Au moment où, dans beaucoup de pays, les médias font, jour après jour, leurs gros titres sur le “séisme” du “scandale DSK”, un autre “séisme”, réel, frappe l’Europe : celui d’un vaste mouvement social en Espagne qui se cristallise, depuis le 15 mai, par l’occupation jour et nuit de la Puerta del Sol (la “Porte du Soleil”) à Madrid par une marée humaine composée essentiellement de jeunes, révoltés par le chômage, les mesures d’austérité du gouvernement Zapatero, la corruption des politiciens... Ce mouvement social s’est répandu comme une traînée de poudre à toutes les villes du pays grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) : Barcelone, Valence, Grenade, Séville, Malaga, Léon… Mais les informations n’ont pas franchi la barrière des Pyrénées. En France, seuls les réseaux sociaux Internet et certains médias alternatifs ont largement diffusé les images et les vidéos de ce qui se passait en Espagne depuis la mi-mai. Si les médias bourgeois ont fait un tel black-out sur ces événements, en préférant nous intoxiquer avec la “série américaine” de l’affaire DSK, c’est justement parce que ce mouvement constitue une étape très importante dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière mondiale face à l’impasse du capitalisme.
Le mouvement des “Indignés” en Espagne a mûri depuis la grève générale du 29 septembre 2010 contre le projet de réforme des retraites. Cette grève générale s’était soldée par une défaite, tout simplement parce que les syndicats avaient négocié avec le gouvernement et accepté le projet de réforme (les travailleurs actifs de 40-45 ans toucheront, à leur départ à la retraite, une pension inférieure de 20 % à leur pension actuelle). Cette défaite a provoqué un profond sentiment d’amertume au sein de la classe ouvrière. Mais elle a suscité un profond sentiment de colère parmi les jeunes qui s’étaient mobilisés et avaient participé activement au mouvement, notamment en apportant leur solidarité dans les piquets de grève.
Début 2011, la colère commence à gronder dans les universités. En mars, au Portugal, un appel à une manifestation du groupe Jeunes précaires est lancé sur Internet et débouche sur une manifestation regroupant 250 000 personnes à Lisbonne. Cet exemple a eu un effet immédiat dans les universités espagnoles, notamment à Madrid. La grande majorité des étudiants et des jeunes de moins de 30 ans survit avec 600 euros par mois grâce à des petits boulots. C’est dans ce contexte qu’une centaine d’étudiants ont constitué le groupe Jeunes sans avenir (Jovenes sin futuro). Ces étudiants pauvres, issus de la classe ouvrière, se sont regroupés autour du slogan “sans soins, sans toit, sans revenus, sans peur”. Ils ont appelé à une manifestation le 7 avril. Le succès de cette première mobilisation qui a rassemblé environ 5000 personnes, a incité le groupe Jeunes sans avenir à programmer une nouvelle manifestation pour le 15 mai. Entre temps est apparu à Madrid le collectif Democracia Real Ya (Démocratie réelle maintenant !) dont la plate-forme se prononçait aussi contre le chômage et la “dictature des marchés”, mais qui affirmait être “apolitique”, ni de droite ni de gauche. Democracia Real Ya a lancé également des appels à manifester le 15 mai dans d’autres villes. Mais c’est à Madrid que le cortège a connu le plus grand succès avec environ 25 000 manifestants. Un cortège bon enfant qui devait se terminer tranquillement sur la place de la Puerta del Sol.
Les manifestations du 15 mai appelées par Democracia Real Ya ont connu un succès spectaculaire : elles exprimaient un mécontentement général, notamment parmi les jeunes confrontés au problème du chômage à la fin de leurs études. Tout aurait dû apparemment s’arrêter là, mais à la fin des manifestations, à Madrid et à Grenade, des incidents provoqués par un petit groupe de “black blocks” sont réprimés par les charges de la police et se sont soldés par plus d’une vingtaine d’arrestations. Les détenus, brutalisés dans les commissariats, se sont regroupés dans un collectif et ont adopté un communiqué dénonçant les violences policières. La diffusion de ce communiqué a suscité immédiatement une réaction d’indignation et de solidarité générale face à la brutalité des forces de l’ordre. Une trentaine de personnes totalement inconnues et inorganisées décident d’occuper la Puerta del Sol à Madrid et d’y établir un campement. Cette initiative a fait immédiatement tâche d’huile et a gagné la sympathie de la population. Le même jour, l’exemple madrilène s’étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression policière met le feu aux poudres et depuis lors, les rassemblements de plus en plus massifs sur les places centrales se sont étendus à plus de 70 villes du pays et n’ont fait que croître à toute allure.
Dans l’après-midi du mardi 17 mai, les organisateurs du Mouvement du 15 mai avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou des mises en scène ludique “défouloir”, mais la foule rassemblée sur les places publiques ne cessait de croître en réclamant à grands cris la tenue d’assemblées. A 20 heures, commencent à se tenir des assemblées à Madrid, Barcelone, Valence et dans d’autres villes. A partir du mercredi 18, ces assemblées prennent la forme d’une véritable avalanche. Les rassemblements se transforment en Assemblées générales ouvertes sur les places publiques.
Face à la répression et dans la perspective des élections municipales et régionales, le collectif Democracia Real Ya lance le débat autour d’un objectif : la “régénération démocratique” de l’État espagnol. Il revendique une réforme de la loi électorale afin d’en finir avec le bipartisme PSOE/Parti Populaire, en réclamant une “vraie démocratie” après 34 ans de “démocratie imparfaite” suite au régime franquiste.
Mais le mouvement des “Indignés” a largement débordé la seule plate-forme revendicative, démocratique et réformiste, du collectif Democracia Real Ya. Il ne s’est pas cantonné à la seule révolte de la jeune “génération perdue des 600 euros”. Dans les manifestations et sur les places occupées à Madrid, comme à Barcelone, Valence, Malaga, Séville, etc., sur les pancartes et banderoles, on pouvait y lire des slogans tels que : “Démocratie sans capital !”, “PSOE et PP, la même merde”, “Construisons un futur sans capitalisme !”, “Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir”, “Tout le pouvoir aux Assemblées !”, “Le problème n’est pas la démocratie, le problème, c’est le capitalisme !”, “Sans travail, sans maison, sans peur”, “Ouvriers, réveillez-vous !” “600 euros par mois, voilà où est la violence !”.
A Valence, des femmes criaient : “Ils ont trompés les grands-parents, ils ont encore trompés les fils, il faut que les petits-enfants ne se laissent pas avoir !”.
Face à la démocratie bourgeoise qui réduit la “participation” au fait de “choisir” tous les quatre ans le politicien qui ne tiendra jamais ses promesses électorales et mettra en œuvre les plans d’austérité exigés par l’aggravation inexorable de la crise économique, le mouvement des “Indignés” en Espagne s’est réapproprié spontanément une arme du combat de la classe ouvrière : les Assemblées générales ouvertes. Partout ont surgi des assemblées massives de villes, regroupant des dizaines de milliers de personnes de toutes les générations et de toutes les couches non exploiteuses de la société. Dans ces assemblées, chacun peut prendre la parole, exprimer sa colère, lancer des débats sur différentes questions, faire des propositions. Dans cette atmosphère d’ébullition générale, la parole se libère, tous les aspects de la vie sociale sont passés en revue (politique, culturel, économique…). Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d’idées discutées dans un climat de solidarité et de respect mutuel. Dans certaines villes, on installe des “boîtes à idées”, des urnes où chacun peut déposer des idées rédigées sur un bout de papier. Le mouvement s’organise avec une très grande intelligence. Des commissions se mettent en place, notamment pour éviter les débordements et les affrontements avec les forces de l’ordre : la violence y est interdite, l’alcoolisation proscrite avec le mot d’ordre “La revolución no es botellón” (La révolution n’est pas une beuverie). Chaque jour, des équipes de nettoyage sont organisées. Des cantines publiques servent des repas, des garderies pour enfants et des infirmeries sont montées avec des volontaires. Des bibliothèques sont mises en place ainsi qu’une “banque du temps” (où son organisés des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques, économiques). Des “journées de réflexion” sont planifiées. Chacun apporte ses connaissances et ses compétences.
