée). Voilà pourquoi le petit producteur ne peut pas être détruit par le capitalisme ! Et voilà pourquoi le monopolisme étatique ne peut pas être complet et de longue durée. La vague va refluer en arrière ! Si les communistes de gauche avaient analysé les choses de ce point de vue, ils auraient levé bien des problèmes, dans leurs relations y compris! Et la place et le rôle de la révolution sociale prolétarienne mondiale seraient beaucoup plus compréhensibles." [B]
Comment peut-on expliquer cette perspective d'une régression du capitalisme d'Etat défendue par les camarades ? Tous les jours nous voyons pourtant se vérifier la tendance vers une gestion de l'économie par un capitaliste collectif, annoncée par Engels dans L'anti-Dühring. Partout c'est l'Etat qui réglemente les fusions des grandes entreprises multinationales et qui leur impose ses orientations. Tout Etat qui abandonnerait un tel contrôle se trouverait immédiatement en situation de faiblesse dans la guerre commerciale. C'est sans doute l'effondrement de l'URSS qui explique une telle prise de position. Dans ce cas, les camarades généralisent à partir d'une situation spécifique.
L'URSS était un pays marqué par la faiblesse de son économie et ce qui a fait faillite ce n'est pas le capitalisme d'Etat mais sa version la plus caricaturale où la nationalisation concernait l'immense majorité de l'économie. C'est toujours un signe de faiblesse lorsque l'Etat est directement propriétaire des entreprises. Dans les pays plus développés, le capitalisme d'Etat est également bien réel mais il a surtout cette souplesse que lui confère la participation dans le capital des entreprises ou, plus encore, quand il se contente seulement d'édicter la réglementation économique à laquelle chaque entreprise doit se plier.
On comprend pourquoi les camarades présentent le capitalisme d'Etat comme un phénomène passager puisque, pour eux, c'est le petit producteur indépendant qui symbolise le mieux la propriété privée et la loi de la valeur. Il est vrai que le capitalisme prend son essor au sein d'une société caractérisée par la propriété privée et l'échange des marchandises, il en constitue même l'aboutissement logique, le sommet, lorsque les marchandises ont été transformées en capital. Il est vrai aussi que le capitalisme ne pourra jamais faire disparaître complètement les petits producteurs. Mais il est vrai aussi que la petite propriété est sans cesse attaquée par la concurrence. Aujourd'hui que la surproduction est devenue un phénomène généralisé et permanent, une partie de la bourgeoisie est précipitée dans la petite bourgeoisie, mais au même moment c'est un nombre incalculable de petits propriétaires qui sont ruinés et transformés en sans-travail ou qui survivent d'un petit commerce très souvent illicite. Le petit propriétaire n'est donc pas caractéristique du capitalisme mais plutôt une survivance des sociétés précapitalistes ou de la première étape du développement du capitalisme. Dans la mythologie bourgeoise, le capitaliste est toujours présenté comme un petit producteur qui, grâce à son travail, est devenu un grand producteur. Le petit artisan du Moyen âge serait devenu un grand industriel. La réalité historique est tout autre. Dans le féodalisme en décomposition, ce ne sont pas tant les artisans des villes qui se dégagent comme la classe capitaliste, c'est plutôt les marchands. Qui plus est, les premiers prolétaires n'ont souvent été rien d'autres que ces artisans soumis dans un premier temps à la domination formelle du capital. Les camarades oublient qu'avant d'être producteur, le capitaliste est d'abord et avant tout un marchand, un commerçant. C'est un marchand dont le commerce principal est celui de la force de travail.
Les camarades se sont inspirés, semble-t-il, d'un passage de La maladie infantile du communisme, le gauchisme. Lénine y explique que la puissance de la bourgeoisie "ne réside pas seulement dans la force du capital international, dans la force et la solidité des liaisons internationales de la bourgeoisie, mais encore dans la force de l'habitude, dans la force de la petite production ; car, malheureusement, il reste encore au monde une très, très grande masse de petite production : or, la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, chaque heure, d'une manière spontanée et dans de vastes proportions." (Editions 10/18, 1962, p. 14) Rappelons le contexte. Nous sommes en 1920 et depuis 1918, la controverse se développe au sein du parti bolchevik entre Lénine et les communistes de Gauche qui publièrent le journal Kommounist. Très vite, Boukharine, le principal leader de la Gauche, rejoint la majorité du parti après avoir été mis en minorité sur la question du traité de Brest-Litovsk. Mais le groupe poursuit la controverse sur la question du capitalisme d'Etat qui était présenté par Lénine comme une étape préparant le passage au socialisme, donc comme un progrès. Il est vrai que le prolétariat victorieux ne s 'affrontait pas seulement à la furie des vieilles classes dominantes, mais aussi au poids mort des vastes masses paysannes qui avaient leurs propres raisons de résister à une avancée ultérieure du processus révolutionnaire. Mais le poids de ces couches sociales se faisait sentir sur le prolétariat avant tout à travers l'organe étatique qui, dans sa tendance naturelle à préserver le statu quo social, tendait à devenir un pouvoir autonome pour lui-même. Tous les révolutionnaires savaient que l'isolement de la révolution russe lui serait fatal. Tout le problème était de savoir si le rétablissement du pouvoir de la bourgeoisie interviendrait à la suite d'une défaite militaire face aux armées blanches ou sous la pression énorme de la petite bourgeoisie. Avec cette problématique, le parti ne parvenait pas à voir le processus qui allait conduire à la renaissance de la bourgeoisie russe à travers la formation d'une bureaucratie d'Etat. Dans ses critiques, la Gauche exprimait de nombreuses faiblesses (mais comment pouvait-il en être autrement dans le feu des événements ?) et Lénine a mis souvent le doigt dessus avec justesse. Mais la Gauche communiste révèle toute sa force lorsqu'elle dénonce les dangers du capitalisme d'Etat. C'est la même démarche qu' =on retrouve ensuite dans la Gauche allemande qui, la première, analysera la Russie stalinienne comme un capitalisme d'Etat. Dans le passage cité plus haut, Lénine exprime de profondes confusions sur la nature du capitalisme qui étaient déjà présentes dans sa brochure de 1916 : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme. Sur ce point comme sur d'autres il est possible de synthétiser aujourd'hui les apports de toute la Gauche communiste, malgré sa diversité et des prises de position parfois contradictoires, parce que sur le fond il y a la fidélité à la méthode marxiste et aux principes communistes : "Le capitalisme d'Etat ne constitue pas une étape organique vers le socialisme. En fait, il représente la dernière forme de défense du capitalisme contre l'effondrement de son système et l'émergence du communisme. La révolution communiste est la négation dialectique du capitalisme d'Etat." (Revue Internationale n°99, p. 23)
C'est à notre avis une erreur de présenter le petit producteur indépendant comme l'agent de la loi de la valeur. Plus généralement, ce ne sont pas les capitalistes qui font le capitalisme, c'est le contraire : c'est le capitalisme qui engendre les capitalistes. Si on applique cette démarche marxiste à la Russie, alors on peut comprendre pourquoi "l'Etat n 'a pas fonctionné comme nous l'entendions " selon la formule de Lénine. La puissance qui imposait son orientation était bien plus forte que les "hommes de la NEP " ou le capitalisme privé ou la petite propriété, c'était l'immense puissance impersonnelle du capital mondial qui déterminait inexorablement le cours de l'économie russe et de l'Etat soviétique. Si les camarades ne parviennent pas à saisir la nature profonde du capitalisme, ni le capitalisme d'Etat comme une expression d'un système décadent, c'est sans doute aussi parce qu' ils se placent ici sur le plan de la longue durée, celui qu'utilise Marx dans les brouillons de sa lettre à Vera Zassoulitch, divisant l'histoire de l'humanité en trois périodes : la formation sociale archaïque (communisme primitif), la formation sociale secondaire (les sociétés de classe), le communisme moderne qui rétablit la production et l'appropriation collectives à une échelle supérieure. L'exemple des sociétés primitives était pour Marx une preuve de plus que la famille, la propriété privée et l'Etat ne sont pas inhérents à la nature humaine. Ces textes sont aussi une dénonciation de l'interprétation fataliste de l'évolution économique et d'un progrès linéaire, sans contradictions, comme le voient les bourgeois. Mais si on reste sur ce terrain il est impossible d'examiner précisément ce que le capitalisme a de spécifique et surtout qu'il a lui-même une histoire, qu'il se transforme d'un système progressiste en une lourde entrave pour le développement des forces productives. Non pas que les bases d'une telle analyse ne soient pas présentes dans ces textes de Marx tout autant que dans le Manifeste. Après la Commune de Paris et la fin des grandes luttes nationales du 19e siècle, Marx avait pu constater que la bourgeoisie des principaux pays capitalistes avait cessé de jouer un rôle révolutionnaire sur la scène de l'histoire, même si le système capitaliste avait encore devant lui un vaste champ d'expansion. Une nouvelle étape s'ouvrait, celle des conquêtes coloniales et de l'impérialisme. Avec une telle démarche, le marxisme était capable d'anticiper l'évolution historique et de prévoir 1 ' entrée dans une période de décadence. C'est très net dans ce passage du deuxième brouillon : "Le système capitaliste a dépassé son apogée à l'Ouest, approchant du moment où il ne sera plus qu'un système social régressif." (Cité dans Théodore Shanin, Marx de la maturité et le chemin de la Russie, New-York, 1983, p. 103)
Les interrogations de Marx sur la commune rurale russe vont être travesties par certains gauchistes. L'Américain Shanin, par exemple, y voyait la preuve que le socialisme pourrait être le résultat de révolutions paysannes à la périphérie du capitalisme. Sans partager la même admiration pour Hô Chi Minh et Mao, Raya Dunayevskaya et le groupe News andLetters s'inscrivent dans la même démarche. Ils considèrent que le Marx des années 1880 est à la recherche d'un nouveau sujet révolutionnaire autre que la classe ouvrière. C'est ainsi qu'une partie du gauchisme va présenter la classe ouvrière comme un suj et révolutionnaire parmi d'autres : les tribus primitives, les femmes, les homosexuels, les noirs, les jeunes, les peuples du "tiers-monde".
Octobre 17, produit de la situation mondiale
De telles aberrations n'ont rien à voir avec les thèses des camarades de Russie. Mais nous verrons que la défense de la possibilité des guerres nationales aujourd'hui les conduit aune analyse originale de la révolution d'Octobre 17.
"Quant à nous (le BS du POM), nous croyons que l'histoire elle-même a déjà réfuté cette conception léniniste angulaire du «maillon le plus faible» ! Mais attention, bien originalement : elle a démontré qu 'il fut possible de rompre «la chaîne de l'impérialisme» et même de «construire le socialisme» dans des pays arriérés (ou «attardés» comme vous les nommez, quoique je distinguerais ici : on a commencé à «construire le socialisme» non seulement dans des pays capitalistiquement attardés, en Russie par exemple, mais aussi en Mongolie, au Viêt-nam, etc., qui sont vraiment arriérés). Et nous disons : Oui, on peut rompre la chaîne, faire une «révolution socialiste», on peut même construire le socialisme dans des pays séparés et l'édifier (c'est à dire «terminer de le construire»)... Mais ! Mais tout ça ne mène en aucun cas au communisme ! Never and in no way ! Pourquoi, d'un point de vue théorique, les bolcheviks ont-ils pu prendre cette voie, pourquoi ont-ils pu se leurrer eux-mêmes et beaucoup d'autres, les communistes de la Gauche y compris ? La cause de tout cela était dans... un seul mot (et ce n'est pas la question, le problème de mon subjectivisme : sous ce mot toute une conception erronée, et non-marxiste au fond, est cachée !), ce mot («d'ordre» !) est «la Révolution socialiste» ! Lorsque Marx, et surtout Engels, acceptèrent un tel travestissement du concept de «la révolution sociale du prolétariat», de la révolution communiste mondiale ! Quant à la «révolution socialiste», elle aboutit tôt ou tard à la «construction du socialisme» et puis Use trouve que ce «socialisme», fût-ce «d'Etat» ou «du marché» ou «national» ", etc, ne rompt pas en réalité avec le capitalisme " [A]
"Là où le secteur du capitalisme exogène existe, la bourgeoisie progressiste joue un rôle et a une influence inversement proportionnelle au degré de maturité de ce secteur : la bourgeoisie du secteur capitaliste importé pèse sur la bourgeoisie nationale progressiste et la corrompt, sans parler de la bourgeoisie impérialiste mondiale (transnationale). Il y avait ces deux secteurs en Russie au début du XXe siècle et le marxisme russe était l'expression des relations à l'intérieur du secteur capitaliste exogène. Mais ensuite les bolcheviks ont décidé de devenir les porte-parole de tous les exploités : dans le secteur du capitalisme développé importé, dans celui du capitalisme national (et même dans le secteur agricole avec sa communauté rurale préservée). Et voilà, ils sont devenus des «sociaux-jacobins» et ont proclamé «la révolution socialiste» " [B]
"Vous abordez le problème de l'objectif et du subjectif dans la révolution prolétarienne mondiale et c'est correct. Mais pourquoi n'avez-vous pas le moindre doute "qu'objectivement la révolution est possible depuis la guerre impérialiste de 1914", etc. ? Marx et Engels ne croyaient-ils pas aussi, dans le temps, «qu'objectivement la révolution était possible» ? Rappelez-vous les catégories de la dialectique : la possibilité et la réalité, la nécessité et l'éventualité ! Comme on sait, il faut distinguer la possibilité abstraite (formelle) et celle praticable (concrète). La possibilité abstraite est caractérisée par l'absence des obstacles principaux pour le devenir de l'objet, néanmoins il n'y a pas toutes les conditions nécessaires pour sa réalisation. La possibilité praticable possède toutes les conditions nécessaires pour sa réalisation : latente en réalité, elle devient une nouvelle réalité dans certaines conditions. Le changement de l'ensemble des conditions détermine la transition de la possibilité abstraite en celle praticable et cette dernière se transforme en réalité. La mesure numérique de la possibilité est exprimée par la notion de probabilité. La nécessité, comme on sait, c'est le mode de (la) transformation de la possibilité en réalité auquel il n'y a qu'une seule possibilité dans un certain objet, celle qui se transforme en réalité. Et, au contraire, l'éventualité c'est le mode de (la) transformation de la possibilité en réalité auquel il a quelques (même plusieurs) possibilités différentes dans un objet certain (dans des circonstances données, bien sûr) qui puissent se transformer en réalité, mais une seule d'entre elle se réalise. " [A]
Nous ne comprenons pas pourquoi il faudrait affirmer que la construction du socialisme en un seul pays est à la fois possible et impossible parce que ne rompant en aucune façon avec le capitalisme. Nous préférons nous en tenir à l'affirmation que le socialisme en un seul pays a été une mystification n'ayant aucun rapport avec la réalité, une arme de la contre-révolution. Ce que les camarades semblent nous dire c'est que les bolcheviks ont cessé à un certain moment de représenter les intérêts du prolétariat. Effectivement, c'est ce qu'on appelle la contre-révolution stalinienne. Toute la difficulté du problème, sur laquelle beaucoup de révolutionnaires se sont cassés les dents pendant les années 1930, c'est que la contre-révolution intervient à l'issue de tout un processus de dégénérescence et de dérive opportuniste. Dans un tel processus long et parfois imperceptible, on a en quelque sorte une transformation de la quantité en qualité. Ce qui n'était au départ qu'un problème au sein du mouvement ouvrier est devenu la contre-révolution bourgeoise. Mais la rupture dans la nature du régime soviétique n'en est pas moins nette, elle passe par 1'élimination de toute la vieille garde bolchevique par Staline, le remplacement de la perspective de la révolution mondiale par la défense du capital national russe. L'affaiblissement du pouvoir des conseils ouvriers et l'affaiblissement du parti bolchevik miné par l'opportunisme ont suivi des chemins parallèles jusqu'à l'établissement du pouvoir de la bourgeoisie d'Etat russe. Rappeler ce que fut le mouvement réel des affrontements de classe à la fin des années 1920 en Russie nous arme non seulement contre la propagande bourgeoise mais aussi contre tout affaiblissement de la théorie révolutionnaire qui verrait une continuité, objective ou subjective, entre Lénine et Staline.
C'est à un tel affaiblissement qu'aboutissent les camarades lorsqu'ils perdent de vue la contre-révolution stalinienne et introduisent l'idée que "les bolcheviks ont décidé de devenir les porte-parole de tous les exploités. " Quand et pourquoi une telle décision? Les termes "tous les exploités" désignent-ils l'ensemble des travailleurs, c'est-à-dire plusieurs classes y compris, en plus du prolétariat, les autres couches non exploiteuses comme la paysannerie et le reste de la petite bourgeoisie qui sont des classes opprimées sous le capitalisme ? Si tel est le cas les camarades prennent pour la réalité les discours de Staline et notamment de Mao avec "le bloc des quatre classes". En tout cas nous ne pouvons pas les suivre lorsqu'ils affirment que Marx et Engels acceptèrent (?) le concept de révolution socialiste qui "ne rompt pas en réalité avec le capitalisme ". Il est vrai que certaines formulations de Marx et d'Engels peuvent créer une confusion entre étatisation du capital et socialisme. On peut aisément le comprendre à une époque où le prolétariat pouvait soutenir, à certaines conditions, une bourgeoisie progressiste contre les vestiges du féodalisme. La conscience et le programme résultent d'un combat permanent contre l'idéologie de la classe dominante. Aussi lorsque les révolutionnaires aiguisent la lettre du programme, ils restent, et doivent rester, fidèles à l'esprit qui animait la génération marxiste précédente. La correction définitive des erreurs "capitalistes d'Etat" qui subsistaient dans la doctrine marxiste a été permise par 1'expérience de la révolution russe de 1917. Mais les prémisses étaient déjà chez Marx à travers sa définition du capital comme un rapport social et du capitalisme comme un système fondé sur le travail salarié, 1'extraction et la réalisation de la plus-value. Sous ce rapport, la transformation de la propriété individuelle du capital en propriété collective de l'Etat ne changeait en aucune façon la nature de la société. De plus, la critique du caractère progressiste de la propriété collective étatique était déjà en germe dans le combat de Marx et Engels contre le socialisme d'Etat, celui de Lassalle, qui engageait les ouvriers à utiliser l'Etat contre les capitalistes, celui du courant de Liebknecht et Bebel au sein de la social-démocratie allemande qui ont laissé passer des formulations lassalliennes dans le programme de Gotha.
On pourrait résumer la pensée des camarades de la façon suivante. Le bolchevisme était au départ un courant marxiste exprimant les intérêts du prolétariat dans le cadre de rapports capitalistes développés. Mais ceux-ci étaient d'origine étrangère, il existait aussi en Russie un jeune capitalisme moins développé qui avait besoin d'une révolution anti-féodale. Ainsi, les bolcheviks n'ont pas succombé à la contre-révolution stalinienne ; bien avant ils avaient succombé au charme du capitalisme national et ont décidé de devenir "sociaux-jacobins". On voit ici la différence entre cette vision politique et celle du conseillisme. Pour celui-ci la révolution russe devait déboucher fatalement sur le capitalisme d'Etat, les bolcheviks reflétaient dès le départ un tel destin. Cette découverte est bien tardive puisqu' elle date des années 193 0 et notre Pannekoek devenu, à cette époque là, conseilliste opère ce tour de force de nous révéler la nature du bolchevisme originel à partir du livre que Lénine écrivit en 1908, Matérialisme et empiriocriticisme : "Il est nettement et exclusivement à l'image de la révolution russe à laquelle il tend de toutes ses forces. Cet ouvrage est conforme au matérialisme bourgeois et a un point de vue tel que s'il avait été connu et interprété correctement en Europe occidentale... on aurait été en mesure de prévoir que la révolution russe devait aboutir d'une façon ou d'une autre à un genre de capitalisme fondé sur une lutte ouvrière.'" (Lénine philosophe, Editions Spartacus, Paris, 1970, p.103)
La méthode marxiste s'appuie sur le concept de la totalité et c'est à partir de là qu'il "s'élève" jusqu'aux situations les plus concrètes. En partant du petit producteur indépendant ou d'une situation locale, les camarades s'écartent de la méthode marxiste et finissent par prendre quelques vestiges du féodalisme comme une caractéristique générale. Il est quand même bon de rappeler qu'en 1917 la Russie était la cinquième puissance industrielle du monde et que dans la mesure où le développement du capitalisme était passé en grande partie pardessus l'étape du développement de l'artisanat et de la manufacture, ce mode de production y connaissait ses formes les plus modernes et concentrées. Avec plus de 40 000 ouvriers, Poutilov était la plus grande usine de monde. C'est cette tendance qui donne la clé de la situation en Russie et non pas 1'opposition entre un capitalisme exogène et un capitalisme endogène. L'enchaînement des relations économiques est arrivé à un point qui n'a rien à voir avec 1'époque des révolutions bourgeoises du 17e et du 18e siècles. "Depuis la guerre de Crimée et sa modernisation par des réformes, l'appareil d'Etat russe ne se maintient pour une bonne part que grâce aux capitaux étrangers, essentiellement français. (...) Les capitaux français servent principalement depuis des décennies à deux buts : la construction de chemin de fer avec garantie de l'Etat et les dépenses militaires. Pour répondre à ces deux buts, une grande industrie puissante est née en Russie depuis les années 70, à l'abri d'un système de protections douanières renforcées. Le capital français a fait surgir en Russie un jeune capitalisme qui a besoin à son tour d'être constamment soutenu par d'importantes importations de machines et autres moyens de production en provenance des pays industriels pilotes, l'Angleterre et l'Allemagne. " (Rosa Luxemburg, Introduction à l'économie politique. Editions 10/18, 1971, p.57) L'exemple de la Pologne est également significatif. "La bourgeoisie polonaise étant dans sa grande majorité d'origine étrangère (elle s'installa en Pologne au début du XIXe siècle) se montrait toujours hostile à l'idée de l'indépendance nationale. D'autant plus que dans les années vingt et trente du XIXe siècle, l'industrie polonaise avait été axée sur l'exportation avant même la création d'un marché intérieur. La bourgeoisie du royaume, au lieu de souhaiter une réunification nationale avec la Galicie et la Principauté, recherchait toujours l'appui à l'Est, puisque c 'était une exportation massive de ses textiles en Russie qui était à la base de la croissance du capitalisme polonais." (Rosa Luxemburg, La question nationale et l'autonomie. Publié in Les marxistes et la question nationale, L'Harmattan, 1997, p.201) La formation du marché mondial est une caractéristique majeure du mode de production capitaliste, c'est dans ce processus qu'il détruit les rapports précapitalistes. C'est ce processus dynamique qui crée les conditions de l'unité du prolétariat international et non pas l'auto développement d'un capitalisme national. La révolution de 1905 en a fourni la première démonstration pratique. A l'inverse, le mot d'ordre "droit des peuples (?) à disposer d'eux mêmes", hélas soutenu par les bolcheviks, a renforcé la division du prolétariat. Les années 1920 du 20e siècle n'en ont-ils pas apporté la confirmation pratique ?
La décadence d'une formation sociale
Ni les bolcheviks hier, ni la bourgeoisie d'aucun pays aujourd'hui ne peuvent être comparés à des jacobins. L'achèvement de la formation du marché mondial, la crise de surproduction suppriment toute possibilité d'un réel développement. La bourgeoisie tchétchène ne créera pas un prolétariat national. Comment pourrait-elle trouver un débouché pour ses marchandises ? Seule la révolution prolétarienne pourra fournir les bases d'une industrialisation des pays arriérés. Le Manifeste communiste décrit très bien comment la bourgeoisie crée un monde à son image, par l'exportation de marchandises à bas prix, l'extension de ses relations commerciales. Mais il atteint ses limites bien avant d'avoir pu industrialiser l'ensemble de la planète. Marx et Engels avaient déjà souligné que les contradictions insolubles découlant du rapport salarial ne pouvaient que conduire à la décadence du capitalisme. Déjà la critique pénétrante de Charles Fourier en avait donné l'esquisse : "Fourier, comme on le voit, manie la dialectique avec la même maîtrise que son contemporain Hegel. Avec une égale dialectique, il fait ressortir que, contrairement au bavardage sur la perfectibilité de l'homme, toute phase historique a sa branche ascendante, mais aussi sa branche descendante, et il applique aussi cette conception à l'avenir de l'humanité dans son ensemble" (Engels : L'anti-Dühring. Editions Sociales, 1977, p.297) C'est Marx qui va donner l'explication de ce phénomène. A un certain moment du développement, la baisse tendancielle du taux de profit ne peut plus être compensée par l'augmentation de la masse de plus-value du fait de la saturation du marché mondial. "Or, il (le capitaliste) a d'autant plus besoin de trouver des débouchés que sa production s'est accrue à la vérité les moyens de production plus puissants et plus coûteux qu'il a mis en branle lui permettent de vendre sa marchandise moins cher mais ils le forcent également à vendre plus, à conquérir pour sa marchandise un marché incomparablement plus étendu [page 223] (...). Enfin, à mesure que ce mouvement irrésistible contraint les capitalistes à exploiter les énormes moyens de production déjà existants sur une échelle plus grande encore et à faire jouer à cette fin tous les ressorts du crédit, les séismes qui ébranlent le monde commercial se multiplient, ne lui laissant qu'une seule issue : sacrifier aux dieux des Enfers une part de la richesse, des produits, voire des forces productives, en un mot : augmenter les crises. Elles gagnent en fréquence et en violence. C'est que la masse des produits et donc le besoin de débouchés s'accroît alors que le marché mondial se rétrécit ; c'est que chaque crise soumet au monde commercial un marché non encore conquis ou peu exploité et restreint ainsi les débouchés, [page 228] " (Travail salarié et capital, La Pléiade, Tome 1) Il restait aux Fractions de gauche, Lénine et Rosa Luxemburg en tête, de montrer que le surgissement de la première guerre mondiale impérialiste était le signe que le capitalisme était entré dans sa phase de déclin. La révolution communiste n'était plus seulement nécessaire, elle devenait enfin possible.
Au terme de cette première réponse que nous pouvons faire aux camarades du POM, tout en regrettant de ne pas avoir pu traduire leurs textes politiques du russe ([3] [90]), nous appelons au développement du débat et de la réflexion.
Nous souhaitons que la discussion et les critiques mutuelles se poursuivent. Mais aussi, nous encourageons à ce que ce débat ne se limite pas entre nous, il doit s'ouvrir aux autres camarades en Russie même et à d'autres groupes du milieu politique prolétarien dans le monde.
Pal.
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[1] [91] Au pays du grand mensonge, livre d'Anton Ciliga, Gallimard, 1938. La version complète devient Dix ans au pays du mensonge déconcertant, Champ libre, 1971.
[2] [92] Depuis Mai 68, le terme "gauchisme" est passé dans le langage courant pour désigner, non plus les oppositionnels au sein de 1'Internationale Communiste que Lénine critiquait fraternellement et qui furent des expressions de la Gauche communiste, mais tous les courants extraparlementaires qui, comme les trotskistes et les maoïstes [il faut distinguer les «maoïstes» dans les pays occidentaux, que nous caractérisons de «gauchistes», de Mao qui, en théorisant une sorte de «national communisme paysan», n'a jamais rien eu à voir avec le mouvement ouvrier. C'est un «stalinisme oriental»], ont trahi l'internationalisme, qui apportent un soutien critique aux partis de la gauche bourgeoise (partis socialistes et communistes staliniens) et aux syndicats. Il désigne donc une tendance politique qui appartient clairement à l'appareil politique de la bourgeoisie.
[3] [93] Les documents que nous possédons, en anglais ou français, sont majoritairement des lettres.
Huit ans après son père, G.W. Bush commence son mandat de président des Etats-Unis d'Amérique. Son père nous avait promis "une ère de paix et de prospérité" à la suite à l'implosion du bloc de l'Est et l'explosion de l'URSS. Son fils hérite d'une situation de guerres et de misère généralisée qui n'ont fait que s'accentuer et s'étendre tout au long des années 1990. La situation du monde est réellement catastrophique. Et cette situation n'est ni provisoire, ni transitoire dans l'attente de la réalisation de la prophétie de G. Bush père. Tout indique que le monde capitaliste entraîne l'humanité dans une spirale infernale de conflits guerriers meurtriers éparpillés sur tous les continents, d'antagonismes impérialistes croissants, particulièrement entre les grandes puissances, dans une nouvelle chute brutale dans la crise économique et la misère, et dans une cascade de catastrophes en tous genres. Ces trois éléments, les guerres, l'impasse économique, et la destruction de la planète, rendent la vie des générations actuelles de plus en plus invivable et met en péril la survie des générations à venir. Il devient de plus en plus clair que le monde capitaliste mène l'espèce humaine à sa disparition.
Si l'illusion sur la paix était rapidement tombée avec la guerre du Golfe et l'écrasement de l'Irak en 1991, puis avec l'interminable guerre en Yougoslavie, l'illusion de la prospérité a pu être relancée à plusieurs reprises avec les taux positifs de la croissance américaine tout au long des années 1990, avec les cours à la hausse des Bourses, et avec la fameuse et mirifique "nouvelle économie" liée à Internet. Les taux de croissance américains et les cours de la Bourse n'ont pas empêché, bien au contraire en fait, l'augmentation dramatique de la pauvreté et de la faim dans le monde. Pour sa part, la "nouvelle économie" a fait long feu et aujourd'hui l'illusion de la prospérité à venir pour tous vole en éclats.
Une économie en faillite virtuelle
Nous avons déjà dénoncé dans cette revue les mensonges sur la "bonne santé" de l'économie capitaliste qui serait basée sur des taux de croissance positifs. La bourgeoisie mondiale a établi des "règles" pour définir la récession qui ne serait effective qu'après deux trimestres de croissance négative. Notons au passage que globalement, cela fait dix ans que le Japon est en récession "officielle", c'est-à-dire selon les critères de la propagande bourgeoise. Néanmoins, et au-delà des tricheries sur les chiffres et les modes de calcul, la réalité d'une croissance positive "officielle" ne signifie pas que l'économie est en bonne santé. L'augmentation de la pauvreté aux Etats-Unis mêmes (1), sous la présidence de Bill Clinton, et malgré des taux de croissance "exceptionnels" en est une illustration.
Pire qu'en 1929
Les médias, les historiens et les économistes font toujours référence à la grande crise de 1929 pour définir une crise économique catastrophique et pour montrer que l'économie d'aujourd'hui va bien. L'expérience même de 1929 vient démentir cette affirmation. "Dans la vie de la plupart des hommes et des femmes, les expériences économiques centrales de l'époque furent certes cataclysmiques, et couronnées par la Grande Crise des années 1929-1933, mais la croissance économique ne s'est pas arrêtée au cours de ces décennies. Elle s'est simplement ralentie. Dans l'économie la plus grande et la plus riche de l'époque, celle des Etats-Unis, le taux de croissance moyen du PNB par tête entre 1913 et 1938 ne dépassa pas un modeste 0.8% par an. Dans le même temps, la production industrielle mondiale augmenta d'un peu plus de 80%, soit à peu près la moitié de la croissance du quart de siècle précédent (W.W. Rostov, 1978, p.662) [...] Toujours est-il que si un Martien avait observé la courbe des mouvements économiques d'assez loin pour ne pas remarquer les dents de scie dont souffrirent les êtres humains sur terre, il en aurait conclu indubitablement à une expansion continue de l'économie mondiale." (E.J. Hobsbawn, L'âge des extrêmes).
Nos économistes et gouvernants ne sont pas des Martiens mais des représentants et des défenseurs de l'ordre capitaliste. C'est à ce titre qu'ils s'échinent la plupart du temps à masquer la réalité de la catastrophe économique. Ce n'est que rarement et dans des publications plus confidentielles que certains reconnaissent une partie de la réalité qui vient confirmer notre thèse. "Néanmoins, la croissance économique restera insuffisante pour faire reculer le taux de pauvreté ou procurer le bien-être à la population" reconnaît The Economist à propos de l'Amérique Latine (Courrier international, Le Monde en 2001). Mais cela vaut bien sûr pour l'ensemble de la population mondiale. Que dire alors de l'aggravation dramatique de la pauvreté si les prévisions de Fred Hickey cité par The Wall Street Journal - "il est sûr que nous allons vers une récession" (Le Monde, 17 mars 2001) - se réalisent !
Aujourd'hui, avec les chutes boursières de ce début d'année 2001, il est difficile de faire croire que tout va bien au royaume de la finance et de la "nouvelle économie" liée à Internet. "Depuis son plus haut niveau historique de 5132 points atteint le 10 mars 2000, le marché des valeurs technologiques a chuté de près de 65%. Triste anniversaire puisque, sur la même période, ce sont près de 4500 milliards de dollars qui se sont évaporés sur l'ensemble des places financières américaines." (Le Monde, idem)
Au-delà de l'économie liée à Internet, c'est l'ensemble des Bourses qui sont affectées par la chute des cours. Pour l'instant, et contrairement aux crises boursières des années 1980 et 1990 d'Amérique, d'Asie et de Russie, la chute semble contrôlée même s'il s'agit bien d'un krach important. Une question reste posée : celle du Japon dont le système financier et bancaire, particulièrement fragilisé par des créances douteuses, est au bord de la faillite. "La déroute du système bancaire nippon menace le reste de la planète" (Le Monde, 27 mars 2001). Si le Japon retire ses avoirs américains, c'est tout le financement à crédit de l'économie américaine qui risque d'être atteint par les conséquences en cascade d'une telle décision. "Si les investisseurs étrangers ne souhaitent pas fournir les capitaux nécessaires, l'impact sur la croissance, les cours de la Bourse et le dollar pourrait être important" (The Economist, Courrier international, Le monde en 2001). D'autant que l'épargne des ménages américains est nulle et l'endettement des particuliers et des entreprises pour spéculer sur les cours boursiers a atteint des sommets. Nous l'avons déjà maintes fois démontré : l'économie capitaliste mondiale est basée sur une montagne de dettes qui ne seront jamais remboursées et qui viennent accélérer et aggraver, après les avoir repoussées d'abord dans le temps et l'espace - dans les pays "émergents" -, les conséquences de l'impasse économique du monde capitaliste. La première économie, celle des Etats-Unis, est la plus endettée de toutes et ses taux de croissance sont payés à crédit par "un déficit commercial colossal et un endettement massif vis-à-vis de l'étranger" (idem). Même les experts expriment leurs doutes. "Pour résumer, l'économie américaine en 2001 aura besoin d'une gestion intelligente et, surtout, d'une bonne dose de chance" (idem). Qui monterait dans un avion où on préviendrait à l'avance qu'il faudrait un pilote intelligent "et, surtout, une bonne dose de chance" ?
En même temps, et après les différentes crises financières qui ont secoué la Russie, l'Asie, l'Amérique Latine à plusieurs reprises, chacune à tour de rôle incapable de faire face aux échéances de leurs dettes, c'est maintenant au tour de la Turquie d'être en quasi-faillite et de voir accourir à son chevet le FMI. Incapable de rembourser 3 milliards de dollars au 21 mars, elle a reçu 6 milliards du FMI en échange d'un plan drastique d'attaques économiques contre la population. La descente aux enfers de l'économie argentine connaît une nouvelle accélération. Cet hiver, il a fallu lui octroyer d'urgence "une aide financière exceptionnelle de 39,7 milliards de dollars, destinés avant tout à éviter un défaut de paiement de la lourde dette extérieure (122 milliards de dollars, soit 42% du PIB)" (Le Monde, 20 mars 2001, supplément économique). En soi, ces crises locales peuvent sembler n'exprimer que la fragilité de ces pays. Mais en fait, elles expriment la fragilité de l'économie mondiale car dans chacune de ces crises - et il y en a eu beaucoup depuis celle 1982 en Amérique Latine - où des pays "émergents" se retrouvent incapables de faire face aux échéances de leur dette, c'est tout le système financier international qui est en péril immédiat. D'où les interventions précipitées des gouvernements des grandes puissances et du FMI à coups de nouveaux crédits à chaque fois plus importants.
Dans cette situation, tout l'enjeu de la situation pour la bourgeoisie mondiale, et ce depuis maintenant plusieurs années, est d'arriver à contrôler la chute inévitable de l'économie nord-américaine. "L'excès de la demande par rapport à l'offre aux Etats-Unis symbolise le revers de ce miracle [la croissance américaine]. C'est aussi un danger, car il s'accompagne d'un déficit commercial colossal et d'un endettement massif vis-à-vis de l'étranger. Si le déficit et l'endettement se confirmaient, l'effondrement deviendrait inévitable. Mais ce ne sera pas le cas. En 2001, avec le retour de la croissance américaine à un rythme plus modéré, non plus miraculeux mais juste impressionnant, les déficits du commerce extérieur et de la balance des paiements devraient diminuer" (The Economist, Courrier international, Le monde en 2001). Le premier journaliste comptait sur la chance. Celui-ci dans un article intitulé "L'âge d'or de l'économie mondiale" compte sur les miracles. Pour les différents secteurs de la bourgeoisie mondiale, au-delà de leurs intérêts impérialistes, politiques et commerciaux antagoniques, la question cruciale reste la réussite ou non d'un "atterrissage en douceur" de l'économie américaine. C'est-à-dire sans secousses excessives qui risqueraient de mettre à nu brutalement aux yeux de la population mondiale, et particulièrement de la classe ouvrière internationale, la réalité dramatique de la faillite du mode de production capitaliste et l'irréversibilité de cette faillite. Pour la population mondiale, y compris celle des pays industrialisés d'Europe et d'Amérique du Nord, la perspective est à un accroissement de la pauvreté et de la misère qui atteint déjà des sommets.
La "crise agricole", c'est la crise du capitalisme
Les conséquences de la crise de surproduction agricole vont provoquer la ruine de milliers de petits et moyens paysans dans les pays industrialisés et une accélération de la concentration dans cette branche de la production capitaliste. Les maladies de la "vache folle" et l'épidémie de fièvre aphteuse ne sont pas des désastres naturels mais des catastrophes sociales, c'est-à-dire liées et produites par le mode de production capitaliste. Elles sont le produit de l'exacerbation de la concurrence économique et de la course à la productivité. Bref elles sont une expression de la surproduction agricole mondiale et offrent l'occasion de la "résoudre" temporairement par l'abattage en masse des animaux... alors qu'une grande partie de la population mondiale ne mange pas à sa faim. Alors qu'il suffirait de... vacciner les bêtes. "La crise agricole souligne une fois de plus à quel point la faim dans le Sud s'accompagne très bien du gaspillage de l'offre dans le Nord" (Sylvie Brunel, Action contre la faim, Le Monde, 10 mars 2001). Cette crise va aussi avoir des conséquences dramatiques sur les couches paysannes des pays de la périphérie du capitalisme, c'est-à-dire pour une fraction importante de la population mondiale. "Une autre conséquence désastreuse pour le tiers-monde de l'effondrement de la filière viande se profile : la surproduction céréalière" (idem). Quelle manifestation plus claire de l'irrationalité du monde capitaliste, de l'absurdité que représente sa survie, que l'exemple de ces animaux sains envoyés à l'abattoir alors que des millions d'hommes et de femmes n'ont pas de quoi manger. "Car le problème alimentaire mondial ne se situe pas dans la production de nourriture, largement suffisante pour tous en volume, mais dans sa répartition : ceux qui souffrent de sous-alimentation sont trop pauvres pour acheter de quoi se nourrir" (idem) (2). Voilà pourquoi le capitalisme ne peut même pas s'offrir le "luxe" de vacciner les moutons et les vaches : les cours s'effondreraient surtout si on fournissait gratuitement les animaux promis à l'abattage aux affamés du monde.
Sans destruction du capitalisme, tant que ses lois économiques, et en particulier la loi de la valeur, subsisteront, il n'est pas possible de fournir gratuitement, de donner, les animaux sains qui vont être abattus. Il en va de même pour toute surproduction agricole, comme pour toute la production capitaliste, d'où la jachère dans les pays industrialisés et les stocks d'invendus de beurre et de lait. Seule une société où la loi de la valeur, et donc le salariat et les classes sociales auront disparu peut résoudre ces questions parce qu'elle pourra donner au lieu d'abattre.
La population liée aux activités agricoles, qu'elle soit petit propriétaire, qu'elle loue ses services ou la terre, qu'elle soit journalier, ouvrier agricole, n'est pas la seule qui est frappée de plein fouet par la brutale accélération de la crise économique.
Les attaques contre la classe ouvrière
Les licenciements tombent dans tous les secteurs. Aux Etats-Unis, c'est par dizaine de milliers que des sociétés telles Intel, Dell, Delphi, Nortel, Cisco, Lucent, Xerox, Compaq, de la "nouvelle économie", mais aussi de l'industrie traditionnelle comme General Motors, Coca-Cola suppriment les emplois. En Europe, les licenciements et les fermetures d'entreprises reprennent brutalement avec la fermeture des magasins Marks & Spencer, chez Danone, dans l'industrie d'armement chez EADS, en France chez Giat Industries (qui construit les chars Leclerq) alors que les réductions d'effectifs frappent les grandes entreprises et les services publics.
Il s'agit là des pays industrialisés où les bourgeoisies nationales, conscientes des potentialités et des dangers des réactions d'une classe ouvrière concentrée et forte d'une expérience historique de lutte, prennent un maximum de précautions politiques pour mener ces attaques. Dans les pays où la classe ouvrière est plus jeune, avec moins d'expérience et plus dispersée, les attaques sont encore bien plus brutales. Il est clair que, parmi beaucoup d'autres exemples, les attaques vont redoubler contre la classe ouvrière en Argentine et tout particulièrement en Turquie.
Ces attaques massives dans tous les pays et dans tous les secteurs mettent à bas le mensonge selon lequel "l'économie va bien". Et surtout l'idée sans cesse martelée, que si une entreprise licencie, c'est un cas particulier, exceptionnel, et qu'ailleurs, dans les autres entreprises et secteurs, tout va bien. C'est toute la classe ouvrière internationale qui est touchée et dans toutes les branches d'activité que tombent les licenciements, que se réduisent les salaires, que se développent la précarité et l'insécurité, qu'augmentent les cadences et les horaires de travail, et que se détériorent les conditions de travail et de vie.
Bush père, et avec lui l'ensemble des différents appareils d'Etat nationaux, gouvernements, politiciens, idéologues, journalistes, intellectuels, parlaient de prospérité. Nous avons eu, nous avons, et tout indique que nous allons continuer à avoir, et toujours plus, la misère généralisée.
L'humanité se trouve devant un blocage historique. D'un côté, le capitalisme n'a plus aucune perspective à offrir autre que crise, guerre, désolation, misère et une barbarie croissante. De l'autre, la seule force sociale, la classe ouvrière internationale, qui pourrait offrir la perspective de la fin du capitalisme et d'une autre société n'arrive pas encore à s'affirmer ouvertement. Dans cette situation, c'est à un véritable pourrissement sur pied, à une véritable décomposition de la société capitaliste que nous assistons. Parmi les conséquences les plus dramatiques, outre les guerres, la violence urbaine, l'insécurité généralisée, parmi celles qui handicapent le plus l'avenir et la survie même de l'humanité, la destruction de l'environnement et la multiplication des catastrophes en tous genres ne font que se multiplier et s'aggraver.
Pourrissement et irrationalité de la société capitaliste
Entre la réduction de la couche d'ozone, les pollutions maritimes et terrestres des mers, des fleuves, de la terre, des villes et des campagnes, les traficotages sur la nourriture, les épidémies chez l'homme et chez les animaux d'élevage, - la liste n'est pas exhaustive - la planète devient chaque fois plus invivable et c'est tout son équilibre qui est mis en péril.
Jusqu'à présent, les catastrophes et la détérioration de l'environnement n'apparaissaient que comme des conséquences "mécaniques" de l'aggravation de la crise économique, de la concurrence capitaliste et de la recherche effrénée d'une productivité maximum. Aujourd'hui les questions de l'environnement deviennent un enjeu impérialiste, un lieu d'affrontements entre grandes puissances. La rupture des accords de Kyoto sur l'émission des gaz à effet de serre par les Etats-Unis a été l'occasion d'une affirmation et d'une dénonciation par les autres grandes puissances, particulièrement européennes, de l'irresponsabilité des américains. "L'Union Européenne ne voit aucune solution alternative au problème climatique en dehors du protocole de Kyoto et elle reste résolue à l'appliquer, avec ou sans les Etats-Unis" (Romano Prodi, président de la Commission européenne, Le Monde, 6 avril 2001). Au même titre que les "causes humanitaires" et la "défense des droits de l'homme", l'environnement et les catastrophes sont des enjeux, des lieux de compétition entre les Etats. "L'ingérence humanitaire" mise en ?uvre en Bosnie a été un terrain d'affrontements entre les grandes puissances. Tout comme elle l'avait été lors de l'intervention en Somalie. L'aide humanitaire est dans le même cas : à chaque tremblement de terre, nous assistons à une compétition entre les équipes américaines et européennes pour retrouver les corps des survivants dans les décombres.
De plus en plus, se dévoile le lien entre l'impasse économique du capitalisme, l'exacerbation des antagonismes impérialistes que la crise économique provoque au plan historique, et toutes les conséquences sur l'ensemble de la vie sociale, conséquences qui viennent à leur tour accentuer les rivalités impérialistes et les conflits et peser encore plus sur la crise économique. C'est bien dans une spirale infernale et dans une véritable descente aux enfers que le monde capitaliste entraîne l'humanité et la planète.
Une multiplication des guerres
"Que l'humanité ait appris à vivre dans un monde où massacres, tortures et exil de masse sont devenus des expériences quotidiennes que nous ne remarquons plus, n'est pas l'aspect le moins tragique de cette catastrophe." (E.J. Hobsbawn, L'âge des extrêmes).
Le panorama du monde actuel est effroyable. Une multitude de conflits guerriers sans fin ensanglantent la terre. Ils touchent tous les continents : l'ex-URSS, en particulier ses anciennes républiques asiatiques, à commencer par le Caucase ; le Moyen-Orient de l'Irak jusqu'au Pakistan en passant par l'Afghanistan ; l'Asie du Sud-Est ; le Proche-Orient bien sûr ; le continent africain ; en partie le continent sud-américain tout particulièrement la Colombie ; et les Balkans. Aujourd'hui, les pays et les régions du monde qui ne sont pas touchés directement à un degré ou à un autre par des guerres ouvertes ou larvées représentent des îlots de "paix" dans un océan d'affrontements militaires.
A la fin des années 1970 et dans les années 1980, la situation du Liban était l'expression la plus claire de l'entrée du monde capitaliste dans sa phase de décomposition. Ne parlait-on pas de "libanisation" quand un pays se trouvait en proie à une guerre sans fin et à la dislocation ? Aujourd'hui ce sont des continents entiers qui se sont "libanisés". Combien de pays africains (3) ? Difficile de les énumérer tous. Mais c'est la grande majorité qui sont devenus des Libans. L'Afghanistan (4) - plus de 20 ans de guerre et de massacres continus - en est sans doute une des expressions les plus extrêmes et dramatiques.
Et qu'on ne s'y trompe pas, la responsabilité première tant dans l'origine historique que dans l'aggravation actuelle de ces conflits, incombe à l'impérialisme de manière générale, et tout particulièrement aux grandes puissances. Ce sont les rivalités impérialistes entre celles-ci qui ont déclenché ces conflits et les ont entretenus : c'est le cas de l'Afghanistan avec l'invasion russe en 1980 et le soutien à la guérilla islamique par les Etats-Unis du temps des deux blocs impérialistes. C'est le cas évidemment pour les Balkans avec d'une part l'appui allemand en 1991 aux indépendances slovène et croate, et maintenant aux minorités albanaises dans l'ex-Yougoslavie et, d'autre part, avec l'intervention active de la Grande-Bretagne, de la France, de la Russie, de l'Italie, de l'Espagne, et des Etats-Unis - pour ne citer que les principales puissances - pour contrecarrer cette politique. C'est le même constat pour l'Afrique. Tant à l'origine des guerres que dans leur déroulement encore aujourd'hui, la main des grandes puissances continue à jeter de l'huile sur le feu même quand ces conflits ne représentent plus à leurs yeux un intérêt majeur comme c'est le cas pour l'Afrique ou l'Afghanistan.
Les rivalités impérialistes directes entre grandes puissances qui sont en général plus discrètes, surtout depuis la fin des blocs en 1989, connaissent actuellement une tension particulière. Les Etats-Unis adoptent une attitude particulièrement agressive vis-à-vis de la Chine comme en témoigne l'accident de la chasse aérienne chinoise avec l'avion-espion américain le 1er avril 2001, vis-à-vis de la Russie avec l'expulsion de 50 diplomates russes fin mars 2001, et de l'Europe avec le rejet américain du protocole d'accord sur les gaz à effet de serre de Kyoto et le projet de bouclier anti-missile américain.
Bush père, et avec lui l'ensemble des différents appareils d'Etat nationaux, gouvernements, politiciens, idéologues, journalistes, intellectuels, parlaient de paix. Nous avons eu, nous avons, et tout indique que nous allons continuer à avoir la guerre en permanence.
Les guerres de la période de décadence du capitalisme
Le capitalisme semble être irrationnel d'un point de vue historique. Il mène l'espèce humaine à sa disparition et il ne respecte plus aucune "raison" économique ou historique.
"Le court Vingtième Siècle on [a] tué ou laissé mourir délibérément plus d'êtres humains que jamais auparavant dans l'histoire (...). Il fut sans doute le siècle le plus meurtrier dont nous ayons gardé la trace, tant par l'échelle, la fréquence et la longueur des guerres qui l'ont occupé (et qui ont à peine cessé un instant dans les années 1920) mais aussi par l'ampleur incomparable des catastrophes humaines qu'il a produites - des plus grandes famines de l'histoire aux génocides systématiques. A la différence du "long XIXe siècle" qui semblait et fut en effet une période de progrès matériel, intellectuel, et moral presque ininterrompu, c'est-à-dire de progression des valeurs de la civilisation, on a assisté, depuis 1914, à une régression marquée de ces valeurs jusqu'alors considérées comme normales dans les pays développés et dans le milieu bourgeois, et dont on était convaincu qu'elles se propageraient aux régions plus retardataires et aux couches moins éclairées de la population." (E.J. Hobsbawn).
Certes, il y a une histoire du capitalisme qui permet de comprendre sa dynamique actuelle. Il y a donc des "raisons" historiques à son irrationalité. La principale est son entrée dans sa période de déclin historique, de décadence au début du 20e siècle dont la Première Guerre mondiale de 1914-1918 a été la sanction, le produit, et un facteur actif de cette même décadence. C'est avec la période de décadence que les guerres, en cessant d'être des guerres coloniales ou nationales - c'est-à-dire avec des objectifs et des buts "rationnels" tels la conquête de nouveaux marchés ou la constitution et la consolidation de nouvelles nations qui s'inscrivaient globalement dans le développement historique - sont devenues des guerres impérialistes avec pour causes le manque de marchés et la nécessité d'un repartage impérialiste, objectif qui ne pouvait lui s'inscrire dans un progrès historique. Du coup, les caractéristiques des guerres impérialistes sont devenues chaques fois plus barbares, meurtrières et destructrices. En fait, avec la période de décadence, ce ne sont plus les guerres qui sont au service de l'économie. C'est l'économie qui s'est mise au service de la guerre. Aussi bien en temps de guerre qu'en temps de "paix". Toute la période qui va de 1945 à aujourd'hui vient illustrer amplement ce phénomène.
"Au cours du XXe siècle, les guerres ont de plus en plus visé l'économie et l'infrastructure des Etats ainsi que leurs populations civiles. Depuis la Première Guerre mondiale, le nombre de victimes civiles de la guerre a été bien plus important que celui des victimes militaires dans tous les pays belligérants, sauf aux Etats-Unis... Dans ces conditions, pourquoi les puissances dominantes des deux camps menèrent-elles la Première Guerre mondiale comme un jeu à somme nulle, c'est-à-dire comme une guerre qui ne pouvait être que totalement gagnée ou perdue ? (...) Dans les faits, le seul but de guerre qui comptât, c'était la victoire totale, avec, pour l'ennemi, ce qu'on devait appeler au cours de la Seconde Guerre mondiale une "capitulation sans condition". C'était un objectif absurde et autodestructeur, qui ruina à la fois les vainqueurs et les vaincus. Il entraîna les seconds dans la révolution, et les vainqueurs dans la faillite et l'épuisement physique." (E.J. Hobsbawn)
Ces caractéristiques propres aux guerres impérialistes du 20e siècle n'ont fait que se vérifier dramatiquement lors de la Seconde Guerre mondiale et jusqu'à nos jours dans tous les conflits qui se sont déchaînés. Depuis 1989 et la disparition des blocs impérialistes constitués autour des Etats-Unis et de l'URSS, la menace d'une guerre mondiale a disparu. Mais la disparition des blocs, et la discipline qui allait avec, a laissé le champ libre à l'explosion d'une multitude de conflits guerriers que les grandes puissances impérialistes, tout en ayant du mal à les maîtriser une fois lancés, provoquent, alimentent, et exacerbent. Les caractéristiques principales que la guerre a acquises lors de la période de décadence ne disparaissent pas avec la fin des blocs impérialistes. Bien au contraire. Il est venu s'y rajouter, comme élément aggravant, le développement du "chacun pour soi" se substituant à la discipline des blocs, chaque puissance impérialiste, chaque Etat, petit ou grand, jouant sa propre carte contre tous les autres. Le monde capitaliste est entré dans une phase particulière de sa décadence historique : phase que, pour notre part, nous avons définie comme sa phase de décomposition (5). Mais indépendamment de l'analyse qu'on en fait, voire du nom qu'on lui donne, "on ne saurait cependant sérieusement douter qu'une ère de l'histoire mondiale s'est achevée à la fin des années 1980 et au début des années 1990, et qu'une ère nouvelle a commencé (...). La dernière partie du siècle a été une nouvelle ère de décomposition, d'incertitude et de crise - et, pour une bonne partie du monde, telle l'Afrique, l'ex-URSS et l'ancienne Europe socialiste, de catastrophe." (idem)
Les guerres de la période de décomposition du capitalisme
C'est dans cette situation historique particulière, inédite, que les tensions impérialistes actuelles doivent être comprises. "Dans la période de décadence du capitalisme, tous les Etats sont impérialistes et prennent des dispositions pour assumer cette réalité : économie de guerre, armement, etc. C'est pour cela que l'aggravation des convulsions de l'économie mondiale ne pourra qu'attiser les déchirements entre ces différents Etats, y compris, et de plus en plus, sur le plan militaire. La différence avec la période qui vient de se terminer, c'est que ces déchirements et antagonismes, qui auparavant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux "partenaires" d'hier, ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l'heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s'y opposer). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d'être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible." (6) (Revue internationale n°61, 10 février 1990)
Alors que les Balkans et le Proche-Orient restent et resteront toujours, tant que le capitalisme subsistera, des zones de guerres et de conflits permanents, les dernières semaines ont vu une aggravation et une multiplication des tensions inter-impérialistes directement entre les grandes puissances. Et ce sont les Etats-Unis qui adoptent une attitude agressive. "Le motif reste mystérieux pour ce qui semble une brutalité gratuite dans l'approche de l'administration Bush non seulement envers la Russie et la Chine, mais aussi envers la Corée du Sud et les Européens." (W. Pfaff, International Herald Tribune, 28 mars 2001) Il serait particulièrement réducteur de mettre cette nouvelle agressivité sur le seul compte de Bush fils. Certes, le changement de président et d'équipe gouvernementale est une occasion d'inflexion d'une politique. Mais les grandes tendances de fond de la politique américaine restent. La politique du "je-montre-mes-muscles" et du "retenez-moi-ou-je-fais-un-malheur" n'est pas lié aux déficiences intellectuelles de la famille Bush comme essaient de nous les présenter les médias européens, et même parfois américains. C'est une tendance de fond qui est imposée par la situation historique.
"Avec la disparition de la menace russe,"l'obéissance" des autres grands pays avancés n'est plus du tout garantie (c'est bien pour cela que le bloc occidental s'est désagrégé). Pour obtenir une telle obéissance, les Etats-Unis ont désormais besoin d'adopter une démarche systématiquement offensive sur le plan militaire." (Revue internationale n°67, Rapport sur la situation internationale du 9e congrès du CCI, 1991) Depuis lors, cette caractéristique de fond de la politique impérialiste américaine ne s'est pas démentie car "face à la montée irrésistible du chacun pour soi, les Etats-Unis n'ont d'autre choix que de mener en permanence une politique militaire offensive." (Revue internationale n°98, Rapport sur les conflits impérialistes du 13e congrès du CCI, 1999)
Des antagonismes impérialistes croissants
Cette nécessité de montrer ses muscles s'impose d'autant plus quand les Etats-Unis se trouvent particulièrement en difficulté dans le domaine diplomatique. L'extension de la guerre balkanique à la Macédoine est une des manifestations des difficultés américaines à maîtriser la situation dans cette partie du monde. Les Etats-Unis sans réel appui dans la région, contrairement aux anglais, français et russes traditionnellement du côté de la Serbie, et des allemands contre cette dernière et se reposant sur les croates et albanais, sont obligés d'adapter leur politique en fonction des circonstances. Ce n'est donc pas un hasard si "l'OTAN permet le retour partiel de l'armée yougoslave dans la "zone de sécurité" entourant le Kosovo (...). Le souci d'associer Belgrade à la prévention d'un nouveau conflit dans la région est manifeste" (Le Monde, 10 mars 2001). Les Etats-Unis, comme les alliés de la Serbie, sont intéressés au maintien de la stabilité de la Macédoine qui "a toujours été considérée comme un maillon faible qu'il faut préserver sous peine de risquer une déstabilisation de tout le sud-est européen" (idem). La seule puissance qui bénéficie de l'extension de la guerre à la Macédoine, et la seule puissance qui n'est pas intéressée par le maintien de la stabilisation et du statu-quo, est l'Allemagne. Avec la Croatie indépendante et la province croate de Bosnie-Herzégovine, une grande Albanie faisant sauter la Macédoine et le Monténégro, réaliserait l'objectif géostratégique historique de l'Allemagne d'une ouverture directe sur la Méditerranée. Evidemment une telle perspective relancerait d'autant les appétits momentanément mis sous l'éteignoir de la Grèce et de la Bulgarie sur la... Macédoine. D'ailleurs le président macédonien ne s'est pas trompé sur les vrais responsables de l'offensive de la guérilla albanaise. C'était avant le retournement américain. "Vous ne persuaderez personne aujourd'hui en Macédoine que les gouvernements des Etats-Unis et de l'Allemagne ne savent pas qui sont les chefs des terroristes et ne pourraient, s'ils le voulaient, les empêcher d'agir." (Le Monde, 20 mars 2001)
Comme pour l'Afghanistan, comme pour l'Afrique, comme pour tant d'autres régions du monde qui connaissent les guerres et les conflits propres à la décomposition du capitalisme, la paix dans les Balkans ne se réalisera plus tant que subsistera le capitalisme.
Il en va de même pour le Proche-Orient. Comme nous l'annoncions dans le précédent numéro de cette revue, "le plan que Clinton essayait de faire passer à tout prix avant de quitter les affaires sera resté lettre morte comme c'était prévisible". La nouvelle administration Bush semble vouloir prendre en compte l'incapacité américaine à imposer la "pax americana". En fait, elle semble intégrer et accepter l'idée que la région sera toujours un foyer de guerre ou pour le moins que le conflit entre Israël et les palestiniens n'aura pas de fin. Colin Powell, le nouveau secrétaire d'Etat américain aux affaires étrangères, ex-chef d'Etat-major de l'armée américaine lors de la guerre du Golfe, reconnaît qu'il n'y a pas de "formule magique" d'autant qu'Israël n'hésite plus à mener sa propre politique, expression du règne du chacun pour soi dans la période historique actuelle, même quand celle-ci est contraire à la politique américaine. Pour sa part, la bourgeoisie de Palestine, pays dont la population étranglée économiquement, miséreuse et réprimée, ne peut exprimer son désespoir que dans un nationalisme suicidaire anti-israélien, est appuyée par les puissances européennes. La France en particulier n'hésite pas à favoriser tout ce qui peut s'opposer à la politique américaine dans la région.
La réponse américaine à cette impuissance a été le bombardement meurtrier sur Bagdad dès l'accession au pouvoir de Bush. Le signal s'adresse à tous, aux pays arabes de la région et aux autres grandes puissances impérialistes : les Etats-Unis n'imposeront plus leur paix, mais taperont militairement chaque fois que nécessaire, quand ils estimeront que "la ligne jaune est franchie".
Non seulement, il n'y aura pas de paix entre israéliens et palestiniens, mais la guerre, plus ou moins larvée, risque de se généraliser à toute la région.
Les lois mêmes du monde capitaliste poussent inévitablement à l'exacerbation des rivalités impérialistes, à la multiplication des conflits guerriers sur tous les continents, sur tout le globe, tout comme à l'aggravation irréversible de la crise économique. Le capitalisme agonisant ne peut pas apporter la "paix et la prospérité. Il n'est que guerres et misère. Et il ne peut apporter que la guerre et la misère sans fin.
Quelle alternative à la barbarie capitaliste ?
Il n'est que la théorie marxiste qui a su dès 1989, dès la fin du bloc de l'Est et avant même l'explosion de l'URSS, comprendre et prévoir la signification de l'événement et ses conséquences pour le monde capitaliste et pour la classe ouvrière internationale (7). Il ne s'agit pas là d'une supériorité de quelques individus, ni même d'une croyance aveugle et mécanique dans une Bible. Si le marxisme a été clairvoyant, c'est parce qu'il constitue la théorie du prolétariat international, l'expression de son être révolutionnaire. C'est parce que le prolétariat est la classe révolutionnaire que le marxisme existe et qu'il peut appréhender dans ses grandes lignes le devenir historique, et particulièrement l'impossibilité pour le capitalisme de résoudre les problèmes dramatiques que sa survie provoque.
L'aveu de la détérioration de l'économie mondiale, même si la bourgeoisie tente d'en minimiser les conséquences et les attaques qui sont portées aujourd'hui brutalement contre la classe ouvrière internationale, particulièrement en Europe occidentale, participent de dévoiler aux yeux des ouvriers le mythe sur la prospérité et le futur radieux du capitalisme. Déjà, une certaine combativité ouvrière tend à se développer et les syndicats s'emploient à la canaliser, à la contenir et à la dévoyer. Aussi lente soit celle-ci à s'affirmer et à se développer, aussi timides soient les réponses actuelles de la classe ouvrière internationale à la situation qui lui est faite, ces luttes portent en elles le dépassement de cette barbarie quotidienne et la survie de l'humanité. Le renversement du capitalisme passe par le refus des attaques économiques que subit la classe ouvrière et par le refus de toute participation aux guerres impérialistes, par l'affirmation de l'internationalisme prolétarien. Il passe aussi par le développement et l'extension la plus large possible des luttes ouvrières à chaque fois que possible. C'est la seule voie vers une perspective révolutionnaire et la possibilité pour l'espèce humaine dans son ensemble d'une société sans guerre, sans misère, et sans barbarie. Il n'est pas d'autre solution. Il n'est pas d'autre alternative.
R.L., 7 avril 2001
1 - Voir notre presse territoriale
2 - Nous ne pouvons qu'être d'accord avec ce constat que le marxisme a déjà largement et depuis longtemps dénoncé et expliqué. Evidemment la conclusion qu'en tire notre honnête et sans doute sincère conseillère stratégique de l'organisation humanitaire Action contre la faim, à savoir «qu'il est urgent de redonner du pouvoir d'achat aux pauvres du Sud pour leur permettre de devenir des consommateurs» est en réalité complètement irréalisable puisque cela ne rompt pas avec les lois mêmes du mode de production capitaliste alors que ces dernières sont la raison même de cette situation.
3 - «La plupart des Etats d'Afrique sub-saharienne, à l'exception peut-être temporaire de l'Afrique australe, traversent une phase lente de décomposition» (Le Monde diplomatique, mars 2001).
4 - La presse et les gouvernements occidentaux font grand cas de la destruction des bouddhas par les talibans. Et il est vrai que c'est sans doute une perte pour le patrimoine culturel universel. Mais il est difficile de ne pas voir là une hypocrisie et une opportunité de campagne idéologique : il suffit de se rappeler que les bourgeoisies occidentales et démocratiques n'ont pas eu de tels scrupules à la fin de la 2e guerre mondiale pour bombarder et raser toutes les villes allemandes et pour massacrer des millions de civils, et avec elles un patrimoine culturel et historique tout aussi important.
5 - Cf. Revue internationale n°62, la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme, mai 1990.
6 - Pour tous ceux qui dénigrent la force théorique du marxisme, on peut comparer la prophétie de G. Bush père, la paix et la prospérité, reprise, développée, défendue et argumentée à longueur de pages dans les journaux et émissions spéciales des télévisions, avec notre analyse marxiste et notre compréhension marxiste de la période qui s'ouvrait alors.
7 - Cf. Revue internationale n°60, Thèses sur crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est, septembre 1989.
Sur Arte, chaîne publique de télévision franco-allemande, un long documentaire a été programmé avec un titre éloquent "Les dessous de la guerre du Golfe". Au moment de la sortie de ce document, des articles ont été publiés dans des hebdomadaires avec des "révélations" concernant la préparation et la réalisation de cette guerre. Le titre de l'article de l'hebdomadaire français Marianne (22-28 janvier 2001) est encore plus explicite : "Les mensonges de la guerre du Golfe". Pourquoi ces "révélations" dix ans après ? Pourquoi, après les tonnes de mensonges sur cette guerre, qui ont accompagné les tonnes de bombes, certaines fractions de la bourgeoisie dévoilent aujourd'hui les manigances criminelles de l'administration Bush (le père) dans la préparation, la mise en place et la réalisation de cette guerre, depuis l'été 1990 jusqu'en février 1991 et aujourd'hui encore ? La version officielle
"La guerre du Golfe fut une Opération militaire menée en janvier et février 1991 par les Etats-Unis et leurs alliés, agissant sous l'égide de l'O.N.U. contre l'Irak, pour mettre fin à l'occupation du Koweït envahi par les troupes de Saddam Hussein le 2 août 1990. Le Conseil de sécurité des Nations Unies avait exigé dès le 2 août le retrait des forces irakiennes, puis instauré un embargo commercial, financier et militaire (opération Bouclier du désert), qui s'était transformé en blocus. Le 29 novembre, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité avait autorisé les Etats membres à recourir à la force à partir du 15 janvier 1991 si les troupes irakiennes ne s'étaient pas retirées du Koweït. Le 17 janvier, la coalition anti-irakienne, basée en Arabie Saoudite et composée des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et d'une vingtaine d'armées alliées, engage l'opération Tempête du désert, sous commandement américain, bombardant des objectifs militaires irakiens et koweïtiens. Une offensive terrestre victorieuse, du 24 au 28 février, en direction de la ville de Koweït, met fin au conflit sur le terrain. Les pertes humaines se sont élevées à plusieurs dizaines de milliers de morts civils et militaires pour l'Irak, contre moins de deux cents tués pour les coalisés. Les deux tiers du potentiel militaire irakien ont été détruits. Les conditions de cessez-le-feu définies par le Conseil de sécurité de l'O.N.U. (notamment la destruction par l'Irak de ses armes chimiques et biologiques et de ses missiles à longue et à moyenne portée) ayant été acceptées par Saddam Hussein, la guerre prend officiellement fin le 11 avril 1991."
C'est ce type de récit que nous pouvons voir fleurir dans les manuels scolaires (1). Tous les éléments du tableau sont là pour faire croire que la prétendue "objectivité" historique est respectée. N'est-ce pas ce qu'on nous disait plus ou moins il y a dix ans (excepté en ce qui concerne le comptage des morts) ?
La justification de cette guerre fut la défense du sacro-saint "droit international" que "l'ignoble" Saddam avait foulé aux pieds en envahissant le Koweït. Nous vivions, en principe, une période qui, à la suite de l'effondrement du bloc de l'Est, devait voir s'ouvrir devant l'humanité un radieux "avenir de paix et prospérité". C'est en tout cas ce qu'on nous promettait et c'est ce que le président des Etats-Unis de l'époque résumait dans la formule : "le nouvel ordre mondial". Il fallait donc se donner tous les moyens pour arrêter le bras meurtrier du fauteur de guerre qui ne respectait pas le "droit international". Dans ce récit, il y a d'abord la scène de la mise en condition de l'opinion publique mondiale (en d'autres termes du prolétariat), celle de l'ONU, qui se prétend forum international "de paix", où, d'embargo en blocus, on a représenté la sinistre farce diplomatique. Enfin, la guerre elle-même, une prétendue "guerre propre", chirurgicale, une espèce de guerre qui n'allait tuer, comme qui dirait, que les "méchants". La guerre prit fin "officiellement" en avril 1991 mais, en fait, l'épilogue de cette guerre n'est pas encore écrit puisque, depuis dix ans, la bourgeoisie américaine, maintenant en cavalier seul (ou accompagnée par son acolyte britannique), utilise régulièrement Saddam (ou plutôt sa population) comme punching-ball pour montrer ses muscles dans un monde qui, depuis cette guerre, n'a fait que s'enfoncer de plus en plus dans la barbarie. (2)
"La vérité révélée"
Une certaine presse de la bourgeoisie reconnaît aujourd'hui ce que le CCI affirmait il y a dix ans. Nous ne sommes pas "fiers" pour cela et ce n'est pas cela qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse est, d'un côté, de mettre en avant, plus que jamais, la nécessité pour les révolutionnaires d'enraciner leurs analyses dans la méthode marxiste, d'être vigilants face aux événements, de mettre nos analyses à l'épreuve de la réalité, de savoir être critiques, en ne changeant pas d'orientation comme des girouettes. Ceci est une condition sine qua non pour que la lutte de notre classe puisse avancer ; c'est une des fonctions primordiales des organisations révolutionnaires. D'un autre coté, il s'agit aussi de savoir pourquoi aujourd'hui la bourgeoisie "dévoile" ce qu'elle a occulté et, en fin de compte, quels sont les mécanismes de ce qu'on pourrait appeler le "Goebbels (3) démocratique".
Le piège de Washington
Voilà ce que dit l'hebdomadaire Marianne (et le document d'Arte) : "Le piège de Washington : (?) Washington réagit à peine lorsque Saddam parle d'envahir son ancienne province (?)", en insistant sur le fait que les Etats-Unis n'avaient "aucun accord de défense avec les Koweïtiens". "Il s'agit d'une machination pour le piéger", "'On peut dire que les Américains ne voulaient pas de solution diplomatique après l'invasion', conclut D. Halliday? de l'ONU."
Et voici ce que nous disions, début septembre 1990, un mois après l'invasion du Koweït par les troupes de Saddam et bien avant le déclenchement de la guerre : "Mais l'hypocrisie et le cynisme ne s'arrêtent pas là. Certes, discrètement, il apparaît que les Etats-Unis auraient délibérément laissé l'Irak s'engager dans l'aventure guerrière. Vrai ou faux, et c'est sans doute vrai, cela nous éclaire sur les m?urs et les pratiques de la bourgeoisie, sur ses mensonges, ses manipulations, sur l'utilisation qu'elle fait des événements. (...) l'Irak n'avait pas le choix. Ce pays était acculé à une telle politique. Et les Etats-Unis ont laissé faire, favorisé et exploité l'aventure guerrière de Saddam Hussein, conscients qu'ils étaient de la situation de chaos croissant, conscients de la nécessité de faire un exemple." La presse bourgeoise elle-même, en cet été 1990, avait fait part très discrètement de ces informations. Et c'est là où on voit très bien comment fonctionne la propagande dans les régimes de dictature démocratique : après que certains journaux aient fait part, avec des mots toujours voilés, du piège tendu par les Etats-Unis à Saddam, au moment où la tension monte et où la guerre se prépare, ils se font pratiquement tous l'écho de la propagande guerrière de la coalition anti-irakienne. Ces hypocrites le reconnaissent aujourd'hui : "L'armée américaine, s'assurera, cette fois, de la «loyauté» des journalistes. «Le gouvernement avait décidé de tenir la presse à l'écart et il a eu gain de cause. En fait, vous ne saviez pas ce qui se passait» résume Paul Sullivan, président du centre d'aide pour les vétérans du Golfe (?) Pendant quatre mois, on jouera ainsi à se faire peur en entretenant l'idée que l'armée irakienne, "la quatrième du monde", demeurait un adversaire redoutable?" (Marianne). (...)"Cet aveuglement [sic] crasse n'empêcha pas les journalistes occidentaux de disserter copieusement sur ses «diaboliques» talents man?uvriers [de Saddam]? La presse occidentale relate à l'envi les exactions réelles ou fabriquées de l'armée d'occupation. Elle publie, par exemple, le témoignage d'une «jeune fille du peuple», témoin d'horreurs sans nom. En fait, cette «rescapée» est la propre fille de l'ambassadeur du Koweït à Washington?" Ainsi, après le 2 août 1990, jour de l'invasion du Koweït par les troupes irakiennes, tout a été fait pour "mettre en condition l'opinion", pour faire accepter ce qui allait suivre. Et là, les journalistes, que ce soit avec leur assentiment ou plus ou moins à leur insu, y ont participé pleinement.
Mais, ce que ces journalistes qui se disent "honnêtes" aujourd'hui, ne révèlent pas c'est que le piège dressé par les Etats-Unis a servi ces derniers surtout contre leurs "alliés" de l'époque, c'est-à-dire contre les autres grandes puissances.
Dans un article daté de novembre 1990 de notre Revue internationale (4), nous prenions longuement position sur la situation créée par la crise du Golfe, avant ce qui allait devenir la guerre du Golfe. Notre analyse se basait sur nos prises de position précédentes dans lesquelles nous mettions en avant le fait que l'effondrement du bloc de l'Est avait entraîné le délitement du bloc occidental et le développement en son sein de fortes tendances centrifuges, du chacun pour soi de la part des grandes puissances. De ce fait, le prétendu "nouvel ordre mondial" n'était qu'une sinistre farce. La détermination des Etats-Unis dans le piège qu'ils ont tendu à l'Irak, n'avait pas comme principal objectif de soumettre ce pays ou la région, ni même la question du pétrole mais celui de mettre au pas les autres puissances, surtout la France en la forçant à affronter son allié traditionnel irakien, ainsi que l'Allemagne et le Japon en les faisant cracher au bassinet de la participation financière. Quant à l'URSS, déjà en pleine décomposition, il ne lui restait qu'à faire quelques pas de danse diplomatique pour donner le change. "Alors que les Etats-Unis parvenaient à afficher l'unanimité de façade de la «communauté internationale» en août 1990, en déclenchant la «crise du Golfe» face au «fou Saddam», à peine deux mois plus tard, c'est ouvertement le chacun pour soi dans la dite «communauté»." (Revue internationale nº 64). Saddam Hussein, "parce qu'il était conscient des clivages existant entre ces divers pays" (idem), va jouer avec les dissensions évidentes au sein de la coalition occidentale : il fait libérer tous les otages français fin octobre 1990 et il reçoit à la même époque la visite de l'ex-chancelier allemand Willy Brandt (suivie également de la libération des otages allemands).
En fait, la guerre contre l'Irak a été une occasion pour la puissance américaine, alors que son hégémonie sur ses alliés occidentaux allait nécessairement être mise en cause du fait de l'effondrement du bloc adverse, de "montrer sa force et signifier sa détermination aux autres pays les plus développés" (Revue internationale nº 64). Cette démonstration de la détermination américaine s'est faite au prix de la punition sanglante et meurtrière de l'Irak. Dans ce même article, sous le paragraphe titré : "L'opposition entre les Etats-Unis, secondés par la Grande-Bretagne, et les autres", nous écrivions : "C'est tout l'ancien rapport des forces politico-militaire et géostratégique de la planète qui a été bouleversé de fond en comble avec l'écroulement du bloc impérialiste russe. Et cette situation a non seulement ouvert une période de chaos total dans les pays et les régions de l'ancien bloc, mais elle a aussi accéléré partout les tendances au chaos, menaçant «l'ordre» capitaliste mondial dont les Etats-Unis sont les principaux bénéficiaires. Ces derniers ont été les premiers à réagir. Ils ont (?) suscité la «crise du Golfe» en août 1990, non seulement pour prendre pied de façon définitive dans la région, mais surtout? pour en faire un exemple destiné à servir d'avertissement à quiconque voudrait s'opposer à leur place prépondérante de superpuissance dans l'arène capitaliste mondiale." (idem)
La guerre se déclenche : les médias sont au garde-à-vous
En janvier 1991, les Etats-Unis ont réussi à maîtriser la coalition onusienne. Un déluge de bombes va s'abattre sur l'Irak. Le cynisme des gangsters de la dite coalition va jusqu'à vouloir faire croire à une "guerre propre".
"Le Pentagone a raconté que ces raids étaient extrêmement précis. C'était complètement faux. Durant quarante-deux jours, 85 000 tonnes de bombes ont été lâchées sur l'Irak, soit une puissance équivalente à sept Hiroshima et demi ! Entre 150 000 et 200 000 personnes ont été tuées, principalement des civils." (Ramsay Clark, ancien procureur général des Etats-Unis, dans Marianne et le document T.V. d'Arte) "De fait, la coalition fait bien plus qu'annihiler la machine de guerre irakienne : elle détruit méthodiquement l'infrastructure économique."
La presse a collaboré pleinement, et pratiquement sans le moindre état d'âme, avec le pouvoir des différents pays impliqués dans la guerre. Elle ne s'est pas contentée d'accuser le régime irakien et son sanglant dictateur (5), elle s'est surtout mise aux ordres des militaires de la coalition. Il faut se souvenir des plateaux de télévision avec des spécialistes civils et militaires en train de faire des exposés vaseux sur la "très dangereuse" armée irakienne qu'ils n'hésitaient pas à placer au quatrième rang dans le monde. Et tous ces journalistes nous détaillaient les armes terrifiantes que possédait le pouvoir de Bagdad et qu'il pouvait envoyer n'importe où sur le "monde civilisé". On nous racontait comment les armées du sanguinaire Saddam tuaient des bébés dans les crèches du Koweït et, par contre, comment nos gentils pilotes allaient faire attention en ne détruisant que les lieux stratégiques du pouvoir abhorré. L'hebdomadaire Marianne confirme aujourd'hui cette méprisable soumission et cette complicité des médias : "Pendant quatre mois, on jouera ainsi à se faire peur en entretenant l'idée que l'armée irakienne demeurait un adversaire redoutable (?). On évoquera les usines de pesticides reconverties, la vente d'uranium enrichi, (?) la portée du «supercanon». Personne n'osa, semblait-il, envisager l'hypothèse la plus simple. Matamore tonitruant, ce costaud de saindoux [Saddam] était simplement aussi bête qu'opiniâtre. Les vrais spécialistes de l'histoire militaire n'étaient d'ailleurs pas dupes de cette mise en condition : «l'armée irakienne, exposée en plein désert, ne tiendra pas une heure face à la puissance de feu de la coalition». (?) Mise en condition, l'opinion occidentale avalera la fiction des «bombes intelligentes» et des bombardements réduits au strict nécessaire" (Marianne). La manipulation ne s'arrêta pas là : les Etats-Unis encouragent la rébellion des kurdes au Nord et des chiites au Sud de l'Irak contre Saddam. "Le 3 mars, le général Schwarzkopf reçoit la reddition des Irakiens, il les autorise à conserver leurs hélicoptères [pour pouvoir réprimer la rébellion] (6). Depuis des semaines, la radio de la CIA les pousse à l'insurrection. Les alliés ne bougent pas lorsque Saddam lance contre les rebelles les meilleures unités de sa garde républicaine, miraculeusement épargnées par les bombardiers?"
Pourquoi des medias disent "tout" aujourd'hui ?