En apparence, ce torrent de pensées ne semble déboucher sur rien. Il n’y a pas de propositions concrètes, pas de revendications réalistes ou immédiatement réalisables. Mais ce qui apparaît clairement, c’est d’abord et avant tout un énorme ras-le-bol de la misère, des plans d’austérité, de l’ordre social actuel, une volonté collective de briser l’atomisation sociale, de se regrouper pour discuter, réfléchir tous ensemble. Malgré les nombreuses confusions et illusions, dans les bouches comme sur les banderoles et pancartes, le mot “révolution” est réapparu et ne fait plus peur.
Dans les assemblées, les débats ont fait apparaître des questions fondamentales :
– faut-il se limiter à la “régénération démocratique” ? Les problèmes n’ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, un système qui ne peut être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
– Le mouvement doit-il s’arrêter le 22 mai, après les élections, ou faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les attaques des conditions de vie, le chômage, la précarité, les expulsions ?
– Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l’emploi, aux lycées, aux universités ? Doit-on enraciner le mouvement chez les travailleurs qui sont les seuls à avoir la force de mener une lutte généralisée ?
Dans ces débats au sein des assemblées, deux tendances sont apparues très clairement :
– l’une, conservatrice, animée par les couches sociales non prolétariennes semant l’illusion qu’il est possible de réformer le système capitaliste à travers une “révolution démocratique et citoyenne” ;
– l’autre, prolétarienne, mettant en évidence la nécessité d’en finir avec le capitalisme.
Les assemblées qui se sont tenues le dimanche 22 mai, jour des élections, ont décidé de poursuivre le mouvement. De nombreuses interventions ont déclaré : “nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur”. La tendance prolétarienne s’est plus clairement affirmée à travers les propositions d’“aller vers la classe ouvrière” en mettant en avant des revendications contre le chômage, la précarité, les attaques sociales. A la Puerta del Sol, la décision est prise d’organiser des “assemblées populaires” dans les quartiers. On commence à entendre des propositions d’extension vers les lieux de travail, les universités, les agences pour l’emploi. A Malaga, Barcelone et Valence, les assemblées ont posé la question d’organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale, qui soit “véritable” comme l’a affirmé l’un des orateurs.
C’est surtout à Barcelone, capitale industrielle du pays, que l’Assemblée centrale de la place de Catalogne apparaît comme la plus radicale, la plus animée par la tendance prolétarienne et la plus distante par rapport à l’illusion de la “régénération démocratique”. Ainsi, des ouvriers de la Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées de Barcelone et ont commencé à leur insuffler une tonalité différente. Le 25 mai, l’Assemblée de la place de Catalogne décide de soutenir activement la grève des travailleurs des hôpitaux, tandis que l’Assemblée de la Puerta del Sol à Madrid décide de décentraliser le mouvement en convoquant des “assemblées populaires” dans les quartiers afin de mettre en pratique une “démocratie participative horizontale”. A Valence, les manifestations des chauffeurs de bus ont rejoint une manifestation d’habitants contre les coupes budgétaires dans l’enseignement. A Saragosse, les conducteurs de bus se sont joints aux rassemblements avec le même enthousiasme.
A Barcelone, les “Indignés” décident de maintenir leur campement et de continuer à occuper la place de Catalogne jusqu’au 15 juin.
Quelle que soit la direction dans lequel va se poursuivre le mouvement, quelle que soit son issue, il est clair que cette révolte initiée par les jeunes générations confrontées au chômage (en Espagne, 45 % de la population des 20-25 ans n’a pas de travail), se rattache pleinement au combat de la classe ouvrière. Sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable.
C’est un mouvement généralisé qui a impliqué toutes les couches sociales non exploiteuses, notamment toutes les générations de la classe ouvrière. Même si celle-ci a été noyée dans la vague de colère “populaire” et ne s’est pas affirmée de façon autonome à travers des grèves et manifestations massives, en mettant en avant ses propres revendications économiques immédiates. Ce mouvement exprime en réalité une maturation en profondeur de la conscience au sein de la seule classe qui puisse changer le monde en renversant le capitalisme : la classe ouvrière.
Ce mouvement révèle clairement que, face à la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, des masses importantes commencent à se lever dans les pays “démocratiques” d’Europe occidentale, ouvrant la voie à la politisation des luttes du prolétariat.
Mais surtout, ce mouvement a révélé que les jeunes, en grande majorité des travailleurs précaires et chômeurs, ont été capables de s’approprier les armes de combat de la classe ouvrière, les assemblées générales massives et ouvertes, qui leur ont permis de développer la solidarité et de prendre eux-mêmes en main leur propre mouvement en dehors des partis politiques et des syndicats.
Le mot d’ordre “Tout le pouvoir aux assemblées !” qui a surgi dans le mouvement, même si de façon encore minoritaire, n’est qu’un remake du vieux mot d’ordre de la Révolution russe “Tout le pouvoir aux conseils ouvriers !” (soviets).
Même si, aujourd’hui, le mot “communisme” fait encore peur (du fait du poids des campagnes déchaînées par la bourgeoisie au lendemain de l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes staliniens), le mot “révolution” n’a effrayé personne, bien au contraire.
Ce mouvement n’est nullement une “Spanish Revolution” comme le présente le collectif Democracia Real Ya. Le chômage, la précarité, la vie chère et la dégradation constante des conditions d’existence des masses exploitées ne sont pas une spécificité espagnole ! Le visage sinistre du chômage, notamment le chômage des jeunes, on le voit autant à Madrid qu’au Caire, autant à Londres qu’à Paris, autant à Athènes qu’à Buenos Aires. Nous sommes tous unis dans la même chute dans l’abîme de la décomposition de la société capitaliste. Cet abîme, ce n’est pas seulement celui de la misère et du chômage, mais aussi celui de la multiplication des catastrophes nucléaires, des guerres et d’une dislocation des rapports sociaux accompagnée d’une barbarie morale (comme en témoigne, entre autres, l’augmentation des agressions sexuelles et des violences faites aux femmes dans les pays “civilisés”).
Le mouvement des “Indignés” n’est pas une “révolution”. Il n’est qu’une nouvelle étape dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière à l’échelle mondiale qui, seuls, peuvent ouvrir une perspective de futur pour cette jeunesse “sans avenir” comme pour l’ensemble de l’humanité.
Ce mouvement (malgré toutes ses confusions et ses illusions sur la “République indépendante de la Puerta del Sol”), révèle que, dans les entrailles de la société bourgeoise, la perspective d’une autre société est en gestation. Le “séisme espagnol” révèle que les nouvelles générations de la classe ouvrière, qui n’ont rien à perdre, sont d’ores et déjà les acteurs de l’histoire. Elles sont en train de creuser les galeries pour d’autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir la voie vers l’émancipation de l’humanité. Grâce à l’utilisation de réseaux sociaux Internet, de la téléphonie mobile et des moyens modernes de communication, ces jeunes générations ont montré leur capacité à briser le black-out de la bourgeoise et de ses médias pour commencer à développer la solidarité au-delà des frontières.
Cette nouvelle génération de la classe ouvrière a émergé sur la scène sociale internationale à partir de 2003, d’abord face à l’intervention militaire en Irak de l’administration Bush (dans de nombreux pays, les jeunes manifestants protestaient contre la “busherie”), puis avec les premières manifestations en France contre la réforme des retraites en 2003. Elle s’est affirmée au printemps 2006 dans ce même pays avec le mouvement massif des étudiants et lycéens contre le CPE. En Grèce, en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, la jeunesse scolarisée a fait également entendre sa voix face à la seule perspective que le capitalisme est capable de lui offrir : la misère absolue et le chômage.
Le raz de marée de cette nouvelle génération “sans avenir” a frappé récemment la Tunisie et l’Égypte, conduisant à une gigantesque révolte sociale qui a provoqué la chute de Ben Ali et de Moubarak. Mais il ne faut pas oublier que l’élément déterminant qui a obligé la bourgeoisie des principaux pays “démocratiques” (et notamment Barak Obama) à lâcher Ben Ali et Moubarak, ce sont les grèves ouvrières et la menace d’une grève générale face à la répression sanglante des manifestants.
Depuis, la place Tarhir est devenue un emblème, un encouragement à la lutte pour les jeunes générations de la classe ouvrière dans de nombreux pays. C’est sur ce modèle que les “Indignés” en Espagne ont établi leur campement à la Puerta del Sol, ont occupé les places de plus de 70 villes et ont agrégé dans les assemblées toutes les générations et toutes les couches sociales non exploiteuses (à Barcelone, les “Indignés” ont même renommé la place de Catalogne, “Plaza Tahrir”).
Le mouvement des “Indignés” est, en réalité, beaucoup plus profond que la révolte spectaculaire qui s’est cristallisée au Caire sur la place Tahrir.
Ce mouvement a explosé dans le principal pays de la péninsule Ibérique, et qui constitue le pont entre deux continents. Le fait qu’il se déroule dans un Etat “démocratique” d’Europe occidentale (et, de surcroît, dirigé par un gouvernement “socialiste” !), ne peut que contribuer, à terme, à balayer les mystifications démocratiques déployées par les médias depuis la “Révolution de jasmin “ en Tunisie.
De plus, bien que Democracia Real Ya qualifie ce mouvement de “spanish revolution”, aucun drapeau espagnol n’a été exhibé, alors que la place Tahrir était inondée de drapeaux nationaux (1).
Malgré les illusions et confusions qui jalonnent inévitablement ce mouvement initié par les jeunes “Indignés”, ce dernier constitue un maillon très important dans la chaîne des luttes sociales qui explosent aujourd’hui. Avec l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme, ces luttes sociales ne peuvent que continuer à converger avec la lutte de classe du prolétariat et contribuer à son développement.
Le courage, la détermination et le sens profond de la solidarité de la jeune génération “sans avenir” révèle qu’un autre monde est possible : le communisme, c’est-à-dire l’unification de la communauté humaine mondiale. Mais pour que ce “vieux rêve” de l’humanité puisse devenir réalité, il faut d’abord que la classe ouvrière, celle qui produit l’essentiel des richesses de la société, retrouve son identité de classe en développant massivement ses combats dans tous les pays contre l’exploitation et contre toutes les attaques du capitalisme.
Le mouvement des “Indignés” a commencé à poser de nouveau la question de la “révolution”. Il appartient au prolétariat mondial de la résoudre et de lui donner une direction de classe dans ses combats futurs vers le renversement du capitalisme. C’est uniquement sur les ruines de ce système d’exploitation basé sur la production de marchandises et le profit que les nouvelles générations pourront édifier une autre société, rendre à l’espèce humaine sa dignité et réaliser une véritable “démocratie” universelle.
Sofiane (27 mai 2011)
1) On a même vu, au contraire, apparaître des slogans appelant à une “révolution globale” et à l’“extension” du mouvement au-delà des frontières nationales. Dans toutes les assemblées une “commission internationale” a été créée. Le mouvement des “Indignés” a essaimé dans toutes les grandes villes d’Europe et du continent américain (même à Tokyo, Pnom-Penh et Hanoï, des regroupements de jeunes espagnols expatriés déploient la bannière de Democracia Real Ya !).
L’arrestation et l’incarcération de Dominique Strauss-Kahn, directeur général en exercice du puissant Fonds monétaire international, caracolant sous la casaque social-démocrate en tête de tous les sondages pour les primaires du PS et ultérieurement pour l’élection présidentielle de 2012 en France, ne pouvait que faire sensation et provoquer un énorme scandale. Le voilà désormais sous l’inculpation de sept chefs d’accusation différents dont le harcèlement sexuel et la tentative de viol d’une femme de chambre d’origine guinéenne dans l’hôtel où il se trouvait, cueilli et menotté par la police new-yorkaise dans l’avion qui devait le ramener en Europe.
Les moeurs libertines de DSK (qui ne sont un secret pour personne) ont-elles été exploitées à l’extrême et poussées à la caricature pour diaboliser le personnage, le virer du FMI et saboter sa candidature aux présidentielles en France ? DSK a-t-il été victime d’un “complot” ou de règlements de comptes au sein de différentes cliques de la bourgeoisie ? C’est tout à fait possible. Cette classe de requins et de gangsters ne se fait pas de cadeaux. Elle n’a jamais hésité à “flinguer” (au sens propre comme au sens figuré) l’un des siens. Cela a été le cas, entre autres exemples, en France avec la mort en octobre 1979 du ministre de Giscard, Robert Boulin, en passe de devenir Premier ministre, présentée comme un suicide alors qu’il a été retrouvé noyé sous quelques centimètres d’eau dans un étang de la forêt de Rambouillet et, selon plusieurs témoignages, le visage tuméfié par les coups. Ou encore l’ex-Premier ministre de Mitterrand, Pierre Bérégovoy, qui se suicide le 1er mai 1993 après une énorme campagne l’accusant de corruption. Et, aux Etats-Unis, personne n’a oublié l’assassinat à Dallas de John-Fitzgerald Kennedy (“JFK”) en novembre 1963, probablement commandité – on le sait aujourd’hui – par la CIA, ni le gigantesque scandale du Watergate où le camp républicain avait mis sur écoutes téléphoniques le siège de ses rivaux démocrates et qui a forcé le président Richard Nixon à démissionner en 1975...
“L’affaire DSK” est tout à fait révélatrice des moeurs banalement dépravées de la bourgeoisie et elle va de pair avec les comportements “naturels” de prédateurs de leurs dirigeants. Ce n’est d’ailleurs pas une première : on se souvient que, lorsqu’il était président des Etats-Unis, Bill Clinton s’est fait épingler et a fait l’objet d’une procédure d’empeachment lors de l’affaire Monica Lewinski. De même, les scandales pleuvent sur Berlusconi qui recrute à tour de bras de jeunes call girls ou cover girls pour des “parties fines”, y compris des mineures de moins de 16 ans en achetant le silence de leurs parents, tout en s’enorgueillissant de sa “verdeur” de chaud latin. Les grands de ce monde, souvent grisés par un sentiment de toute puissance, ont tendance à se croire tout permis et ils étalent ce pouvoir avec morgue et arrogance. DSK lui-même avait déjà été confronté en 2008 à une histoire sordide avec une subordonnée sur laquelle il avait exercé un chantage et qui avait failli lui coûter sa place à la tête du FMI. La “morale bourgeoise” s’accommode parfaitement “d’écarts” ou d’agissements de ses dirigeants, de gauche comme de droite, qui relèvent des comportements de voyous et de grands truands mafieux. En France, ces dernières années, les “scandales” ou les “affaires” nauséabondes ont été particulièrement nombreux, de Giscard à Sarkozy, en passant par Mitterrand ou Chirac et leurs ministres : subornations, détournements de fonds publics dans les caisses des partis, implication de ministres dans des affaires louches ou frauduleuses, comme l’étalage d’un luxe ostentatoire dans laquelle ils se vautrent. DSK, avec son goût du luxe, est aussi bling-bling que Sarkozy ; même Christine Lagarde présentée comme la “meilleure” représentante de l’Europe pour succéder à DSK à la tête du FMI est nantie de casseroles (elle est notoirement intervenue plusieurs fois à la rescousse de l’homme d’affaires Bernard Tapie quand celui-ci était en procès dans l’affaire du Crédit Lyonnais).