Dans cette citation, la revue Marianne parle de la "mise en condition". Et c'est aux médias en général et à la télévision en particulier que cette tâche primordiale a échue. On a pu vérifier ce que veut dire "liberté de la presse" pour la bourgeoisie "démocratique", surtout dans des moments graves et décisifs comme celui de la guerre du Golfe. Tous ceux qui, en permanence, ont la bouche pleine de ce grand "droit démocratique", se sont mis sans états d'âme à la botte de la coalition. Et si par hasard, ils voulaient jouer à Tintin à la recherche de la vérité ou d'un scoop mirobolant, les services des Armées les rappelaient à l'ordre. Marianne le dit à sa manière : "Personne n'osa, semblait-il, envisager l'hypothèse la plus simple."
On voit très bien comment fonctionnent les services de propagande dans les systèmes démocratiques. Au moment où les événements exigent le silence radio, rien d'important ne filtre. Par contre, on fait passer toutes sortes de mensonges, de demi-vérités, de manipulations, agrémentés par les avis d'experts "indépendants", spécialistes universitaires et rendus plus crédibles grâce, précisément, au prestige de la "liberté de ton" de la presse des pays démocratiques. C'est à un véritable déluge de désinformation qu'on assiste, surtout à travers le média le plus "populaire" (la T.V.). Dix ans après, "la vérité" ne se dit que dans des magazines à faible tirage et sur des chaînes de T.V. avec peu d'audience. Et ce mécanisme, nous avons pu le revoir à l'?uvre en 1995 avec le génocide au Rwanda et, surtout, avec la dernière guerre en ex-Yougoslavie (Kosovo) où le modèle médiatique du Golfe a encore frappé.
De plus, à la suite de la guerre du Golfe, après avoir livré les populations kurdes et chiites aux spadassins de Saddam Hussein, les "grandes démocraties" ont lancé, avec un cynisme incroyable, leur fameuse "intervention humanitaire" pour "aller au secours des populations innocentes". On nous a servi, depuis, du "devoir d'ingérence humanitaire" jusqu'à la nausée. Dans ce sens, la guerre du Golfe a servi de canevas à partir duquel se brodent toutes les campagnes impérialistes qui se déroulent de par le monde.
Le fait qu'une partie de la vérité soit aujourd'hui révélée au grand jour répond d'abord à la nécessité qu'a la classe dominante de justifier son système. On veut nous faire croire que le capitalisme "démocratique" est le seul système qui permette cela. Et le "tout peut être dit en démocratie" sert à justifier les moments où tout doit être manipulé, déformé, caché.
Mais il y a une autre raison qui explique pourquoi, aujourd'hui, certains médias diffusent ou publient ces faits. Ces articles et ces documentaires ont quelque chose en commun : l'Etat américain apparaît comme le seul coupable. Bien que toutes les grandes puissances notamment partagent la responsabilité des massacres qu'a occasionnés cette guerre, il est vrai que ce sont les Etats-Unis qui ont été les principaux maîtres-d'?uvre de cette "croisade", ce sont eux qui ont préparé et tendu le piège, ce sont eux qui, pour l'essentiel, étaient le bras armé de la coalition. Aujourd'hui, certaines puissances européennes, la France et l'Allemagne en tête, pour lesquelles les Etats-Unis sont le principal adversaire sur l'arène impérialiste mondiale, ont tout intérêt à déformer la réalité de cette guerre dans le sens de diminuer leur responsabilité et de mettre en exergue la sauvagerie et le cynisme de "l'impérialisme américain" (qui évidemment sont bien réels).
L'intervention des révolutionnaires
Bien sûr, nous avons tiré, nous aussi, nos informations de la presse bourgeoisie. Déjà, pendant l'été 1990, certains journaux s'étaient fait l'écho de la manipulation. Par la suite, le déluge de mensonges fut tel que ce que nous affirmions dans notre presse nous faisait passer (même auprès d'éléments de bonne foi, y inclus de certains militants de la Gauche communiste) pour des gens qui déliraient en voyant du machiavélisme partout.
Mais l'information en soi n'est pas le plus important. Ce qui est important c'est la méthode avec laquelle on analyse les événements et la nôtre est la méthode marxiste. Si nous avons été capables de comprendre ce qui se cuisinait en 1990-91 au Moyen-Orient, c'est parce que nous avons fait un travail d'analyse sur les conséquences de l'effondrement du bloc de l'Est et sur la décomposition du capitalisme. Les révolutionnaires n'ont pas et ne peuvent pas avoir des "informateurs secrets". Notre force vient de l'attachement à notre classe, le prolétariat, à son histoire et à la théorie, le marxisme, qu'il s'est forgée.
Par ailleurs, il ne faut pas se faire d'illusions : c'est "sous liberté surveillée" que sont les révolutionnaires et qu'ils peuvent publier. Notre seule protection, nous ne la devons sûrement pas à la "liberté de la presse" mais à la force et à la lutte de notre classe.
Pendant les événements de 1990-91, seuls les révolutionnaires ont été capables de montrer les enjeux et, par conséquent, ont été capables de dénoncer la barbarie et les manipulations de la classe dominante. Certaines fractions de la bourgeoisie ont dénoncé la barbarie contre l'Irak mais c'était soit pour des raisons nationalistes (anti-américaines) soit carrément en soutien à l'impérialisme irakien, comme ce fut le cas pour certains groupes gauchistes. Seuls les groupes de la Gauche communiste ont défendu la position internationaliste prolétarienne contre la guerre. Et, parmi ceux-ci, seul le CCI a été capable de mettre en évidence les enjeux essentiels de la situation. Le piège tendu à l'Irak n'avait pas de sens si l'enjeu avait été seulement le pétrole. Il prenait tout son sens si l'enjeu était le maintien du leadership américain qui, dès l'effondrement du bloc de l'Est avait commencé à être remis en cause (7). Et ce n'est que dans ce contexte que la question du pétrole peut prendre son sens en tant qu'élément d'une politique impérialiste globale.
Sur le plan de la propagande et de l'"information", la bourgeoisie fait tout pour que la classe ouvrière, la seule classe capable d'en finir avec elle et son système, n'arrive pas à prendre conscience de tout ce qui est en jeu. Ses efforts sur ce plan, elle les multiplie quand il s'agit notamment de questions comme la crise économique mortelle qui affecte, depuis plus de 30 ans, son système, ou d'événements d'ampleur comme la guerre du Golfe. Pour ce qui est des capacités idéologiques, des capacités à mentir, à cacher ou à déformer la réalité, la bourgeoisie démocratique est de loin la plus apte et elle n'a pas grand chose à apprendre des spécialistes de l'information des régimes totalitaires. Il est du devoir des révolutionnaires de dénoncer non seulement la barbarie impérialiste mais aussi les mécanismes par lesquels la bourgeoisie essaye d'anesthésier le prolétariat en l'abrutissant de propagandes mensongères.
PA, 30/03/2001.
1 - Cette citation est extraite de l'Encyclopaedia Universalis. Les articles de cette encyclopédie étant rédigés par d'éminents historiens, on peut imaginer que les chapitres des manuels d'Histoire avec lesquels on bourre le crâne des jeunes générations doivent être rédigés de la sorte.
2 - Ce récit ne parle pas des comparses qui devaient servir à compléter la mise en scène : le rôle d'appoint des prétendus "anti-impérialistes" et autres pacifistes. L'anti-américanisme aidant, des fractions de la bourgeoisie, allant de l'extrême droite à l'extrême gauche, en passant, par exemple en France, par les nationaux-républicains et autres "souverainistes", exprimèrent leur désaccord avec la politique des gouvernements aussi bien de droite que de gauche qui gouvernaient les pays d'Europe à l'époque. En général toutes ces fractions de la bourgeoisie qui exprimaient leur désaccord plus ou moins critique avec la coalition anti-irakienne se basaient sur des explications où le pétrole tenait lieu de cause première de cette guerre.En France, c'était un gouvernement socialiste sous la présidence de Mitterrand. Le seul à exprimer ses réticences vis a vis de la coalition anti-irakienne fut le national-républicain de gauche Chevènement. En Espagne, le gouvernement socialiste de González, malgré les minauderies de certains socialistes, participa à la coalition anti-irakienne. Quant à l'Allemagne, il est à noter que les Verts étaient, à l'époque, de farouches pacifistes. Aujourd'hui ils sont au gouvernement. Lors de la dernière guerre en Yougoslavie (1999), ils ont été, sans état d'âme, tout à fait favorables au pilonnage de la Serbie. L'avantage avec les Verts allemands, c'est qu'on n'a pas besoin de faire de longues analyses sur ce qu'est le pacifisme, idéologie de la bourgeoisie. Il suffit de rappeler leurs hauts faits d'armes.
3 -Goebbels était le ministre de l'Information et de la Propagande du régime nazi. Si nous utilisons cette expression, c'est parce que Goebbels est devenu le nom emblématique du technicien du matraquage idéologique et de la manipulation de l'Etat bourgeois. Mais, et cet article essaye de le montrer, les exemples ne manquent pas dans n'importe quel autre régime, stalinien ou démocratique.
4 - "Face à la spirale de la barbarie guerrière, une seule solution : développement de la lutte de classe", Revue international nº 64, 1er trimestre de 1991.
5 - En fait, jusqu'au moment de la guerre du Golfe, Saddam était un personnage loué par les média occidentaux comme quelqu'un de "moderne" et surtout quelqu'un qu'il fallait soutenir contre les ambitions de l'Iran des mollahs au moment de la guerre Iran-Irak. D'ailleurs, Saddam mit en place en 1988 une répression anti-kurde à base d'armes chimiques que les gouvernements occidentaux ont soutenue, pour la simple raison que Saddam était, à ce moment là, une pièce maîtresse contre l'Iran.
6 - La revue Marianne dit "un peu comme si, pendant l'hiver 1945, les Alliés s'étaient arrêtés sur le Rhin en laissant assez d'armes à Hitler pour qu'il puisse écraser d'éventuels soulèvements". Ce n'est pas "un peu comme si?", c'est exactement ce que les Alliés ont fait en Italie en 1944 : arrêter l'avancée vers le Nord, pour laisser au régime fasciste les mains libres pour écraser l'insurrection et les grèves ouvrières.
7 - Lire "Le milieu politique prolétarien face à la guerre du Golfe" (01/11/90), dans la Revue internationale nº 64, et notre "Appel au milieu politique prolétarien" dans le nº 67
8 - (juillet 1991).
1926-1936 : l'énigme russe élucidée
Dans le dernier article de cette série ("192428: le Thermidor du capitalisme d'Etat stalinien", Revue internationale n°102), nous avons examiné les tentatives effectuées par plusieurs courants de l'aile gauche du parti bolchevique pour comprendre et combattre la dégénérescence puis la mort de la révolution d'octobre. Tous ces groupes ont succombé, l'un après l'autre, à la terreur implacable de la contre-révolution stalinienne. C'est ainsi que le centre de cette lutte politique et théorique s'est déplacé vers l'arène internationale et en particulier vers l'Europe occidentale. Les deux articles qui suivent vont se centrer sur les tentatives de la Gauche communiste internationale d'apporter une analyse marxiste claire du régime qui a surgi en URSS sur les cendres de la révolution prolétarienne.
Comprendre la nature du régime stalinien constitue une question clé du programme communiste. Sans une telle compréhension il serait impossible aux communistes de dégager de façon claire pour quel type de société ils luttent, impossible de décrire ce qu'est le socialisme et ce qu'il n'est pas. Mais la clarté qu'ont les communistes d'aujourd'hui sur la nature de l'URSS n'a pas été atteinte facilement: il a fallu des années de débat intense et de réflexion au sein du milieu politique prolétarien avant de parvenir à une synthèse vraiment cohérente. Jamais auparavant les révolutionnaires n'avaient été amenés à analyser une révolution prolétarienne qui a été détruite de l'intérieur. De ce fait, pendant très longtemps, l'URSS est apparue comme une sorte d'énigme ([1] [100]), comme un problème que les annales du marxisme n'avaient pas prévu. Notre but, dans les articles qui suivent, sera donc de faire la chronique des principales étapes que, dans la nuit noire de la contre-révolution, ces groupes de l'avant-garde marxiste ont traversées pour parvenir progressivement à élucider l'énigme et à transmettre à leurs héritiers d'aujourd'hui l'analyse du capitalisme d' Etat stalinien.
La lettre de Korsch à Bordiga
Nous commençons l'histoire en 1926. Le parti communiste d'Allemagne, le KPD, a été "bolchevisé" afin de synchroniser ostensiblement tous les partis communistes hors de Russie avec les méthodes intransigeantes et disciplinées du parti russe. Mais la campagne de bolchevisation lancée par l'Internationale communiste en 192425 fait en réalité partie du processus de destruction du bolchevisme. Le parti quia dirigé la révolution de 1917 est en train de se transformer en simple annexe de l'Etat russe; et l'Etat russe est devenu l'axe de la contre révolution capitaliste. La théorie de Staline du "socialisme en un seul pays", annoncée pour la première fois en 1924, constitue une déclaration de guerre contre les traditions internationalistes véritables du parti russe. En 1926, tous les bolcheviks qui restent, y compris Zinoviev sous les auspices duquel la campagne de bolchevisation a été imposée à l'Internationale, se retrouvent dans l'opposition et seront expulsés du parti peu après.
En Allemagne aussi, il existe une grande résistance à l'opportunisme et a4bureaucratisme qui se développent dans le KPD. Il se fait jour un refus des tentatives de faire taire tout ce qui met sérieusement en cause la situation interne en Russie et la politique étrangère de l’IC. L'incapacité de l'appareil du KPD à tolérer un véritable débat en son sein aboutit à l'expulsion massive de pratiquement tous les éléments les plus révolutionnaires du parti, de toute une série de groupes influencés non seulement parla plus célèbre opposition du moment, celle qui est réunie autour de Trotsky, mais également parla gauche communiste allemande. Le KAPD,bien que n'ayant plus la force qu'il avait durant les beaux jours de la vague révolutionnaire, existe toujours et mène un travail cohérent vis-à-vis du KPD qu'il définit comme une organisation centriste toujours capable de faire surgir des minorités révolutionnaires.
Notre livre sur la Gauche germano-hollandaise met en évidence de façon précise l'étendue et l'importance de cette scission qui comprend les groupes suivants :
"- le groupe autour de Schwarz et Korsh les «Entschiedene Linke (Gauche résolue) qui regroupait environ 7000 membres ;
- le groupe d’lwan Katz qui formait avec le groupe de Pfemfert une organisation de 6000 membres, proche de l'AAUE, sous le nom de cartel des organisations communistes de gauche et publiait le journal Spartakus. Celui-ci devenait l'organe dit Spartakusbund n°2;
- le graupe de Fischer-Maslow qui comprenait 6000 militants ;
- le groupe d'Urbahns qui en regroupait 5000, futur Leninbund.
L'Opposition de Wedding, exclue en 1927-28, devait former plus tard, avec une partie du Leninbund créé par Urbahns, l'Opposition trotskiste allemande. " (La gauche hollandaise, chapitre 6).
Le groupe de Korsch est l'un de ceux qui est le plus influencé par le KAPD ; plus tard une fusion plutôt hâtive et éphémère aura lieu entre eux. La plate-forme de ce groupe n' est pas bien connue ni accessible, ce qui montre à quel point la Gauche allemande a disparu de l'histoire. Mieux connue est la lettre, commentant la plateforme, quia été envoyée à Korsch par Amadeo Bordiga, figure la plus importante à ce moment là du parti communiste italien qui menait une polémique particulièrement forte contre l'opportunisme croissant de l' IC. Notre attention se dirige donc sur cette correspondance parce qu'elle nous apporte un point de vue de valeur sur les différentes démarches adoptées par les communistes de gauche allemands et italiens vis-à-vis des problèmes fondamentaux qu'ils confrontent à l'époque : comprendre la nature du régime en URSS et définir une politique cohérente envers l'Internationale et les partis qui la composent.
La première chose à noter sur la réponse de Bordiga (datée du 28octobre 1926) c'est qu'elle ne comporte aucune trace de sectarisme l'amenant à se considérer comme l'unique détenteur de la vérité ni le moindre refus de discuter avec d'autres courants de la gauche. Bref, nous nous trouvons très loin du "bordiguisme" d'aujourd'hui qui proclame être le véritable héritier de la tradition communiste de la Gauche italienne et qui a théorisé le refus de mener un quelconque débat avec des groupes qui, selon lui, ne rentrent pas dans la définition très stricte de cette tradition. Il est certain qu'en 1926 Bordiga ne considère pas qu'il y a suffisamment d'homogénéité politique pour un regroupement ni même pour la publication d'une déclaration internationale commune. Mais toute son insistance porte sur la nécessité de la discussion et sur un travail de clarification dans lequel les différents courants de la Gauche internationale ont un rôle à jouer : "D'une façon générale, je pense que ce qui doit être mis aujourd'hui au premier plan, c'est, plus que l'organisation et la manœuvre, un travail préalable d'élaboration d'une idéologie politique de gauche internationale basée sur les expériences éloquentes qu'a connues le Komintern " (cf. la version française de cette lettre publiée dans Programme Communiste n° 68). Plus tard il ajoute que les déclarations parallèles sur la situation en Russie et sur l'internationale des différents groupements de gauche contribueront à ce travail même s'il a le souci d'éviter "d'aller pour autant jusqu'à donner le prétexte du « complot fractionniste »
L'argument de Bordiga se fonde sur la conviction que "nous ne sommes pas encore au moment de la clarification définitive ", c'est-à-dire qu'il est trop tôt pour abandonner les partis communistes ou l'Internationale. Les révolutionnaires doivent poursuivre la lutte au sein des partis communistes aussi longtemps que possible, malgré la discipline de plus en plus artificielle et mécanique qui y règne : "[il faut respecter] cette discipline jusque dans ses absurdités de procédure tant que cela sera possible, sans jamais renoncer aux positions de critique idéologique et politique et sans .jamais se solidariser avec l'orientation dominante. " Défendant la décision de l'opposition de gauche russe de se soumettre à la discipline et d'éviter la scission, il argumente que "la situation objective et externe est encore telle qu'être chassé du Kominterm signifie - et pas seulement en Russie - d'avoir encore moins de possibilités de modifier le cours de la lutte de la classe ouvrière qu'on ne peut en avoir au sein des partis. "
Avec le recul, nous pouvons donner des réponses à certaines conclusions de Bordiga : s'il a absolument raison de penser que la lutte pour "sauver" les partis communistes est bien loin d'être terminée en 1926, sa répugnance à reconnaître la nécessité de former des fractions organisées - y compris, quand c'est possible, une fraction internationale - permet en partie de comprendre pourquoi il est incapable de jouer un rôle dans la phase suivante de l'histoire de la Gauche italienne, la phase qui précisément commence avec la formation de la Fraction de gauche du parti communiste d'Italie en 1928. Mais ce qui est important ici c'est la méthode de Bordiga qui sera reprise sans la moindre hésitation par ceux qui participeront pleinement au travail delà Fraction. La priorité qu' il accorde au travail de clarification dans une situation objective défavorable, l'insistance qu'il met sur la nécessité de lutter jusqu'au bout pour sauver les organisations que le prolétariat a créées avec tant de difficultés, telle est la marque de la Gauche italienne. Et cela nous fournit une clé qui nous permet de comprendre pourquoi celle ci a joué un rôle central "dans l'élaboration d'une idéologie politique de la gauche internationale" pendant les années les plus sombres de la contre-révolution. En revanche, l'expulsion prématurée de la gauche allemande des partis communistes et de l'Internationale a été l'une des causes les plus lourdes de sa rapide désintégration organisationnelle.
On peut dire la même chose de la façon dont Bordiga soulève la question de la nature du régime en Russie qui est en fait la première question qu'il soulève dans sa réponse à Korsch.
"La gauche résolue ", comme les précédents courants de gauche allemands (Rühle dès 1920, le KAPD à partir de 1922) avait déjà déclaré que le capitalisme avait triomphé sur la révolution en Russie. Mais dans les deux cas, cette conclusion, atteinte de façon impressionniste et sans une recherche théorique profonde, a abouti à la mise en question de la nature prolétarienne de la révolution et à une régression politique menant aux positions des mencheviks ou des anarchistes, beaucoup d'entre eux ayant dès le début dénoncé l'insurrection d'Octobre comme un coup d' Etat des bolcheviks instaurant une nouvelle variété de capitalisme à la place de l'ancien. Le KAPD dans l'ensemble n'est pas allé aussi loin mais il a développé la théorie de la "révolution double", prolétarienne dans les villes, bourgeoise à la campagne ; et il tendait à voir dans la NEP (Nouvelle Politique Economique) introduite en 1921 le moment où une sorte de "capitalisme paysan" aurait pris la suprématie sur les restants de pouvoir prolétarien.
Autre ironie du bordiguisme d'aujourd'hui :la réponse de Bordiga à Korsch ne contient aucune allusion à la théorie de la "révolution double" qu'il a élaborée après la deuxième guerre mondiale et qui définit l'économie bourgeoise de l'URSS comme le produit d'une "transition vers le capitalisme" qui aurait eu lieu sous les auspices de l'appareil stalinien. Au contraire, la préoccupation dominante de Bordiga est de défendre le caractère prolétarien d'Octobre, quelle que soit la dégénérescence ultérieure qui ait eu lieu :
"... votre façon de vous exprimer au sujet de la Russie me semble ne pas convenir. On ne peut pas dire que «la révolution russe est une révolution bourgeoise». La révolution de 1917 a été une révolution prolétarienne, bien que ce soit une erreur de généraliser ses leçons «tactiques». La question qui se pose est de savoir ce qui arrive à une dictature prolétarienne dans un pays si la révolution ne suit pas dans les autres pays. II peut y avoir une contre révolution ; il peut y avoir une intervention extérieure ; il peut y avoir un processus de dégénérescence dont il s'agit de découvrir et de définir les symptômes et les répercussions dans le parti communiste. On ne peut pas dire tout simplement que la Russie est un pays dans lequel le capitalisme est en expansion. La chose est beaucoup plus complexe : il s'agit de nouvelles formes de la lutte de classe qui n'ont pas de précédents dans l'histoire. Il s'agit de montrer que toute la conception qu'ont les staliniens des rapports avec les classes moyennes constitue un renoncement au programme communiste. On dirait que vous excluez que le parti communiste russe puisse mener une politique qui n'aboutirait pas à la restauration du capitalisme. Cela reviendrait à donner une justification à Staline, ou à soutenir la position inadmissible selon laquelle il faudrait «quitter le pouvoir». Il faut dire au contraire qu'une juste politique de classe aurait été possible en Russie sans la série de graves erreurs de politique internationale commises par toute la «vieille garde léniniste». "
Encore une fois, grâce au recul que nous avons, il nous est possible de donner des réponses à certaines conclusions de Bordiga : au moment où il écrivait à Korsch, le capitalisme - qui n'avait pas ses fondements sur des concessions aux classes moyennes mais sur l' Etat même qui avait surgi de la révolution - était en train de devenir 1e maître de la Russie, non seulement sur le plan économique (puisqu'il n' avait jamais été renversé sur ce plan) mais aussi sur le plan politique ; et plus longtemps le parti communiste chercherait à s'accrocher au pouvoir politique, plus il se séparerait du prolétariat et s'assujettirait aux intérêts du capital. Mais ici aussi, la question essentielle est la méthode, le point de départ théorique : la révolution était prolétarienne mais elle était isolée ; la question du moment était de comprendre un phénomène qui ne s'était jamais produit dans l'histoire, la dégénérescence d'une révolution prolétarienne de l'intérieur. Et ici encore, même si cela â pris du temps aux héritiers de Bordiga dans la Fraction pour tirer les conclusions correctes sur la nature du régime en URSS, la solidité de leur méthode d'analyse a permis qu'ils y parviennent avec bien plus de profondeur et de sérieux que ceux qui avaient proclamé la nature capitaliste de l'URSS bien plus tôt mais seulement en rompant la solidarité avec la révolution d'Octobre. La Gauche allemande devait lourdement payer pour cela : couper les racines qui la reliaient à Octobre et au bolchevisme signifiait aussi couper ses propres racines ; et sans racines, un arbre ne peut survivre. Jusqu'à aujourd'hui, il est évident que c'est réellement impossible de maintenir une quelconque activité prolétarienne organisée sans qu'elle soit enracinée dans les leçons de la victoire d'Octobre et de la défaite qui l'a suivie.
Le débat au sein de l'Opposition de gauche internationale
Nous arrivons en 1933. La défaite du prolétariat allemand a été scellée par la montée de Hâlerait pouvoir. Les ouvriers des deux autres principaux centres de la vague révolutionnaire internationale de 1917-23 - la Russie et l'Italie - ont aussi été écrasés. Les défaites ont abouti à la disparition ou la dispersion de l'avant-garde révolutionnaire. La vie politique de la classe ouvrière n'a désormais plus lieu dans les partis communistes qui sont complètement stalinisés et à la veille de capituler devant l'idéologie de la défense nationale. Cette vie se maintient néanmoins dans un milieu extrêmement réduit de groupements et de fractions d'opposition. A ce moment là, le centre de l'activité oppositionnelle s'est déplacée en France, en particulier à Paris qui est la ville traditionnelle des révolutions européennes.
En 1933,certains de ces groupes ont déjà disparu. Tel fut le destin d'une "aile" de la gauche italienne en exil, le Réveil communiste, groupe qui s'est formé autour de Pappalardi. Fondé en 1927, ce groupe avait tenté une synthèse audacieuse entre les gauches italienne et allemande. Sans rejeter le caractère prolétarien de la révolution d'Octobre, il était arrivé à la conclusion qu'une contre-révolution bourgeoise avait eu lieu en Russie. Cependant, la tendance du groupe à l'impatience et au sectarisme l'amena rapidement à perdre de vue la méthodologie globale minutieuse de la Gauche italienne. En 1929, sa synthèse avait disparu au profit d'une conversion complète à la tradition de la gauche allemande, avec ses forces et ses faiblesses. Cette mutation fut marquée par l'apparition du journal L'ouvrier communiste qui travaillait étroitement avec le communiste de gauche russe exilé à Paris, Gavril Miasnikov ([2] [101]). Très rapidement, le nouveau groupe a succombé aux influences anarchistes et il cesse de publier en 1931.
En 1933, la majorité des groupes oppositionnels "natifs" sont influencés par Trotsky, bien que la Fraction de gauche du parti communiste d'Italie, formée à Pantin dans la banlieue de Paris en 1928, soit extrêmement active dans ce milieu. La section officielle de l'Opposition de gauche de l'Internationale est la Ligue communiste, formée en 1929 sur une base extrêmement hétérogène, fortement critiquée pas la Fraction italienne. Déjà, à cette époque, le "trotskisme" développe une démarche de regroupement activiste et sans principe, une politique qui ne s'appuie pas sur un accord programmatique solide. De telles démarches ne peuvent aboutir qu'à des scissions, en particulier parce qu'elles s'accompagnent d'une tendance de plus en plus opportuniste sur des questions clés telles que les rapports avec les partis socialistes et communistes ou la défense de la démocratie contre le fascisme. La Ligue a déjà connu un certain nombre de scissions. Alimentée notamment par des antagonismes personnels et des loyautés claniques, la première a lieu après la dissension entre le groupe de Molinier et celui de Rosmer-Naville. L'intervention de Trotsky dans cette situation, depuis son exil à Prinkipo, est pour le moins malheureuse dans la mesure où il se montre déjà de plus en plus impatient de former de nouvelles organisations de masse et où il est sous l'influence des schémas activistes de Molinier qui est fondamentalement un aventurier politique. La tendance de Rosmer a tendance à se sentir concerné par la nécessité de réfléchir et développer une compréhension plus claire des conditions dans lesquelles se trouve la classe. Mais la «paix de Prinkipo» de Trotsky va l'amener à se retirer de fait de la vie militante. Cependant, cette scission a quand même donné naissance à un courant organisé : le groupe de la Gauche communiste autour de Collinet et du frère de Naville. Elle est suivie en 1932par une autre scission qui a abouti à la formation de la Fraction de gauche animée par l'ancien zinovieviste, Albert Treint, et par Marc, plus tard membre de la Gauche communiste de France et du CCI. La cause de cette scission est le rejet parle groupe d'une tendance croissante, au sein de la Ligue, à la conciliation envers le stalinisme. Début 1933, la Ligue se trouve au bord d'une autre scission encore plus ravageuse, quand une minorité croissante réagit contre la politique de conciliation envers la social-démocratie qui culminera dans le "tournant français" de 1934 : la politique "d'entrisme" dans les partis sociaux démocrates qui furent parle passé dénoncés par l'Internationale communiste comme instruments de la bourgeoisie.
C'est à ce moment-là qu'un autre groupe oppositionnel connu sous le nom de "quinzième rayon", dont le militant le plus connu est Gaston Davoust (Chazé), envoie une invitation à tous les courants oppositionnels pour tenir une série de réunions ayant pour but la clarification programmatique et éventuellement le regroupement. Cette initiative est chaleureusement accueillie par la Fraction italienne qui, par une série de manoeuvres, a été écartée de l'Opposition de gauche internationale en 1932 mais qui voit dans ces réunions une base possible pour la formation d'une Fraction de gauche du parti communiste en France, pour utiliser la terminologie de l'époque. 11 y a une réponse positive également de presque tous les groupes français tandis que quelques groupes hors de France participent aussi ou envoient leur soutien (la Ligue communiste internationaliste de Belgique, le groupe d'opposition autrichien, etc.). Pendant les mois qui suivent, il y a une série de réunions auxquelles participent un nombre impressionnant de groupes : la Fraction de gauche et la Gauche communiste, le groupe de Davoust, la Ligue communiste ainsi qu'une délégation distincte de la minorité de cette dernière ; la Fraction de gauche italienne, un certain nombre de petits groupes éphémères tels que Pour une renaissance communiste, composé de trois éléments qui ont scissionné de la Fraction italienne sur la question russe, considérant l'URSS comme étant un Etat capitaliste ; le nouveau groupe de Treint, Effort communiste, qui avait quitté la Fraction de gauche parce qu'il ne voyait plus rien de prolétarien dans le régime des "soviets" et avait commencé à développer la théorie selon laquelle la Russie serait maintenant sous l'emprise d'un nouvelle classe exploiteuse ; et enfin un certain nombre d'individus comme Simone Weil et Kurt Landau.
La nature du régime soviétique est l'une des questions clés à l'ordre du jour. A ce moment là, la majorité des groupes invités défendent formellement I e point de vue, extrait de la plateforme de 1927 de l'opposition russe et toujours vigoureusement défendu par Trotsky, selon lequel l'URSS est un Etat prolétarien, quoique atteint par une sévère dégénérescence bureaucratique, parce qu'il n'a toujours pas perdu, en tant qu' Etat, la propriété des principaux moyens de production. Mais ce qui est particulièrement intéressant dans les discussions de cette conférence, c'est la façon dont elle nous fournit une illustration de l'évolution qui est en train de se produire sur cette question dans le milieu oppositionnel.
Ainsi par exemple, le rapport sur la question russe est présenté par le groupe de la Gauche communiste. Ce texte critique très fortement les arguments de Trotsky :
"... le camarade Trotsky, pour expliquer l'offensive bureaucratique contre l'ensemble de la paysannerie et la conversion du stalinisme à une politique d'industrialisation, malgré la liquidation «du parti en tant que parti», a été amené à admettre que tandis que l'infrastructure économique de la dictature prolétarienne s'affermit, sa superstructure politique peut continuer à s'affaiblir et à dégénérer. Proposition difficilement intelligible lorsqu 'on admet la thèse marxiste selon laquelle «la politique n'est que l'économie concentrée», et, à plus forte raison, lorsqu'il s'agit d'un régime où la direction de l'économie est l'essentiel de la politique. "
Il conclut que la bureaucratie s'est constituée en réalité en une nouvelle classe, ni prolétarienne, ni bourgeoise. Mais à la différence de Treint et sans cohérence apparente, le texte argumente également que cet Etat bureaucratique contient toujours certains vestiges prolétariens et doit donc être défendu par les révolutionnaires contre toute attaque de l'impérialisme. Une résolution écrite parle groupe de Chazé exprime également des conclusions contradictoires : l’URSS reste un Etat ouvrier mais la bureaucratie "envient à jouer un véritable rôle de classe, dont les intérêts s'opposent déplus en plus aux intérêts de /a classe ouvrière ". Plus importante peut être que le contenu réel de ces textes est la démarche adoptée à la conférence, son attitude ouverte sur la question. Ainsi, quand le groupe trotskiste "orthodoxe", la Ligue communiste, propose une résolution excluant tous ceux qui dénient à l'URSS une nature prolétarienne, elle est rejetée quasiment par tous les autres participants.
La conférence ne réussit pas à unifier tous les groupes qui y ont pris part, ni à créer une Fraction française. En effet, dans une période de défaite historique du prolétariat, ce qui inévitablement tend à dominer c'est la dispersion et l'isolement. Malgré cela un regroupement partiel sort de cette conférence ce qui est aussi significatif : la Fraction de gauche, le groupe de Chazé et un peu plus tard la minorité de la Ligue communiste - une minorité de 35 membres dont le départ a en fait disloqué la Ligue - s'unissent pour former le groupe Union communiste qui continuera à exister jusqu'à la guerre. Même si il a démarré avec un lourd bagage de trotskisme et bien que plus tard il ne sera pas à la hauteur lorsqu' arrivera l'épreuve de la guerre civile espagnole, un processus d'évolution a réellement lieu dans ce groupe :il met en question l'idéologie antifasciste et, en 1935, il parvient à la conclusion que la bureaucratie stalinienne est la nouvelle bourgeoisie. Une position similaire est adoptée par la Ligue communiste internationaliste en Belgique.
Si on considère également que la Fraction italienne, bien que parlant toujours d'un Etat prolétarien en URSS, évolue aussi rapidement vers un rejet de toute défense de l'URSS durant cette période, on peut voir qu'au milieu des années 1930, la position de Trotsky sur l'URSS a déjà été mise en question ou abandonnée par une composante importante du mouvement oppositionnel, tout comme elle l'avait été précédemment au sein même de l'opposition russe. Et l'importance de cette composante est à la fois quantitative et qualitative : quantitative parce qu'au milieu des années 1930,elle est en réalité plus nombreuse que le groupe trotskiste "officiel" dans le pays qui est le "centre" de l'opposition internationale de gauche ; et qualitative parce que ce sont généralement les éléments les plus intransigeants et les plus cohérents, dont beaucoup d'entre eux ont été formés pendant ou juste après la vague révolutionnaire, qui rejettent la défense de l'URSS et commencent à comprendre, même si c'est de façon incomplète et souvent contradictoire, qu'une contre-révolution capitaliste s'est produite "au pays des soviets". Il n'y a pas de quoi s'étonner que l'histoire de ces courants soit systématiquement ignorée des historiens trotskistes.
La réponse de Trotsky à la Gauche: La révolution trahie
Pour comprendre l'évolution de la position de Trotsky sur l'URSS, il est nécessaire de reconnaître les pressions exercées sur lui par la Gauche. Si on regarde rapidement sa plus importante prise de position sur la nature de l'URSS pendant cette période, c'est-à-dire son livre La révolution trahie rédigé pendant son exil en Norvège et publié en 1936, nous pouvons facilement saisir qu'il s'engage dans une polémique sur deux fronts : d'un côté contre la tromperie stalinienne selon laquelle l'URSS est un paradis pour les ouvriers et, de l'autre, contre tous les courants à gauche qui convergent vers le point de vue que l'Union soviétique a perdu ses liens avec le pouvoir prolétarien de 1917.
Disons en premier lieu que, contrairement aux conclusions qui sont mises en avant au sein de la Gauche communiste et même par la Fraction italienne à l'époque, le Trotsky de 1936 n' a pas cessé d'être marxiste et La révolution trahie le prouve amplement. L'objectif principal du livre est de réfuter la proclamation absurde de Staline selon laquelle l'URSS a déjà réalisé pleinement le "socialisme" (bien que pas encore le "communisme") en 1936. Contre ce mensonge monstrueux Trotsky rassemble toute la force de ses connaissances statistiques, de son intelligence aiguë et de sa clarté politique pour dénoncer les conditions absolument misérables de la classe ouvrière et de la paysannerie, le caractère déplorable et la mauvaise qualité des biens produits pour la consommation des masses, les privilèges grandissants de l'élite bureaucratique, les tendances réactionnaires, nationalistes et hiérarchiques croissantes dans les sphères de l'art et de la littérature, de l'éducation, de l'armée, de la vie de famille, etc. En fait, la description que fait Trotsky de la mentalité et des pratiques de la bureaucratie est si tranchante qu'il ne fait que prouver que nous sommes en présence d'une classe exploiteuse. Dans l'article "La classe non identifiée : la bureaucratie soviétique vue par Léon Trotsky " publié dans la Revue internationale n° 92 et écrit par l'un des camarades qui milite dans le milieu prolétarien naissant en Russie aujourd'hui, ce point est mis clairement en évidence : "Ainsi Trotsky décrit le tableau qui suit : il existe une couche sociale assez nombreuse qui contrôle la production, donc son produit, d'une manière monopolistique, qui s'approprie une grande part de ce produit (c'est-à-dire exerce une fonction d'exploitation), qui est unie autour de la compréhension de ses intérêts matériels communs et qui est opposée à la classe des producteurs.
Comment les marxistes appellent-ils la couche sociale quia toutes ces caractéristiques ? Il n’y a qu'une seule réponse : c'est la classe sociale dirigeante au sens plein du terme.
Trotsky conduit les lecteurs à une telle conclusion. Mais lui n’ y parvient pas (..) Après avoir dit «Après avoir décrit un tableau de l aclasse dirigeante exploiteuse, Trotsky recule au dernier moment et refuse de dire «B ».
Le livre de Trotsky pose aussi une question extrêmement importante sur la nature de l' Etat de transition et pourquoi il est particulièrement vulnérable aux pressions de l'ancien ordre social. Reprenant la phrase suggestive de Lénine dans L'Etat et la révolution selon laquelle l'Etat de transition est en un certain sens "l' Etat bourgeois sans bourgeoisie",Trotsky ajoute :
"Cette conclusion significative, tout à fait ignorée des théoriciens officiels d'aujourd'hui, a une importance décisive pour l'intelligence de la nature de l 'Etat soviétique d'aujourd’hui, ou plus exactement pour une première approximation dans ce sens. L'Etat gui se donne pour tâche la transformation socialiste de la société, étant obligé de défendre par la contrainte l'inégalité, c'est-à-dire les privilèges de la minorité, demeure dans une certaine mesure un Etat «bourgeois», bien que sans bourgeoisie.(.)
Les normes bourgeoises de répartition, en hâtant la croissance de la puissance matérielle, doivent servir à des fins socialistes. Mais l 'Etat acquiert immédiatement un double caractère : socialiste dans la mesure où il défend la propriété collective des moyens de production ; bourgeois dans la mesure où la répartition des biens a lieu d'après des étalons capitalistes de valeur, avec toutes les conséquences découlant de ce fait. Une définition aussi contradictoire épouvantera peut-être les dogmatiques et les scolastiques; il ne nous restera qu'à leur exprimer nos regrets. " (La révolution trahie)
Cette façon de poser les questions sur la nature de l'Etat de transition, si elle avait été convenablement développée, aurait pu conduire Trotsky à comprendre comment l'Etat établi après la révolution d'Octobre était devenu le gardien du capital étatisé ; mais de nouveau Trotsky a été incapable de pousser la question jusqu'à ses audacieuses conclusions finales.
Les conclusions pleinement politiques qui apparaissent dans ce livre (Trotsky en a déjà dégagées certaines dès 1933)représentent aussi une certaine avancée par rapport à ce qu'il pensait précédemment. En l 927, comme nous l'avons vu dans le dernier article de cette série, Trotsky avait lancé un avertissement contre le danger d'un Thermidor, "une contre-révolution intérieure", au sein même de l'URSS. Mais il n'avait pas encore admis que c'était déjà un fait accompli. Au moment où il écrit La révolution trahie, Trotsky a révisé ce point de vue et a conclu que Thermidor avait déjà eu lieu sous l'égide de la bureaucratie : le résultat est que : « le vieux parti bolchevique est mort, aucune * force ne le ressuscitera ". Et il conclut que la bureaucratie, quia étranglé le bolchevisme, ne peut plus être réformée ;elle doit être renversée par la force par ce qu'il appelle un "révolution politique" assumée par la classe ouvrière. Dès lors, il pense aussi que l'Internationale communiste a rendu son dernier souffle et que la formation de nouveaux partis est à l'ordre du jour dans tous les pays.
Pour finir, il est important de se rappeler que le livre de Trotsky ne clôt pas complètement la question de la nature de l'URSS. Il considère que l'histoire doit encore trancher cette question en insistant sur le fait que le règne de la bureaucratie ne peut être stable : soit elle sera renversée par les ouvriers ou par une contre révolution ouvertement bourgeoise, soit elle se transformera elle-même en classe possédante au plein sens du terme. Dans le contexte d'un monde qui bascule vers une nouvelle guerre mondiale, il devient plus évident à Trotsky, à la fin de sa vie, que le rôle que l'URSS va jouer dans la guerre sera un facteur décisif pour déterminer finalement sa nature de classe.
Malgré tous ces aspects positifs, le livre constitue aussi une défense vigoureuse de la thèse selon laquelle l'URSS reste un Etat ouvrier parce qu'il a mené à bien la nationalisation intégrale des moyens de production, "abolissant" ainsi la bourgeoisie. Quand il parle de Thermidor dans son livre, Trotsky ne l'utilise pas exactement dans le même sens qu'en 1927. A l'époque, Thermidor voulait dire une contre-révolution bourgeoise. Maintenant, il s'appuie plus lourdement sur l'ambiguïté de cette comparaison avec la révolution française. En France, Thermidor n'a pas signifié la restauration féodale mais la venue au pouvoir d'une fraction plus conservatrice de la bourgeoisie. De même, Trotsky défend que le Thermidor soviétique n'a pas restauré le capitalisme mais installé une sorte de "bonapartisme prolétarien" dans lequel la couche bureaucratique parasitaire défend ses privilèges aux dépens du prolétariat mais est toujours dépendante pour sa survie (le la continuation des "formes de propriété prolétarienne" mises en place parla révolution d'Octobre. C'est pourquoi il n'appelle pas à une révolution sociale complète en URSS mais seulement à une révolution politique qui éliminera la bureaucratie tout en gardant la forme économique de base. Et c'est aussi pour cela que Trotsky reste entièrement dévoué à la "défense de l'Union soviétique" contre les intentions hostiles du capitalisme mondial qui, selon lui, voit toujours l'URSS comme un corps étranger en son sein.
Ici nous arrivons au côté réactionnaire du travail de Trotsky ; et il s'agit d'une thèse dirigée contre la Gauche. Cela devient explicite dans la dernière partie du livre dans laquelle Trotsky pose et rejette la question de savoir si l'URSS peut être considérée comme un Etat capitaliste ou la bureaucratie comme un classe dominante. En ce qui concerne le capitalisme d' Etat, Trotsky est conscient de la tendance générale, dans le capitalisme, à l'intervention de l'Etat dans l'économie, et il considère cela comme une expression du déclin historique du système. Il accepte même l'hypothèse théorique selon laquelle toute la classe dominante d'un pays donné peut se constituer en trust unique via l'Etat et il poursuit en disant que : "Le mécanisme économique d'un régime de ce genre n 'of f r irait aucun mystère. Le capitaliste, on le sait, ne reçoit pas, sous forme de bénéfices, la plus-value créée par ses propres ouvriers, mais une traction de la plus-value du pays entier, proportionnelle à sa part de capital. Dans un 'capitalisme d 'Etat' intégral, la loi de la répartition égale des bénéfices s'appliquerait directement, sans concurrence des capitaux, par une simple opération de comptabilité. " Mais ayant décrit en un mot l'opération de la loi de la valeur en URSS, il ajoute vite un démenti selon lequel "il n'y a jamais eu de régime de ce genre et il n'y en aura jamais par situe des profondes contradictions qui divisent les possédants entre eux, d 'autant plus que l 'Etat, représentant unique de la propriété capitaliste, constituerait pour la révolution sociale un objet vraiment trop tentant. "
Nous pourrions ajouter que les bourgeoisies les plus avancées ont également fui le modèle du capitalisme d'Etat intégral parce que, comme l'effondrement des ex-pays staliniens l'a confirmé, il s'est avéré désastreusement inefficace. Mais ce que Trotsky ne parvient pas du tout à faire dans ce chapitre c'est à se poser cette question évidente : est-ce qu'un capitalisme d'Etat intégral peut naître d'une situation inédite où la révolution prolétarienne a exproprié la vieille bourgeoisie et a ensuite dégénéré à cause de son isolement international ?
A l'argument de Trotsky selon lequel la bureaucratie ne peut être une classe dominante parce qu'elle n'a ni titres ni actions, ni aucun droit d' héritage lui permettant de transmettre la propriété à ses héritiers, notre camarade russe AG répond très lucidement : "Dans La révolution trahie, Trotskv essaie de réfuter en théorie la thèse de l'essence de classe de la bureaucratie en avançant des arguments assez faibles dont le fait qu'elle `n'a ni titres ni actions'. Mais pourquoi la classe dirigeante doit-elle obligatoirement les posséder ?Car il est bien évident que la possession des actions et des obligations' elle-même n'a aucune importance: la chose importante consiste dans le, fait que tel ou tel groupe social s 'approprie ou non un surproduit du travail des producteurs directs. Si oui, la, fonction d'exploitation existe indépendamment de la distribution d'un produit approprié soit en tant que profit sur des actions, soit en tant que traitements et privilèges de fonction. L'auteur de La révolution trahie est aussi peu convaincant quand il dit que les représentants de la couche dirigeante ne peuvent pas laisser leur statut privilégié en héritage. Il est peu probable que Trotsky ait sérieusement envisagé que les ,fils de l'élite puissent devenir ouvriers ou paysans. "(Revue internationale n° 92)
En attribuant cette signification décisive au droit d'héritage, Trotsky dévie clairement de l'axiome marxiste fondamental selon lequel les rapports juridiques ne sont que l'expression superstructurelle des rapports sociaux sous-jacents ; de même, en insistant pour trouver une telle preuve de l'appartenance personnelle à une classe dominante, Trotsky oublie que les marxistes définissent le capital comme une puissance totalement impersonnelle ; c'est le capitalisme qui crée les capitalistes et non l'inverse.
De même, derrière la notion de Trotsky selon laquelle l'Etat soviétique est déterminé en dernière instance par sa structure économique, il y a une confusion profonde sur la nature de la révolution prolétarienne. Du fait qu'elle est une classe exploitée, le seul et unique chemin de transformation de la société vers le socialisme que puisse emprunter la classe ouvrière, c'est qu'elle prenne et conserve le pouvoir politique. Elle n'a pas de "propriété" propre, pas de lois économiques fonctionnant en sa faveur : sa méthode de lutte contre les lois de l'économie capitaliste est entièrement basée sur sa capacité à imposer un contrôle conscient et une planification contre l'anarchie du marché, à mettre en avant les besoins humains contre les besoins du profit. Mais sa capacité ne peut dériver que de sa force organisée et de sa conscience politique, c'est-à-dire de sa capacité à affirmer son programme à chaque niveau de la vie sociale et économique. Il n'y a pas de garantie de toutes façons que l'expropriation de la bourgeoisie et la collectivisation des moyens de production conduisent automatiquement dans la direction de nouveaux rapports sociaux. Elles ne sont qu'un simple point de départ : le travail de création de ces nouveaux rapports sociaux ne peut être mené que par le mouvement social massif de la classe ouvrière. En réalité, Trotsky est très près de reconnaître cela quand il écrit :
"La prédominance des tendances socialistes sur les tendances petites bourgeoises est garantie, non par les automatismes de l 'économie- nous sommes encore loin de cela - mais par les mesures politiques adoptées par la dictature. De ce fait, le caractère de l'économie comme un tout dépend du caractère du pouvoir d'Etat. "
Mais, comme pour le reste de sa thèse, Trotsky est incapable de tirer la conclusion essentielle : si le prolétariat n'exerce plus le moindre contrôle sur le pouvoir étatique, alors l'économie ira automatiquement dans un seule direction, le capitalisme. En somme, l'existence d'un "Etat prolétarien", ou d'une dictature prolétarienne pour être plus précis, ne dépend pas du fait que l' Etat détienne formellement l'économie mais du fait que le prolétariat détienne réellement le pouvoir politique.
La conséquence la plus grave de l'incapacité de Trotsky à reconnaître que la révolution d'Octobre a vraiment été définitivement écrasée est que cela l'amène à justifier "théoriquement" l'absolution radicale du stalinisme ce qui va être la fonction ultime du mouvement qu' il a fondé. Dans La révolution trahie, cette absolution est déjà explicite, malgré toutes les critiques des conditions réelles auxquelles la classe ouvrière russe est confrontée : "Il n'y a plus lieu de discuter avec les économistes bourgeois : le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe ; non dans le langage de la dialectique niais dans celui du .fer, du ciment et de l'électricité. "
Ainsi, Trotsky insiste sur le fait que malgré toutes les déformations bureaucratiques, le ‘développement des forces productives' parle stalinisme est progressif parce qu'il établit la base d'une véritable société socialiste. En fait Trotsky n'a jamais rejeté l'idée que le tournant de Staline vers une industrialisation rapide à la fin des années 1920 constituait une sorte de victoire pour le programme économique de l'Opposition de gauche. Mais le caractère réel de l'industrialisation de l'URSS doit être jugé dans le contexte du développement mondial des forces productives. La révolution russe de 1917 a manifesté que le monde était déjà mûr pour le communisme. Le développement qui a eu lieu sous Staline était fondé sur la défaite de la première tentative mondiale de créer une société communiste ; il était basé sur la nécessité de construire une économie de guerre pour se préparer au repartage impérialiste du monde. Avec cet éclairage, les prétendus triomphes de l'industrialisation soviétique ne sont aucunement des facteurs de progrès humain mais une expression de la décadence du mode de production capitaliste ; et les hymnes de Trotsky à la production de ciment et d'acier ne sont que des justifications pour l'exploitation sans pitié de la classe ouvrière.
Pire! La défense de l'Union soviétique contre le monde capitaliste a conduit à une politique de soutien aux appétits impérialistes du capital russe, une politique déjà mise en pratique en 1929 quand Trotsky a soutenu la Russie dans son conflit avec la Chine pour la possession du chemin de fer mandchou. Comme le monde marche à grands pas vers une nouvelle guerre mondiale et comme l'URSS prend une part croissante sur l'arène impérialiste globale, la position trotskiste officielle de "défense de l' Etat ouvrier" va mener le mouvement de plus en plus près du camp bourgeois.
Comme nous l'avons souligné dans l'article sur la mort de Trotsky dans la Revue internationale n° 103, la descente vers la guerre va amener Trotsky lui-même à se poser un certain nombre de questions très fondamentales. Dans le mouvement trotskiste, il doit faire face à de nouvelles mises en question de sa notion d' Etat ouvrier dégénéré. Cette fois-ci, elles ne viennent pas tant de la gauche que de gens tels que Bruno Rizzi en Italie et en particulier Burnham et Schachtman aux Etats Unis, tous développant une version différente de l'idée que l'URSS représente une société exploiteuse d'un type nouveau, non prévue par le marxisme. Trotsky est opposé à cette conclusion mais ses derniers écrits montrent qu'elle l'a fortement influencé ; cependant, parce qu'il est marxiste et surtout meilleur marxiste que Schachtman et ses pairs, il comprend très clairement que si un nouveau système d'exploitation peut surgir des entrailles de la société capitaliste, alors toute la perspective marxiste, et par dessus tout le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière doit être remis en question:
"L'alternative historique poussée jusqu'à son terme se présente ainsi: ou bien le régime stalinien n'est qu'une rechute exécrable dans l eprocessus de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste, ou bien le régime stalinien est la première étape d'une société d'exploitation nouvelle. Si le second pronostic se révélait juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendrait une nouvelle classe exploiteuse. Aussi lourde que puisse être cette seconde perspective, si le prolétariat mondial se montrait effectivement incapable de remplir la mission que lui a confiée le cours du développement, il ne resterait plus qu'à reconnaître que le programme socialiste, construit sur les contradictions internes de la société capitaliste s'est finalement avéré une utopie. Il va de soi qu'on aurait besoin d'un nouveau «programme minimum» pour défendre les intérêts des esclaves de la société bureaucratique totalitaire." ( "L'URSS dans la guerre", 1939)
Pour Trotsky, l'issue de la guerre imminente devrait être décisive : si la bureaucratie se révèle assez stable pour survivre à la guerre, il sera nécessaire de conclure qu'elle s'est vraiment cristallisée en nouvelle classe dominante ; et si le prolétariat ne parvient pas à mettre un terme à la guerre en faisant la révolution, alors cela prouvera que le programme socialiste a été une utopie. Ici nous pouvons voir comment le refus de Trotsky d'accepter la nature capitaliste de l'URSS l'a mené à douter des convictions qui l'ont inspiré toute sa vie durant.
De même, la définition de l'URSS comme capitaliste s'avère être la seule base ferme pour la défense de l'internationalisme pendant la seconde guerre mondiale et après. La défense de «l'Etat ouvrier dégénéré», associé à l'idéologie de soutien de la démocratie contre le fascisme, va mener le mouvement trotskiste officiel à capituler directement face au chauvinisme et à s'intégrer dans le camp impérialiste allié ; après la guerre cela placera le trotskisme dans la position de propagandiste pour le bloc impérialiste russe contre son rival américain.
Ceux qui mettent en avant la théorie d'une nouvelle société bureaucratique concluent rapidement que la démocratie occidentale est plus progressive que le régime barbare de Russie ou ils cessent simplement de croire que le marxisme a encore une quelconque validité. En revanche, tous les groupes et éléments qui rompent avec le trotskisme dans les années 1940 parce qu'il a abandonné l'internationalisme sont convaincus que la Russie est un Etat capitaliste et impérialiste. C'est le cas du groupe de Munis, des RKD allemands, d'Agis Stinas en Grèce... et évidemment de Natalia Trotsky qui a suivi le conseil politique de son mari et qui a le courage de réexaminer l'orthodoxie "trotskiste" à la lumière de la seconde guerre mondiale et à celle des préparatifs de la troisième qui suivent immédiatement après.
Dans le prochain article de la série, nous nous centrerons sur la position de la Gauche italienne sur la question russe qui fournit le cadre le meilleur pour résoudre "l'énigme russe".
CDW.
[1] [102] Nous avons adopté comme titre de cet article celui d'un article rédigé par l'oppositionnel français, Albert Treint, en 1933 ( "Elucider l'énigme russe : Thèses du camarade Treint sur la question russe qui a été écrit pour la conférence de 1933», Cependant, il faut dire que la théorie de Treint d'un nouveau système d'exploitation qui caractérisait le capitalisme d' Etat mais sans classe capitaliste, n'a fait que créer de nouveaux mystères.
[2] [103] II vaut la peine de signaler ici la prise de position finale de Miasnikov sur la question de l'URSS. En 1929, Miasnikov est exilé en Turquie et débute une correspondance avec Trotsky : malgré leurs désaccords, il reconnaît l'importance de Trotsky pour l'ensemble de l'opposition internationale contre le stalinisme. Il écrit une brochure sur la bureaucratie soviétique et il en envoie une copie à Trotsky en lui demandant d'en écrire la préface. Trotsky refuse parce que le texte affirme que la Russie est un système de capitalisme d'Etat et que la bureaucratie est une classe dominante. D'après Avrich, dans son article "L'opposition bolchevique à Lénine : G. T. Miasnikov et te Groupe ouvrier", publié dans The Russian Rewiev, vol. 43, 1984, le texte de Miasnikov jette une certaine lumière sur le processus à travers lequel le prolétariat a perdu le pouvoir et la bureaucratie stalinienne consolidé sa domination. Avrich dit aussi que : « Dans la mesure où le capitalisme d'Etat a organisé l'économie de façon plus efficace que le capitalisme privé Miasnikov le considère comme historiquement progressif ». Dans une note, il ajoute que Tiunov, un autre membre du Groupe ouvrier qui était en prison avec Ciliga, considérait le capitalisme d'Etat comme régressif. La brochure de Miasnikov a finalement été publiée en France en 1931, en langue russe, sous le titre Ocherednoï obman (La mystification présente). A notre connaissance il n'a pas été traduit depuis en d'autres langues, une tâche qui peut être pourrait être prise en charge par le milieu prolétarien qui a émergé récemment en Russie. Le CCI pourra fournir une copie du texte en russe dont il dispose si des propositions de le traduire se font jour.
1- En premier lieu, une question de méthode dans la discussion
Dans notre dernier article, ‘‘nous nous sommes efforcés de répondre à la thèse du BIPR selon laquelle des organisations comme la notre seraient « étrangères à la méthode et aux perspectives de travail qui conduiront à l'agrégation du futur parti révolutionnaire ». Pour ce faire, nous avons pris en considération les deux niveaux auxquels se pose le problème de l'organisation : 1) comment concevoir la future Internationale, 2) quelle politique mener pour la construction de l'organisation et le regroupement des révolutionnaires ; et sur les deux niveaux, nous avons démontré que c'est le BIPR, et non le CCI, qui sort de la tradition de la Gauche communiste italienne et internationale. En fait, l'éclectisme qui guide le BIPR dans sa politique de regroupement ressemble plus à celui d'un Trotsky aux prises avec l'édification de sa quatrième Internationale ; la vision du CCI est en revanche celle de la Fraction italienne qui a toujours combattu pour qu'un regroupement se fasse dans la clarté et sur la base duquel puissent être gagnés les éléments du centre, les hésitants.’’
Ces conclusions que nous avons tirées à la fin d'un article qui fait bien 7 pages, ne sont cependant pas le fruit d'élucubrations privées de tout bon sens mais elles sont l'expression d'un effort accompli en défense d'une méthode de travail qui est la notre et d'une critique ferme mais fraternelle à l'égard d'un groupe politique que nous considérons, sans aucun doute, comme étant du même côté que nous des frontières de classe. Pour faire cela, nos arguments critiques dans les débats avec le BIPR ont toujours comme point de départ les textes du BIPR eux mêmes - que nous nous efforçons dans la mesure du possible, de reproduire dans nos articles - et sont fondés sur une confrontation avec la tradition commune de la Gauche communiste afin de vérifier la validité de telle ou telle hypothèse dans le difficile travail de construction de l'avant-garde révolutionnaire.
En réponse, Battaglia Comunista (BC), une des composantes politiques du BIPR, a publié un article 1 qui pose plus d'un problème. En fait l'article est une réponse au CCI, qui pourtant n'est cité que quand c'est extrêmement nécessaire. L'ensemble de l'article est superficiel et dépourvu de citations de nos positions lesquelles sont, au contraire, synthétisées par BC qui en reproduit certaines de façon clairement déformées (nous voulons bien croire que cela relève d'une incompréhension de celles-ci et non d'une manifestation de mauvaise foi).
En fin de compte, il apparaît clairement, à travers cet article, que BC cherche plus à faire "des effets de style" pour s'attirer les sympathies des lecteurs qu'à poser ouvertement les questions sur le tapis et à les affronter. Mais surtout, il semble que BC refuse de se placer sur le seul terrain de confrontation possible, terrain sur lequel était construite notre réponse, celui de la méthode historique.
Symptomatique de cette attitude est le jugement qui est porté sur notre article qui, selon BC, exprimerait de "l'aigreur" et dans lequel il y aurait de la "biliosité et des calomnies" 2. Nous pensons que cette attitude de BC confirme pleinement la critique d'opportunisme que nous avons adressée au BIPR dans 1’article précédent dans la mesure où, historiquement, l'opportunisme a toujours cherché à éviter les débats politiques sérieux parce qu'ils sont évidemment révélateurs de ses propres travers. Naturellement, pour notre part, nous ne pouvons que renvoyer les lecteurs à notre article précédent pour mesurer à quel point cette position de BC est fausse sinon de mauvaise foi3. Nous ne voulons cependant pas suivre BC dans cette direction et nous disperser dans des polémiques stériles et sans fin. Nous chercherons donc, dans ce nouvel article, à fournir des éléments supplémentaires concernant la question de la construction de l'organisation des révolutionnaires à travers :
1 - une réponse à l'argumentation développée, sur ce plan, par BC dans son article ;
2 - une réponse aux critiques du BIPR sur notre prétendu idéalisme qui serait la cause de notre incapacité et de notre inadéquation à constituer une force digne de participer à la construction du parti mondial.
2. Encore sur la construction du parti
La seconde partie de l'article de BC cherche à défendre sa propre politique opportuniste de construction du parti international en opposition à notre façon de travailler. Rappelons donc les éléments essentiels que nous avons développés auparavant en réponse à la critique que nous fait le BIPR sur comment créer les sections nationales d'une organisation internationale. Le BIPR écrit :
‘‘Nous rejetons par principe et sur la base de différentes résolutions de nos congrès, l'hypothèse de la création de sections nationales par bourgeonnement d'une organisation préexistante, serait-elle même la nôtre. On ne construit pas une section nationale du parti international du prolétariat en créant dans un pays de façon plus ou moins artificielle un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs et de toute façon sans liens avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui-même.’’ (souligné par nous)4.
Ce à quoi nous avons répondu comme suit :
‘‘Naturellement, notre stratégie de regroupement international est volontairement ridiculisée quand il est parlé de « bourgeonnement d'une organisation préexistante », de création « dans un pays de façon plus ou moins artificielle, d'un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs », de façon à induire automatiquement chez le lecteur un sentiment de rejet vis-à-vis de la stratégie du CCI. ’’
‘‘(...) Selon le BIPR, s'il surgit un nouveau groupe de camarades, disons au Canada, qui se rapproche des positions internationalistes, ce groupe peut bénéficier de la contribution critique fraternelle, même polémique, mais il doit grandir et se développer à partir du contexte politique de son propre pays « en lien avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui même ». Ce qui veut dire que, pour le BIPR, le contexte actuel et local d'un pays particulier est plus important que le cadre international et historique donné par l'expérience du mouvement ouvrier. Quelle est en revanche notre stratégie de construction de l'organisation au niveau international (...) ? Qu'il y ait 1 ou 100 candidats à militer dans un nouveau pays, notre stratégie n'est pas de créer un groupe local qui doit évoluer sur place, « en lien avec les réelles batailles politiques et sociales du pays lui même », mais d'intégrer rapidement ces nouveaux militants dans le travail international d'organisation au sein duquel, de façon centrale, il y a l'intervention dans le pays des camarades qui s’y trouvent. C'est pour cela que, même avec de faibles forces, notre organisation cherche à être présente rapidement avec une publication locale sous la responsabilité du nouveau groupe de camarades parce que celle-ci, nous en sommes sûrs, représente le moyen le plus direct et le plus efficace pour, d'une part élargir notre influence et, d'autre part, procéder directement à la construction de l'organisation révolutionnaire. Qu'est ce qui est artificiel là dedans et pourquoi parler de bourgeonnement d'organisations préexistantes ? Cela reste encore à expliquer.’’
Ce qui est vraiment surprenant, c’est que, face à nos arguments, BC ne réussit pas à opposer le moindre argument politique sinon... qu'elle n'y croit pas. Voilà en effet sa position :
‘‘On peut penser à une « expansion » multinationale des organisations les plus fortes et les plus représentatives ? Non.
Parce que la politique révolutionnaire est une chose sérieuse : on ne peut pas penser qu'une « section » de quelques camarades dans un pays différent de celui de la section « mère » puisse constituer concrètement un élément de véritable organisation. (et pourquoi pas ? ndr.)
Il faut avoir le courage de reconnaître les difficultés à faire fonctionner réellement une organisation à l'échelle nationale ; la coordination elle-même d'une « campagne » à l'échelle nationale n’est pas toujours complète ; la distribution de la presse dans nos conditions organisationnelles de « petit nombre » se ressent de n'importe quelle petite variation de la disponibilité des militants, et nous pourrons avancer avec les éléments concrets de l'organisation.’’
Voilà donc la vérité ! BC ne croit pas à la possibilité de mettre sur pied aujourd'hui une organisation internationale simplement parce qu'elle-même n'est pas capable de gérer une organisation comme la sienne au niveau national ! Mais ce n'est pas parce que BC n'y arrive pas que cela veut dire que cela ne peut pas se faire. L'existence du CCI est un démenti criant de cette argumentation. BC parle de la difficulté de diffuser la presse au niveau national, mais elle ne voit pas - ce n'est qu'un exemple - que la presse en langue anglaise et espagnole du CCI (en particulier la Revue Internationale) est diffusée dans une vingtaine de pays du monde où il n'a pas forcément de section. Elle ne voit pas non plus que notre organisation est capable, et elle l'a démontré toutes les fois que nécessaire, de distribuer au même moment le même tract dans tous les pays où elle est présente et même au-delà. Encore une fois, BC ne voit pas une réalité qu'elle a sous les yeux qui montre que le CCI est vraiment une organisation unitaire qui agit, pense, travaille, intervient comme un seul corps politique, comme une même organisation internationale, quelle que soit la taille de la section existant dans tel ou tel pays.
Tout cela donne une idée de la valeur de l'argumentation de BC selon laquelle ‘‘il faut le courage de reconnaître les difficultés à faire fonctionner réellement une organisation’’, une argumentation qui n'existe que pour nier la possibilité de construire dès aujourd'hui une organisation internationale, une argumentation totalement dépourvue de base scientifique.
Mais il y a plus dans l'article de BC. Il y émerge en effet une autre idée malsaine sur la façon dont doit se développer une organisation révolutionnaire dans un pays :
‘‘De plus, une mini section parachutée dans un pays, n 'a pas la possibilité de s'implanter sur la scène politique de ce pays, ce qu’a par contre une organisation - là peu importe qu 'elle soit petite - qui est issue de cette scène politique, en s'orientant vers des positions révolutionnaires. (...) Ceux qui ne comprennent pas ou font semblant de ne pas comprendre, que l'identité politique ne suffit pas pour faire une organisation, ou bien n’ont pas le sens de l'organisation, ou bien sont tellement privés d'expérience organisationnelle qu’ils pensent que la question est hors sujet. (...) On ne se rend capable d'accomplir ces tâches que si on développe la tâche primordiale maintenant de s'enraciner, même si c'est de façon forcément limitée aujourd'hui, dans la classe.’’ 5
Honnêtement, le sens de ce passage nous inquiète. Ce qui ressort de ce qu'expose BC, c'est qu'il vaut mieux avoir un groupe ‘‘qui est issu de la scène politique (de l'endroit, ndr), en s'orientant vers des positions révolutionnaires’’, peu importe son degré de confusion au départ, qu'avoir au même endroit ‘‘une mini section parachutée’’.
Mais les véritables ‘‘racines’’ d'une organisation dans la classe ne se jugent pas au fait que ses positions sont momentanément plus ‘‘populaires’’ parmi les ouvriers. C'est là une approche immédiatiste et opportuniste. L’enracinement véritable se juge à une échelle historique (concernant l'expérience passée de la classe et aussi son devenir). Le principal critère de ‘‘l’enracinement’’ est la clarté programmatique et des analyses qui permettent à une organisation :
d'apporter une véritable contribution face aux confusions qui peuvent exister parmi les ouvriers ;
de se construire de façon solide pour 1’avenir.
C’est là tout le débat entre Lénine et les mencheviks, lesquels voulaient avoir une influence plus grande en ouvrant les portes du parti aux éléments confus et hésitants. C'est aussi, dans les années 1920, le débat entre la Gauche italienne et la majorité de l'IC concernant la constitution des PC (sur des bases "étroites" suivant la conception de la Gauche ou "larges" suivant celle de l'IC), sachant justement que l'IC cherchait à avoir un "enracinement" dans les masses ouvrières le plus rapidement possible. Même chose concernant la position de la Fraction face à celle des trotskistes dans les années 1930. L'enracinement de l'organisation dans la classe ne doit jamais se faire en soldant les principes et en atténuant leur tranchant. C'est un des grands enseignements du combat de la Gauche que le BIPR oublie aujourd'hui, comme le PC Internationaliste 1’avait déjà oublié en 1945.
En fait, l'inconsistance de l'argumentation de BC tient au fait que ce groupe se refuse obstinément à répondre à deux questions de fond, questions que nous avions posées dans notre dernier article :
Est-ce que BC considère que la position sur la construction de l'organisation exprimée par le mouvement ouvrier dans le passé, et particulièrement par la Gauche, est erronée et pourquoi ?
Si elle ne le pense pas, estime-t-elle alors que la phase historique actuelle soit radicalement différente de celle du temps de Lénine et de Bilan (comme il existait une différence de fond entre la période ascendante et la période de décadence du capitalisme) et qu'elle exige donc un type d'organisation différent ? Et si c’est oui, pourquoi ?
Nous attendons encore une réponse !
3. A propos de notre prétendu idéalisme
On sait que BC nous accuse d'être idéalistes et d'avoir une analyse de l'actualité conforme à cette vision. Récemment, au cours d'une réunion publique tenue par Battaglia Comunista à Naples, suite à une demande d'explications à propos de notre prétendu idéalisme, BC a répondu ainsi :
‘‘II y a trois points qui caractérisent l'idéalisme du CCI.
Le premier, c’est le concept de décadence : c’est un concept que nous utilisons nous aussi ; mais il n’est pas possible d'expliquer le concept économique de décadence en se fondant uniquement sur des facteurs sociologiques. Le problème est qu’on peut expliquer la décadence si on part de la chute tendancielle du taux de profit. Nous, nous disons que le capitalisme subit la décadence non parce qu’il y a la crise (des crises cycliques, il y en a toujours eu) mais parce que celle-ci est une crise particulièrement grave. Nous disons que le CCI est idéaliste parce que le concept de décadence est abstrait, idéaliste.
Le deuxième point concerne l'analyse de l'impérialisme : quand il y avait l'URSS, nous étions habitués à voir l'impérialisme avec deux visages, l’URSS et les Etats-Unis. Un des deux pôles impérialistes ayant disparu, l'autre domine sur le plan militaire, économique, etc. Il y a cependant au sein de cette nouvelle situation une tentative de regroupement impérialiste en Europe. Comment le CCI peut-il maintenant expliquer cette nouvelle phase en ne parlant que du chaos ? Le CCI confond les aspirations conscientes à prédominer sur la scène impérialiste avec le chaos.
La troisième raison concerne la question de la conscience, et c’est la chose la plus importante. Nous avons entendu des choses incroyables, du style que la classe ouvrière a un niveau de conscience tel qu’il a pu empêcher la 3ème Guerre mondiale.’’
Nous imaginions qu'avec cette critique sur l'idéalisme, BC voulait porter à notre organisation l'accusation de ne pas être partie prenante des problèmes réels et de s'adonner à des fantaisies. Ce que nous comprenons au contraire, comme nous chercherons à le démontrer, c'est que cette critique de BC est fondée sur une compréhension mauvaise et peu profonde de nos analyses politiques qui ne se justifie que par le désir irrépressible de vouloir se démarquer de notre organisation. Essayons donc de donner quelques éléments de réponse, même si évidemment nous ne pouvons faire ici de grands développements sur des thèmes aussi vastes.
La décadence du capitalisme : c'est vrai que 1’analyse du CCI est différente de celle de BC ; mais il est complètement faux que, pour nous, le "concept économique de décadence" s'explique "en se fondant uniquement sur des facteurs sociologiques". Les camarades de BC savent bien que, tandis que leur position a pour point de départ la baisse tendancielle du taux de profit, le CCI se réfère aux apports théoriques successifs de Luxemburg6 sur la saturation des marchés et la quasi disparition des marchés extra-capitalistes, ce qui n'exclut pas toutefois la variable de la baisse tendancielle du taux de profit. Notre position a donc, elle aussi, une base économique et certainement pas sociologique. De toute façon, au-delà des deux explications économiques différentes, l'aspect fondamental est que les deux analyses conduisent à la même vision historique qui est celle de la décadence du capitalisme sur laquelle nous sommes complètement d'accord. Alors, où est l'idéalisme ?
Impérialisme et chaos : sur cette question effectivement, si le CCI défendait la position que BC lui prête, il ne serait pas très crédible. Pour nous le chaos guerrier n'est pas un phénomène en soi mais justement la conséquence de la disparition des deux blocs impérialistes après 1989 et de la perte de la discipline interne que leur existence impliquait, discipline qui, au moment de la guerre froide, avait somme toute garanti, malgré les dangers de guerre mondiale, une certaine "pacification" au sein de chaque bloc et sur la scène internationale elle-même.
Selon BC, "le CCI confond les aspirations conscientes à prédominer sur la scène impérialiste avec le chaos". Pas du tout ! Le CCI, justement à partir des aspirations conscientes de chacun à faire prévaloir ses intérêts impérialistes sur la scène mondiale, non seulement des grandes puissances mais aussi des pays plus petits, voit dans la situation actuelle une tendance conflictuelle toujours plus étendue et pluridirectionnelle, une tendance de chacun à s’affronter à tous les autres, alors que n'existent plus, ou du moins n’existent pas encore pour le moment (et il semble exclu d'en voir la formation à court terme) de nouveaux blocs impérialistes qui puissent rassembler et orienter dans une seule direction les velléités impérialistes de chaque pays 7.
Dans cette nouvelle situation, la discipline dont nous parlions plus haut s'amenuisant, chaque pays se lance dans des aventures impérialistes en s'affrontant toujours plus aux autres, d'où le chaos, c'est-à-dire une situation sans contrôle ni discipline mais dont la dynamique fondamentale est très claire. Notre position est-elle tellement folle et... idéaliste ?
Enfin, sur la classe ouvrière qui a empêché la guerre : encore une fois, répétons que lorsque nous affirmons que la reprise historique de la lutte de classe qui a commencé en 1968 a empêché la bourgeoisie d'aller vers l'aboutissement de la crise du capital, c'est-à-dire vers la troisième guerre mondiale, nous ne voulons absolument pas affirmer que la classe ouvrière, étant consciente du péril de guerre, s'oppose consciemment à ce péril. S’il en avait été ainsi, nous serions certainement dans une phase pré-révolutionnaire ; et de toute évidence, ce n'est pas le cas. Ce que nous voulons dire, en revanche, c'est que la reprise historique a rendu la classe beaucoup moins manipulable par la bourgeoisie que dans les années 1940 et 1950. C'est ce manque de possibilité de disposer complètement du prolétariat qui pose des problèmes à la classe dominante et lui déconseille de se lancer dans un conflit impérialiste généralisé.
En effet, dans la période présente, même si la combativité et la conscience de la classe sont d'un faible niveau, la bourgeoisie n'a pas la capacité d'embrigader les ouvriers des pays avancés derrière les drapeaux guerriers (que ce soit la nation, l'antifascisme ou l'anti-impérialisme, etc.). Pour faire la guerre, il ne suffit pas d'avoir des ouvriers peu combatifs, il faut des ouvriers qui soient prêts à risquer leur vie pour un des idéaux de la bourgeoisie.
Le BIPR, qui joue aujourd'hui le rôle de donneur de leçons, de celui qui sait tout, a eu (et a) des difficultés notables pour analyser la situation internationale. Par exemple, quand il y a eu la chute du bloc de l'Est, BC au début n'avait pas, pour le moins, les idées très claires et attribuait "l'écroulement" à un processus qui aurait été piloté par Gorbatchev pour redistribuer les cartes entre les blocs et essayer de marquer des points face à l'impérialisme américain :
"Ce qui finit, ou qui est déjà fini, ce sont les équilibres de Yalta. Les cartes sont en train d'être redistribuées sur le scénario d'une crise qui, si elle frappe dramatiquement l'aire du rouble, n’a certainement pas fini de se développer dans l'aire du dollar (...). Gorbatchev joue habilement sur les deux tableaux de l'Europe et des tractations avec l'autre superpuissance. La marche vers un rapprochement entre Europe de l'Est et de l'Ouest n’est pas un phénomène qui contribue à la tranquillité des USA et Gorby le sait." (tiré de "Les cartes se redistribuent entre les blocs : les illusions sur le socialisme réel s'écroulent", Battaglia Comunista, n° 12, décembre 1989)8. BC a aussi, en cette même occasion, parlé de l'ouverture de nouveaux marchés dans les pays de l'Est qui pourraient donner une bouffée d'oxygène aux pays occidentaux : "L'effondrement des marchés de la périphérie du capitalisme, par exemple l'Amérique Latine, a créé de nouveaux problèmes d'insolvabilité pour la rémunération du capital... Les nouvelles opportunités ouvertes en Europe de l'Est pourraient représenter une soupape de sécurité par rapport au besoin d'investissement... Si ce large processus de collaboration Est-Ouest se concrétise, ce serait une bouffée d'oxygène pour le capital international." 9.
Quand la bourgeoisie roumaine, au début de 1990, décide de se débarrasser du dictateur Ceaucescu, en recourant à une mise en scène incroyable pour attiser chez les gens la soif de démocratie - la plus efficace des dictatures de la bourgeoisie - BC en est arrivée à parler de la Roumanie comme d'un pays où étaient présentes "toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives pour que l'insurrection puisse se poursuivre en véritable révolution sociale, mais l'absence d'une force authentiquement de classe a laissé le champ libre aux forces qui sont pour le maintien des rapports de production bourgeois." (Battaglia Comunista, n° 1, janvier 1990).
Enfin, que dire de l'article écrit par des sympathisants de Colombie et publié par BC en première page de son journal ? Article dans lequel la situation dans ce pays est présentée comme quasi-insurrectionnelle et cela sans le moindre commentaire ou critique de la part de BC :
"Dans les dernières années, les mouvements sociaux en Colombie (...) ont acquis une radicalité et une amplitude particulières. (...) Aujourd'hui, les grèves se transforment en émeutes, les paralysies urbaines en révoltes, les protestations des masses urbaines se concluent avec de violents affrontements de rue. (...). Pour résumer : en Colombie, il y a un processus insurrectionnel en cours, déchaîné par les mécanismes capitalistes et par l'exacerbation et l'extension du conflit entre les deux fronts militaires bourgeois" (extrait de Battaglia Comunista n°9, septembre 2000, souligné par nous).
On en vient à se demander, à ce niveau, où se trouve réellement 1’idéalisme ? Est-ce dans nos articles ou dans les analyses fantaisistes du BIPR ? 10
4. Les derniers dérapages sur la décadence
Mais il y a plus grave encore. Ce qu'on remarque depuis quelques temps à ce propos, c'est que BC lance des jugements dédaigneux concernant le camp prolétarien qui aurait "fait faillite pour n'avoir pas été à la hauteur des tâches de l'heure", et en même temps c’est justement elle qui remet en question, chacune à son tour, les pierres angulaires de son analyse (et de la nôtre) de la période historique actuelle, en laissant de plus en plus place à l'improvisation du rédacteur à qui il revient de faire l'article. Nous avons dû justement intervenir de façon polémique dans les débats de BC pour corriger un dérapage important sur le rôle des syndicats dans la phase actuelle11 qui rentrait en contradiction avec les positions historiques mêmes de BC. Mais voilà que, dans le même article de Prometeo n° 2, nous trouvons une série de passages qui reviennent sur la question (sans faire la moindre référence à la polémique précédente) en remettant en cause le concept même de décadence du capitalisme, position qui unit depuis toujours nos deux organisations, le BIPR et le CCI, et qui est un héritage du mouvement révolutionnaire, de Marx et d'Engels, de Rosa Luxemburg et Lénine (dont le BIPR se réclame pourtant), de la 3e Internationale, jusqu'aux gauches communistes qui ont surgi à la suite de la dégénérescence de la vague révolutionnaire des années 1920.