Ce qui est plus inusité, c’est l’ampleur de la publicité qui est donnée à “l’affaire DSK”. Depuis qu’elle a éclaté le 15 mai, elle a accaparé la “une” de toute la presse internationale et, dans la plupart des médias, on nous abreuve quasiment heure par heure en direct des péripéties de ce qui nous est présenté désormais comme un grand feuilleton à suspense. Tous les journaux télévisés y consacrent les trois-quarts de leur temps, des débats animés les relaient quotidiennement, c’est devenu le principal sujet de conversation de l’homme de la rue, sur les lieux de travail, dans les cafés. Chacun est invité à donner son avis. On parle de surprise, d’incrédulité, de honte, d’humiliation. On n’hésite pas à évoquer complaisamment la thèse déjà évoquée ci-dessus du “complot orchestré” contre DSK, du “piège qui lui a été tendu”. Les médias et les politiques n’hésitent pas à jouer la surenchère pour critiquer ou se justifier sous couvert de déontologie. Ceux qui se sont tus et ont couvert pendant des années le “problème de DSK avec les femmes” balancent hypocritement aujourd’hui leurs “révélations” sur des turpitudes notoirement connues dans le cercle fermé du pouvoir et des médias.
La vraie question à se poser est pourquoi la bourgeoisie et ses médias donnent une telle publicité à ce scandale qui l’éclabousse et la compromet pourtant gravement toute entière, brisant la carrière d’un de ses représentants patentés les plus éminents ? Quel intérêt la classe dominante trouve-t-elle dans la médiatisation outrancière de ce scandale ?
Aujourd’hui, il est clair que les divers épisodes de cette sordide affaire sont mis délibérément sous les projecteurs pour une raison majeure. La polarisation spectaculaire sur cet épisode permet pour un temps d’occulter les vrais problèmes sociaux, de créer un écran de fumée afin de tenter de reléguer au second plan et de minimiser dans la tête des prolétaires une réalité sociale quotidienne douloureuse et dramatique engendrée par l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme : hausse vertigineuse du chômage, de la précarité, des produits de première nécessité, aggravation tous azimuts des attaques contre nos conditions de vie, réduction de tous les budgets et amputation des programmes sociaux, qui mettent de plus en plus à nu la faillite irrémédiable du capitalisme. Il est particulièrement édifiant de voir que l’affaire DSK est montée en épingle au moment même où les plans d’austérité concertés du FMI et des gouvernements sont redoublés en Grèce ou au Portugal, et surtout au moment même où les jeunes chômeurs, les étudiants et de nombreux travailleurs, précaires ou non, manifestent leur colère et leur ras-le-bol non seulement sur la Puerta del Sol à Madrid mais dans toutes les principales villes d’Espagne, se réclamant d’un mouvement explicitement dans la lignée des révoltes en Tunisie et en Egypte, ou des autres luttes en Europe (Grèce, France, Grande-Bretagne).
Bien sûr, les sommes astronomiques lâchées comme caution pour obtenir la “libération conditionnelle” de DSK ou pour alimenter son procès sont choquantes et révoltantes pour tous les travailleurs et les chômeurs qui n’ont même plus de quoi se loger, se nourrir, se vêtir. Un responsable du PS (proche de DSK), Manuel Valls, a même piqué une colère dans un débat, accusant avec une certaine lucidité les journalistes d’alimenter ainsi “un fossé qui se creuse entre les politiques et la société civile”.
Mais cet aspect est provisoirement noyé sous les flots de reportages, d’interviews, de propagande, de polémiques (c’est pourquoi on laisse même des associations féministes monter au créneau pour fustiger le sexisme et la misogynie-réelles des dirigeants et des élites) qui servent à entretenir les divisions et la confusion dans l’opinion publique : on souligne les différences d’opinions ou de lois, on met en demeure chacun de se prononcer : faut-il défendre la présomption d’innocence ou défendre les droits de la victime ? On compare et on oppose les méthodes juridiques et les moyens d’investigation entre la France et les Etats-Unis, on compare et on oppose le traitement “éthique” de l’information entre journalistes français et la presse anglo-saxonne. Et surtout on essaie ainsi de canaliser les spéculations sur les “nouvelles donnes” afin de relancer l’intérêt pour les supposés enjeux électoraux de 2012 en France. Tout ce barouf n’est que de la poudre aux yeux, une campagne de diversion visant à éloigner les exploités de la défense de leurs intérêts de classe. Ce n’est pas vers l’affaire DSK qu’il faut se tourner mais vers les luttes sociales qui se déroulent actuellement contre le chômage, la misère, les plans d’austérité imposés par le FMI (sans DSK comme avant avec lui) et par tous les gouvernements de gauche comme de droite.
W. (22 mai)
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Nous avons choisi de publier de larges extraits d’une présentation orale faite en avril par une participante du Comité de lutte Saint-Sernin et de l’assemblée populaire Ponzan à Toulouse, qui sont nés au cours des luttes de l’automne 2010 contre la réforme des retraites. Ces assemblées sont parvenues à rédiger, le plus collectivement possible étant donné la diversité des intervenants, une brochure qui tire un premier bilan de cette expérience riche de promesses pour l’avenir. Nous partageons l’espoir de la camarade que de nombreux contacts prennent plaisir à lire ce document, mais aussi nous les incitons à le diffuser, à en débattre et à en discuter le plus largement possible autour d’eux.
Nous sommes un certain nombre d’individus, militants ou non, à s’être réunis lors du mouvement social de cet automne. Nous avons tenté de proposer une alternative aux formes d’expression et d’organisation proposées traditionnellement par les partis politiques et les syndicats. Nous avons essayé de permettre à chacun de s’exprimer en dehors de la censure de la parole que nous impose la société. Cela a pris la forme d’assemblées populaires en fin de manifestations, de rassemblements, d’écriture de tracts, de participation à des blocages devant des entreprises. Toutes ces actions étaient décidées collectivement. Elles ont été menées à l’initiative du Comité de lutte de Saint-Sernin (des grévistes qui se réunissaient tous les soirs de la semaine devant la Bourse du travail, puis aux Pavillons sauvages les mardis soirs) et l’Assemblée populaire Ponzan (réunions les dimanches aux jardins de Ponzan puis à la Chapelle). Avec la fin du mouvement, les deux assemblées ont continué à se réunir et, comme elles partageaient beaucoup de choses, elles se sont fondues en une seule assemblée pour faire le bilan des expériences vécues, d’où la production d’une brochure qui recueille des témoignages individuels et collectifs, fruit de ce travail en commun.
Nous sommes venus ce soir dans un lieu (...) tout à fait adéquat pour parler de nos ressentis concernant l’injustice, le besoin de créer ensemble et de témoigner de nos réflexions, de notre expérience collective pour restaurer la dignité, pour se dire qu’il est possible de construire différemment de ce que nous propose ce monde moribond !
Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que nous avons conscience qu’une lutte contre les injustices et l’oppression s’est engagée un peu partout dans le monde et que chacun d’entre nous est concerné. Ici, il ne s’agit pas d’une affaire de spécialistes mais de nous rapproprier la parole, savoir être à l’écoute des autres, avec pour objectif de contribuer à mettre fin à ce monde qui crée des inégalités. À notre niveau et avec beaucoup d’humilité, nous avons essayé de développer de nouvelles formes d’organisation, dont les assemblées populaires sont une expression. Quant on voit ce qui s’est passé sur la place Tahrir en Egypte, on se rend compte qu’au delà des différences apparentes, les mêmes besoins créent des volontés communes de se réunir, de prendre en charge nous-mêmes nos revendications, bref, de défendre notre dignité ! Dans cette aventure humaine qui dure depuis plusieurs mois, chacun de nous s’est interrogé. Car dans ces moments forts de l’histoire, de nombreuses questions émergent. Elles peuvent concerner une collectivité : Qui sommes-nous ? Contre qui ou quoi nous battons-nous ? Quelle(s) stratégie(s) devons-nous adopter ? Quels seront nos alliés dans cette bataille ? Quels sont ceux qui voudront nous mettre des bâtons dans les roues ? Comment s’y prendront-ils ? Comment anticiper cela et partager l’esprit de notre travail commun ? Ou bien toucher à notre intimité : Qu’est-ce que je défends ? Comment ai-je l’intention de me rendre utile ? Quelle est ma place dans ce groupe ? Est-ce que je m’y sens à l’aise ? Est-ce que je communique avec les autres comme je le voudrais ?
Certains ont peut-être douté face à l’ampleur de la tâche et les risibles moyens dont nous disposons pour nous en acquitter. On se sent alors découragé, isolé, tout petit et impuissant. D’autres auraient préféré que les choses aillent plus vite et ils n’ont plus trouvé d’intérêt à nous rejoindre et ils sont partis. Mais tous ont contribué, pendant un instant, à créer cet espace de discussion libre, d’expression de nos peurs, de nos idées, de nos points de désaccord et de nos espoirs. Nous avons appris à nous connaître au-delà des apparences, des barrières sociales et des préjugés. Nous nous sommes découverts dans nos différences, et ensemble, nous avons été capables de produire une brochure afin d’immortaliser ces réflexions. Elle n’est pas parfaite. Mais elle a le mérite d’être authentique. Nous avons voulu situer notre expérience collective de participation au mouvement social de cet automne dans le fil historique de la lutte en France depuis le xixe siècle, parce que conserver la mémoire du passé, c’est se préserver des écueils de l’oubli. Inscrire notre action dans un contexte historique, c’est donner une âme à ce mouvement qui semble encore fragile, c’est lui montrer sa force à travers les âges pour qu’il grandisse à nouveau. Et cela nous permet d’avoir une vision plus étendue du chemin parcouru et de celui qu’il reste encore à faire. Nous avons besoin de savoir où nous en sommes. C’est pourquoi chacun de ceux qui le souhaitaient a pu apporter sa contribution personnelle, un témoignage de son expérience et de son ressenti dans son propre langage, souvent avec humour et parfois de manière poétique. Nous espérons que vous prendrez plaisir à lire ce document comme nous avons pris plaisir à le composer. (...)
Nous publions ci-dessous la première partie de la Résolution sur la situation internationale adoptée par le CCI lors de son 19e Congrès qui s’est tenu au mois de mai. Cette première partie est consacrée à l’analyse de la situation économique actuelle. La totalité de cette résolution sera publiée dans le prochain numéro de notre Revue Internationale.
1. La résolution adoptée par le précédent congrès du CCI mettait d’emblée en évidence le démenti cinglant infligé par la réalité aux prévisions optimistes des dirigeants de la classe bourgeoise au début de la dernière décennie du xxe siècle, particulièrement après l’effondrement de cet “Empire du mal” que constituait le bloc impérialiste dit “socialiste”. Elle citait la déclaration désormais fameuse du président George Bush senior de mars 1991 annonçant la naissance d’un “Nouvel ordre mondial” basé sur le “respect du droit international” et elle soulignait son caractère surréaliste face au chaos croissant dans lequel s’enfonce aujourd’hui la société capitaliste. Vingt ans après ce discours “prophétique”, et particulièrement depuis le début de cette nouvelle décennie, jamais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale le monde n’a donné une telle image de chaos. A quelques semaines d’intervalle on a assisté à une nouvelle guerre en Libye, venant s’ajouter à la liste de tous les conflits sanglants qui ont touché la planète au cours de la dernière période, à de nouveaux massacres en Côte d’Ivoire et aussi à la tragédie qui a frappé un des pays les plus puissants et modernes du monde, le Japon. Le tremblement de terre qui a ravagé une partie de ce pays a souligné une nouvelle fois qu’il n’existe pas des “catastrophes naturelles” mais des conséquences catastrophiques à des phénomènes naturels. Il a montré que la société dispose aujourd’hui de moyens pour construire des bâtiments qui résistent aux séismes et qui permettraient d’éviter des tragédies comme celle d’Haïti l’an dernier. Mais il a montré aussi toute l’imprévoyance dont même un État aussi avancé que le Japon peut faire preuve : le séisme en lui-même a fait peu de victimes mais le tsunami qui l’a suivi a tué près de 30 000 êtres humains en quelques minutes. Plus encore, en provoquant un nouveau Tchernobyl, il a mis en lumière, non seulement l’imprévoyance de la classe dominante, mais aussi sa démarche d’apprenti sorcier, incapable de maîtriser les forces qu’elle a mises en mouvement. Ce n’est pas l’entreprise Tepco, l’exploitant de la centrale atomique de Fukuyama qui est le premier, encore moins l’unique responsable de la catastrophe. C’est le système capitaliste dans son ensemble, basé sur la recherche effrénée du profit ainsi que sur la compétition entre secteurs nationaux et non sur la satisfaction des besoins de l’humanité, qui porte la responsabilité fondamentale des catastrophes présentes et futures subies par l’espèce humaine. En fin de compte, le Tchernobyl japonais constitue une nouvelle illustration de la faillite ultime du mode de production capitaliste, un système dont la survie constitue une menace croissante pour la survie de l’humanité elle-même.
2. C’est évidemment la crise que subit actuellement le capitalisme mondial qui exprime le plus directement la faillite historique de ce mode de production. Il y a deux ans, la bourgeoisie de tous les pays était saisie d’une sainte panique devant la gravité de la situation économique. L’OCDE n’hésitait pas à écrire : “L’économie mondiale est en proie à sa récession la plus profonde et la plus synchronisée depuis des décennies” (Rapport intermédiaire de mars 2009). Quand on sait avec quelle modération cette vénérables institution s’exprime habituellement, on peut se faire une idée de l’effroi que ressentait la classe dominante face à la faillite potentielle du système financier international, la chute brutale du commerce mondial (plus de 13 % en 2009), la brutalité de la récession des principales économies, la vague de faillites frappant ou menaçant des entreprises emblématiques de l’industrie telles General Motors ou Chrysler. Cet effroi de la bourgeoisie l’avait conduite à convoquer les sommets du G20 dont celui de mars 2009 à Londres décidant notamment le doublement des réserves du Fond monétaire international et l’injection massive de liquidités dans l’économie par les États afin de sauver un système bancaire en perdition et de relancer la production. Le spectre de la “Grande dépression des années 1930” hantait les esprits ce qui conduisait la même OCDE à conjurer de tels démons en écrivant : “Bien qu’on ait parfois qualifié cette sévère récession mondiale de ‘grande récession’, on reste loin d’une nouvelle ‘grande dépression’ comme celle des années 30, grâce à la qualité et à l’intensité des mesures que les gouvernements prennent actuellement” (Ibid.). Mais comme le disait la Résolution du 18e congrès, “le propre des discours de la classe dominante aujourd’hui est d’oublier les discours de la veille” et le même rapport intermédiaire de l’OCDE du printemps 2011 exprime un véritable soulagement face à la restauration de la situation du système bancaire et à la reprise économique. La classe dominante ne peut faire autrement. Incapable de se donner une vision lucide, d’ensemble et historique des difficultés que rencontre son système, car une telle vision la conduirait à découvrir l’impasse définitive dans laquelle se trouve ce dernier, elle en est réduite à commenter au jour le jour les fluctuations de la situation immédiate en essayant de trouver dans celle-ci des motifs de consolation. Ce faisant, elle en est amenée à sous-estimer, même si, de temps en temps, les médias adoptent un ton alarmiste à son sujet, la signification du phénomène majeur qui s’est fait jour depuis deux ans : la crise de la dette souveraine d’un certain nombre d’États européens. En fait, cette faillite potentielle d’un nombre croissant d’États constitue une nouvelle étape dans l’enfoncement du capitalisme dans sa crise insurmontable. Elle met en relief les limites des politiques par lesquelles la bourgeoisie a réussi à freiner l’évolution de la crise capitaliste depuis plusieurs décennies.