De fait, l'article caractérise la situation actuelle de façon bizarre à travers "des phases ascendantes du cycle d'accumulation" et des "phases de décadence du cycle d'accumulation" plutôt que de parler de période historique de décadence irréversible du capitalisme par opposition à la phase historique précédente, comprenant certes des moments de crise mais qui était globalement une phase de développement général :
"II y a (...) un schéma. C'est celui qui divise l'histoire du capitalisme en deux grandes époques, celle de l'ascendance et celle de la décadence. Presque tout ce qui était valable pour les communistes dans la première ne l'est plus dans la seconde justement du fait que ce n'est plus une phase de croissance mais de décadence. Un exemple ? Les syndicats convenaient et il était juste que les révolutionnaires y travaillent pour en prendre la direction avant, ce n'est plus valable ensuite. Pas même l'ombre d'une référence au rôle historique, institutionnel de médiation du syndicat : encore moins au rapport entre ce rôle et les différentes phases du capitalisme, ou du rapport objectif entre les taux de profit et le champ de la négociation. (...) Dans les phases de l'ascendance du cycle d'accumulation, le syndicat, comme «avocat» peut arracher des concessions salariales et normatives (aussitôt récupérées cependant par le capital) ; dans les phases de décadence du cycle, les marges de médiation se réduisent à zéro et le syndicat, ayant toujours la même fonction historique, est réduit à jouer le médiateur, oui mais en faveur de la conservation, opérant comme agent des intérêts capitalistes dans la classe ouvrière.
Le CCI au contraire divise l'histoire en deux parties : quand les syndicats sont positifs pour la classe ouvrière - sans spécifier sur quel terrain - et quand ils deviennent négatifs.
De tels schématismes se vérifient sur la question des guerres de libération nationale.
C'est ainsi que la proposition formelle de positions indiscutables et donc apparemment partageables, s'accompagne d'une divergence substantielle, sinon d'une extériorité au matérialisme historique et d'une incapacité à examiner la situation objective." 12
Puisque cette partie de l'article est explicitement développée comme réponse au CCI, nous devons remarquer que BC a vraiment la mémoire courte si elle ne se souvient même pas des positions de base du CCI sur les syndicats, positions développées dans des dizaines et des dizaines d'articles et, en particulier, dans une brochure dédiée spécifiquement à cette question 13 dans laquelle nous faisons amplement "référence au rôle historique, institutionnel de médiation du syndicat" et au "rapport entre ce rôle et les différentes phases du capitalisme". Nous invitons tous les camarades à lire ou relire notre brochure pour vérifier à quel point les affirmations de BC sont inconsistantes.
Cependant nous croyons qu'il n'est pas inutile de rappeler ce qu'avaient écrit Marx et Engels il y a un siècle et demi :
"A un certain degré de leur développement les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, pour utiliser un terme juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient développées jusqu'à ce moment. De formes de développement des forces productives ces rapports se transforment en entraves qui freinent ces forces. On arrive alors à une époque de révolution sociale." 14
Nous voulons bien croire que BC a simplement commis une erreur d'écriture, qu'elle a utilisé des termes inappropriés en essayant de répondre à nos arguments. Parce que, si ce n'était pas le cas, nous nous demanderions ce que veulent dire les phrases utilisées par BC. Veulent-elles dire qu'après une phase de récession et qu'avec la reprise d'un cycle d'accumulation la classe ouvrière peut de nouveau compter sur les syndicats, pour "arracher des concessions salariales et normatives" ? S'il en est ainsi, nous voudrions savoir de BC quelles ont été, à son avis, "les phases d'ascendance du cycle d'accumulation" dans les dernières décennies et quelles ont été les "concessions salariales et normatives" obtenues grâce aux syndicats par la classe ouvrière qui y ont correspondu.
Et aussi, à propos des luttes de libération nationale, sur lesquelles le CCI exprimerait "un schématisme similaire", que veulent dire les camarades de BC ? Que l'on peut soutenir Arafat ou d'autres pourvu que le cycle d'accumulation du capital soit assuré et qu'il n'y ait pas de récession? Si ce n'est pas la bonne interprétation, que veut dire alors BC ?
En conclusion
Nous avons démontré dans ce deuxième article que ce n'est pas le CCI qui a une vision idéaliste de la réalité mais que c’est bien BC qui développe une confusion théorique et qui a une approche opportuniste dans son intervention. Nous avons fortement le sentiment que tous les arguments donnés par BC en polémique contre "un camp politique prolétarien qui n'est plus à la hauteur de ses tâches et donc désormais dépassé par le temps" ne sont qu'un rideau de fumée en vue de cacher ses propres glissements opportunistes et une certaine dérive jusque sur le plan programmatique, glissements qui commencent à devenir inquiétants. En particulier, par rapport à la tendance actuelle du BIPR à se considérer comme "seul au monde" face à "un camp politique prolétarien qui n 'est plus à la hauteur de ses tâches", il serait opportun que les camarades retournent à la brochure et aux nombreux textes qu'ils ont écrits en polémique avec les bordiguistes dans lesquels ils critiquent justement le fait que chaque groupe bordiguiste se considère comme étant LE PARTI et tous les autres comme de la merde.
C'est pour cela que nous invitons BC (et le BIPR) à prendre au sérieux nos critiques et à ne pas se cacher derrière des accusations ridicules d'excès de bile ou de malhonnêteté. Cherchons à être à la hauteur de nos tâches.
9 mars 2001, Ezechiele
1 "La nouvelle Internationale sera le Parti International du prolétariat", in Prometeo n° 2, décembre 2000.
2 Il faut noter que, dans le mouvement ouvrier, les accusations de "calomnie", "biliosité", etc. sont classiques de la part des éléments centristes et opportunistes envers les polémiques menées contre eux par les courants de gauche (Lénine était considéré comme un "méchant calomniateur" lorsqu'il a engagé le combat contre les mencheviks ; Rosa de même était accusée d'être "hystérique" lorsqu'elle a mené la lutte contre Bernstein et plus tard contre Kautsky à propos de la grève de masse). Plutôt que des accusations de ce type, il faut demander au BIPR en quoi nos critiques sont fausses, voire "calomnieuses". Il ne suffit pas d'affirmer, il faut démontrer. Par ailleurs, le BIPR est mal placé pour nous faire ce genre de reproche alors que les qualificatifs ne manquent pas chez eux, notamment pour affirmer, et là sans le moindre argument, que nous ne faisons plus partie du camp prolétarien. C'est l'histoire de celui qui voit la paille dans l'œil de son voisin mais qui ne voit pas la poutre dans le sien.
3 Il est important de noter à ce propos que les camarades de BC ont accueilli notre première réponse avec une certaine rancœur, parce qu’ils ont associé le qualificatif "opportuniste" avec "contre-révolutionnaire". Cette association, pour quiconque connaît l'histoire du mouvement ouvrier, est complètement fausse et tout à fait non fondée. Elle est, en tout cas, une manifestation d'ignorance politique. L'opportunisme a toujours été identifié comme étant une déformation des positions révolutionnaires et cela au sein du mouvement ouvrier. C’est seulement 1’ambiguïté et le manque de clarté du bordiguisme (et de BC elle-même) qui ont permis de continuer à appeler opportunistes des formations politiques qui sont désormais passées dans le camp de la contre-révolution, comme les différents PC staliniens, et donc d'identifier l'opportunisme avec la contre-révolution.
4 BIPR, "Vers la Nouvelle Internationale... "
5 "La Nouvelle Internationale sera... ", p 10.
6 Voir en particulier les deux oeuvres principales de Rosa Luxemburg dans lesquelles cette théorie est développée :
"L'accumulation du capital" et "Critique des critiques, ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste".
7 Un des facteurs majeurs pour lesquels la reconstitution de nouveaux blocs n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui, c'est qu'il n'existe pas de pays capable de rivaliser un tant soit peu avec les Etats-Unis sur le plan militaire. Il faudra de longues années (sûrement plus d'une décennie) pour qu'un pays comme l'Allemagne puisse disposer d'une puissance militaire crédible.
8 Pour des éléments plus conséquents sur cette "non vision", voir aussi notre article "Le vent d'Est et la réponse des révolutionnaires". Revue Internationale n° 61.
9 Idem.
10 On peut encore rappeler qu'à l'occasion des grèves en Pologne en août 1980, la CWO a lancé le mot d'ordre "Révolution tout de suite !" dans son journal, quand la situation n'était vraiment pas une situation révolutionnaire. Les camarades de la CWO nous ont dit, depuis, que c'était un accident, que ce titre et l'article étaient le fait d'un seul militant, qu'il n'avait pas reçu 1'accord des autres membres et que le journal avait été immédiatement retiré de la diffusion. Nous acceptons les explications mais il faut quand même reconnaître qu'il n'existait pas une grande clarté tant politique qu'organisationnelle dans la CWO à l'époque puisqu'un de ses membres a pu penser et écrire une telle absurdité et que l'organisation n'a pas pu empêcher qu'elle soit publiée. Le militant en question n'était probablement pas n'importe qui puisque la CWO lui avait donné la responsabilité de publier le journal sans contrôle préalable de l'organisation ou d'un comité de rédaction. Il n'y a que chez les anarchistes qu'il arrive ce genre de dérapage individuel ou bien dans le parti socialiste italien, en 1914-15, quand Mussolini avait publié sans avertir personne un éditorial dans l’Avanti appelant à participer à la guerre. Mais à l'époque, Benito était quand même le directeur du journal (et il avait été acheté secrètement par Cachin avec des fonds du gouvernement français). En tous cas, l'organisation interne de la CWO laissait à désirer à cette époque. Il faut espérer que cela s'est amélioré depuis.
11 Voir l'article "Polémique avec Battaglia Comunista : les syndicats ont-ils changé de rôle avec la décadence du capitalisme ?" dans Rivoluzione Internazionale n° 116.
12 De "La nouvelle Internationale sera... " p.8-9.
13 Les syndicats contre la Classe ouvrière publié maintenant dans toutes les langues les plus importantes.
14 Marx-Engels, Préface à Contribution à la critique de l'économie politique.
Présentation
L'article de Rate Korrespondenz, organe du Groupe communiste internationaliste de Hollande (GIC) ([1] [109]), que nous republions ci-dessous ([2] [110]) mérite de sortir de l'oubli et d'être porté à la connaissance de nos lecteurs.
Le GIC, durant les années 1930, est le groupe central qui représente la Gauche communiste germano-hollandaise et qui se situe au carrefour de cette tradition. C'est ainsi qu'en 1933 il prend en main le travail de regroupement de l'ensemble du courant ; il édite Proletarier, la revue internationale du communisme des conseils ainsi qu'un service de presse en allemand. Proletarier sera remplacé par Rate Korespondenz en tant qu'organe "théorique et de discussion du mouvement des conseils ".
Avant de se pencher sur son contenu, il n'est pas inutile de souligner que cette étude montre le soutien que toute la gauche communiste a clairement apporté à la révolution russe et au parti bolchevique. Elle montre donc que la Gauche communiste germano-hollandaise n'adopte que tardivement la position sur "la nature bourgeoise de la révolution russe".
Traditionnellement, on date de 1934 avec "les thèses sur le bolchevisme" ([3] [111]) d'Helmut Wagner, la fondation du mouvement communiste des conseils qui rejette l'expérience prolétarienne russe et qui estime que le parti bolchevique n' a pas été un parti révolutionnaire mais un organe "étranger" à la classe ouvrière.
Cette idée s'appuie sur une vision tronquée de la réalité ([4] [112]), car les débats ont fait rage au sein du GIC sur la question du bolchevisme, question qui n'était pas aussi nettement tranchée qu'on le dit, comme l'article de 1936-37 que nous publions ci-après en témoigne.
Que lit-on dans cette étude ?
1. Que la révolution russe est une révolution prolétarienne.
2. Qu'il n'y a rien de commun entre Staline des années 1930 et la révolution : "Jamais homme politique n'a rompu si radicalement avec l'ancien cours suivi jusqu'alors que Staline en 1931. "
3. Que l'URSS est de nature capitaliste d'Etat : "A la place de capitalistes individuels puissants, des appareils étatiques (souligné par nous) tout puissants pressent l'individu de rendre ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnent en échange un salaire. " "Ce rapport de l'ouvrier russe vis-à-vis de son Etat (...) ne ressemble-t-il donc pas à celui de l'esclave salarié de l'Europe occidentale envers son patron ?"
4. Que la contre-révolution a fait sentir ses premiers effets assez tôt : "Ce n 'es tpas d'hier que date l'introduction des rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n'est pas à partir de 1931 seulement que l'URSS l'est devenue. Dans son essence, elle l'était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers soviets ouvriers librement élus. "
5. Quant à la nature des bolcheviks, il apparaît clairement que les vieux bolcheviks "se trouvent déjà depuis longtemps en opposition irréductible au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont éliminés par lui".
"Les thèses sur le bolchevisme " ne seront la base du communisme de conseil qu'après le deuxième conflit mondial quand commencera à naître ce qu'il est convenu d'appeler le conseillisme. Mais encore, tout le courant de la Gauche communiste germano-hollandaise ne se situe pas dans ce cadre et, par exemple, Ian Appel (ancien membre du KAPD et son délégué au 2e congrès de l'Internationale communiste) n'a jamais accepté la position selon laquelle la révolution russe serait une révolution bourgeoise.
Le débat sur la nature de l'URSS dans les années 1930 est la discussion centrale et mobilise tous les groupes de la Gauche communiste comme nous le montrons dans notre brochure sur La Gauche communiste de France (à paraître).
Toutefois, le GIC comprend, plus rapidement que la Gauche communiste italienne, la nature capitaliste d'Etat du système en URS S. Pour la Gauche communiste italienne, il faudra attendre le deuxième conflit mondial pour qu'elle mette en avant cette même position. Elle l'aborde pourtant dès les années 1930 mais sans la trancher définitivement.
Cela provient du fait que la Gauche communiste italienne a toujours été plus prudente dans l'énoncé d'une nouvelle position politique. Elle a toujours eu pour principe d'examiner toutes les conséquences politiques d'une position avant de l'avancer ; et c'est cette méthode qui lui a permis de garder la boussole politique et théorique.
La validité de la méthode utilisée par la Gauche italienne
Ses positions et sa politique face à la dégénérescence du mouvement communiste en sont une preuve éclatante :
1.Elle effectue la rupture avec l'Internationale communiste (IC) en 1928 quand cette dernière décide qu'on ne peut plus en être membre si l'on apporte son soutien à Trotsky et quand elle adopte dans son programme la thèse du "socialisme dans un seul pays" (ce qui signifie la mort de l'Internationale).
2.Elle montre que l'échec de la révolution était inévitable dès lors que celle-ci ne s'est pas étendue à l'Europe. C'est un processus de dégénérescence qui s'est mis en marche et qui s'est dirigé, chaque jour un peu plus, vers le rétablissement du capitalisme en URSS. Pour cette dernière il n'y a pas de date précise à fixer pour le passage définitif dès lors qu'il s'agit d'un processus. Cependant, il est clair que celui-ci a totalement abouti quand l'URSS a participé à partir de 1939 à la seconde guerre mondiale.
En ce qui concerne les partis communistes, elle les a envisagés au cas pas cas ; et pour ce qui est du PCF et du PCI, par exemple, elle les a considérés comme perdus dès lors qu'ils se sont engagés dans une politique de soutien à leur bourgeoisie nationale en 1935. La Fraction italienne a alors changé son nom de Fraction italienne du PCI en Fraction italienne de la Gauche communiste internationale.
C'est ce cheminement prudent qui lui a permis de tirer pas à pas les leçons et de faire le bilan de ce qui est arrivé au mouvement communiste à la suite de la révolution russe mais aussi de donner naissance, sur ces bases solides, aune filiation bien vivante encore aujourd'hui.
Les limites de la méthode de la Gauche germano-hollandaise
Celles-ci apparaissent clairement dans le texte que nous publions ici :
1. On ne sait pas comment s'effectue la contre-révolution et P on ne comprend pas ce que vient faire l'année 1931 et quelle importance particulière elle peut avoir.
2. Ce manque de clarté sur le phénomène de la contre-révolution ainsi que sur ses causes ne nous permet pas de tirer des enseignements essentiels pour le devenir de la lutte prolétarienne et sur comment nous devons agir face à une nouvelle situation révolutionnaire.
3. La deuxième partie de l'étude tente de critiquer les mesures économiques prises en URSS en direction de la paysannerie avec une démarche "gestionnaire". Cette manière de traiter le problème est ambiguë et laisse accroire que de bonnes mesures économiques en URSS auraient pu inverser le cours et éviter la contre-révolution. C'est une lourde erreur car même si les bolcheviks avaient pris d'excellentes mesures économiques cela n'aurait pas empêché la contre-révolution car il ne peut y avoir de socialisme dans un seul pays.
De Rate Korrespondenz (1936-37) : organe en langue allemande du Groupe Communiste Internationaliste de Hollande
I. Moment décisif dans le développement de l'URSS de ces dernières années.
Quiconque a suivi attentivement la situation de l'URSS a dû remarquer combien de mesures extrêmement réactionnaires y ont été réalisées ces derniers temps : l'interdiction de l'avortement, 1'introduction de nouveaux grades dans l'armée, de nouveaux règlements scolaires autoritaires, et bien d'autres règlements.
Toutes ces mesures se meuvent le plus souvent sur le plan culturel politique et ne sont compréhensibles que lorsqu'on se donne la peine d'y voir la conséquence de raisons plus profondes, et dont l'origine plonge dans le domaine de l'économie. S'il est vrai que des modifications idéologiques qui représentent la superstructure d'une société présupposent des modifications analogues dans l'économie, on devrait pouvoir démontrer de telles modifications ou de tels déplacements de forces en URSS. En fait, rien n'est plus facile à démontrer.
Toute la série de nouveaux règlements qu'on a pu constater ces dernières années ne s'expliquent autrement que par un déplacement substantiel et même principiel des rapports de forces.
Il suffira pour cela de rappeler le discours, en son temps célèbre, que Staline prononça en juin 1931 devant une assemblée d'économistes russes sur les six conditions ou changements. La presse du Komintern a considéré le discours comme étant d'une portée historique et n'a pas dit en ce cas un seul mot de trop. Jamais homme politique n'a rompu si radicalement avec l'ancien cours suivi jusqu'alors que Staline en 1931. Il demandait alors la suppression de l'égalité relative des salaires ouvriers, stigmatisait cette égalité comme une "creuse égalisation" et exigeait l'introduction d'un nouveau système de salaires. Il demandait en plus la suppression de la direction collective des entreprises et leur remplacement par une direction personnelle d'un fonctionnaire responsable uniquement devant l'Etat.
Cependant le point essentiel résidait sans doute dans l'annonce que dorénavant les entreprises devraient travailler d'après le principe de la rentabilité. Le discours fut suivi immédiatement par une série de décrets qui ont donné à ces formulations de Staline force de loi. Plus de 30 échelons de salaires furent créés, et les différences s'échelonnèrent entre 100 et 1000 roubles par mois. Le droit des ouvriers d'avoir un certain regard dans le fonctionnement de l'entreprise fut réduit à zéro et les directeurs "rouges" devinrent des bureaucrates dans leur domaine. Pour la réalisation de la rentabilité, ils reçurent les pouvoirs nécessaires. Une rationalisation du mode du travail eut lieu qui provoqua une course effrénée pour des hauts salaires.
Pour les staliniens des pays autres que l'URSS, le travail à la tâche c'était de l'assassinat, mais en URSS, ils prisaient beaucoup les effets miraculeux du travail à la tâche.
Peu après les syndicats furent rattachés au Commissariat du Travail et cessèrent définitivement de mener une lutte quelconque pour l'amélioration des conditions de vie des ouvriers. Ils devinrent de simples instruments de propagande de l'Etat pour une meilleure exploitation de l'effort ouvrier (Décision du C.C. du 23 juin 1933). Même la façon de pourvoir les ouvriers en denrées alimentaires fut modifiée. La plupart du temps elle passait dans les mains de la direction d'entreprise qui trouvait le moyen "d'assurer aux meilleurs ouvriers une meilleure fourniture de denrées alimentaires". Si jusqu' alors il existait au sein de la classe ouvrière une certaine égalité des conditions de vie - égalité qu'on pourrait le mieux qualifier d'égalité de commune misère – à partir de ce moment commença à se développer une différenciation dans la manière de vivre, une différenciation des intérêts, et par conséquent une appréciation différente de l'Etat et de ses institutions.
Ainsi prit fin une longue période pendant laquelle le nivellement de la conscience ouvrière trouvait son origine dans les conditions économiques.
Où donc faut-il chercher les raisons de toutes ces mesures qui furent déjà à l'époque stigmatisées par différents groupes ouvriers comme étant de nature réactionnaire et même capitaliste. Staline nous le dit dans le même discours cité plus haut : "il en résulte finalement qu 'on ne doit plus se contenter des anciennes sources d'accumulation, le nouveau développement de l'industrie et de l'agriculture exige l'introduction du principe de la rentabilité et le renforcement de l'accumulation au sein de l'industrie."
Le prolétaire des pays capitalistes sait bien par l'expérience de sa vie quotidienne quelles sont les méthodes que le capitalisme met en pratique lorsque que par manque de plus-value l'accumulation se trouve bloquée. Bien que se voilant de bonnets philanthropiques de toutes sortes, elles ont toujours comme but final une aggravation de l'exploitation. Il est significatif que le "premier et unique Etat ouvrier" se soit servi de la même méthode. Pas mal de communistes perdirent alors une partie de leurs illusions. La dure réalité les a forcés à se rendre à 1'évidence ; c'était une erreur de croire que la nationalisation des moyens de production était déjà en soi une garantie suffisante pour une disparition de l'exploitation de l'homme par l'homme.
A la place des capitalistes individuels puissants, des appareils étatiques tout puissants pressaient l'individu de rendre ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnaient en échange un salaire qui suffisait à peine à assurer l'entretien de l'existence nue. Ce rapport de l'ouvrier russe vis à vis de son Etat et ses fonctionnaires ne ressemble-t-il donc pas à celui de l'esclave salarié de l'Europe occidentale envers son patron?
Des staliniens 100 % nous chantent, il est vrai, "la propriété collective des moyens de production" qui existerait dans l'Etat soviétique, et les trotskistes l'ont chanté jusqu'alors dans le même chœur bien que sur un autre air.
Mais une question se pose alors ; Pourquoi donc les ouvriers "ces propriétaires collectifs des moyens de production" ont-ils montré si peu d'intérêt à accroître le plus rapidement possible leur propriété, au point que Staline a été obligé de leur rappeler leurs devoirs avec un fouet de faim?
Bien plus, pour protéger la "propriété socialiste" il a dû, même à l'aide de lois draconiennes, empêcher les ouvriers d'emporter dans leurs poches leur propriété à eux. Les prolétaires russes sont-ils donc si bêtes et si myopes comme sont intelligents leurs maîtres staliniens et ne comprennent-ils donc pas les dommages qu'ils se causent eux-mêmes à leurs intérêts les plus vitaux !
Nous croyons fermement que l'ouvrier russe comprend qu'il n'a aucun rapport direct ni avec les moyens de production, ni avec le produit de son travail. Il n'a aucun intérêt à ces deux choses, parce qu'il est salarié au même titre que ses frères de classe de l'autre côté de la frontière. Que le prolétariat russe ait compris ce fait dans son ensemble, ou que l'exploitation soit encore voilée aux grandes masses par des illusions, cela importe peu. Ce qui est sûr, c'est que le prolétariat russe a agi et continue à agir comme seule une classe exploitée agit. Et il importe peu que Staline soit conscient ou non de son rôle de dirigeant d'une société reposant sur l'exploitation; l'essentiel, c'est que personne mieux que lui n'avait pu formuler avant et après 1931 les nécessités d'une telle société.
Ce n'est pas d'hier que date l'introduction des rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n'est pas à partir de 1931 seulement que l'URSS l'est devenue. Dans son essence, elle 1'était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers soviets ouvriers librement élus, mais après 1931 l'économie russe a rejeté de son sein tous les éléments étrangers à sa structure.
Les couches qui considéraient l'honnêteté comme une des vertus essentielles des révolutionnaires (surtout parmi les vieux bolcheviks) se sont montrées incapables d'aider le programme de Staline à se réaliser, et se trouvent depuis longtemps en opposition irréductible au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont éliminés par lui. La dissolution de l'organisation des vieux bolcheviks et la déportation de ses membres les plus éminents surtout ces derniers temps, montra bien à quel point cette interprétation correspond à la vérité.
Un bolchevik, un ouvrier conscient, un communiste ne peut pas défendre devant les masses les mesures du gouvernement soviétique, il ne peut pas les faire réaliser sans immédiatement cesser d'être un communiste. Il devient pour les puissants inutilisable et sans valeur dans la mesure où il devient conscient de sa fonction en tant qu'instrument de la hiérarchie exploiteuse. C'est pourquoi nécessairement d'autres hommes doivent accomplir cette fonction, des hommes avec des conceptions différentes et qui n'ont pas le sentiment d'appartenir à la classe ouvrière.
Les décisions importantes après 1931 étaient des nécessités qui résultèrent du développement et étaient devenues causes d'un déplacement du rapport de force entre classes en URSS. Une aggravation de l'exploitation est impossible sans l'accroissement de l'appareil qui réalise cette exploitation directement. Et, comme la classe ouvrière ne peut s'exploiter elle-même, cet appareil devait être édifié par des gens qui ne lui appartiennent pas. Fonctionnaires, employés, cadres de l'industrie, appuyés sur une large couche d'aristocratie ouvrière sont 1'instrument de la clique régnante et, peuvent de ce fait jouir des privilèges qui les placent bien au-dessus du niveau d'un prolétaire moyen.
Telle est la situation créée en URSS.
En dépit de tous les bavardages sur le passage imminent vers une société sans classes, une nouvelle classe a surgi là-bas. Les prolétaires n'ont aucun rapport de "propriété" avec les moyens de production; là comme ici, ils sont vendeurs de leur force de travail; tandis que la classe opposée (fonctionnaires du parti, directeurs d'entreprises et de coopératives, bureaucratie d'Etat) exerce la fonction de gérant des moyens de production, d'acheteur des forces de travail et de propriétaire des produits du travail. Elle domine collectivement, mais d'une façon autoritaire toutes les sphères de 1'économie russe. Elle ne produit aucune plus-value, mais se nourrit du travail de millions d'esclaves auxquels elle a enlevé et enlève encore tous les droits, et se donne à elle-même des privilèges qui la différencient nettement de la masse grise des prolétaires russes.
Aussi sa conscience n'est-elle pas une conscience ouvrière. Elle est intéressée à l'exploitation et cet intérêt est déterminant pour la formation de ses conceptions. Elle reste farouchement opposée à toutes les forces de la société qui propagent la suppression réelle de l'exploitation. Par ceux-ci elle se sent menacée dans ses privilèges et ne recule devant rien pour détruire cet ennemi. Toutes ses forces tendent vers P extension des privilèges obtenus au cours des années passées et vers la liquidation de tout ce qui reste de la révolution d'octobre, les restes humains y compris.
Pour pouvoir tirer de la chair des prolétaires toute la masse gigantesque de plus value nécessaire à 1'édification et à la reconstruction de l'économie russe il a fallu créer toute une armée d'aboyeurs, de surveillants et de garde-chiourmes.
C'est à un processus de libération que nous avons assisté en URSS ces derniers temps, libération non pas des masses populaires, mais de la structure économique qui ne pouvait plus supporter la vieille coque politique. Les lois de la société basée sur l'exploitation s'imposèrent du moment où le dernier trou qu' était 1'absence d'une couche assumant clairement et nettement la fonction de classe exploiteuse, fut bouché. La constitution définitive de cette classe est l'essentiel du développement de l'URSS en ces dernières années. Qui ne comprend pas ces choses sera incapable de comprendre tout ce qui se déroule et se déroulera en URSS.
L'URSS est devenue définitivement un pays capitaliste. Toutes les forces de la vie y ont un caractère capitaliste.
Le chemin d'octobre à février a été parcouru sans que ce soit cependant un chemin de retour. En URSS, les prolétaires trop faibles pour organiser en tant que classe la production au nom de la société tout entière, ont dû céder la place au parti qui ne pouvait agir autrement que comme représentant d'intérêts particuliers. Ce parti a fait ce qu'ailleurs ont accompli les capitalistes privés, il a développé les moyens de production et continue à les développer jusqu' à la limite historique; le parti prit sur lui le rôle historique de la bourgeoisie et devait dégénérer sous cette forme.
Accomplissant un rôle progressif, il a poussé en avant la roue de l'histoire et vient d'arriver maintenant à un point que la bourgeoisie des autres pays a déjà atteint depuis longtemps. Il commence à devenir un obstacle sur le chemin du développement de l'URSS sous n'importe quelle forme humaine.
Il n'y a pas lieu ici de disqualifier moralement les personnes qui ont tenu le gouvernail ; il faut comprendre que toute personne, toute puissance qui à la place des personnes d'aujourd'hui aurait tenu le gouvernail eût subi le même développement.
II. Les forces sociales en URSS
L'aspect de l'économie agraire
Malgré toutes les mesures prises, la différenciation des conditions de vie entre la couche dirigeante et le prolétariat, au cours du premier plan quinquennal, n'a pu atteindre son plein épanouissement. La bureaucratie avait encore besoin du prolétariat pour réaliser sa campagne de conquête de la paysannerie. Pour pouvoir consolider sa position dans l'industrie, la bureaucratie devait s'assurer une influence prépondérante sur le secteur agraire de l'économie russe. L'anarchie de la production paysanne commençait, en effet, à menacer le développement de toute l'économie et par cela la couche dirigeante. L'introduction de nouvelles méthodes de production plus perfectionnées était depuis longtemps une nécessité historique pour l'économie agraire russe. Tout autre gouvernement aurait été obligé un jour ou l'autre de les introduire. D'abord pour pouvoir nourrir à meilleur marché ses salariés, et puis pour enrichir le marché intérieur, d'un nouveau débouché.
La bureaucratie proclama la collectivisation des biens ruraux et la réalisa "au nom du communisme". Sans cela, elle n'aurait pu mobiliser pour son œuvre des forces prolétariennes supplémentaires. On sait quelle résistance désespérée la collectivisation rencontra de la part des paysans, résistance que le gouvernement n'aurait pu briser en ayant dans le dos un prolétariat hostile.
Pour pouvoir "au nom du communisme" arracher l'entreprise du paysan à son ancienne forme féodale d'organisation et de production, et pour pouvoir l'incorporer comme partie homogène dans le système général de son capitalisme, il fallait faire au nom de ce même "communisme" certaines concessions au prolétariat malgré les intérêts fondamentalement opposés. Pour avoir une idée de l'âpreté de la lutte pour la collectivisation, il suffit de se rappeler qu'elle a conduit à l'émigration de dizaines de milliers de paysans et à la déportation de centaines de milliers d'autres. Pour aider la campagne à sortir de sa situation arriérée, il fallait l'anéantir avec l'aide d'ouvriers armés croyant gagner ainsi la campagne au socialisme. Ils ont ainsi anéanti les derniers restes du féodalisme et du capitalisme privé libre et frayé un chemin pour un contrôle efficace de la bureaucratie sur la collectivité paysanne.
Jusqu'alors les petites entreprises existantes étaient dans une large mesure indépendantes de l'industrie et par conséquent des dirigeants de celles-ci. Les paysans n'avaient pas de besoin qui aurait pu les lier fermement à l'industrie. Il fallait donc les arracher de cet isolement à tout prix, en créant même par force de tels besoins. D'autre part, on ne pouvait songer à une augmentation de productivité agricole sans 1'introduction des moyens industriels modernes comme tracteurs, batteuses, combinés, etc.
Aujourd'hui, ce processus est déjà en grande partie accompli : 87 % de la surface cultivée ont été cette année gérées collectivement, environ 300 000 tracteurs sont en usage, le nombre des machines plus compliquées (tracteurs combinés) s'élève à des dizaines de milliers. L'économie rurale est profondément modifiée, et par cela aussi, son rapport envers les autres parties de l'économie russe.
Les obligations et les dettes des "paysans collectifs" envers l'Etat sont immenses. Leur isolement est brisé, chaque jour ils deviennent plus conscients de leur dépendance de l'Etat. Les paysans sont sous l'influence de la politique des prix du gouvernement et les instituts de crédit ont la possibilité d'exercer sur eux une pression constante. L'an dernier, on a remarqué une tendance très nette de la part du gouvernement soviétique à ne plus vendre aux collectivités les grands moyens de production, mais à les louer. Dans ce but, on a créé à la campagne quelques milliers de stations "de tracteurs et de machines"'. Ceci indique l'étendue de l'influence, et des possibilités que la bureaucratie s'est créée dans ce secteur et qu'elle développera encore.
La collectivisation qui a fait disparaître complètement la "commune" paysanne a créé comme nouvelle forme l'organisation rurale "l'artel", association pas trop rigide de propriétaires des moyens de production. Il y a une certaine ressemblance entre les coopératives agricoles telles qu'on les rencontre dans l'occident, et surtout dans les pays Scandinaves et les "artels"; mais dans les artels ce ne sont pas seulement les batteuses ou les laiteries qui servent pour les besoins communs, mais toutes les machines, édifices, et une grande partie des terres.
Si un tel artel paraît à première vue quelque chose de socialiste, dès qu'on y regarde déplus près, on trouve la marque incontestable du capitalisme. Si le socialisme signifie tout d'abord la disparition de tout droit de propriété, l'artel créé précisément une nouvelle forme de droit de propriété. L'inégalité des droits de propriété en naît nécessairement et avec elle 1'inégalité des conceptions, des buts et des intérêts des individus qui y appartiennent.
En plus de cela, existe dans l'artel le travail salarié qui règle les rapports des membres entre eux. Les salariés sont payés non seulement d'après la quantité de travail fournie, mais aussi d'après sa qualité. Par dessus le marché, l'artel peut employer des ouvriers comme simples salariés qui n'ont pas d'autres droits. L'artel peut donc fonctionner comme exploiteur. Pour devenir membre de l'artel, il faut pouvoir apporter des biens qui paraissent suffisants à la majorité des membres de l'artel.
Si l'artel estime forme socialiste d'organisation, il présente cependant une forme bien supérieure à l'ancienne. L'artel permet par l'emploi des machines une rationalisation du travail et une augmentation sensible de la productivité agricole ; par cela même, il augmente la part de chacun dans le profit. C'est ce dernier fait, d'ailleurs, qui a rendu l'artel "populaire", malgré la méfiance que les paysans lui ont manifesté au début.
Pour le marxiste il est clair que toutes ces mesures doivent nécessairement aboutir à la disparition de la paysannerie et que leur position s'approche de plus en plus de celle des ouvriers. Pour le moment, les paysans ne semblent pas apercevoir les nouveaux changements de la situation, ils ne voient que le côté superficiel, les profits accrus, et accueillent favorablement la nouvelle forme ou ne s'y opposent pas. Ce dernier fait est d'une importance capitale et ne doit pas être perdu de vue lors d'un examen de la situation russe.
Du moment où la bureaucratie peut prendre en considération la paysannerie comme base de masse, elle devient indépendante du prolétariat. De ce moment elle a la possibilité de jouer sur les intérêts opposés des deux classes. Et personne ne peut affirmer qu'elle a délaissé cette chance. Au contraire, depuis "la victoire complète de la collectivisation", toute sa politique intérieure et extérieure porte ce caractère. Avec les prolétaires contre les paysans, avec le paysan contre le prolétaire, la bureaucratie russe emploie tour à tour ces deux moyens pour consolider son pouvoir.
Vous avons donc à faire aujourd'hui en URSS, "à la rentrée dans la société sans classes", au moins à trois classes qui diffèrent entre elles très nettement par le rapport qui les lie aux moyens de production. Les prolétaires n'ont aucun droit de propriété sur le produit de leur travail ni sur les moyens de production. Droit collectif de propriété contrôlé par l'Etat, caractérise le mieux la classe paysanne. La bureaucratie, sommet de la hiérarchie régnante possède et domine, d'une façon anonyme et collective tous les moyens industriels de production et ne laisse échapper aucune occasion pour soumettre à son entière domination l'économie rurale.
Cette différenciation crée chaque jour une différenciation dans la façon de vivre et dans l'idéologie, des trois catégories. Le Prolétariat, pauvre et exploité, est intéressé à voir disparaître l'exploitation et ses bases matérielles.
Les paysans exigent une aggravation de l'exploitation des ouvriers en même temps qu'une réduction des prix sur les produits industriels et demandent une adaptation de l'économie russe aux nécessités de leur forme de production.
La bureaucratie assise sur la nuque des deux presse tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre ; et est toujours intéressée à tirer profit des deux couches, toujours intéressée à rester couche dominante.
[1] [113] Voir le livre du CCI, La Gauche hollandaise, Contribution à une l'histoire du mouvement révolutionnaire.
[2] [114] D'après une traduction de L'Internationale revue mensuelle de l'Union Communiste n° 27 et 28 d'avril et de mai 1937. Union Communiste était un groupe qui se situait entre la Gauche communiste italienne et les trotskistes durant l’entre-deux-guerres. Voir la nouvelle brochure du CCI, La Gauche communiste de France.
[3] [115] Dans La révolution bureaucratique, Ed. 10/18, Paris, 1973.
[4] [116] Que le CCI a déjà critiqué. Voir La Gauche hollandaise.
Une des critiques, considérée comme la plus pertinente, que Luxemburg fait du Capital est que, puisque c'est un travail incomplet, il est nécessairement insuffisant. Bien qu'il soit vrai que Le Capital n'est pas terminé, puisque Marx lui-même avait clairement manifesté qu'il avait l'intention de le poursuivre, ce qu'il a écrit, avec l'assistance d'Engels, est pour l'essentiel, une analyse cohérente et conséquente ([1] [118]). Cela devient évident lorsqu'on saisit que la théorie de la crise de Marx est basée uniquement sur la baisse tendancielle du taux de profit. Ce que des critiques tels que Luxemburg ne parviennent pas à saisir est que Marx avait déjà compris les contradictions de l'accumulation capitaliste avant d'écrire le Capital, dans le recueil qui sera connu plus tard sous le titre Théories sur la plus-value.
En fait, soutenir que Le Capital a de sérieuses lacunes aussi importantes, comme Luxemburg le fait, c'est réduire l'analyse de Marx à une description tout au plus, plutôt qu'à une critique de l'économie politique capitaliste, c'est-à-dire tomber dans un perspective empirique. ([2] [119]). Cela veut dire que Luxemburg ne comprend pas la nature de la méthode de présentation que Marx utilise dans le Capital. Ce qui est confirmé par son incapacité à tenir compte de la mise en garde de Marx que "il peut sembler que nous avons devant nous une construction a priori" ([3] [120]). Elle ne peut pas saisir que Marx a choisi la méthode particulière de présentation pour le Capital de sorte que le prolétariat soit capable de découvrir, au delà du monde des apparences, du fétichisme de la marchandise que les rapports de production capitalistes créent nécessairement, que les contradictions fondamentales, le "mouvement réel peuvent être présenté de manière appropriée. " ([4] [121])
Cette méthode "s'abstrait de tous les phénomènes superficiels les moins essentiels et en continuel changement de l'économie de marché. " ([5] [122]). Le Capital n'est donc pas destiné à "raconter toute l'histoire du développement capitaliste" ([6] [123]) ou de "prévoir le cours réel du développement capitaliste" ([7] [124]) mais de "mettre à nu la dynamique de ce développement" ([8] [125]) ; c'est-à-dire qu'il révèle les contradictions inhérentes de l'accumulation capitaliste à partir de la perspective de la transformation révolutionnaire de la société, du point de vue de la totalité.
Le Capital ne consiste PAS dans une série de descriptions détaillant progressivement la réalité capitaliste concrète, comme une série d'agrandissements photographiques successifs. Bien que les explications dans le Capital procèdent du plus abstrait et de la nature générale au plus concret et au particulier, ce n'est pas une simple progression linéaire ; c'est plutôt qu'à chaque stade, sur la base de conditions simplifiées, une analyse provisoire est faite. Au stade suivant cette analyse provisoire est étendue et concrétisée. Donc les niveaux ne se contredisent pas entre eux ou ne contredisent pas la réalité capitaliste empirique, comme il peut sembler si on ne fait que les comparer ([9] [126]), comme le fait de façon erronée Luxemburg. Marx démonte les contradictions apparentes entre les différents niveaux de la façon suivante. D'abord il tire toute les conclusions logiques qui découlent de l'hypothèse de niveau le plus bas. Ensuite en montrant que "ces conclusions mènent à une absurdité logique " ([10] [127]) il démontre que "l'analyse n'est cependant pas finie et doit être poursuivie " ([11] [128]) ; c'est-à-dire que l'hypothèse précédente doit être modifiée pour lever les contradictions. Ces hypothèses modifiées définissent le niveau suivant. On trouve des exemples de cela dans le Capital, sur la transformation de la valeur des marchandises en valeur de la force de travail au chapitre 4 du vol.l, et sur la transformation des différents taux de profit dans les différentes sphères de la production en formation du taux de profit moyen au chapitre 8 du vol.3.
« L 'impossibilité de plus-value dans le chapitre 4 du volume 1, et la possibilité de taux de profit différents dans le chapitre 8 du volume 3, ne sont pas utiles comme liens nécessaires pour sa construction, mais comme preuves du contraire. Le fait que ces conclusions mènent à une absurdité logique montre que l'analyse n'est pas encore terminée et doit être poursuivie. Marx ne détermine pas l'existence de différentes taux de profit, mais au contraire, l'inadéquation de toute théorie qui est basée sur une telle prémisse. » ([12] [129])
Ce qui est fondamental pour comprendre la méthode de Marx c'est la distinction entre la nature "interne" ou "générale" du capital ([13] [130]) et sa réalité historique et empirique ; les "tendances générales et nécessaires" ([14] [131]) comme distinctes des "formes de leur apparence "([15] [132]) Ne pas voir cette différence cruciale risque de faire plonger dans l'empirisme, de faire prendre l'apparence pour laréalité. Inversement, ignorer les "liens nécessaires" entre cette nature interne et les formes de l'apparence transforme le Capital en un idéal abstrait déconnecté de la réalité.
Il n'y a rien de mystique ou de scolastique dans cette distinction ; Marx l'a clairement considérée comme vitale pour la compréhension de l'accumulation capitaliste.
« L 'analyse scientifique de la concurrence présuppose en effet l'analvse de la nature intime du capital. C'est ainsi que le mouvement apparent des corps célestes n’est intelligible que pour celui qui connaît leur mouvement réel mais insaisissable aux sens. » ([16] [133])
Dans les schémas de la reproduction Marx se propose seulement d'expliquer la reproduction sociale du capital dans sa forme fondamentale ; les schémas "ne prétendent pas présenter une image concrète de la réalité capitaliste concrète. " ([17] [134])
"Mais l'essentiel, le point important est vu clairement à partir de ces schémas de la reproduction : pour que la production s'étende et progresse solidement, des proportions données doivent exister entre les secteurs productifs : en pratique leurs proportions sont approximativement réalisées ; elles dépendent des facteurs suivants : la composition organique du capital, le taux d'exploitation, et la proportion de plus value qui est accumulée. " ([18] [135])
Les schémas n'ont PAS pour but de révéler la cause de la crise. La véritable cause de la crise est recherchée à un stade ultérieur de l'analyse de Marx.
"Ni la possibilité de surproduction, ni l'impossibilité de surproduction ne résulte des schémas eux-mêmes... Ce qu'il faut se rappeler c'est que ces schémas sont seulement un stade particulier, représentent un cerlain niveau d'abstraction, dans le développement de la théorie de Marx. Le processus de production et le processus de circulation, le problème de la production et de la réalisation, doivent étre vus au sein du procès total de la production capitaliste comme un tout... " ([19] [136])
Marx explique la baisse du taux de profit comme une conséquence de l'unité de la production, de la circulation et de la distribution de capital, c'est-à-dire que "le processus de l'accumulation capitaliste connait trois moments distincts mais reliés entre eux : l'extraction de la plus value ; la réalisation de la plus-value ; la capitalisation de la plus value" ([20] [137]) Il explique la crise capitaliste uniquement en termes de baisse du taux de profit parce que cela englobe tout le processus de l'accumulation capitaliste. Il montre que, en fin de compte, ceci provoque une crise à cause de la surproduction de capital. Bien plus, cette surproduction de capital n'est pas absolue ou permanente, mais relative à un taux de profit donné et périodique.
"Mais on produit périodiquement trop de moyens de travail et de subsistances, pour pouvoir les faire fonctionner comme moyens d'exploitation des ouvriers à un certain taux de profit. On produit trop de marchandises pour pouvoir réaliser et reconvertir en capital neuf la valeur et la plus value qu 'elles recèlent dans les conditions de distribution et de consommation impliquées par la production capitaliste, c'est-à-dire pour accomplir ce procès sans explosions périodiques se répétant sans cesse. " ([21] [138])
Pour comprendre comment l'analyse incomplète et abstraite du Capital peut être appliquée à l'évolution historique il faut saisir les points suivants.
D'abord, l'analyse abstraite du Capital est applicable à toutes les phases du capitalisme :
"Les formules de Marx traitent d'un capitalisme chimiquemen tpur qui n'a jamais existé et n'existe nulle part maintenant. Précisément à cause de cela, elles ont révélé les tendances fondamentales de tout le capitalisme mais précisément du capitalisme et seulement du capitalisme. " ([22] [139]) Bien que Trotsky fasse référence spécifiquement aux schémas de la reproduction dans le volume II du Capital, cette appréciation peut s'appliquer à l'ensemble du Capital.
Deuxièmement :
"Bien que la crise réelle doit être expliquée à partir du mouvement réel de la production capitaliste, du crédit et de la concurrence, ce sont les tendances générales du processus d'accumulation lui-même et la tendance à long terme du taux de profit à baisser qui forment la base pour cette explication. " ([23] [140])
En dernier lieu, ce "mouvement réel de la production capitaliste, du crédit et de la concurrence" ne peut pas être réduit à de l'économie pure, mais nécessite d'être vu du point de vue de l'évolution du capitalisme comme un tout.
"De plus, la crise ne peut pas être réduite à des événements «purement économiques», bien qu'elle surgisse «purement économiquement», c'est-à-dire à partir des rapports sociaux de production habillés dans les formes économiques. La lutte concurrente internationale, menée aussi par des moyens politiques et militaires, influence le développement économique, tout comme à son tour celui-ci donne naissance à diverses formes de concurrence. Aussi, toute crise réelle peut seulement être comprise en lien avec le développement social comme un tout. " ([24] [141])
C'est là que réside la grande contribution de Rosa Luxemburg au marxisme. Même si sa théorie économique est sérieusement erronée, en procédant du point de vue de la totalité, Luxemburg parvient à mettre en évidence que «La politique impérialiste n'est pas l'essence d'un pays ou d'un groupe de pays. Elle est le produit de l'évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international, un tout inséparable qu'on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun Etat ne saurait se soustraire.» ([25] [142])
La clé pour comprendre la décadence du capitalisme est, comme Boukharine le fait ressortir dans L'impérialisme et l'accumulation du capital ([26] [143]), la formation de l'économie mondiale. Aussi la décadence du capitalisme est synonyme de création de l'économie mondiale.
"L'existence d'une économie mondiale, implique l'intensification de la division internationale du travail et de l'échange marchand au point que tout ce qui se produit dans la chaîne économique inthience directement tous les autres points. La concurrence internationale nivelle les prix et les conditions de production, et tend vers l'égalisation du taux de profit au niveau international, (même si bien sur ceci est toujours modifié par l'existence du capitalisme dans sa forme nationale). Les pays industrialises sont maintenant tellement interpénétrés en termes de commerce et d'investissement, que les crises sont un phénomène qui s'étend comme lui incendie de l'un à l'autre. Quant aux aires sous développées, elles n'ont pas de dynamique interne et sont totalement circonscrites par la domination formelle imposée à elles par le capitalisme. L 'existence de l'économie mondiale n'attenue pas mais plutôt intensifie les antagonismes impérialistes, et leurs conséquences sont les crises économiques mondiales et les guerres mondiales. " ([27] [144])
Même si la création de l'économie mondiale a pour résultat le "cycle infernal de crise guerre - reconstruction - nouvelle crise... ([28] [145]) ceci ne signifie pas que la décadence est caractérisée par un arrêt total de la croissance des forces productives. Mais plutôt que,
"Depuis le début du siècle nous avons vu un arrêt massif de la croissance des forces productives, comparée à ce qui est objectivement possible, étant donné le niveau de connaissance scientifique, de progrès technique et le niveau de prolétarisation de la société. " ([29] [146])
Ceci est bien sûr en accord avec les grandes lignes de la décadence des sociétés de classe dans la célèbre Préface à la Contribution à la critique de l'économie politique de Marx.
Pendant la période de reconstruction après la seconde guerre mondiale, beaucoup d'ouvriers, principalement dans les pays occidentaux bien sûr, ont fait l'expérience d'améliorations substantielles de leur condition matérielle, mais en aucun cas ces améliorations des conditions de vie ne peuvent être considérées comme des réformes réelles, à cause des coûts matériels qui leur sont associés. C'est-à-dire que ces améliorations ont été possibles sur la base de la destruction massive des forces productives pendant la seconde guerre mondiale et les profondes entraves à leur développement pendant la "guerre froide". Pendant la reconstruction le capitalisme détruisait à l'avance le futur de l'humanité, en même temps qu'il se préparait pour de plus grandes destructions encore dans le futur.
La réalité matérielle de la décadence donne donc tort à l'idée d'une crise finale, mortelle. Et les théories de Luxemburg et Grossmann sont indiscutablement celles de la crise mortelle car elles posent toutes les deux une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste ; c'est-à-dire qu'elles prédisent que, enfin de compte, le capitalisme doit s'effondrer parce que l'accumulation devient littéralement impossible. En particulier, Luxemburg soutient que le capitalisme est prédisposé à la crise parce qu'il est impossible de réaliser la plus-value au sein du capitalisme ([30] [147]) ; Grossmann que la crise se produit parce que l'accumulation capitaliste mène inévitablement à un manque absolu de plus value.([31] [148])
C'est vrai que Luxemburg et Grossmann croient que, bien avant que l'accumulation capitaliste devienne impossible, l'intensification de la lutte de classe résultant des difficultés économiques croissantes aura interrompu de toutes façons l'accumulation ([32] [149]). Néanmoins, comme ils voient toujours une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste, ils soutiennent que le capitalisme va s'effondrer en fin de compte quelle que soit la lutte de classe.
La croissance zéro de fait du capitalisme entre la première et la seconde guerre mondiale a semblé à l'époque confirmer à la fois les théories de Luxemburg et Grossmann puisqu'elles tendent toutes les deux à identifier la décadence du capitalisme à une crise économique permanente. Cependant, l'expansion du capitalisme après la seconde guerre mondiale est la réfutation la plus solide de ces théories. Selon Luxemburg, les marchés pré-capitalistes solvables, sans lesquels l'accumulation capitaliste est impossible, ont été globalement épuisés par la première guerre mondiale. Et il est clair qu'il y a eu depuis une destruction continuelle de ces marchés. Logiquement, la croissance capitaliste NE PEUT PAS par la suite rejoindre, encore moins surpasser, celle atteinte avant la première guerre mondiale. A la lumière de sa théorie, il est donc inexplicable que la croissance capitaliste après la seconde guerre mondiale ait atteint substantiellement de plus hauts niveaux que ceux d'avant la première guerre mondiale, même en y incluant la production capitaliste improductive, comme le CCI l'admet lui-même. Comme Grossmann partage l'idée mécaniste de Luxemburg d'une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste, logiquement sa théorie ne peut prendre en compte l'expansion du capitalisme après la seconde guerre mondiale SEULEMENT si le capitalisme était encore un système progressiste, c'est-à-dire qu'il n'était PAS encore décadent.
L'impossibilité des réformes réelles et d'une véritable auto-détermination nationale, la nature impérialiste de toutes les nations, la montée du capitalisme d'Etat, la nature réactionnaire de toutes les fractions de la bourgeoisie et la nature mondiale de la révolution communiste ; en bref, la décadence du capitalisme, NE PEUT PAS être réduite à l'impossibilité du développement capitaliste comme l'impliquent les théories des crises de Luxemburg et Grossmann, mais "ne peut être comprise qu'en lien avec le développement social comme un tout. " ([33] [150])
Aussi la crise permanente ne signifie PAS une crise économique permanente, c'est-àdire que c'est seulement en rapport au "développement socialcnmme un tout "qu'on peut parler d'une crise permanente; mais c'est exactement ce que les théories des crises de Luxemburg et Grossmann impliquent.
Le cours véritable du développement capitaliste contredit les théories des crises de Luxemburg et Grossmann. La tentative de réconcilier ces théories avec l'évolution véritable du capitalisme ne peut mener qu'à des explications qui sont particulières, inconsistantes et contradictoires. En particulier, c'est une erreur flagrante de soutenir que la vision qu'il y a une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste n'est pas une suite logique de ces théories. La vision marxiste de la décadence comme une entrave aux forces productives et la notion de limite économique absolue au capitalisme sont totalement incompatibles ; on ne peut pas souscrire de façon cohérente aux deux idées en même temps.
Parce que la crise économique mondiale coïncide avec la division géographique du monde entier, il peut sembler qu'un manque de marchés extérieurs est la cause de la crise. Luxemburg prend cette apparence pour une réalité et entreprend de faire des révisions du Capital ([34] [151]) à la lumière de sa vision empiriste. En particulier, après avoir examiné le schéma de Marx de la reproduction élargie, elle conclut que l'accumulation capitaliste donne inévitablement naissance à un excédent absolu de plus-value. ([35] [152])
"Le problème qui semblait avoir été laissé ouvert était de savoir qui devait acheter les produits dans lesquels la plus value était contenue. Si les Secteurs 1 [moyens de production] et II [moyens de consommation] s'achètent l'un l'autre de plus en plus de moyens de production et de moyens de subsistance ce serait un mouvement circulaire sans fin duquel il ne sortirait rien. La solution residerait dans l'apparence d'acheteurs situés en dehors du capitalisme... " ([36] [153])
"L'erreur fondamentale de Luxemburg est qu'elle prend le capitalisme total pour un capitaliste individuel. Elle sous-estime ce capitaliste total. Donc elle ne comprend pas que le processus de réalisation se produit graduellement. Pour la même raison elle décrit l'accumulation du capital comme une accumulation de capital argent. " ([37] [154])
La confusion que fait Luxemburg entre le capitaliste total et le capitaliste individuel vient du fait qu'elle prête aux schémas de la reproduction élargie de Marx l'hypothèse de son schéma de la reproduction simple, à savoir que "le montant total de capital variable, et par conséquent aussi la consommation des ouvriers, doit rester fixe et constant. " ([38] [155])
« Mais exclure une telle hypothèse signifie exclure la reproduction é1argie dés le début. Si, cependant, on a exclu la reproduction élargie, dès le départ comme preuve logique, il devient naturellement facile de la faire disparaître à la fin, car ici on ne traite que de la simple reproduction d'une simple erreur logique. » ([39] [156])
Luxemburg donne l'argument incroyable que la plus value totale pour être accumulée doit correspondre à un montant égal d'argent pour que sa réalisation se produise. ([40] [157])
"A chaque moment, la plus value totale destinée à l'accumulation apparaît dans des formes variées : dans la forme de marchandise, d'argent, de moyens de production et de force de travail. Donc, la plus value sous forme argent ne peut jamais être identifiée à la plus value totale. " ([41] [158])
"De cela -comme nous le croyons- resulte la façon dont elle explique l'impérialisme. En effet, si le capitaliste total est égal au capitaliste individuel type, le premier ne peut donc, bien sûr pas être son propre consommateur. En outre, si le montant d’argent est équivalent à la valeur du nombre additionnel de marchandises, cet argent ne peut venir que du dehors (puisque c'est un non sens évident de supposer une production correspondante d'or). Finalement, si tous les capitalistes doivent réaliser leur plus value immédiatement (sans que celle-ci passe d’une poche à l'autre, ce qui est strictement interdit), ils ont besoin d'une «tierce personne», etc. " ([42] [159])
Cependant, même si elle avait réussi â montrer qu'un excédent de plus value survient sur la base de ce schéma, elle ne prouverait RIEN parce qu'elle tirerait des conclusions qui "dériveraient d'un schéma qui n'a pas de validité objective " ([43] [160]). C'est-à-dire que la principale erreur de Luxemburg est de penser que le schéma de Marx de la reproduction élargie est supposé décrire le capitalisme concret. ([44] [161])
« Dans un schéma de la reproduction construit sur des valeurs différents taux de profit peuvent apparaitre dans chaque département du schéma. Il y a en réalité, cependant, une tendance pour les différents taux de profit à être égalisés à des taux moyens, une circonstance qui est déjà contenue dans le concept des prix de production. Aussi si on veut prendre le.schéma comme une base pour critiquer ou admettre la possibilité de réalisation de plus value, il faudrait d’abord le transformer en un schéma de prix [de production] » ([45] [162])
Et ceci a la conséquence suivante :
« Si on prend en compte ce taux de profit moyen, l'argument de Rosa Luxemburg, de la disproportion perd toute valeur, puisqu'un secteur vend au dessus et l'autre en dessous de la valeur et, sur la base du prix de production, la partie indisponible de la plus value peut disparaitre. " ([46] [163])
Superficiellement, Grossmann semblerait suivre la théorie de la baisse du taux de profit de Marx parce qu'il utilise le schéma d'Otto Bauer, qui montre une composition organique croissante du capital dans les deux secteurs de la reproduction sociale. Cependant, ce schéma fait aussi l'hypothèse d'un taux de profit fixe et constant pour les deux secteurs ; par conséquent nous avons « deux conditions qui se contredisent complètement et se neutralisent l'une l'autre » ([47] [164]), « une impossibilité, voir une absurdite. » ([48] [165]) (Bien que ces hypothèses aient été valables pour montrer l'erreur du prétendu problème de réalisation de Luxemburg.)
Suivant ces hypothèses, en fin de compte, "il arriverait un point où la composition organique de la composition totale est si grande et le taux du profit si petit, qu'élargir le capital constant existant absorberait toute la plus value produite. " ([49] [166])
Dans l'analyse de Grossmann donc, la baisse du taux de profit est seulement un facteur qui accompagne, et non la cause de la crise.
« Comment un pourcentage, un pure chiffre tel que le taux de profit peut produire l’effondrement du vrai système ?... une chute du taux de profit est donc seulement un indice qui révèle la chute relative dans la masse de profit. « ([50] [167])
Bien que son argument soit logiquement parfait, il part de prémisses fausses. Grossmann n'est pas conscient que, en utilisant le schéma de Bauer, il commet la même erreur que lui-même et Paul Mattick critiquent correctement chez Luxemburg : il tire des conclusions d'un schéma qui n'a pas de validité objective. Car si on veut prendre le schéma de Bauer comme une base pour critiquer ou admettre la possibilité d'une sous accumulation du capital, on devrait le transformer en un schéma des prix de production. Grossmann ne parvient pas à réaliser l'importance du fait que, dans le volume III du Capital, Marx analyse la chute du taux de profit après avoir examiné la transformation des valeurs en prix de production ; à savoir que comme ces derniers sont responsables du taux de profit moyen, la tendance du capitalisme vers la crise ne peut donc pas être déduite indépendamment de ce processus. Ce que Grossmann oublie est que le schéma de Bauer, en vertu de ses deux hypothèses contradictoires, exclut de cette façon le taux de profit moyen ; et que cela annule par conséquent toutes les conclusions qu'il tire.
De plus; non seulement Grossmann part de Marx en ignorant les conséquences du taux de profit moyen, mais il fait de même avec sa vision que les capitalistes sont forcés d'accroître le capital constant à cause de la "croissance de capital requise par la technologie. " ([51] [168]) Grossmann soutient que, "quand le taux de profit devient inférieur aux taux de croissance exigé par le progrès technique alors le capitalisme doit s'effondrer. " ([52] [169]) Ce concept, qui est étranger à la fois au Capital et au marxisme en général, fournit à Grossmann la principale raison de pourquoi l'accumulation capitaliste avance inévitablement vers son effondrement. Dans cette théorie, par conséquent, la chute du taux de profit n'est pas la cause de la crise, mais bien un facteur qui l'accompagne. II tire la conclusion logique que le capital est exporté parce qu'il est impossible de l'utiliser à l'intérieur, alors qu'en réalité la raison en est que les profits sont plus élevés à l'extérieur. ([53] [170])
Les conclusions de Luxemburg et Grossmann sur la cause de la crise capitaliste et de la tendance historique de l'accumulation capitaliste sont donc dénuées de fondement, puisqu'elles découlent de schémas qui n'ont pas de validité objective. Ces schémas sont sans valeur pour une analyse de ces questions puisqu'ils sont basés sur des hypothèses qui sont absurdes historiquement et logiquement pour être résolues.
Ces théories erronées des crises proviennent de visions fragmentaires et unilatérales de l'accumulation capitaliste. Alors que Marx explique que la crise surgit de l'unité de la production, de la circulation et de la distribution de capital, Luxemburg et Grossmann séparent, respectivement, la circulation de capital et la production de capital du processus de production capitaliste comme un tout.
La révision des théories économiques de Marx par Luxemburg est plus grossière et plus extrême que celle de Grossmann. Elle est plus grossière à cause des erreurs élémentaires qu'elle commet sur l'accumulation capitaliste ; elle est plus extrême parce qu'elle voit l'obstacle fondamental à l'accumulation capitaliste en dehors de l'économie capitaliste alors que Grossmann est lui au moins d'accord avec Marx que la « véritable barrière de la production capitaliste c'est le capital lui-même. "([54] [171]) Bien que Luxemburg succombe à l'empirisme dans son explication des contradictions de l'accumulation capitaliste, elle suit la méthode marxiste dans l'analyse du développement historique du capitalisme du point de vue du système capitaliste comme un tout. Plutôt que l'empirisme, l'interprétation de Grossmann de la crise capitaliste reflète une perspective idéaliste. Il soutient que la véritable cause de la crise capitaliste est l'image réfléchie de ce qu'elle semble être : la crise apparaît comme une surproduction de marchandises, c'est-à-dire un excédent absolu de plus value, donc la crise est effectivement due a un manque absolu de plus value. C'est vrai que Grossmann perçoit quelque peu la méthode du Capital mais cette perception est utilisée pour justifier sa vision idéaliste du capitalisme.
Seul Le Capital de Marx explique les contradictions fondamentales de l'accumulation capitaliste et donc les fondements économiques de l'ascendance et de la décadence capitalistes.
"Nous vouloins dire que toute erreur au niveau des théories économiques tend à renforcer les erreurs découlant de l’ensemble des théories politiques d'un groupe. Toute incohérence dans les analyses d’un groupe peut ouvrir la porte à des confusions plus générales ; mais nous ne considérons pas qu'il y a des fatalités irrévocables... une analyse des fondements économiques de la décadence fait partie d'un point de vue prolétarien plus large, un point de vue qui exige un engagement actif pour 'changer le monde'... les conclusions politiques défendues par les révolutionnaires ne découlent pas de façon mécanique d'une analyse particulière des théories économiques..." ([55] [172])
A partir de là, je tire les conclusions suivantes :
La principale force des analyses de l'impérialisme de Boukharine ([56] [173]), Luxemburg, Bilan, Paul Mattick ([57] [174]), la FFGC et le CCI est la reconnaissance de la nature globale de la décadence capitaliste. Réciproquement, la principale faiblesse des analyses de l'impérialisme de Pannekoek, Lénine, des bordiguistes et du BIPR est leur tendance, à des degrés divers, à voir le développement capitaliste du point de vue de chaque Etat pris isolément, de voir l'économie mondiale plus comme une somme d'économies nationales séparées, en d'autres termes, leurs analyses de l'impérialisme sont partiellement influencées par la théorie mécaniste erronée des stades de la Social-démocratie.
Les théorie économiques déficientes de Luxemburg entraînent une tendance à voir une différence absolue au lieu d'une différence qualitative entre le capitalisme ascendant et le capitalisme décadent. C'est parce que dans sa théorie de l'épuisement des marchés précapitalistes il y a logiquement un obstacle infranchissable à l'accumulation capitaliste. Le CCI, par exemple, trouve parfois difficile de "voir que les tendances qui ont provoqué la décadence capitaliste ne se sont pas simplement arrêtées au débat de la première guerre mondiale. " ([58] [175])
La théorie des crises de Grossman est d'accord avec celle de Luxemburg qu'il y a une limite absolue à l'accumulation capitaliste. Mais comme cette théorie soutient que cette limite absolue est entièrement due aux facteurs capitalistes internes, alors ce qu'impliquc logiquement l'expansion du capitalisme après la seconde guerre mondiale est que le capitalisme était encore dans sa période ascendante. En conséquence sa théorie entraîne une tendance à voir plutôt des différences quantitatives entre capitalisme ascendant et décadent.
Toutefois, plus que tout autre chose c'est la rigueur et la cohérence du programme politique du courant qui est l'influence déterminante sur la clarté et la pertinence des analyses. Aussi les théories économiques déticientes du CCI ont beaucoup moins d'effet défavorable sur la clarté de ses analyses qu'elles en auraient autrement, à cause de la force de son programme politique, un programmc qui tire toutes les conséquences de la décadence capitaliste.
A l'invcrse, c'est le programme politique du BIPR et, à un plus haut degré, des bordiguistes, qui contient des incohérences, des ambiguïtés et des erreurs. Ces faiblesses reflètent l'incapacité du premier courant à tirer toutes les conséquences de la décadence ([59] [176]) et des derniers à reconnaître que le capitalisme comme système global est complètement décadent([60] [177]). Ces courants, particulièrement les bordiguistes, tendent par conséquent aussi à voir plutôt des différences quantitatives entre capitalisme ascendant et décadent.
CA.
Note de la rédaction : lorsque nous n'avons pas trouvé la version des textes cités en français, la traduction de l'anglais en a été assurée par nos soins.
[1] [178] Marx a eu des positions contradictoires sur le moment de l'entrée en décadence. On trouve quelques prises de positions qui suggèrent qu'il croyait que les crises de son époque étaient les crises mortelles du capitalisme. D'autres qui suggèrent qu'il croyait qu'il faudrait encore des décennies. Il a aussi pensé que les travailleurs, pourraient arriver au pouvoir pacifiquement dans un petit nombre de pays. Mais ceci ne diminue en rien la validité de sa méthode ; la méthode dc Marx transcende les limitations du Marx révolutionnaire du 19° siècle.
[2] [179] Rosa Luxemburg, l’Accumulation du capital, Critique des critiques, publiée avec N.Boukharine, Impérialisme et accumulation du capital, trad., en anglais Rudolph Wichmann, Monthly Review Press, New York (1972).
[3] [180] Karl Marx, Le Capital, Vol I, trad. en anglais Ben Fowkes, Penguin Books, Harmondsworth (1976), p. 102.
[4] [181] Ibid.
[5] [182] Paul Mattick, Value and capital, Marxism : Last refuge of the bourgeoisie, Merlin Press, London (c.1983), p.74
[6] [183] Ibid., p.75
[7] [184] Ibid., p.94.
[8] [185] Ibid.,p.74.
[9] [186] Henryk Grossmann, The law of accumulation and breakdowu of the capitalist system ; being also a theory of crisie, translated and abridged by Jainus Banaji, Pluto Press, London (1992) and I.I.Rubin, Essays on Marx's theory of Value, Black and Rose Books, Montreal (1975).
[10] [187] I.I.Rubin,op.cit.,p.248.
[11] [188] Ibid.
[12] [189] Ibid.
[13] [190] Roman Rosdolsky, "Appendix II: Methodological comments on Rosa Lusemburg", The making of Marx's capital, Pluto Press, London (1980), pp. 61-72.
[14] [191] Marx, op.cit., p.433.
[15] [192] Ibid. p.433.
[16] [193] Le Capital, Livre I, 4° section, chap.XII, Ed. La Pléiade, p.853.
[17] [194] H.Grosmann, quoted in Paul Mattick, "Luxemburg verss Lenin ", Anti bolshevik communism, Merlin Press, London (1978), p.37.
[18] [195] Anton Pannekoek, "The theorie of the collaps of capitalism” , Capital and Class I, London (spring 1977), p.64.
[19] [196] David S. Yaffe, "The marxian theory of crisis, capital and the state", Economy and society, vol.2., n° 2, p.210.
[20] [197] « Correspondance : satured market and decadence”, Internationalism 20, p.19.
[21] [198] Karl Marx, Le Capital Livre 3, Chap. XV, Editions sociales, 1976.
[22] [199] Leon Trotsky, quoted in Raya Dunayevskaya, Marxism and freedom : From 1976 Until today, Photo Press (1975 ), p. 132.
[23] [200] D.S. Yaffe, op.cit. , p.204.
[24] [201] Paul Mattick, "Marx’s crisis theory » ,Economic crisis and crisis theory, Merlin Press, London (1981), p.76.
[25] [202] Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, Brochure de Junius.
[26] [203] Boukharine, L'impérialisme et l'accumulation du capital, EDI, Paris 1977.
[27] [204] "La signification de la décadence ", Révolutionary Perspectives 10 (Old series), p.12.
[28] [205] Plate-forme du CCI.
[29] [206] RP 10, op.cit.
[30] [207] Rosa Luxemburg. Ibid.
[31] [208] op.cit., p.20.
[32] [209] Rosa Luxemburg, op.cit., p.146-147. H.Grossmann, cité dans l'introduction de Tony Kennedy. Henryk Grossmann, op.cit., p.20.
[33] [210] Paul Mattick, “Marx’s crisis theory”. op.cit. p.76.
[34] [211] Rosa Luxemburg est restée une révolutionnaire marxiste malgré ses distorsions des théories économiques de Marx.
[35] [212] « The accumulation of contradiction (ou les conséquences économiques de Rosa Luxemburg) » . RP 6 (Old series ), pp.5-27.
[36] [213] Pannekoek,op.cit.p.64.
[37] [214] N.Boukharine, Impérialisme et..., p.201-202
[38] [215] Paul Sweezy,The theory of capitalist developement : Principles of marxian political economy, Monthly review press, New York (1964), p.20.
[39] [216] Boukharine,op.cit.,p.166.
[40] [217] Revolutionary Perspective 6(Old serie).op.cit., p. 15.
[41] [218] Boukharine, op.cit. p. 180.
[42] [219] Ibid., p.202.
[43] [220] Paul Mattick, “Luxemburg versus Lenin”, Anti bolshevik conununism. Merlin press,( 1978). p.38. 44.
[44] [221] Ibid. p.37.
[45] [222] Henryk Grossmann, quoted in Paul Mattick, op.cit., p.37.
[46] [223] Paul Mattick, op.cit. p.38
[47] [224] Rosa Luxemburg, op.cit. p.99.
[48] [225] Paul Mattick, "The permanent crisis , Council correspondence, Nov. 1934, n°2. New Essay,. vol.1, 1934-35? Greenwood Reprint Corporation, Westport. Connecticut ( 1970), p.6.
[49] [226] « The economic foundations of capitalist decadence”, RP 2 (Old séries), p.27.
[50] [227] Grossmann,op.cit.,p.103.
[51] [228] Pannekoek, op.cit., p.69.
[52] [229] Ibid. p.69.
[53] [230] Ibib., p.73
[54] [231] Karl Marx, Capital, vol III, p.358.
[55] [232] « Marxisme et théories des crises », International Review 13, p.35.
[56] [233] Avant sa dégénérescence politique au début des années 1920, comme cela est déjà évident dans Impérialisme et accumulation du capital.
[57] [234] Pendant la "guerre froide", l'analyse de Mattick a été obscurcie par des ambiguités et des inconsistances.
[58] [235] « Les bases matérielles de l'impérialisme : une brève réponse au CCI » , International Communist Review 13, p. 13.
[59] [236] Le BIPR tente de justifier cela par leur argumcnt de l' "autonomie"des tactiques à partir du programme politique comme dans le Préambule à ses « Thèses sur la tactique communiste dans la périphérie du capitalisme », International Communist 16.
[60] [237] Le dogme de « l’invariance du programme ».
Les convulsions économiques actuelles, la vague de licenciements qui frappe tous les travailleurs du monde et principalement ceux des pays les plus industrialisés, n'est pas sans semer de larges doute,., par rapport à la propagande assourdissante qui ne cesse de parler de la "bonne santé" et des "radieuses perspectives" de ce système social, justifiant une certaine inquiétude quant à son devenir.
En discuter, voir quelles sont les théories existant dans le mouvement révolutionnaire et quelle est celle qui parvient à l'explication la plus cohérente de l'état de choses actuel et sur ses perspectives, est en conséquence de la plus grande importance. La correspondance que nous publions ici s'inscrit dans ce sens. Le camarade ne nourrit pas le moindre doute quant à la décadence du capitalisme. Son point de départ est la position fondamentale issue du premier congrès de l'Internationale communiste : « Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat (...). La période actuelle est celle de la décomposition et de l'effondrement de tout le stystème capitaliste mondial et qui sera celle de l’effondrement de la civilisation européenne en général, si on ne détruit pas le capitalisme avec ses contradictions indissolubles. » Il partage aussi les positions politiques qui découlent de cette analyse historique : « L'impossibilité de réformes autentiques et de l’autodétermination nationale, la nature impérialiste de toutes les nations, la nature réactionnaire de toutes les fractions de la bourgeoisie, la nature mondiale de la révolution prolétarienne. » Dans le même sens, il affirme que « la principale force des analyses de l'impérialisme de Boukharine, Luxemburg, Bilan, Mattick, de la Gauche communiste de France et du CCI se trouve dans la reconnaissance du caractère global de la décadence capitaliste » et il insiste sur l'importance essentielle de voir le capitalisme dans sa totalité et non abstraitement ou partiellement, mettant en évidence que malgré les critiques qu'il nous adresse, « par dessus tout, c'est la rigueur et la cohérence du programme politique du Courant qui influe de façon déterminante dans la clarté et la perspicacité de ses analyses ».
Dans ce cadre, le camarade rejette la thèse de Rosa Luxemburg sur l'explication théorique de la crise capitaliste, et il pense que le CCI tombe dans le dogmatisme sur cette question, affirmant que Marx « n'explique la crise capitaliste qu'uniquement en termes de baisse du taux de profit, parce que cette dernière englobe le processus total de l'accumulalion capitaliste. »
Notre réponse ne va pas aborder toutes les questions que pose le camarade. Nous nous limiterons à exposer quels sont les problèmes concrets auxquels répondent les deux théories qui se sont essentiellement développées dans le mouvement marxiste pour expliquer la crise historique du capitalisme (la tendance à la baisse du taux de profit et la tendance à la surproduction) ; nous tenterons de démontrer qu'elles ne sont en rien contradictoires et que d'un point de vue global et historique, précisément, c'est la tendance à la surproduction qui se dégage des propres travaux de Marx et fut plus tard développée par Rosa Luxemburg ([1] [240]) -, qui permet l'explication la plus juste et qui intègre la tendance à la baisse du taux de profit de façon cohérente. Dans le même sens, nous tenterons d'éclaircir une série de malentendus quant aux analyses de Rosa Luxemburg.
Le capitalisme a développé de façon prodigieuse la productivité du travail humain sur tous les plans de l'activité sociale. Les transports, par exemple, qui sous la féodalité étaient limités aux méthodes lentes du cheval, de la charrette et du bateau à voiles, ont été développés par le capitalisme jusqu'aux incroyables vitesses atteintes successivement par le chemin de fer, le bateau à vapeur, l'avion et le train à grande vitesse. Le Manifeste du Parti cornrrtuni.sle rend compte de cet énorme dynamisme du système capitaliste :
« Elle [la bourgeoisie] a réalisé bien d'autres merveilles que les pyramides d'Egypte, les aqueducs romains et les cathédrales gothiques, elle a conduit bien d'autres expéditions que les grandes invasions et les croisades (...)
« Par son exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a rendus cosmopolites la production et la consommation de tous les pays. Pour le plus grand regret des réactionnaires, elle a retiré à l'industrie sa base nationale. (...)
« Par l'amélioration rapide de tous les instruments de production, par les communications rendues infiniment plus faciles, la bourgeoisie entraîne toutes les nations, jusqu'aux plus barbares, dans le courant de la civilisation. Le bas prix de ses marchandises, est son artillerie lourde, avec laquelle elle rase toutes les murailles de Chine, avec laquelle elle contraint à capituler les barbares xénophobes les plus entêtés. »
Pour cette raison, alors que « la conservation de l'ancien mode de production était (...) la première condition d'existence de toutes les classes industrielles du passé », la bourgeoisie au contraire « ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production, donc les rapports de production, donc l'ensemble des rapports sociaux. »
Les adulateurs du capital soulignent unilatéralement cette caractéristique du système en l'attribuant à "l'esprit d'entreprise", à la fougue "innovatrice" que la liberté de commerce aurait soi-disant libérée chez les individus. En reconnaissant à sa juste mesure la contribution historique du capitalisme, Marx démonte cependant ces chants de sirène.
Pour commencer, il met en évidence la base matérielle de ces prodigieuses transformations. Le capitalisme contient une tendance permanente à ce que le capital constant (les machines, les immeubles, les installations, les matières premières...) croisse proportionnellement davantage que le capital variable (le travail des ouvriers). Celui-là est la coagulation d'un travail réalisé antérieurement, c'est-à-dire un travail mort, alors que celui-ci met en mouvement ces moyens pour créer de nouveaux produits, c'est le travail vivant. Dans le capitalisme, le poids du travail mort tend à être toujours plus lourd au détriment du travail vivant. En d'autres termes, le capital constant (travail mort) croît proportionnellement davantage que le capital variable (travail vivant). C'est ce qu'on appelle la tendance à l'augmentation de la composition organique du capital.
Quelles sont les conséquences sociales et historiques de cette tendance ? Marx les met en évidence, révélant le côté obscur et destructeur de ce que les propagandistes du capital présentent unilatéralement comme le Progrès, avec une majuscule. En premier lieu, il engendre une tendance permanente au chômage, qui tend à devenir chronique avec la décadence du capitalisme ([2] [241]). Mais il démontre aussi que l'accroissement de la composition organique du capital signifie globalement que la masse de travail vivant tend à décroître, et avec elle la source des bénéfices des capitalistes, la plus-value arrachée aux ouvriers ; comme le signalait Mitchell dans l'article déjà cité : « une seule consommation l'émeut [le capitalisme], le passionne, stimule son énergie et sa volonté, constitue sa raison d'être : la consommation de la force de travail! ». Selon les propres termes de Marx, « l'augmentation progressive du capital constant pur rapport au capital variable doit nécessairement avoir pour effet une baisse graduelle du taux de profit général, ou degré d'exploitation du travail par le capital, restant le même » (Le Capital, Vol. lll, Sect. 3, Ch. IX "Définition de la loi "). En d'autres termes, le développement de la productivité du travail qui se traduit par l'accroissement de la composition organique du capital a comme contrepartie la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. C'est pour cela que Mitchell peut affirmer que « la loi de la baisse tendancielle du taux de profit est génératrice de crises cycliques et sera un puissant ferment de décomposition de l'économie capitaliste décadente. » ([3] [242])
Au 19° siècle, époque historique d'expansion et d'apogée du capitalisme, où l'humanité stupéfiée assistait à une interminable succession d'inventions et de progrès qui transformaient tous les aspects de la vie sociale, Marx, de façon rigoureusement scientifique, fut capable de voir dans ces progrès les facteurs de la future crise historique et de la décomposition d'un système qui en était encore à son zénith. Il fut le premier à découvrir cette loi et systématisa ses conséquences historiques possibles. Et sa rigueur et sa méticulosité l'amenèrent précisément à voir aussi les limites de cette loi, les facteurs qui la contrecarraient et ses propres contradictions : « Si l'on considère le développement énorme des forces productives du travail social, ne fût-ce que dans les trente dernières années (..) alors la difficulté que les économistes ont rencontrée jusqu 'ici n'est pas d'expliquer la baisse du taux de profit comme telle, mais plutôt les raisons painlesquelles cette baisse n 'u pas été plus importante ni plus rapide. Des influences contraires interviennent sans doute, qui contrarient, voire annulent, l'effet de la loi générale, et qui la réduisent à une simple tendance ; c'est d'ailleurs pourquoi nous avons caractérisé la baisse du taux général du profit comme une baisse tendancielle. » Ce questionnement débute le Chapitre X de la Section 3 du Volume III du Capital, et s'intitule « Influences contraires. » Dans ce chapitre, Marx énumère six « influences contraires » :
a) L'intensité croissante de l'exploitation du travail
b) L'abaissement du salaire
c) la diminution de prix des éléments du capital constant
d) la surpopulation relative
e) le commerce extérieur
f) l'accroissement du capital-actions.