3. Cela fait maintenant plus de 40 ans que le système capitaliste se confronte à la crise. Mai 68 en France et l’ensemble des luttes prolétariennes qui ont suivi internationalement n’ont connu cette ampleur que parce qu’ils étaient alimentés par une aggravation mondiale des conditions de vie de la classe ouvrière, une aggravation résultant des premières atteintes de la crise capitaliste, notamment la montée du chômage. Cette crise a connu une brutale accélération en 1973-75 avec la première grande récession internationale de l’après guerre. Depuis, de nouvelles récessions, chaque fois plus profondes et étendues, ont frappé l’économie mondiale jusqu’à culminer avec celle de 2008-2009 qui a ramené dans les consciences le spectre des années 1930. Les mesures adoptées par le G20 de mars 2009 pour éviter une nouvelle “Grande Dépression” sont significatives de la politique menée depuis plusieurs décennies par la classe dominante : elles se résument par l’injection dans les économies de masses considérables de crédits. De telles mesures ne sont pas nouvelles. En fait, depuis plus de 35 ans, elles constituent le cœur des politiques menées par la classe dominante pour tenter d’échapper à la contradiction majeure du mode de production capitaliste : son incapacité à trouver des marchés solvables en mesure d’absorber sa production. La récession de 1973-75 avait été surmontée par des crédits massifs aux pays du Tiers-Monde mais, dès le début des années 1980, avec la crise de la dette de ces pays, la bourgeoise des pays les plus développés avait dû renoncer à ce poumon pour son économie. Ce sont alors les États des pays les plus avancés, et au premier lieu celui des États-Unis, qui ont pris la relève en tant que “locomotive” de l’économie mondiale. Les “reaganomics” (politique néolibérale de l’Administration Reagan) du début des années 80, qui avaient permis une relance significative de l’économie de ce pays, étaient basées sur un creusement inédit et considérable des déficits budgétaires alors que Ronald Reagan déclarait au même moment que “L’État n’est pas la solution, c’est le problème”. En même temps, les déficits commerciaux également considérables de cette puissance permettaient aux marchandises produites par les autres pays de trouver à s’y écouler. Au cours des années 1990, les “tigres” et les “dragons” asiatiques (Singapour, Taïwan, Corée du Sud, etc.) ont accompagné pour un temps les États-Unis dans ce rôle de “locomotive” : leurs taux de croissance spectaculaires en faisaient une destination importante pour les marchandises des pays les plus industrialisés. Mais cette “success story” s’est construite au prix d’un endettement considérable qui a conduit ces pays à des convulsions majeures en 1997 au même titre que la Russie “nouvelle” et “démocratique” qui s’est retrouvée en cessation de paiements ce qui a déçu cruellement ceux qui avaient misé sur la “fin du communisme” pour relancer durablement l’économie mondiale. Au début des années 2000 l’endettement a connu une nouvelle accélération, notamment grâce au développement faramineux des prêts hypothécaires à la construction dans plusieurs pays, en particulier aux États-Unis. Ce dernier pays a alors accentué son rôle de “locomotive de l’économie mondiale” mais au prix d’une croissance abyssale des dettes, – notamment au sein de la population américaine – basées sur toutes sortes de “produits financiers” censés prévenir les risques de cessation de paiement. En réalité, la dispersion des créances douteuses n’a nullement aboli leur caractère d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’économie américaine et mondiale. Bien au contraire, elle n’a fait qu’accumuler dans le capital des banques les “actifs toxiques” à l’origine de leur effondrement à partir de 2007 et de la brutale récession mondiale de 2008-2009.
4. Ainsi, comme le disait la résolution adopté au précédent congrès, “ce n’est pas la crise financière qui est à l’origine de la récession actuelle. Bien au contraire, la crise financière ne fait qu’illustrer le fait que la fuite en avant dans l’endettement qui avait permis de surmonter la surproduction ne peut se poursuivre indéfiniment. Tôt ou tard, “l’économie réelle” se venge, c’est-à-dire que ce qui est à la base des contradictions du capitalisme, la surproduction, l’incapacité des marchés à absorber la totalité des marchandises produites, revient au devant de la scène.” Et cette même résolution précisait, après le sommet du G20 de mars 2009, que “la fuite en avant dans l’endettement est un des ingrédients de la brutalité de la récession actuelle. La seule ‘solution’ que soit capable de mettre en œuvre la bourgeoisie est… une nouvelle fuite en avant dans l’endettement. Le G20 n’a pu inventer de solution à une crise pour la bonne raison qu’il n’existe pas de solution à celle-ci.”
La crise des dettes souveraines qui se propage aujourd’hui, le fait que les États soient incapables d’honorer leurs dettes, constitue une illustration spectaculaire de cette réalité. La faillite potentielle du système bancaire et la récession ont obligé tous les États à injecter des sommes considérables dans leur économie alors même que les recettes étaient en chute libre du fait du recul de la production. De ce fait les déficits publics ont connu, dans la plupart des pays, une augmentation considérable. Pour les plus exposés d’entre eux, comme l’Irlande, la Grèce ou le Portugal, cela a signifié une situation de faillite potentielle, l’incapacité de payer leurs fonctionnaires et de rembourser leurs dettes. Les banques se refusent désormais à leur consentir de nouveaux prêts, sinon à des taux exorbitants, puisqu’elles n’ont aucune garantie de pouvoir être remboursées. Les “plans de sauvetage” dont ils ont bénéficié de la part de la Banque européenne et du Fond monétaire international constituent de nouvelles dettes dont le remboursement s’ajoute à celui des dettes précédentes. C’est plus qu’un cercle vicieux, c’est une spirale infernale. La seule “efficacité” de ces plans consiste dans l’attaque sans précédent contre les travailleurs qu’ils représentent, contre les fonctionnaires dont les salaires et les effectifs sont réduits de façon drastique, mais aussi contre l’ensemble de la classe ouvrière à travers les coupes claires dans l’éducation, la santé et les pensions de retraite ainsi que par des augmentations majeures des impôts et taxes. Mais toutes ces attaques anti-ouvrières, en amputant massivement le pouvoir d’achat des travailleurs, ne pourront qu’apporter une contribution supplémentaire à une nouvelle récession.
5. La crise de la dette souveraine des PIIGS (Portugal, Islande, Irlande, Grèce, Espagne) ne constitue qu’une part infime du séisme qui menace l’économie mondiale. Ce n’est pas parce qu’elles bénéficient encore pour le moment de la note AAA dans l’indice de confiance des agences de notation (les mêmes agences qui, jusqu’à la veille de la débandade des banques en 2008, leur avaient accordé la note maximale) que les grandes puissances industrielles s’en tirent beaucoup mieux. Fin avril 2011, l’agence Standard and Poor’s émettait une opinion négative face à la perspective d’un Quantitative Easing n° 3, c’est-à-dire un 3e plan de relance de l’État fédéral américain destiné à soutenir l’économie. En d’autres termes, la première puissance mondiale court le risque de se voir retirer la confiance “officielle” sur sa capacité à rembourser ses dettes, si ce n’est avec un dollar fortement dévalué. En fait, de façon officieuse, cette confiance commence à faire défaut avec la décision de la Chine et du Japon depuis l’automne dernier d’acheter massivement de l’or et des matières premières en lieu et place des bons du Trésor américain ce qui conduit la Banque fédérale américaine à en acheter maintenant de 70% à 90% à leur émission. Et cette perte de confiance se justifie parfaitement quand on constate l’incroyable niveau d’endettement de l’économie américaine : en janvier 2010, l’endettement public (État fédéral, États, municipalités, etc.) représentait déjà près de 100 % du PIB ce qui ne constituait qu’une partie de l’endettement total du pays (qui comprend également les dettes des ménages et des entreprises non financières) se montant à 300 % du PIB. Et la situation n’était pas meilleure pour les autres grands pays où la dette totale représentait à la même date des montants de 280 % du PIB pour l’Allemagne, 320 % pour la France, 470 % pour le Royaume-Uni et le Japon. Dans ce dernier pays, la dette publique à elle seule atteignait 200 % du PIB. Et depuis, pour tous les pays, la situation n’a fait que s’aggraver avec les divers plans de relance.