Dans les limites de cet article, nous ne pouvons faire une analyse en profondeur de ces "influences contraires ", de leur portée ni de leur validité. Mais nous devons souligner la plus importante : si le taux de bénéfices décroît, le taux de plus-value tend à augmenter ([4] [243]), c'est-à-dire que les capitalistes tentent de compenser la baisse de leurs bénéfices en augmentant l'exploitation de l'ouvrier. Contre les thèses partisanes des bourgeois, syndicalistes et économistes selon lesquelles le progrès technique et la productivité diminueraient l'exploitation, Marx signale que « la baisse tendancielle du taux de profit va de pair avec une hausse tendancielle du taux de plus-value, donc avec un accroissement du degré d'exploitation du travail. Dés lors, quoi de plus absurde que d'expliquer la baisse du taux de profit par une hausse du taux de salaire, bien que cela puisse arriver quelquefois, à titre exceptionnel. Il faut d'abord comprendre les conditions qui forment le taux de profit, avant que la statistique puisse permettre de vraies analyses du taux de salaire à différentes époques et dans différents pays. Le taux de profit ne baisse nullement parce que le travail devient improductif mais parce qu'il devient plus productif » (Le Capital, Vol. III, Sect. 3, Ch. V, « Le commerce extérieur »)
C'est là la réalité de tout le 20° siècle, au cours duquel le capitalisme a férocement intensifïé l'exploitation de la classe ouvrière : « Il faut remarquer que malgré une certaine baisse par rapport à ceux du siècle dernier, les taux de profit actuels se sont maintenus a une valeur appréciable de l'ordre de 10% - maintien qui est essentiellement imputable à la formidable augmentation du taux d’exploitation subie par les travailleurs : sur une même journée de 10 heures, si l'ouvrier du 19° siècle en travaillait 5 pour lui et 5 pour le capitaliste (rapports fréquemment envisages par Marx), l'ouvrier actuel en travaille une pour lui et 9 pour le patron. » ([5] [244]) (Révolution internationale ancienne série, n° 7, "la crise : allons-nous vers un nouveau 29 ? ")
Ainsi « cette théorie des crises [celle qui les explique par la baisse tendancielle du taux de profit] présente l'intérêt de dégager le caractère temporaire du mode de production capitaliste et la gravité sans cesse accrue des crises qui secoueront la société bourgeoise. Avec une telle vision, on peut donc partiellement interpréter le changement qualitatif qui s'est produit entre le 19° et le 20° siècle dans la nature des crises : la gravité croissante des crises trouverait son explication dans l'aggravation de la tendance à la baisse du taux de profit mais cette vision ne suffit pas à notre avis à tout expliquer et en particulier à trouver une réponse satisfaisante aux deux questions : 1) pourquoi les crises se présentent-elles sous la forme d'une crise de marché ? 2) pourquoi à partir d'un certain moment, les crises n'ont-elles pu que déboucher sur la guerre alors qu'auparavant, elles trouvaient une solution pacifique ? » (idem)
Le capitalisme ne se caractérise pas uniquement par sa capacité à augmenter la productivité du travail. Sa caractéristique essentielle se trouve en réalité dans la généralisation et l'universalisation de la production marchande : "Bien que la marchandise ait existé dans la plupart des sociétés, l'économie capitaliste est la première qui soit basée fondamentalement sur la production de marchandises. Aussi 1'existence de marchés sans cesse croissants est-elle l'une des conditions essentielles du développement du capitalisme. En particulier, la réalisation de la plus-value produite par l'exploitation de la classe ouvrière est indispensable à l'accumulation du capital, moteur essentiel de la dynamique de celui ci. " (Plate-forme du CCI, point 3). Le capitalisme n'est pas le fruit d'artisans intelligents ou d'innovateurs géniaux, mais celui des marchands. La bourgeoisie surgit en tant que classe de commerçants et elle a eu recours tout au long de son histoire -aujourd'hui y compris - à des formes de travail de productivité très réduite :
- elle profite de l'esclavage pendant une bonne partie du 19° siècle ;
- elle emploie massivement encore aujourd'hui le travail forcé des détenus, comme le montre la première concentration industrielle du monde, les Etats-Unis ([6] [245]) ;
- elle continue à exploiter le travail domestique ;
- elle a utilisé pendant de longues périodes diverses formes de travail forcé ;
- le travail des enfants est aujourd'hui en pleine expansion.
La raison d'être du capitalisme est le bénéfice maximum, qui trouve son cadre global dans le marché. Il faut cependant préciser les termes de "marché" et de "production mercantile."
Les économistes bourgeois présentent le marché comme un monde "de producteurs et de consommateurs", comme si le capitalisme était un simple système d'échanges de marchandises dans lequel chacun vend afin de pouvoir acheter le nécessaire pour subvenir à ses besoins. La base du capitalisme se trouve dans le travail salarié, c'est-à-dire dans l'exploitation de cette marchandise spéciale qu'est la force de travail, dans le but d'en tirer le maximum de bénéfice. Ceci détermine une forme spécifique d'échange caractérisée par ces caractéristiques :
1. Elle se réalise à grande échelle, rompant avec le cadre étroit de la région ou même de la nation.
2. Elle perd tout lien avec le troc ou même le simple échange de marchandises propre aux petites communautés locales de producteurs pour prendre mie forme universelle basée sur l'argent.
3. Elle est au service de la formation et de l'accumulation du capital.
4. Comme condition même de son existence ne pouvant trouver de point d'équilibre, elle a besoin de se développer constamment.
Il est certain que le marché n'est pas le but de la production capitaliste. Celle-ci ne se réalise pas pour satisfaire les besoins de consommatien des acheteurs solvables, mais pour extirper de la plus-value à une échelle toujours plus ample. Il n'y a malheureusement pas d'autre moyen pour matérialiser la plus-value que de passer par le marché, comme il n'y a pas d'autre moyen d'obtenir une plus-value toujours plus ample qu'en amplifiant le marché.
Au sein du mouvement révolutionnaire, les tenants de l'explication de la crise exclusivement par la baisse tendancielle du taux de profit, comme le camarade, tendent à relativiser ou à nier purement et simplement le rôle du marché dans la crise du capitalisme. Ils allèguent que le marché n'est jamais que le reflet de ce qui se passe sur le terrain de la production. Selon eux, les proportionnalités entre les divers secteurs de la production capitaliste (essentiellement le secteur I des moyens de production et le secteur II des moyens de consommation) se manifestent dans l'équilibre ou les déséquilibres du marché.
Ce schéma abstrait néglige totalement les conditions historiques dans lesquelles croît et se développe le capitalisme. S'il était concevable de voir le marché comme une foire médiévale où les producteurs exposent le fruit de leurs récoltes ou de leurs productions artisanales à des consommateurs qui cherchent à compléter ou à troquer ce qui leur manque pour leur subsistance, alors effectivement le marché serait le reflet de ce qui se passe dans le domaine de la production. Mais le marché capitaliste ne ressemble en rien à cette image d'Epinal. Sa base principale est l'expropriation des producteurs directs, les séparant de leurs moyens de subsistance et de production, les convertissant en prolétaires et les soumettant progressivernent, à partir de là, au système de l'échange mercantile. Ce mouvement de lutte contre les formes économiques précapitaliates se réalise dans et par le marché, et peut s'étendre sans rencontrer d'obstacle décisif tant qu'existent sur le globe des territoires de dimension suffisante, non soumis à la production capitaliste.
Les partisans de la baisse tendancielle du taux de profit affirment souvent que Marx n'a pas pris en compte la question du marché à l'heure d'analyser la cause des crises du capitalisme. Une analyse sommaire de ce que Marx a réellement dit dans le Capital comme dans d'autres oeuvres montre qu'il n'en est rien.
1. Il commence par affirmer la nécessité pour les marchandises de se vendre pour que se réalise la plus-value et se valorise le capital. « A mesure que le processus se développe, qui s'exprime dans la baisse du faux de protif, la masse de plus-value ainsi produite s’accroît immensément. Vient alors le second acte du processus. Il faut que toute la masse des marchandises, le produit total, aussi bien la partie qui représente le capital constant, que celle qui représente la plus-value, se vende. »
(Le Capital, Vol. III, Sect. 3, Conclusions : « les contradictions internes de la loi ») Il affirme en outre que « si la vente ne s'opère pas ou bien qu'elle ne s’opère que partiellement ou à des prix inférieurs au prix de production, il y a bien eu exploitation de l'ouvrier, mais elle n’est pas réalisée comme telle pour le capitaliste : elle peut même aller de pair avec l’impossibilité totale ou partielle de réaliser la plus-value extorquée, voire de la perte total ou partielle du capital. » (idem)
L'extraction de plus-value n'est pas la fin du processus de production capitaliste, encore faut-il vendre les marchandises pour réaliser la plus-value et valoriser le capital. Dans le Livre 1, Marx nomme cette seconde partie « le saut mortel de la marchandise ». L'extraction de plus-value (qui détermine un taux moyen de bénéfice à partir du niveau atteint par la composition organique du capital) est une unité avec la réalisation de la plus-value qui est déterminée par la situation générale du marché mondial.
2. Il définit le marché comme étant le cadre global pour réaliser la plus-value. Quelles sont les conditions de ce marché ? Est-il une simple manifestation externe, la forme épidermique d'une structure interne déterminée par la proportionnalité entre les différentes branches de la production et la composition organique générale ? C’est l'idée de ceux qui parlent de la « méthode abstraite de Marx » et qui accusent d'empirisme toute tentative de parler de "marché" ou de choses aussi prosaïques que de la nécessité de "vendre" les marchandises. Marx ne les suit heureusement pas sur ce terrain : « Les conditions de l 'exploitation directe et celles de sa réalisation ne sont pas les mêmes : elles diffèrent non seulement de temps et de lieu, mais même de nature. Les unes n'ont d'autre limite que les productives de la société, les autres la proportionnalité des différentes branches de la production et le pouvoir de consommation de la société. » (idem)
3. Il met en évidence que les rapports de production capitalistes, basés sur le travail salarié, déterminent les limites historiques du marché capitaliste. Mais qu'est-ce qui détermine ce « pouvoir de consommation de la société » ? « Celui-ci n 'est déterminé ni par la force productive absolue ni par le pouvoir de consommation absolue : il l'est par le pouvoir de consommation, qui a pour base des conditions de répartition antagoniques qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimu variable dans des limites plus ou moins étroites. » (idem)
Le capitalisme est une société de production marchande basée sur le travail salarié. Ce dernier détermine une certaine limite à la capacité de consommation de la grande majorité salariée de la société : le salaire doit plus ou moins osciller autour du coût de la reproduction sociale de la force de travail. C'est pour cela que Marx affirme catégoriquement dans le Capital que « la raison ultime de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l'économie capitaliste à développer les forces productives, comme si elles n'avaient pour limite que le pouvoir de consommation absolu de la société » (idem, Chap.XVII, La pléiade, p. 1206). Cette capacité de consommation de la grande masse « est, en autre, restreint par le désir d'accumuler, la tendance a augmenter le capital et à produire de la plus-value sur une échelle plus étendue. C'est une loi de la production capitaliste qu'impose le bouleversement continuel des méthodes de production, par la dépréciation concomitante du capital existant, la concurrence générale et la nécessite d'améliorer la production et d'en étendre l'échelle, ne fût-ce que pour la maintenir, et sous peine de courir à la ruine. » (idem)
4. Il conçoit la nécessité de l'élargissement constant du marché dans la perspective de la constitution du marché mondial. Marx considère inévitable l'amplification constante du marché, condition de l'accumulation capitaliste : « Il faut, par conséquent, constamment élargir le marché, si bien que ses interrelations et les conditions qui les règlent prennent de plus en plus la forme d'une loi naturelle indépendante des producteurs et deviennent de plus en plus incontrôlables. C'ette contradiction interne tend à être compensée par l'extension du champ extérieur de la production. Mais, plus !es foces productives se développent, plus eles entrent en conflit avec les fondements étroits sur lesquels reposent les rapports de consommation. Il n'est nullement contradictoire, sur cette base remplie de contradictions, qu'un excès de capital soit lieà un excès croissant de population. Bien que la combinaison des deux puisse accroitre la masse de la plus-value produite, la contradiction entre les conditions où cette plus-value est produite et les conditions où elle est réalisée s'en trouverait accrue. » (idem)
Il considère que la formation du marché mondial est la tâche historique fondamentale du capitalisme : « Talonnée par le besoin de débouchés toujours plus étendus pour ses produits, la bourgeoisie gagne la terre entière. Il lui faut se nicher partout, s'installer partout, créer partout des relations. » (Manifeste du Parti communiste) Lénine va d'ailleurs dans le même sens : « L'important est dans 1’impossibilité de survie et de développement du capitalisme sans étendre constamment sa sphère de domination, sans coloniser de nouveaux pays, sans incorporer d'anciens pays non capitalistes au tourbillon de l'oconomie mondiale. » (Le développement du capitalisme en Russie).
5. Il donne une grande importance au marché sur la question de la formation des crises. Mais cette tendance conduit en même temps à l'aggravation de ses contradictions par ses propres rapports de production basés sur le travail salarié : « Si le mode de production capitaliste est, par conséquent, un moyen historique de développer la puissance matérielle de la production et de créer un marché mondial approprié, il est en même temps la contradiction permanente entre cette mission historique et les conditions correspondantes de la production sociale. » (idem) C'est pour cela que l'évolution du marché est la clé du surgissement des crises « Admettre que le marché doit s'élargir avec la production, c’est d’un autre point de vue, admettre la possibilité de la surproduction, parce que le marché est limité extérieurement géographiquement... Il est parfaitement envisageable que les limites du marché ne puissent s'élargir suffisemment vite pour la production ou bien que les nouveaux marchés soient si rapidement absorbés par celle-ci que le marché élargi devienne une entrave pour la production comme l'était le marche antérieur plus limité. »
Il pose la question dans le Manifeste du parti communiste : « Dans les crises éclate une épidémie sociale qui serait apparue à toutes les époques antérieures comme une absurdité : l'épidémie de la surproduction. La société se trouve brusquement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, qu’une guerre générale d’anéantissement lui ont coupé tous les moyens de subsistance : l'industrie, le commerce semblent anéantis, et pourquoi ? Parce qu'elle possède trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne servent plus à faire avancer la civilisation bourgeoise et les rapports de propriété bourgeois : au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces rapports, ils sont entravés par elles ; et dès qu'elle surmontent cet obstacle, elles portent toute la société bourgeoise eu désordre, elles mettent en péril l'existence de la société bourgeoise. Les rapports bourgeois sont devenus trop étroits pour contenir les richesses qu'elles ont produites. Par quel moyen la bourgeoisie surmonte -t-elle les crises ? D’une part par l’anéantissement forcé, d'une masse de forces productives, d’autre part par la conquête de nouveaux marchés et 1'exploitation plus poussée des anciens. Par quel moyen donc ? En préparant des crises plus étendues et plus violentes et en diminuant les moyens de les prévenir. »
Cet élément est très important pour comprendre les causes de la crise historique du capitalisme, de sa décadence irréversible. Alors que dans des modes de production antérieurs les crises étaient des crises de sous-production (famines, sécheresse, épidémies... ), les crises capitalistes sont les premières de l'histoire a être des crises de surproduction. La misère de la majorité ne trouve pas son origine dans la pénurie de moyens de consommation mais dans leur excès. Le chômage et les fermetures d'usine ne sont pas dus à la pénurie de biens ou à l'absence de machine mais à leur profusion. La destruction et la destruction, la menace de l'effondrement dans la barbarie, sont le fruit de la surproduction. Ceci nous montre aussi la base du communisme, la tâche de la société future : orienter les forces productives vers la pleine satisfaction des besoins humains, libérant l'humanité du joug du travail salarié et du marché.
Marx avait étudié les deux faces dont est constitué, dans sa globalité, le système capitaliste. Une face est la production de plus-value et de ce point de vue le taux de profit, le développement de la productivité du travail et la tendance à la baisse tendancielle du taux de profit sont déterminants. Mais l'autre face est celle de la réalisation de la plus-value, et ce qui intervient de coté-ci c'est le marché, les limites imposées par les rapports de production eux-mêmes, rapports basés sur le travail salarié et le besoin de conquérir de nouveaux marchés autant pour réaliser la plus-value qu'en vue d'en obtenir de nouvelles sources (séparation de la part des producteurs de leurs moyens de production et de vie et leur intégration dans le travail salarié).
Les deux faces, ou pour le dire plus précisément, les deux contradictions, contiennent les prémisses des convulsions qui amènent le capitalisme à sa décadence et à la nécessité pour la classe ouvrière de le détruire et d'instaurer le communisme. Globalement, Marx a fait une formulation plus élaborée sur la première "face", mais, comme nous venons de le voir, il adonné une grande importance à la deuxième face.
On peut aisément comprendre ce déséquilibre en analysant les conditions historiques dans lesquelles Marx vivait et luttait. Entre 1840 et 1880, la période où Marx mène son activité militante, le trait dominant de la production capitaliste est celui d'une accélération prodigieuse des découvertes techniques, et le développement chaque fois plus étendu de l'industrie. A la suite des exagérations de 1848, quand le Manifeste prévoyait une crise économique quasi définitive, Marx et Engels s'engagent sur une analyse plus circonspecte, en tenant compte de tous les facteurs et en faisant une recherche étendue sur la "radiographie de la société."
D'un coté, la bataille principale contre les économistes ct les idéologues de la bourgeoisie avait deux axes : montrer la base matérielle de la production - l'exploitation de l'ouvrier, l'extraction de la plus-value - et montrer le caractère historiquement limité du régime de production capitaliste. Sur ce dernier aspect, ils ont centré sur la démonstration du fait que la tendance la plus encensée par les chantres du capitalisme - la progression de la force productive du travail - contenait en elle même les germes de la crise et les convulsions définitives du système - la baisse tendancielle du taux de profit.
D'un autre coté, le problème de la réalisation de la plus-value, même s'il pointait après chaque crise cyclique, n'apparaissait pas comme le problème historique décisif: En 1850, seulement 10% de la population mondiale vivait sous le régime capitaliste et les capacités d'extension du système apparaissaient comme infinies et illimitées : chaque crise cyclique débouchait sur une nouvelle extension du monde capitaliste. Malgré cela, Marx a su apercevoir la gravité que tout cela contenait et montrer la contradiction sous-jacente entre la tendance du capitalisme à produire de manière illimitée et la nécessité inhérente à sa propre structure de contenir dans des limites la consommation de la grande majorité de la population.
La situation change radicalement pendant la dernière décenniedu 19° siècle. Le phénomène de l'impérialisme surgit, les guerres impérialistes s'aggravent, débouchant sur l'effroyable boucherie de 1914. C'est ainsi que la question théorique fondamentale pour comprendre la crise historique du capitalisme est celle de la réalisation de la plus-value et non pas simplement sa production : « On constate la ruée du capital vers les pays non capitalistes, depuis le début du capitalisme et au cours de tout son développement. On la voit s'accentuer, jusqu'à devenir depuis un quart de siècle, dans la phase impérialiste, le facteur dominant de la vie sociale. » (Rosa Luxemburg, Oeuvres IV, L'accumulation du capital, II, "Critique des critiques", page 148)
Rosa Luxemburg aborde ce problème avec une méthode historique. Elle ne se pose pas, comme le prétendent ceux qui la critiquaient, une question conjoncturelle du genre : comment trouver des « tierces personnes », ni capitalistes ni ouvriers, pour faire un débouché des marchandises qu'on arrive pas à vendre ? Elle se pose une question globale : quelles sont les conditions historiques de l'accumulation capitaliste? Sa réponse est: « le capitalisme se présente à son origine et se développe historiquement dans un milieu social non capitaliste. En Europe occidental, il baigne d'abord dans le milieu féodal dont il est issu – l’économie de servage de dans la campagne, l'artisanat de corporation à la ville - puis, une fois la féodalité abattue, dans un milieu à la fois paysan et artisan, où par conséquent l'économie marchande simple règne dans l’agriculture, comme dans l'artisanat. En outre, hors d'Europe, le capitalisme européen est entouré de vastes territoires où se rencontrent toutes les formes sociales à tous les degrés d'évolution, depuis les hordes communistes de chasseurs nomades jusqu’à la production marchande, paysanne et artisane. C'est dans ce milieu que se poursuit le processus de l'accumulation capitaliste. » (Chap. 27. « La lutte contre l'économie naturelle ». L'accumulation du capital, Oeuvres IV, p. 40)
Elle distingue trois phases dans ce processus : « la lutte du capital contre l'économie naturelle, sa lutte contre l'economie marchande et sa lutte sur la scène mondilae autour de ce qui reste des conditions d'accumulation. » (ibidem)
Même si ces trois parties sont présente, dans toute la vie du capitalisme, chacune d'entre elles a une suprématie dans chacune de ses phases historiques. Ainsi, pendant la phase d'accumulation primitive - la genèse du capital anglais du 14° au 17° siècles, si bien étudiée par Marx - le trait dominant est la lutte contre l'économie naturelle ; par contre, la période qui va du 17° au premier tiers du 19° siècle est globalement dominée par le deuxième aspect - la lutte contre l'économie simple des marchandises - tandis qu'au dernier tiers du 19°, le facteur déterminant est le troisième : la concurrence exacerbée pour le partage de la planète.
A partir de cette analyse, elle montre que : « le capitalisme à besoin pour son existence et son développement de formes de production non capitalistes autour de lui. Mais cela ne veut pas dire que n'importe laquelle de ces formes puisse lui ètre utile. Il lui faut des couches sociales non capitalistes comme débouchés pour sa plus-value, comme source de moyensde production et comme réservoirs de main-d'oeuvre pour son système de salariat. » (idem)
De ce point de vue historique et global, elle fait une critique au schéma de la reproduction élargie que Marx avait employé pour représenter le processus régulier de l'accumulation capitaliste. Elle ne met pas en question la validité de ce schéma par rapport à l'objectif concret et immédiat que Marx lui avait donné, qui était celui de démontrer contre Adam Smith et l'économie classique bourgeoise que la reproduction élargie était possible et pointer l'erreur que celle-ci faisait en niant l'existence du capital constant. Parce que si on ne reconnaît pas l'existence du capital constant, il est impossible de comprendre la continuité de la production et le rôle du travail accumulé au sein de celle-ci et, par conséquent, l'accumulation du capital est impossible.
Elle ne critique pas non plus ce schéma parce qu'il ne répondrait pas à la réalité immédiate contrairement à ce que le camarade pense, qui attribue à Rosa Luxemburg une "erreur de débutante" - Rosa Luxemburg considère parfaitement légitime le modèle abstrait élaboré par Marx pour cet objectif concret de démontrer que l'accumulation, la reproduction élargie, est possible.
Ce que Luxemburg critique est de présupposer que toute la plus-value extraite est consommée à l'intérieur du monde composé de capitalistes et d'ouvriers. Ce présupposé peut être valable si on veut expliquer le fait que l'accumulation est possible en général, mais il ne sert pas si l'on veut comprendre le processus historique du développement et, par la suite, de crise générale du système capitaliste.
Par conséquent, Rosa Luxernburg fait le constat qu'il existe une partie de toute la plus-value extraite aux ouvriers qui n'est pas consommée par les capitalistes et elle explique que sa réalisation se fait au moyen de la lutte pour rattacher des territoires pré-capitalistes au système marchand et salarié propre au capitalisme. Ce faisant, elle essaye de répondre à une réalité très concrète du capitalisme dans sa période d'apogée ( 1873-1914) : « Si la production capitaliste constitue elle-même un débouché suffisant pour ses produits et si son extension n'est limitée que par la grandeur de la valeur accumulée, un autre phénomène de l'histoire moderne devient inexplicable : la chasse aux marchés et aux débouchés les plus lointains, et l'exportation des capitaux ces signes les plus marquants de l'impérialisme actuel. C'est lui fait incompréhensible ! Pourquoi tout ce remue-ménage ? Pourquoi la conquête des colonies, pourquoi les guerres de l'opium de 1840 et 1860, les conflits actuels autour des marais du Congo et des déserts de Mésopotamie ? Que le capital reste donc dans son pays d'origine et qu'il gagne honnêtement son pain. Krupp n'aurait qu'à produire pour Thyssen, Thyssen pour Krupp, il leur suffirait de réinvestir leurs capitaux dons leur propres entreprises qu'ils agrandiraient les uns pour les autres et ainsi de suite en cercle ferme. Le mouvement historique du capital devient incompréhensible, et avec lui l’impérialisme actuel. » (idem, Oeuvres IV, p. 158) C'est exactement la même chose que Marx quand il affirme : « Dire que seuls les capitalistes peuvent échanger et consommer leurs marchandises entre eux, c'est oublier complètement le caractère de la production capitaliste et oublier qu'il s'agit pour lui de valoriser le capital et non de le consommer. »
Il faut laisser bien clair que Luxemburg ne conçoit pas les territoires pré-capitalistes comme les "tierces personnes" dont les capitalistes auraient besoin pour placer leurs marchandises en trop, tel que ses critiques le lui reprochent :
« Les buts économiques du capitalisme dans sa lutte contre l'économie naturelle peuvent se résumer ainsi :
1) Appropriation directe d'importantes ressources de forces productives comme la terre, le gibier des forêts vierges, les minéraux, les pierres précieuses et les minerais, le produit des plantes exotiques telles que le caoutchouc, etc.;
2) « Libération » des forces de travail qui seront contraintes de travailler pour le capital ;
3) Introduction de l'économie marchande ;
4) Séparation de l'agriculture et de l'artisanat. »
(Chap. 27, "La lutte contre l'économie naturelle ", L'accumulation du capital, (Euvres IV, p. 41)
Les chantres du capitalisme prétendent que c'est un système basé sur l'échange régulier des marchandises dont se dégage un équilibre graduel entre l'offre et la demande et c'est ainsi que l'économie grandit et se développe. Face à cela, Rosa Luxemburg affirme que : "L'accumulation capitaliste, dans son ensemble, a donc, comme processus historique concret, deux aspects différents : l'un concerne la production de la plus-value - à l'usine, dans la mine, dans l'exploitation agricole - et la circulation de marchandises sur le marché. Considérée de ce point de vue, l'accumulation est un processus purement économique dont la phase la plus importante est une transaction entre le capitalisme et le salarié. Dans les deux phases cependant, à l'usine comme sur le marché, elle reste exclusivement dans les limites d'un échange de marchandises, d'un échange de grandeurs équivalentes, sous le signe de la paix, de la propriété privée et de l'égalité. Il a fallu toute la dialectique acérée d'une analyse scientifique pour découvrir comment, au cours de l'accumulation, le droit de propriété se transforme en appropriation de la propriété d'autrui, l’échange de marchandises en exploitation, l'égalité en domination de classe." (idem, "Le protectionnisme et l'accumulation", p. 116)
Mettre en évidence ce dernier aspect mettre à nu la violence et la destruction contenues dans le simple échange régulier de marchandises - fut le travail de Marx dans le Capital, mais face à la période de l'impérialisme, face à l'entrée du système dans sa décadence, ce qui était crucial était de se centrer sur « L'autre aspect de l'accumulation capitaliste [qui] concerne les relations entre le capital et les modes de production non capitalistes, il a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le systême des emprunts internationaux, la politique des sphères d'intérêt, la guerre. La violence, l'escroquerie, l'oppression. Le pillage se déploient ouvertement(…) » (idem)
Dans la deuxième partie de cette correspondance, nous publierons un complément que nous a fait parvenir le camarade sur son explication des périodes de reconstruction et sa critique du dogmatisme du CCI sur les questions économiques. Nous développerons pour notre part des précisions en défense des analyses de Rosa Luxemburg et répondrons à ces critiques.
Adalen
[1] [246] Signalons aussi l'importante contribution de Mitchell dans Bilan, « Crises et cycles dans l'économie du capitalisme agonisant », que nous avons rééditée dans la Revue internationale n°102 et 103.
[2] [247] Cf Revue Internationale n° 93, et notre supplément "Le Manifeste sur le chômage. "
[3] [248] Op. cit.
[4] [249] La distinction faite par Marx entre taux de la plus-value et taux de bénéfices est très importante du point de vue de l'évolution du capitalisme :
- Taux de la plus-value =p/v
(p =plus-value et v=capital variable ou masse totale des salaires)
- Taux de bénéfices =p/(c + v)
(c = capital constant), (p= plus-value et v = capital variable ou masse totale des salaires).
[5] [250] Il ne s'agit pas dans cet article de réfuter l'idée selon laquelle l'ouvrier "moderne" serait beaucoup moins exploité que ses prédécesseurs du 19° siècle. Cette mystification sans cesse répétée est basée surla falsification de ce qu'est réellement l'exploitation. Par rapport à cette question, le lecteur peut se reporter entre autres articles à la Revue internationale n° 73 et 74, "Qui peut changer le monde ? ", et à la série d'articles publiées dans diverses publications territoriales du CCI : « Réponse aux doutes concernant la classe ouvrière ».
[6] [251] Au Texas, l'Elat gouverné par Bush junior aujourd'hui Président des Etats-Unis, existe une industrie pénitentiaire employant près de 200 000 détenus qui produit de nombreux articles de produits de consommation ainsi que des composants électroniques.
Le Courant communiste international a tenu récemment son 14° congrès. Nous publions plus loin un article présentant les travaux et les enjeux de ce congrès. Celui-ci a adopté une résolution sur la situation internationale qu'on trouvera ci-dessous.
Cette résolution n'a pas pour vocation centrale de se prononcer sur les développements immédiats de cette situation mais de donner un cadre, le plus général et profond possible, pour la compréhension de ces développements. De plus, ce document a été rédigé il y a plus de deux mois et il ne pouvait pas intégrer les événements qui se sont produits dans un passé plus récent. Cela dit, comme nous le verrons, ces événements sont venus illustrer de façon claire l'analyse qui est donnée dans la résolution. Par ailleurs, celle-ci est complétée et illustrée par des extraits du rapport sur la crise économique présenté au congrès. ([1] [252])
La résolution sur la situation internationale du 14° congrès du CCI comporte trois volets : sur la situation économique du capitalisme, sur les conflits impérialistes et sur l'état de la lutte de classe.
Dans la partie intitulée "La lente agonie de l'économie capitaliste", la résolution signale que : « le boom [de l'économie américaine au cours des années 1990] est maintenant du passe et on parle de plus en plus d'un basculement des Etats-Unis vers la récession. Non seulement les « compagnies.com », mais de larges secteurs de la production ont de grandes difficultés ».
En dépit de ces signes alarmants la bourgeoisie continue de parler de boom.su particuliers en GrandeBretagne, en France, en Irlande... mais ce n'est en fait que pour se rassurer elle même.
Etant donné que les autres pays industriels dépendent étroitement de leurs investissements aux USA, la fin évidente des «dix années de croissance des Etats-Unis ne peut manquer d'avoir de sérieuses répercussions à travers le monde industrialisé. »
Cette prévision n'a pas tardé à se vérifier puisqu'on assisté ces derniers mois à une cascade de "profit warnings" (annonces d'une baisse des bénéfices par rapport aux prévisions) de la part d'un grand nombre d'entreprises parmi les plus en vue, en particulier celles de la "nouvelle" économie, ce qui a conduit à une chute continue des indices boursiers (lesquels ont perdu près de 30 % en un an). Des géants comme Philips ou Nokia, leader mondial des téléphones mobiles, annoncent soit l'abandon de leur fabrication de ce produit, soit des réductions drastiques, avec à la clé des dizaines de milliers de suppressions d'emplois. On a même pu voir une entreprise comme Alcatel, géant français des télécommunications, annoncer qu'elle allait se débarrasser de plus d'une centaine de ses 120 usines !
En même temps, les prévisions pour la croissance du PIB 2001 sont régulièrement revues à la baisse dans la plupart des pays européens (près d'un point depuis le début de l'année, ce qui signifie que la croissance sera 30 % plus faible de ce qui avait été prévu). Enfin, les taux officiels du chômage, qui avaient connu une décrue au cours de la dernière période, sont en train de repartir partout à la hausse (en Allemagne depuis plusieurs mois, mais dernièrement aussi en France, un des pays les plus salués pour ses "performances" économiques).
Dans sa partie "La descente vers la barbarie", la résolution indique que : "la fragmentation des vieux blocs, dans leur structure et leur discipline, a libéré des rivalités entre nations à une échelle sans précédent, résultant en un combat de plus en plus chaotique de chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus minables seigneurs de la guerre locaux. Ceci a pris la forme d'un nombre de plus en plus grand de guerres locales et régionales, autour desquelles les grandes puissances continuent d'avancer leurs pions à leur avantage. (..) Tout au long de la dernière décennie, la supériorité militaire des Etats-Unis s'est montrée complètement incapable d'arrêter le développement centrifuge des rivalités inter impérialistes. Au lieu du nouvel ordre mondial dirigé par les Etats-Unis, que lui avait promis son père, le nouveau président Bush est confronté à un désordre militaire croissant, avec une prolifération de guerres sur toute la planète. " Et parmi les exemples de cette situation, la résolution cite l'aggravation du conflit au Moyen Orient et la relance de la guerre dans les Balkans, aujourd'hui en Macédoine. Depuis qu'elle a été rédigée, la situation n'a fait qu'empirer. Chaque jour apporte son lot de tués en Israël et en Palestine, sans que les efforts diplomatiques répétés du "parrain" américain y puisse quoi que ce soit. De "trêve" non respectée en "cessez-le-feu" violé aussitôt que signé, rien ne semble être en mesure d'arrêter la folie guerrière dans cette partie du monde. Et il est de plus en plus clair pour tous que, même s'il y avait une accalmie, elle ne pourrait en aucune façon aboutir à une paix véritable, comme se le proposait le "processus d'Oslo" du début des années 1990.
Concernant les Balkans, il faut faire une mention spéciale de ce qui vient de se passer avec la remise par le gouvernement de Belgrade, le 28 juin, de Milosevic au Tribunal pénal international de la Haye suivie immédiatement par le déblocage de plus d'un milliard dollars par les pays "donateurs" en vue de la reconstruction de la Serbie. Nous avons là une illustration de toute l'hypocrisie et de tout le cynisme dont peut se rendre capable la bourgeoisie. Milosevic avait été, au début des années 1990 "l'ami" des américains et de certains pays européens comme la France et la Grande-Bretagne qui voulaient contenir les ambitions allemandes dans les Balkans portées notamment par la Croatie. Par la suite, les américains avaient changé leur fusil d'épaule en apportant leur soutien aux bosniaques alors que ces deux pays européens maintenaient leur appui à Milosevic. II avait fallu le coup de force des Etats-Unis lors de la conférence de Rambouillet, au début 1999, qui rendait la guerre entre l'OTAN et la Serbie inévitable, pour les forcer à s'aligner sur la puissance américaine tout au long des "bombardements humanitaires" sur la Serbie et le Kosovo du printemps de la même année. Cette guerre censée "protéger" les populations albanaises du Kosovo avait ouvert la porte à de nouveaux massacres de celles-ci avant que les survivants ne puissent retourner dans leur province qui avait été réduite à un champ de ruines.
II fallait à la puissance américaine un "happy end", la punition du "méchant" pour justifier complètement la barbarie guerrière qu'elle avait déchaînée. C'est maintenant chose faite : l'ancien "gentil", devenu "méchant" pour les besoins de la cause, est maintenant entre les mains du shérif.
Pour ce qui concerne la Macédoine, le conflit ne cesse de s'aggraver. Une bonne partie du nord du pays est maintenant entre les mains de la guérilla pro-albanaise de l'UCK. Et c'est encore une fois l'occasion pour les grandes puissances d'étaler leur rivalités, même si toutes semblent d'accord pour empêcher l'UCK de parvenir à ses fins : à l'annonce par les Etats-Unis de l'envoi de troupes de l'OTAN pour calmer la situation vient de répondre la décision de la diplomatie européenne de nommer un "Monsieur Macédoine" en la personne de François Léotard, ancien ministre de la défense de la France. Que Solana ait choisi à ce poste un politicien d'un pays traditionnellement le plus "contestataire" vis-à-vis de la puissance américaine signifie clairement qu'en Macédoine comme partout ailleurs, les discours de paix et les manifestations ostensibles "d'amitié" entre les EtatsUnis et leurs ex alliés européens, ne font que recouvrir une montée irrésistible de leurs rivalités. Cela s'est d'ailleurs confirmé lors du voyage de Bush en Europe, à la mi-juin, où le président américain n'a pas réussi, loin de là, à "vendre" aux européens son projet de bouclier anti-missiles qui constitue, comme le dit la résolution : "une formidable offensive de la part de l'impérialisme américain visant à convertir son avance technologique en une domination planétaire sans précédent. Ce projet représente une nouveau pas dans une course aux armements de plus en plus aberrante qui ne peut qu'aiguiser les antagonismes avec ses rivaux. "
Concernant enfin la perspective de développement de la lutte et de la conscience de la classe ouvrière, la dernière période n'a pas connu d'évolution significative. Cependant, il vaut la peine de signaler, dans la partie "La classe ouvrière tient toujours entre ses mains les clé du futur" l'idée qu'une des manières dont on peut juger de la menace potentielle que continue de représenter la classe ouvrière pour l'ordre bourgeois est constituée "par l'énorme quantité de temps et d'énergie consacrée à ses campagnes [de la bourgeoisie] idéologiques contre le prolétariat, celles consacrées à montrer que ce dernier est une force épuisée n'étant pas les moindres. " Nous reviendrons dans le prochain numéro sur un exemple significatif de ces campagnes, celles qui visent à dénaturer la véritable signification des mouvements sociaux de la fin des années 1960. Pour masquer le fait que ces mouvements représentaient la fin de la contre-révolution, l'ouverture d'une période où le prolétariat serait de nouveau en mesure de jouer un rôle d'acteur sur la scène sociale et donc pour ancrer l'idée que cette classe "est finie" comme le dit la résolution, les médias et les politiciens bourgeois ont mis en vedette les "anciens combattants" des luttes étudiantes de cette période. Pour la classe dominante il s'agit de faire oublier que les luttes ouvrières d'alors avaient une importance sans commune mesure avec celles des étudiants. Il faut également montrer qu'en s'intégrant dans le système (tel l'actuel ministre allemand des affaires étrangères) les "révolutionnaires" de cette époque ont fait la preuve qu'ils avaient eux aussi compris que la révolution était impossible.
Et justement, ce que ces campagnes démontrent, même si la grande majorité des ouvriers n'en a pas conscience aujourd'hui, c'est que les secteurs les plus lucides de la bourgeoisie savent, pour leur part, que la révolution est possible. C'est à cette conscience que devra parvenir le prolétariat dans la période historique qui est devant nous.
[1] [253] Des extraits des autres rapports seront publiés dans les prochains numéros de la Revue internationale.
Début mai 2001 s'est tenu le 14e congrès du Courant communiste international.
Comme pour toute organisation dans le mouvement ouvrier, le congrès constitue l'instance suprême du CCI. C'est l'occasion par excellence pour tirer un bilan du travail effectué depuis le précédent congrès et tracer les perspectives de celui à entreprendre pour la période qui vient.
Ce bilan et ces perspectives ne sont pas établis en "vase clos". Ils dépendent étroitement des conditions dans lesquelles l'organisation est amenée à faire face à ses responsabilités, et en premier lieu, évidemment, du contexte historique général.
Il appartient donc au Congrès de faire une analyse du monde actuel, des principaux enjeux des événements qui affectent la vie de la société sur le plan de la situation économique (dont les marxistes savent qu'elle détermine en dernière instance tous les autres aspects), de la vie politique de la classe dominante, et donc des conflits qui opposent les différents secteurs de celle-ci, et enfin sur le plan de la vie de la classe qui seule est en mesure de renverser l'ordre existant, le prolétariat.
Dans l'examen de la situation de ce dernier, il appartient aux communistes de se pencher sur l'état et les perspectives des luttes de classe à l'heure actuelle, du degré de conscience dans les masses ouvrières des enjeux de ces luttes, mais il leur appartient de se pencher également sur l'état et l'activité des forces communistes existantes qui sont une partie du prolétariat.
Enfin, et dans ce dernier contexte, le Congrès se doit d'examiner l'activité de notre propre organisation et de mettre en avant des perspectives lui permettant de faire face à ses responsabilités au sein de la classe.
Ce sont ces différents points qui seront abordés dans cet article de présentation de notre 14e congrès international.
Le monde d'aujourd'hui
Nous publions dans ce même numéro de la Revue internationale, la résolution sur la situation internationale qui a été adoptée par le congrès et qui synthétisait les différents rapports qui lui ont été présentés ainsi que la discussion menée sur ces rapports. En ce sens, il est inutile de revenir sur chacun des aspects de la discussion qui s'est menée sur la situation internationale. Nous nous contenterons de rappeler le début de cette résolution qui établit le cadre des enjeux du monde actuel :
"L'alternative à laquelle l'humanité est confrontée en ce début du 21e siècle est la même qu'au début du 20e : la chute dans la barbarie ou le renouveau de la société par la révolution communiste. Les marxistes révolutionnaires, qui, durant la période tumultueuse de 1914-1923, insistèrent sur ce dilemme incontournable, auraient pu à peine imaginer que leurs héritiers politiques soient encore obligés d'y insister au début du nouveau millénaire.
En fait, même la génération des révolutionnaires «post 68» qui a surgi de la reprise des luttes prolétariennes après la longue période de contre-révolution commencée durant les années 1920, ne s'attendait pas vraiment à ce que le capitalisme en déclin fût si habile à survivre à ses propres contradictions, comme il l'a prouvé depuis les années 1960.
Pour la bourgeoisie, tout ceci est une preuve de plus que le capitalisme est l'ultime et maintenant la seule forme de société humaine et que le projet communiste n'a jamais été rien de plus qu'un rêve utopique. La chute du bloc «communiste» en 1989-91 a apporté une apparence de vérification historique à cette notion, pierre angulaire nécessaire de toute l'idéologie bourgeoise. (...) (Point 1)
Les générations futures regarderont sûrement avec le plus grand mépris les fausses justifications avancées par la bourgeoisie au cours de cette décennie; elles verront certainement cette période comme une période de cécité, stupidité, horreur et souffrance sans précédent. (...)
Aujourd'hui, ce à quoi l'humanité doit faire face n'est pas simplement la perspective de la barbarie : la descente a déjà commencé et elle porte en elle le danger de saper toute tentative de future régénération sociale. Mais la révolution communiste, logiquement le point culminant de la lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste, n'est pas une utopie, contrairement aux campagnes de propagande de la classe dominante. Cette révolution demeure une nécessité requise par l'agonie mortelle du mode de production actuel, et en même temps représente une possibilité concrète, étant donné que la classe ouvrière n'a ni disparu ni été vaincue de façon décisive." (Point 2)
En fait, une grande partie de chacun des documents présentés, discutés et adoptés pendant le Congrès est consacrée à une réfutation des mensonges que la bourgeoisie déverse aujourd'hui autant pour se rassurer elle-même que pour justifier aux yeux des masses exploitées la survie de son système. Il en est ainsi parce que les analyses et les discussions des révolutionnaires sur la situation à laquelle ils sont confrontés n'ont pas pour autre objectif que d'aiguiser le mieux possible les armes du combat de la classe ouvrière contre le capitalisme. Le mouvement ouvrier a appris depuis longtemps que la plus grande force du prolétariat est, outre son organisation, sa conscience, une conscience qui s'appuie nécessairement sur une profonde connaissance du monde qu'il s'agit de transformer et de l'ennemi qu'il faut abattre. C'est pour cela que le caractère combattant des documents soumis au congrès et de ses discussions ne signifie nullement que notre organisation soit tombée dans la tentation de se contenter de l'affirmation de simples slogans dénonçant les mensonges bourgeois, au contraire. La profondeur avec laquelle les révolutionnaires abordent les questions est partie intégrante du combat qu'ils mènent. C'est une constante dans le mouvement ouvrier depuis plus d'un siècle et demi mais qui revêt à l'heure actuelle une importance encore plus fondamentale. Dans une société entrée en décadence depuis la première guerre mondiale et qui aujourd'hui est en train de pourrir sur pied, la classe dominante est incapable d'engendrer la moindre pensée sociale cohérente ou rationnelle, encore moins dotée d'une quelconque profondeur. Tout ce qu'elle sait faire c'est de produire une multitude de gadgets idéologiques plus superficiels les uns que les autres, qu'elle présente évidemment comme des "vérités profondes" (la "victoire définitive du capitalisme sur le communisme", la Démocratie comme "valeur suprême", la "mondialisation", etc.) et qui n'ont même pas l'avantage de l'originalité puisque leur prétendue "nouveauté" se résume à des habillages différents de vieilles platitudes éculées. Mais aussi nulle que soit la "pensée" bourgeoise d'aujourd'hui, elle parvient encore, à grands renforts de médias, à bourrer le crânes des prolétaires, à coloniser leur esprit. En ce sens, l'effort des communistes pour aller à la racine des choses n'est pas seulement un moyen pour comprendre du mieux possible le monde actuel, il constitue un contrepoison indispensable face à la tendance à la destruction de la pensée qui est une des manifestations de la décomposition dans laquelle s'enfonce la société d'aujourd'hui. C'est pour cela qu'une des caractéristiques majeures des rapports préparés pour le congrès, et qui correspondait à une décision de l'organisation, était qu'ils ne se contentaient pas d'analyser les trois aspects essentiels de la situation mondiale - la crise économique, les conflits impérialistes, le rapport de forces entre prolétariat et bourgeoisie, et donc la perspective de la lutte prolétarienne - mais qu'ils se penchaient sur la façon dont le mouvement ouvrier avait posé ces questions par le passé.
Une telle démarche était d'autant plus importante, à l'heure où commence un nouveau siècle, que toute une série de caractéristiques de la situation mondiale ont été bouleversées au cours de la dernière décennie du siècle passé.
A la fin de 1989, le bloc de l'Est s'est effondré comme un château de cartes provoquant non seulement une remise en cause complète des alignements impérialistes qui étaient sortis de Yalta en 1945 mais aussi un profond recul de la classe ouvrière confrontée aux formidables campagnes sur "la faillite du communisme". De tels bouleversements exigeaient évidemment de la part des révolutionnaires une actualisation de leurs analyses, et c'est ce que notre organisation a fait au fur et à mesure que se produisaient ces événements. Cependant, nous avons jugé utile de revenir encore sur les implications des formidables événements qui se sont déroulés à la fin de 1989, et particulièrement sur deux aspects :
- les manifestations des antagonismes impérialistes dans une situation où n'existe plus un partage du monde en deux blocs comme c'était le cas depuis la fin de la seconde guerre mondiale ;
- la notion de cours historique à une époque où, du fait de la disparition des blocs, une nouvelle guerre mondiale ne peut pas être à l'ordre du jour.
La plus grande clarté sur ces questions était d'autant plus indispensable qu'il existe aujourd'hui sur elles pas mal de confusion parmi les organisations de la Gauche communiste. C'est aussi à ce type de confusions, qui sont en fait des concessions aux thèmes idéologiques de la bourgeoisie, que répondaient les rapports et la résolution adoptés par le congrès. En particulier, ces différents documents :
- réfutaient l'idée qu'il puisse exister une "rationalité" économique comme cause fondamentale des guerres qui se déchaînent à l'heure actuelle (Point 9 de la résolution) ;
- mettaient en avant que "le cours historique vers des confrontations de classes massives, ouvert par la vague internationale de luttes des années 1968-72, ne s'est pas inversé. La classe ouvrière a prouvé qu'elle était une barrière contre la guerre mondiale. Et bien que subsiste le danger que le processus de décomposition le plus insidieux pourrait submerger la classe sans que le capitalisme ait à lui infliger une défaite frontale, la classe représente encore un obstacle historique au plein développement de la tendance à la barbarie militaire. Plus encore : elle garde encore la capacité à résister aux effets de la décomposition sociale par le développement de ses luttes et par le renforcement du sens de son identité et de la solidarité qui en est la conséquence, ce qui peut offrir une véritable alternative à l'atomisation, à la violence autodestructrice et au désespoir, caractéristiques de ce système pourri." (Point 13)
En fait, cette préoccupation d'examiner en détail, et éventuellement de critiquer, les analyses de la situation historique présente existant au sein du milieu politique prolétarien fait partie de l'effort permanent de notre organisation pour définir et préciser les responsabilités des groupes révolutionnaires à l'heure actuelle, des responsabilités qui vont évidemment au delà de l'analyse de la situation.
La responsabilité des groupes révolutionnaires
Les rapports, résolutions et discussions du congrès ont mis en évidence qu'il existe aujourd'hui, après une décennie de grandes difficultés dans le développement de la conscience dans la classe ouvrière, une certaine maturation souterraine de celle-ci.
"La maturation souterraine de la conscience de classe dans le contexte d'un maintien du cours historique aux affrontements de classe, exprimant un processus de réflexion qui - tout en étant toujours minoritaire - touche de plus grands secteurs de la classe et va plus profond que dans la phase qui a suivi 1989. Les expressions visibles de cette maturation comprennent :
- la croissance numérique des principales organisations du milieu prolétarien et de leur environnement de sympathisants et de contacts ;
- l'influence croissante de la Gauche communiste dans le marais, y compris dans des parties du milieu anarchiste ;
- le potentiel croissant pour la fondation et le développement de cercles de discussion prolétariens ;
- certaines expériences de regroupement minoritaire d'ouvriers combatifs chez qui les problèmes de résistance aux attaques du capital, mais aussi les leçons des luttes avant 1989 commencent à se poser ;
- certaines luttes ouvrières - pour le moment des exceptions plutôt que la règle - où l'auto-activité de la classe et la méfiance envers les syndicats commencent à s'exprimer." (Résolution sur les activités du CCI)
Une telle situation confère aux groupes qui se réclament de la Gauche communiste des responsabilités nouvelles. Le congrès a donc consacré une part importante de ses travaux à examiner l'évolution de ces groupes. Il a mis en évidence une difficulté de ces groupes à faire face à ces responsabilités. D'une part, avec l'interruption de la publication de Daad en Gedachte aux Pays-Bas, il n'existe plus de manifestation organisée de la branche germano-hollandaise de la Gauche communiste (le courant "conseilliste"). D'autre part, les courants qui se réclament de la Gauche italienne (les différents groupes de la tradition "bordiguiste" qui s'intitulent tous Parti communiste international, de même que le Bureau international pour le Parti révolutionnaire) restent grandement enfermés ou se replient de façon croissante dans le sectarisme, comme nous l'avions déjà mis en évidence il y a deux ans suite à leur refus d'une prise de position commune face à la guerre du Kosovo (voir Revue internationale n°98).
Pourtant, avec l'apparition actuelle de nouveaux éléments qui se tournent vers la Gauche communiste, il est important que celle-ci retrouve pleinement sa tradition dans laquelle elle associait étroitement la plus grande rigueur au niveau des positions politiques à une attitude d'ouverture de chacun de ses groupes à la discussion avec les autres groupes. C'est la condition pour que ces organisations soient réellement partie prenante du processus qui s'annonce d'un nouveau développement de la conscience dans le prolétariat.
C'est pour cela que notre résolution sur la situation internationale inclut les responsabilités spécifiques de notre propre organisation dans celles de l'ensemble du courant révolutionnaire aujourd'hui :
"Les responsabilités auxquelles fait face la classe ouvrière sont immenses : rien moins que le sort de l'humanité entre ses mains. Ceci en conséquence confère d'immenses responsabilité à la minorité révolutionnaire, dont la tâche essentielle dans la période à venir sera :
- d'intervenir au jour le jour dans les combats de la classe, en insistant sur la nécessité de la solidarité et de l'implication du plus grand nombre possible de travailleurs dans chaque mouvement de résistance aux attaques du capitalisme ;
- d'expliquer avec tous les moyens disponibles (presse, brochures, réunions, etc.), à la fois en profondeur et d'une manière accessible, pourquoi le capitalisme signifie la banqueroute, pourquoi toutes ses «solutions» - particulièrement, celles, racoleuses, de la gauche et des gauchistes - sont des tromperies, et expliquer ce qu'est la véritable alternative prolétarienne ;
- d'aider les minorités radicales (groupes de luttes sur les lieux de travail, cercles de discussion, etc.) dans leurs efforts à tirer les leçons des expériences récentes, à se préparer aux nouvelles luttes à venir, et en même temps renouer les liens avec les traditions historiques du prolétariat ;
- d'intervenir au sein du milieu politique prolétarien, qui entre dans une période de croissance significative, en insistant pour que le milieu agisse comme un véritable point de référence pour un débat sérieux et pour une clarification pour tous les éléments qui viennent vers lui.
Le cours historique vers l'affrontement de classe fournit le contexte pour la formation du parti communiste mondial. Le milieu prolétarien constitue la matrice du futur parti, mais il n'y a aucune garantie qu'effectivement il l'engendrera. Sans une préparation rigoureuse et responsable par les révolutionnaires d'aujourd'hui, le parti sera mort-né, et les conflits massifs de classe vers lesquels nous nous dirigeons ne franchiront pas ce pas essentiel : de la révolte à la révolution." (Point 15)
Le congrès a estimé que, pour sa part, notre organisation pouvait tirer un bilan positif dans l'accomplissement de ces responsabilités au cours de la période passée. Cependant, il a conclu que le CCI, conscient qu'il est soumis, à l'image de l'ensemble de la classe, à la pression délétère de la décomposition croissante de la société, devait maintenir toute sa vigilance face aux différentes manifestations de cette pression, tant au plan de ses efforts dans le domaine de l'élaboration de ses analyses et positions politiques que de sa vie organisationnelle. Plus qu'à toutes les autres périodes du passé, le combat pour la construction de l'organisation communiste, instrument indispensable de la lutte révolutionnaire du prolétariat, est un combat permanent et de tous les jours.
1. L'alternative à laquelle l'humanité est confrontée en ce début du 21e siècle est la même qu'au début du 20e : la chute dans la barbarie ou le renouveau de la société par la révolution communiste. Les marxistes révolutionnaires, qui, durant la période tumultueuse de 1914-1923, insistèrent sur ce dilemme incontournable, auraient pu à peine imaginer que leurs héritiers politiques soient encore obligés d'y insister au début du nouveau millénaire.
En fait, même la génération des révolutionnaires "post 68" qui a surgi de la reprise des luttes prolétariennes après la longue période de contre-révolution commencée durant les années 1920, ne s'attendait pas vraiment à ce que le capitalisme en déclin fût si habile à survivre à ses propres contradictions, comme il l'a prouvé depuis les années 1960.
Pour la bourgeoisie, tout ceci est une preuve de plus que le capitalisme est l'ultime et maintenant la seule forme de société humaine et que le projet communiste n'a jamais été rien de plus qu'un rêve utopique. La chute du bloc "communiste" en 1989-91 a apporté une apparence de vérification historique à cette notion, pierre angulaire nécessaire de toute l'idéologie bourgeoise.
Présentant avec habileté la chute d'une partie du système capitaliste mondial comme la disparition finale du marxisme et du communisme, la bourgeoisie, depuis ce moment, a conclu, à partir de cette hypothèse fausse, que le capitalisme serait entré dans une nouvelle phase plus dynamique de son existence.
D'après ce point de vue :
2. En fait, toutes ces fables ont été systématiquement réfutées au cours de la décennie commencée en 1991. Chaque nouveau gadget idéologique utilisé pour prouver que le capitalisme pourrait offrir à l'humanité un avenir radieux s'est avéré défectueux, comme un jouet bon marché qui se casse dès qu'on joue avec. Les générations futures regarderont sûrement avec le plus grand mépris les fausses justifications avancées par la bourgeoisie au cours de cette décennie; elles verront certainement cette période comme une période de cécité, stupidité, horreur et souffrance sans précédent.
La prévision marxiste, selon laquelle le capitalisme a pu survivre après avoir cessé d'être utile à l'humanité, a déjà été confirmée par les guerres mondiales et les crises généralisées de la première moitié du 20ème siècle. La prolongation de ce système sénile dans sa phase de décomposition, qui représente la véritable "nouvelle" période dont l'entrée fut marquée par les événements de 1989-91, apporte de nouvelles preuves à cette prévision.
Aujourd'hui, ce à quoi l'humanité doit faire face n'est pas simplement la perspective de la barbarie : la descente a déjà commencé et elle porte en elle le danger de saper toute tentative de future régénération sociale. Mais la révolution communiste, logiquement le point culminant de la lutte de la classe ouvrière contre l'exploitation capitaliste, n'est pas une utopie, contrairement aux campagnes de propagande de la classe dominante. Cette révolution demeure une nécessité requise par l'agonie mortelle du mode de production actuel, et en même temps représente une possibilité concrète, étant donné que la classe ouvrière n'a ni disparu ni été vaincue de façon décisive.
3. Toutes les promesses faites par la classe dirigeante sur la nouvelle ère de prospérité inaugurée par la "victoire du capitalisme sur le socialisme" ont montré l'une après l'autre qu'elles n'étaient que des bulles vides de toute substance :
En dépit de ces signes alarmants, la bourgeoisie continue de parler de "booms" particuliers en Grande-Bretagne, en France, en Irlande... mais ce n'est en fait que pour se rassurer elle-même.
Etant donné que les autres pays industriels dépendent étroitement de leurs investissements aux Etats-Unis, la fin évidente des "dix années de croissance des Etats-Unis" ne peut manquer d'avoir de sérieuses répercussions à travers le monde industrialisé.
4. Le mode de production capitaliste est entré dans sa crise historique de surproduction au début du 20ème siècle - en fait dès cette époque le capitalisme s'est globalisé, "mondialisé". Simultanément, il a atteint les limites de son expansion vers l'extérieur et a établi les fondations de la révolution prolétarienne mondiale. Mais l'échec, par la classe ouvrière, à exécuter la sentence de mort du système a signifié que le capitalisme a pu survivre malgré le poids croissant de ses contradictions internes. Le capitalisme ne cesse pas simplement de fonctionner une fois qu'il ne représente plus un facteur de progrès historique. Au contraire, il continue de "croître" et de fonctionner, mais sur une base malsaine qui plonge l'humanité dans une spirale catastrophique.
En particulier, le capitalisme décadent est entré dans un cycle de crise-guerre-reconstruction qui a marqué les deux premiers tiers du 20ème siècle. Les guerres mondiales ont permis une redistribution du marché mondial et la reconstruction qui a suivi lui a fourni un stimulant temporaire.
Mais la survie du système a aussi nécessité une intervention politique accrue de la part de la classe dominante, qui a utilisé son appareil d'Etat pour se jouer des lois "normales" du marché, surtout par des politiques de déficit budgétaire et en créant des marchés artificiels par l'usage du crédit. Le krach de 1929 a prouvé à la bourgeoisie que le processus de reconstruction d'après guerre ne pouvait, en lui-même, que culminer en une crise mondiale généralisée après une seule décennie ; en d'autres termes, il n'était plus possible de retrouver de façon ferme et durable le niveau de production capitaliste par un retour à l'application "spontanée" des lois commerciales. La décadence du capitalisme est précisément l'expression de l'antagonisme entre les forces de production et sa forme marchande ; donc, dans cette période, la bourgeoisie elle-même est amenée à agir de plus en plus en désaccord avec les lois naturelles de la production de marchandise tout en étant régie par ces mêmes lois.
C'est pourquoi les Etats-Unis ont consciemment financé la reconstruction de 1945, en utilisant ce mécanisme qui apparaît irrationnel : en prêtant de l'argent à ses clients afin qu'ils constituent un marché pour ses biens. Et une fois atteintes les limites de cette absurdité, au milieu des années 60, la bourgeoisie mondiale n'a fait que repousser plus haut le niveau de l'interventionnisme. Durant la période des blocs impérialistes, cette intervention était en général coordonnée par des mécanismes à l'échelle des blocs ; et la disparition des blocs, en même temps qu'elle a introduit de dangereuses tendances centrifuges tant au niveau économique qu'au niveau impérialiste, n'a pas conduit à la disparition de ces mécanismes internationaux : en fait, on les a vus renaître et même se revigorer en institutions le plus souvent identifiées comme les principaux agents de la "mondialisation" telle l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Et même si ces organismes fonctionnent comme un champ de bataille entre les principaux capitaux nationaux ou comme des coalitions entre des groupements géopolitiques particuliers (ALENA, Accord de libre échange nord américain ; UE, Union européenne ; etc.) ils expriment la nécessité fondamentale pour la bourgeoisie d'empêcher une totale paralysie de l'économie mondiale. Ceci s'est concrétisé, par exemple, par les efforts persistants des Etats-Unis de se porter garants de leur principal rival économique, le Japon, même si cela a aussi signifié renflouer les énormes dettes du Japon par encore plus de dettes.
Cette tricherie organisée sur la loi de la valeur à travers le capitalisme d'Etat ne supprime pas les convulsions du système ; simplement elle les reporte ou les déplace. Elle les reporte dans le temps, en particulier pour les économies les plus avancées, en évitant continuellement le glissement vers la récession ; et elle les déplace dans l'espace en repoussant leurs pires effets vers les régions périphériques du globe, qui sont plus ou moins abandonnées à leur sort, sauf quand elles servent de pion sur l'échiquier inter-impérialiste. Mais même dans les pays avancés, ce report de récessions ouvertes ou de dépressions se fait encore sentir par des pressions inflationnistes, des "mini-krachs" boursiers, le démantèlement de pans entiers de l'industrie, l'écroulement de l'agriculture, et le délabrement des infrastructures (routes, rail, services) qui va en s'accélérant, etc. Ce processus inclut aussi des récessions avouées, mais le plus souvent la profondeur réelle de la crise est délibérément masquée par les manipulations conscientes de la bourgeoisie. C'est pourquoi la perspective pour la période à venir est une longue et lente descente vers les abysses, ponctuée, sans que cela se termine, de plongeons de plus en plus violents. Mais il n'existe pas, dans l'absolu, de point de non-retour pour la production capitaliste, en termes purement économiques : bien avant que ce point puisse en théorie être atteint, le capitalisme aura été détruit, soit par la généralisation de sa tendance vers la barbarie, soit par la révolution prolétarienne.
5. Au début des années 1990 on nous a dit que la disparition du "communisme" agressif de la surface du globe inaugurerait une nouvelle ère de paix, puisque le capitalisme, dans sa forme démocratique, avait depuis longtemps cessé d'être impérialiste. Cette idéologie a été ensuite combinée avec le mythe de la mondialisation, en arguant que les rivalités entre nations relevaient désormais du passé.
Il est vrai que l'effondrement du bloc de l'Est et l'éclatement de son homologue occidental qui s'en est suivi, ont supprimé une condition fondamentale pour la guerre mondiale, si on laisse de côté la question de savoir si les conditions sociales préalables pour un tel conflit existaient. Mais ce développement n'a en rien changé la réalité essentielle que les Etats-Nations capitalistes ne peuvent pas dépasser le stade de leur lutte sans merci pour dominer le monde. En fait, la fragmentation des structures et de la discipline des anciens blocs a libéré les rivalités entre nations à une échelle sans précédent, entraînant un combat de plus en plus chaotique, chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus petits seigneurs de la guerre locaux. Ceci a pris la forme d'un nombre de plus en plus grand de guerres locales et régionales, autour desquelles les grandes puissances continuent d'avancer leurs pions à leur avantage.
6. Depuis le début, les Etats-Unis, comme gendarme du monde, ont reconnu le danger de cette nouvelle tendance et ont pris des mesures immédiates pour la contrecarrer. Ce fut la signification essentielle de la guerre du Golfe en 1991, qui a été un immense déploiement de la supériorité militaire des Etats-Unis, non pas d'abord et avant tout dirigé contre l'Irak de Saddam Hussein, mais destiné à intimider les grandes puissances rivales des Etats-Unis pour les soumettre à leur autorité. Mais bien que les Etats-Unis aient temporairement réussi à renforcer leur leadership mondial en obligeant les autres puissances à participer à leur coalition anti-Saddam, on peut juger du succès réel de leurs efforts en constatant que dix ans après, ils sont encore obligés d'utiliser la tactique du bombardement de l'Irak, et chaque fois qu'ils le font, ils sont de plus en butte aux critiques de la majorité de leurs alliés, et aussi qu'ils ont été contraints à de semblables déploiements de forces dans d'autres zones de conflit, en particulier dans les Balkans.
Tout au long de la dernière décennie, la supériorité militaire des Etats-Unis s'est montrée complètement incapable d'arrêter le développement centrifuge des rivalités inter-impérialistes. Au lieu du nouvel ordre mondial dirigé par les Etats-Unis, que lui avait promis son père, le nouveau président Bush est confronté à un désordre militaire croissant, avec une prolifération de guerres sur toute la planète :
La liste pourrait s'allonger mais le tableau est clair. Loin d'apporter la paix et la stabilité, l'éclatement du système des blocs a considérablement accéléré le glissement du capitalisme vers la barbarie militaire. La caractéristique des guerres dans la phase actuelle de la décomposition du capitalisme est qu'elles ne sont pas moins impérialistes que les guerres dans les précédentes phases de sa décadence, mais elles sont devenues plus étendues, plus incontrôlables et plus difficiles à arrêter même temporairement.
7. Dans tous ces conflits, la rivalité entre les Etats-Unis et leurs anciennes grandes puissances "alliées" a été plus ou moins masquée. Plus dans le Golfe arabo-persique et dans les Balkans, où les conflits ont pris la forme d'une "alliance" des Etats démocratiques contre les tyrans locaux ; moins en Afrique où chaque pays a agi de façon plus ouverte et séparée pour protéger ses intérêts nationaux. Officiellement, les "ennemis" des Etats-Unis, - ceux qu'ils citent pour justifier leur budget militaire toujours croissant -, sont soit des petits Etats locaux sans scrupules, comme la Corée du nord ou l'Irak, soit leurs anciens rivaux directs de l'époque de la guerre froide, Russie, ou son rival pendant un temps puis son allié de cette période, la Chine. Cette dernière, en particulier est de plus en plus identifiée comme le principal rival potentiel des Etats-Unis. Et en fait, la période récente a vu un accroissement de la tension entre les Etats-Unis et ces deux puissances - à propos de l'extension de l'OTAN vers l'Europe de l'est, la découverte d'un réseau d'espionnage russe reposant sur un ancien responsable du FBI, et en particulier à propos de l'incident de l'avion espion en Chine. Il existe aussi au sein de la bourgeoisie nord-américaine une importante fraction qui est convaincue que la Chine est effectivement le principal ennemi des Etats-Unis. Mais le développement peut-être le plus significatif de la dernière période est la multiplication de déclarations par des secteurs de la bourgeoisie européenne à propos de "l'arrogance" des Etats-Unis, en particulier après leur décision de dénoncer les accords de Kyoto sur les émissions de dioxyde de carbone et d'aller de l'avant avec leur projet anti-missiles «enfant de la guerre des étoiles». Ce dernier représente en fait une formidable offensive de l'impérialisme américain pour convertir son avance technologique en une domination planétaire sans précédent. Ce projet représente un nouveau pas dans une course aux armements de plus en plus aberrante et ne peut qu'aiguiser les antagonismes avec ses rivaux.
Ces antagonismes ont été encore plus exacerbés par la décision de former une "armée européenne" séparée de l'OTAN. Bien qu'il y ait une forte tendance à faire porter la responsabilité de la rupture croissante dans les relations Europe-Etats-Unis sur l'administration Bush, ce nouvel "anti-américanisme" n'est que la reconnaissance explicite d'une tendance qui est à l'?uvre depuis la disparition du bloc occidental au début des années 1990. Idéologiquement, il reflète une tendance qui a été aussi libérée par l'éclatement des blocs, accompagnant la tendance au chacun pour soi : la tendance vers un nouveau bloc anti-américain basé en Europe.
8. Nous sommes cependant encore loin de la formation de nouveaux blocs impérialistes, pour des raisons à la fois stratégico-militaires et politico-sociales :
La guerre mondiale n'est donc pas à l'ordre du jour dans le futur proche. Mais ceci ne minimise en rien les dangers contenus dans la situation actuelle. La prolifération des guerres locales, le développement des conflits régionaux entre des puissances possédant l'arme nucléaire, comme l'Inde et le Pakistan, l'extension de ces conflits vers les centres vitaux du capital (comme en témoigne la guerre dans les Balkans), la nécessité pour les Etats-Unis de réaffirmer sans cesse, de tout leur poids, leur leadership déclinant, ainsi que les réactions que ceci pourrait entraîner de la part d'autres puissances, tout cela pourrait faire partie d'une terrible spirale de destruction qui pourrait saper les bases d'une future société communiste, même sans la mobilisation active du prolétariat dans les centres du capital mondial.
9. La classe dominante tend à réduire la signification globale de cette montée des tensions en cherchant, pour chaque conflit, des causes spécifiques locales, idéologiques et économiques : ici des haines raciales solidement enracinées, là des schismes religieux, le pétrole dans le Golfe, les diamants en Sierra-Leone, etc. Ceci trouve souvent un écho dans les confusions du milieu prolétarien qui confond facilement une analyse matérialiste avec les efforts pour expliquer chaque conflit impérialiste en termes de profit économique immédiat qu'on peut en tirer. Bien que la plupart de ces facteurs économiques et idéologiques soient réels, ils ne peuvent expliquer les carac-téristiques générales de la période dans laquelle le capitalisme est entré. Dans la période de décadence, la guerre représente de plus en plus un désastre économique, une perte sèche. Maintenir chaque conflit particulier entraîne des coûts qui dépassent largement les bénéfices qu'on peut en tirer. Ainsi, alors que de fortes pressions économiques ont certainement joué un rôle clé pour entraîner le Zimbabwe à envahir le Congo, ou l'Irak à envahir le Koweit, les complications militaires qui en suivirent ont précipité ces pays plus profondément dans la ruine. Plus généralement , le cycle crise-guerre-reconstruction , qui conférait l'apparence d'une certaine rationalité à la guerre mondiale dans le passé, est maintenant terminé, puisque toute nouvelle guerre mondiale ne serait suivie d'aucune reconstruction. Mais aucun de ces calculs de profit ou de perte ne permet aux Etats impérialistes de se prémunir de la nécessité de défendre leur présence impérialiste dans le monde, de saboter les ambitions de leurs rivaux, ou d'accroître leurs budgets militaires. Au contraire, ils sont tous pris dans une logique qui échappe à leur contrôle et qui a de moins en moins de sens, même en termes capitalistes, et c'est précisément ce qui rend la situation à laquelle l'humanité doit faire face, si dangereuse et instable. Surestimer la rationalité du capital équivaut à sous-estimer la menace réelle de guerre en cette période.
10. La classe ouvrière doit donc faire face à la possibilité de se trouver entraînée dans une réaction en chaîne de guerres locales et régionales. Mais ceci n'est qu'un aspect de la menace que représente le capitalisme en décomposition.
La dernière décennie a vu toutes les conséquences de la décomposition devenir de plus en plus mortelles :
Aujourd'hui, le capitalisme dresse un tableau de plus en plus clair de ce à quoi ressemble la descente vers la barbarie : une civilisation en totale désintégration, déchirée par les tempêtes, les sécheresses, les épidémies, la famine, l'empoi-sonnement irréversible de l'air, des sols et de l'eau ; la société devenue une hécatombe par les conflits meurtriers et les guerres de destruction réciproque qui laissent en ruines des pays entiers, et même des continents ; guerres qui empoisonnent encore plus l'atmosphère et qui deviennent encore plus fréquentes et dévastatrices par le combat désespéré des nations, régions ou fiefs locaux pour garder leurs réserves cachées de ressources allant en diminuant et de ce qui leur est nécessaire ; un monde de cauchemar où les derniers bastions de prospérité restants font claquer leurs portes de fer devant l'invasion des hordes de réfugiés fuyant la guerre et les catastrophes ; en bref un monde où la pourriture est tellement incrustée qu'il n'y a pas de retour en arrière et où la civilisation capitaliste finalement s'enfonce dans des sables mouvants qu'elle a elle-même créés. Cette apocalypse n'est pas si éloignée de ce que nous expérimentons aujourd'hui ; le visage de la barbarie est en train de prendre une forme matérielle devant nos yeux. La seule question restante est de savoir si le socialisme, la révolution prolétarienne, reste toujours une alternative vivante.
11. Tout au long des années 1970 et 1980, le combat de la classe ouvrière en réponse au ressurgissement de la crise historique du capitalisme a constitué un rempart contre l'éclatement d'une troisième guerre mondiale -le seul véritable rempart, car le capitalisme avait déjà formé les blocs impérialistes qui devaient lancer la guerre, et la crise économique poussait déjà le système vers cette "solution". Mais pour un certain nombre de raisons liées entre elles, certaines historiques, certaines plus immédiates, la classe ouvrière a éprouvé d'extrêmes difficultés à passer d'un niveau défensif à une affirmation franche de sa propre perspective politique (le poids des précédentes décennies de contre-révolution qui avaient décimé son expression politique organisée, la nature de la crise économique qui s'éternisait et qui rendait difficile de voir la situation véritablement catastrophique auquel le monde capitaliste était confronté, etc.).
L'incapacité des deux principales classes sociales d'imposer leur solution à la crise a donné naissance au phénomène de décomposition, qui à son tour a été grandement accéléré par son propre produit, l'effondrement du bloc de l'Est, qui a marqué pour le capitalisme décadent l'entrée dans une phase dans laquelle la décomposition serait la caractéristique principale. Dans cette nouvelle phase, la lutte de la classe ouvrière, qui avait montré auparavant au cours de trois vagues internationales successives des traits visibles d'avancée du niveau de conscience et d'auto-organisation, a été précipitée dans un profond reflux, à la fois au niveau de la conscience et de la combativité.
La décomposition a posé à la classe ouvrière des difficultés à la fois matérielles et idéologiques :
La classe ouvrière est donc confrontée aujourd'hui à un grave manque de confiance - pas seulement en sa capacité à changer la société, mais même en sa capacité à se défendre elle-même au jour le jour. Ceci a permis aux syndicats, qui dans les années 1980 se sont de plus en plus révélés comme des instruments de l'ordre bourgeois, de rétablir leur emprise sur les luttes des ouvriers ; en même temps a été accrue la capacité du capitalisme à dévoyer les efforts des ouvriers pour défendre leurs propres intérêts vers tout un patchwork de mouvements "populaires" et "citoyens" pour plus de "démocratie".
12. Les difficultés réelles que la classe ouvrière doit affronter aujourd'hui sont évidemment exploitées par la classe dirigeante pour intensifier son message sur la fin de la lutte de classe. Ce message est bien reçu par ceux qui ne sont pas aveugles sur le futur barbare que le capitalisme nous prépare, mais qui ne croient pas que la classe ouvrière soit le sujet du changement révolutionnaire, et cherchent de "nouveaux" mouvements pour créer un monde meilleur (ce qui est le cas pour beaucoup d'éléments impliqués dans la mobilisation "anti-capitaliste"). Les communistes, quoi qu'il en soit, savent que si la classe ouvrière est vraiment finie, il n'y a plus d'autre barrière empêchant le glissement du capitalisme vers la destruction de l'humanité. Mais ils sont aussi capables d'affirmer que cette barrière n'a pas été levée ; que la classe ouvrière internationale n'a pas dit son dernier mot. Cette confiance en la classe ouvrière n'est pas une sorte de foi religieuse. Elle est basée sur :
13. La preuve de la véracité de cette conclusion est fournie par :
Les communistes peuvent alors continuer de soutenir que le cours historique vers des confrontations de classes massives, ouvert par la vague internationale de luttes des années 1968-72, ne s'est pas inversé. La classe ouvrière a prouvé qu'elle était une barrière contre la guerre mondiale. Et bien que subsiste le danger que le processus de décomposition le plus insidieux pourrait submerger la classe sans que le capitalisme ait à lui infliger une défaite frontale, la classe représente encore un obstacle historique à ce glissement du capitalisme dans la barbarie guerrière. Plus encore : elle garde encore la capacité de résister aux effets de la décomposition sociale par le développement de ses luttes et par le renforcement du sens de son identité et de la solidarité qui en est la conséquence, ce qui peut offrir une véritable alternative à l'atomisation, à la violence auto-destructrice et au désespoir, caractéristiques de ce système pourri.
14. La classe ouvrière, dans la voie difficile de la redécouverte de son esprit combatif et de la réappropriation de la connaissance de ses traditions du passé et de ses expériences de lutte, trouve face à elle la stratégie anti-prolétarienne de la bourgeoisie :
a) d'abord, l'utilisation des partis de gauche au gouvernement, où ils sont encore généralement mieux placés que la droite pour :
- échelonner les attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, surtout dans les principales concentrations industrielles, pour essayer de retarder et disperser la combativité ouvrière, pour créer la division dans les rangs du prolétariat, entre les secteurs «privilégiés» (les travailleurs qui ont des contrats à durée indéterminée, les travailleurs des pays occidentaux, etc.) et les secteurs désavantagés (les travailleurs qui ont des contrats temporaires, les travailleurs immigrés, etc.) ;
b) ensuite, en complète cohérence avec tout cela, l'activité des gauchistes aussi bien que du syndicalisme radical est destinée à neutraliser la méfiance des travailleurs envers les partis du centre-gauche et de les dévoyer dans une défense radicale de la démocratie bourgeoise. Le développement en Grande-Bretagne de l' "Alliance socialiste" illustre clairement cette fonction ;
c) enfin, et non moins importantes, nous avons les activités du mouvement anti-mondialisation, qui sont fréquemment présentées par les medias comme la seule forme possible d'anti-capitalisme. L'idéologie de ces mouvements, quand elle n'est pas l'expression du «no future» de la petite bourgeoisie (défense de la production à petite échelle, culte de la violence désespérée qui renforce le sentiment de désespoir, etc.) n'est qu'une version plus radicale de ce qui est mis en avant par ses grands frères de la soi-disant gauche «traditionnelle» : la défense de l'intérêt du capital national contre ses rivaux. Ces idéologies servent à bloquer l'évolution de nouveaux éléments "en recherche" au sein de la population et de la classe ouvrière en particulier. Comme nous l'avons vu, ces idéologies ne contredisent pas la propagande plus générale sur la mort du communisme - qui continuera à être utilisée comme une carte maîtresse - mais en sont un important complément.
15. Les responsabilités auxquelles fait face la classe ouvrière sont immenses : rien moins que le sort de l'humanité entre ses mains. Ceci en conséquence confère d'immenses responsabilités à la minorité révolutionnaire, dont la tâche essentielle dans la période à venir sera :
Le cours historique vers l'affrontement de classe fournit le contexte pour la formation du parti communiste mondial. Le milieu prolétarien constitue la matrice du futur parti, mais il n'y a aucune garantie qu'effectivement il l'engendrera. Sans une préparation rigoureuse et responsable par les révolutionnaires d'aujourd'hui, le parti sera mort-né, et les conflits massifs de classe vers lesquels nous nous dirigeons ne franchiront pas ce pas essentiel : de la révolte à la révolution.
Mai 2001.
Le capitalisme est entré dans sa phase de décadence depuis plus de 80 ans. Il survit en plongeant l'humanité dans une spirale de crise ouverte : guerre généralisée - reconstruction - nouvelle crise ([1] [257]). Alors que la stagnation et les convulsions du système durant la première décennie du 20° siècle débouchèrent rapidement dans la terrible boucherie de la première guerre mondiale, alors que la grande dépression de 1929 déboucha en dix ans à la tuerie encore plus sauvage de la seconde guerre mondiale, la crise qui a commencé à la fin des années 1960 n'a pu déboucher dans l'issue organique d'une nouvelle guerre généralisée, parce que le prolétariat n'a pas été défait.
Confronté à cette situation inédite de crise sans issue, le capitalisme mène ce que nous avons nommé une "gestion de la crise". Il a dans ce but recours à l'organe suprême de défense de son système : l'Etat. Si la tendance au capitalisme d'Etat s'est bien développée depuis des dizaines d'années, nous avons pu assister au cours des trente dernières à un perfectionnement et à une sophistication inédits de ses mécanismes d'intervention et de contrôle de l'économie et de la société. Pour accompagner la crise, et faire en sorte que son rythme soit plus lent et moins spectaculaire qu'en 1929, les Etats ont recouru à un endettement astronomique, sans précédent dans l'histoire, et les principales puissances ont collaboré entre elles pour soutenir et organiser le commerce mondial de façon à cc que les pires effets de la crise retombent sur les pays les plus faibles ([2] [258]). Ce mécanisme de survie a cependant permis que les pays centraux, ceux-là même qui sont la clé tant du point de vue de l'affrontement de classes que du maintien de la stabilité globale du capitalisme, vivent une chute lente par paliers successifs, parvenant a donner une impression de maîtrise, d'apparente normalité, quand ce n'est pas de "progrès" ou de "renouveau".
Ces mesures d'accompagnement n'ont cependant pas permis, loin de là, une stabilisation de la situation. Le capital isme est un système mondial depuis le début du 20° siècle, ayant incorporé à l'engrenage de ses rapports de production jusqu'au moindre territoire significatif de la planète. Dans ces conditions, la survie de chaque capital national ou de groupes de capitaux nationaux ne peut se réaliser qu'au détriment non seulement de ses rivaux, mais de l'ensemble du capital global. Au cours des trente dernières années, nous avons assisté à la détérioration progressive du capitalisme dans son ensemble, sa reproduction n'a pu se réaliser que sur des bases toujours plus étroites, le capital mondial s'est appauvri ([3] [259]).
Cet effondrement progressif du capital global s'est manifesté par des convulsions périodiques qui n'ont rien à voir avec les crises cycliques du siècle dernier. Ces convulsions se sont exprimées par des récessions plus ou moins fortes en 1974-75, 1980-82 et en 1991-93. Mais la récession - la chute officielle des indices de production - n'a pas été son expression majeure, précisément parce que le capitalisme d'Etat tente d'éviter dans la mesure du possible cette manifestation trop classique et évidente de l'effondrement du système. Elle a eu tendance à se manifester sous d'autres formes apparemment plus éloignées de la sphère de la production, mais pour autant ni moins graves ni moins dangereuses. Tourmentes monétaires de la livre sterling en 1967 et du dollar en 1971, brusque explosion inflationniste durant les années 1970, crises successives de la dette et de véritables séismes financiers à partir de la deuxième partie des années 1980 : krach boursier de 1987, mini krach en 1989, crise monétaire du SME en 1992-93, effet Tequila [dévaluation du peso mexicain et chute des bourses latino-américaines] en l994, la crise dite "asiatique" de 1997-9R.
Le 13° congrès du CCI avait analysé les importants dégâts causés par ce dernier épisode de la crise et nous avions repris à notre compte les prévisions très pessimistes des propres experts de la bourgeoisie qui parlaient de récession sinon de dépression.
Cette récession ne s'est cependant pas produite et le capitalisme a de nouveau pu entonner les hymnes triomphalistes sur la "santé de fer" de son économie. poussant la hardiesse jusqu'à envisager l'entrée de la société dans l'ère de la "nouvelle économie". La poussée inflationniste de l'été 2000, dont la portée et les conséquences sont très importantes, a fait baisser le ton à l'euphorie générale. En un peu plus de deux ans, de façon très concentrée et rapide, nous avons pu assister à la chute brutale de 1997-98, au sursaut euphorique entre la deuxième moitié de 1999 et l'été 2000 et à nouveau aux indices de nouvelles convulsions.
Le nouveau millénaire ne va pas plus offrir de solution à la crise que de stabilisation de la situation, sinon tout au contraire une nouvelle phase d'effondrement qui nous fera paraître minimes les souffrances pourtant terribles qu'a causé le système tout au long du siècle qui s'achève.
10 ans de croissance ininterrompue aux Etats-Unis
Les adorateurs du système salivent de plaisir à l'évocation de ces "10 ans de croissance sans inflation" ([4] [260]). Dans leurs délires, ils en viennent même à prédire la fin des crises cycliques et la croissance ininterrompue permanente.
Ces messieurs ne font pas l'effort de comparer ces taux de croissance avec d'autres èpoques du capitalisme, non plus qu'a comprendre sa nature et sa composition. Ils se satisfont aisément de la – croissance -, ils s'en contentent ! Mais face à cette vision immèdiatiste et superficielle, caractéristique de l'idéologie d'un ordre social condamné, nous appliquons quant à nous une vision globale, historique, et pouvons, à partir de là, démontrer la fausseté des arguments basés sur les « 10 ans de croissance ininterrompue des Etats-Unis ».
Pour commencer, si nous examinons les taux de croissance de l'économie américaine depuis 1950, nous constatons que la croissance de cette dernière décennie est la pire de ces 50 dernières années :
Taux de croissance moyen du PIB aux Etats-Unis ([5] [261])
Période |
1950-64 |
3,68 % |
Période |
1965-72 |
4,23 % |
Période |
1973-90 |
3,40 % |
Période |
1991-99 |
1,98 % |
Nos conclusions seront identiques si nous considérons les données des pays les plus industrialisés :
Taux de croissance moyen du PIB des principaux pays industrialisés ([6] [262])
|
1960-73 |
1973-89 |
1989-99 |
Japon |
9,2% |
3,6% |
1,8% |
Allemagne |
4,2% |
2,0% |
2,2% |
France |
5,3% |
2,4% |
1,8% |
Italie |
5,2% |
2,8% |
1,5% |
GB |
3,1 % |
2,0% |
1,7% |
Canada |
5,3% |
3,4% |
1,9 % |
Les deux tablenux mettent en évidence un déclin graduel mais persistant de l'économie mondiale, qui réduit à néant le triomphalisme des leaders du capitalisme et met en évidence leur tricherie : nous éblouir avec des chiffres sortis de leur contexte historique.
La "croissance américaine" a une histoire qui nous est cachée avec beaucoup de triomphalisme : on ne parle pas de comment s'est faite la relance de l'économie en 1991-92, avec pas moins de 33 baisses des taux d'intérêts, de sorte que l'argent prêté aux banques l'était à un taux en dessous du taux d'inflation ! L'Etat leur offrait en quelque sorte de l'argent ! On ne nous dit pas non plus que cette croissance a commencé à s'essouffler à partir de 1995, avec les multiples crises financières qui ont culminé avec la « grippe asiatique » de 1997-98, stagnant dans la phase 1996-98.
Mais qu'en est-il de la dernière phase de croissance, celle qui succède à la stagnation de 1996-98 ? Ses bases sont encore plus fragiles et destructrices car le moteur de la croissance devient une bulle spéculative sans précédent dans l'histoire. L'investissement en bourse devient le seul investissement rentable, .
Les familles comme les entreprises américaines ont été encouragées dans le mécanisme pervers de l'endettement pour pouvoir spéculer en Bourse et utiliser les titres achetés comme caution pour acheter frénétiquement des biens et des services qui sont le moteur de la croissance. Les fondements de l'investissement authentique se voient ainsi sérieusemcnt ruinés : entreprises et particuliers ont augmenté leur endettement de 300% entre 1997 et 1999. Le taux d'épargne est négatif depuis 1996 (après 53 années de taux positifs) : alors qu'en 1991 il était de + 8,3 %, il était en 1999 de - 2,5%.
La consommation à crédit maintient en vie la flamme de la croissance mais ses effets sont délétères sur la base productive des Etats Unis([7] [263]). Un économiste célèbre, Paul Samuelson, reconnaît que "l'utilisation de la capacité productive de l'industrie nord-américaine n’a cessé de baisser dcpuis le sommet atteint au milieu des années 1980". L'industrie manufacturière perd du poids dans l'ensemble des chiffres annuels de production et a licencié 418 000 travailleurs depuis avril 1998. La balance des paiements américaine subit une dégradation spectaculaire, passant d'un déficit de -2,5% du PIB en 1998 à -4% de nos jours.
Ce type de "croissance" est aux antipodes de la véritable croissance que le capitalisme a expérimenté historiquement. Entre 1865 et 1914, les Etats-Unis basèrent leur spectaculaire croissance économique sur l’augmentation permanente de leur excédent commercial et financier. L'expansion américaine après la seconde guerre mondiale se basait sur la supériorité des exportations de produits et de capitaux. Un 1948 par exemple. les exportations américaines couvraient 180% des importations. Depuis 1971, les Etats Unis commencent à avoir des déficits commerciaux négatifs qui n'ont cessé de croitre.
Alors qu'au 19' siècle la croissance économique des pays centraux du capitalisme s'est basée des exportations de biens et de capitaux qui servaient de bèlier pour incorporer de nouveaux territoires aux rapports de production capitalistes, nous assistons aujourd’hui à une situation aberrante et dangereuse, celle ou les fonds du monde entier accourent - attirès par les cotations élevées du dollar pour soutenir la principale èconomie de la planète. Depuis 1985, le flux des investissements du reste des pays du monde vers les 10 principales économies de la planète est supérieur à celui de celles-ci vers celles-là. Concrètement, ceci signifie que le capitalisme, incapable d'élargir la production dans le monde,concentre tous ses recours pour maintenir à flot les principales métropoles, au prix de la mise en friche du reste du monde, détruisant ainsi ses propres bases de reproduction.
La timide récessionde l'après crise asiatique ne s'est pas produite
On veut nous faire croire que la secousse de 1997-98 n'était qu'une crise cyclique identique à celles que le capitalisme avait connues au l9° siècle. A cette époque. chaque étape de crise se résolvait dans une nouvelle expansion de la production qui atteignait des niveaux supérieurs à ceux de la période antérieure. De nouveaux marchés s’ouvraient l'incorporation de nouveaux territoires aux rapports de production capitalistes, créant de nouvelles masses de prolétaires créatrices de plus-value et d'autre part apportant de nouveaux acheteurs solvables pour les marchandiscs produites.
Cette issue est actuellement impossible pour le capitalisme : les marchés sont depuis bien longtemps Saturés.
L"`issue" à toute nouvelle chute ne peut donc être dans de nouveaux marchés pour écouler la production et dans de nouvelles masses de prolétaires incorporés au travail salarié, mais au contraire : des mesures d'endettement qui tentent de masquer la chute réelle de la production et de nouvelles vagues de licenciements (présentées comme des restructurations, des privatisations ou des fusions) qui peu à peu assèchent les sources de la plus-value : "Faute de réels débouchés solvables, à travers lesquels pourrait se réaliser la plus-value produite, la production est écoulée en grande partie sur des marchés, fictifs (...) Face à un marché mondial de plus en plus saturé, une progression des chiffres de la production ne peut correspondre qu'à une nouvelle progression des dettes. Une progression encore plus considérable que les précédentes. " (Revue internationale n° 59)
Le résultat est que chacune des phases de convulsions suppose une chute plus violente dans l'abîme alors que chaque moment de reprise adoucit la chute, mais toutes se situent dans une dynamique d'effondrement progressif.
Au siècle dernier, le capitalisme se trouvait dans une phase dynamique d'expansion dans laquelle chaque phase de crise préparait de nouvelles périodes de prospérité. C’est exactement l'inverse aujourd'hui, chaque phase de reprise n'est qu'une préparation à de nouvelles et majeures convulsions.
En témoigne que le Japon (2° économie de la planète) reste dans le trou et qu'il a atteint à peine un rachitique 0,3 % de croissance en 1999, avec des perspectives assez pessimistes pour l'an 2000. Ceci en dépit du développement spectaculaire des moyens de crédit de la part de l'Etat japonais : le déficit public en 1999 a atteint 9,2 % du PI B.
La nouvelle économie
On voit que l'argument de la "grande croissance" américaine ou du "dépassement facile de la crise asiatique" ne résistent pas à une analyse un tant soit peu sérieuse. Mais un troisième argument semble avoir plus de consistance : la "révolution de la nouvelle économie" bouleverserait totalement les fondements de la société, de sorte qu'avec Internet disparaîtrait la traditionnelle division de la société en classes, ouvriers et patrons devenant des "partenaires". En outre, le moteur de l'économie ne serait plus l'acquisition de profit mais la consommation et l'information. Finalement, tout ce fatras sur la crise s'évanouirait comme un cauchemar du passé puisque toute l'économie mondiale se régulerait harmonieusement par le biais des transactions commerciales sur le Web. Le seul problème viendrait des "inadaptés" encore englués dans la "vieille économie".
Nous n'allons pas réfuter en détail toutes ces stupides spéculations. L'article éditorial de la Revue internationale n°102 démonte de façon très convaincante ce nouveau mythe que le capitalisme prétend nous faire avaler ([8] [264]).
Nous devons avant tout rappeler l'histoire : combien de fois le capitalisme a-t-il tenté ces dernières 70 années de nous vendre un "modèle" de développement économique qui serait la solution définitive ? Dans les années 1930, l'industrialisation soviétique, le New Deal américain, le plan De Man se présentèrent tous comme la solution de la crise de 1929... l'issue réelle fut la seconde guerre mondiale ! Ce fut "l'Etat du bien-être" dans les années 1950, le "développement" dans les années 1960, les diverses "voies vers le socialisme" et le "retour à Keynes" dans les années 1970, les "Reaganomics" et le "modèle japonais" dans les années 1980, les "tigres asiatiques" et la "mondialisation" dans les années 1990, c'est au tour aujourd'hui de la "nouvelle économie". Le vent de la crise les a tous engloutis les uns après les autres. A peine un an après sa naissance, la "nouvelle économie" commence déjà à être vieillie et inopérante.
En second lieu, le bruit a couru que la nouvelle économie basée sur Internet serait la plus grande créatrice d'emplois. C'est une erreur totale. L'article de Battaglia Comunista cité plus haut (note 5) démontre que sur les 20 millions d'emplois créés aux Etats-Unis, un seul million serait lié à Internet. Les autres sont liés à des activités de haute technologie comme promeneurs de chiens, distributeurs de pizzas et d'hamburgers, gardiens d'enfants, etc.
En réalité, l'introduction d'Internet dans le commerce, l'information, les finances et les administrations publiques élimine des emplois au lieu d'en créer. Une étude sur les institutions bancaires de la "nouvelle économie" démontre que :
- un réseau de bureaux équipé d'ordinateurs sans connexion permanente emploie ([9] [265]) 100 travailleurs ;
- un réseau de bureaux équipé d'ordinateurs connectés en permanence emploie 40 travailleurs ;
- un réseau de banque téléphonique emploie 25 travailleurs ;
- un réseau de banque par Internet emploie 3 travailleurs.
Une autre étude de l'Union européenne met en évidence que le fait de remplir les formulaires administratifs par Internet peut éliminer un tiers des postes de travail de l'administration publique.
Est-ce que l'utilisation d'Internet serait la base pour une expansion de l'économie capitaliste ?
Le cycle du capital a deux phases inséparables : la production de la plus value et sa réalisation. Pendant la période de décadence du capitalisme, avec un marché saturé, le réalisation de la plus value devient le principal problème. Dans ce cadre, les coûts de commercialisation, de distribution, de financement, qui correspondent précisément à la réalisation de la plus-value prennent des proportions exorbitantes. Les entreprises et les Etats développent un gigantesque appareil de commercialisation, de publicité, de financement, etc., dans le but de tirer jusqu'à la moindre miette du marché existant, de l'étirer au maximum (techniques pour gonfler artificiellement la consommation) et d'être compétitifs face aux rivaux pour leur arracher des segments de marchés.
A ces frais indispensables pour la réalisation de la plus-value viennent s'en ajouter d'autres qui prennent une dimension encore plus énorme : l'armement, le développement de la gigantesque bureaucratie étatique, etc. L'introduction d'Internet cherche à alléger le plus possible l'énorme charge de ces frais, mais sur l'ensemble de l'économie du point de vue du capital global, le marché ne va pas s'étendre, il va souffrir une nouvelle amputation, le nombre d'acheteurs solvables va diminuer.
Loin de mettre en évidence la bonne santé et la progression du capitalisme, l'épisode Internet est la manifestation de la spirale mortelle dans laquelle il est prisonnier : la diminution des marchés solvables force l'augmentation des frais improductifs, et l'endettement. Et ceci crée une autre diminution des marchés solvables, obligeant à faire un pas de plus dans l'endettement et les frais impro-ductifs... et ainsi de suite !
Le nouveau retour inflationniste
L'inflation est un phénomène typique de la décadence du capitalisme, dont une des manifestations spectaculaires fut l'Allemagne dans les années 1920, avec une dévaluation du mark qui dépassa les 2000'%. Confronté à la violente flambée inflationniste des années 1970, le capitalisme est parvenu ces vingt dernières années à réduire de façon significative les taux d'inflation dans les pays industrialisés, mais comme nous l'avons mis en évidcnce dans le rapport du 13e Congrès, l'inflation a en réalité été masquée par une très importante réduction des coûts et par une vigilance plus aiguë de la part des banques centrales quant à la quantité d'argent en circulation. Cependant, les causes profondes de l'inflation - l'endettement gigantesque et les frais improductifs qu'exige la survie du système -, loin d'être éradiquées, n'en sont que plus importantes. Les nouvelles pressions inflationnistes qui se produisent depuis le début de l'an 2000 ne sont donc en aucune façon une surprise. En réalité, l'aggravation de la crise qui depuis 1995 apparaît sous la forme de débandades boursières peut provoquer un nouvel épisode grave, sous la forme cette fois d'une poussée inflationniste.
Dans son rapport de juin 2000, l'OCDE alerte sur les risques inflationnistes croissants produits par l'économie américaine, affirmant que "le récent accroissement de la demande domestique est insoutenable, et les pressions inflationnistes se sont faites plus présentes ces derniers temps, alors que le dèficit de la balance commerciale en compte courant à brusquement augmenté jusqu 'à atteindre 4% dit PNB. L'objectif pour les autorités est d'obtenir une réduction ordonnée de la croissance de la demande. "Après être tombée à son niveau le plus bas aux Etats-Unis en 1998 (1,6 `%), l'inflation peut selon la Réserve fédérale américaine atteindre en l'an 2000 4,5 %. Cette tendance se manifeste également en Europe où la moyenne pour la zone Euro est passée d'un 1,3 % en 1998 à une prévision de 2,4 % en l'an 2000, avec des poussées comme en Hollande (estimée à 3,5 %), en Espagne (qui en septembre a déjà atteint 3,6 %) et en Irlande (qui atteint 4,5 %).
L'endettement astronomique, la bulle spéculative, le fossé grandissant entre la production et la consommation, le poids croissant des frais improductifs ressortent à la surface et relativisent la prétendue bonne santé de l'économie.
Les conséquences catastrophiques de l'accompagnement de la crise
Ainsi donc, l'économie mondiale va rentrer dans une zone de turbulences après à peine deux années de calme.
Le vacarme assourdissant des campagnes sur la "bonne santé" du capitalisme et sur la "nouvelle économie" est inversement proportionnel à l'efficacité des politiques d'accompagnement de lacrise. L'escalade dans le triomphalisme occulte la réduction progressive de marge de manoeuvre des Etats. Du point de vue économique, humain et social, le prix à payer pour le prolétariat et l'avenir de l'humanité est extrêmement élevé. Par les guerres (encore localisées) et par les politiques "d'accompagnement de la crise", le capitalisme menace de convertir la planète en un vaste champ de ruines. Trois menaces pèsent essentiellement :
- l'effondrement de l'économie dans toujours plus de pays ;
- le processus graduel de fragilisation et de décomposition de l'économie des pays centraux ;
- l'attaque des conditions de vie de la classe ouvrière.
L'organisation du commerce et des finances mondiales afin que les pays les plus industrialisés exportent les pires effets de la crise sur les pays de la périphérie a transformé le monde en gigantesque friche. Nos camarades mexicains dans Revolucion Mundial ont souligné que « Jusqu'à la fin des années 1960, les pays de la périphérie étaient fondamentalement des exportateurs de matières premières, mais la tendance actuelle est à ce qu'ils en soient de plus en plus importateurs, même des produits de première nécessité. Le Mexique, par exemple, pays du maïs, est aujourd'hui importateur de cette céréale. Ce sont maintenant les pays centraux qui sont exportateurs des produits de base. » Le capitalisme se consacre à tel point à maintenir à flot les pays centraux qu'ils en sont à se disputer les marchés de matières premières, alors qu'historiquement ils avaient eux-mêmes instauré une division internationale du travail qui laissait la production de ces matières premières aux pays de la périphérie.
Le rapport récent de la Banque mondiale sur l'Afrique donne un panorama effrayant : elle n'atteint qu'un pour cent du PIB mondial et sa participation au commerce international n'atteint pas les 2 %. "Au cours des derniers 30 ans, 1 'Afrique a perdu la moitié de sa part de marchés dans le commerce global, y compris sur le marché traditionnel des matières premières. Si elle n'avait ne serait-ce que maintenu la part qu 'elle avait en 1970, elle encaisserait chaque année 70 000 millions de dollars supplèmentaires." La quantité de routes est inférieure à celle de la Pologne et 16 %seulement sont goudronnées. Moins de 20 % de la population dispose de l'électricité et moins de 50 % accède a l'eau potable. Il n'y a que 10 millions de postes de téléphone pour une population de 300 millions d'habitants. Plus de 20 % de la population adulte est atteinte du sida et on évalue à plus de 25 % le nombre de chômeurs dans les grandes villes. Les guerres touchent 1 africain sur 5. Ces données prennent en compte l'Afrique du Sud et les pays du Maghreb, ils seraient bien plus terrifiants si on les omettait.
Ce développement de la barbarie ne s'explique que par l'avancée irrépressible de la crise du capitalisme. Si le développement du capitalisme en Angleterre au siècle dernier dessinait l'avenir du monde, la tragédie de l'Afrique aujourd'hui annonce l'avenir que le capitalisme réserve à l'humanité s'il n'est pas détruit ([10] [266]).
Mais les dévastations de « l’accompagnement de la crise », attaquent toujours plus profondément les infrastructures, le fond même de l'appareil productif des grandes puissances capitalistes dont les structures de base sont toujours plus fragiles et en constante fragilisation.
Les experts bourgeois reconnaissent franchement que le capitalisme occidental est dcvcnu une "société à haut risque". Par cet euphémisme ils voilent la dégradation rapide dont souffrent les moyens de transport (aérien, ferroviaire, routier) comme en témoignent les catastrophes de plus en plus fréquentes dans le métro ou les chemins de fer, et dont la dernière en date a été la nuort de 150 personnes dans un funiculaire autrichien.
On peut en dire autant des travaux publics. Les réseaux de canalisations, les digues, les mécanismes de prevention souffrent d'un vieillisement sans précédent, conséquence des coupes systématiques et prolongées dans les budgets de sécurité et de maintenance. La conséquence en est les inondations et autres catastrophes qui se multiplient dans des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, la Hollande, alors qu'elles étaient traditionnellement réservées aux pays du Sud économiquement plus attardés.
En ce qui concerne la santé, nous assistons aux Etats-Unis à un taux de mortalité infantile dans les quartiers défavorisés de New York (Harlem et Brooklin), qui dépasse celui de Shanghai ou Moscou. L’espérance de la durée de vie y est descendue à 66 ans. En Grande-Bretagne, l’Association nationale des médecins affirmait dans son rapport publié le 25 novembre 1996 que « des malades des temps de Dickens affectent à nouveau l’Angleterredo. Il s’agit de maladies caractéristiques de la pauvreté, comme le rachitisme ou la tuberculose ».
L'attaque aux conditions de vie de la classe ouvrière
La dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière est le principal indice de l'avancée de la crise. Comme le dit Marx dans le Capital : «la raison ultime de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l’économie capitaliste de développer les forces productives, comme si elles n’avaient pour limites que le pouvoir de consommation absolu de la société » (Chap.XVII, La Pléiade) Si l'attaque contre les conditions de vie fut relativement douce dans les années 1970, elle s'est accélérée au cours de ces 20 dernières années ([11] [267]).
Pour soutenir l'endettement, lâcher du lest et éliminer toute activité non rentable afin de pouvoir livrer la bataille féroce de la compétitivité, tous les capitaux nationaux ont fait retomber les pires effets de la crise sur la classe ouvrière : depuis les années 1980, la vie des travailleurs "privilégiés" des pays centraux ne parlons même pas de l'épouvantable situation de leurs frères dans les pays du tiers-momde - est marquée au fer rouge des licenciements massifs, de la transformation du travail fixe en travail précaire, de la multiplication des sousemplois payés misérablement, de l'allongement de la journée de travail à travers de multiples subterfuges dont la « semaine de 35 heures », de la réduction des retraites et des prestations sociales, L’augmentation vertigineuse des accidents du travail...
Le chômage est le principal et plus sûr indicateur de la crise historique du capitalisme. Consciente de la gravité du problème, la classe dominante des pays industrialisés a développé une politique de couverture politique du chômage, pour la cacher aux yeux des ouvriers et de toute la population. Cette politique, qui condamne à un carrousel tragique une grande masse d'ouvriers (un emploi précaire, quelques mois de chômage, un sous-emploi, un stage de formation, quelques mois de chômage, etc.), et à laquelle s'ajoute la manipulation scandaleuse des statistiques, permet de proclamer aux quatre vents les succès -permanents- de l'éradication du chômage.
Une étude sur le pourcentage de chômeurs compris entre 25 et 55 ans montre des Chiffres plus précis que les pourcentages en statistiques générales du chômage, qui diluent les pourcentages en y mélangeant les jeunes dont beaucoup d'entrc eux poursuivent leurs études (18-25 ans) et les travailleurs pré-retraités (56-65 ans) :
Moyenne de chômage entre 25 et 55 ans (1988-95)
France |
11,2 % |
Grande Bretagne |
13,1 % |
Etats-Unis |
14,1 % |
Allemagne |
15,0 % |
En Grande-Bretagne, le nombre de familles dont tous les membres se trouvent au chômage a suivi l'évolution suivante ([12] [268]):
1975 |
|
6,5 % |
1985 |
|
15,1 % |
1995 |
19,1 % |
La conjoncture plus immédiate des derniers mois montre une vague de licenciements sans précédent dans tous les secteurs productifs, de l'industrie aux entreprises "point.com [269]" en passant par de très anciennes entreprises commerciales comme Marks & Spencer.
L'ONU élabore en indice nommé IPH (Indice de la pauvreté humaine). Les chiffrcs pour 1998 concernant le pourcentage de la population en dessous de l'IPH dans les principaux pays industrialisés sont :
Etats-Unis |
16,5 % |
Grande Bretagne |
15,1 % |
France |
11,9 % |
Italie |
11,6 % |
Allemagne |
10,4 % |
Les salaires connaissent une baisse continue depuis plus de 10 ans. Rien qu'aux Etats-Unis, « les revenus hebdomadaires moyens – corrigés du taux d’inflation - de 80% entre 1973 et 1995, passant de 315 à 285 dollars par semaine » ([13] [270]). Ces chiffres sont confirmés par les 5années suivantes : entre juillct 1999 et juin 2000, les coûts unitaires du travail sont tombés de 0.8% aux Etats-Unis. Le salaire horaire moyen, qui était de 11,5$ en 1973, est de 10$ en 1999 ([14] [271]). Le niveau d'exploitation augmente implacablement aux EtatsUnis : pour obtenir le même niveau de salaire (en tenant compte de l'inflation), les ouvriers en 1999 doivent travailler 20 % de plus d'heures qu'en 1980.
Les limites du capitalisme
La politique de survie qu'a suivi le capitalisme a jusqu'à présent permis de maintenir la stabilité des pays centraux au prix cependant d'une aggravation croissante de la situation : « contrairement à 1929, la bourgeoisie dans les trente dernières années n’a pas été surprise ou inactive face à la crise mais à réagi en permanence afin de controler son cours. C’est ce qui donne au déploiement de la crise sa nature trés prolongée et impitoyablement profonde. La crise s'approfondit malgré tous les efforts de la classe dominante... En 1929, il n'existait pas encore un état permanent de surveillance de l'économie, des marchés financiers et des accords commerciaux internationaux, pas de brigades internationales de pompiers pour renflouer les pays en difficulté. Entre 1997 et 1999 au contraire, toutes ces économies d'une importance économique et politique considérable pour le monde capitaliste ont été anéanties malgré l'existence de tous les instruments capitalistes d'Etat » (Résolution sur la situation internationale au 13° congrès du CCI)
Face à cette situation, une méthode erronée, produit du désespoir et de l'immédiatisme, est d'attendre de façon obsessionnelle le moment de la "grande récession", quand la bourgcoisie va perdre le contrôle des événements, de sorte que la crise se manifestera enfin de façon brutale, catastrophique, condamnant de façon irrévocable le mode de production capitaliste.
Il ne s'agit pas ici d'exclure toute possibilité de récession. En 1999-2000, le capitalisme est à peine parvenu à respirer une goulée d'oxygène, en utilisant des doses extrêmement risquées des mêmes recettes qui avaient conduit à la chute fracassante de 1997-98, ce qui indique que des convulsions bien plus graves se dessinent dans un horizon assez proche. Cependant, la gravité de la crise ne se mesure pas avec les indices de chutes de production mais bien d'un point de vue historique et global, par l'aggravation de ses contradictions, la réduction progressive de ses marges de manoeuvre et surtout par la détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière.
Dans sa critique de la position de Trotsky selon laquelle, dans la phase de décadence du capitalisme, « les forces productives de l'humanité ont cessé de croître », notre brochure La décadence du capitalisme répond que " tout changement social est le résultat d’un approfondissement réel et prolongé de la collision entre rapports de production et développement des forces productives. Si nous nous situons dans l'hypothèse d'un blocage délinitif et permanent de ce développement, seul un rétrécissement `absolu' de 1'enveloppe que constituent les rapports de production existants pourrait expliquer un mouvement net d'approfondissement de cette contradiction. Or on peut constater que le mouvement qui se produit généralernent au cours des différentes décadences de l'histoire (capitalisme y compris) tend plutôt vers un élargissement de l'enveloppe jusqu'à ses dernières limites que vers un rétrécissement. Sous l'égide de 1'Etat et sous la pression des nécessités économiques, sociales, la carapace se tend en se dépouillant de tout ce qui petit s'avérer superflu aux rapports de production en n'étant pas strictement nécessaire à la survie du système. Le système se renforce mais dans ses dernières limites. "
Comprendre pourquoi le capitalisme tente de "gérer sa crise" en pratiquant une politique de survie qui consiste à en diminuer les effets dans les pays centraux fait partie intégrante de l'analyse marxiste de la décadence des moyens de production. L'Empire romain n'en avait-il pas fait autant en se repliant à Byzance en abandonnant de vastes territoires sous la pression des invasions barbares ? Le despotisme des rois féodaux ne répondit il pas de la même manière face aux progrès des rapports de production capitalistes ?
"L'affranchis,yement des esclaves sous le Bas Empire romain, celui des serfs à la fin du Moyen Age, les libertés, mêmc parcellaires que la royauté en déclin doit accorder aux nouvelles villes bourgeoises, le renforcement du pouvoir central de la Couronne, l'élimination de la noblesse d'épée au profil d'une 'noblesse de robe', centralisée, réduite et soumise directement au roi, de même que des phénomènes capitalistes tels que les tentatives de planification, les efforts pour tenter d'alléger le poids des frontiéres économiques nationales, la tendance au remplacement des bourgeois parasitaires par des `managers' effïcaces, salariés du capital, les politiques de tvpe `New Deal ' et les manipulations permanentes de certains des mécanismes de la loi de la valeur sont tous autant de témoignages de cette tendance à l'élargissement de l'enveloppe juridique par le dépouillement des rapports de production. Il n’y a pas d'arrêt du mouvement dialectique au lendemain de l'apogée d'une société. Ce mouvement se transforme alors qualitativement mais il ne cesse pas. L'intensification des contradictions inhérentes à l'ancienne société se poursuit nécessairement et pour cela, il faut bien que le développement des forces emprisonnées existe, même si ce n'est que sous sa forme la plus ralentie. " (idem)
La situation des trente dernières années répond pleinement à ce cadre d'analyse. Après plus de 50 ans de survie parmi de grands cataclysmes, le capitalisme a dû impérativement se concentrer sur la gestion politique de la crise, dans le but d'éviter un effondrement brutal dans ses centres névralgiques, qui aurait été catastrophique tant face aux contradictions accumulées pendant plus de 50 ans de survie que face à à la nécessité de s'affronter à un prolétariat non défait.
Dans son combat contre le déterminisme économiste régnant dans le milieu de l'Opposition de gauche, Bilan stigmatise la déformation grossière du marxisme qui consiste à affirmer que "le mécanisme productif représente non seulement la source de la formation des classes mais détermine automatiquement l'action et la politique des classes et des hommes qui les constituent - le problème serait ainsi simplifie : tant les hommes que les classes ne seraient plus que des maionnettes animées par les forces productives " (Bilan n° 5, "Les principes, armes de la révolution"). En réalité, "s'il est parfaitement exact que le mécanisme économique donne lieu à la formation des classes, il est totalement faux de croire que le mécanisme économique les pousse directement à prendre la voie qui mènera à leur disparition. " (idem) Pour cette raison, « 1'action des classes n'est possible qu 'en fonction d'une intelligence historique du rôle et des moyens nécessaires à leur triomphe. Les classes sont tributaires du mécanisine éconnomique pour naître et pour mourir, mais pour vaincre... elles doivent être capables de se donner une configuration politique et organique sans laquelle, même si elles ont été élues par l'évolution des forces productives, elles risquent d'être longtemps maintenues prisonnières de l'ancienne classe qui, de son côté, emprisonnera pour résister le cours même de l'évolution économique. » (idem)
On ne peut formuler avec une plus grande clarté la substance des problèmes posés par le cours actuel de la crise historique du capitalisme. Notre tâche n'est pas d'attendre la dépression apocalyptique mais de développer une analyse méthodique de l'aggravation constante de la crise en montrant l'échec cumulatif de toutes les mesures d'accompagnement que le capitalisme présente comme des modèles de dépassement de la crise et d'évolution vers des jours radieux". Tout cela en vue de l'essentiel : le développement de la lutte et surtout de la conscience du prolétariat, le fossoyeur de la société capitaliste et l'artisan de l'action de l'humanité pour construire une nouvelle société.
C’est pour cela que la Résolution du précédent congrès affirma clairement qu'il n'existe pas dans l'évolution du capitalisme "un point de non-retour économique au-delà duquel le systéme serait voué à disparaître irrévocablement, ni qu'il y aurait une limite théorique définie au montant des dettes (principale drogue du capitalisme à l'agonie) que le systême pourrait s'administrer sans rendre sa propre existence impossible. En fait, le capitalisme à déjà dépassé ses limites économiques avec l'entrée dans sa phase de décadence. Depuis lors, le capitalisme a seulement réussi à survivre par une manipulation croissante des lois du capitalisme : une tache que seul I'Etat peut effectuer.
En réalité, les limites de l’existence du capitalisme économiques mais fondalement politiques. Le dénouement de la crise historique du capitalisme dépend de l'évolution du rapport de forces entre les classes :
- soit le prolétariat développe sa lutte jusqu’à la mise en place de sa dictature révolutionnaire mondiale
- soit le capitalisme, à travers sa tendance organique vers la guerre, plonge l'humanité dans la barbarie et la destruction définitive. »
[1] [272] Lire dans la Revue internationale n° 101 les articles : « vers où le capitalisme entraine le monde » et « le siècle le plus barbare de l’histoire ». .
[2] [273] Dans cc cadre (le coopération face aux petits gangsters, les grands se sont cependant livré, à une bataille enragée pour augmenter chacun sa part du gâteau de l'économie mondiale, sur le dos de leurs rivaux.
[3] [274] "la société capitaliste dans l’époque impérialiste s’assimile à un édifice où les matériaux nécessaires à la construction des étages supérieurs sont arrachés aux étages inférieurs et aux propres fondations. Plus la construction dans les hauteurs est frénétiques et plus sont fragilisées les bases qui soutiennent l’édifice. Plus ses sommets semblent imposants et plus fragile et vacillant sont ses ciments " (lntcrnationalisme n°2, "Rapport sur la situation internationale )
[4] [275] Le chiffre rond (10 ans) est faux ; en réalité, il s'agit de 33 trimcstrcs dc croissance (c'est-à-dirc 8 an, et un trimestre). Les commentaires chantant les louanges de "l’exceptionnalité" de ce cycle de croissance oublient intentionnellement que dans les années 60 se produisit un cyclc plus long (35 trimestres).
[5] [276]Données prises dans un article de Battaglia Communista sur la nouvelle économie, Prometeo n° I 2000.
[6] [277] Source : ONU. Commission économique pour l'Europe.
[7] [278] Dans cette croissance maladive ont aussi leur poids les dépenses eu armement aux Etats-Unis) qui aprés avoir atteint leur apogée en 1985 - époque de la fameuse Guerre dcs Etoilcs deReagan -, avec 312 000 millions de $ et avoir baissé depuis 1990 jusqu'au niveau annuel de 255 000 millions de $ en 1997, ont à nouveau augmenté en 2000 jusqu'à atteindre 274 000 millions de$ (chiffres donnés par Révolution internationale n° 305).
[8] [279] Prometeo du mois de juin 2000 contient aussi un article contre le mythe de la Nouvelle économie qui apporte de solides arguments contre cette mystification.
[9] [280] Indice 100 pour le réseau de bureau équipés d'ordinateurs sans connexion permanente.
[10] [281] Contre cette explication, la classe dominante oppose d'autres visions, celles des mouvements de Prague ou dc Seattle : rejeter la responsabilité sur une certaine forme de capitalisme (le libéralisme et la globalisation) et revendiquer une "répartition plus juste", la "remise de la dette", pour accréditer l'idée que le capitalisme est en bonne santé, qu'il serait possible de le faire évoluer progressivement, que des "réformes" seraient possibles s'il "renonçait" à ces "politiques erronées— mises en avant par l'OMC, le F M I et autres "méchants".
[11] [282] C.f. n° 96 et 98 de la Revue internationale, série « 30 années de crise ouverte du capitalisme ».
[12] [283] Source : I.ondon School of Economics, étude publiée en janvier 1997.
[13] [284] Chiffres extraits d’un livre de J. Gray, auteur d’un livre intitulé Falso amanecer et qui prétend être une critique de la globalisation.
[14] [285] Chiffres, donnés par l'article précité de Battaglia Communista dans Prometeo.
1933-1946 : l'énigme russe et la Gauche communiste italienne
La « Gauche communiste » est pour une grande part le produit des fractions du prolétariat qui ont représenté la plus grande menace pour le capitalisme durant la vague révolutionnaire internationale qui a suivi la guerre de 1914-1918 : le prolétariat de Russie, d'Allemagne et d'Italie. Ce sont ces sections "nationales" qui ont fait la contribution la plus significative à l'enrichissement du marxisme dans le contexte de la nouvelle période de décadence du capitalisme inaugurée par la guerre. Mais ceux qui se sont élevés le plus haut sont aussi ceux qui sont tombés le plus bas. Nous avons vu dans les précédents articles de cette série comment les courants de gauche du parti bolchevique, après leur première tentative héroïque pour résister aux assauts de la contre-révolution stalinienne, furent presque complètement balayés par cette dernière, laissant aux groupes de gauche en dehors de Russie la tâche de poursuivre l'analyse de l'échec de la révolution russe et de définir la nature du régime qui avait usurpé son nom. Ici encore, les fractions allemande et italienne de la Gauche communiste ont joué un rôle absolument primordial, même si elles n'ont pas été les seules (l'article précédent de cette série, par exemple, a décrit l'émergence d'un courant communiste de gauche en France dans les années 1920-1930 et sa contribution à la compréhension de la question russe). Mais si le prolétariat a subi d'importantes défaites à la fois en Italie et en Allemagne, c'est certainement le prolétariat allemand qui a effectivement tenu entre ses mains le sort de la révolution mondiale en 1918-1919, qui fut écrasé avec le plus de brutalité et de sang versé par les efforts conjugués de la social-démocratie, du stalinisme et du nazisme. Ce fait tragique, en même temps qu'une faiblesse théorique et organisationnelle remontant au début de la vague révolutionnaire et même avant, a contribué à un processus de dissolution non moins dévastateur que ce qui est advenu au mouvement communiste en Russie.
Sans entrer dans une discussion pour savoir pourquoi c'est la Gauche italienne qui a le mieux survécu au naufrage causé par la contre-révolution, nous voulons réfuter une légende entretenue par ceux qui non seulement se prétendent les héritiers exclusifs de la Gauche italienne historique, mais encore réduisent la Gauche communiste, qui fut par-dessus tout une expression internationale de la classe ouvrière, à sa seule branche italienne. Les groupes bordiguistes qui expriment le plus clairement cette attitude, reconnaissent bien sûr l'importance de la composante russe du mouvement marxiste durant la vague révolutionnaire et les événements qui suivirent, mais ils l'amputent d'un bon nombre des courants de gauche les plus significatifs au sein du parti bolchevique (Ossinski, Miasnikov, Sapranov, etc.) et tendent à ne se référer de façon positive qu'aux seuls leaders "officiels" tels que Lénine et Trotsky. Mais en ce qui concerne la Gauche allemande, le bordiguisme ne fait que répéter les déformations accumulées sur elle par l'Internationale communiste : qu'elle était anarchiste, syndicaliste, sectaire, etc., et ce, précisément à une époque où l'IC commençait à ouvrir sa porte à l'opportunisme. Pour ces groupes, il est logique d'en conclure qu'il ne saurait être question de débattre avec des courants qui proviennent de cette tradition ou qui ont essayé de réaliser une synthèse des contributions des différentes Gauches.
Ceci ne fut en aucune manière la démarche adoptée par Bordiga, soit dans les premières années de la vague révolutionnaire, quand le journal Il Soviet ouvrait ses colonnes à ceux qui faisaient partie de la Gauche allemande ou se trouvaient dans son orbite tels Gorter, Pannekoek et Pankhurst ; ou bien dans la période de reflux, comme en 1926, quand Bordiga répondait très fraternellement à la correspondance reçue du groupe de Korsch.
La Fraction italienne a maintenu cette attitude durant les années 1930. Bilan fut très critique par rapport aux dénigrements faciles portés par l'IC à l'encontre de la Gauche germano-hollandaise et ouvrit volontiers ses colonnes aux contributions de ce courant, comme il le fit pour les questions sur la période de transition. Bien qu'il ait eu de profonds désaccords avec les "internationalistes hollandais", il les respectait comme une authentique expression du prolétariat révolutionnaire.
Avec le recul. nous pouvons dire que sur de nombreuses questions cruciales, la Gauche germano-hollandaise est arrivée plus rapidement que la Gauche italienne à des conclusions correctes : par exemple, sur la nature bourgeoise des syndicats ; sur le rapport entre le parti et les conseils ouvriers ; et sur la question traitée dans cet article : la nature de l'URSS et la tendance générale vers le capitalisme d' Etat.
Dans notre livre sur la Gauche hollandaise, par exemple, nous signalons que Otto Rühle, une des principales figures de la Gauche allemande, avait atteint des conclusions très avancées sur le capitalisme d'Etat dés 1931.
«un des premiers théoriciens du communisme de conseil à examiner en profondeur le phénomène du capitalisme d'Etat fut Otto Rühle. Dans un remarquable livre d’avant-garde à Berlin en 1931 sous le pseudonyme de Karl Steuermann, Rühle a montré que la tendance au capitalisme d’Etat était irréversible et qu’aucun pays ne pouvait y échapper à cause de la nature mondiale de la crise. Le chemin suivi par- le capitalisme n'était pas un changement de nature, mais de forme, dans le but d’assuerer sa survie en tant que système : «la formule pour le salut du monde capitaliste est : changement de forme, transformation des dirigeants, ravalement de façade, sans renoncer à son but qui est le profit. La question est de chercher un moyen qui permettra au capitalisme de continuer à un autre niveau, dans un autre domaine d'évolution.»
Rülhe envisageait grosso modo trois formes de capitalisme d’Etat correspondant aux différents niveaux de développement. A cause de son retard économique, la Russie représentait la forme extrême de capitalisme d’Etat : «l'économie planifiée fut introduite en Russie avant que l'économie capitaliste libérale eût atteint son zénith, avant que son processus vital l'eût conduite à la sénilité.» Dans le cas de la Russie, le secteur privé fut totalement contrôle et absorbé par l’Etat. A 1’opposé dans une économie capitaliste plus développée comme en Allemagne, c'est le contraire qui est arrivé : le capital privé a pris le contrôle de l’Etat. Mais le résultat fut identique : le renforcement du capitalisme d’Etat : «Il y a une troisième voie pour arriver au capitalisme d'Etat. Non par l'expropriation du capital par l'Etat, mais par le contraire : le capital privé s'empare de l'Etat.»
La deuxième méthode, qui pourrait être considérée comme un mélange des deux, correspond à l’appropriation graduelle par l’Etat de secteurs du capital privé : «[l'Etat] conquiert une influence grandissante sur l'industrie entière : peu à peu il devient le maître de l'économie.»
De toute façon,le capitalisme d'Etat ne peut être en aucun cas une «solution» pour le capitalisme .Il ne représente qu'un soin palliatif pour la crise du système: «le capitalisme d'Etat est toujours du capitalisme (...) même sous la forme de capitalisme d'Etat, le capitalisme lie peut espérer prolonger longtemps son existence. Les mêmes difficultés et les mêmes conflits qui l'obligent à aller de la forme privée vers la forme étatisée réapparaissent à un niveau plus élevé.» Aucune « internationalisation » du capitalisme d’Etat ne pourrait résoudre le problème du marché : «la suppression de la crise n'est pas un problème de rationalisation, d'organisation ou de production de crédit, c'est purement et simplement le problème de vendre.». -
Bien que, comme le précise notre livre, la démarche de Rühle ait contenu une contradiction en ce qu'il voyait aussi le capitalisme d'Etat comme une sorte de forme "supérieure" du capitalisme préparant la voie vers le socialisme, son livre reste "une contribution de premier ordre au marxisme ". En particulier, en présentant le capitalisme d'Etat comme une tendance universelle dans la nouvelle période, il établissait les bases établies pour détruire l'illusion selon laquelle le régime stalinien en Russie représentait une totale exception par rapport au reste du système mondial.
Et Pourtant Rühle incarne les faiblesses de la Gauche allemande tout autant que ses indéniables forces. Premier délégué du KAPD au 2° congrès de l'IC en 1920, Rühle vit en tout premier lieu la terrible bureaucratisation qui s'était déjà emparée de l'Etat soviétique. Mais, sans prendre le temps de comprendre les origines de ce processus dans le tragique isolement de la révolution, Rühle quitta la Russie sans même essayer de défendre les points de vue de son parti au congrès, et rejeta rapidement toute position de solidarité envers le bastion russe assiégé. Exclu du KAPD pour cette transgression, il commença à développer les bases du "conseillisme" : la révolution russe n'était rien d'autre qu'une révolution bourgeoise, la forme parti ne servait qu'à de telles révolutions ; tous les partis politiques étant bourgeois par essence, il était maintenant nécessaire de fusionner les organes économiques et politiques de la classe en une seule organisation "uni fiée". Beaucoup au sein de la Gauche allemande ont certes résisté à ces idées dans les années 1920, et même dans les années 1930, elles n'étaient en aucune façon acceptées universellement parmi le mouvement du communisme de conseils, comme on peut le voir dans le texte extrait de Rüte Korrespondenz que nous avons publié dans la Revue Internationale n° 105. Mais elles ont certainement causé d'importants dégâts dans la Gauche germano-hollandaise et grandement accéléré son effondrement organisationnel. En même temps, en déniant tout caractère prolétarien à la révolution russe et au parti bolchevique, elles ont bloqué toute possibilité de compréhension du processus de dégénérescence auquel tous deux succombèrent. Ces vues reflétaient bien le poids réel de l'anarchisme dans le mouvement ouvrier allemand, et ont rendu bien plus facile l'amalgame entre toute la tradition de la Gauche communiste allemande et l'anarchisme.
La Gauche italienne : paulatim sed firmiter ([1] [286])
Dans le précédent article de cette série, nous avons vu que, au sein du milieu politique entourant l'Opposition de gauche de Trotsky, y compris maints groupes qui s'orientaient vers les positions de la Gauche communiste, subsistait une énorme confusion sur la question de l'URSS à la tin des années 1920 et au cours des années 1930 ; en particulier l'idée que la bureaucratie était une sorte de nouvelle classe, non prévue par le marxisme, n'était pas la moindre. Etant donnée la profonde faiblesse théorique qui prédominait aussi dans la Gauche germano-hollandaise, il n'est pas surprenant que la Gauche italienne ait abordé ce problème avec énormément de prudence. Par rapport à beaucoup d'autres groupes prolétariens, c'est très lentement qu'elle en vint à reconnaître la véritable nature de la Russie stalinienne. Mais parce qu'elle était solidement ancrée à la méthode marxiste, ses ultimes conclusions furent plus cohérentes et plus approfondies.
La Fraction a abordé 1’"énigme russe" de la même manière qu'elle a abordé les autres aspects du "bilan" qui devait être tiré des combats révolutionnaires titanesques de la période qui avait suivi la 1° guerre mondiale , et par dessus tout des défaites tragiques que le prolétariat avait subies ; avec patience et rigueur, évitant tout jugement hâtif se basant sur les conclusions que la classe avait tirées une fois pour toute avant de remettre en question des positions difficilement acquises. Pour ce qui concerne la nature de l'URSS, la Fraction était en continuité directe avec la réponse de Bordiga à Korsch, que nous avons examinée dans le dernier article : pour elle, ce qui était clairement établi, c'était le caractère prolétarien de la révolution d'octobre et du parti bolchevique qui la dirigea. En fait, nous pouvons dire que la compréhension grandissante, par la Fraction, de l'époque inaugurée par la guerre - époque de la décadence du capitalisme- lui a permis de voir, plus clairement que Bordiga, que seule la révolution prolétarienne était à l'ordre du jour de l'histoire, dans tous les pays. Elle n'avait donc pas de temps à perdre en spéculations sur le caractère "bourgeois" ou "double" de la révolution russe. Une idée qui, nous l'avons vu, avait une emprise croissante sur la Gauche germano-hollandaise. Pour Bilan, rejeter le caractère prolétarien de la révolution d'octobre ne pouvait que résulter d'une sorte de "nihilisme prolétarien", d'une véritable perte de confiance dans la capacité de la classe ouvrière de jamais accomplir sa propre révolution (la formule est tirée d'un article de Vercesi : "L'Etat soviétique" de la série "Parti, Internationale, Etat dans Bilan n° 21).
Rien de ceci ne signifie que la Fraction était "mariée" à la notion d"`invariance du marxisme" depuis 1848, notion qui est devenue Lin credo pour les bordiguistes d'aujourd'hui. Au contraire : dès le départ - en fait l'éditorial du n° 1 de Bilan - elle s'est engagée à examiner les leçons des récents combats de classe « sans dogmatisme ni ostracisme » et ceci l'a conduite à exiger Lune révision fondamentale de quelques-unes des thèses de base de l'Internationale communiste, par exemple sur la question nationale. En ce qui concerne l'URSS, tout en insistant sur la nature prolétarienne d'Octobre, elle a reconnu aussi que dans les années écoulées une profonde transformation s'était produite, de sorte qu'au lieu d'être un facteur de défense et d'extension de la révolution mondiale, l’"Etat prolétarien" avait joué un rôle contre-révolutionnaire à l'échelle mondiale.
Un point de départ tout aussi crucial pour la Fraction était que les besoins du prolétariat à l'échelle internationale avaient toujours priorité sur toute expression locale ou nationale, et qu'en aucune circonstance on ne pouvait transiger avec le principe de l'internationalisme prolétarien. C'est pourquoi le Parti communiste italien avait toujours défendu l'idée que l'Internationale devait se considérer comme un unique parti mondial dont les décisions liaient toutes ses sections, même celles, comme en Russie, qui détenaient le pouvoir d'Etat dans certains pays c'est aussi pour cette raison que la Gauche italienne s'est immédiatement rangée aux côtés de l'Opposition de Trotsky dans son combat contre la théorie de Staline dit socialisme en un seul pays.
En fait, pour la Fraction, « il est non seulement impossible de construire le socialisme dans un seul pays mais aussi d'en établir les bases. Dans le pays où le prolétariat a vaincu, il ne s'agit point de réaliser une condition du socialisme (au travers de la libre gestion économique de la part du prolétariat) mais seulement de sauvegarder la révolution, ce qui exige le maintien de toutes Ies institutions de classe du prolétariat. " ("Nature et évolution de la révolution russe - réponse ait camarade Hennaut", Bilan n°35, septembre 1936, p. 117 I ) Ici la fraction est allée plus loin que Trotsky, qui, avec sa théorie de l’ « accumulation socialiste primitive » considérait que la Russie avait en fait commencé à poser les fondations d'une société socialiste, même s'il rejetait ce que prétendait Staline : cette société était déjà advenue. Pour la Gauche italienne, le prolétariat ne pouvait en réalité qu'établir la domination politique dans un pays, et même, ceci serait inévitablement sapé par l'isolement de la révolution.
Internationalisme ou défense de l'URSS ?
Et pourtant, malgré sa clarté fondamentale, la position de la majorité au sein de la Fraction, était, en apparence du moins, similaire à celle de Trotsky : l'URSS restait un Etat prolétarien, mérite s'il était profondément dégénéré, sur la base du fait que la bourgeoisie avait été expropriée et que la propriété restait entre les mains de l'Etat qui avait surgi de la révolution d'octobre. La bureaucratie stalinienne était définie comme une couche parasite, mais n'était pas vue comme une classe - qu'il s'agisse d'une classe capitaliste ou d'une nouvelle classe non prévue par le marxisme : « la bureaucratie russe n 'est pas mie classe, encore moins une classe dominante, étant donné qu' il n'existe pas de droits particuliers sur la production en dehors de la propriété privée des moyens de production et qu’ en Russie, la collectivisation subsiste dans ses fondements I1 est bien vrai que la bureaucratie russe consomme une large portion du travail social : mais il en fut ainsi pour tout parasitisme social qu'il ne faut pas confondre pour cela avec l'exploitation de classe. " ("Problème de la période de transition, 4° partie", Bilan n° 37, nov.-dec. 1936)
Durant les premières années de la vie de la Fraction, la question de savoir s'il fallait défendre ce régime ne fut pas complètement résolue, et elle demeura ambiguë dans le premier numéro de Bilan en 1933, où le ton donné est d'alerter le prolétariat d'une trahison possible : "Les factions de gauche ont le devoir d' alerter le prolétariat du rôle qu'a déjà joué l'URSS dans le mouvement ouvrier, d'indiquer d'ores et déjà l'évolution que prendra l'Etat prolétarien sous la direction du centrisme. Dès maintenant, la désolidarisation doit être flagrante avec la politique imposée par le centrisme de l'Etat ouvrier. L’alarme doit être jetée parmi la classe ouvrière contre la position que le centrisme imposera à l'Etat russe non dans ses intérêts, mais contre ses intérêts. Demain, et il faut le dire dès aujourd'hui, le centrisme trahira les intérêts du prolétariat.
Une telle attitude vigoureuse et de nature à réveiller l'attention des prolétaires, d'arracher les membres dit parti à l'emprise du centrisme, de défendre réellement l'Etat ouvrier. Seule, elle mobilise des énergies pour la lutte qui gardera au prolétariat Octobre 1917. " ("Vers l'Internationale deux trois-quarts" Bilan n° l, nov. 1933, p. 26)
En même temps la Fraction a toujours été vivement consciente de la nécessité de suivre l'évolution de la situation mondiale et de juger sur un critère simple mais clair la question de la défense de l'URSS : celle-ci jouait-elle ou non un rôle complètement contre-révolutionnaire au niveau international '? Une politique de défense sapait-elle la possibilité de maintenir un rôle strictement internationaliste dans tous les pays ? Si tel était le cas, alors cela aurait beaucoup plus de poids que de savoir s'il subsistait quelques "acquis" concrets de la révolution d'octobre à l'intérieur de la Russie. Et ici, son point de départ était radicalement différent de celui de Trotsky, pour qui le caractère "prolétarien" du régime était en soi une justification suffisante pour une politique de défense, quel que soit son rôle sur l'arène mondiale.
La démarche suivie par Bilan vis-à-vis de ce problème était intimement liée à sa conception du cours historique : à partir de 1933, la Fraction déclara avec une certitude croissante que le prolétariat avait subi une profonde défaite, et que le cours était maintenant ouvert pour une deuxième guerre mondiale. Le triomphe du nazisme en Allemagne en fut une preuve, l'embrigadement du prolétariat dans les pays "démocratiques" derrière le drapeau de l'anti-fascisme en fut une autre, mais une ultime confirmation fut précisément la "victoire du centrisme" - terme que Bilan utilisait encore pour décrire le stalinisme- à l'intérieur de l'URSS et des partis communistes, et en même temps, l'incorporation croissante de l'Union soviétique dans 1a marche vers une nouvelle re-division impérialiste du globe. Ceci était évident pour Bilan en 1933, quand l' URSS fut reconnue par les Etats-Unis (un événement décrit comme "Une victoire pour la contre révolution mondiale " dans le titre d'un article de Bilan n° 2, déc . 1933). Quelques mois plus tard fut accordé à l'URSS le droit d'entrer à la SDN (la Société des Nations, ancêtre de l'ONU) : "l' entrée de la Russie dans la S. D. N. pose immédiatement le problème de la participation de la Russie à l'un des blocs impérialistes pour la prochaine guerre. " ( "La Russie soviétique entre dans le concert des brigands impérialistes ", Bilan n° 8, juin 1934, p.263) Le rôle brutal contre la classe ouvrière joué par le stalinisme fut confirmé parla suite par celui qu'il a joué dans le massacre des ouvriers en Espagne, et par les procès de Moscou, à travers lesquels une génération entière de révolutionnaires fut balayée.
Cette évolution conduisit la Fraction à rejeter définitivement toute politique de défense de l'URSS. Et ceci marqua un nouveau degré dans la rupture entre la Fraction et le trotskisme. Pour ce dernier, il existait une contradiction fondamentale entre "l'Etat prolétarien" et le capital mondial. Celui-ci avait un intérêt objectif à s'unir contre l'URSS, et c'était donc le devoir des révolutionnaires de la défendre contre les attaques impérialistes. Pour Bilan, par contre il était clair que le monde capitaliste pouvait facilement s'adapter à l'existence de l’Etat soviétique et de son économie nationalisée, à la fois au niveau économique et surtout au niveau militaire. Il a prédit avec une terrible exactitude que l'URSS serait complètement intégrée à l'un ou l'autre des deux blocs impérialistes qui allaient s'engager dans la future guerre, même si la question de savoir dans quel bloc particulier n'avait pas encore été tranchée. La Fraction démontra de façon très explicite que la position trotskiste de défense ne pouvait conduire qu'à l'abandon de l'internationalisme face à la guerre impérialiste : "En outre, selon les Bolcheviques-léninistes en cas «d'alliance de l'URSS avec un Etat impérialiste ou avec un groupement impérialiste contre un autre groupement», le prolétariat devra quand même défendre l'URSS. Le prolétariat d'un pays allie maintiendrait son hostilité implacable envers son gouvernement impérialistes, mais pratiquement ne pourrait en toutes circonstances agir comme !e prolétariat d’un pays adverse de la Russie. Ainsi, «il serait, par exemple, absurde et criminel, en cas de guerre entre l'URSS et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi d'armes américaines à l'URSS.»
Nous n'avons, naturellement, rien de commun avec ces positions. Une fois engagée dans la guerre impérialiste, la Russie, non pas objet en soi, mais instrument de la guerre impérialiste, doit être considérée en fonction de la lutte pour la révolution mondiale, c'est-à-dire en fonction de la lutte pour l'insurrection prolétarienne dans tous les pays.
D’ailleurs la position des bolchéviks-léninistes ne se distingue déjà plus de celle des centristes et des socialistes de gauche. Il faut défendre la Russie, même si elle s'allie avec un Etat impérialiste, tout en maintenant une lutte impitoyable contre «l’allié » ! Mais cependant cette «lutte impitoyable » contient déjà une trahison de classé, dès qu' il est question d'interdiction de grève contre la bourgeoisie «alliée». L'arme spécifique de la lutte prolétarienne est précisément la grève et l'interdire contre une bourgeoisie, c'est en réalité renforcer ses positions et empêcher toute lutte réelle. Comment les ouvriers d'une bourgeoisie alliée â la Russie peuvent-ils lutter impitoyablement contre cette dernière s'ils ne peuvent pas déclencher des mouvements de grève ?
Nous estimons qu'en cas de guerre, le prolétariat de tous les pays, y compris en Russie, aurait pour devoir de se concentrer en vue de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. La participation de l'URSS à une guerre de rapine n'en modifierait pas le caractère essentiel et l'Etat prolétarien ne pourrait que sombrer sous les coups des contradictions sociales qu'une telle participation entraînerait. " ("De l'Internationale deux trois-quarts à la deuxième Internationale", Bilan n' 10, août 1934, p. 345-346) Ce passage est particulièrement prophétique : pour les trotskistes, la "défense de l'URSS" devint un simple prétexte pour la défense des intérêts nationaux de leurs propres pays.
Loin d'être une force intrinsèquement hostile au capital mondial, la bureaucratie stalinienne était perçue comme étant son agent- comme une force à travers laquelle la classe ouvrière russe subissait l'exploitation capitaliste. Dans de nombreux articles, Bilan a bien montré avec force que cette exploitation était précisément cela, une forme d'exploitation capitaliste : "...en Russie, comme dans les autres pays la course effrénée de l’industrialisation conduit inexorablement à faire de l'homme une pièce de l'engrenage mécanique de la production industrielle. Le niveau vertigineux atteint pur le développement de la technique impose une organisation socialiste de la société. Le progrès incessant de l'industrialisation doit s’harmoniser avec les intérêts des travailleurs, autrement ces derniers deviennent les prisonniers, et, enfin, les esclaves des forces de l'économie. Le régime capitaliste est l'expression de cet esclavage car, au travers de cataclysme économiques et sociaux, il peut y trouver la source de sa domination de la classe ouvrière. En Russie, c’est sous la loi de 1'accumulation capitaliste que se réalisent les constructions gigantesques d’ateliers, et les travailleurs sont à la merci de la logique de cette industrialisation :ici accidents de chemins de fer, là dans les mines, ailleurs catastrophes dans les ateliers. " ("Le procès de Moscou", Bilan n' 39, jan-fev. 1937, p. 1271 ) De plus, Bilan reconnaît que la nature extrêmement féroce de cette exploitation est déterminée par le fait que la "construction du socialisme" par l'URSS, l'industrialisation accélérée des années 30, était en fait la construction d'une économie de (,Lierre en préparation du prochain holocauste mondial : "L’Union soviétique comme les Etals capitalistes avec lesquels elle est liée se doit d’œuvrer en vue d’une guerre qui s’annonce de plus en plus proche :1’industrie essentielle de l'économie doit donc ce/rc celle des armement nécessitant des capitaux sans cessé croissant. ("L'assassinat de Kyrov, la suppression des tickets de pain en URSS (Bilan n° l4, janvier 1935, p. 467) Ou encore : « la bureaucratie centriste russe soutire la plus-value de ses ouvriers et de ses paysans en vue de la préparation de la guerre. La Révolution d'Octobre issue de la lutte contre la guerre impérialiste de 1914, est exploitée par les épigones dégénérés pour pousser les nouvelles générations à la guerre impérialiste » ("La boucherie (le Moscou", Bilan n'34, août-sept. 1936, p. 1117)
Ici, la contradiction avec la démarche de Trotsky est clairement évidente : tandis que Trotsky ne pouvait s'empêcher dans La Révolution trahie de chanter les louanges des énormes réalisations économiques de l'URSS qui étaient supposées démontrer la "supériorité du socialisme", Bilan répliquait qu'en aucun cas le progrès vers le socialisme ne pourrait se mesurer par la croissance du capital constant, mais seulement par une réelle amélioration des conditions de vie et de travail des masses . "Mais si la bourgeoisie établie sa bible sur la nécessité d’une croissance continue de la plus-value afin de la convertir en capital, dans l’intérêt commun de toutes les classes (sic), le prolétariat par contre doit agir dans la direction d’une diminution constante du travail non payé ce qui amène inévitablement comme conséquence un rythme de l’accumulation suivant extrêmement ralenti par rapport à l’économie capitaliste" "L'Etat soviétique" Bilan n° 21, juil-août 1935, p. 720). De plus, cette vision trouvait ses racines dans la compréhension par Bilan de la décadence du capitalisme : le refus de reconnaître que l'industrialisation stalinienne était un phénomène "progressiste" n'était pas seulement basé sur la reconnaissance qu'elle s'appuyait sur la misère absolue des masses, mais aussi sur la compréhension de sa fonction historique comme participant à la préparation à la guerre impérialiste, elle-même expression la plus manifeste de la nature régressive du système capitaliste.
Si on se souvient aussi que Bilan était parfaitement au courant de ce passage de l'Anti-Dühring où Engels rejette l'idée que l'étatisation en soi a un caractère socialiste, et qu'il a utilisé plus d'une fois cet argument pour réfuter ce que prétendaient les apologues du stalinisme (cf. "L'Etat soviétique", op.cité, "Problèmes de la période de transition" Bilan n° 37 ), on peut se rendre compte que Bilan fut très près de voir l'URSS sous Staline comme un régime capitaliste et impérialiste. Finalement, il était lui aussi contraint de reconnaître que partout le capitalisme s'appuyait de plus en plus sur l'intervention de l' Etat pour échapper aux effets de l'effondrement économique mondial et pour se préparer à la guerre à venir. Le meilleur exemple de cette analyse est contenu dans les articles sur le plan De Man en Belgique dans les numéros 4 et 5 de Bilan. Il ne pouvait pas ignorer les similitudes entre ce qui se passait en Allemagne nazie, dans les pays démocratiques et en URSS.
Et cependant, Bilan hésitait encore à se débarrasser de l'idée que l'URSS était un Etat prolétarien. II était parfaitement conscient que le prolétariat russe était exploité, mais il avait tendance à exprimer ceci comme un rapport qui lui était directement imposé par le capital mondial sans l'intermédiaire d'une bourgeoisie nationale : la bureaucratie stalinienne était vue comme un "agent du capital mondial" plutôt que comme une expression du capital national russe avec sa propre dynamique impérialiste. Cette insistance mise sur le rôle principal du capital mondial était complètement en cohérence avec sa vision internationaliste et sa profonde compréhension que le capitalisme est avant tout un système global de domination. Mais le capital global, l'économie mondiale, n'est pas une abstraction existant en dehors de l'affrontement des capitaux nationaux en compétition. Ce fut cette dernière pièce du puzzle que la Fraction ne réussit pas à mettre en place.
En même temps, ses derniers écrits semblent exprimer une intuition croissante que ses positions sont contradictoires, et ses arguments en faveur de la thèse de 1"`Etat prolétarien" devenaient de plus en plus défensifs et peu étayés :
"Ma/gré la révolution d'Octobre, tout de la première à la dernière pierre de l'édifice construit sur le martyre des ouvriers russes, devra être balayé, car c'est la seule condition permettant d'affirmer une position de classe en URSS. Nier la «construction du socialisme» pour arriver à la révolution prolétarienne voilà où l'involution de ces dernières années a conduit le prolétariat russe. Si l'on nous objecte que l'idée de la révolution prolétarienne contre un Etat prolétarien est un non-sens et qu' il s'agit d'harmoniser les phénomène en appelant cet Etat un Etat bourgeois, nous répondons que ceux qui raisonne de la sorte ne font qu 'exprimer une confusion sur le problème déjà traité par nos maîtres : les rapports du prolétariat et de l'Etat, confusion qui les conduira vers l'autre extrême : la participation à l'Union Sacrée autour de 1 'Etat capitaliste de la Catalogne. Ce qui prouve que tant du côté de Trotski où sous prétexte de défendre les conquêtes d'Octobre on défend l'Etat russe, que de l'autre coté où l'on parle d’un Etat capitaliste en Russie il y a une altération du marxisme qui conduit ces gens à défendre l'Etat capitaliste menacé en Espagne. " ("Quand le boucher parle", Bilan n° 41, mai-juin 1937, p. 1339) Cette argumentation était fortement marquée par la polémique avec des groupes comme l'Union communiste et la Ligue des communistes internationalistes sur la guerre d'Espagne, mais elle ne parvient pas à établir le lien logique entre la défense de la guerre impérialiste en Espagne et la conclusion que la Russie est devenue un Etat capitaliste.
En fait, un certain nombre de camarades à l'intérieur même de la Fraction commencèrent à remettre cri question la thèse de l'Etat prolétarien, et ce n'était pas du tout les mêmes que la minorité qui est tombée sous l'influence de groupes comme l'Union ou la LCI sur la question de l'Espagne. Mais quelle qu'ait été la discussion sur ce sujet au sein de la Fraction dans la deuxième moitié des années 1930, elle fut éclipsée par un autre débat provoqué par le développement de l'économie de guerre à une échelle internationale : le débat avec Vercesi qui avait commencé à soutenir que le recours à l'économie (le guerre par le capitalisme avait absorbé la crise et éliminé la nécessité d'une autre guerre mondiale). La Fraction fut littéralement épuisée par ce débat, et, comme les idées de Vercesi influençaient la majorité, elle se trouva dans le plus profond désarroi quand la guerre éclata (voir notre livre La Gauche communiste d'Italie pour un compte-rendu plus développé de ce débat).
II avait toujours été posé comme un axiome que la guerre allait finalement clarifier le problème de l'URSS. et on en eut la preuve. Ce n'est pas un hasard si ceux qui s'étaient opposés ait révisionnisme de Vercesi, sont aussi ceux qui ont le plus activement appelé à la reconstitution de la Fraction italienne et à la formation du Noyau français de la Gauche communiste. Ce sont ces mérites camarades qui ont mené le débat sur la question de l'URSS. Dans sa déclaration de principes initiale, le Noyau français définissait encore l'URSS comme un "instrument de l'impérialisme mondial". Mais en 1944 la position de la minorité était parfaitement claire « l’avant-garde communiste sera capable de mener à bien sa tache de guide du prolétariat vers la révolution dans la mesure où elle sera capable de se libérer elle-même du grand mensonge de la « nature prolétarienne » de l’Etat russeet de dévoiler de ce dernier pour ce qu’il est, de révéler sa nature et sa fonction capitaliste contre révolutionnaire »
Il suffit de noter que le but de la production reste l’extraction de la plus-value, pour affirmer le caractère capitaliste de l’économie. L’Etat russe a participé au cours vers la guerre, pas seulement à cause de sa fonction contre révolutionnaire dans l’écrasement du prolétariat, mais à cause de sa propre nature capitaliste, à travers la nécessité de défendre ses ressources de matières premières, à travers la nécessité de s’assurer une place sur le marché mondial où il réalise sa plus-value, à travers le désir, la nécessité, d’élargir ses sphères d’influences économiques et de s’ouvrir des voies d’accès » (la nature non-prolétarienne de l’Etat russe et sa fonction contre-révolutionnaire, Bulletin International de Discussion n° 6, juin 1944) L'URSS avait sa propre dynamique impérialiste trouvant son origine dans le processus d'accumulation ; elle était poussée à l'expansion car l'accumulation ne petit se faire en circuit fermé ; la bureaucratie était donc une classe dirigeante dans tous les sens du terme. Ces prévisions furent amplement confirmées par la brutale expansion de l'URSS cri direction de l'Europe de l'Est à la fin de la guerre.
Le processus de clarification continua après la guerre, principalement encore avec le groupe français qui pris le nom de Gauche communiste de France. Les discussions continuèrent aussi dans le Partito Communista Internazionalista (PClnt) nouvellement formé, mais malheureusement elles ne sont pas bien connues. II semblerait qu'il y avait énormément d'hétérogénéité. Quelques camarades du PC'Int développèrent des positions proches de celles de la GCF ; tandis que d'autres sombrèrent dans la confusion. L'article ds laGCF :"Propriété privée et propriété collective", Intertionalisme n° 10, 1946 (republié dans la Revue internationale n° 61 ) critique Vercesi qui avait rejoint le PClnt, parce qu'il maintenait l'illusion que, même après la guerre, l'URSS pouvait encore être définie comme un Etat prolétarien. Bordiga, pour sa part, avait recours à ce moment-là au terme dénué de sens de "industrialisme d'Etat" ; et bien que plus tard il en vint à considérer l'URSS comme étant capitaliste, il n'accepta jamais le terme de capitalisme d'Etat et sa signification comme expression de la décadence du capitalisme. Dans cet article du n° 10 d'lrrternutiur7crli.snte, par contre, se trouvent réunies toutes les données essenticl les du problème. Dans ses études théoriques de la tin des années 1940, début des années 1950, la GCF les rassembla en un tout homogène. Le capitalisme d'Etat était analysé comme "la forme correspondant à la phase de décadence du capitalisme, comme le fut le capitalisme de monopole à sa phase de plein développement"; de plus, ce n'était pas quelque chose limité à la Russie : "le capitalisme d’Etat n’est pas l’apanage d’une fraction de la bourgeoisie ou bien d’une école idéologique particulière. Nous le voyons s’instaurer aussi bien en Amérique démocratique que dans l’Allemagne hitlérienne, dans l’Angleterre « travailliste » que dans la Russie « soviétique »". En allant au-delà de la mystification selon laquelle l'abolition de la "propriété privée" individuelle permettait de se débarrasser du capitalisme, la GCF fut capable de situer son analyse sur les racines matérielles de la production capitaliste :
« L’expérience russe nous enseigne et nous rappelle que ce ne sont pas les capitalistes qui font le capitalisme, mais bien le contraire : c’est le capitalisme qui engendre des capitalistes. Le principe capitaliste de la production peut exister après la disparition juridique et même effective des capitalistes bénéficiaires de la plus-value. Dans ce cas, la plus-value tout comme sous le capitalisme privé, sera réinvestie dans le procès de la production en vue de l’extirpation d’une plus grande masse de plus-value ».
Dans un court délai, l'existence de la plus-value engendrera des hommes formant la classe qui s'appropriera la Jouissance de la plus-value. La fonction créera l'organe. Qu'ils soient des parasites, clés bureaucrates ou des techniciens participant à la production, que la plus-value se répartisse d'une façon directe ou d'une façon indirecte par le truchement de l'Etat, sous la forme de hauts salaires ou de dividendes proportionnels à leurs actions et emprunts d'Etat (comme c'est le cas en Russie), tout cela ne changera en rien le fait fondamental que nous nous trouverons en présence d'une nouvelle classe capitaliste."
La GCF, en continuité avec les études de Bilan sur la période de transition, en tira toutes les implications nécessaires pour cc qui concerne la politique économique du prolétariat après la prise du pouvoir politique. D'une part, le refus de confondre étatisation avec socialisme, et la reconnaissance qu'après la disparition des capitalistes privés "la menace redoutable d’un retour du capitalisme se trouvera essentiellement dans le secteur étatisé. Cela d’autant plus que le capitalisme se trouve ici sous sa forme impersonnelle, pour ainsi dire éthérée. L’étatisation peut servir à camoufler longtemps un processus opposé au socialisme" (idem) D'autre part la nécessité d'une politique économique prolétarienne qui s'attaque radicalement au processus de base de l'accumulation du capital : "au principe capitaliste de travail accumulé commandant le travail vivant en vue de la production de plus-value, doit être substituer le principe du travail vivant commandant le travail accumulé en vue de la production de consommation pour la satisfaction des membres de la société" (idem) Ceci ne voulait pas dire qu'il sera possible d'abolir le surtravail en tant que tel, surtout immédiatement après la révolution lorsque tout un processus de reconstruction sociale serait nécessaire. Cependant, la tendance à l'inversion du rapport capitaliste entre ce que le prolétariat produit et ce qu'il consomme « pourra servir d’indication de l’évolution de l’économie et être le baromètre indiquant la nature de classe de la production »(idem)
Ce n'est pas un hasard si la GCF n'a pas craint d'inclure les visions les plus perspicaces de la Gauche germano hollandaise dans ses bases programmatiques. Dans la période d'après-guerre, la GCF consacra d'importants efforts pour renouer le dialogue avec cette branche de la Gauche communiste (voir notre brochure sur la Gauche communiste de France). Sa clarté sur des questions telles que le rôle des syndicats et les rapports entre le parti et les conseils ouvriers furent certainement le fruit de ce travail de synthèse. Mais on peut dire la même chose sur sa compréhension de la question du capitalisme d'Etat : les prévisions que la Gauche allemande avait développées quelques décennies avant, étaient maintenant intégrées dans la cohérence théorique globale de la Fraction italienne.
Ceci ne veut pas dire que le problème dit capitalisme d'Etat était définitivement clos : en particulier, l'effondrement des régimes staliniens à la fin des années 80 a nécessité de pousser plus avant la réflexion et la clarification sur la manière dont la crise économique capitaliste a affecté ces régimes et a conduit à leur effondrement. Mais c'est la question russe qui détermina de façon nette et définitive à la fin du second holocauste impérialiste la frontière de classe : à partir de ce moment, seuls ceux qui reconnaissaient la nature capitaliste et impérialiste des régimes staliniens pouvaient rester dans le camp prolétarien et défendre les principes internationalistes face à la guerre impérialiste. La preuve en négatif de ceci est fournie par la trajectoire du trotskisme, dont la position de défense de l'URSS l'a conduit à trahir l'internationalisme pendant la pierre, et dont l'adhésion continue à la thèse de l"`Etat ouvrier dégénéré" l'a conduit à faire l'apologie du bloc impérialiste russe durant la guerre froide. La preuve en positif est fournie par les groupes de la Gauche communiste, dont la capacité à défendre et à développer le marxisme pendant la période de décadence du capitalisme leur a permis finalement de résoudre l'énigme russe et de préserver la bannière du communisme authentique exempt des souillures de la propagande bourgeoise.
CDW.
Nous publions ci-dessous la suite du courrier publié dans le numéro précédent que nous a fait parvenir un de nos contacts proches qui exprime un désaccord avec notre position sur les explications économiques de la décadence du capitalisme.
Dans le texte qui suit, nous continuons le développement de notre réponse commencée dans le numéro précédent et qui s'attache essentiellement à la méthode pour appréhender ce débat. De fait, nous ne reprenons pas directement les questions et la critique que le camarade nous adresse dans cette deuxième partie de son courrier. Nous y reviendrons dans un prochain article en particulier pour répondre à la question de la reconstruction de l'après-guerre des années 1950 et 1960 qui ne peut s'expliquer par la seule dévalorisation du capital constant et l'augmentation de la part du capital variable dans la composition organique du capital lors de la guerre malgré ce qu'en pensent le camarade et la CWO. Nous sommes d'accord que c'est une question importante à discuter et à clarifier.