Ainsi, la faillite des PIIGS ne constitue que la pointe émergée de la faillite d’une économie mondiale qui n’a dû sa survie depuis des décennies qu’à la fuite en avant désespérée dans l’endettement. Les États qui disposent de leur propre monnaie comme le Royaume-Uni, le Japon et évidemment les États-Unis ont pu masquer cette faillite en faisant fonctionner à tout va la planche à billets (au contraire de ceux de la zone Euro, comme la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, qui ne disposent pas de cette possibilité). Mais cette tricherie permanente des États qui sont devenus de véritables faux-monnayeurs, avec comme chef de gang l’État américain, ne pourra se poursuivre indéfiniment de la même façon que ne pouvaient pas se poursuivre les tricheries du système financier comme l’a démontré sa crise de celui-ci en 2008 qui a failli le faire exploser. Un des signes visibles de cette réalité est l’accélération actuelle de l’inflation mondiale. En basculant de la sphère des banques à celles des États, la crise de l’endettement ne fait que marquer l’entrée du mode de production capitaliste dans une nouvelle phase de sa crise aiguë où vont s’aggraver encore de façon considérable la violence et l’étendue de ses convulsions. Il n’y a pas de “sortie du tunnel” pour le capitalisme. Ce système ne peut qu’entraîner la société dans une barbarie toujours croissante.
CCI (mai 2011)
Depuis le déclenchement le 19 mars de l’intervention militaire en Libye sous la double bannière de l’ONU et de l’OTAN, la situation ne s’est pas apaisée. Mais qu’on se rassure, le dernier sommet du G8 a réaffirmé que les coalisés, au-delà de leurs dissensions, étaient “déterminés à finir le travail”, après avoir appelé le dirigeant libyen à quitter le pouvoir car il a “perdu toute légitimité”. La Russie elle-même s’est mêlée au concert de tous ces nouveaux anti-kadhafistes pour proposer son concours à une médiation avec celui qu’elle “ne considère plus comme le dirigeant de la Libye”. En signe de leur appui aux “révolutions arabes” et donc aussi en direction de la population libyenne, les dirigeants présents se sont fendus, en pressant l’Arabie Saoudite de mettre la main à la poche, d’un cadeau aux “révolutions arabes” de 45 milliards de dollars.
En attendant, ce bel élan de “solidarité” envers les insurgés anti-Kadhafi réunis autour du Conseil national de transition libyen, dont les représentants passent plus de temps dans les ambassades occidentales que sur les zones de combats, a bien du mal à faire accréditer une guerre qui s’enlise jour après jour un peu plus. Les forces de Kadhafi, malgré les quelque 2700 frappes aériennes qu’elles ont subies, continuent de pilonner les rebelles, que ce soit à Benghazi ou à Misrata. On est bien loin de l’éviction de ce pouvoir libyen récemment dénoncé par la “communauté internationale” pour sa cruauté et de l’avènement de cette démocratie qui ont été le prétexte à cette nouvelle aventure militaire impérialiste. Car le “guide de la révolution verte” s’accroche désespérément au pouvoir. Aussi, le pays offre un spectacle de désolation, loin de satisfaire à l’espoir ou à l’enthousiasme qui ont accompagné, malgré la dureté des événements, les mouvements en Tunisie et en Egypte. Les morts se comptent par douzaines chaque jour au moins à Misrata (selon l’OMS), et les carcasses de blindés et de voitures sommairement armées jonchent les routes, tandis que les villes ressemblent de plus en plus à des gruyères, à l’image de Beyrouth dans les années 1970 et 1980. Evidemment, nos dignes représentants n’ont de cesse de fustiger le gouvernement libyen et d’exiger que “les responsables d’attaques contre les civils rendent des comptes”, sans omettre de mobiliser préventivement la Cour pénale internationale sur ces “crimes”. On connaît leurs grands discours, comme on connaît leur hypocrisie mensongère : ils sont eux aussi responsables des morts, dans les deux camps, y compris parmi les populations civiles. Parce que c’est la loi des “frappes aériennes” qui ne font pas des morts que pile-poil dans le camp des méchants, comme dans les films de série B. Rappelons juste en exemple les prétendues attaques “ciblées” des deux guerres en Irak, et leurs quelques centaines de milliers de morts “collatéraux”, de celle en Afghanistan où c’est régulièrement que des villages entiers sont la cible “d’erreurs” logistiques. La liste des responsabilités des grandes puissances, qui n’enlève rien à celle des petits Etats, pour la mort de “civils”, serait bien longue. De même que leur responsabilité pour créer le chaos.
Ainsi, la réaffirmation du dernier sommet du G8 d’accentuer sa pression militaire contre Kadhafi avec la décision de mettre en place des attaques par hélicoptères français et britanniques pour être au “plus près du sol” sont au plus près d’une présence à terme “sur le sol”. Autant l’intervention militaire était partie sur des bases plutôt troubles et instables, avec les Etats-Unis qui traînaient des pieds, ainsi que l’Italie, et la Russie qui s’y opposait, autant aujourd’hui la direction semble affirmée : aller à la curée. La population libyenne, que les champions toutes catégories de la démocratie occidentale sont venus “secourir” pour les “sauver”, subit désormais le même calvaire que celles subissant le joug de tel ou tel dictateur ou du terrorisme international. Cet avenir, cet après-Kadhafi annoncé, c’est celui d’un affrontement plus ou moins larvé entre les différentes cliques tribales libyennes, soutenues par les différentes puissances sur le terrain, avec pour mot d’ordre : chacun pour soi et tous contre tous.
Et la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si le même sort attend bientôt la population syrienne ; une population dans les rangs de laquelle il y a eu au moins un millier de morts depuis le début des manifestations anti-Assad il y a deux mois, et des dizaines de milliers d’emprisonnés par les forces de répression du gouvernement de Damas. Tortures, tabassages, assassinats sont le lot quotidien des Syriens, en fait le même brouet qu’en Libye, qui a tout à coup “offusqué” les représentants de l’Union européenne. Relayant leurs velléités protestataires contre cette “répression sanglante” syrienne jusqu’au Conseil de sécurité de l’ONU, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et le Portugal ont appelé à frapper le régime syrien de “sanctions internationales”, qui lui font pour l’instant aussi peur que l’histoire du Grand méchant loup.
Contrairement à ce qui s’est passé avec la Libye, l’ONU est loin de parvenir à un accord et à une résolution qui l’engagerait à une action militaire contre la Syrie. D’abord parce que l’Etat syrien possède des moyens militaires autrement plus conséquents que ceux de Kadhafi, et parce que la région est bien plus sensible stratégiquement que l’environnement de la Libye. Et c’est là qu’on peut une fois encore mesurer le peu de crédit à accorder aux puissances occidentales pour soutenir les “révolutions démocratiques arabes”, dont les mots remplissent la bouche de ces menteurs patentés alors qu’elles cautionnent depuis des années le régime de la famille Al-Assad. Les enjeux impérialistes concernant la Syrie sont de tout premier ordre. Voisine et alliée de l’Irak où les Etats-Unis s’essoufflent toujours à trouver une voie de sortie militaire à peu près honorable, la Syrie est de surcroît de plus en plus soutenue par l’Iran qui lui a fourni, depuis les derniers événements des milices aguerries et rompues à toutes les sortes de sévices que requièrent les besoins d’une répression massive de la population.