De même, nous reviendrons sur la vision que le camarade nous prête au sujet du rapport entre "l'intérét économique" et la guerre impérialiste. Loin de nous l'idée de nier tout facteur d'intérêt économique dans la guerre impérialiste dans la période de décadence. La question est : à quel niveau ce facteur joue-t-il ? Au niveau immédiat de conquêtes de territoires et de marchés ou bien en termes plus généraux et plus historiques ? Et surtout quel rôle a-t-il dans l'exacerbation et le déclenchement des antagonismes impérialistes ? Quel rapport entre les facteurs économiques et les facteurs géostratégiques ? Et quel est le facteur déterminant de la dynamique même de ces rivalités ? Pour être plus concret, pourquoi par exemple, les antagonismes impérialistes ont pu ne pas recouper les principales rivalités économiques durant la période du bloc impérialiste américain - regroupant les principales puissances économiques du monde - et du bloc impérialiste russe de 1945 à 1989 ?
Au-delà de leur aspect théorique, les réponses à ces questions déterminent différentes analyses de la situation concrète, différentes approches et surtout différentes interventions des révolutionnaires dans la situation comme on a pu encore le constater dans les guerres du Kosovo ou de la Tchétchénie. Voilà pourquoi ce sont des débats importants que nous soumettons à la lecture, à la discussion et à la critique.
La baisse du taux de profit, la guerre impérialiste et la période de reconstruction
Dans son essai "Guerre et accumulation" (Revolutionary Perspectives n° 16, ancienne série, pp. 15-17), la CWO a montré de façon convaincante comment l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit explique la période de reconstruction. (N.B. La théorie des crises de la CWO combine de façon éclectique l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit avec l'analyse de GrossmannMattick. Dans cette discussion, cependant, la CWO suit exclusivement l'analyse de Marx).
« Pendant une guerre -nous parlons ici des guerres totales du 20° siècle- la masse de capital existant est dévaluée simplement parce qu'elle est usée jusqu'au bout et non remplacée par du nouveau capital ; en terme de volume l'appareil productif est le même que celui d'avant la guerre, mais en terme de valeur il ne l'est pas, du fait du vieillissement et de la sur-utilisation. Le sens de toute production pour l'effort de guerre assure cela : la production des usines du Secteur I est détournée des machines outils vers les armements, et les machines vieillissantes, qui sont techniquement obsolètes avant que toute leur valeur C soit hors d'usage, sont utilisèes jusqu'au bout, pour économiser du capital. En temps de paix, les capitalistes qui ne laissent pas s'élever cette composition de leur capital sont acculés, mais PAS en temps de guerre. Le contrôle d'Etat de l'économie et l'effort de guerre introduisent de telles limitations à la concurrence, et un tel système de commandes garanties, que le capitaliste n'a pas de stimulant, et pas d'obligation de reconstituer et d'améliorer son appareil productif..
Ce n'est pas seulement que la masse de capital existant était de valeur moindre en 1949 que ce qu'elle avait été en 1939 principalement plus du fait de la dévaluation que de la destruction), mais aussi que lit composition dit capital avait chuté dans les années de guerre, du fait de l'introduction de l'armée de réserve du travail (chômeurs, femmes) dans la production, en général sur de base de l'introduction massive de lajournée de travail en trois équipes et de la semaine de six jours ; la composition du capital est tombée puisque le même C était utilisé par une force de travail plus importante, c'est-à-dire que V augmentait...
Sur la base de ce taux élevé et de cette masse de profil, la reconstitution graduelle des forces productives s'est produite après la seconde guerre mondiale... Dans une situation où une masse de capital dévalué existait, toute reconstitution des forces productives (même avec des machines similaires et pas d'accroissement de valeur) devait amener à un accroissement phénoménal de productivité. Si cette dernière s'accroît plus vite que la composition du capital, alors le taux de profil ne baisse PAS, au contraire, il va augmenter... Donc, la bourgeoisie n'avait pas le problème de se demander pourquoi elle devait s'inquiéter d'accumuler dans les années 1950; la guerre avait rèsolu ce problèrne pour elle en rétablissant les bases pour une production profitable ».
L'explication claire par la CWO démolit la critique confuse du CCI de la baisse du taux de profit comme explication de la reconstruction capitaliste.
"Le hic, c'est qu'il n’a. jamais étéprouvé que lors des reprises qui ont suivi les guerres mondiales, la composition organique du capital ait été inférieure à ce qu'elle était à leur veille. C'est bien du contraire qu'il s'agit. Si l'on prend le cas de la seconde guerre mondiale, par exemple, il est clair que, dans les pays afféctés par les destructions de la guerre, la productivité moyenne du travail et donc le rapport entre le capital constant et le capital variable a très rapidement rejoint, dés le début des années 1950, ce qu'ils étaient en 1939. En fait, le potentiel productif qui est reconstitué est considérablement plus moderne que celui qui avait été détruit. (...) Pourtant, la période de « prospérité » qui accompagne la reconstruction se prolonge bien au-delà (en fait jusqu'au milieu des années 1960) du moment où le potentiel productif d'avant-guerre a été reconstitué, faisant retrouver à la composition organique sa valeur précédente. " (Revue internationale n°77, 2° trimestre 1994, Le rejet de la notion de décadence conduit à la démobilisation du prolétariat face à la guerre ")
Le vrai "problème" est que le CCI, comme son mentor Rosa Luxemburg, ne comprend pas l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit.
Les confusions économiques du CCI
Le CCI se trouve dans une situation embarrassante parce que, d'un côté, il défend la position marxiste que la décadence ne signifie pas un arrêt total de la croissance des forces productives, mais de l'autre, il défend une théorie des crises dont la conclusion logique et inévitable est précisément ce résultat. Dans la théorie des crises de Rosa Luxemburg, les marchés pré-capitalistes sont une condition sine qua non de l'accumulation capitaliste. Donc, quand ces marchés sont épuisés l'accumulation capitaliste a atteint sa limite économique absolue. En effet, la destruction continue des marchés pré-capitalistes signifie que le capital total non seulement ne peut pas dépasser cette limite, mais aussi qu'il doit nécessairement diminuer.)
Le CCI cependant, ignore la contradiction flagrante entre le développement réel du capitalisme et la conclusion logique de son analyse économique selon laquelle il y a un plafond à la croissance capitaliste, il y a une limite économique absolue à l'accumulation capitaliste. (C'est aussi la conclusion logique de l'analyse de Henryk Grossmann.)
La contradiction oblige le CCI à une conclusion ridicule sur la nature de la guerre impérialiste ; il croit que la guerre impérialiste n'a pas de fonction économique pour le capitalisme décadent ([1] [289]). La complète absurdité de cette idée est déroutante, au même titre que celle des bordiguistes de "l'invariance du Programme".
En d'autres termes, le CCI dit que la position marxiste selon laquelle dans la décadence le capitalisme cesse de remplir une fonction progressiste (économique, ou autre) pour l'humanité est identique à la position selon laquelle la guerre impérialiste ne remplit pas une fonction économique pour le capitalisme. Le CCI rend les choses plus confuses encore en assimilant cette dernière idée avec la notion fausse du BIPR d'après laquelle toute guerre dans la décadence a un mobile économique immédiat. ([2] [290])
(Cette idée que la guerre impérialiste n'a pas une fonction économique pour le capitalisme est cohérente avec la théorie luxemburgiste des crises des marchés pré-capitalistes du CCI. Après tout, dans cette théorie, une fois que les marchés pré-capitalistes sont épuisés, la poursuite de l'accumulation au niveau du capital total devient impossible. Et si l'accumulation capitaliste a atteint sa limite absolue, alors rien, pas même la guerre impérialiste ne peut renverser la situation. En conséquence la guerre impérialiste ne peut pas avoir une fonction économique.)
Le CCI argumente que la guerre impérialiste n'a pas une fonction économique. Mais si la guerre impérialiste n'a pas une fonction économique, quelles explications pour les périodes de reconstruction du capital, dont le CCI reconnaît l'existence, et dont il reconnaît que, dans le cas de l'après seconde guerre mondiale, cela a conduit à une expansion économique qui a grandement dépassé celle du capitalisme d'avant la seconde guerre mondiale ?
Pourquoi le CCI, qui a le programme et la pratique politique les plus cohérents de tous les groupes de la Gauche communiste, qui est dégagé du sectarisme, de l'opportunisme et du centrisme qui marquent le BIPR et les bordiguistes, sombre-t-il dans une confusion aussi profonde dans le domaine de l'économie? La réponse est son Luxemburgisme économique. Contrairement aux illusions du CCI, Rosa Luxemburg a développé sa théorie alternative des crises parce qu'elle n'a pas compris la méthode du Capital ; en particulier, elle a pensé de façon erronée que les schémas de la reproduction dans le volume Il du Capital avaient pour objectif de donner directement une image de la réalité capitaliste concrète. La contradiction apparente entre les schémas et la réalité historique l'a conduite à croire que les schémas étaient faux, mais ce qui était faux était l'empirisme partial de son point de vue ; car sa "découverte" que le capitalisme ne pouvait pas accumuler sans les marchés précapitalistes dérive de son adoption erronée du point de vue du capitaliste individuel. Ses concessions à l'empirisme l'ont empêchée de saisir la validité de l'analyse de Marx de la baisse du taux de profit, et l'ont entraînée dans une interprétation mécaniste de la crise mortelle de l'accumulation capitaliste.
Je considère les explications économiques spécifiques de Rosa Luxemburg et Henryk Grossmann de la décadence capitaliste comme des théories économiques révisionnistes parce qu'elle sont basées sur une mauvaise compréhension de la méthode du Capital :
"L'orthodoxie dans les questions du marxisme se rapporte presque exclusivement à la méthode. C'est seulement dans la voie de ses fondateurs que cette méthode peut être développée, étendue et approfondie. Et cette conviction repose sur l'observation que toutes les tentatives de dépasser ou « d’améliorer » cette méthode ont conduit, et ceci nécessairement, seulement à des banalités, des platitudes et à l'éclectisme... " ([3] [291])
Bien sûr, malgré leurs théories économiques révisionnistes il y avait une frontière de classe qui séparait Rosa Luxemburg et Henryk Grossmann : la première était une révolutionnaire marxiste en raison de ses positions politiques ; Henryk Grossmann était un stalinien réactionnaire.
Le dogmatisme du CCI
« Il ne peut pas y avoir de dogmatisme quand le critère suprème et unique d'une doctrine est en conformité avec le processus réel du développement économique et social. » ([4] [292])
Le CCI refuse de reconnaître que parce que les marchés pré-capitalistes sont une condition sine qua non de l'accumulation capitaliste dans les théories économiques de Luxemburg, ceci aurait des conséquences particulières et inévitables pour le développement du capitalisme, si cela était vrai. En d'autres termes, sa théorie des crises fait des prédictions spécifiques sur le développement capitaliste. Cependant, le "processus réel du développement économique et social" a montré sans équivoque la fausseté de ces prédictions et donc la fausseté de ses théories économiques. Le CCI continue cependant à défendre la validité de ces théories économiques. C'est du DOGMATISME.
De plus, quoi d'autre que le dogmatisme peut expliquer pourquoi le CCI continue à considérer l'analyse de Henryk Grossmann de la baisse du taux de profit comme identique à celle de Marx dans le Capital, alors qu'il connaît de longue date la critique de Henryk Grossmann par Anton Pannekoek dans La théorie de l'effondrement du capitalisme ([5] [293]), qui montre clairement les différences fondamentales entre les deux. De plus, cet article et les écrits du BIPR, particulièrement ceux de la CWO, devraient avoir éclairé le CCI sur le fait que le BIPR combine de façon éclectique la théorie économique de Grossmann avec celle de Marx.
Le CCI se réfère aux nombreux articles qu'il a écrit sur les théories économiques comme un signe de sa détermination à faire la clarté sur ce sujet ([6] [294]). Cependant, en pratique ceci veut dire que le CCI a simplement répété les mêmes arguments erronés encore et encore, ignorant et éludant les critiques convaincantes contre ses théories économiques par d'autres courants communistes. C'est vrai que le CCI répond avec des critiques de ces courants qui sont souvent correctes en soi, mais qui ne sont pas adéquates sur la validité des critiques spécifiques que ces courants soulèvent au premier niveau. (Par exemple, le CCl fait correctement remarquer que le BIPR e tparticulièrement les bordiguistes ont une tendance à analyser le capitalisme du point de vue de chaque nation prise isolément.)
Que le CCI défende encore ses théories économiques luxemburgistes défectueuses 25 ans après sa formation laisse à penser qu'il existe un climat politique interne qui décourage, ou au moins n'encourage pas, un approfondissement théorique sur les fondements économiques de la décadence. C'est une chose d'affirmer, comme le fait le CCI, et de le faire de façon juste, que les divergences sur les théories économiques ne devraient pas être un obstacle à l'unité politique et au regroupement. Cependant, pour le CC1, ceci a signifié en pratique éviter la clarté maximale sur cette question ; cela a signifié la stagnation théorique.
Très franchement, le CC1, en défendant ses théories économiques luxemburgistes, affiche la même indifférence pour la précision et la rigueur que le BIPR et les bordiguistes le font pour justifier leur pratique politique sectaire, centriste et opportuniste. Inutile de dire que les théories économiques appauvries du CCI donnent du crédit aux attaques de son programme politique par le BIPR et les bordiguistes, puisque beaucoup des critiques que ces courants font, contre les théories économiques du CC1, sont valables.
La dévotion dogmatique du CCI aux théories économiques de Rosa Luxemburg, qui je trouve rappelle l'attitude idolâtre des bordiguistes envers Lénine, aveugle l'organisation sur le décalage qui existe entre sa perspicacité politique sur l'impérialisme et ses théories économiques révisionnistes. ([7] [295])
Si le CCI veut avoir un fondement économique marxiste cohérent pour son programme politique, alors il DOIT abandonner fatalement la théorie des crises erronée de Rosa Luxemburg et la remplacer par celle de l'analyse de la baisse du taux de profit du Capital.
L'éclectisme dans les théories des crises du BIPR et du CCI
Comme l'a fait observer la CWO sur l'approche éclectique des théories économiques du CCI :
"Comme Luxembourg, leur référence à la baisse du taux de profit est simplement la pour donner une explication suffisante des faits (tels que pourquoi le capitalisme recherchait des marchés loin des métropoles pendant la période d'accumulation primitive) ou pour expliquer des éléments du développement du capitalisme qu'une approche purement marchés ne peut pas faire (par exemple pourquoi la concentration de capital a précédé la ruée pour la conquête de colonies ou pourquoi le gros du développement commercial s'est poursuivi dans cette période entre les puissances capitalistes avancées). " ([8] [296])
Cependant, le BIPR lui-même parvient à une théorie éclectique et confuse car il combine les théories des crises de Henryk Grossmann avec celle de Marx. En effet, il croit que la "contribution [de Grossmann] a été de montrer la signification du rôle de la masse de plus-value dans la détermination de la nature exacte de la crise." ([9] [297]) Le BIPR ne parvient pas à saisir que cette prétendue perspicacité de Grossmann est liée de façon inextricable à une conception mécaniste et à sens unique de l'accumulation capitaliste. À l'opposé de Marx, il examine la baisse du taux de profit seulement en termes de production de plus-value, ignorant le rôle de la circulation et de la distribution de la plus-value. Il en résulte qu'il arrive à la conclusion erronée que le capital est exporté dans les nations étrangères non pas, comme Marx le disait, pour maximiser la plus-value, mais parce qu'il y a "un manque de possibilités d’investissement au niveau national"([10] [298]) (ce qui est la fausse idée que le capital est exporté "parce qu’il ne peut absolument pas être utilisé au niveau national" ([11] [299]), ce que Marx a critiqué dans le volume III du Capital), et ainsi à sa conception mécaniste d'une crise mortelle du capitalisme.
L'approche éclectique des deux courants leur permet de sélectionner et choisir dans leurs théories des crises comme dans un self-service. Aussi plausible que cela puisse paraître, en réalité ils défendent deux perspectives diamétralement opposées : le point de vue mécaniste de la bourgeoisie et le point de vue dialectique du prolétariat. (Il est vrai que le CCI et le BIPR critiquent certains aspects des théories des crises respectivement de Rosa Luxemburg et de Grossmann-Mattick. Mais comme ils continuent de défendre le cœur des analyses économiques de ces théories, ils continuent donc de défendre les conceptions mécanistes sur lesquelles elles sont fondées.)
CA.
Note de la rédaction : lorsque nous n'avons pas trouvé la version des textes cités en français, la traduction de l'anglais en a été assurée par nos soins.
[1] [300] "La fonction de laguerre impérialiste",dans "La nature de la guerre impérialiste ", Revue internationale n' 82.
[2] [301] Ibid.
[3] [302] Georges Lukacs [sic], histoire et conscience de classe, cité par Paul Mattick, The inevitability of Communism : A Critique or Sidney Hook's Interprétation of Marx, Polemic Publishers, New York 1935, p.35.
[4] [303] Lénine, Oeuvres choisies.Tome I(p.298, Foreign languages Publishing House, Moscow, 1960.).
[5] [304] A.Pannekoek in Capital and class I, London (Spring 1977).
[6] [305] Pour la liste délaillée,voir la Revue lnternationale n°83,
[7] [306] Le CCI suppose que la compréhension de Rosa Luxemburg des conséquences politiques de la décadence capitaliste, à savoir que la nature globale de l'impérialisme détruit les bases matérielles pour l'auto-détermination nationalc, garantit la validité dc son explication économique spécifique de la décadence.
[8] [307] “Impérialism – The Decadent Stage of Capitalism” Revolutionnary Perspectives n°17, Old Series, p 16.
[9] [308] Correspondance de la CWO à l'auteur.
[10] [309] Cité dans « Grossmann versus Marx »de Anton Pannekoek, ibid.. p.73.
[11] [310] Ibid,
Le prétendu empirisme de Rosa Luxemburg
Boukharine, Raya Dunayeskaya et d'autres critiques de Luxemburg cités par le camarade, disent que Rosa Luxemburg se trompe dans sa recherche des causes externes à la crise du capitalisme ([1] [312]). Mais ni le marché mondial ni les économies pré-capitalistes ne sont en rien quelque chose d'extérieur au système, mais le terreau pour son développement et ses affrontements. Si l'on prétend que le capitalisme peut réaliser son accumulation à l'intérieur de ses propres limites, on est en train de dire que c'est un système historiquement illimité et qui ne se développe qu’à travers le simple échange de marchandises. Marx, dans le premier tome du Capital et aussi dans "Les résultats de la domination britannique aux Indes ", a démontré justement le contraire : la genèse du capital, son accumulation progressive, par le biais de sa lutte pour séparer les producteurs de leurs moyens de vie, en les transformant en principale marchandise productive la force de travail et, autour de cet axe, construire, dans des souffrances sans nom, l'échange "pacifique" et "régulier" des marchandises. En continuant avec la même méthode, Rosa Luxemburg se demande si ce qui était valable pour l'accumulation primitive l'est toujours dans les phases ultérieures du développement capitaliste. Ses critiques prétendent que l'accumulation primitive est une chose, et une autre le développement capitaliste, où ni "le marché extérieur" ni "la lutte contre l'économie naturelle" ne jouent plus de rôle. Ceci est radicalement démenti par l'évolution du capitalisme au l9° siècle, surtout lors de sa phase impérialiste.
« L 'accumulation primitive, qui est la première phase du capitalisme en Europe de la fin du Moyen Age jusqu'au milieu du XIXe siècle, a trouvé dans l'expropriation des paysans en Angleterre et sur le continent la meilleure méthode pour transformer massivement les moyens de production et les forces de travail en capital. Or, le capital pratique aujourd’hui encore ce systéme sur une échelle autrement plus large, par la politique coloniale (...) Il serait vain d'espérer limiter le capitalisme à la "concurrence pacifique", c'est-à-dire â un commerce normal de marchandises tel qu'il est pratiqué entre pays capitalistes comme base unique de l'accumulation. Cet espoir repose sur l'erreur doctrinale selon laquelle l'accumulation capitaliste pourrait s’effectuer sans les forces productives et sans la consommation des populations primitives, et qu'elle pourrait simplement laisser se poursuivre la désintégration interne de l'économie naturelle (...). La méthode violente est ici la conséquence directe de la rencontre du capitalisme avec les structures de l'économie naturelle qui opposent des limites à son accumulationt. Le capital ne peut se passer des moyens de production ni des forces de travail de ces sociétés primitives, qui lui sont en outre indispensables comme débouchés pour son surproduit. » (Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital II, "La lutte contre l'économie naturelle")
Ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, prétendent expliquer la crise historique du capitalisme avec la seule baisse tendancielle du taux de profit, ne voient qu'une partie - l'échange à l'intérieur du marché capitaliste déjà constitué -, mais ils ne voient pas l'autre partie, la plus dynamique historiquement, la partie dont les limites de plus en plus grandes depuis la fin du 19° siècle, déterminent le chaos et les convulsions croissantes que l'humanité subit depuis 1914.
Ils se mettent ainsi dans une position pas très confortable par rapport au dogme central de l'idéologie capitaliste - "la production crée son propre débouché" toute offre finit par trouver sa demande, une fois passés les désordres conjoncturels -, sévèrement critiqué par Marx qui fustigea "la conception que Ricurdo a repise du creux et inconsistant Say quand à l'impossibilité de la .surproduction ou du moins, de la saturation du marché, se base sur le principe que les produits s'échangent toujours contre des produits ou, comme le disait Mil1, que la demande n 'est déterminée que pa rla production " (Le Capital. Tome 11, -Théories de la plus-value).
Dans le même sens, il combattit les conceptions qui limitaient les bouleversements du capitalisme à de simples décalages entre secteurs de la production.
Si l'on exclut les territoires précapitalistes du champ de l'accumulation, si certains pensent que le capitalisme peut se développer en partant de ses propres rapports sociaux, comment va-ton éviter la thèse selon laquelle la production crée son propre marché ? La baisse tendancielle du taux de profit est une explication insuffisante, car elle opère au sein d'un tel cumul de causes compensatoires, elle agit à si long terme qu'elle ne peut pas expliquer les faits historiques qui se succèdent depuis le dernier tiers du 19° siècle et qui se sont accumulés tout au long du 20° : l'impérialisme, les guerres mondiales, la grande dépression, le capitalisme d'Etat, la réapparition de la crise ouverte depuis la fin des années 1960 et l'effondrement de plus en plus brutal de parties de plus en plus importantes de l'économie mondiale dans les 30 dernières années.
Parce que la baisse tendancielle agit "à long terme, ne faudrait-il pas éviter l'empirisme et l'impatience en ne se laissant pas tromper par tous ces cataclysmes immédiats ? Telle paraît être la méthode proposée par le camarade quand il dit que le fait que la "division du monde" a coïncidé avec la "crise mondiale" est une "apparence" ou quand il dit que la grande dépression paraissait confirmer les thèses de Grossmann et Luxemburg, mais que, par la suite, elle a été démentie par la grande croissance après la seconde guerre mondiale ou la croissance des années 1990.
Nous reviendrons sur ce dernier aspect. Ce que nous voudrions mettre en relief maintenant, c'est que derrière les accusations "d'empirisme" portées à Luxemburg il y a une importante question de "méthode" qui paraît échapper au camarade. Les révisionnistes de la socialdémocratie entreprirent une croisade contre la "sous-consommation" de Marx ; Bernstein fut le premier à comparer l'analyse de la crise de Marx avec rien de moins que le pathétique Rodbertus, tandis que Tugan-Baranowsky revenait tranquillement aux thèses de Say sur la "production qui crée son propre marché" en expliquant avec des arguments marxistes" que les crises sont le produit des décalages entre deux secteurs de la production. Les critiques révisionnistes à Rosa Lu.xemburg - les Bauer, Eckstein, Hilferding etc. -- affirmèrent avec une "totale orthodoxie marxiste" que les tableaux de la reproduction élargie expliquent parfaitement que le capitalisme n'a pas de problème de réalisation, Boukharine, au service de la stalinisation des partis communistes, s'en est pris à l'exuvre de Rosa pour "démontrer" que le capitalisme n'a aucun problème "externe."
D'où vient cette animosité de la part des opportunistes vis-à-vis de l'analyse de Luxemburg ? Tout simplement parce que celle-ci avait mis le doigt dans la plaie, elle avait démontré la racine globale et historique de l'entrée du capitalisme dans sa décadence. 50 ans auparavant, la contradiction entre les avancées de la productivité du travail et la nécessité de maximaliser le profit avait été la première et fructueuse explication. Mais, maintenant, la question de la lutte du capitalisme contre les groupes sociaux qui l'ont précédé, dans la construction du marché mondial et les contradictions qui se concrétisaient (pénurie croissante d'aires extra-capitalistes) fournissait un cadre plus clair et plus systématique qui intégrait dans une synthèse supérieure la contradiction première et rendait compte du phénomène de l'impérialisme, des guerres mondiales et de la décomposition progressive de l'économie capitaliste.
Plus tard, sur les traces de ces révisionnistes, mais sur un terrain carrément bourgeois, toute une Clique de "marxologues" universitaires se sont mis à divaguer sur la "méthode abstraite" de Marx. Ils séparent avec habileté ses réflexions sur la reproduction élargie, le taux de profit, etc., de tout cc qui touche au marché et à la réalisation de la plus value, et, grâce à cette séparation - une façon de frelater la pensée de Marx, en vérité-, ils élaborent l'élucubration de sa "méthode abstraite", en la faisant devenir un "modèle" d'explication du fonctionnement contractuel de l'économie capitaliste : l'échange régulier des marchandises dont parlait Rosa Luxemburg. Toute tentative de confrontation de ce "modèle" avec la réalité du capitalisme devenait de "l'empirisme", c'était ne pas comprendre qu'il s'agit d'un "modèle abstrait", etc.
Cette entreprise destinée à transformer Marx en « icône inoffensif » - comme dirait Lénine - a comme objectif d'éliminer le tranchant révolutionnaire de son œuvre et de lui faire dire ce qu'il n'a jamais dit. Les économistes bourgeois qui ne s'en cachent pas en s'affublant du masque "marxiste", ont eux aussi leur "vision à long terme." Ne nous répètent ils pas à tout moment qu'il ne faut pas être empiriste ni immédiatiste, qu'au delà des licenciements, des cataclysmes boursiers, ce qu'on doit voir c'est la "tendance générale" et que celle-ci repose sur des bases saines ? Certaines parties du Capital, soigneusement sélectionnées et hors contexte servent les marxologues à entreprendre le même objectif.
Le camarade est sur des positions clairement révolutionnaires et ne participe ni de près ni de loin à cette cérémonie de la confusion ; mais du fait qu'il emprunte pas mal - d'arguments - à Boukharine et à d'autres académiciens, au licu d'essayer lui-même l'examen des positions de Rosa Luxemburg ([2] [313]), il ferme les yeux devant les aspects de la question que nous avons essayé de lui exposer.
Les
limites de l'accumulation capitaliste
Le camarade affirme que Rosa Luxemburg dit qu'il existe une "limite absolue" au développement du capitalisme. Regardons ce qu'elle dit exactement : "plus s’accroit la violence avec laquelle à l’intérieur et à l’extérieur le capital anéantit les couches non capitalistes et avilit les coliditions d’existence de toutes les classes laborieuses, plus l'histoire quotidienne de l'accumulation dans le monde se transforme en une serie de catasprophes et de convulsions, qui, se joignant aux crises économiques périodiques finiront par rendre impossible la continuation de l'accumulation et par dresser la classe ouvrière internationale contre la domination du capital avant même qui, celui-ci n'ait atteint economiquement les dernières limites objectives de son developpement" ("Le militarisme, champ d'action du capital", chap. 32. L'accumulation du capital, Oeuvres IV, p. 129, Maspero).
Si le camarade fait référence à « avant même que celui-ci n’est atteint économiquement les derniéres limit.s objectives de son développement », il est évident que le texte, interprété littéralement, fait penser à une "limite absolue." Mais la même conclusion pourrait être tirée de Marx : « avec la baisse du taux de profit, le développement de la force productive du travail permet la naissance d'une loi qui, à un certain moment, entre en totale contradiction avec le développement même de cette productivité. » (op. cit) Cette formulation tranche avec d'autres - que nous avons évoquées plus haut - où l'on montre que cette loi n'est qu'une tendance.
II est évident qu'on doit faire attention à ne pas tomber dans des formulations pouvant apparaître comme ambiguës, mais il ne faut pas non plus prendre une phrase isolée de son contexte. Ce qui importe c'est la dynamique et l'orientation globale d'une analyse. Sur cela, l'analyse de Rosa - comme celle de Marx - est très claire : l'important c'est qu'elle affirme que l'accumulation du capital se transformera "en une série de catastrophes et de convulsions. " Ceci ne veut pas dire limite absolue, mais tendance générale qui ne peut que s'aggraver avec le pourrissement de la situation.
Marx dit dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte que "les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de plein gré, dans des circonstances librement choisies : celles-ci ils les trouvent au coniraire toutes faites, données, héritage du passé " ([3] [314]). La méthode des révolutionnaires consiste, en accord avec cette affirmation, à comprendre et énoncer les tendances de fond qui marquent "les circonstances que les hommes trouvent." Ce que Rosa affirmait, juste un an avant l'éclatement de la guerre de 1914, était une tendance historique qui allait marquer (et comment !), "l'action des hommes."
La conclusion de la première édition de son livre efface, à notre avis, tous les doutes sur le fait qu'elle aurait formulé une tendance "absolue" : "Le capitalisme est la premiére forme économique douée l'une force de propagande ; il tend à se répandre sur le glohe et à détruire toutes les autres formes économiques, n'en supportant aucune autre à coté de lui. Et pourtant il est en même temps la première forme économique incapable de subsister seule, à l'aide de son seul milieu et de son sol nourricier. Ayant tendance à devenir une , forme mondiale, il se heurte à sa propre incapacité d'être cette forme mondiale de la production. Il offre 1'exemple d'une contradiction historique vivante : son mouvement d’accumulation est à la fois l'expression, la solution progressive et l'intensification de cette contradiction. Â un certain degré de développement, cette contradiction ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme, c'est à dire par une forme économique qui est par définition une forme mondiale, un systéme harmonieux en lui-même, fondé non sur l'accumulation mais sur la satisfâction des besoins de l'humanité travailleuse et donc sur l’épanouissement de toutes les forces productives de la terre." (ibidem, p. 129-130)
Quelle est notre conception de la décadence du capitalisme ? Avons-nous parlé une seule fois de blocage absolu du développement des forces productives ou de limite absolue à la production capitaliste, d'une sorte de crise définitive et mortelle ? Le camarade reconnaît luimême que nous rejetons l'idée formulée par Trotsky qui parle d'un blocage absolu des forces productives, mais notre conception est aussi étrangère à certaines conceptions surgies dans les années 20 au sein des tendances du KAPD qui parlaient de la "crise mortelle du capitalisme", la comprenant comme un arrêt absolu de la production et de la croissance capitalistes. Dans notre brochure sur la Décadence du capitalisme, contre la position de Trotsky, nous disions : "Tout changement social est le résultat d'un approfondissement réel et prolongé de la collision entre rapports de production et développement des forces productives. Si nous nous dituons dans l'hypothése d'un blocage définitif et permanent de ce développement, seul un rétrécissement "absohr" de l'enveloppe qui constitue les rapports de production existants pourrait expliquer un mouvement net d'approfondissement de cette contradiction. Or, on peut constater que le mouvement qui se produit généralement au cours des differentes décadences de l'histoire (capitalisme y compris) tend plutôt vers un élargissement de l'enveloppe jusqu'à ces dernières limites que vers un rétrécissement. Sous l'égide de l'Etat et sous la pression des necessités économiques, sociales, la carapace se tend en se dépouillant de tout ce qui peut s'avérer superflu aux rapports de production en n'etant pas strictement nécessaire à la survie su système. Le systéme se renforce, mais dans ses derniéres limites » (La Décadence du capitalisme, 1981, p. 48)
Comprendre pourquoi le capitalisme essaie de "gérer sa crise" avec une politique de survie qui arrive à amoindrir ses effets dans les pays centraux, fait pleinement partie de l'analyse marxiste de la décadence des modes de production. L'Empire romain ne fit-il pas la même chose en se repliant sur Byzance et en abandonnant de vastes territoires devant la poussée des peuples barbares ? Et le despotisme éclairé n'était-il pas une réponse de l'ancienne monarchie face à l'avancée des rapports de production capitalistes ?
"L 'affranchissement des esclaves sous le Bas Empire romain, celui des serfs à la fin du Moyen Age, les libertés, même parcellaires que la royauté doit accorder aux nouvelles villes bourgeoises, le renforcement du pouvoir central de la couronne, l'élimination de la noblesse d'épée au profit « d'une de robe », centralisée, réduite et soumise directement au roi, de même que des phénomènes capitalistes tels que les tentatives de planification, les efforts pour tenter d'alléger le poids des frontières économiques nationales, la tendanca au remplacement des bourgeois parasitaires par des "managers " efficaces, salariés du capital, les politiques de type "New Deal" et les manipulations permanentes de certains mécanismes de la loi de la valeur sont tout autant de témoignages de cette tendance à l'élargissement de l'enveloppe juridique par le dépouillement des rapports de production. Il n’y a pas d'arrêt du mouvement dialectique au lendemain de l'apogée d'une société. Ce mouvement se transforme alors qualitativement mais il ne cesse pas. L 'intensification des contradictions inhérentes à l'ancienne société se poursuit nécessairement et pour cela, il faut bien que le développement des forces emprisonnées existe, même si ce n 'est que sous sa forme la plus ralentie." (Ibidem, p. 48)
Dans la période de décadence du capitalisme nous assistons à une aggravation de ses contradictions surtous les plans. II y a un développement des forces productives, il y a aussi des phases de croissance économique, mais ceci se fait dans un cadre global de plus en plus contradictoire, plus convulsif, plus destructeur. La tendance vers la barbarie n'apparaît pas de façon manifeste sur une ligne droite de catastrophes et d'effondrements sans fin, mais masquée par des périodes de croissance, par l'augmentation de la productivité du travail, lors de phases plus ou moins longues. Le capitalisme d'Etat - surtout dans les pays centraux - fait tout ce qu'il peut pour contrôler une situation potentiellement explosive, pour atténuer ou retarder les contradictions les plus graves et, avec tout cela, garder l'apparence d'un "bon fonctionnement" et même de "progrès." Le système "tend l'enveloppe jusqu'à ses dernières limites."
Dans l'esclavage, les 1° et 2° siècles après Jésus Christ se sont caractérisés par cette contradiction toujours aggravée : Rome ou Byzance se remplissaient des plus beaux monuments de l'histoire de l'Empire, les technologies les plus avancées de l'époque sont apparues à ce moment-là au point qu'au 2° siècle on découvrait le principe de l'énergie électrique. Mais ces développements éblouissants se produisaient dans un cadre de plus en plus dégradé où s'exacerbaient des luttes sociales, les territoires étaient abandonnés sous la poussée des barbares, les infrastructures des transports se dégradaient brutalement. ([4] [315])
N'assistons-nous pas aujourd'hui à la même évolution mais en plus grave à cause de ce qui est spécifique à la décadence dit capitalisme ? ([5] [316])
Le camarade affirme que la croissance après la seconde guerre mondiale et celle qu'il y a eu pendant ces années 1990 démentent notre théorie. Nous ne pouvons pas développer ici une argumentation détaillée ([6] [317]), mais par rapport à la croissance entre 1945 et 1967, au delà de son volume statistique, i1 faut tenir compte de :
- la forte proportion, dans cette croissance, de l'armement et de l'économie de guerre, comme le camarade lui-même le reconnaît ;
- l'importance de l'endettement, qui à un certain moment - le Plan Marshalln'avait jamais été atteint ;
- les conséquences provoquées par cette croissance (que le camarade lui-même a l'air de reconnaître aussi) : une partie substantielle de cette croissance s'est évaporée dans un processus dramatique de démantèlement - qui, dans les pays occidentaux a surtout touché l'industrie lourde - ou d'implosion - comme ça a été le cas de l'ancien bloc de l'Est.
En ce qui concerne les années 1990, il s'agit d'une croissance minuscule ([7] [318]), basée sur un endettement sans comparaison dans l'histoire et sur une spéculation jamais vue. Qui plus est, cette croissance s'est limitée aux EtatsUnis - et quelque pays de plus - et cela dans un contexte de dégringoladejamais vue de quantité des pays d'Afrique, d’Asie ou d'Amérique latine ([8] [319]). D'un autre coté, l'effondrementactuel de la "nouvelle économie" et les tourbillons boursiers auxquels nous assistons donnent une bonne idée de la réalité de cette croissance.
Un élément de réflexion que le camarade doit prendre en compte quand on parle de "chiffres de la croissance" est leur nature et leur composition ([9] [320]). Une croissance qui exprime l'expansion du système n'est pas la même chose qu'une croissance qui exprime une politique de survie et d'accompagnement de la crise. D'une manière générale, pour un marxiste, on ne peut pas identifier croissance de la production avec développement de la production capitaliste. Ce sont là deux concepts différents. La pratique en vigueur dans la Russie stalinienne qui consistait à battre des records dans les statistiques de l'acier, du coton ou du ciment alors qu'après il apparaissait que tout cela occultait une production défectueuse ou inexistante, est l'illustration extrême et grotesque d'une tendance générale du capitalisme décadent, stimulée par le capitalisme d'Etat, à augmenter les chiffres de la production en même temps que les bases de la reproduction du système sont rongées. Rosa Luxemburg rappelle qu’ "Accumuler du capital ne signifie pas toujours produire de plus en plus grandes quantités de marchandises, mais de plus en plus de marchandises en capital-argent. ll y a entre l’annoncellement de plus value sous formes de marchandises et l'investissemcnt de cette plus value pour l'extension de la production une rupture, un pas décisif, que Marx appelle le saut périlleux de la production marchande : l'acte de vendre pour de l’argent. Mais peut-être ceci ne concerne-t-il que le capitaliste individuel sans s'appliquer à la classe entière, à la sociéto gobale ? Non pas. Car si nous considérons le problèrne du point de vue de la société « il faut se garder , écrit Marx, de tomber dans le travers où est tombé Proudhon dans son imitation de l'économie bourgeoise : il ne faut pas considérer qu'une société de type de production capitaliste perdrait son caractère spécifique, son caractère économique déterminé par l'histoire, si on la considérait en bloc comme un tout. Au contraire. On a affaire alors au capitaliste collectif». ( "Critique des Critiques... ", L'accumulation du capital, Œuvres IV , p.154. Les citations du Capital : trad. Ed. Sociales, t.5, p.84)
La nature des croissances de la production dans la décadence du capitalisme - et surtout dans les 50 dernières années - est très marquée par cette tendance au fait que, par le biais de l'endettement et de l'intervention de l'Etat, s'entassent pendant un certain temps des masses de marchandises qui, au bout de quelques années, doivent être éliminées, car elles ne correspondent pas à un développement réel des rapports capitalistes de production, à un véritable élargissement de la masse des salariés et des marchés.
Mais au-delà de leur nature et de leur composition particulières, les phases de croissance relative et droguée par la dette cachent un ralentissement historique de la croissance de la production. Voilà la première caractéristique de la décadence capitaliste. Il n'y a donc pas d'arrêt absolu de la croissance, mais ce constat ne peut pas conduire à une sous-estimation de la tendance de fond.
Il en va de même avec d'autres aspects de la vie économique et sociale. Les découvertes fantastiques sur le génome humain, les télécommunications ou les transports cachent une détérioration très profonde des conditions de vie, de la santé et des infrastructures mêmes de la production. Les techniques de restauration des façades dans les grandes villes, la construction frénétique d'inutiles monuments en verre, de gratte-ciel illuminés fournissent la sensation illusoire comme quoi "tout baigne", quand, en fait, cela cache l'énorme, systématiquc et irréversible dégradation des conditions de vie des travailleurs et de toute l'humanité ainsi que du fonctionnement et de la maintenance de ces mêmes villes, car, à coté de ces feux d'artifice, nous voyons par exemple comment la distribution d'énergie électrique est paralysée â plusieurs reprises dans la si prospère Californie ou comment les catastrophes alimentaires, écologiques et dans les transports proliférent.
Ce qui est essentiel, comme le dit le camarade, c'est le point de vue de la totalité : nous ne pouvons pas regarder lit robotique ou le génome en eux-mêmes, ni les phases plus ou moins soutenues de croissance en elles-mêmes, mais il faut voir le cadre contradictoire et destructeur dans lequel cela a lieu. La gravité de la crise du système ne se mesure pas par le volume des montées et des chutes de la production mais, d'un point de vue historique et global, par l'aggravation de ses contradictions, par la réduction constante de sa marge de manœuvre et surtout par la détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière.
Quand en Chine on construit une étincelante île artificielle avec des grattes ciel prés de Shanghai, on oblige en même temps les enfants des écoles à travailler pour maintenir ces merveilles à f1ot. Quand au Brésil on inaugure à Sao Paulo une usine totalement robotisée, le nombre d'enfants de la rue ne cesse d'augmenter et plus de 50% de la population vit au dessous du minimum vital. Quand en Grande-Bretagne on poursuit les travaux pharaoniques dans l'ancien Dockland londonien, on sacrifie le bétail par centaines de milliers. Lequel de ces deux ensembles de faits reflète la situation réelle du capitalisme ? Nous n'avons aucun doute sur la réponse. Nous espérons avoir contribué à dissiper le doute chez le camarade et chez nos lecteurs en général.
Adalen
[1] [321] Lirc dans Revue internationale n°29 et 30 une critique à ces critiques dc boukarine et Duyaneskaya à Rosa Luxcmburg.
[2] [322] Il ne cite pratiquement pas Rosa Luxembourg ; les critiques il les reprend mot à mot du Boukharine de la "bolchevisation', (stalinisation en fait) et de toute une série d'académiciens" qui arrivent parfois à dire quelque chose d'intéressant, mais qui ont globalement une position étrangère au marxisme. Les citations de Mattick ou de Pannekoek c'est unc autrc question. Nous ne sonuncs pas d'accord, mais cela nécessiterait d’autres précisions.
[3] [323] Editions La Pléiade, Oeuvres politiques I .
[4] [324] pour une analyse de la décadence des modes de production précédant le capitalisme, voir dans la Revue internationale n° 55 l'article qui fait partie de la série « comprendre la décadence du capitalisme ».
[5] [325] Voir « La décomposition du capitalisme », Revue internationale n°62.
[6] [326] Nous renvoyons nos lecteurs à la brochure « La décadence du capitalisme », aux articles de la Revue internationale n°54 et 56 dans la série « Comprendre la décadence du capitalisme » et aux articles de polémiquc avec le BIPR dans les n° 79 et 83.
[7] [327] La moyenne de cette croissance des années 1990 aux Etats-Unis a été la plus petite des cinq dernières décennies.
[8] [328] Voir la série "30 ans de crise capitaliste" dans la Revue internationale n° 96 à 98.
[9] [329] Voir dans la Revue internationale n°59, "Présentation du 8e Congrès".
Nous savons maintenant que les attentats de New York ont fait plus de 6 000 morts. Au-delà de ce simple chiffre - déjà effarant - la destruction du World Trade Center marque un tournant dans l'histoire dont nous ne pouvons pas encore mesurer toute la portée. C'est la première attaque contre le territoire américain depuis Pearl Harbour en 1941. Le premier bombardement de son histoire sur le territoire continental des Etats-Unis. Le premier bombardement d'une métropole d'un pays développé depuis la 2e Guerre Mondiale. Il s'agit là d'un véritable acte de guerre, comme disent les médias. Et comme tous les actes de guerre, c'est un crime abominable, un crime perpétré contre une population civile sans défense. Comme toujours, c'est la classe ouvrière qui est la principale victime de cet acte de guerre. Les secrétaires, balayeurs, ouvriers d'intendance et employés de bureau qui représentent la vaste majorité des tués furent des nôtres.
Et nous nions tout droit à la bourgeoisie hypocrite et à ses médias aux ordres de pleurer les ouvriers assassinés. La classe dominante capitaliste est déjà responsable de trop de massacres et de tueries : l'effroyable boucherie de la 1re Guerre Mondiale; celle encore plus abominable de la 2e, où pour la première fois les populations civiles furent les principales cibles. Rappelons-nous ce dont la bourgeoisie s'est montrée capable : les bombardements de Londres, de Dresde et de Hambourg, d'Hiroshima et de Nagasaki, les millions de morts dans les camps de concentration nazis et dans les goulags.
Rappelons-nous l'enfer des bombardements des populations civiles, et de l'armée irakienne en fuite pendant la Guerre du Golfe en 1991, et de ces centaines de milliers de morts. Rappelons-nous les tueries quotidiennes, et qui continuent encore, en Tchétchénie, perpétrées avec toute la complicité des Etats démocratiques d'Occident. Rappelons-nous la complicité des Etats belge, français, et américain dans la guerre civile en Algérie, les pogroms horribles du Rwanda.
Rappelons enfin que la population afghane, aujourd'hui terrorisée par la menace des bombardiers américains, a subi vingt années de guerre ininterrompue qui ont laissé deux millions de réfugiés en Iran, encore deux millions en Pakistan, plus d'un million de morts, et la moitié de la population qui reste dépendante de la nourriture fournie par l'ONU et autre ONG.
Ce ne sont là que des exemples, parmi tant d'autres, des basses oeuvres d'un capitalisme aux prises avec une crise économique sans issue, aux prises avec sa décadence irrémédiable. Un capitalisme aux abois.
L'attaque de New York n'est pas une attaque "contre la civilisation", mais au contraire l'expression même de la "civilisation" bourgeoise.
Aujourd'hui, avec une hypocrisie sans nom, la classe dirigeante de ce système pourrissant se tient devant nous, les mains encore dégoulinantes du sang des ouvriers et des miséreux tués sous ses bombes, et elle ose prétendre pleurer les morts dont elle porte elle-même la responsabilité.
Les campagnes actuelles des démocraties occidentales contre le terrorisme sont particulièrement hypocrites. Non seulement parce que la destruction perpétrée sur les populations civiles par la terreur étatique de ces démocraties est mille fois plus meurtrière que le pire des attentats (des millions de morts dans les guerres de Corée et du Vietnam, pour ne citer qu'elles). Non seulement parce que sous prétexte de combattre le terrorisme, ces mêmes démocraties s'associent - entre autres - avec la Russie, dont elles ont dénoncé maintes fois les actes de guerre contre sa propre population en Tchétchénie. Non seulement parce qu'elles n'ont jamais hésité à se servir des coups d'Etat et des dictatures sanglantes pour imposer leurs intérêts (comme les Etats-Unis avec le Chili par exemple). Elle sont hypocrites aussi parce qu'elles-mêmes n'ont jamais répugné à se servir de l'arme terroriste, ou à sacrifier des vies civiles, tant que ces méthodes servaient leurs intérêts du moment. Rappelons quelques exemples tirés de l'histoire récente :
Dans les années 80, des avions russes abattent un Boeing de la Korean Air Lines dans l'espace aérien de l'URSS : il s'est avéré par la suite que le détournement de l'avion de sa route normale a été manigancé par les services de renseignements américains, dans le but d'étudier la réaction russe à une incursion au-dessus de son territoire.
Pendant la guerre Iran-Irak, les Etats-Unis abattent un avion de ligne iranien au-dessus du Golfe persique. Il s'agissait d'un avertissement à l'Etat iranien de se tenir tranquille, et de ne pas déclencher la guerre dans les Etats du Golfe.
Pendant qu'elle menait des essais de bombes nucléaires à Mururoa dans la Pacifique, la France a envoyé ses services secrets en Nouvelle Zélande afin de plastiquer et couler le navire Rainbow Warrior de Greenpeace.
L'attentat dans la gare de Bologne, qui a tué une centaine de personnes dans les années 1970, fut longtemps mis sur le dos des Brigades Rouges, pour enfin être attribué aux services secrets italiens. Ces mêmes services secrets étaient inextricablement mêlés à toute une mouvance mafieuse autour du réseau Gladio mis en place par les américains à travers l'Europe, et dont on a soupçonné la participation dans une série d'attaques meurtrières en Belgique.
Pendant la guerre civile au Nicaragua, le gouvernement Reagan acheminait armes et argent aux guérilleros "Contra". Il s'agissait d'une action illégale, cachée du Congrès américain, et financée par des ventes d'armes à l'Iran (illégale aussi) et par le narco-trafic.
L'Etat très démocratique d'Israël poursuit aujourd'hui même une campagne d'assassinats et d'attentats en territoire palestinien, contre des dirigeants du Fatah, Hamas, et autres. (1)
Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude aujourd'hui si Oussama Ben Laden est vraiment responsable de l'attaque des Twin Towers, comme l'en accuse l'Etat américain. Mais, si l'hypothèse Ben Laden s'avérait juste, c'est véritablement le cas d'un seigneur de la guerre devenu incontrôlable par ses anciens maîtres. Ben Laden n'est pas un simple terroriste fanatique nourri d'islam. Sa carrière, au contraire, a commencé comme maillon dans la chaîne de l'impérialisme américain lors de la guerre contre l'URSS en Afghanistan. Issu d'une famille richissime saoudienne, avec tout l'appui de la famille royale des Ben Saoud, Ben Laden a été recruté par la CIA à Istanbul en 1979. "La guerre d'Afghanistan vient d'éclater et Istanbul est le lieu de transit choisi par les américains pour acheminer les volontaires vers les maquis afghans. D'abord responsable de la logistique, Oussama Ben Laden devient l'intermédiaire financier du trafic d'armes, financé à parts égales par les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite, à hauteur de 1,2 milliards de dollars par an environ. En 1980, il gagne l'Afghanistan où il restera pratiquement jusqu'au départ des troupes russes en 1989. Il est chargé de répartir la manne entre les différentes factions de la résistance, un rôle clé, éminemment politique. A l'époque, il bénéficie de l'appui total des Américains et du régime saoudien, via son ami, le prince Turki Bin Fayçal, frère du roi et chef des services secrets saoudiens, ainsi que de sa famille. Il transforme de l'argent 'propre' en argent 'sale', puis fera aussi l'inverse." (Le Monde, 15 septembre) D'après le même journal, Ben Laden aurait également mis sur pied un réseau de trafic d'opium, conjointement avec son ami Gulbuddin Hekmatyar, chef Taliban également soutenu par les Etats-Unis. Ceux qui se dénoncent mutuellement aujourd'hui comme "le grand Satan" et "le terroriste mondial numéro un", comme s'ils étaient des adversaires irréductibles, sont en réalité les alliés indéfectibles d'hier. (2)
Le cadre général
Mais au-delà du dégoût que nous inspirent à la fois les meurtres de New York, et l'hypocrisie de la bourgeoisie qui les dénonce, les révolutionnaires et la classe ouvrière ont besoin de comprendre les raisons de ce massacre, si nous ne voulons pas rester dans le rôle de simples spectateurs effrayés par l'événement. Alors, face aux médias bourgeois qui nous déclarent que le responsable c'est l'intégrisme, les "Etats voyous", les "fanatiques", nous répondons que le vrai responsable, c'est le système capitaliste tout entier.
Pour nous (3), le début du siècle dernier fut marqué par l'entrée de la société capitaliste dans sa période de décadence au niveau mondial. Avec les années 1900, le capitalisme a achevé sa mission historique : l'intégration de l'ensemble de la planète dans un seul marché mondial; l'élimination de l'emprise des anciennes formes de pouvoir (féodale, tribale, etc.) ont jeté les bases matérielles sur lesquelles la construction d'une véritable communauté humaine devient possible pour la première fois dans l'histoire. En même temps, le fait que les forces productives soient arrivées à ce point de développement signifie que les rapports de production capitalistes sont devenus une entrave à leur développement ultérieur. Dès lors, le capitalisme ne pouvant plus être un système progressiste, il est devenu un carcan pour la société.
La décadence d'une forme sociale n'ouvre jamais une simple période historique de déclin ou de stagnation. Au contraire, le conflit entre forces productives et rapports de production ne peut être que violent. Dans l'histoire, c'est ce que nous avons vu avec la période de décadence de l'empire romain esclavagiste, marquée par des convulsions, des guerres internes et externes, et des invasions barbares, jusqu'à ce que la montée de nouveaux rapports de production, les rapports féodaux, permette l'éclosion d'une nouvelle forme de société. De même, la décadence du mode de production féodal fut marquée par deux siècles de guerres destructrices jusqu'à ce que les révolutions bourgeoises (en particulier en Angleterre au 17e siècle, et en France au 18e) démolissent le pouvoir des seigneurs féodaux et des monarchies absolues, ouvrant ainsi la période de domination de la bourgeoisie capitaliste.
Le mode de production capitaliste est le plus dynamique de toute l'histoire humaine, ne vivant qu'à travers un bouleversement continuel des techniques productives existantes, et - plus important encore - un élargissement continu de son champ d'activité. Encore moins que tout autre mode de production, sa décadence ne pouvait être une période de paix. Matériellement, l'entrée du capitalisme dans sa décadence fut marquée par deux faits gigantesques et antinomiques : la 1re Guerre Mondiale, et la révolution ouvrière de 1917 en Russie.
Avec la guerre de 1914, les affrontements entre les grandes puissances impérialistes ne seront plus des guerres limitées où des confrontations dans des pays lointains lors de la course aux colonies. Désormais, les conflits impérialistes seront mondiaux, incroyablement meurtriers et destructeurs.
Avec la révolution d'Octobre 1917, le prolétariat russe a réussi pour la première fois dans l'histoire à renverser un Etat capitaliste ; la classe ouvrière a révélé sa nature de classe révolutionnaire capable de mettre fin à la barbarie de la guerre et d'ouvrir la voie vers la constitution d'une nouvelle société.
Dans son manifeste, la 3e Internationale, créée justement afin de diriger le prolétariat sur le chemin d'une révolution mondiale, déclara que la période ouverte par la guerre était celle de la décadence capitaliste, la "période des guerres et des révolutions", où - comme disait Marx dans le Manifeste Communiste - le choix était posé entre la victoire de la révolution et "la ruine commune des classes en conflit". Les révolutionnaires de l'Internationale Communiste envisageaient soit la victoire, soit une descente aux enfers de toute la civilisation humaine.
Ils ne pouvaient sans doute pas imaginer les horreurs de la 2e Guerre Mondiale, des camps de concentration, des bombardements nucléaires. Encore moins ne pouvaient-ils imaginer la situation historique inédite dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
Tout comme la guerre de 1914 marqua l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, l'effondrement du bloc russe en 1989 marqua son entrée dans une nouvelle phase de cette décadence : celle de sa décomposition. La 3e Guerre Mondiale, en préparation depuis la fin de la 2e en 1945, n'a pas eu lieu. Depuis mai 1968 en France, et la plus grande grève de l'histoire, une succession de luttes ouvrières qui ont secoué les principaux pays capitalistes jusqu'à la fin des années 1980 a montré que le prolétariat mondial, et surtout le prolétariat des pays situés au coeur du système capitaliste, n'était pas prêt à partir en guerre "comme en 1914", ni même comme en 1939. Mais si la classe ouvrière a refusé implicitement la guerre, elle n'a pas réussi à ce hisser à une conscience de sa véritable place dans la société capitaliste, ni de son rôle historique de fossoyeur du capitalisme. L'une des expressions éclatantes de cette difficulté se révèle dans l'incapacité des organisations communistes aujourd'hui à être autre chose que des groupes infimes, éparpillés, et sans écho significatif dans la classe ouvrière.
La menace de la guerre mondiale entre deux blocs impérialistes a disparu, mais le danger pour l'humanité reste entier. La décomposition du capitalisme n'est pas une "simple" phase qui sera succédée par d'autres. Elle est bien la phase ultime de sa décadence, qui ne peut déboucher que sur une des deux issues : soit la révolution prolétarienne et le passage à une nouvelle forme de société humaine, soit la chute de plus en plus rapide dans une barbarie infinie, que connaissent déjà beaucoup de pays sous-développés, et qui vient de frapper pour la première fois le coeur même de la société bourgeoise. Tels sont les enjeux de la période que nous vivons.
La disparition de l'empire russe n'a pas mis fin aux rivalités impérialistes, loin de là. Au contraire, elle a permis la libre expression des ambitions impérialistes non seulement des anciennes grandes puissances européennes, mais aussi des puissances secondaires, régionales, et jusqu'aux plus petits pays et aux derniers et plus minables seigneurs de la guerre.
En 1989, le président Bush nous annonçait la fin du conflit contre "l'empire du Mal", nous promettant une nouvelle ère de paix et de prospérité. En 2001, les Etats-Unis sont frappés au coeur pour la première fois dans leur histoire, et le fils de Bush, lui-même devenu président, nous propose une croisade "du bien contre le mal", une croisade qui durera "jusqu'à l'éradication de tous les groupes terroristes à portée mondiale". Le 16 septembre, Donald Rumsfeld, ministre de la défense américain, répète qu'il s'agit d'un "effort long, large, soutenu" qui s'étendra "non sur des semaines ou des jours, mais sur des années." (cité dans Le Monde du 18 septembre) Ainsi, nous sommes face à une guerre dont même la classe dominante ne prétend pas voir la fin. L'heure n'est plus à s'extasier devant les dix années écoulées de "prospérité" américaine, mais à prendre conscience de cette réalité que Winston Churchill avait promis au peuple anglais en 1940 : "du sang, de la sueur et des larmes."
La situation que nous affrontons aujourd'hui confirme mot pour mot la résolution de notre 14e Congrès International qui a eu lieu au printemps de cette année : "La fragmentation des structures et de la discipline des anciens blocs a libéré les rivalités entre nations à une échelle sans précédent, entraînant un combat de plus en plus chaotique, chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus petits seigneurs de la guerre locaux (...) La caractéristique des guerres dans la phase actuelle de la décomposition du capitalisme est qu'elles ne sont pas moins impérialistes que les guerres dans les précédentes phases de sa décadence, mais elles sont devenues plus étendues, plus incontrôlables, et plus difficiles à arrêter même momentanément (...) Les Etats capitalistes sont tous pris dans une logique qui échappe à leur contrôle et qui a de moins en moins de sens, même en termes capitalistes, et c'est précisément ce qui rend la situation à laquelle l'humanité doit faire face, si dangereuse et instable."
A qui profite le crime ?
A l'heure où nous écrivons, personne - aucun Etat, aucun groupe terroriste - n'a revendiqué l'attentat. Il est pourtant évident qu'il a exigé une longue préparation et des moyens matériels importants; et le débat entre "spécialistes" reste ouvert à savoir s'il a pu être l'oeuvre d'un groupe terroriste uniquement, ou si l'étendue de l'action nécessitait l'implication des services secrets d'un Etat. Toutes les déclarations publiques des autorités américaines montrent du doigt l'organisation Al Qaida d'Oussama Ben Laden, mais devons-nous forcément prendre ces déclarations pour argent comptant ? (4)
A défaut d'éléments vraiment concrets, et avec le peu de confiance que nous pouvons accorder au médias bourgeois, nous sommes obligés de suivre la bonne vieille méthode de tout détective digne de ce nom, et donc de chercher le mobile. A qui profite le crime ?
Une autre grande puissance aurait-elle pu être tentée de faire le coup ? Un des Etats européens, voire la Russie ou la Chine, lésé par la surpuissance américaine faisant de l'ombre à ses propres ambitions, aurait-il tenté de porter un coup au coeur des Etats-Unis et ainsi de discréditer l'image de cette super puissance dans le monde ? A priori, cette thèse nous semble impossible, tant le résultat des attentats paraît prévisible sur le plan international : une réaffirmation de la détermination des Etats-Unis de frapper militairement où bon leur semble partout sur la planète, et de leur capacité à entraîner, bon gré mal gré, toutes les puissances dans leur giron.
Ensuite, il y a les prétendus "Etats voyous" tel l'Irak, l'Iran, la Libye, etc. Ici aussi, la thèse nous paraît pour le moins improbable. Mais outre le fait que ces Etats sont toujours moins "voyous" qu'on veut le faire croire (le gouvernement iranien actuel, par exemple, est plutôt pour l'alliance avec les Etats-Unis), il est évident que le risque pour eux est gigantesque si le crime était découvert. Ils risqueraient l'écrasement total et militaire, pour un avantage qui semble très incertain.
Au Moyen-Orient, il y a aussi les palestiniens et l'Etat d'Israël qui s'accusent mutuellement de tremper dans le terrorisme. Nous écartons tout de suite l'hypothèse palestinienne : Arafat et ses comparses savent très bien que seuls les Etats-Unis peuvent empêcher Israël de mettre fin à leur avorton d'Etat, et pour eux les attentats de New York sont un désastre total, portant immédiatement un discrédit sur tout ce qui est arabe. C'est ce même raisonnement, mais dans le sens inverse - pour montrer au monde et surtout aux Etats-Unis qu'il faut en finir avec le "terroriste" Arafat - qui pourrait nous amener à envisager la piste israélienne : c'est un crime dont le Mossad serait sans doute capable au niveau de son organisation, mais on voit difficilement comment le Mossad pourrait agir ainsi sans l'aval de l'Etat américain.
Les accusations américaines sont peut-être justifiées : ces attentats seraient le fait d'un groupe quelque part dans l'énorme nébuleuse des groupes terroristes qui pullulent au Moyen Orient et un peu partout dans le monde. Dans ce cas, il serait beaucoup plus difficile de dépister le mobile, ces groupes n'ayant pas d'intérêt étatique facilement identifiable. On peut cependant remarquer que même si le groupe Al Qaida était inculpé, cela ne clarifierait pas forcément les choses pour autant : la déliquescence de l'économie capitaliste mondiale est accompagnée depuis des années par le développement d'une énorme économie noire parallèle, fondée sur la drogue, la prostitution, le trafic d'armes et le trafic de réfugiés. Ainsi, l'austère régime islamique des Talibans n'a pas empêché - loin s'en faut - l'Afghanistan de devenir le principal fournisseur du monde en opium et en héroïne. En Russie, l'homme d'affaires Berezovski, grand ami d'Eltsine, n'a guère caché ses liens d'affaires avec les mafias tchétchènes. En Amérique Latine, les guérillas gauchistes, comme la FARC colombienne, se financent par la vente de cocaïne. Partout, les Etats manipulent ces groupes dans leurs propres intérêts. Et cela, au moins depuis la guerre de 1939-45 quand l'armée américaine a sorti le mafioso Lucky Luciano de prison pour lui permettre de faciliter le débarquement des troupes alliées en Sicile. Il n'est pas exclu non plus que certains services secrets aient pu agir pour leur compte, indépendamment de la volonté de leur gouvernement.
La dernière hypothèse peut sembler la plus "folle" : le gouvernement américain, ou une fraction de celui-ci au sein de la CIA par exemple, aurait pu sinon préparer l'attentat, l'avoir provoqué et avoir laissé faire sans intervenir. Il est vrai que les dégâts pour la crédibilité des Etats-Unis dans le monde, et pour l'économie, peuvent sembler trop énormes pour qu'une telle théorie soit même imaginable.
Néanmoins, avant de l'écarter il vaut la peine de faire une comparaison plus poussée avec l'attaque japonaise sur Pearl Harbour (comparaison très présente dans la presse d'ailleurs), et de faire une parenthèse historique.
Le 8 décembre 1941, les forces aéronavales japonaises attaquent la base américaine de Pearl Harbour, à Hawaï, où est regroupée la presque totalité des forces navales américaines du Pacifique. Cette attaque prend totalement par surprise les militaires qui sont chargés de la sécurité de la base et elle provoque des dégâts considérables : la grande majorité des navires à quai sont détruits de même que plus de la moitié des avions, il y a 4500 tués ou blessés du côté américain contre 30 avions seulement perdus par le Japon. Alors que jusqu'à cette date la majorité de la population américaine est opposée à l'entrée en guerre contre les forces de l'Axe et que les secteurs isolationnistes de la bourgeoisie américaine, animant le Comité "Amérique d'abord", tiennent le haut du pavé, l'attaque "hypocrite et lâche" des Japonais fait taire toutes les résistances. Le Président Roosevelt. qui, depuis le début, voulait la participation de son pays à la guerre et apportait depuis un bon moment un soutien à l'effort militaire de l'Angleterre, déclare : "Nous devons constater que la guerre moderne, conduite à la manière nazie, est une répugnante affaire. Nous ne voulions pas y entrer. Nous y sommes et nous allons combattre avec toutes nos ressources." Il réalise désormais une union nationale sans faille autour de sa politique.
Après la guerre, sous l'impulsion du Parti républicain, une vaste enquête a été menée pour déterminer les raisons pour lesquelles les militaires américains avaient été surpris à ce point par l'attaque japonaise. Cette enquête a fait apparaître clairement que les autorités politiques au sommet portaient la responsabilité de l'attaque japonaise et de son succès. D'un côté, au cours des négociations américano-japonaises qui s'étaient menées à ce moment là, elles avaient imposé des conditions inacceptables pour le Japon, notamment un embargo sur les livraisons de pétrole à ce pays. D'autre part, alors qu'elles étaient parfaitement au courant des préparatifs japonais (notamment grâce à l'interception des messages d'état major dont elles connaissaient le code secret) elles n'en avaient pas informé le commandement de la base de Pearl Harbour. Roosevelt avait même désavoué l'amiral Richardson qui était opposé à l'entassement de toute la flotte du pacifique dans cette base. Il faut cependant noter que les trois porte-avions (c'est-à-dire les navires de loin les plus importants) qui s'y trouvaient habituellement l'avaient quittée quelques jours auparavant. En fait, la majorité des historiens sérieux est aujourd'hui d'accord pour considérer que le gouvernement américain avaient provoqué le Japon pour justifier l'entrée de son pays dans la seconde guerre mondiale et obtenir l'adhésion de la population des Etats-Unis et de tous les secteurs de sa bourgeoisie.
Il est difficile aujourd'hui de dire qui est le responsable des attentats de New York, notamment d'affirmer qu'ils constituent une réédition de l'attaque de Pearl Harbour. Par contre, ce que nous pouvons dire avec certitude c'est que les Etats-Unis sont les premiers à en profiter, démontrant ainsi une capacité impressionnante de tirer avantage de leurs propres revers.
Comment les Etats-Unis profitent de la situation
The Economist le dit de façon très succincte : "La coalition que l'Amérique a rassemblée est extraordinaire. Une alliance qui inclut la Russie, les pays de l'OTAN, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Pakistan, l'Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe, avec l'accord tacite de l'Iran et de la Chine n'aurait pas été concevable le 11 septembre."
Et en effet, pour la première fois de son histoire, l'OTAN a invoqué l'article 5 du traité de l'Atlantique, obligeant tous les Etats membres de venir en aide à un autre Etat attaqué depuis l'étranger. Fait encore plus extraordinaire, le président russe Poutine a donné son accord pour l'utilisation de bases russes pour des opérations "humanitaires" (aussi "humanitaires" sans doute que le bombardement du Kosovo), et a même offert son aide logistique ; la Russie ne s'oppose pas à ce que le Tadjikistan et l'Ouzbékistan permettent l'utilisation de leurs bases aériennes pour des opérations militaires américaines contre l'Afghanistan : des troupes américaines et britanniques y seraient déjà présentes et en train de prêter main forte à l'Alliance du Nord, seule force afghane encore en lice contre le gouvernement Taliban.
Evidemment, tout cela n'est pas sans arrière-pensées. La Russie, pour commencer, entend tirer profit de la situation pour mettre fin à toute critique contre sa guerre sanglante en Tchétchénie et pour couper les vivres acheminés aux rebelles depuis l'Afghanistan (auxquels l'ISI, les services secrets pakistanais, n'étaient certainement pas étrangers). L'Ouzbékistan salue l'arrivée des forces américaines comme moyen de pression contre la Russie, grand frère par trop encombrant à son goût.
Quant aux Etats européens, ce n'est pas de gaieté de coeur qu'ils se rangent derrière les Etats-Unis, et chacun compte bien faire son possible pour garder sa liberté d'action. Pour l'instant, seule la bourgeoisie britannique affiche une solidarité totale et militaire avec les Etats-Unis, avec une force embarquée de 20 000 hommes déjà en exercice dans le Golfe persique (la plus grande du genre depuis la Guerre des Malouines) et l'envoi des unités d'élite SAS en Ouzbékistan. Même si la bourgeoisie anglaise a pris quelques distances vis-à-vis des Etats-Unis ces dernières années, avec son soutien à la formation d'une force de réaction rapide européenne capable d'agir indépendamment des américains, et sa coopération navale avec la France, son histoire particulière au Moyen-Orient, avec des intérêts historiques et vitaux dans la région, fait que la défense de ses propres intérêts dans la région l'oblige à se ranger derrière les Etats-Unis aujourd'hui. La Grande-Bretagne joue son propre jeu comme les autres, mais dans ce cas son jeu exige une coopération fidèle avec les américains. Comme le disait Lord Palmerston déjà au 19ème siècle : "Nous n'avons ni alliés éternels, ni ennemis permanents. Nos intérêts sont éternels, et il est de notre devoir de les suivre." (cité dans Kissinger, La Diplomatie) Ce qui n'a pas empêché Lord Robertson, actuel secrétaire général de l'OTAN, d'insister sur l'indépendance de chaque Etat membre : "il est clair qu'il y a une obligation solennelle, morale, pour chaque pays d'apporter une assistance. Celle-ci dépendra à la fois de ce que le pays attaqué (...) décidera de ce qui est approprié, et aussi de la manière dont les pays membres estiment pouvoir contribuer à cette opération." (Le Monde, 15 septembre) La France est nettement plus nuancée : pour Alain Richard, ministre de la défense, les principes de "soutien mutuel [de l'OTAN] vont bien s'appliquer" mais que "chaque nation (...) le fait avec les moyens qu'elle juge adaptés" et que, si "l'action militaire peut être un des outils pour réduire la menace terroriste, il y en a d'autres." "Solidarité ne signifie pas aveuglement", ajoute Henri Emmanuelli, un des dirigeants du PS. (5) Et au président Chirac en visite à Washington de mettre les points sur les "i": "La coopération militaire, naturellement, peut se concevoir, mais dans la mesure où nous nous serions préalablement concertés sur les objectifs et les modalités d'une action dont le but est l'élimination du terrorisme." (citations tirées du Monde, 15 et 20 septembre)
Il y a néanmoins une différence entre la situation aujourd'hui, et celle lors de la Guerre du Golfe en 1990-91. Il y a onze ans, l'Alliance rassemblée par les Etats-Unis incorpora les forces militaires de plusieurs Etats européens et arabes (l'Arabie Saoudite et la Syrie notamment). Aujourd'hui par contre, les Etats-Unis indiquent qu'ils ont l'intention d'agir seuls sur le plan militaire. C'est dire à quel point, depuis cette dernière guerre, leur isolement sur le plan diplomatique s'est accru, ainsi que leur méfiance vis-à-vis de leurs "alliés". Ils obligeront bien sûr ces derniers à les soutenir, y compris en particulier en essayant d'inféoder leur réseaux de renseignements, mais ils ne supporteront aucune entrave à leur action armée.
On peut souligner un autre avantage tiré par la fraction dominante de la bourgeoisie américaine, cette fois sur le plan intérieur. Il existe depuis toujours une tendance "isolationniste" de la bourgeoisie américaine, qui considère que son pays est suffisamment isolé par les océans, et suffisamment riche, pour ne pas s'immiscer dans les affaires du monde. C'est cette même fraction qui a résisté à l'entrée des Etats-Unis dans la 2e Guerre Mondiale, et que Roosevelt a réduite au silence, comme on l'a vu, suite à l'attaque japonaise sur Pearl Harbour. Il est clair que cette fraction aujourd'hui n'a plus droit de cité, et le Congrès vient de voter une enveloppe de 40 milliards de dollars supplémentaires pour la défense et la lutte "anti-terroriste", dont 20 milliards à dépenser entièrement à la discrétion du Président. C'est-à-dire un formidable renforcement du pouvoir de l'Etat central.
Pourquoi l'Afghanistan?
C'est avec une rapidité extraordinaire que la police et les services secrets américains ont montré du doigt le coupable de l'attentat : Oussama Ben Laden et ses hôtes Talibans. (6) Et bien avant qu'on ait pu avancer la moindre preuve concrète, l'Etat américain a désigné sa cible et son intention : en finir avec l'Etat Taliban. A l'heure où nous écrivons (il est évident que la situation aura largement évoluée quand cette revue sortira de l'imprimerie), la presse annonce que cinq porte-avions américains et britanniques sont dans la région ou en route, que des avions américains atterrissent déjà en Ouzbékistan, et qu'une attaque est prévue dans les 48 heures. Si on fait la comparaison avec les six mois de préparation précédant l'attaque contre l'Irak en 1991, on peut se demander si ce n'était pas prévu d'avance. En tout cas, il est évident que la bourgeoisie américaine a décidé d'imposer son ordre en Afghanistan. Et ce n'est évidemment pas pour conquérir les richesses économiques ni les marchés de ce pays exsangue. Alors, pourquoi l'Afghanistan ?
Si ce pays n'a jamais présenté le moindre intérêt sur le plan économique, par contre un coup d'oeil sur la carte suffit pour comprendre son importance stratégique depuis plus de deux siècles. Depuis la création du Raj (l'empire britannique en Inde) et pendant tout le 19e siècle, l'Afghanistan a été le lieu privilégié d'affrontements entre l'impérialisme anglais et russe, dans ce qu'on aimait appeler alors "le Grand Jeu". La Grande-Bretagne voyaient d'un mauvais oeil l'avancée de l'impérialisme russe vers les émirats de Tashkent, Samarkand, et Bokhara, et encore plus vers ses chasses gardées en Perse (aujourd'hui l'Iran). Elles considérait, non sans raison, que le but final des armées du Tsar était la conquête de l'Inde dont la Grande-Bretagne tirait d'énormes profits et un grand prestige. C'est pourquoi elle envoya par deux fois des expéditions militaires en Afghanistan (la première essuya une cuisante défaite, perdant 16 000 hommes avec un seul survivant).
Avec le 20e siècle, la découverte d'immenses réserves de pétrole au Moyen-Orient, la dépendance croissante à l'égard du pétrole des économies développées et avant tout de leurs armées, accroît encore l'importance stratégique du Moyen-Orient. Après la seconde Guerre Mondiale, l'Afghanistan devient la plaque tournante dans la région des dispositifs militaires des deux grands blocs impérialistes. Les Etats-Unis réunissent la Turquie, l'Iran, et le Pakistan dans le CENTO (Central Treaty Organisation), l'Iran est truffé de stations d'écoute américaines, et la Turquie devient un des pays les plus puissants militairement du Proche-Orient. Le Pakistan, lui, est soutenu par les Etats-Unis comme contrepoids à une Inde trop ouverte aux sollicitations russes.
La "révolution" islamique en Iran retire ce pays du dispositif américain. L'invasion en 1979 de l'Afghanistan par l'URSS, qui tente de profiter de cette faiblesse américaine, constitue donc une menace des plus dangereuses pour toute la position stratégique du bloc américain non seulement au Moyen-Orient mais dans toute l'Asie du Sud. Ne pouvant pas s'attaquer directement aux positions russes (du fait en partie du resurgissement spectaculaire des luttes ouvrières avec la grève massive en Pologne), les Etats-Unis interviennent par guérilla interposée. Dès lors, avec l'Etat pakistanais et son ISI comme hommes de main, les Etats-Unis soutiennent avec les armements les plus modernes le mouvement de "libération" sans doute le plus arriéré de la planète. Et pour pouvoir rester en lice, les services secrets anglais et la DGSE française se sont empressés d'apporter leur aide à l'Alliance du Nord du commandant Massoud.
A l'aube du 21e siècle, deux nouveaux événements ont rehaussé encore plus l'importance stratégique de l'Afghanistan. D'un côté, l'éclatement de l'empire russe et l'apparition de nouveaux Etats chancelants (les "cinq Stans" : Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizstan, et Turkménistan - Arménie, Azerbaïdjan, et Géorgie) attisent les appétits impérialistes des puissances secondaires : la Turquie essaie de mettre sur pied des alliances avec les nouveaux Etats turcophones, le Pakistan de jouer sur le gouvernement Taliban afin de renforcer son influence et de gagner du terrain dans sa guerre larvée avec l'Inde au Cachemire, pour ne pas parler des tentatives russes d'imposer de nouveau leur présence militaire dans la région. D'un autre côté, la découverte d'importantes réserves de pétrole autour de la mer Caspienne et particulièrement au Kazakhstan attire les grandes entreprises pétrolières occidentales.
Nous ne pouvons pas ici essayer de démêler toutes les rivalités et conflits inter-impérialistes qui secouent la région depuis 1989 (7). Mais pour se faire une idée de la poudrière qui entoure l'Afghanistan, il suffit d'énumérer quelques-uns des conflits et des rivalités en cours :
La géographie absurde laissée par la désagrégation de l'URSS fait que la région la plus riche et la plus peuplée - la vallée du Fergana - est partagée entre l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, et le Kirghizistan, de façon à ce qu'aucun de ces pays ne dispose d'une route directe entre sa capitale et sa partie la plus peuplée !
Après une guerre civile de cinq ans, les islamistes de l'Opposition Unifiée Tadjik sont entrés dans le gouvernement ; cependant, on soupçonne qu'ils n'ont pas abandonné leurs liens avec le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan (l'organisation de guérilla la plus importante), surtout parce que ce dernier doit passer par le Tadjikistan pour attaquer l'Ouzbékistan à partir de ses bases en Afghanistan.
L'Ouzbékistan est le seul pays à avoir refusé la présence de troupes russes sur son territoire : il est donc soumis à toutes les pressions de la Russie.
Le Pakistan soutient depuis toujours les Talibans, y compris avec 2 000 hommes de troupe lors de la dernière offensive contre l'Alliance du Nord. Il espère ainsi se donner une "profondeur stratégique" dans la région par rapport à la Russie et l'Inde, pour ne pas parler du commerce lucratif de l'héroïne qui passe en grande partie par le Pakistan et entre les mains des généraux de l'ISI.
La Chine, qui a ses propres problèmes avec des séparatistes Ouighours en Xinjiang, essaie aussi d'accroître son influence dans la région à travers la Shanghai Cooperation Organisation, regroupant les "cinq Stans" (sauf le Turkménistan, reconnu comme pays neutre par l'ONU) et la Russie. En même temps, la Chine veut rester en bons termes avec les Talibans et vient de signer un accord industriel et commercial avec leur gouvernement.
Evidemment, les Etats-Unis ne restent pas en-dehors. Ils ont déjà apporté leur soutien au gouvernement très peu recommandable Ouzbek : "Les militaires US connaissent bien les militaires Ouzbek et la base aérienne de Tachkent. Des unités US ont participé dans des exercices d'entraînement militaires avec des troupes Ouzbek, Kazakh, et Kirghize comme partie des exercices Centrazbat sous l'égide du programme de l'OTAN 'Partenariat pour la Paix'. Plusieurs de ces exercices ont eu lieu à la base militaire de Chirchik, aux abords de Tachkent. L'Ouzbékistan a aussi recherché activement un soutien US depuis son indépendance en 1991, souvent au dépens de ses rapports avec la Russie (...) Lors d'une visite dans la région en 2 000 par le Secrétaire d'Etat d'alors, Madame Albright, les Etats-Unis ont promis à l'Ouzbékistan plusieurs millions de dollars d'équipement militaire, et les forces spéciales US ont entraîné des troupes Ouzbek dans des méthodes de contre-terrorisme et de combat en montagne."
C'est donc dans une véritable poudrière qu'interviennent les Etats-Unis, soi-disant pour y apporter la "Liberté durable". Evidemment, nous ne pouvons pas aujourd'hui prévoir qu'elle en sera le résultat final. Par contre, l'histoire de la guerre du Golfe nous indique que dix ans après la fin de la guerre :
la région ne connaît pas de paix, puisque les affrontements entre israéliens et palestiniens, entre turcs et kurdes, entre gouvernements et guérillas fondamentalistes continuent de plus belle, ainsi que les bombardements devenus quotidiens des avions américains et anglais sur l'Irak ;
les troupes américaines se sont installées durablement dans la région, grâce à leurs nouvelles bases en Arabie Saoudite, et que cette présence devient elle-même source d'instabilité (attentat anti-américain à Dahran).
Nous pouvons donc affirmer avec certitude que l'intervention qui se prépare en Afghanistan n'apportera ni paix, ni liberté, ni justice, ni stabilité, mais seulement plus de guerre et de misère pour attiser un peu plus les feux du ressentiment et du désespoir des populations, le même désespoir qui s'est emparé des kamikazes du 11 septembre.
La crise et la classe ouvrière
Quelques jours à peine avant l'attentat, Hewlett-Packard annonçait sa fusion avec Compaq. Cette fusion doit se traduire par la perte de 14 500 emplois. C'est un exemple parmi tant d'autres de la crise qui va en s'approfondissant, et qui s'apprête à frapper de plus en plus durement les ouvriers.
A peine quelques jours après l'attentat, United Airlines, US Air, et Boeing annoncèrent des dizaines de milliers de licenciements. Depuis, l'exemple a été suivi par des lignes aériennes à travers le monde (Bombardier Aircraft, Air Canada, Scandinavian Airlines, British Airways, et Swissair pour ne mentionner que les derniers en date).
De plus, la bourgeoisie a le culot d'utiliser l'attentat du World Trade Center comme explication pour la nouvelle crise ouverte qui est en train de s'abattre sur la classe ouvrière (8). C'est une explication qui peut sembler tenir la route, avec les 6 600 milliards de dollars de valeurs perdus dans le véritable krach boursier mondial qui s'est produit depuis le 11 septembre. Mais en réalité la crise était déjà là, les patrons ne font que sauter sur l'occasion. Ainsi, selon Leo Mullin, le PDG de Delta Airlines, "même si le Congrès a approuvé l'octroi d'une aide financière globale à l'industrie, l'apport de liquidités a été calculé selon le manque à gagner engendré uniquement par les seuls événements du 11 septembre (...) Or, la demande chute tandis que les coûts de l'exploitation augmentent. Delta enregistre donc un flux de trésorerie négatif."
Et en effet, le monde capitaliste est déjà serré dans l'étreinte de la récession, qui se traduit en premier lieu bien évidemment par des attaques contre la classe ouvrière. Aux Etats-Unis, entre janvier et fin août 2001, il y a eu un million de chômeurs de plus. Des entreprises géantes comme Motorola et Lucent, la canadienne Nortel, la française Alcatel, la suédoise Ericsson, ont licencié par dizaines de milliers. Au Japon, le chômage qui était de 2% est monté à 5% cette année (9). La rapidité foudroyante des annonces de nouvelles pertes d'emplois (57 700 entre le 17 et le 21 septembre aux Etats-Unis) nous montre comment les patrons ont sauté sur le prétexte de l'attentat pour mettre en oeuvre des plans de licenciements déjà prévus depuis des mois.
Non seulement la classe ouvrière doit payer pour la crise, mais elle doit payer aussi pour la guerre, et pas seulement aux Etats-Unis ou la note s'élève déjà à au moins 40 milliards de dollars. En Europe, tous les gouvernements sont d'accord pour accroître leurs efforts en vue de constituer une force de réaction rapide qui donnera aux puissances européennes une capacité d'action indépendante. En Allemagne, 20 milliards de marks pour la restructuration militaire n'ont pas encore trouvé de place dans le budget fédéral. On peut se douter que la place sera rapidement trouvée, et cette note aussi les ouvriers devront la payer.
Décidément, la solidarité de l'union sacrée est une solidarité à sens unique, des ouvriers envers la classe dominante ! Et le cynisme de cette classe dominante, qui se sert des morts de la classe ouvrière comme prétexte pour licencier, ne connaît pas de bornes.
Aujourd'hui comme toujours, c'est la classe ouvrière qui est la première victime de la guerre.
Victime d'abord dans sa chair. Mais victime surtout dans sa conscience. Alors que seul la classe ouvrière a la capacité de mettre fin au système responsable de la guerre, la bourgeoisie s'en sert, encore et toujours, pour appeler à l'union sacrée. L'union sacrée des exploités avec leurs exploiteurs. L'union sacrée de ceux qui souffrent en premier du capitalisme avec ceux qui en tirent leur jouissance et leurs privilèges.
La première réaction des prolétaires de New York, une des premières villes ouvrières du monde, n'a pas été le chauvinisme revanchard. D'abord, on a assisté à une réaction spontanée de solidarité envers les victimes, comme en ont témoigné les queues pour donner son sang, les milliers de gestes individuels de secours et de réconfort. Dans les quartiers ouvriers ensuite, où on pleurait les morts à défaut de pouvoir les enterrer, on pouvait lire sur des pancartes des déclarations : "Zone libérée de la haine", "Vivre comme un seul monde est la seule façon d'honorer les morts", "La guerre n'est pas la réponse." Evidemment, de tels slogans sont imbibés de sentiments démocratiques et pacifistes. Sans un mouvement de lutte capable de donner corps à une résistance puissante aux attaques capitalistes, et surtout sans un mouvement révolutionnaire capable de se faire entendre dans la classe ouvrière, cette solidarité spontanée ne peut qu'être balayée par l'immense vague de patriotisme relayée par les médias depuis l'attentat. Ceux qui tentent de refuser la logique de guerre risquent d'être inféodés au pacifisme qui devient toujours le premier va-t-en-guerre quand la "patrie est en danger". Ainsi, on peut lire cette déclaration (individuelle) sur un site web pacifiste : "quand une nation est attaquée, la première décision doit être ou de capituler ou de combattre. Je pense qu'il n'y a pas de voie moyenne ici : Ou vous combattez ou vous ne combattez pas, et ne rien faire équivaut à capituler." (d'après le Willamette Week Online) Pour les écologistes, "La nation est aujourd'hui unie : nous ne voulons pas apparaître en désaccord avec le gouvernement." (Alan Metrick, porte-parole du Natural ressources Defense Council, 530 000 membres, cité dans Le Monde du 28 septembre)
"La paix mondiale ne peut être préservée par des plans utopiques ou foncièrement réactionnaires, tels que des tribunaux internationaux de diplomates capitalistes, des conventions diplomatiques sur le 'désarmement' (...) etc. On ne pourra pas éliminer ou même enrayer l'impérialisme, le militarisme et la guerre aussi longtemps que les classes capitalistes exerceront leur domination de classe de manière incontestée. Le seul moyen de leur résister avec succès et de préserver la paix mondiale, c'est la capacité d'action politique du prolétariat international et sa volonté révolutionnaire de jeter son poids dans la balance."
Voilà ce qu'écrivait Rosa Luxemburg en 1915 (Thèses sur les Tâches de la Social-Démocratie Internationale), au milieu d'une des périodes les plus noires que l'humanité ait jamais connues, alors que les prolétaires des pays les plus développés se massacraient sur les champs de bataille de la guerre impérialiste. Aujourd'hui aussi la période est dure, pour les ouvriers et pour les révolutionnaires qui maintiennent bien haut, coûte que coûte, le drapeau de la révolution communiste. Mais comme Rosa Luxemburg, nous sommes convaincus que l'alternative est socialisme ou barbarie, et que la classe ouvrière mondiale reste la seule force capable de résister à la barbarie et de créer le socialisme. Avec Rosa Luxemburg, nous affirmons que l'implication des ouvriers dans la guerre "est un attentat non pas à la culture bourgeoise du passé, mais à la civilisation socialiste de l'avenir, un coup mortel porté à cette force qui porte en elle l'avenir de l'humanité et qui seule peut transmettre les trésors précieux du passé à une société meilleure. Ici, le capitalisme découvre sa tête de mort, ici il trahit que son droit d'existence historique a fait son temps, que le maintien de sa domination n'est plus compatible avec le progrès de l'humanité (...) Cette folie cessera le jour où les ouvriers (...) se réveilleront enfin de leur ivresse et se tendront une main fraternelle, couvrant à la fois le choeur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes, en poussant le vieux et puissant cri de guerre du Travail : prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" (Brochure de Junius, 1915).
Jens, 3 Octobre 2001
Notes :
1. Ajoutons à cela que tous les Etats maintiennent des services secrets, avec leurs "sections des sales coups" et que, quand ils n'utilisent pas leurs propres assassins, ils sont toujours prêts à se payer les services d'un opérateur indépendant.
2. En fait, d'après les révélations de Robert Gates (ancien patron de la CIA) les Etats-Unis n'ont pas seulement répondu à l'invasion russe de l'Afghanistan, mais l'a délibérément provoquée en aidant l'opposition au régime prosoviétique de Kaboul de l'époque. Interviewé par Le Nouvel Observateur en 1998, Zbigniew Brzezinski (ancien conseiller du président Carter) répond : "Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les russes dans le piège afghan, et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j'ai écrit au président Carter, en substance: 'Nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du Vietnam (...) Qu'est-ce qui est plus important au regard de l'histoire du monde ? Les Talibans ou la chute de l'empire soviétique ?" (cité dans Le Monde Diplomatique de septembre 2001).
3. Voir notre brochure La décadence du capitalisme.
4. On peut, par exemple, se rappeler le procès des agents des services secrets libyens accusés d'avoir perpétré l'attentat de Lockerbie. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont maintenu mordicus que les libyens devaient être jugés, même quand il est apparu que la responsabilité était plutôt du côté syrien. Mais à l'époque, les Etas-Unis faisaient les yeux doux à la Syrie pour essayer de l'engager dans le processus de paix entre Israël et les palestiniens.
5. Notons au passage que le Parti soi-disant Communiste Français n'exprime pas de tels états d'âme : le 13 septembre, le conseil national du PCF observe deux minutes de silence, pour exprimer sa "solidarité à tout le peuple américain, à l'ensemble des citoyens et des citoyennes de ce grand pays et aux dirigeants qu'ils se sont donnés". Et que dire du titre à la une de Lutte Ouvrière : "On ne peut entretenir les guerres aux quatres coins du monde sans qu'elles vous rattrapent un jour". Traduction: "Ouvriers américains assassinés, c'est bien fait pour votre gueule".
6. On peut quand même se poser des questions sur cette rapidité : une voiture de location retrouvée à peine quelques heures après l'attentat avec des manuels d'aviation écrits en arabe, alors que les pilotes kamikazes vivaient depuis des mois, sinon des années, aux Etats-Unis et y suivaient leurs cours; le rapport selon lequel on aurait trouvé dans les décombres du World Trade Center un passeport appartenant à l'un des terroristes, qui n'aurait pas été détruit par l'explosion de plusieurs centaines de tonnes de kérosène...
7. En particulier, nous ne parlerons pas des conflits constants sur la construction des nouveaux oléoducs pour transporter le pétrole de la mer caspienne vers les pays développés, la Russie cherchant à imposer une route qui passerait par la Tchétchénie et la Russie pour terminer à Novossibyrsk sur la côte russe de la Mer Noire, le gouvernement américain promouvant la route Baku-Tbilisi-Ceyhan (c'est-à-dire Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie) qui laisserait les russes complètement sur la touche. Notons seulement au passage que le gouvernement américain a dû imposer son choix au grand dam des compagnies pétrolières, qui la considéraient économiquement inintéressant.
8. Comme elle a fait en 1974, quand la crise était censée être dûe à l'augmentation du prix du pétrole, c'est la même explication qu'on nous a resservie en 1980. Quant à la crise de 1990-93, elle aurait été la conséquence de la guerre du Golfe...
9. Ajoutons que si ce taux semble relativement bas par rapport à la France par exemple, il montre le succès de l'Etat nippon, non pas dans la limitation du chômage, mais dans le trucage des chiffres.
Depuis le rapport sur la lutte de classe au dernier congrès, il n'y a pas eu de changements immédiats dans la situation d'ensemble à laquelle la classe est confrontée. Le prolétariat a montré, à travers diverses luttes, que sa combativité reste intacte et son mécontentement croissant (comme chez les employés des transports de New York, dans la "grève générale" en Norvège, dans les grèves qui ont touché de nombreux secteurs en France, celle des postiers en Grande Bretagne, les mouvements dans des pays de la périphérie comme le Brésil, la Chine, etc.). Mais ce qui continue à dominer la situation, ce sont les difficultés que rencontre la classe ouvrière - difficultés imposées par les conditions du capitalisme en décomposition et continuellement renforcées par les campagnes idéologiques de la bourgeoisie sur "la disparition de la classe ouvrière", la "nouvelle économie", la "mondialisation", et même "l'anti-capitalisme". En même temps, au sein du milieu politique prolétarien, se maintiennent des désaccords fondamentaux sur le rapport de forces entre les classes, certains groupes ayant prétexté comme raison à ne participer à aucune initiative conjointe contre la guerre au Kosovo la vision "idéaliste" du CCI sur le cours historique.
C'est pourquoi, plutôt que de centrer ce rapport sur les luttes de la période récente, nous le mettrons à profit pour approfondir notre compréhension du concept de cours historique tel que le mouvement ouvrier l'a développé. Pour pouvoir répondre de façon efficace aux critiques qui nous sont faites, nous devons évidemment aller à la racine historique des incompréhensions qui traversent le milieu prolétarien. Une autre raison en faveur d'un tel type de rapport est que l'une des faiblesses de nos analyses des luttes récentes a été une tendance à l'immédiatisme, une tendance à se concentrer sur des luttes particulières pour "prouver" notre position sur le cours, ou sur les difficultés de ces luttes comme base possible pour mettre en question nos conceptions. Ce qui suit est bien loin d'être une étude exhaustive ; le but est d'aider l'organisation à mieux connaître la méthode générale avec laquelle le marxisme a abordé cette question.
Le concept de "cours historique", tel qu'il a été surtout développé par la Fraction italienne de la Gauche communiste, dérive de l'alternative historique posée par le mouvement marxiste au 19e siècle : l'alternative socialisme ou barbarie. En d'autres termes, le mode de production capitaliste contient en son sein deux tendances et possibilités contradictoires - la tendance à l'auto-destruction, et la tendance à l'association du travail à l'échelle mondiale et à l'émergence d'un ordre social nouveau et supérieur. Il faut insister sur le fait que, pour le marxisme, aucune de ces tendances ne s'impose de l'extérieur à la société capitaliste, contrairement aux théories bourgeoises qui expliquent par exemple les manifestations de barbarie telles que le nazisme ou le stalinisme comme des intrusions étrangères à la normalité capitaliste, contrairement aussi aux diverses visions mystiques ou utopistes de l'avènement d'une société communiste. Les deux issues possible de la trajectoire historique du capital sont la culmination logique de ses processus vitaux les plus profonds. La barbarie, l'effondrement social et la guerre impérialiste dérivent de la concurrence sans merci qui pousse le système de l'avant, à partir des divisions inhérentes à la production de marchandises et à la guerre perpétuelle de tous contre tous ; le communisme, lui, dérive de la nécessité pour le capital du travail associé et unifié, produisant ainsi son propre fossoyeur qu'est le prolétariat. Contre toutes les erreurs idéalistes qui essayaient de séparer le prolétariat du communisme, Marx a défini ce dernier comme l'expression de "son mouvement réel" et a insisté sur le fait que les ouvriers "n'ont pas d'idéal à réaliser, mais à libérer les éléments de la nouvelle société dont la vieille société bourgeoise qui s'effondre est elle-même enceinte." (La guerre civile en France)
Dans le Manifeste communiste, il existe une certaine tendance à supposer que cette grossesse aboutira automatiquement à une naissance saine - que la victoire du prolétariat est inévitable. En même temps, lorsqu'il parle des précédentes sociétés de classe, le Manifeste montre que lorsqu'aucune issue révolutionnaire n'a eu lieu, le résultat a été "la ruine mutuelle des classes en présence" - bref, la barbarie. Bien que cette alternative ne soit pas clairement annoncée pour le capitalisme, c'est la déduction logique qui vient de la reconnaissance que la révolution prolétarienne n'est en aucune façon un processus automatique et qu'elle requiert l'auto-organisation consciente du prolétariat, la classe dont la mission est de créer une société qui permettra pour la première fois à l'humanité d'être maître de son destin. De ce fait, le Manifeste communiste est axé sur la nécessité pour les prolétaires "de se constituer eux-mêmes en classe, et donc en parti politique". Quelles que soient les clarifications qui ont eu lieu plus tard sur la distinction entre parti et classe, le noyau de cette prise de position reste profondément vrai : le prolétariat ne peut agir comme force révolutionnaire et consciente d'elle-même que s'il s'affronte au capitalisme au niveau politique ; et pour le faire, il ne peut se dispenser de la nécessité de former un parti politique.
Encore une fois, il était clair que "la constitution du prolétariat en classe", armé d'un programme explicite contre la société capitaliste, n'était pas possible à tout moment. D'abord, le Manifeste insiste sur la nécessité que la classe traverse une longue période d'apprentissage où elle fera avancer sa lutte de ses formes "primitives" initiales (telles que le Luddisme) à des formes plus organisées et conscientes (formation des syndicats et des partis politiques). Et malgré "l'optimisme de jeunesse" du Manifeste sur les potentialités immédiates de la révolution, l'expérience de 1848-52 a démontré que les périodes de contre-révolution et de défaites faisaient aussi partie de l'apprentissage du prolétariat, et que, dans de telles périodes, les tactiques et l'organisation du mouvement prolétarien devaient s'adapter en conséquence. C'est tout le sens de la polémique entre le courant marxiste et la tendance Willich-Schapper qui, selon les termes de Marx, "avait substitué une conception idéaliste à une conception matérialiste. Au lieu de voir la situation réelle comme la force motrice de la révolution, elle ne voyait que la simple volonté." ("Adresse au Conseil général de la Ligue communiste", septembre 1850) Cette démarche a été à la base de la décision de dissoudre la Ligue communiste et de se concentrer sur les tâches de clarification et de défense des principes - les tâches d'une fraction - au lieu de gaspiller des énergies dans de grandioses aventures révolutionnaires. Pendant la phase ascendante du capitalisme, l'avant-garde marxiste a montré dans sa pratique qu'il était vain de chercher à fonder un parti de classe réellement efficace dans des périodes de reflux et de réaction : le schéma de formation des partis pendant les phases de lutte de classe montante et la reconnaissance de leur mort dans les phases de défaites a été par la suite suivi avec la Première internationale et la création de la Deuxième.
Il est vrai que les écrits des marxistes pendant cette période, tout en contenant beaucoup de points d'une importance capitale, ne développent pas une théorie cohérente du rôle de la fraction dans les périodes de reflux ; comme le souligne Bilan (publication de la Gauche italienne dans les années 1930), cela n'a été possible qu'à partir du moment où la notion de parti a elle-même été élaborée théoriquement, tâche qui ne pouvait être pleinement accomplie que dans la période de lutte directe pour le pouvoir, inaugurée par la décadence du système capitaliste (voir notre article sur les rapports entre fraction et parti dans la Revue internationale n° 61). De plus, les conditions de la décadence rendent encore plus aigus les contours de cette question puisque, dans la période d'ascendance, avec la lutte à long terme pour des réformes, les partis politiques pouvaient maintenir un caractère prolétarien sans être entièrement composés de révolutionnaires, alors que dans la décadence, le parti de classe ne peut être composé que de militants révolutionnaires et comme tel, ne peut se maintenir longtemps en tant que parti communiste - c'est-à-dire en tant qu'organe ayant la capacité de mener l'offensive révolutionnaire - en dehors des phases de lutte de classe ouverte.
De même, les conditions du capitalisme ascendant n'ont pas permis de faire pleinement évoluer le concept selon lequel, suivant le rapport de forces global entre les classes, la société capitaliste évolue soit vers la guerre mondiale, soit vers des soulèvements révolutionnaires. La guerre mondiale ne constituait pas alors une conséquence possible de la crise économique, le capitalisme ayant les moyens de surmonter ses crises périodiques à travers l'expansion du marché mondial ; et parce que la lutte pour des réformes n'étant pas encore épuisée, la révolution mondiale restait, pour la classe ouvrière, une perspective globale plutôt qu'une nécessité brûlante. L'alternative historique entre le socialisme et la barbarie ne pouvait pas encore être "condensée" en un choix plus immédiat entre la guerre et la révolution.
Néanmoins, dès 1887, l'émergence de l'impérialisme avait permis à Engels de prévoir d'une façon éclatante la forme précise que la tendance du capitalisme à la barbarie allait être forcée de prendre - une guerre dévastatrice au coeur même du système : "Il n'y a pas de guerre possible pour la Prusse-Allemagne sinon une guerre mondiale et une guerre mondiale d'une extension et d'une violence jusqu'ici inimaginable. Huit à dix millions de soldats en train de se massacrer les uns les autres et ce faisant dévorant toute l'Europe jusqu'à ce qu'ils l'aient dévastée plus que n'importe quel essaim de sauterelles ne l'a jamais fait. La dévastation de la Guerre de Trente ans comprimée en trois ou quatre années, et répandue à travers tout le continent ; la famine, l'empoisonnement, la chute générale dans la barbarie, à la fois des armées et des masses du peuple ; une confusion sans espoir de notre système artificiel de commerce, d'industrie et de crédit, aboutissant à la banqueroute générale, l'effondrement des anciens Etats et de leur sagesse élitiste traditionnelle à un point tel que les couronnes rouleront par douzaines sur le trottoir et il n'y aura personne pour les prendre ; l'impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira victorieux de la lutte ; un seul résultat est absolument certain : l'épuisement général et l'établissement des conditions de la victoire finale de la classe ouvrière." (15 décembre 1887) Il vaut la peine de noter aussi qu'Engels - se basant lui-même sans aucun doute sur l'expérience réelle de la Commune de Paris une décennie et demi plus tôt - prévoyait que cette guerre européenne donnerait naissance à la révolution prolétarienne.
Pendant la première décennie du 20e siècle, la menace croissante de cette guerre devint une grande préoccupation pour l'aile révolutionnaire de la social-démocratie, ceux qui ne se laissaient pas tromper par les chants de sirènes du "progrès perpétuel", du "super impérialisme" et d'autres idéologies qui avaient prise sur de grandes parties du mouvement ouvrier. Aux congrès de la Seconde Internationale, c'est l'aile gauche - Lénine et Rosa Luxemburg en particulier - qui insistait le plus fortement sur la nécessité que l'Internationale prenne une position claire face au danger de guerre. La résolution de Stuttgart de 1907 et la résolution de Bâle qui en a réaffirmé les prémisses en 1912, furent le fruit de ses efforts. La première stipule que "dans le cas d'une menace d'éclatement de la guerre, c'est le devoir de la classe ouvrière et de ses représentants au Parlement dans les pays y prenant part, fortifiés par l'activité unificatrice du Bureau international, de tout faire pour empêcher l'éclatement de la guerre par tous les moyens qui leur paraissent efficaces, qui sont naturellement différents selon l'intensification de la guerre de classe et la situation politique générale.
Si la guerre éclatait malgré tout, c'est leur devoir d'intervenir pour sa fin rapide et d'agir de toutes leurs forces pour utiliser la crise économique et politique violente amenée par la guerre pour soulever les masses et donc accélérer l'abolition de la domination de la classe capitaliste". Bref, face à la descente impérialiste vers une guerre catastrophique, non seulement la classe ouvrière devait s'y opposer mais, si la guerre éclatait, y répondre par l'action révolutionnaire. Ces résolutions devaient servir de base au slogan de Lénine pendant la Première guerre mondiale : "Transformation de la guerre impérialiste en guerre civile".
Lorsqu'on réfléchit à cette période, il est important de ne pas projeter en arrière une conscience de la part de chacune des classes antagoniques qu'elles n'avaient pas. A cette époque, ni le prolétariat ni la bourgeoisie ne pouvaient avoir pleinement conscience de ce que signifiait réellement la guerre mondiale. En particulier, il n'était pas possible d'envisager clairement le fait que la guerre impérialiste moderne étant une guerre totale et non plus un combat lointain entre armées professionnelles, elle ne pouvait plus être menée sans la mobilisation totale du prolétariat - à la fois des ouvriers en uniforme et des ouvriers sur le front intérieur . Il est vrai que la bourgeoisie avait compris qu'elle ne pourrait lancer une guerre que si la social-démocratie était assez corrompue pour ne pas s'y opposer, mais les événements de 1917-21, directement provoqués par la guerre, lui ont enseigné beaucoup de leçons qu'elle n'oubliera jamais, avant tout en ce qui concerne la nécessité de préparer totalement le terrain politique et social avant de lancer une guerre majeure, en d'autres termes, de parachever la destruction physique et idéologique de l'opposition prolétarienne.
Si on regarde le problème du point de vue du prolétariat, il est clair qu'il manque dans la résolution de Stuttgart, une analyse du rapport de forces entre les classes - de la force réelle du prolétariat, de sa capacité à résister à la descente dans la guerre. Du point de vue de la résolution, l'action de classe pouvait empêcher la guerre, ou pouvait l'arrêter après qu'elle ait commencé. En fait la résolution argumente que les diverses prises de position et interventions contre la guerre faites par les syndicats et les partis social-démocrates de l'époque "témoignent de la force croissante du prolétariat et de son pouvoir à assurer la paix à travers une intervention décisive." Cette prise de position optimiste représentait une totale sous-estimation du degré auquel la social-démocratie et les syndicats avaient déjà été intégrés dans le système et allait s'avérer plus qu'inutile pour une réponse internationaliste. Lorsque la guerre a éclaté, cette situation devait laisser les gauches dans un certain désarroi - comme en témoignent l'idée initiale de Lénine selon laquelle c'était le Haut commandement allemand qui avait réalisé le numéro du Vorwarts appelant les ouvriers à soutenir la guerre ; ou encore l'isolement du groupe Die Internationale en Allemagne, etc. Et il n'y a aucun doute sur le fait que c'est la trahison puante des anciennes organisations ouvrières, leur incorporation graduelle au capitalisme qui a fait pencher le rapport de forces contre la classe ouvrière et ouvert un cours à la guerre, et ceci malgré le très haut niveau de combativité que les ouvriers avaient manifesté dans de nombreux pays dans la décennie précédant la guerre et même juste avant.
Ce dernier fait a souvent ouvert la porte à la théorie selon laquelle la bourgeoisie aurait déchaîné la guerre comme mesure préventive contre la révolution imminente - une théorie qui, selon nous, est basée sur l'incapacité à faire la distinction entre la combativité et la conscience, et qui minimise l'énorme signification historique de la trahison des organisations que la classe ouvrière avait tant bataillé à construire et l'effet que cette trahison a produit. Ce qui est vrai, cependant, c'est que la façon dont la bourgeoisie a acquis sa première victoire décisive sur les ouvriers - "l'Union sacrée" proclamée par la social-démocratie et les syndicats - s'est avérée insuffisante pour rompre totalement la dynamique de la grève de masse qui avait mûri dans la classe ouvrière européenne, russe et américaine pendant la décennie précédente. La classe ouvrière s'est montrée capable de récupérer de la défaite principalement idéologique de 1914 et de lancer sa réponse révolutionnaire trois ans après. Ainsi le prolétariat, à travers sa propre action a changé le cours historique : le cours s'éloignait maintenant du conflit impérialiste mondial et allait vers la révolution communiste mondiale.
Pendant les années révolutionnaires qui ont suivi, la pratique de la bourgeoisie a fourni sa propre "contribution" à l'approfondissement du problème du cours historique. Elle a montré que, face à un défi ouvertement révolutionnaire de la classe ouvrière, le cours vers la guerre passe au second plan par rapport à la nécessité de reprendre le contrôle des masses exploitées. Cela a été le cas non seulement dans la chaleur de la révolution elle-même, quand les soulèvements en Allemagne ont obligé la classe dominante à mettre fin à la guerre et à s'unir contre son ennemi mortel, mais aussi pendant les années qui ont suivi, parce que, alors que les oppositions inter-impérialistes n'avaient pas disparu (le conflit entre la France et l'Allemagne par exemple), elles ont été largement reléguées à l'arrière-plan pendant que la bourgeoisie cherchait à résoudre la question sociale. Tel est, par exemple, le sens du soutien apporté au programme d'Hitler de terreur contre la classe ouvrière de la part de beaucoup de fractions de la bourgeoisie mondiale dont les intérêts impérialistes ne pouvaient qu'être menacés par la résurgence du militarisme allemand. La période de reconstruction qui a suivi la guerre - bien que limitée en étendue et profondeur en comparaison de celle qui a suivi 1945 - a également servi à repousser temporairement le problème du repartage du butin impérialiste en ce qui concerne la classe dominante.
Pour sa part, l'Internationale communiste n'a eu que très peu de temps pour clarifier de telles questions bien que, dès le départ, elle ait clairement établi que si la classe ouvrière ne parvenait pas à répondre au défi révolutionnaire lancé par les ouvriers russes, le chemin vers une autre guerre mondiale serait ouvert. Le Manifeste du premier congrès de l'IC (mars 1919) avertit que si la classe ouvrière se laissait avoir par les discours des opportunistes, "le développement capitaliste célébrerait sa restauration sous des formes nouvelles plus concentrées et plus monstrueuses sur le dos de beaucoup de générations, avec la perspective d'une nouvelle et inévitable guerre mondiale. Heureusement pour l'humanité, ceci n'est plus possible." Pendant cette période, la question du rapport de forces entre les classes était en fait cruciale, mais moins par rapport au danger de guerre que vis-à-vis des possibilités immédiates de la révolution. La dernière phrase du passage qu'on vient de citer fournit matière à réflexion ici : dans les premières phases enivrantes de la vague révolutionnaire, il y avait une nette tendance à considérer la victoire de la révolution mondiale comme inévitable, et donc à imaginer qu'une nouvelle guerre mondiale n'était pas réellement possible. Cela représentait clairement une sous-estimation de la tâche gigantesque à laquelle la classe ouvrière est confrontée pour créer une société fondée sur la solidarité sociale et la maîtrise consciente des forces productives. Et, en plus de ce problème général, applicable à tout mouvement révolutionnaire de la classe, dans les années 1914-21, le prolétariat s'est trouvé confronté à "l'éruption" soudaine et brutale d'une nouvelle époque historique qui l'a contraint à se débarrasser très rapidement d'habitudes et de méthodes de lutte enracinées et à acquérir "du jour au lendemain" les méthodes appropriées à cette nouvelle époque.
Comme l'élan initial de la vague révolutionnaire faiblissait, l'optimisme quelque peu simpliste des premières années s'est avéré de plus en plus inadéquat, et il est devenu de plus en plus urgent de faire une évaluation sobre et réaliste du véritable rapport de forces entre les classes. Au début des années 1920, il y eut une polémique très forte en particulier entre l'IC et la Gauche allemande sur cette question, débat dans lequel la vérité ne résidait totalement ni d'un côté ni de l'autre. L'IC a plus rapidement vu la réalité du reflux de la révolution après 1921, et donc la nécessité de consolider l'organisation et de développer la confiance de la classe ouvrière en participant à ses luttes défensives. Mais, pressée par les besoins de l'Etat et de l'économie russes en plan à rechercher des points d'appui hors de Russie, l'IC a de plus en plus traduit cette perspective en un langage opportuniste (le Front unique, la fusion avec les partis centristes, etc.). La Gauche allemande a fermement rejeté ces conclusions opportunistes, mais son impatience révolutionnaire et la théorie de la crise mortelle du capitalisme l'ont empêchée de faire la distinction entre la période générale de déclin du capitalisme qui pose la nécessité de la révolution en termes historiques généraux, et les différentes phases au sein de cette période, phases qui ne présentent pas automatiquement toutes les conditions requises pour un renversement révolutionnaire. L'incapacité de la Gauche allemande à analyser le rapport de forces objectif entre les classes était couplée d'une faiblesse cruciale sur le plan organisationnel - son incapacité à comprendre les tâches d'une fraction luttant contre la dégénérescence du vieux parti. Ces faiblesses devaient avoir des conséquences fatales pour l'existence même de la Gauche allemande comme courant organisé.
C'est là que la Gauche italienne trouve sa justification comme pôle de clarté international. Au début des années 1920, ayant traversé l'expérience du fascisme, elle a su voir que le prolétariat reculait devant une offensive bourgeoise déterminée. Mais cela ne l'a pas entraînée dans le sectarisme puisqu'elle a continué à participer pleinement aux luttes défensives de la classe, ni dans l'opportunisme puisqu'elle a fait une critique très lucide du danger de l'opportunisme dans l'Internationale, en particulier à travers les concessions de cette dernière à la social-démocratie. Ayant déjà été éduquée aux tâches d'une fraction dans le combat politique au sein du parti socialiste italien avant la guerre, la Gauche italienne se rendait également tout à fait compte de la nécessité de lutter au sein des organes existants de la classe tant qu'ils conservaient un caractère prolétarien. Vers 1927-28 cependant, la Gauche avait reconnu que l'expulsion du parti bolchevik de l'Opposition de gauche et d'autres courants au niveau international, signifiait un développement qualitatif de la contre-révolution et elle a demandé la constitution formelle d'une fraction de gauche indépendante, même si elle laissait ouverte la possibilité de reconquérir les partis communistes.
L'année 1933 a constitué une nouvelle date significative pour la Gauche italienne : pas seulement parce que le premier numéro de Bilan est paru cette année-là, mais aussi parce que le triomphe du nazisme en Allemagne a convaincu la Fraction que le cours vers une deuxième guerre mondiale était maintenant ouvert. La façon qu'a eu Bilan de saisir la dynamique du rapport de forces entre les classes depuis 1917 était résumée dans le logo qu'elle a mis pendant un certain temps sur ses publications : "Lénine 1917, Noske 1919, Hitler 1933" : Lénine étant la personnification de la révolution prolétarienne ; Noske de la répression de la vague révolutionnaire par la social-démocratie, Hitler du parachèvement de la contre-révolution bourgeoise et des préparatifs à une nouvelle guerre. Ainsi, dès le départ, la position de Bilan sur le cours historique constituait une de ses caractéristiques spécifiques.
Il est vrai que l'article éditorial de Bilan n° 1 semble en quelque sorte hésiter sur la perspective qui se présentait au prolétariat, tout en reconnaissant la défaite profonde que la classe ouvrière avait traversée, et laisse la porte ouverte à la possibilité que ce dernier trouve les capacités de revitaliser sa lutte et donc d'empêcher l'éclatement de la guerre grâce au développement de la révolution (voir la Gauche communiste d'Italie). C'était peut-être dû en partie au fait que Bilan ne voulait pas rejeter totalement la possibilité que le cours de la contre-révolution pût être renversé. Mais dans les années qui ont suivi, toutes les analyses de la situation internationale qu'a faites Bilan - que ce soit celles des luttes nationales de la périphérie, le développement de la puissance allemande en Europe, le Front populaire en France, l'intégration de l'URSS sur l'échiquier impérialiste ou la soi disant révolution espagnole - se fondaient sur la reconnaissance mesurée que le rapport de forces avait nettement évolué en défaveur du prolétariat et que la bourgeoisie dégageait la voie pour un autre massacre impérialiste. Cette évolution est exprimée avec une sobre clarté dans le texte de Bilan n° 17 : "Défendre la constitution de fractions à une époque où l'écrasement du prolétariat s'accompagne de la concrétisation des conditions du déchaînement de la guerre, est l'expression d'un 'fatalisme' qui accepte l'inévitabilité que la guerre se déchaîne et l'impossibilité que le prolétariat se mobilise face à celle-ci." ("Projet de résolution sur la situation internationale")
Cette démarche idéologique différait profondément de la position de Trotsky qui était de loin le "représentant" le plus connu de l'opposition de gauche au stalinisme à l'époque (et encore aujourd'hui). Il faut dire que Trotsky aussi avait vu dans 1933 et la victoire du nazisme un tournant décisif. Comme pour Bilan, cet événement marquait aussi la trahison définitive de l'Internationale communiste ; vis-à-vis du régime en URSS, Trotsky comme Bilan continuait à en parler comme d'un Etat ouvrier, mais à partir de cette période, il n'a plus pensé que le régime stalinien pouvait être réformé mais qu'il devait être renversé de force par "une révolution politique". Cependant, derrière ces similitudes apparentes se maintenaient des différences fondamentales qui allaient aboutir à la rupture finale entre la Fraction italienne et l'Opposition de gauche internationale. Ces différences étaient profondément liées à la notion de la Gauche italienne sur le cours historique et, dans ce contexte, à la tâche d'une fraction. Pour Trotsky, la banqueroute du vieux parti signifiait la proclamation immédiate d'un nouveau parti. Bilan quant à lui rejetait cela comme une attitude volontariste et idéaliste, et insistait sur le fait que le parti, en tant que direction effective de la classe ouvrière, ne pouvait exister dans des moments de profonde dépression du mouvement de la classe. Les efforts de Trotsky pour réunir une organisation de masse dans une telle période ne pouvaient qu'aboutir à l'opportunisme, ce qui fut illustré par le tournant de l'Opposition de gauche vers l'aile gauche de la social-démocratie à partir de 1934. Pour Bilan, un véritable parti du prolétariat ne pouvait se former que lorsque la classe était dans un cours vers un conflit ouvert avec le capitalisme. Seule une fraction, qui définissait comme sa tâche primordiale celle de faire le "bilan" des victoires et des défaites passées, pouvait préparer une telle modification de la situation, établir les bases du futur parti.
Concernant l'URSS, la vision globale qu'avait Bilan de la situation qu'affrontait le prolétariat, l'a amené à rejeter la perspective de Trotsky d'une attaque par le capital mondial contre l'Etat ouvrier - d'où la nécessité que le prolétariat défende l'URSS contre cette attaque. Au contraire Bilan voyait dans la période de réaction la tendance inévitable à ce qu'un Etat prolétarien isolé soit entraîné dans le système des alliances capitalistes préparant le terrain à une nouvelle guerre mondiale. D'où le rejet de toute défense de l'URSS comme incompatible avec l'internationalisme.
Il est vrai que les écrits de Trotsky de l'époque montrent souvent une grande perspicacité sur les tendances profondément réactionnaires dominant la situation mondiale. Mais Trotsky manquait d'une méthode rigoureuse, d'une réelle conception du cours historique. Ainsi, en dépit du triomphe sur toute la ligne de la réaction, et tout en reconnaissant que la guerre approchait, Trotsky a constamment succombé à un faux optimisme qui voyait dans le fascisme la dernière carte de la bourgeoisie contre le danger de la révolution, et dans l'antifascisme une sorte de radicalisation des masses, ce qui lui faisait soutenir l'idée que "tout était possible" au moment des grèves sous le Front populaire en France en 1936, ou prendre pour argent comptant l'idée qu'une révolution prolétarienne avait souterrainement lieu en Espagne la même année. En somme, l'incapacité de Trotsky à saisir la nature réelle de la période a accéléré le glissement du Trotskysme vers la contre-révolution, tandis que la clarté de Bilan sur la même question lui a permis de tenir bon en défense des principes de classe, même au prix d'un isolement terrible.
Il est sûr que cet isolement a pris son dû sur la Fraction elle-même, sa clarté n'a pas été défendue sans des combats majeurs dans ses propres rangs. D'abord contre les positions de la minorité sur la guerre d'Espagne : la pression pour prendre part à l'illusoire "révolution espagnole" était immense et la minorité y a succombé par sa décision de lutter dans les milices du POUM. La majorité a su maintenir son intransigeance en grande partie parce qu'elle a refusé de considérer isolément les événements d'Espagne et les a vus comme une expression du rapport de forces mondial entre les classes. Ainsi, quand des groupes comme Union communiste ou la LCI dont les positions étaient similaires à celles de la minorité, ont accusé Bilan d'être incapable de voir un mouvement de classe s'il n'était pas dirigé par un parti, et de considérer le parti comme une sorte de deux ex machina sans lequel les masses ne pouvaient rien faire, Bilan a répondu que l'absence de parti en Espagne était le produit des défaites qu'avait subies internationalement le prolétariat, et tout en exprimant sa solidarité totale avec les ouvriers espagnols, a souligné le fait que cette absence de clarté programmatique avait conduit les réactions ouvrières spontanées à être dévoyées de leur propre terrain sur le terrain de la bourgeoisie et de la guerre inter-impérialiste.
Le point de vue de la fraction sur les événements en Espagne a été vérifié par la réalité mais, à peine cette épreuve passée, elle était plongée dans une seconde encore plus préjudiciable : l'adoption par Vercesi, l'un des principaux théoriciens de la Fraction, d'une conception remettant en question toute l'analyse passée de la période historique, la théorie de l'économie de guerre.
Cette théorie était le résultat d'une fuite dans l'immédiatisme. Constatant la capacité du capitalisme à utiliser l'Etat et ses préparatifs guerriers pour réabsorber partiellement le chômage de masse qui avait caractérisé la première phase de la crise économique des années 1930, Vercesi et ses adeptes en tirèrent la conclusion que, d'une certaine façon, le capitalisme avait connu une modification et avait surmonté sa crise historique de surproduction. Revenant à l'axiome marxiste élémentaire selon lequel la principale contradiction dans la société réside dans la contradiction entre la classe exploiteuse et la classe exploitée, Vercesi fit alors le saut qui l'amena à l'idée que la guerre impérialiste mondiale n'était plus une réponse du capitalisme à ses contradictions économiques internes, mais un acte de solidarité inter-impérialiste ayant pour but le massacre de la classe ouvrière. Ainsi, si la guerre approchait, cela voulait dire que la révolution prolétarienne devenait une menace grandissante pour la classe dominante. En fait, le principal effet de la théorie de l'économie de guerre pendant cette période a été de minimiser complètement le danger de guerre. Selon Vercesi, les guerres locales et les massacres sélectifs pouvaient jouer le même rôle pour le capitalisme que la guerre mondiale. Le résultat, ce fut la totale incapacité à se préparer à l'impact que la guerre allait inévitablement avoir sur le travail de l'organisation, ce qui se solda par la désintégration quasi totale de la Fraction au début de la guerre. Et les théorisations de Vercesi sur le sens de la guerre une fois que celle-ci eût éclaté, ont achevé sa déroute : la guerre voulait dire "la disparition sociale du prolétariat" et rendait inutile toute activités militante organisée. Le prolétariat ne pouvait retrouver le chemin de la lutte qu'après l'éclatement de "la crise de l'économie de guerre" (provoquée non par l'opération de la loi de la valeur mais par l'épuisement des moyens matériels nécessaires à la poursuite de la production de guerre). Nous examinerons rapidement les conséquences qu'a eues cet aspect de la théorie à la fin de la guerre, mais son effet initial a été de semer le désarroi et la démoralisation dans les rangs de la fraction.
Dans la période qui a suivi 1938, lorsque Bilan a été remplacé par Octobre dans l'attente de nouveaux assauts révolutionnaires de la classe ouvrière, l'analyse originelle de Bilan a été maintenue et développée par une minorité qui ne voyait pas de raison de remettre en cause le fait que la guerre était imminente, qu'il y allait avoir un nouveau conflit inter-impérialiste pour la division du monde, et que les révolutionnaires doivent maintenir leur activité dans l'adversité afin de maintenir vivant le flambeau de l'internationalisme. Ce travail a été avant tout mené par les militants qui ont fait revivre la Fraction italienne à partir de 1941 et qui ont contribué à la formation de la Fraction française dans les années de guerre suivantes.
Ceux qui sont restés fidèles au travail de Bilan ont également maintenu son interprétation du changement de cours - dans le feu de la guerre elle-même. Ce point de vue s'enracinait profondément dans l'expérience réelle de la classe - celle de 1871, de 1905 et de 1917 ; et les événements de 1943 en Italie ont paru le confirmer. Ceux-ci ont constitué un authentique mouvement de classe avec une claire dimension contre la guerre, et ils ne furent pas sans écho dans les autres puissances européennes de l'Axe, en Allemagne même. Le mouvement en Italie produisit aussi une puissante impulsion vers le regroupement des forces prolétariennes éparpillées en Italie même. De cela, le noyau français de la Gauche communiste, ainsi que la Fraction italienne en exil et en Italie même conclurent que "le cours vers la formation du parti est maintenant ouvert." Mais tandis qu'une grande partie de militants en a déduit qu'il fallait constituer le parti immédiatement et sur des bases qui n'étaient pas bien définies programmatiquement, la Fraction française, en particulier le camarade Marco (MC qui était membre des deux Fractions - italienne et française) n'abandonna pas la rigueur de sa démarche. Opposée à la dissolution de la Fraction italienne et à la formation précipitée du parti, la Fraction française insistait aussi sur l'examen de la situation italienne à la lumière de la situation mondiale d'ensemble et refusa d'être embarquée dans un "italocentrisme" sentimental qui s'était emparé de beaucoup de camarades de la Fraction italienne. Le groupe en France (qui est devenu la Gauche communiste de France) fut aussi le premier à reconnaître que le cours n'avait pas changé, que la bourgeoisie avait tiré les leçons nécessaires de l'expérience de 1917 et avait infligé une autre défaite décisive au prolétariat.
Dans le texte "La tâche de l'heure - formation du parti ou formation des cadres", publié dans Internationalisme d'août 1946 (republié dans la Revue internationale n° 32) il y a une polémique très mordante contre l'incohérence des autres courants du milieu prolétarien de l'époque. Le fond de la polémique a pour but de montrer que la décision de fonder le PCInt en Italie était basée sur une estimation erronée de la période historique et avait effectivement mené à l'abandon de la conception matérialiste de la fraction en faveur d'une démarche volontariste et idéaliste qui devait beaucoup au trotskisme pour qui les partis peuvent être "construits" à tout moment sans référence à la situation historique réelle à laquelle la classe ouvrière est confrontée. Mais - probablement parce que le PCInt lui-même pris dans une fuite en avant activiste n'a pas développé de conception cohérente du cours historique - l'article se centre sur les analyses développées par d'autres groupes du milieu, en particulier la Fraction belge de la Gauche communiste qui était liée organisationnellement au PCInt. Pendant la période qui a précédé la guerre, la Fraction belge, conduite par Mitchell, s'était vigoureusement opposée à la théorie de Vercesi sur l'économie de guerre. Ses vestiges qui s'étaient maintenus après la guerre étaient maintenant devenus son partisan le plus enthousiaste. La théorie contenait l'idée que la crise de l'économie de guerre ne pourrait vraiment éclater qu'après la guerre, donc "c'est dans la période d'après-guerre que la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile se réalise... La situation présente doit donc être analysé comme celle d'une 'transformation en guerre civile'. Avec cette analyse centrale comme point de départ, la situation en Italie se montre particulièrement avancée, justifiant donc la constitution immédiate du parti, tandis que les troubles en Inde, Indonésie et dans d'autres colonies dont les rênes sont fermement tenus par les divers impérialismes en présence et par les bourgeoisies locales sont vus comme les signes du début d'une guerre civile anti-capitaliste." Les conséquences catastrophiques d'une lecture totalement erronée du véritable rapport de forces entre les classes étaient évidentes, amenant la fraction belge à voir les conflits inter-impérialistes locaux comme les expressions d'un mouvement vers la révolution.
Cela vaut aussi la peine de noter que l'article d'Internationalisme critiquait une théorie alternative du cours développée par les RKD (qui avaient rompu avec le trotskisme durant la guerre et pris des positions internationalistes). Pour Internationalisme, les RKD "de façon plus prudente se réfugient dans la théorie d'un double cours, c'est à dire d'un développement simultané et parallèle d'un cours vers la révolution et d'un cours vers la guerre impérialiste. Les RKD n'ont évidemment pas compris que le développement d'un cours à la guerre est avant tout conditionné par l'affaiblissement du prolétariat et du danger de la révolution."
Internationalisme en revanche était capable de voir très clairement que la bourgeoisie avait tiré les leçons de l'expérience de 1917 et avait pris des mesures préventives brutales contre le danger de soulèvements révolutionnaires provoqués par la misère de la guerre ; elle avait donc infligé une défaite décisive à la classe ouvrière, centrée en Allemagne : "QUAND LE CAPITALISME 'TERMINE' UNE GUERRE IMPERIALISTE QUI A DURE 6 ANS SANS AUCUNE FLAMBEE REVOLUTIONNAIRE, CELA SIGNIFIE LA DEFAITE DU PROLETARIAT, ET QUE NOUS NE VIVONS PAS A LA VEILLE DE GRANDES LUTTES REVOLUTIONNAIRES, MAIS DANS LE SILLAGE D'UNE DEFAITE. Cette défaite a eu lieu en 1945, avec la destruction physique du centre révolutionnaire que constituait le prolétariat allemand, et elle a été d'autant plus décisive du fait que le prolétariat mondial est resté inconscient de la défaite qu'il venait de subir."
Ainsi Internationalisme rejetait-il avec insistance tout projet de fonder un nouveau parti dans une telle période de reflux comme activiste et volontariste et mettait en avant que la tâche de l'heure restait à "la formation de cadres" - en d'autres termes, la poursuite du travail des fractions de gauche.
Cependant, il y avait une faiblesse sérieuse dans les arguments de la GCF - la conclusion, exprimée dans l'article mentionné, selon laquelle "le cours à une troisième guerre impérialiste est ouvert... Dans les conditions présentes, nous ne voyons aucune force capable d'arrêter ou de modifier ce cours." Une théorisation supplémentaire de cette position est contenue dans l'article L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective, publié en 1952 (Internationalisme, republié dans la Revue internationale n° 21). C'est un texte fécond parce qu'il résume le travail de la GCF pour comprendre le capitalisme d'Etat comme tendance universelle dans le capitalisme décadent, et pas seulement comme phénomène limité aux régimes staliniens. Mais il ne parvient pas à établir une claire distinction entre l'intégration des vieilles organisations ouvrières dans le capitalisme d'Etat et celle du prolétariat lui-même. "Le prolétariat se trouve maintenant associé à sa propre exploitation. Il est donc mentalement et politiquement intégré au capitalisme." Pour Internationalisme, la crise permanente du capitalisme à l'époque du capitalisme d'Etat ne prendra plus la forme de "crises ouvertes" qui éjectent les ouvriers de la production, et les pousse donc à réagir contre le système, mais atteindra au contraire son point culminant dans la guerre, et c'est seulement dans la guerre - que la GCF considérait comme imminente - que la lutte prolétarienne pourrait prendre un contenu révolutionnaire. Sinon, la classe "ne peut s'exprimer que comme catégorie économique du capital." Ce qu'Internationalisme ne parvenait pas à voir, c'est que les mécanismes mêmes du capitalisme, opérant dans une période de reconstruction après la destruction massive de la guerre, permettraient au capitalisme d'entrer dans une période de "boom" dans laquelle les antagonismes inter-impérialistes, bien que toujours très aigus, ne posaient pas une nouvelle guerre mondiale comme une nécessité absolue, et ceci malgré la faiblesse du prolétariat.
Peu de temps après que ce texte eut été écrit, la préoccupation de la GCF de maintenir ses cadres face à ce qu'elle considérait comme l'approche de la guerre mondiale (conclusion qui était loin d'être irrationnelle puisque la guerre de Corée venait d'éclater) a amené à "exiler" un de ses camarades dirigeants, MC, au Venezuela et à la dissolution rapide du groupe. Elle a donc payé un lourd tribut à cette faiblesses en ne voyant pas assez clairement la perspective. Mais la dissolution du groupe confirmait aussi le diagnostic de la nature contre-révolutionnaire de la période. Ce n'est pas par hasard si le PCInt a connu sa scission la plus importante la même année. Toute l'histoire de cette scission doit encore être racontée à une audience internationale, et il semble que peu de clarté en ait émergé. En quelques mots, la scission a eu lieu entre la tendance autour de Damen d'un côté, et la tendance inspirée par Bordiga de l'autre. La tendance de Damen était plus proche de l'esprit de Bilan du point de vue des positions politiques - c'est à dire qu'elle partageait la volonté de Bilan de mettre en question les positions de l'Internationale communiste dans ses premières années (sur les syndicats, la libération nationale, le parti et l'Etat, etc.). Mais elle penchait fortement vers l'activisme et n'avait pas la rigueur théorique de Bilan. C'était vrai en particulier sur la question du cours historique et des conditions de formation du parti, puisque tout retour à la méthode de Bilan aurait amené à remettre en cause la fondation même du PCInt. Cela, la tendance de Damen ou plus précisément le groupe Battaglia Communista n'a jamais voulu le faire. Le courant de Bordiga, en revanche, semble avoir été plus conscient du fait que la période était une période de réaction et que la démarche de recrutement activiste du PCInt s'était avérée stérile. Malheureusement, le travail théorique de Bordiga pendant cette période après la scission - tout en ayant une grande valeur au niveau général - était presque totalement coupé des avancées faites par la Fraction pendant les années 1930. Les positions politiques de son nouveau "parti" ne constituaient pas une avancée mais une régression vers les analyses les plus faibles de l'IC, par exemple sur les syndicats et sur la question nationale. Et sa théorie du parti et de ses rapports avec le mouvement historique était basée sur des spéculations semi-mystiques sur "l'invariance", et sur la dialectique entre "le parti historique" et "le parti formel". En somme, avec ces points de départ, aucun des groupes issus de la scission ne pouvaient contribuer en quoi que ce soit qui ait une valeur réelle pour la compréhension par le prolétariat du rapport de forces historique, et cette question est toujours restée depuis l'une de leurs principales faiblesses.
Malgré les erreurs qu'elle a commises dans les années 1940 et 1950 - en particulier l'idée que la troisième guerre mondiale était imminente - la loyauté foncière de la GCF envers la méthode de la Gauche italienne a permis à son successeur, le groupe Internacionalismo au Vénézuéla dans les années 1960, de reconnaître que le boom de la reconstruction d'après-guerre ainsi que la longue période de contre-révolution touchaient à leur fin. Le CCI a déjà cité à maintes reprises les termes pénétrants d' Internacionalismo n° 8 en janvier 1968, mais cela ne fera pas de mal de les citer encore une fois puisqu'ils constituent un bel exemple de la capacité du marxisme - sans lui accorder des pouvoirs prophétiques - à anticiper le cours général des événements :
Le groupe vénézuélien exprime ici sa compréhension que non seulement une nouvelle crise économique était sur le point d'éclater, mais aussi qu'elle rencontrerait une nouvelle génération de prolétaires n'ayant pas subi de défaite. Les événements de mai 1968 en France et la vague internationale de luttes qui ont suivi pendant 4 ou 5 ans ont fourni une confirmation éclatante de ce diagnostic. Evidemment, une partie de ce diagnostic reconnaissait que la crise allait aiguiser les tensions impérialistes entre les deux blocs militaires qui dominaient la planète ; mais le grand élan de la première vague internationale de luttes a montré que le prolétariat n'accepterait pas de marcher dans un nouvel holocauste mondial. En somme, le cours de l'histoire n'allait pas vers la guerre mondiale mais vers des confrontations de classe massives.
Une conséquence directe de la reprise de la lutte de classe fut l'apparition de nouvelles forces politiques prolétariennes après une longue période durant laquelle les idées révolutionnaires avaient quasiment disparu de la scène. Les événements de mai 1968 et leurs suites ont engendré une pléthore de nouveaux groupements politiques marqués par bien des confusions mais qui voulaient apprendre et étaient avides de se réapproprier les véritables traditions communistes de la classe ouvrière. L'insistance sur la "nécessité du regroupement des révolutionnaires" de la part d'Internacionalismo et de ses descendants - RI en France et Internationalism aux Etats-Unis - résumait cet aspect de la nouvelle perspective. Ces courants furent donc aux avant-postes pour pousser au débat, à la correspondance et à la tenue de conférences internationales. Cet effort reçut une réel écho parmi les plus clairs des nouveaux groupements politiques parvenant le plus facilement à comprendre qu'une nouvelle période s'était ouverte. Cela s'applique en particulier aux groupes qui se sont alignés sur "la tendance internationale" formée par RI et Internationalism, mais cela s'applique également à un groupe comme Revolutionary Perspectives dont la première plate-forme reconnaissait clairement la reprise historique du mouvement de la classe : "Parallèlement au retour de la crise, une nouvelle période de lutte de classe internationale s'est ouverte en 1968 avec les grèves massives en France, suivies de bouleversements en Italie, Grande Bretagne, Argentine, Pologne, etc. Sur la génération actuelle d'ouvriers ne pèsent plus le réformisme comme après la Première guerre mondiale, ni la défaite comme dans les années 1930, et cela nous permet d'avoir un espoir dans le futur et dans celui de l'humanité. Ces luttes montrent toutes, n'en déplaise aux modernistes dilettantes, que le prolétariat ne s'est pas intégré au capitalisme malgré cinquante ans de défaite presque totale : avec ces luttes, il fait revivre la mémoire de son propre passé, de son histoire et se prépare pour sa tâche ultime." (RP n° 1 ancienne série, 1974)
Malheureusement, les groupes "établis" de la Gauche italienne, ceux qui étaient parvenus à maintenir une continuité organisationnelle pendant toute la reconstruction d'après-guerre, l'avaient fait au prix d'un processus de sclérose. Ni Battaglia comunista ni Programma n'attribuèrent beaucoup de signification aux révoltes de la fin des années 1960 et du début des années 1970, y voyant principalement les caractéristiques étudiantes/petites-bourgeoises qui sans aucun doute s'y mêlaient. Pour ces groupes qui avaient commencé, rappelons-le, par voir un cours à la révolution dans une période de profonde défaite, la nuit de la contre-révolution ne s'était pas dissipée et ils voyaient peu de raison de sortir du splendide isolement qui les avait "protégés" si longtemps. Le courant de Programma passa en fait par une période de croissance considérable dans les années 1970, mais c'était un monument construit sur le sable de l'opportunisme, en particulier sur la question nationale. Les conséquences désastreuses de cette sorte de croissance devaient apparaître avec l'explosion du PCI au début des années 1980. Pour sa part, Battaglia, pendant longtemps regarda à peine plus loin que les frontières italiennes. Cela prit presque une décennie avant qu'il ne lance son propre Appel aux conférences internationales de la Gauche communiste et, quand il le fit, ses raisons n'étaient pas claires du tout ("la social-démocratisation des partis communistes").
Les groupes qui formèrent le CCI eurent à combattre sur deux fronts durant cette période. D'un côté, ils devaient argumenter contre le scepticisme des groupes existants de la Gauche communiste qui ne voyaient rien de nouveau sous le soleil. De l'autre, ils devaient aussi critiquer l'immédiatisme et l'impatience de bien des nouveaux groupes, certains d'entre eux étant convaincus que mai 1968 avait brandi le spectre de la révolution immédiate (c'était en particulier le cas de ceux qui étaient influencés par l'Internationale situationniste qui ne voyaient pas de lien entre la lutte de classe et l'état de l'économie capitaliste). Mais, tout comme "l'esprit de mai 1968", l'influence des préjugés étudiants, conseillistes et anarchistes avaient un poids considérable sur le jeune CCI en ce qui concerne la compréhension des tâches et du fonctionnement de l'organisation révolutionnaire, et ces influences s'exprimaient également dans sa conception du nouveau cours historique, de la reprise prolétarienne et tendaient à aller de pair avec une sous-estimation des immenses difficultés que doit affronter la classe ouvrière internationale. Cela s'exprimait de différentes façons :
une tendance à oublier que le développement de la lutte de classe est par nature un processus inégal qui passe par des avancées et des reculs, et donc à attendre une avancée plus ou moins ininterrompue vers les luttes révolutionnaires - perspective contenue dans une certaine mesure dans le passage d'Internacionalimo cité plus haut ;
la sous-estimation de la capacité de la bourgeoisie à ralentir la crise économique, à utiliser les divers mécanismes du capitalisme d'Etat pour réduire la férocité de ses effets, en particulier sur les concentrations ouvrières centrales ;
la définition du nouveau cours comme "cours à la révolution", sous-entendant que la reprise de la classe culminerait inévitablement dans une confrontation révolutionnaire avec le capital ;
lié à cela, la polarisation - très forte dans le milieu à l'époque - sur la question de la période de transition du capitalisme au communisme. Ce débat n'était en aucune façon hors de propos, en particulier parce qu'il faisait partie de l'effort du nouveau milieu pour se réapproprier les leçons et les traditions du mouvement passé. Mais les passions qu'il générait (menant par exemple à des scissions entre différents éléments du milieu) exprimaient aussi une certaine naïveté sur la difficulté du processus nécessaire pour atteindre une période où des questions telles que la forme de l'Etat de la période de transition constitueraient une question brûlante pour la classe ouvrière.
Dans la décennie qui a suivi, les analyses du CCI furent affinées et développées. Il a commencé un travail d'examen des mécanismes utilisés par la bourgeoisie pour "contrôler" la crise, et donc d'explication des raisons pour lesquelles la crise suivrait inévitablement un processus long et inégal. De même, après les expériences des reflux du milieu des années 1970 et du début des années 1980, il a été contraint de reconnaître plus clairement que, dans le contexte d'une courbe historique généralement ascendante de la lutte de classe, il y aurait certainement d'importants moments de reflux. De plus, en 1983, le CCI avait explicitement reconnu qu'il n'y avait pas d'automatisme dans le cours historique. C'est ainsi que, à son 5e Congrès, il a adopté une résolution qui critiquait l'expression "cours à la révolution" : "L'existence d'un cours à des confrontations de classe signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour déchaîner une nouvelle boucherie mondiale : elle doit d'abord confronter et battre la classe ouvrière. Mais ceci ne préjuge pas de l'issue de cette confrontation, dans un sens ou dans l'autre. C'est pourquoi il est préférable de parler de 'cours à des confrontations de classe' plutôt que de 'cours à la révolution'." (Résolution sur la situation internationale, publiée dans la Revue internationale n° 35)
Au sein du milieu révolutionnaire, cependant, les difficultés et les revers rencontrés par le prolétariat ont renforcé les visions sceptiques et pessimistes qui ont pendant longtemps été épousées par les groupes "italiens". Ceci s'est particulièrement exprimé dans les Conférences internationales à la fin des années 1970, lorsque la CWO s'est alignée sur le point de vue de Battaglia, rejetant celui du CCI selon lequel la lutte de classe constituait une barrière à la guerre mondiale. La CWO variait dans son explication des raisons pour lesquelles la guerre n'avait pas éclaté, l'attribuant un moment au fait que la crise n'était pas assez profonde, le moment suivant à l'idée que les blocs n'étaient pas formés ; plus récemment, en invoquant la rationalité de la bourgeoisie russe qui reconnaissait qu'elle ne pouvait pas gagner la guerre. Il y eut aussi des échos de ce pessimisme au sein du CCI lui-même : ce qui allait devenir la tendance GCI, et en particulier RC qui a adopté un point de vue similaire, traversèrent une phase où ils étaient "plus Bilan que Bilan" et argumentèrent que nous étions dans un cours à la guerre.
A la fin des années 1970, donc, le premier texte majeur du CCI sur le cours historique, adopté au 3e congrès et publié dans la Revue internationale n° 18 devait définir notre position contre l'empirisme et le scepticisme qui commençaient à dominer le milieu.
Le texte croise le fer avec toutes les confusions existant dans le milieu :
l'idée enracinée dans l'empirisme selon laquelle les révolutionnaires ne peuvent pas faire de prédiction générale sur le cours de la lutte de classe. Contre cette notion, le texte réaffirme que la capacité à définir une perspective pour le futur - et pas seulement l'alternative générale socialisme ou barbarie - est l'une des caractéristiques qui définit le marxisme et qui en a toujours fait partie. Plus spécifiquement, le texte insiste sur le fait que les marxistes ont toujours basé leur travail sur leur capacité à saisir la spécificité du rapport de forces entre les classes à un moment donné, comme nous l'avons encore vu dans la première partie de ce rapport. De même, le texte montre que l'incapacité à saisir la nature du cours a amené les révolutionnaires à commettre de sérieuses erreurs dans le passé ;
une extension de cette vision agnostique du cours historique a été le concept défendu en particulier par le BIPR d'un cours "parallèle" vers la guerre et vers la révolution. Nous avons déjà vu comment la démarche adoptée par Bilan et la GCF excluait cette notion ; le texte du troisième congrès poursuit en argumentant qu'un tel concept est le résultat de la perte de vue de la méthode marxiste elle-même : "D'autres théories ont également surgi plus récemment suivant lesquelles 'avec l'aggravation de la crise du capitalisme, ce sont les deux termes de la contradiction qui se renforcent en même temps : guerre et révolution ne s'excluraient pas mutuellement mais avanceraient de façon simultanée et parallèle sans qu'on puisse savoir laquelle arriverait à son terme avant l'autre'. L'erreur majeure d'une telle conception est qu'elle néglige totalement le facteur lutte de classe dans la vie de la société. La conception développée par la Gauche italienne péchait par une surestimation de l'impact de ce facteur. Partant de la phrase du Manifeste communiste suivant laquelle 'l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte de classes', elle en faisait une application mécanique à l'analyse du problème de la guerre impérialiste en considérant celle-ci comme une réponse à la lutte de classe, sans voir au contraire qu'elle ne pouvait avoir lieu qu'en l'absence de celle-ci ou grâce à sa faiblesse. Mais pour fausse qu'elle fût, cette conception se basait sur un schéma correct, l'erreur provenant d'une délimitation incorrecte de son champ d'application. Par contre, la thèse du 'parallélisme et de la simultanéité du cours vers la guerre et la révolution' fait carrément fi de ce schéma de base du marxisme car elle suppose que les deux principales classes antagonistes de la société puissent préparer leurs réponses respectives à la crise du système - la guerre impérialiste pour l'une et la révolution pour l'autre - de façon complètement indépendante l'une de l'autre, du rapport entre leurs forces respectives, de leurs affrontements. S'il ne peut même pas s'appliquer à ce qui détermine toute l'alternative historique de la vie de la société, le schéma du Manifeste communiste n'a plus de raison d'exister et on peut ranger tout le marxisme dans un musée au rayon des inventions farfelues de l'imagination humaine."
Finalement le texte traite aussi les arguments de ceux qui parlaient ouvertement d'un cours à la guerre - un point de vue qui a connu une courte vogue mais qui a perdu du punch depuis l'effondrement de l'un des camps qui devait mener cette guerre.
Sous bien des aspects, le débat sur le cours historique dans le milieu prolétarien n'a pas beaucoup avancé depuis que ce texte a été écrit. En 1985, le CCI a écrit une autre critique du concept de cours parallèles qui avait été défendu dans un document émanant du 5e Congrès de Battaglia comunista (Revue internationale n° 36, "Les années 80 ne sont pas les années 30"). Dans les années 1990, les textes du BIPR ont réaffirmé à la fois le point de vue "agnostique" qui met en cause la capacité des marxistes à faire des prédictions générales sur la dynamique de la société capitaliste, et la notion étroitement liée d'un cours parallèle. Ainsi dans la polémique sur la signification de mai 1968 dans Revolutionary perspectives n° 12, la CWO cite un article de World Revolution n° 216 qui résume une discussion sur ce thème qui avait eu lieu à l'une de nos réunions publiques à Londres. Notre article souligne que "le rejet apparent par la CWO de la possibilité de prévoir le cours global des événements est aussi un rejet du travail mené sur cette question vitale par les marxistes durant toute l'histoire du mouvement ouvrier." La réponse de la CWO est tout à fait bouffonne : "Si c'est le cas, alors les marxistes ont un pauvre résultat. Laissons de côté l'exemple habituel (mais non valable) de Marx après les révolutions de 1848 et regardons la Gauche italienne des années 30. Tout en ayant accompli un bon travail pour faire face à la terrible défaite de la vague révolutionnaire après la première guerre mondiale, elle a fondamentalement mis en cause elle-même théoriquement sa propre existence juste avant le deuxième massacre impérialiste." Laissons de côté l'incroyable condescendante envers l'ensemble du mouvement marxiste : ce qui est vraiment frappant ici, c'est la façon dont la CWO ne parvient pas à saisir que c'est précisément parce qu'elle a abandonné sa clarté précédente sur le cours historique qu'une partie de la Gauche italienne "a mis elle-même en cause théoriquement sa propre existence" à la veille de la guerre, comme nous l'avons vu dans la première partie de ce rapport.
Quant aux groupes bordiguistes, ce n'est pas leur style de participer à des débats avec les groupes du milieu, mais dans la récente correspondance avec un contact commun à nos organisations en Australie, le groupe Programma a rejeté comme hors de portée la possibilité que la classe ouvrière puisse barrer la route à la guerre mondiale, et leurs spéculations pour savoir si la crise économique aboutira dans la guerre ou dans la révolution ne diffère pas substantiellement de celles du BIPR.
Si quelque chose a changé dans les positions défendues parle BIPR, c'est la virulence de leur polémique contre le CCI. Alors que dans le passé, une des raisons pour rompre les discussions avec le CCI était notre vision "conseilliste" du parti, dans la dernière période, les raisons pour rejeter tout travail en commun avec nous se sont centrées de façon critique sur nos divergences sur le cours historique. Notre point de vue sur la question est considéré comme la principale preuve de notre méthode idéaliste et de notre divorce total d'avec la réalité. De plus selon le BIPR, c'est le naufrage de nos perspectives historiques, de notre conception des "années de vérité" qui est la véritable cause de la récente crise du CCI, tout le débat sur le fonctionnement étant au fond une diversion par rapport à cette question centrale.
En fait, bien que le débat dans le milieu ait peu avancé depuis la fin des années 1970, la réalité, elle, a avancé. L'entrée du capitalisme décadent dans la phase de décomposition a profondément modifié la manière dont il faut aborder la question du cours historique.
Le BIPR nous a longtemps reproché de défendre que les "années de vérité" voulaient dire que la révolution éclaterait dans les années 1980. Que disions-nous en réalité ? Dans l'article original Années 80, années de vérité (Revue internationale n° 20), nous défendions que face à l'approfondissement de la crise et à l'intensification des tensions impérialistes concrétisées par l'invasion de l'Afghanistan par les troupes russes, la classe capitaliste serait de plus en plus contrainte de bazarder le langage du confort et de l'illusion, et d'utiliser le "langage de la vérité", à appeler le sang, la sueur et les larmes, et nous nous sommes engagés sur la perspective suivante : "Dans la décennie qui commence aujourd'hui, sera décidée l'alternative historique : soit le prolétariat poursuivra son offensive, continuera à paralyser le bras meurtrier du capitalisme à l'agonie et ramassera ses forces pour détruire le système, soit il se laissera piéger, épuiser, démoraliser par les discours et la répression et alors la voie sera ouverte pour un nouvel holocauste posant le danger de l'élimination de toute société humaine."
Il y a certaines ambiguïtés, en particulier lorsqu'on suggère que la lutte prolétarienne est déjà à l'offensive, une mauvaise formulation qui vient de la tendance, déjà identifiée, à sous-estimer les difficultés auxquelles est confrontée la classe ouvrière pour passer d'une lutte défensive à une lutte offensive (en d'autres termes, à une confrontation avec l'Etat capitaliste). Mais en dépit de cela, la notion d'années de vérité contient vraiment une vision profonde. Les années 1980 devaient s'avérer une décennie décisive, mais pas de la façon envisagée dans le texte. Car ce dont cette décennie fut témoin, ce ne fut pas de l'avancée majeure d'une des deux classes, mais d'un blocage social qui a résulté dans un processus de décomposition jouant un rôle central et déterminant dans l'évolution sociale. Ainsi, cette décennie a commencé par l'invasion russe de l'Afghanistan qui a provoqué une réelle exacerbation des tensions impérialistes ; mais cet événement fut rapidement suivi par la lutte de masse en Pologne qui a démontré clairement la quasi impossibilité du bloc russe à mobiliser ses forces pour la guerre. Mais la lutte en Pologne a également éclairé les faiblesses politiques chroniques de la classe ouvrière. Et bien que les ouvriers polonais aient eu à faire face à des problèmes particuliers dans la politisation de leur lutte dans le sens prolétarien à cause de la profonde mystification venant du stalinisme (et de la réaction contre lui), les ouvriers de l'ouest, tout en ayant fait des avancée considérables dans leurs luttes pendant les années 1980, ont aussi été incapables de développer une perspective politique claire. Leur mouvement a donc été "submergé" par les retombées de l'effondrement du stalinisme ; plus généralement, l'ouverture définitive de la phase de décomposition devait dresser face à la classe des difficultés considérables, renforçant presque à chaque tournant le reflux de la conscience qui a résulté des événements de 1989-91.
En somme, l'ouverture de la décomposition est un résultat du cours historique identifié par le CCI depuis les années 1960, puisqu'elle est partiellement conditionnée par l'incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la société pour la guerre. Mais elle nous a aussi contraints à soulever le problème du cours historique d'une façon nouvelle qu'on n'avait pas prévue :
C'est particulièrement clair par rapport à l'aspect "écologique" de la décomposition : bien que la destruction par le capitalisme de l'environnement naturel soit devenu en lui-même une véritable menace pour la survie de l'humanité - question sur laquelle le mouvement ouvrier n'a eu qu'un aperçu partiel jusqu'aux toutes dernières décennies - c'est un processus contre lequel le prolétariat ne peut pas faire grand chose tant qu'il n'assume pas lui-même le pouvoir politique à l'échelle mondiale. Les luttes sur les questions de la pollution sur une base de classe sont possible, mais elles ne seront probablement pas le facteur principal pour stimuler la résistance du prolétariat.
Nous pouvons donc voir que la décomposition du capitalisme place la classe ouvrière dans une situation plus difficile qu'auparavant. Dans la situation précédente, il fallait une défaite frontale de la classe ouvrière, une victoire de la bourgeoisie dans une confrontation classe contre classe, avant que ne soient pleinement remplies les conditions pour une guerre mondiale. Dans le contexte de la décomposition, la "défaite" du prolétariat peut être plus graduelle, plus insidieuse, et bien moins facile à contrecarrer. Et par dessus tout ça, les effets de la décomposition, comme nous l'avons maintes fois analysé, ont un impact profondément négatif sur la conscience du prolétariat, sur son sens de lui-même comme classe, puisque dans tous ses différents aspects - la mentalité de gang, le racisme, la criminalité, la drogue, etc. - ils servent à atomiser la classe, à accroître les divisions en son sein, et à le dissoudre dans une foire d'empoigne sociale généralisée.
Face à cette profonde altération de la situation mondiale, la réponse du milieu prolétarien a été totalement inadéquate. Bien qu'ils soient capables de reconnaître les effets de la décomposition, les groupes du milieu sont incapables d'en voir ni les racines - puisqu'ils rejettent la notion de blocage entre les classes - ni ses dangers véritables. Ainsi, le rejet par le BIPR de la théorie de la décomposition par le CCI comme n'étant rien de plus qu'une description du "chaos" l'amène à rechercher dans la pratique des possibilités de stabilisation capitaliste. C'est visible par exemple dans sa conception du "capital international" qui cherche la paix en Irlande du nord afin de pouvoir jouir de façon pacifique des bénéfices de l'exploitation ; mais c'est aussi perceptible dans sa théorie selon laquelle de nouveaux blocs sont en formation autour des pôles actuellement en concurrence (Union européenne, Etats Unis, etc.). Bien que cette vision, avec son refus de faire des "prévisions" à long terme, puisse inclure l'idée d'une guerre imminente, elle est plus souvent liée à une fidélité touchante à la rationalité de la bourgeoisie : puisque les nouveaux "blocs" sont plus économiques que militaires et puisque nous sommes maintenant entrés dans une période de "mondialisation", la porte est au moins à moitié ouverte à l'idée que ces blocs, agissant pour les intérêts du "capital international", pourraient parvenir à une stabilisation mutuellement bénéfique du monde pour un futur indéterminé.
Le rejet de la théorie de la décomposition ne peut qu'aboutir à une sous-estimation des dangers auxquels la classe ouvrière fait face. Il sous-estime le degré de barbarie et de chaos dans lequel le capitalisme s'est déjà enfoncé ; il tend à minimiser la menace d'un affaiblissement progressif du prolétariat par la désintégration de la vie sociale, et il ne parvient pas à saisir clairement que l'humanité pourrait être détruite sans qu'ait lieu une troisième guerre mondiale.
L'ouverture de la période de décomposition a donc changé la façon dont nous posons la question du cours historique mais elle ne l'a pas rendue caduque, au contraire. En fait, elle tend à poser de façon encore plus aiguë la question centrale : est-ce trop tard ? Le prolétariat a-t-il déjà été battu ? Existe-t-il un obstacle à la chute dans la barbarie totale ? Comme nous l'avons dit, il est plus difficile de répondre à cette question aujourd'hui qu'à l'époque où la guerre mondiale constituait plus directement une option pour la bourgeoisie. Ainsi, Bilan par exemple fut capable de mettre en évidence non seulement la défaite sanglante des soulèvements prolétariens et la terreur contre-révolutionnaire qui s'en est suivi dans les pays où la révolution avait atteint son point le plus haut, mais aussi, derrière, la mobilisation idéologique vers la guerre, l'adhésion "en positif" de la classe ouvrière aux drapeaux guerriers de la classe dominante (fascisme, démocratie, etc.). Dans les conditions d'aujourd'hui où la décomposition du capitalisme peut engloutir le prolétariat sans qu'aient eu lieu ni défaite frontale ni ce type de mobilisation "positive", les signes d'une défaite insurmontable sont par définition plus difficiles à discerner. Néanmoins, la clé de la compréhension du problème se trouve au même endroit qu'en 1923, ou qu'en 1945, comme nous l'avons vu dans l'analyse de la GCF - dans les concentrations centrales du prolétariat mondial et avant tout en Europe occidentale. Ces secteurs centraux du prolétariat mondial ont-ils dit leur dernier mot dans les années 1980, (ou comme certains le pensent, dans les années 1970), ou gardent-ils assez de réserves de combativité, et un potentiel suffisant pour le développement de la conscience de classe, afin d'assurer que des confrontations de classes majeures soient encore à l'ordre du jour de l'histoire ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'établir un bilan provisoire de la dernière décennie - de la période qui a suivi l'effondrement du bloc de l'est et l'ouverture définitive de la phase de décomposition.
Là, le problème réside dans le fait que, depuis 1989, le "schéma" de la lutte de classe a changé par rapport à ce qu'il avait été durant la période qui a suivi 1968. Pendant cette dernière, il y a eu des vagues de lutte de classe clairement identifiables dont l'épicentre se trouvait dans les principaux centres capitalistes même si leurs ondes de choc ont traversé toute la planète. De plus, il était possible d'analyser ces mouvements et d'évaluer les avancées de la conscience de classe en leur sein - par exemple sur la question syndicale ou concernant le processus vers la grève de masse.
De plus, ce n'est pas seulement les minorités révolutionnaires qui menaient cette réflexion. Pendant les différentes vagues de lutte, il était évident que les luttes dans un pays pouvaient être un stimulant direct pour les luttes dans d'autres pays ( par exemple le lien entre mai 1968 et l'Italie 1969, entre la Pologne 1980 et les mouvements qui ont suivi en Italie, entre les grands mouvements des années 1980 en Belgique et les réactions ouvrières dans les pays voisins. En même temps, on pouvait voir que les ouvriers tiraient des leçons des mouvements précédents - par exemple, en Grande Bretagne où la défaite de la grève des mineurs a provoqué une réflexion dans la classe sur la nécessité d'éviter d'être piégé dans de longues grèves d'usure isolées, ou encore en France et en Italie, en 1986 et 1987, où des tentatives de s'organiser en dehors des syndicats se sont mutuellement renforcées l'une l'autre.