La première puissance mondiale ne peut pas se permettre de se retrouver avec un nouveau bourbier sur le bras en Syrie, bourbier qui la décrédibiliserait encore un peu plus dans les pays arabes, alors même qu’elle a de plus en plus de mal à calmer le jeu dans les tensions israélo-palestiniennes, précisément attisées par Israël et la Syrie. De plus, le bonus momentané tiré sur l’arène mondiale par les Etats-Unis – et par Obama en particulier, ce prestige lui assurant presque sa future réélection – avec le succès de la traque et de la mort surmédiatisée de Ben Laden, “lavant l’affront du 11 septembre”, ne signifie pas pour autant une éradication du terrorisme, but proclamé de la grande croisade américaine depuis 20 ans. Au contraire, cette nouvelle situation expose toujours plus le monde à une recrudescence des attentats meurtriers et les récents attentats sanglants au Pakistan et à Marrakech n’ont pas tardé à le démontrer. Partout, on assiste à une multiplication des foyers de guerre, à une fuite en avant dans des tensions impérialistes plus fortes aiguisées par les rivalités entre les grandes puissances et à une accumulation d’instabilité et de barbarie.
Il ne faut avoir aucune illusion. Le capitalisme, c’est la guerre, le chaos, mais nulle part il n’aboutira à une prétendue libération ou émancipation des peuples.
Mulan (28 mai)
Que ce soit au Mexique ou au Pérou, les attentes autour des élections sont amplifiées au maximum et par tous les moyens de communication pour maintenir l’intérêt des travailleurs fixé sur des sujets qui sont bons pour la bourgeoisie et qui sont partout les mêmes : tel ou tel parti est le meilleur pour en finir avec la crise ou l’insécurité, telle ou telle alliance serait meilleure pour signer des accords qui permettent de réaliser les reformes légales nécessaires pour les affaires capitalistes, toujours présentées, cela va de soi, comme bénéfiques “pour les pauvres enfin, en dernière instance, toutes ces campagnes ont comme axe le culte de la personnalité des différents candidats dont il faudrait valoriser les attributs au moment de voter. Et c’est ainsi que les personnages des principaux partis du Mexique (PAN, droite, PRI, centre, et PRD, gauche) se sont mis en concurrence pour les gouvernorats des provinces mexicaines (1). Ou, au Pérou, les candidatures autour de personnages comme Ollanta Humala ou Keiko Fujimori (la fille de l’ancien président Alberto Fujimori), pour ne nommer que les plus connus. Tous reviennent pour renouveler dans les têtes des masses ouvrières et opprimées le sempiternel espoir selon lequel cette fois-ci c’est la bonne, cette fois-ci on a l’occasion de sortir de la crise, cette fois-ci la pauvreté va disparaître, cette fois-ci on va régler ce fléau de la délinquance déchainée, du narcotrafic et ainsi de suite...et tout ça, uniquement grâce à un simple geste magique… “le vote démocratique”. Cette mystification est effectivement la même dans tous les pays, même s’il existe quelques particularités, parfois extravagantes ou en lien avec les systèmes électoraux, qui font qu’au Mexique, par exemple, il n’y ait qu’un seul “tour” et au Pérou un “deuxième tour”, face à des résultats peu clairs, ce qui au demeurant, peut servir à susciter une attente et un intérêt plus grands.
La démocratie capitaliste ne pourrait fonctionner sans la mystification idéologique des élections libres et démocratiques, par lesquelles, prétendument, “les citoyens sont à égalité pour décider pour qui ils votent, en ayant ainsi une influence dans le choix de ceux qui vont les gouverner et leurs représentants au Parlement” ; voilà une des plus grandes escroqueries réalisée par l’État lui-même à notre époque de décadence du capitalisme ; alors que c’est à partir de l’État lui-même que sont créés les différents partis, avec des masques idéologiques de droite, de centre ou de gauche pour inciter à la participation citoyenne, pour faire voter pour tel ou tel choix par le biais de différents mécanismes de manipulation, de propagande et de moyens de diffusion aux mains de l’État. C’est une tromperie démesurée, qui, en plus, essaye d’occulter que la prétendue égalité est une chimère, c’est la classe dominante qui décide quels candidats doivent être dans la compétition et, en fin de compte, quel candidat ou quel équipe gouvernementale doit prendre en charge tel ou tel poste pour une période donnée.
La bourgeoisie conserve cette institution démocratique en y injectant des masses d’argent considérables, parce qu’elle est la colonne vertébrale de sa domination ; c’est à travers ces institutions que les masses travailleuses surtout peuvent avoir l’illusion que seul le vote “pacifique”, très solitaire et atomisé dans une urne en carton, pourrait avoir une véritable influence pour que son état permanent de pénurie puisse ne serait-ce que diminuer. C’est ainsi que les agissements des partis politiques, des syndicats, des médias, etc., arrivent à détourner l’attention des masses ouvrières de leurs intérêts de classe, c’est-à-dire : la défense de leurs conditions de vie et de travail.
Au Pérou, par exemple, grâce à l’orgie électoraliste, on a occulté intentionnellement toute information sur des luttes qui se sont déroulées parallèlement aux élections : des mineurs, des dockers, des ouvriers des raffineries de sucre, avec, parfois, des affrontements des travailleurs contre les forces de répression de ce même État qui organise les élections, des affrontements qui ont causé des morts et des blessés. Ou au Mexique où l’on offre cette eucharistie du vote citoyen pour éviter que les prolétaires ne portent leur attention sur les véritables causes de leur misère croissante, pour éviter qu’ils ne recherchent les raisons du chômage qui broie leurs familles, éviter qu’ils ne s’opposent activement aux attaques impitoyables du capital qui continue à dégrader leur situation jusqu’à des limites insupportables.
Pour les travailleurs, rien ne se joue dans les élections démocratiques. Il suffit de se rappeler ne serait-ce que les résultats des élections passées au moment où des “alternatives différentes” sont arrivées au pouvoir, mais dans les faits, elles ont appliqué les mêmes mesures nécessaires pour que les affaires capitalistes puissent continuer à marcher tant bien que mal, ce qui, toujours, s’est concrétisé à travers des plans d’austérité contre les exploités. La diversité politique avec laquelle on veut nous droguer n’est faite que des masques plus ou moins hideux ou avenants pour cacher la division du travail entre la droite, le centre et la gauche. Il faut que tous les “choix” s’offrent aux votants : pour que ces campagnes électorales soient un succès, il faut que le plus grand nombre de personnes aillent aux urnes pour qu’elles soient ainsi accrochées au char de l’État.
La bourgeoisie a érigé le totem avec l’emblème du “citoyen avec des droits et des devoirs”, le citoyen “qui participe dans une communauté et qui se développe par l’action autorégulée, intégrante, pacifique et responsable, avec le seul objectif supérieur d’améliorer sans cesse le bien-être public”, autrement dit, la bourgeoisie, en accord avec ses intérêts, identifie “l’intérêt commun” avec les siens propres qui sont ceux d’une économie et d’un ordre politique et social organisé à l’intérieur d’une nation capitaliste, des intérêts préservés grâce à l’État qui exerce une dictature de la minorité sur l’immense majorité. Les travailleurs, pour pouvoir s’affirmer en tant que classe, devront secouer aussi le joug de cette mystification et penser en termes de classe, de leurs intérêts communs, comment développer la conscience du fait qu’au niveau individuel ils ne sont rien et qu’ils doivent rechercher la solidarité et l’unité pour arriver à ce que le poids réel qu’ils représentent dans la société soit reconnu grâce à leurs propres méthodes d’organisation et de lutte. Un scénario totalement opposé a la mascarade des élections démocratiques bourgeoises.
RR, avril 2011
1) Tout au long de l’année 2011, il y a des élections de gouverneurs placés à la tête des provinces mexicaines.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri_423.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[3] https://fr.internationalism.org/files/fr/brochure-ap.pdf
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/resolutions-congres
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/230/libye
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/53/mexique
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/242/perou