La situation depuis 1989 ne s'est pas caractérisée par des avancées aussi facilement discernables dans la conscience de classe. Cela ne veut pas dire que pendant les années 1990, le mouvement n'ait eu aucune caractéristique. Dans le Rapport sur la lutte de classe pour le 13e Congrès du CCI, nous avons mis en évidence les principales phases que le mouvement a traversées :
le puissant impact de l'effondrement du bloc de l'Est, accentué par les campagnes sans merci de la bourgeoisie sur la mort du communisme. Cet événement historique a mis une fin brutale à la troisième vague de luttes et inauguré un profond reflux tant sur le plan de la conscience que sur celui de la combativité de classe, dont nous subissons toujours les effets, en particulier sur le plan de la conscience;
la tendance à une reprise de la combativité à partir de 1992 avec les luttes en Italie, suivies en 1993 par des luttes en Allemagne et en Grande Bretagne ;
les grandes man?uvres de la bourgeoisie en France en 1995 qui ont servi de modèle à des opérations similaires en Belgique et en Allemagne. A ce moment là, la classe dominante se sentait assez confiante pour provoquer des mouvements à grande échelle visant à restaurer l'image des syndicats. En ce sens, ces mouvements étaient à la fois le produit du désarroi dans la classe et d'une reconnaissance par la bourgeoisie que ce désarroi ne durerait pas éternellement et que des syndicats crédibles constitueraient un instrument vital pour contrôler de futures explosions de la résistance de la classe ;
le développement lent mais réel du mécontentement et de la combativité au sein de la classe ouvrière confrontée à l'approfondissement de la crise s'est confirmé avec une vigueur supplémentaire à partir de 1998 avec les grèves massives au Danemark, en Chine et au Zimbabwe. Ce processus s'est illustré encore plus durant l'année passée avec les manifestations des employés des transports new yorkais, les grèves des postiers en Grande Bretagne et en France, et, en particulier, par l'explosion importante de luttes en Belgique à l'automne 2000 où nous avons vu certains signes réels non seulement d'un mécontentement général, mais aussi d'un mécontentement envers la "direction" syndicale de la lutte.
Aucun de ces mouvement cependant n'a eu ni l'échelle ni l'impact capables de fournir une véritable riposte aux campagnes idéologiques massives de la bourgeoisie sur la fin de la lutte de classe ; rien de comparable aux événements de mai 68 ou à la grève de masse en Pologne, ni à certains mouvements suivis des années 1980. Même les luttes les plus importantes semblent avoir peu d'écho au sein du reste de la classe : le phénomène des luttes dans un pays "répondant" à des mouvements ayant lieu ailleurs semble quasiment inexistant. Dans ce contexte, il est difficile même aux révolutionnaires de voir clairement un type de lutte ni des signes définis de progrès de la lutte de classe dans les années 1990.
Pour la classe en général la nature fragmentée des luttes non reliées entre elles fait peu, en surface tout au moins, pour renforcer ou plutôt restaurer la confiance du prolétariat en lui-même, sa conscience de lui-même comme force distincte dans la société en tant que classe internationale ayant le potentiel de défier l'ordre existant.
Cette tendance d'une classe ouvrière désorientée à perdre de vue son identité de classe spécifique, et donc à se sentir au fond impuissante face à la situation mondiale de plus en plus grave est le résultat d'un certain nombre de facteurs entremêlés. Au niveau le plus fondamental - et c'est un facteur que les révolutionnaires ont toujours eu tendance à sous-estimer, précisément parce qu'il est si basique - se trouve la position première de la classe ouvrière en tant que classe exploitée subissant tout le poids de l'idéologie dominante. En plus de ce facteur "invariant" dans la vie de la classe ouvrière, il y a l'effet dramatique du 20e siècle - la défaite de la vague révolutionnaire, la longue nuit de la contre-révolution, et la quasi-disparition du mouvement politique prolétarien organisé pendant cette période. Ces facteurs, par leur nature même, restent extrêmement puissants pendant la phase de décomposition, en fait même ils renforcent tous deux leur influence négative et sont eux-mêmes renforcés par celle-ci. C'est particulièrement clair avec les campagnes anti-communistes : elles dérivent historiquement de l'expérience de la contre-révolution stalinienne qui, la première, a établi le grand mensonge selon lequel le stalinisme équivaut au communisme. Mais l'effondrement du stalinisme - produit par excellence de la décomposition - est ensuite utilisé par la bourgeoisie pour renforcer encore plus le message selon lequel il ne peut y avoir d'alternative au capitalisme, et que la guerre de classe est terminée.
Cependant, afin de comprendre les difficultés particulières que rencontre la classe ouvrière dans cette phase, il est nécessaire de se centrer sur les effets plus spécifiques de la décomposition sur la lutte de classe. Sans entrer dans les détails puisque nous avons déjà écrit beaucoup d'autres textes sur ce problème, nous pouvons dire que ces effets opèrent à deux niveaux : le premier sont les effets matériels, réels du processus de décomposition, le second est la manière dont la classe dominante utilise ces effets pour accentuer la désorientation de la classe exploitée. Quelques exemples :
le processus de désintégration apporté par un chômage massif et prolongé, en particulier parmi les jeunes, par l'éclatement des concentrations ouvrières traditionnellement combatives de la classe ouvrière dans le c?ur industriel, tout cela renforce l'atomisation et la concurrence entre les ouvriers. Ce processus objectif directement lié à la crise économique est ensuite renforcé par les campagnes sur "la société post-industrielle" et la disparition du prolétariat. Ce dernier processus en particulier a été décrit par divers éléments du milieu prolétarien ou du marais comme une "recomposition" du prolétariat ; en fait, une telle terminologie, tout comme la tendance à considérer la mondialisation comme un nouveau stade du développement du capitalisme, provient d'une sérieuse sous-estimation des dangers auxquels la classe ouvrière est confrontée. La fragmentation de l'identité de classe dont nous avons été témoins durant la dernière décennie en particulier ne constitue en aucune façon une avancée mais est une claire manifestation de la décomposition qui comporte de profonds dangers pour la classe ouvrière.
Les guerres qui prolifèrent à la périphérie du système et qui se sont rapprochées du c?ur du capital sont évidemment une expression directe du processus de décomposition et contiennent une menace directe contre le prolétariat de ces régions qui sont dévastées et par le poison idéologique déversé sur les ouvriers mobilisés dans ces conflits : la situation au Moyen Orient témoigne amplement de ce dernier aspect en particulier. Mais la classe dominante des principaux centres du capital utilise aussi ces conflits - pas seulement pour développer ses propres intérêts impérialistes mais aussi pour augmenter ses assauts contre la conscience des principaux bataillons prolétariens, aggravant le sentiment d'impuissance, de dépendance envers l'Etat "humanitaire" et "démocratique" pour résoudre les problèmes mondiaux, etc.
Un autre exemple important est le processus de "gangstérisation" qui a pris beaucoup d'ampleur durant la dernière décennie. Ce processus englobe à la fois les plus hauts échelons de la classe dominante - la mafia russe étant une caricature d'un phénomène plus vaste - et les couches les plus basses de la société, y compris une proportion considérable de la jeunesse prolétarienne. Qu'on regarde des pays comme la Sierra Leone où les rivalités de gangs s'inscrivent dans un conflit inter-impérialiste ou le centre des villes de pays plus développés où les bandes de rue semblent offrir la seule "communauté" et même la seule source de vie aux secteurs les plus marginalisés de la société. En même temps, la classe dominante tout en utilisant ces bandes pour organiser le côté "illicite" de son commerce (de drogues, d'armes, etc.) n'hésite pas à "emballer" l'idéologie de "bande" à travers la musique, le cinéma ou la mode, la cultivant comme une sorte de fausse rébellion qui oblitère toute signification d'appartenance à une classe pour exalter l'identité de la bande, que cette dernière se définisse en termes locaux, raciaux, religieux ou autre.
On pourrait donner d'autres exemples : ici la question est de souligner la portée et l'impact considérables des forces qui agissent actuellement comme contrepoids à ce que le prolétariat "se constitue lui-même en tant que classe". Néanmoins, contre toutes ces pressions, contre toutes les forces qui proclament que le prolétariat est mort et enterré, les révolutionnaires doivent continuer d'affirmer que la classe ouvrière n'a pas disparu, que le capitalisme ne peut pas exister sans le prolétariat, et que le prolétariat ne peut pas exister sans lutter contre le capital. Pour un communiste, c'est élémentaire. Mais la spécificité du CCI, c'est qu'il est prêt à s'engager dans une analyse du cours historique et du rapport de forces global entre les classes. Et ici, il faut affirmer que le prolétariat mondial au début du 21e siècle, malgré toutes les difficultés auxquelles il s'affronte, n'a pas dit son dernier mot, représente toujours l'unique barrière au plein développement de la barbarie capitaliste et contient toujours en lui-même la potentialité de lancer des confrontations de classe massives au c?ur du système.
Il ne s'agit pas d'une foi aveugle, ni d'une vérité éternelle ; nous n'excluons pas la possibilité que nous puissions dans le futur réviser notre analyse et reconnaître qu'un changement fondamental dans ce rapport a eu lieu au détriment du prolétariat. Nos arguments se basent sur une observation constante des processus au sein de la société bourgeoise qui nous a menés à conclure :
que malgré les coups portés à sa conscience pendant la dernière décennie, la classe ouvrière conserve d'énormes réserves de combativité qui ont fait surface dans un nombre considérable de mouvements pendant cette période. C'est d'une importance vitale parce que même s'il ne faut pas confondre combativité et conscience, le développement de la résistance ouverte aux attaques du capital constitue dans les conditions d'aujourd'hui une condition plus cruciale que jamais pour que le prolétariat redécouvre son identité en tant que classe ce qui est une précondition à une évolution plus générale de la conscience de classe,
qu'un processus de maturation souterraine s'est poursuivi et s'exprime entre autres par l'émergence "d'éléments en recherche" dans le monde entier, une minorité croissance qui se pose sérieusement des questions sur le système existant et est à la recherche d'une alternative révolutionnaire. Ces éléments gravitent en grande partie dans le marais, autour de diverses expressions d'anarchisme etc. Le récent développement de protestations "anticapitalistes" - tout en étant sans aucun doute manipulées et exploitées par la classe dominante - exprime aussi un développement massif du marais, cette zone toujours mouvante de transition entre la politique de la bourgeoisie et celle de la classe ouvrière. Mais plus significatif encore dans la période la plus récente, c'est l'expansion considérable d'un nombre d'éléments qui se relient directement aux groupes révolutionnaires, en particulier au CCI et au BIPR. Cet influx d'éléments qui vont plus loin que le vague questionnement du marais et cherchent une cohérence communiste authentique, constitue la partie visible de l'iceberg, l'expression d'un processus plus profond et plus étendu au sein du prolétariat dans son ensemble. Leur arrivée sur la scène aura un effet considérable sur le milieu prolétarien existant, transformant sa physionomie et le contraignant à rompre avec ses habitudes sectaires établies depuis longtemps.
La permanence de la menace prolétarienne peut aussi se mesurer, dans une certaine mesure, "en négatif" - en examinant les politiques et les campagnes de la bourgeoisie. Nous pouvons voir cela à différents niveaux - idéologique, économique et militaire. Au niveau idéologique, la campagne sur "l'anticapitalisme" est un bon exemple. Plus tôt dans la décennie, les campagnes de la bourgeoisie visaient à accentuer le désarroi d'une classe qui avait été frappée récemment par l'effondrement du bloc de l'Est, et les thèmes en étaient ouvertement bourgeois : la campagne Dutroux par exemple était entièrement axée sur la démocratie. L'insistance d'aujourd'hui sur "l'anticapitalisme" est au contraire une expression de l'usure de la mystification sur le "triomphe du capitalisme", de la nécessité que le capitalisme récupère et dévoie le potentiel d'un questionnement réel au sein de la classe ouvrière. Le fait que les protestations anticapitalistes n'aient mobilisé les ouvriers que d'une façon marginale ne diminue pas leur impact idéologique général. On pourrait dire la même chose de la tactique de la gauche au gouvernement. Bien que la plus grande partie de l'idéologie des gouvernements de gauche dérive directement des campagnes sur la faillite du socialisme et la nécessité d'une nouvelle et troisième voie pour le futur, ces gouvernements ont été dans une grande mesure mis en place pas seulement pour maintenir la désorientation existante de la classe ouvrière mais comme mesure de précaution pour l'empêcher de relever la tête, pour donner (vent) à tous les mécontentements qui se sont accumulés dans ses rangs pendant dix ans.
Au niveau économique, nous avons montré ailleurs que la bourgeoisie des grands centres continuera d'utiliser tous les moyens à sa disposition pour empêcher l'économie de s'effondrer, de "s'ajuster" à son niveau réel. La logique derrière est à la fois économique et sociale. Elle est économique dans le sens où la bourgeoisie doit à tous prix continuer à faire tourner son économie et même maintenir ses propres illusions sur les perspectives d'expansion et de prospérité. Mais elle est aussi sociale dans le sens où la classe dominante vit toujours dans la terreur qu'un plongeon dramatique de l'économie ne provoque des réactions massives du prolétariat qui serait capable de voir plus clairement la banqueroute réelle du mode de production capitaliste.
De façon peut-être encore plus importante, dans tous les conflits militaires majeurs impliquant les puissances impérialistes, centrales pendant cette dernière décennie (les conflits du Golfe, des Balkans, d'Afrique), nous avons assisté à une grande prudence de la classe dominante, à sa répugnance à utiliser d'autres hommes que des soldats professionnels dans ces opérations, et même dans ce cas, à son hésitation à risquer la vie de ces soldats de peur de provoquer des réactions "au retour au pays".
Il est certainement significatif qu'avec le bombardement de la Serbie par l'OTAN, la guerre impérialiste a accompli un nouveau pas vers le c?ur du système. Mais la Serbie n'est pas l'Europe occidentale. Il n'est pas du tout évident aujourd'hui que la classe ouvrière des grands pays industriels soit prête à marcher derrière les drapeaux nationaux, à s'enrôler dans des conflits impérialistes majeurs (et même dans un pays comme la Serbie, on a vu les limites du sacrifice même si le mécontentement massif y a été dévoyé en cirque démocratique). Le capitalisme est toujours contraint de masquer ses divisions impérialistes derrière une façade d'alliances pour une intervention humanitaire. Cela révèle en partie l'incapacité des puissances secondaires à défier la domination américaine comme nous l'avons vu, mais cela exprime aussi le fait que le système n'a pas de base idéologique sérieuse pour cimenter de nouveaux blocs impérialistes - un fait qu'ignorent totalement les groupes prolétariens qui réduisent l'essence de tels blocs à une fonction économique. Les blocs impérialistes ont une fonction plus militaire qu'économique, mais pour agir au niveau militaire, il faut aussi qu'ils soient idéologiques. Pour le moment il est impossible de voir quels thèmes idéologiques pourraient être utilisés pour justifier la guerre entre les principales puissances impérialistes aujourd'hui - elles ont toutes la même idéologie démocratique et aucune ne peut pointer le doigt contre un "Empire du mal" qui représenterait la menace numéro un à son mode de vie : l'anti-américanisme encouragé dans un pays comme la France n'est qu'un pâle reflet des idéologies passées d'antifascisme et d'anti-communisme. Nous avons dit que le capitalisme devait toujours infliger une défaite majeure et ouverte à la classe ouvrière des pays avancées avant de pouvoir créer les conditions pour la mobiliser directement dans une guerre mondiale. Mais il y a beaucoup de raisons de penser que ceci s'applique également à des conflits limités entre des blocs en formation qui prépareraient le terrain à un conflit plus généralisé. C'est une réelle expression du poids "négatif" d'un prolétariat non défait sur l'évolution de la société capitaliste.
Nous avons évidemment reconnu que dans le contexte de la décomposition, le prolétariat pourrait être englouti sans une telle défaite frontale et sans une guerre majeure entre les puissances centrales. Il pourrait succomber à l'avancée de la barbarie dans les pays centraux, un processus d'effondrement social, économique et écologique comparable mais encore plus cauchemardesque que ce qui a déjà commencé à arriver dans des pays tels que le Rwanda ou le Congo. Mais bien que plus insidieux un tel processus ne serait pas invisible et nous en sommes encore loin - ce fait s'exprime lui aussi "en négatif" dans les récentes campagnes sur les "demandeurs d'asile" qui se basent dans une grande mesure sur la reconnaissance que l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord restent des oasis de prospérité et de stabilité par rapport aux parties d'Europe de l'est et du tiers-monde les plus affectées par les horreurs de la décomposition.
On peut donc dire sans hésitation que le fait que le prolétariat n'ait pas été défait dans les pays avancés continue de constituer une barrière au plein déchaînement de la barbarie dans les centres du capital mondial.
Mais pas seulement : le développement de la crise économique mondiale décape lentement l'illusion qu'un brillant avenir se profile - un futur fondé sur la "nouvelle économie" où tout le monde serait dépositaire d'enjeux. Cette illusion s'évaporera encore plus quand la bourgeoisie sera contrainte de centraliser et d'approfondir des attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière afin de "s'ajuster" à l'état réel de son économie. Et bien que nous soyons encore loin d'une lutte ouvertement politique contre le capitalisme, nous ne sommes probablement pas très loin d'une série de luttes défensives dures et même à grande échelle quand le mécontentement du prolétariat qui couve prendra la forme d'une combativité directe. Et c'est dans ces luttes que les graines d'une politisation future pourront être semées. Il va sans dire que l'intervention des révolutionnaire sera un élément clé de ce processus.
C'est donc en reconnaissant de façon claire et sobre les difficultés et les dangers terribles qui font face à notre classe que les révolutionnaires peuvent continuer à affirmer leur confiance : le cours historique ne s'est pas tourné contre nous. La perspective de confrontations de classe massives reste devant nous et continuera à déterminer notre activité présente et future.
Décembre 2000
Dans le numéro précédent de cette Revue internationale, nous avons publié la Résolution sur la situation internationale, adoptée au 14°congrès du CCI, ainsi que des extraits du Rapport sur la crise économique présenté à ce congrès. Nous publions ci-dessous les deux autres rapports sur la situation internationale qui ont été ratifiés à ce congrès : le rapport sur les tensions impérialistes et le rapport sur la lutte de classe. Ces rapports ne traitent pas seulement de la situation actuelle. Ils s'efforcent de resituer les perspectives qu'ils tracent dans le contexte global d'un bilan du 20' siècle et des enjeux historiques auxquels est confronté le prolétariat dans le monde d'aujourd'hui.
Le mouvement ouvrier a dégagé, dès le dernier quart du 19° siècle, que le développement de l'impérialisme posait à l'humanité l'alternative : Socialisme ou Barbarie. Engels avait commencé à poser cette alternative dans les années 1880-90. Depuis, l'histoire de la décadence a amplement montré que le capitalisme pourrissant est capable de développer une barbarie effroyable dont le niveau était difficilement soupçonnable au siècle dernier. Aujourd'hui, nous sommes dans la phase ultime du capitalisme, celle de sa décomposition, du développement du chaos et du chacun pour soi. La décomposition nous met dans une situation en partie inédite. Pour comprendre l'ampleur et la signification de cette situation, il nous faut nous référer à l'histoire et à la façon dont le marxisme a analysé le développement de l'impérialisme.
Nous voulons démontrer que, dans la décadence et encore plus dans la période actuelle de décomposition, la bourgeoisie n'a pas pour objectif premier, dans les guerres qu'elle mène, l'obtention de gains économiques mais qu'elle développe des visées essentiellement stratégiques, même si bien sûr, la toile de fond demeure la question économique, c'est-à-dire la décadence du capitalisme. «L'irrationalité de la guerre est le résultat du fait que les conflits militaires modernes - contrairement à ceux de l'ascendance capitaliste (guerres de libération nationale ou de conquête coloniale qui aidaient à l'expansion géographique et économique du capitalisme) - visent uniquement au repartage des positions économiques et stratégiques déjà existantes. Dans ces circonstances, les guerres de la décadence, via les dévastations qu'elles causent et leur coût gigantesque, ne représentent pas un stimulant mais un poids mort pour le mode de production capitaliste.» ("Résolution sur la situation internationale" pour le 13e congrès du CCI, Revue internationale n° 97). Il est important aussi de rappeler que, pour la période actuelle, nous situons notre analyse dans le cadre d'un cours qui reste ouvert aux affrontements de classe décisifs.
Dès les années 1880, le mouvement ouvrier a vu poindre le phénomène de l'impérialisme. Les congrès de Bruxelles de 1891 et de Zürich en aôut 1893 s'en préoccupent. A cette époque, Engels avait mis en évidence les antagonismes qui se développaient entre l'Allemagne et la France. II voyait se former des blocs : Allemagne-Autriche/Hongrie-Italie d'un côté contre France-Russie de l'autre. Il voyait se développer le militarisme et le risque d'une guerre en Europe, qui serait une guerre impérialiste, dont il redoutait les conséquences pour le mouvement ouvrier international et pour l'humanité. Face à ces dangers, le congrès d'aôut 1893 avait adopté une résolution basée sur l'idée que la guerre était immanente au capitalisme ; il y défendait l'internationalisme et se déclarait contre les crédits de guerre. Ainsi, le phénomène de l'impérialisme lié à des antagonismes économiques était perçu et vu comme source de guerre et de barbarie. Bien que cette barbarie fût à l'époque sous-estimée, Engels voyait dans la guerre un grand risque d'affaiblir et même de détruire le socialisme alors que la paix lui donnait beaucoup plus de chances de réussite, même si la perspective de cette guerre annonçait le moment où le socialisme pourrait l'emporter sur le capitalisme : «La paix assure la victoire du parti socialiste allemand dans une dizaine d'années ; la guerre lui offre, ou la victoire dans deux ou trois ans, ou la ruine complète, au moins pour quinze à vingt ans. Dans cette position, les socialistes allemands devraient être fous pour préférer le va-tout de la guerre au triomphe assuré que lui promet la paix. » ("Lettre à Lavrov", 5 février 1884)
C'est en 1916, que Lénine écrit L'impérialisme, stade suprême du capitalisme. Il dénonce l'impérialisme mais, plus qu'une analyse, il décrit les phénomènes en introduisant aussi des visions fausses. Il insiste sur deux aspects : l'exportation des capitaux des grands pays développés et la rapine. Lénine voit dans l'exportation des capitaux des grandes puissances, la "base solide pour l'oppression et l'exploitation impérialiste de la plupart des pays et des peuples du monde, pour le parasitisme capitaliste d'une poignée d'Etats opulents". (...) "Dans les transactions internationales de cette sorte, le prêteur, en effet, obtient presque toujours quelque chose : un avantage lors de la conclusion d'un traité de commerce, une base houillère, la construction d'un port, une grasse concession, une commande de canons". "Les profits élevés que tirent du monopole les capitalistes d'une branche d'industrie parmi beaucoup d'autres, d'un pays parmi beaucoup d'autres, etc. leur donnent la possibilité économique de corrompre certaines couches d'ouvriers, et même momentanément une minorité ouvrière assez importante, en les gagnant à la cause de la bourgeoisie de la branche d'industrie ou de la nation considérées et en les dressant contre toutes les autres. "Lénine voit bien que le partage du monde est achevé"... le trait caractéristique de la période envisagée, c'est le epartage définitif du globe, définitif non en ce sens qu'un nouveau partage est impossible, de nouveaux partages étant au contraire possibles et inévitables, mais en ce sens que la politique coloniale des pays capitalistes en a terminé avec la conquête des territoires inoccupés de notre planète. "Ainsi, ce qui est à l'ordre du jour, c'est la "lutte pour les territoires économiques", donc l'impérialisme engendre la guerre. Les bordiguistes se réfèrent toujours à cette vision de Lénine qui, d'une part, était surtout une description plus qu'une explication des phénomènes (lesquels, de plus, ont considérablement évolué avec l'évolution de la décadence) mais qui, d'autre part, contenait des visions fausses telle celle sur l'aristocratie ouvrière et le développement inégal du capitalisme [1] [336], visions qu'ils font leurs. Malgré ces erreurs, Lénine saura toutefois tirer le meilleur de ses prédécesseurs au niveau de l'orientation décisive à promouvoir dans le cadre de la première guerre impérialiste mondiale, celle de transformer la guerre impérialiste en guerre civile pour le renversement du capitalisme. Mais ses erreurs fragilisaient pourtant, pour le futur, la terre ferme des analyses sur lesquelles le mouvement ouvrier doit s'appuyer pour mener son combat.
C'est Rosa Luxemburg qui fait une analyse plus approfondie des contradictions du capitalisme et qui, à la place de la vision du développemnt inégal du capitalisme de Lénine, qui laissait la porte ouverte à la possibilité d'un développement économique dans certaines aires, va donner une explication en mettant en avant la question des marchés comme contradiction essentielle eten partant de l'évolution du capitalisme dans sa globalité mondiale et non pas pays par pays. EI le développe son analyse dans L'accumulation du Capital (1913). Comme L,énine, elle met en évidence le lien impérialisme-guerre : "Mais à mesure qu'augmente le nombre des pays capitalistes participant à la chasse aux territoires d'accumulation et à mesure que se rétrécissent les territoires encore disponibles pour l'expansion capitaliste la lutte du capital pour ses territoires d'accumulation devient de plus en plus acharnée et ses campagnes engendrent à travers le monde une série de catastrophes économiques et politiques crises mondiales, guerres, révolutions." "L'impérialisme consiste précisément dans l'expansion du capitalisme vers de nouveaux territoires et dans la lutte économique et politique que se livrent les vieux pays capitalistes pourse disputer ces territoires." "... seule la compréhension théorique exacte du problème pris à la racine peut donner à notre lutte pratique contre l'impérialisme cette sûreté de but et cette force indispensables à la politique du prolétariat."(pp. 152-153 Ed. Maspero). En 1915, Rosa Luxemburg sort la brochure de Junius. Elle y réaffirme que désormais, le capitalisme domine la terre entière. "Cette marche triomphale au cours de laquelle le capitalisme fraie brutalement sa voie par tous les moyens : la violence, le pillage et l'infamie, possède un côté lumineux : elle a créé les conditions préliminaires à sa propre disparition définitive; elle a mis en place la domination mondiale du capitalisme à laquelle seule la révolution mondiale du socialisme peut succéder." Elle pose très clairement que dans l'impérialisme, il y a à la fois des questions d'intérêts économiques mais aussi stratégiques. Prenant l'exemple de la Russie, elle dit : "Dans les tendances conquérantes du régime tsariste s'expriment, d'une part, l'expansion traditionnelle d'un Empire puissant dont la population comprend aujourd'hui 170 millions d'êtres humains et qui, pour des raisons économiques et stratégiques, cherche à obtenir le libre accès des mers, de l'Océan pacifique à l'Est, de la Méditerranée au Sud, et, d'autre part, intervient ce besoin vital de l'absolutisme : la nécessité sur le plan de la politique mondiale de garder une attitude qui impose le respect dans la compétition générale des grands Etats, pour obtenir du capitalisme étranger le crédit financier sans lequel le tsarisme n'est absolument pas viable." Comme dit la résolution du 13e congrès du CCI (citée plus haut), "Rosa Luxembourg reconnaissait la primauté des considérations stratégiques globales sur les intérêts économiques immédiats pour les principaux protagonistes de la première guerre mondiale." Dans ce sens stratégique, Rosa Luxemburg indique par exemple aussi, en quoi la politique de l'Allemagne envers la Turquie représente pour elle un point d'appui de la politique allemande en Asie Mineure. Le déchaînement de l'impérialisme porte en lui le développement de la guerre; mais loin d'une vision mécanique qui verrait la bourgeoisie déclencher la guerre comme réponse aux moments les plus aigus de la crise, elle montre les stratégies et la préparation à long terme des moments où la bourgeoisie tentera par la force un repartage du monde. A la fin du 19e et au début du 20e siècle, la bourgeoisie allemande se préoccupait beaucoup, par exemple, de construire une flotte capable de faire des incursions de l'impérialisme allemand dans le monde. "Avec cette flotte offensive de première qualité et avec les accroissements militaires qui, parallèlement à sa construction, se succédaient à une cadence accélérée, c'était un instrument de la politique future que l'on créait, politique dont la direction et les buts laissaient le champ libre à de multiples possibilités". Cela visait directement l'Angleterre. Cela se faisait dans le contexte où l'impérialisme se déchaîne, annonçant la décadence, la tendance à la saturation des marchés, la guerre. Rosa cite un ministre allemand, von Bülow qui disait en novembre 1899, à propos de la force navale : "Si les Anglais parlent d'une Greater Britain si les Français parlent d'une Nouvelle France, si les Russes se tournent vers l'Asie, de notre côté nous avons la prétention de créer une Grösseres Deutschland..." Rosa Luxemburg, comme Engels, était préoccupée par l'aspect destructeur de la guerre pour les forces de la révolution : "Ici encore, la guerre actuelle s'avère non seulement an gigantesque assassinat, mais aussi un suicide de la classe ouvrière européenne. Car ce sont les soldats du socialisme, les prolétaires d'Angleterre, de France, d’Allemagne, de Russie, de Belgique qui depuis des mois se massacrent les uns les autres sur l'ordre du capilal, ce sont eux qui enfoncent dans leur coeur le fer meurtrier, s'enlaçant d'une étreinte mortelle, chancelant ensemble, chacun entraînant l'autre dans la tombe."
On peut tout de suite souligner que la vision plus profonde des mécanismes qui mènent le capitalisme à sa décadence, chez Rosa, nous permet d'éviter l'erreur des bordiguistes de confondre des guerres impérialistes avec des luttes de libération nationale, sur la base du fait qu'il existerait encore des aires géographiques pouvant se développer. Aujourd'hui, toutefois, cette vision est difficile à maintenir et les bordiguistes ne la mettent pratiquement plus en avant, mais sans savoir précisèment pourquoi, de façon empirique donc fragile. Par contre, ils continuent à se cramponner à la vision de "territoires économiques" à conquérir en voulant trouver systématiquement un objectif économique immédiat dans chaque guerre. Cela vaut aussi pour Battaglia comunista et le BIPR. Ce qui correspondait à une vision photographique du moment chez Lénine, qui, de plus, était beaucoup moins claire que celle de Rosa Luxemburg, a été figé chez eux.
II faut dire aussi que Trotsky, dans ses écrits de 1924 et 1926 "Europe et Amérique où va l'Angleterre ?", s'en tient à la vision de Lénine. II ne voit que la concurrence économique entre les grandes nations et, nation par nation. II voit bien que ce sont les Etats-Unis qui sortent comme grands vainqueurs de la première guerre mondiale et qui prennent la première place dans le monde. Mais il ne voit que l'aspect économique à savoir que les Etats-Unis veulent la "mise en tutelle, économique de l’Europe". Le capital américain "vise à la maîtrise du monde, il veut instaurer la sauprématie de l'amérique sur notre planète. (...) Que doit-il faire à l'égard de l'Europe ? Il doit, dit-on, la pacifier comment ? Sous son hégémonie. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il doit permettre à l’Europe de se relever, mais dans des limites bien déterminées, lui accorder des secteurs déterminés, restreints du marché mondial". Cette concurrence ne peut que les amener à s'affronter, ce qui est vrai de façon générale. Mais ne voyant pas les aspects stratégiques dans toute leur ampleur, correspondant au besoin de se maintenir en tant que grande puissance si on ne peut plus rester la première d'entre elles, comme ce fut le cas pour l'Angleterre dès après la première guerre mondiale, Trotsky fait se recouper la concurrence économique avec les affrontements impérialistes. Ainsi, l'Angleterre passant au second rang derrière les Etats-Unis, il voit dans la concurrence entre ces deux pays l'axe majeur des affrontements impérialistes à venir : "L’antagonisme capital du monde est l’antagonimse anglo-américain. C’est ce qui montrera de plus en plus nettement l’avenir." L'avenir, justement, n'a pas vérifié cela. Il vérifiera, au contraire, que plus la décadence avance et plus l'aspect stratégique dominera avec, en sont centre, le fait d'envisager les alliances qui permettent de se maintenir en tant que grande nation ou nation tout court et cela au détriment même des intérêts économiques immédiats. Ce sera toute la question de l'irrationalité de la guerre d'un point de vue strictement économique, question qui sera mise en lumière par la Gauche Communiste de France. Cette dernière parviendra à formuler la thèse de l'irrationalité de la guerre et le fait qu'au fil de la décadence, la guerre n'est plus au service du développement de l'économie mais que c'est l'économie qui est au service de la guerre. [2] [337]
Tout au long de la décadence, ces deux aspects se vérifient mais l'aspect stratégique, l'irrationalité de la guerre du point de vue économique va prendre le dessus. Même si la Première guerre mondiale n'avait pas été déclenchée mécaniquement au moment le plus aigü de la crise et si les visées stratégiques d'expansion avaient été calculées par l'Allemagne, et si elle correspondait, du point de vue économique, à une volonté de repartage du monde autour de la question des marchés, cette guerre s'avérait déjà plus couteuse qu'avantageuse du point de vue économique pour les vainqueurs euxmêmes, à l'exception des Etats-Unis.
Parlant de l'Angleterre au sortir de la Première guerre mondiale, Sternberg dit, dans Le conflit du siècle : "Du fait de la guerre, toutefois, elle ne perdit pas seulement une partie de ses avoirs, mais sa position tout entière dans l'économie mondiale s’affaiblit à un tel point qu'elle fut dorénavant réduite a employer la plus grande partie des intérêts qu'elle tirait de ses investissements au financement de ses importations et à n’en affecter qu'une partie minime à la constitution de nouveaux capitaux à investir." Quant à la richesse et à la croissance économique effective des Etats-Unis après cette guerre, "l’enrichissement des Etats-Unis par la guerre" dont parle le trotskiste Pierre Naville dans sa préface au livre de Trotsky cité plus haut, elle ne vient pas d'abord de la guerre mais du fait que les Etats-Unis n'avaient pas encore tout à fait épuisé les marchés pré-capitalistes de leur immense territoire, par exemple le fait qu'ils avaient encore à effectuer la construction de quelques lignes de chemin de fer, mais aussi du fait qu'ils n'avaient participé à la guerre que vers sa fin, loin de leur territoire sur lequel ils ne connurent aucune destruction.
La Seconde guerre mondiale a encore pour objectif le repartage du monde. La bourgeoisie allemande se reconnaissait dans le slogan de Hitler : "Exporter ou mourir !" Mais si la fin de la guerre voit effectivement un repartage du monde entre deux blocs, le bloc russe et le bloc occidental, une bonne partie des investissements pour la reconstruction a un but essentiellement stratégique : oter l'envie à l'Allemagne et aux pays du Sud-Est asiatique de passer dans l'autre bloc et ainsi établir un cordon sanitaire autour de la Russie. La politique des Etats-Unis vis à vis de l'URSS dite de containment, avait pour but dans ce sens d'empêcher cette dernière de parvenir aux mers, de la maintenir en tant que puissance continentale. D'où aussi, dans les années 1950 la guerre de Corée dans ce même but. Du point de vue économique, on peut à nouveau citer Sternberg : "Enfin, la deuxième guerre mondiale forçat l'Angleterre à liquider la grande majorité de ses avoirs à l’étranger, provoquant ainsi un nouveau recul de sa position sur les marchés mondiaux au point qu'elle du faire appel, de longues années durant, à l'aide directe de l’Amérique pour payer ses importations". Les Etats-Unis, eux, affirment leur rang de première puissance mondiale mais dans un contexte où, au delà de la période de reconstruction, c'est le capitalisme mondial comme un tout qui continue de s'affaiblir, eux y compris.
Dans ce cadre des blocs, l'enjeu est de se défendre face à l'autre bloc. Pour cela, les armes économiques et militaire, sont utilisées. Bien sûr, le bloc économiquement le plus puissant a l'avantage dans cette guerre froide. Il peut user davantage de l'appât économique et avoir davantage de moyens dans la course aux armements. Après la mort de Nasser, les Etats-Unis utilisent l'arme économique pour faire basculer l'Egypte dans son bloc. A partir de 1975, les Etats-Unis travaillent pour que la Chine se rapproche d'eux. On verra que pour entretenir ce rapprochement le statut de nation privilégiée, au niveau des échanges commerciaux, lui sera accordé. Toujours dans cette période des années 1970, les prêts accordés aux pays d'Afrique sous tutelle ont bien sûr pour but d'entretenir la possibilité des échanges commerciaux avec eux mais aussi de les maintenir dans le bloc occidental.
On peut voir donc que l'aspect stratégique domine largement sur l'aspect économique. Cela est une caractéristique qui se développe nettement depuis 1945. Nous l'avons signalé plus haut avec la politique de "containment". Il faut donc souligner une différence énorme d'avec ce que Lénine pouvait encore constater au début du 20e siècle lorsqu'il parle de l'exportation des capitaux. A ce moment là, la bourgeoisie savait qu'elle serait remboursée, qu'elle encaisserait les intérêts de son prêt et qu'en plus, elle gagnerait des marchés. A partir des années 1970, c'est de plus en plus à fonds perdus que la bourgeoisie prête, elle le sait. C'est pourquoi, au début des années 1980, le président de l'Etat français, Mitterrand, pouvait jouer les grands coeurs en proposant un moratoire pour la dette de l'Afrique. On peut rappeler d'autres exemples qui montrent les objectifs stratégiques :
On peut ainsi vérifier que si l'économie reste la toile de fond, elle est de plus en plus au service de la guerre et non l'inverse. La guerre est devenu le mode de vie du capitalisme. Si dans les débuts de l'impérialisme puis de la décadence, la guerre était conçue comme le moyen pour le repartage des marchés, elle est devenue, à ce stade, un moyen de s'imposer en tant que grande puissance, de se faire respecter, de défendre son rang face aux autres, de sauver la nation. Les guerres n'ont plus de rationnalité économique; elles coûtent beaucoup plus cher qu'elles ne rapportent. La réflexion de Brezinski rapportée plus haut est très significative.
La bourgeoisie avait annoncé une ère de paix et de prospérité. Nous avons vu et nous voyons la guerre et la misère se développer. La fin des blocs exprime l'entrée dans la phase de décomposition, le développement du chacun pour soi au niveau impérialiste et l'avancée de la barbarie et du chaos. A la suite de cette disparition des blocs, on voit les grandes puissances revenir à leurs stratégies d'expansion d'avant 1914. Mais il faut noter une grande différence : au début du 20e siècle, pour faire aboutir ces stratégies, la bourgeoisie tendait à constituer des constellations (alliances). Aujourd'hui, c'est le chacun pour soi qui domine au point que les alliances, depuis 1989 ont toujours été éphémères et que dans les conflits qui surgissent, chaque puissance défend ses intérêts avec sa stratégie propre. Dans ce contexte, ce sont des stratégies que chaque puissance essaie de défendre.
Face à cette nouvelle situation, les Etats-Unis ont indiqué clairement qu'ils entendaient défendre leur leadership. Ce fut l'objectif de la guerre du Golfe en 1991. Malgré cela, quelques mois après, l'Allemagne ouvrait les hostilités en Yougoslavie en reconnaissant unilatéralement l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Malgré l'avertissement qu'avaient été donné par les Etats-Unis quelques mois auparavant, l'Allemagne reprend son ancienne politique d'expansion vers le Sud-Est, via les Balkans, en sachant que la Serbie représentait pour cette expansion un verrou à faire sauter. Dans la guerre du Kososvo, l'Allemagne poursuit cette politique. Elle le fait sans complexe car, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, on la voit développer sa force militaire dans un autre pays. De plus, elle laisse clairement entendre qu'elle utilisera à l'avenir son armée pour défendre ses intérêts où il le faudra dans le monde.
On sait que les Etats-Unis, la France, l'Angleterre, la Russie n'entendent pas laisser le champ libre à l'Allemagne et qu'ils ont réagi pour contrecarrer les visées germaniques. Il est clair que ce ne sont pas du tout les intérêts économiques qui sont les enjeux centraux de cette guerre mais des intérêts stratégiques afin de défendre ou essayer de développer son rang de grande puissance, ses zones d'influence.
Ce sont aussi des intérêts essentiellement stratégiques qui sont en jeu dans le Caucase, autour de la guerre en Tchétchénie. Le pétrole est effectivement un enjeu; mais quelle place y tient-il ? Une place stratégique et pas économique. On voit en effet les Etats-Unis faire des tractations avec l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Arménie, la Turquie, sans tenir compte de la Russie qui réagit à cela en assassinant des ministres et des députés dans le parlement d'Erevan, parce que les Etats-Unis veulent contrôler cette région à cause de son pétrole, non pas dans un but de gain économique mais pour que l'Europe ne puisse pas s'approvisionner en cette énergie nécessaire en cas de guerre Nous pouvons nous rappeler que pendant la Deuxième guerre mondiale, en 1942, l'Allemagne avait mené une offensive sur Bakou pour tenter de s'approprier cette énergie si nécessaire pour mener la guerre. Il en va différemment aujourd'hui pour l'Azerbaïdjan et la Turquie par exemple pour lesquels la question du pétrole représente un gain immédiat appréciable. Mais l'enjeu central de la situation n'est pas là.
En Afrique, la guerre du Zaïre que la bourgeoisie a présentée comme une volonté des américains de s'emparer des richesses du sous-sol avait en réalité comme objectif de chasser la France de cette région. Le fait que quelques hommes d'affaires s'y soient ensuite précipités, n'enlève rien à cet objectif central. Il en va de même de la visite de Clinton au Sénégal, fin 1998, où l'objectif était de venir concurrencer la France, à un niveau diplomatique, directement sur son précarré. Régulièrement, afin de cacher l'objectif réel de ses actes, c'est la bourgeoisie elle-même qui met volontairement en avant de pseudo objectifs économiques.
Dans le conflit de l'Inde et du Pakistan, le Cachemire n'est pas en premier lieu un enjeu économique. A travers ce conflit, aujourd'hui, le Pakistan voudrait retrouver l'importance régionale qu'il avait à l'époque des blocs et qu'il a perdue depuis. Qui plus est, on a vu les Etats-Unis ré-ajuster leur politique et renouer des relations avec l'Inde.
Mais c'est sans doute le Moyen-Orient qui indique au plus haut point l'aspect stratégique central des questions impérialistes aujourd'hui. Ces derniers temps, on a vu des pays d'Europe contester les Etats-Unis jusque dans cette zone aussi cruciale. La France se montrant "préoccupée" par le sort des palestiniens; l'Allemagne ayant manifesté quelques sollicitudes à l'égard d'Israël par exemple. La France cherche à réintroduire son influence au Liban ; entretient des liens avec la Syrie. C'est cette contestation des Etats-Unis qui aboutit à l'explosion actuelle. Mais il faut ajouter que les incendiaires ont perdu en partie le contrôle du feu qu'ils attisaient. La décomposition se manifeste dans toute sa gravité. La provocation de Sharon, soutenu par une partie de l'armée et de l'Etat n'a certainement pas été voulue par les Etats-Unis. Arafat ne maîtrise plus grand chose. Et même si les Etats-Unis, pour tenter de trouver une solution qui leur permette de contrôler à nouveau la région faisaient de la Palestine un champ de ruines, cela ne résoudrait rien. L'impérialisme n'offre plus aucune possibilité de paix ; seul l'enchaînement des guerres est à l'ordre du jour.
Sur l'arène mondiale aujourd'hui, les deux puissances principales qui s'affrontent pour imposer leur influence et tenter de rassembler autour d'elles sont les Etats-Unis et l'Allemagne. Des puissances comme la France (même si elle fait du bruit), l'Angleterre, ne peuvent pas rivaliser avec elles. La décomposition joue en faveur de l'Allemagne, on l'a vu avec la Yougoslavie. Les choses sont plus difficiles pour les Etats-Unis puisque c'est leur leadership qu'ils ont à défendre et que leur domination pousse les Etats européens d'abord mais aussi la plupart des Etats à les contester. On ne voit pas poindre la constitution de blocs, au contraire. La situation au Moyen-orient montre aujourd'hui à quel point l'humanité avancerait vers sa destruction, même sans guerre mondiale, si le prolétariat, à terme, ne parvenait pas à s'imposer. On voit aussi à quel point, ne voir dans les guerres que des questions économiques, relève de la sous-estimation de leur gravité et constitue même de l'aveuglement, comme dit la résolution du 13e congrès face à la véritable ampleur des enjeux : "Enfin, les explications (qu'on retrouve même parmi des groupes révolutionnaires) qui essaient d'interpréter l'offensive actuelle de l'OTAN comme une tentative de contrôler les matières premières dans la région (Kosovo, ndr) constituent une sous estimation, voire un aveuglement, face à la véritable ampleur des enjeux." Point 3
La résolution du 13e congrès du CCI disait :
"Aujourd'hui, même si les Etats-Unis sont à la tête de la croisade anti Milocevic, ils doivent compter beaucoup plus qu 'auparavant avec les jeux spécifiques des autres puissances -notamment l'Allemagne- ce qui introduit un facteur considérable d'incertitude sur l'issue de l'ensemble de l'opération." (...) "C’est à long terme que l'Allemagne est obligée d'envisager son accession au rang de superpuissance alors que c'est dès maintenant, et déjà depuis plusieurs années, que les Etats-Unis sont confrontés à la perte de leur leadership et à la montée du chaos mondial."
Où en est le leadership américain ? Comme le disait la résolution, il tend à s'affaiblir. Il faut toutefois constater qu'il leur est moins difficile de le maintenir dans les régions qui sont loin de l'Europe. Malgré les difficultés qu'ils rencontrent partout, par exemple même en Amérique Latine où le président du Venezuela, Chavez, soutient la guerrilla colombienne et va ostensiblement rendre visite à Saddam Hussein, cela leur est un peu moins difficile, jusqu'à maintenant, vis à vis de l'Inde et du Pakistan où les Etats-Unis parviennent à récupérer les situations de dérapage ; en Indonésie, aux Philippines et même avec le Japon qui voudrait pourtant s'émanciper de la tutelle américaine. Il est vrai qu'avec la Chine, ils ont plus de difficultés.
Mais près de l'Europe, les Etats-Unis rencontrent davantage d'obstacles. On l'a vu avec la Yougoslavie où il leur était difficile de trouver une façon de s'implanter. Avec le Kosovo où les hostilités démarrent sous l'égide de l'OTAN, arme des Etats-Unis, et s'achèvent avec un retour de l'ONU, expression d'un retour d'influence des puissances anti-américaines ; avec l'Irak où des pays comme la France essaient de briser l'embargo imposé par les américains ; au Moyen-Orient, où la contestation des puissances d'Europe ont encouragé, même si c'est indirectement, des initiatives, qu'elles soient de Sharon ou des islamistes qui se traduisent par des dérapages et des pertes de contrôle des Etats-Unis.
II faut donc confirmer qu'il y a une tendance historique à l'affaiblissement du leadership américain, mais ajouter que cela ne veut pas dire que les puissances européennes s'en sortiraient mieux. Au Moyen-Orient, actuellement, elles ne contrôlent pas non plus la situation.
Cette contestation généralisée envers les Etats-Unis oblige ces derniers à utiliser de plus en plus la force militaire, dans un contexte qui n'est plus celui de la guerre du Golfe. Comme le dit la résolution du 13e congrès, à ce moment là "les Etats-Unis conservainet encore un leadership sur la situation mondiale, ce qui leur avait permis de réaliser un sans faute dans la conduite des opérations aussi bien militaires que diplomatiques et ce, même si la guerre du Golf, avait pour vocation de faire taire les velléités de contestation de l'hégémonie américaine qui s 'étaient déjà manifestées, particulièrement de la part de la France et de l’Allemagne. A cette époque, les anciens alliés des Etats-Unis n'avaient pu encore avoir l'occasion de développer leurs propres visées impérialistes en contradiction avec celles des Etats-Unis."
L'avancée de la décomposition joue en défaveur des Etats-Unis. La situation dramatique au Moyen-Orient aujourd'hui où ils ne parviennent à contrôler complètement ni toutes les fractions d'Israël, ni celles de la Palestine l'illustre clairement. Il est significatif que les Etats-Unis aient été obligés de laisser l'ONU entrer en action. Tout cela ne fait qu'ajouter à la gravité de la situation car, s'il est incontestable que la supériorité militaire des Etats-Unis pourrait leur permettre de faire de la Palestine un champ de mines, cela ne résoudrait rien pour autant. Cet affaiblissement du leadership américain est l'expression de l'avancée de la décomposition. Il ne se fait pas de façon linéaire car les Etats-Unis opposent une résistance acharnée; mais la tendance générale est irrésistiblement celle-là. Quant à l'Allemagne, si elle avance. comme nous l'avons dit plus haut, en profitant de la décomposition, cette avancée n'est pas non plus linéaire ; par exemple en Turquie où elle se voit directement concurrencée par les Etats-Unis. Dans ce contexte général, même si la tendance existe toujours, en tant que caractéristique de la décadence, on ne voit pas se dessiner la constitution de nouveaux blocs.
L'importance n'est pas pour l'analyse en soi mais pour comprendre la gravité des conflits, la gravité des enjeux, montrer quelle est la seule perspective que nous offre le capitalisme si la classe ouvrière ne parvient pas à se hisser à la hauteur de ses responsabilités. La guerre est devenue le mode de vie du capitalisme. Nous devons retrouver le sens profond des préoccupations d'Engels et de Rosa Luxemburg concernant l'affaiblissement que le développement de cette barbarie représente pour la révolution. Pour l'instant, les destructions et les tueries concernent surtout la périphérie du capitalisme et donc pas les pays centraux ni les forces vives du prolétariat, comme c'est le cas pendant une guerre mondiale. C'est l'expression du cours historique actuel toujours ouvert aux affrontements de classe. Mais ces destructions représentent malgré tout un affaiblissement. De plus, les guerres d'aujourd'hui, guerres de la décomposition, ne favorisent pas le développement de la conscience.
La situation aujourd'hui au Moyen-Orient représente un nouveau coup de massue sur la tête de la classe ouvrière, développant un sentiment d'impuissance. La montée du nationalisme et de la haine, un possible embrasement de la région conduirait à des situations où, dans des villes industielles comme Haïfa, des ouvriers arabes et israëliens qui ont travaillé et lutté côte à côte, pourraient s'affronter.
Il faut ajouter, correspondant à cette situation générale, qu'après un court répit au début des années 1990, les politiques d'armements repartent en force. On peut citer dans ce sens l'adoption, en mars 1999, d'un programme de défense contre les missiles pour protéger les USA contre les attaques d'"Etats-voyous" et l'usage accidentel ou non autorisé d'engins balistiques russes et chinois. Cela entraîne une réaction en chaîne dans laquelle on voit chaque Etat se justifier du développement de l'armement au nom de la nécessité de répondre à cette escalade.
Face aux sous-estimations et même à l'aveuglement dramatique du milieu politique prolétarien, la signification réelle des guerres d'aujourd'hui est à souligner. Les enjeux qu'elles comportent mettent en évidence la responsabilité de la classe ouvrière, seule classe pouvant mettre fin à la barbarie. Si le seul avenir que peut nous offrir la bourgeoisie est la barbarie, la classe ouvrière, seule, est porteuse d'une autre perspective. La question n'est pas guerre ou paix mais socialisme ou barbarie. Cela n'est pas qu'un slogan. Cela exprime un rapport de forces : quand la barbarie avance, la perspective du socialisme est attaquée. Les choses se passent surtout aujourd'hui à la périphérie du capitalisme. Le cours reste ouvert. Mais le chaos et la barbarie qui se développent, ne font que souligner la responsabilité du prolétariat des pays centraux.
Décembre 2000
[1] [338] Voir dans la Revue internationale n° 31 l'article : "Le Prolétariat d'Europe de l'Ouest au centre de la lutte de classe " et dans la Revue internationale n° 25 l'article : « L'aristocraIic ouvrière ».
[2] [339] Voir des éléments de cette analyse dans l'article « lcs vraies causes de la 2° guerre mondiale » (GCF , 1945) republié dans la Revue internationale n°59).
1) Tous les modes de production du passé ont connu une période d'ascendance et une période de décadence. Pour le marxisme, la première période correspond à une pleine adéquation des rapports de production dominants avec le niveau de développement des forces productives de la société, la seconde exprime le fait que ces rapports de production sont devenus trop étroits pour contenir ce développement. Contrairement aux aberrations énoncées par les bordiguistes, le capitalisme n'échappe pas à une telle loi. Depuis le début du siècle, et notamment depuis la première guerre mondiale, les révolutionnaires ont mis en évidence que ce mode de production était à son tour entré dans sa période de décadence. Cependant, il serait faux de se contenter d'affirmer que le capitalisme ne fait que suivre les traces des modes de production qui l'ont précédé. Il importe également de souligner les différences fondamentales entre la décadence capitaliste et celles des sociétés passées. En réalité, la décadence du capitalisme, telle que nous la connaissons depuis le début du 20e siècle, se présente comme la période de décadence par excellence (si l'on peut dire). Comparée à la décadence des sociétés précédentes (les sociétés esclavagiste et féodale), elle se situe à un tout autre niveau. Il en est ainsi parce que :
En fin de compte, la différence entre l'ampleur et la profondeur de la décadence capitaliste et celles des décadences du passé ne saurait se résumer à une simple question de quantité. Cette quantité elle-même rend compte d'une qualité différente et nouvelle. En effet, la décadence du capitalisme:
2) Toutes les sociétés en décadence comportaient des éléments de décomposition : dislocation du corps social, pourrissement de ses structures économiques, politiques et idéologiques, etc. Il en a été de même pour le capitalisme depuis le début de sa période de décadence. Cependant, de même qu'il convient d'établir clairement la distinction entre cette dernière et les décadences du passé, il est indispensable de mettre en évidence la différence fondamentale qui oppose les éléments de décomposition qui ont affecté le capitalisme depuis le début du siècle et la décomposition généralisée dans laquelle s'enfonce à l'heure actuelle ce système et qui ne pourra aller qu'en s'aggravant. Là aussi, au-delà de l'aspect strictement quantitatif, le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd'hui une telle profondeur et une telle extension qu'il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l'entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique -la phase ultime- de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l'évolution de la société.
En ce sens, il serait faux d'identifier décadence et décomposition. Si l'on ne saurait concevoir l'existence de la phase de décomposition en dehors de la période de décadence, on peut parfaitement rendre compte de l'existence de la décadence sans que cette dernière se manifeste par l'apparition d'une phase de décomposition.
3) En fait, de même que le capitalisme connaît différentes périodes dans son parcours historique -naissance, ascendance, décadence- chacune de ces périodes contient elle aussi un certain nombre de phases distinctes et différentes. Par exemple, la période d'ascendance comporte les phases successives du libre marché, de la société par actions, du monopole, du capital financier, des conquêtes coloniales, de l'établissement du marché mondial. De même, la période de décadence a aussi son histoire : impérialisme, guerres mondiales, capitalisme d'État, crise permanente et, aujourd'hui, décomposition. Il s'agit là de différentes manifestations successives de la vie du capitalisme dont chacune permet de caractériser une phase particulière de celle-ci, même si ces manifestations pouvaient déjà exister auparavant ou ont pu se maintenir lors de l'entrée dans une nouvelle phase. Ainsi, à un niveau plus général, si l'on peut constater que le salariat existait déjà au sein de la société esclavagiste ou féodale (comme l'esclavage et le servage ont pu se maintenir au sein du capitalisme), seul le capitalisme donne à ce rapport d'exploitation la place dominante dans la société. De même, l'impérialisme a pu exister, comme phénomène, au cours même de la période ascendante du capitalisme. Cependant, il n'acquiert une place prépondérante dans la société, dans la politique des États et dans les rapports internationaux qu'avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence au point d'imprimer sa marque à la première phase de celle-ci, ce qui a pu conduire les révolutionnaires de cette époque à l'identifier avec la décadence elle-même.
Ainsi, la phase de décomposition de la société capitaliste ne se présente pas seulement comme celle faisant suite chronologiquement aux phases caractérisées par le capitalisme d'État et la crise permanente. Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme, qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s'approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l'accumulation de toutes ces caractéristiques d'un système moribond, celle qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d'agonie d'un mode de production condamné par l'histoire. Concrètement, non seulement la nature impérialiste de tous les États, la menace de guerre mondiale, l'absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l'économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments. Elle résulte donc:
Elle constitue l'étape ultime vers laquelle tendent les convulsions phénoménales qui, depuis le début du siècle, à travers une spirale infernale de crise/guerre/reconstruction/nouvelle crise, ont secoué la société et ses différentes classes :
4) Ce dernier point constitue justement l'élément nouveau, spécifique, inédit, qui, en dernière instance, a déterminé l'entrée du capitalisme décadent dans une nouvelle phase de son histoire, celle de la décomposition. La crise ouverte qui se développe à la fin des années 1960, comme conséquence de l'épuisement de la reconstruction du second après-guerre, ouvre une nouvelle fois le chemin a l'alternative historique guerre mondiale ou affrontements de classes généralisés vers la révolution prolétarienne. Mais contrairement à la crise ouverte des années 1930, la crise actuelle s'est développée à un moment où la classe ouvrière ne subissait plus la chape de plomb de la contre-révolution. De ce fait, par son resurgissement historique à partir de 1968, elle a fait la preuve que la bourgeoisie n'avait pas les mains libres pour déchaîner une troisième guerre mondiale. En même temps, si le prolétariat avait déjà la force d'empêcher un tel aboutissement, il n'a pas encore trouvé celle de renverser le capitalisme, du fait :
Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s'affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive, l'histoire ne saurait pourtant s'arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l'ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s'aggraver, l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société.
5) En effet, aucun mode de production ne peut vivre, se développer, se maintenir sur des bases viables, assurer la cohésion sociale, s'il n'est pas capable de présenter une perspective à l'ensemble de la société qu'il domine. Et c'est particulièrement vrai pour le capitalisme en tant que mode de production le plus dynamique de l'histoire. Quand les rapports de production capitalistes constituaient le cadre approprié au développement des forces productives, cette perspective se confondait avec le progrès historique, non seulement de la société capitaliste, mais de l'humanité entière. Dans de telles circonstances, en dépit des antagonismes de classes ou des rivalités entre secteurs (notamment nationaux) de la classe dominante, l'ensemble de la vie sociale pouvait se développer sans menace de convulsion majeure. Lorsque ces rapports de production, en devenant des entraves à la croissance des forces productives, se sont convertis en obstacles pour le développement social, déterminant l'entrée dans une période de décadence, il en a résulté l'apparition des convulsions que nous avons connues depuis trois quarts de siècle. Dans un tel cadre, le type de perspective que le capitalisme pouvait offrir à la société était évidemment contenu dans les limites spécifiques permises par sa décadence:
Aucune de ces perspectives ne représentait, évidemment, une quelconque "solution" aux contradictions du capitalisme. Toutes avaient cependant l'avantage pour la bourgeoisie de contenir un objectif "réaliste": soit de préserver la survie de son système contre la menace provenant de l'ennemi de classe, le prolétariat, soit d'organiser la préparation directe ou le déchaînement de la guerre mondiale, soit de mener à bien une relance de l'économie au lendemain de cette dernière. En revanche, dans une situation historique où la classe ouvrière n'est pas encore en mesure d'engager immédiatement le combat pour sa propre perspective, la seule vraiment réaliste, la révolution communiste, mais où la bourgeoisie, elle non plus, ne peut proposer aucune perspective quelle qu'elle soit, même à court terme, la capacité que cette dernière a témoignée dans le passé, au cours même de la période de décadence, de limiter et contrôler le phénomène de décomposition ne peut que s'effondrer sous les coups de boutoir de la crise. C'est pour cela que la situation actuelle de crise ouverte se présente en des termes radicalement différents de ceux de la précédente crise du même, type, celle des années 1930. Que cette dernière n'ait pas déterminé un phénomène de décomposition ne résulte pas seulement du fait qu'elle n'a duré que dix ans, alors que la crise actuelle dure depuis deux décennies. La non apparition d'un phénomène de décomposition au cours des années 1930 résulte avant tout du fait que, face à la crise, la bourgeoisie avait les mains libres pour proposer une réponse. Certes, une réponse d'une incroyable cruauté, une réponse de nature suicidaire entraînant la plus grande catastrophe de l'histoire humaine, une réponse qu'elle n'avait pas choisi délibérément puisqu'elle lui était imposée par l'aggravation de la crise, mais une réponse autour de laquelle, avant, pendant et après, elle a pu, en l'absence d'une résistance significative du prolétariat, organiser l'appareil productif, politique et idéologique de la société. Aujourd'hui, en revanche, du fait même, que depuis deux décennies, le prolétariat a pu empêcher la mise à l'ordre du jour d'un tel type de réponse, la bourgeoisie s'est trouvée incapable d'organiser quoi que ce soit en mesure de mobiliser les différentes composantes de la société, y compris au sein de la classe dominante, autour d'un objectif commun, sinon celui de résister pas à pas, mais sans espoir de réussite, à l'avancée de la crise.
6) Ainsi, même si la phase de décomposition se présente comme l'aboutissement, la synthèse, de toutes les contradictions et manifestations successives de la décadence capitaliste :
Cette phase de décomposition est déterminée fondamentalement par des conditions historiques nouvelles, inédites et inattendues: la situation d'impasse momentanée de la société, de »blocage", du fait de la "neutralisation" mutuelle de ses deux classes fondamentales qui empêche chacune d'elles d'apporter sa réponse décisive à la crise ouverte de l'économie capitaliste. Les manifestations de cette décomposition, ses conditions d'évolution et ses conséquences ne peuvent être examinées qu'en mettant au premier plan ce facteur.
7) Si on passe en revue les caractéristiques essentielles de la décomposition telles qu'elles se manifestent aujourd'hui, on peut effectivement constater qu'elles ont comme dénominateur commun cette absence de perspective. Ainsi:
Toutes ces calamités économiques et sociales qui, si elles relèvent en général de la décadence elle-même, rendent compte, par leur accumulation et leur ampleur, de l'enfoncement dans une impasse complète d’un système qui n'a aucun avenir à proposer à la plus grande partie de la population mondiale, sinon celui d'une barbarie croissante dépassant l'imagination. Un système dont les politiques économiques, les recherches, les investissements, sont réalisés systématiquement au détriment du futur de l'humanité et, partant, au détriment du futur de ce système lui-même.
8) Mais les manifestations de l'absence totale de perspectives de la société actuelle sont encore plus évidentes sur le plan politique et idéologique. Ainsi:
l'incroyable corruption qui croît et prospère dans l'appareil politique, le déferlement de scandales dans la plupart des pays tels le Japon (où il devient de plus en plus difficile de distinguer l'appareil gouvernemental du milieu des gangsters), l'Espagne (où c'est le bras droit du chef du gouvernement socialiste qui, aujourd'hui, est directement en cause), la Belgique, l’Italie, la France (où les députés décident de s'amnistier eux-mêmes pour leurs turpitudes);
Toutes ces manifestations de la putréfaction sociale qui aujourd'hui, à une échelle inconnue dans l'histoire, envahissent tous les pores de la société humaine, ne savent exprimer qu'une chose: non seulement la dislocation de la société bourgeoise, mais encore l'anéantissement de tout principe de vie collective au sein d'une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective, même à court terme, même la plus illusoire.
9) Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l'évolution de la situation sur le plan politique. A la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l'infrastructure de la société. L'impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l'endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l'économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d'imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la "discipline" et l'adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergie vers la guerre mondiale, seule "réponse" historique que la bourgeoisie puisse offrir. L'absence d'une perspective (exceptée celle de "sauver les meubles" de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au sauve-qui-peut. C'est ce phénomène qui permet en particulier d'expliquer l'effondrement du stalinisme et de l'ensemble du bloc impérialiste de l'Est. Cet effondrement, en effet, est globalement une des conséquences de la crise mondiale du capitalisme; il ne peut non plus s'analyser sans prendre en compte les spécificités que les circonstances historiques de leur apparition ont conférées aux régimes staliniens (voir les "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est", Revue internationale, n°60). Cependant, on ne peut pleinement comprendre ce fait historique considérable et inédit, l'effondrement de l'intérieur de tout un bloc impérialiste en l'absence d'une révolution ou d'une guerre mondiale, qu'en faisant intervenir dans le cadre d'analyse cet autre élément inédit que constitue l'entrée de la société dans une phase de décomposition telle qu'on la constate aujourd'hui. L'extrême centralisation et l'étatisation complète de l'économie, la confusion entre l'appareil économique et l'appareil politique, la tricherie permanente et à grande échelle avec la loi de la valeur, la mobilisation de toutes les ressources économiques vers la sphère militaire, toutes ces caractéristiques propres aux régimes staliniens, si elles étaient adaptées à un contexte de guerre impérialiste (ce type de régime a traversé victorieusement la seconde guerre mondiale, et s’y est même renforcé), ont rencontré de façon brutale et radicale leurs limites dès lors que la bourgeoisie a dû pendant des années affronter l'aggravation de la crise économique sans pouvoir déboucher sur cette même guerre impérialiste. En particulier, le je-m'en-foutisme généralisé qui s'est développé en l'absence d'une sanction du marché (et que, justement, le rétablissement du marché se propose d'éliminer) ne pouvait pas se concevoir dans les circonstances lorsque la "motivation" première des ouvriers, comme des responsables économiques, était le fusil qu'ils avaient dans le dos. La débandade générale au sein même de l'appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, telles que l'URSS et ses satellites nous en donnent aujourd'hui le spectacle, constituent, en réalité, la caricature (du fait des spécificités des régimes staliniens) d'un phénomène beaucoup plus général affectant l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition.
10) Cette tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique, si elle constitue un des facteurs de premier plan de l'effondrement du bloc de l'Est, ne pourra que se trouver encore accentuée avec cet effondrement, du fait :
Une telle déstabilisation politique de la classe bourgeoise, illustrée, par exemple, par l'inquiétude que ses secteurs les plus solides nourrissent à l'égard d'une possible contamination du chaos qui se développe dans les pays de l'ancien bloc de l'Est, pourrait éventuellement déboucher sur son incapacité à reconstituer une nouvelle organisation du monde, en deux blocs impérialistes. L'aggravation de la crise économique conduit nécessairement à l'aiguisement des rivalités impérialistes entre États. En ce sens, le développement et l'exacerbation des affrontements militaires entre ces derniers sont inscrits dans la situation présente. En revanche, la reconstitution d'une structure économique, politique et militaire regroupant ces différents États suppose l'existence de leur part et en leur sein d’une discipline que le phénomène de décomposition rendra de plus en plus problématique. C'est pour cela que ce phénomène, qui est déjà en partie responsable de la disparition du système des blocs hérités de la seconde guerre mondiale, peut parfaitement, en empêchant la reconstitution d'un nouveau système de blocs, conduire, non seulement à l'éloignement (comme c'est déjà le cas à l'heure actuelle), mais à la disparition définitive de toute perspective de guerre mondiale.
11) La possibilité d'une telle modification de la perspective générale du capitalisme, résultant des transformations de première importance que la décomposition introduit dans la vie de la société, ne saurait cependant remettre en cause l'aboutissement ultime que ce système réserve à l'humanité au cas où le prolétariat s'avérerait incapable de le renverser. En effet, si la perspective historique de la société a pu déjà être posée en termes généraux par Marx et Engels sous la forme de "socialisme ou barbarie", le développement même de la vie du capitalisme (et particulièrement sa décadence) a permis de préciser, et même d'aggraver, ce jugement sous la forme de:
"guerre ou révolution", formule retenue par les révolutionnaires dès avant la première guerre mondiale et qui constitue un des principes de fondation de l'Internationale Communiste;
"révolution communiste ou destruction de l'humanité", qui s'impose au lendemain de la seconde guerre mondiale avec l'apparition des armements atomiques
Aujourd'hui, après la disparition du bloc de l'Est, cette perspective terrifiante reste tout à fait valable. Mais il importe de préciser qu'une telle destruction de l'humanité peut provenir de la guerre impérialiste généralisée ou de la décomposition de la société.
En effet, on ne saurait considérer cette décomposition comme une régression de la société. Même si la décomposition fait ressurgir certaines caractéristiques propres au passé du capitalisme, et notamment de la période d'ascendance de ce mode de production, par exemple:
Cette décomposition ne mène à aucun type de société antérieur, à aucune phase précédente de la vie du capitalisme. Il en est de la société capitaliste comme d'un vieillard dont on dit qu'il "retourne en enfance". Celui-ci à beau perdre certaines facultés et caractéristiques acquises avec la maturité et retrouver certains traits de l'enfance (fragilité, dépendance, faiblesse du raisonnement), il n'en retrouve pas pour autant la vitalité propre à cet âge de la vie. Aujourd'hui, la civilisation humaine est en train de perdre un certain nombre de ses acquis (comme par exemple la maîtrise de la nature), elle n'y gagne pas pour autant la capacité de progrès et de conquête qui a caractérisé particulièrement le capitalisme ascendant. Le cours de l'histoire est irréversible: la décomposition mène, comme son nom l'indique, à la dislocation et à la putréfaction de la société, au néant. Laissée à sa propre logique, à ses conséquences ultimes, elle conduit l'humanité au même résultat que la guerre mondiale. Être anéanti brutalement par une pluie de bombes thermonucléaires dans une guerre généralisée ou bien par la pollution, la radioactivité des centrales nucléaires, la famine, les épidémies et les massacres de multiples conflits guerriers (où l’arme atomique pourrait aussi être utilisée), tout cela revient, à terme, au même. La seule différence entre ces deux formes d'anéantissement, c'est que la première est plus rapide alors que la seconde est plus lente et provoquerait d'autant plus de souffrances.
12) Il est de la plus grande importance que le prolétariat, et les révolutionnaires en son sein, prennent la pleine mesure de la menace mortelle que la décomposition représente pour l'ensemble de la société. A un moment où les illusions pacifistes risquent de se développer du fait de l'éloignement de la possibilité d'une guerre généralisée, il convient de combattre avec la dernière énergie toute tendance au sein de la classe ouvrière à chercher des consolations, à se masquer l'extrême gravité de la situation mondiale. En particulier, il serait aussi faux que dangereux de considérer que la décomposition, parce qu'elle est une réalité, constitue, de ce fait, une nécessité pour avancer vers la révolution.
Il faut prendre garde à ne pas confondre nécessité et réalité. Engels a critiqué sévèrement la formule de Hegel: "Tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel", en rejetant la deuxième partie de cette formule et en prenant pour exemple la persistance de la monarchie en Allemagne, qui était réelle mais nullement rationnelle (on pourrait appliquer le raisonnement d'Engels aujourd'hui -et c'est parfaitement valable depuis longtemps déjà- aux monarchies du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de Belgique, etc.). La décomposition, si elle est un fait, une réalité aujourd'hui, ne prouve nullement sa nécessité pour la révolution prolétarienne. Avec une telle approche, on remettrait en question la révolution d'Octobre 1917 et toute la vague révolutionnaire du premier après-guerre qui ont surgit en l'absence de la phase de décomposition du capitalisme. En fait, la nécessité impérieuse d'établir une claire distinction entre la décadence du capitalisme et cette phase spécifique, la phase ultime, de la décadence que constitue la décomposition, trouve une de ses applications dans cette question de la réalité et de la nécessité: la décadence du capitalisme était nécessaire pour que le prolétariat soit en mesure de renverser ce système ; en revanche, l'apparition du phénomène historique de la décomposition, résultat de la prolongation de la décadence en l'absence de la révolution prolétarienne, ne constituait nullement une étape nécessaire pour le prolétariat sur le chemin de son émancipation.
Il en est de cette phase de décomposition comme de celle de la guerre impérialiste. La guerre de 1914 était un fait fondamental dont la classe ouvrière et les révolutionnaires devaient évidemment (et de quelle façon !) tenir compte, mais cela n'implique nullement qu'elle était une condition nécessaire de la révolution. Seuls les bordiguistes le croient et l'affirment. Le CCI a déjà eu l'occasion de démontrer que la guerre est loin d'être une condition particulièrement favorable au triomphe de la révolution internationale. Et si l'on considère la perspective d'une 3e guerre mondiale, la question est alors immédiatement résolue.
13) En fait, il importe d'être particulièrement lucide sur le danger que représente la décomposition pour la capacité du prolétariat à se hisser à la hauteur de sa tâche historique. De la même façon que le déchaînement de la guerre impérialiste au coeur du monde "civilisé" constituait "Une saignée qui [risquait] d'épuiser mortellement le mouvement ouvrier européen", qui "menaçait d'enterrer les perspectives du socialisme sous les ruines entassées par la barbarie impérialiste" en fauchant sur les champs de bataille (...) les forces les meilleures (...) du socialisme international, les troupes d'avant-garde de l'ensemble du prolétariat mondial" (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie), la décomposition de la société, qui ne pourra aller qu'en s'aggravant, peut aussi faucher, dans les années à venir, les meilleures forces du prolétariat et compromettre définitivement la perspective du communisme. Il en est ainsi parce que l'empoissonnement de la société que provoque la putréfaction du capitalisme n'épargne aucune de ses composantes, aucune de ses classes ni même le prolétariat. En particulier, si l'affaiblissement de l'emprise de l'idéologie bourgeoise résultant de l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence était une des conditions de la révolution, le phénomène de décomposition de cette même idéologie, tel qu'il se développe aujourd'hui, se présente essentiellement comme un obstacle à la prise de conscience du prolétariat.
Au départ, la décomposition idéologique affecte évidemment en premier lieu la classe capitaliste elle-même et, par contrecoup, les couches petites-bourgeoises, qui n'ont aucune autonomie propre. On peut même dire que celles-ci s'identifient particulièrement bien avec cette décomposition dans la mesure où leur situation spécifique, l'absence de tout avenir, se calque sur la cause majeure de la décomposition idéologique: l'absence de toute perspective immédiate pour l'ensemble de la société. Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l'humanité et, en ce sens, c’est dans ses rangs qu’il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n’est pas épargné, notamment du fait que la petite-bourgeoisie qu'il côtoie en est justement le principal véhicule. Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique:
14) Un des facteurs aggravants de cette situation est évidemment le fait qu'une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu'elle n'ait eu l'occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, de faire l'expérience d'une vie collective de classe. En fait le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s'il n'est pas en soi une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S'il peut en général contribuer à démasquer l'incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd'hui, un puissant facteur de "lumpénisation" de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d'autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. Cette situation s'est traduite, tout au long des années 1980, qui ont connu une montée, considérable du chômage, par l'absence de mouvements significatifs ou de tentatives réelles d'organisation de la part des ouvriers sans emploi. Le fait qu'en pleine période de contre-révolution, lors de la crise des années 1930, le prolétariat, notamment aux États-Unis, ait pu se donner ces formes de lutte illustre bien, par contraste, le poids des difficultés que représente à l'heure actuelle, en raison de la décomposition, le chômage dans la prise de conscience du prolétariat.
15) En fait, ce n'est pas seulement à travers la question du chômage que s'est manifesté ces dernières années le poids de la décomposition comme facteur de difficultés pour la prise de conscience du prolétariat. Même en mettant de côté l'effondrement du bloc de l'Est et l'agonie du stalinisme (qui sont une manifestation de la phase de décomposition et qui ont provoqué un recul très net de la conscience dans la classe -voir Revue internationale, n°60-61), il nous faut considérer que les difficultés éprouvées par la classe ouvrière pour mettre en avant la perspective de l'unification de ses luttes -alors même que cette question était contenue par la dynamique de son combat contre les attaques de plus en plus frontales du capitalisme- découle en bonne partie de la pression exercée par la décomposition . En particulier, l'hésitation du prolétariat face à fa nécessité de se hisser à un niveau supérieur de sa lutte, si elle constitue une caractéristique générale du mouvement de cette classe déjà analysée par Marx dans le 18 brumaire, n'a pu que se trouver accentuée par le manque de confiance en soi et en l'avenir que la décomposition instille au sein de la classe. De même, l'idéologie du “chacun pour soi”, particulièrement marquée dans la période actuelle, n’a pu que favoriser l'action des pièges du corporatisme tendus avec succès par la bourgeoisie à la lutte ouvrière ces dernières années.
Ainsi, tout au long des années 1980, la décomposition de la société capitaliste a joué un rôle de frein dans le processus de prise de conscience de la classe ouvrière. A côté des autres éléments, déjà identifiés par le passé, contribuant à ralentir le développement de ce processus:
il importe donc de faire figurer la pression de la décomposition. Cependant, ces différents éléments n'agissent pas de la même façon. Alors que le temps est un facteur qui contribue à amoindrir le poids des deux premiers, il ne fait qu'accroître celui du dernier. Il est donc fondamental de comprendre que plus le prolétariat tardera à renverser le capitalisme, plus importants seront les dangers et les effets nocifs de la décomposition.
16) En fait, il convient de mettre en évidence qu'aujourd'hui, contrairement à la situation existante dans les années 1970, le temps ne joue plus en faveur de la classe ouvrière. Tant que la menace de destruction de la société était représentée uniquement par la guerre impérialiste, le simple fait que les luttes du prolétariat soient en mesure de se maintenir comme obstacle décisif à un tel aboutissement suffisait à barrer la route à cette destruction. En revanche, contrairement à la guerre impérialiste qui, pour pouvoir se déchaîner, requiert l'adhésion du prolétariat aux idéaux de la bourgeoisie, la décomposition n'a nul besoin de l'embrigadement de la classe ouvrière pour détruire l’humanité. En effet, de même qu'elles ne peuvent s'opposer à l'effondrement économique, les luttes du prolétariat dans ce système ne sont pas non plus en mesure de constituer un frein à la décomposition. Dans ces conditions, même si la menace que représente la décomposition pour la vie de la société apparaît comme à plus long terme que celle qui pourrait provenir d'une guerre mondiale (si les conditions de celle-ci étaient présentes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui), elle est par contre beaucoup plus insidieuse. Pour mettre fin à la menace que constitue la décomposition, les luttes ouvrières de résistance aux effets de la crise ne suffisent plus: seule la révolution communiste peut venir à bout d'une telle menace. De même, dans toute la période qui vient, le prolétariat ' ne peut espérer utiliser à son bénéfice l'affaiblissement, que provoque la décomposition au sein même de la bourgeoisie. Durant cette période, son objectif sera de résister effets nocifs de la décomposition en son propre sein en ne comptant que sur ses propres forces, sur sa capacité à se battre de façon collective et solidaire en défense de ses intérêts en tant que classe exploitée (même si la propagande dos révolutionnaires doit en permanence souligner les dangers de la décomposition). C'est seulement dans la période prérévolutionnaire, quand le prolétariat sera à l'offensive, lorsqu'il engagera directement et ouvertement le combat pour sa propre perspective historique, qu'il pourra utiliser certains effets de la décomposition, notamment la décomposition de l'idéologie bourgeoise et celle des forces du pouvoir capitaliste, comme des points d'appui et qu'il sera capable de les retourner contre le capital.
17) La mise en évidence des dangers considérables que fait courir à la classe ouvrière et à l'ensemble de l'humanité le phénomène historique de la décomposition ne doit pas conduire la classe, et particulièrement ses minorités révolutionnaires, à adopter face à lui une attitude fataliste. Aujourd'hui, la perspective historique reste totalement ouverte. Malgré le coup porté par l'effondrement du bloc de l'Est à la prise de conscience du prolétariat, celui-ci n'a subi aucune défaite majeure sur le terrain de sa lutte en ce sens, sa combativité reste pratiquement intacte. Mais en outre, et c'est là l'élément qui détermine en dernier ressort l'évolution de la situation mondiale, le même facteur qui se trouve à l'origine du développement de la décomposition, l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme, constitue le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. En effet, autant le prolétariat ne peut trouver un terrain de rassemblement de classe dans des luttes partielles contre les effets de la décomposition, autant sa lutte contre les effets directs de la crise elle-même constitue la base du développement de sa force et de son unité de classe. Il en est ainsi notamment parce que:
Cependant, la crise économique ne peut par elle-même résoudre les problèmes et les difficultés auxquels s'affronte, et devra s'affronter encore plus le prolétariat. Seules:
‑ la conscience des enjeux considérables de la situation historique présente, en particulier des dangers mortels que fait courir la décomposition à l'humanité;
permettront à la classe ouvrière de répondre coup pour coup aux attaques de tout ordre déchaînées par le capitalisme, pour finalement passer à l'offensive et mettre à bas ce système barbare.
La responsabilité des révolutionnaires est de participer activement au développement de ce combat du prolétariat.
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