L’accumulation d’un profond ras-le-bol s’est récemment traduite en France par une série de conflits sociaux quasi-simultanés dans beaucoup de secteurs, qui ont été les révélateurs d’une montée de la combativité dans le public comme dans le privé.
Ainsi, la colère des enseignants a éclaté à travers des arrêts de travail et des manifestations touchant 46 établissements de l’académie de Créteil en région parisienne, suite à des agressions répétées vis-à-vis d’élèves ou de profs, face à la dégradation de leurs conditions de travail (voir article en page 3). La mobilisation a également gagné les ouvriers des raffineries, les salariés des magasins Ikea, le milieu hospitalier (en particulier les hôpitaux parisiens où des milliers de postes vont disparaître), la SNCF à travers plusieurs journées d’action, l’usine Philips à Dreux, les transports aériens avec la grève des aiguilleurs du ciel et une multitude de plus petites entreprises ou de sous-traitants (une centaine de salariés de l’ascensoriste Renolift ont par exemple brièvement séquestré leurs dirigeants ainsi que des salariés de la maison de vente par correspondance “la Maison de Valérie”). Mais en France comme en Espagne, en Grèce, en Allemagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, etc., la classe dominante sait qu’elle doit désamorcer cette poudrière sociale. C’est ainsi que pour mieux l’isoler et la discréditer, elle a présenté la grève de quatre jours des contrôleurs aériens comme une grève de “nantis” (alors que le gouvernement allemand et les syndicats sont parvenus main dans la main à stopper rapidement une grève historique à la Lufthansa, votée à 94 % par les pilotes, en recourant à une “négociation inconditionnelle” acceptée par les syndicats).
En France, la manœuvre conjointe du gouvernement, de la direction et des syndicats, lors de la grève dans les raffineries, a été particulièrement significative. Cette grève avait été lancée à l’initiative des ouvriers de l’usine des Flandres près de Dunkerque suite à l’arrêt de la production du site depuis septembre pour “écouler les stocks” et à la décision de la direction de fermer le site employant 370 salariés et 450 issus d’entreprises en sous-traitance. La grève à Dunkerque commencée le 12 janvier a entraîné un élan de solidarité spontané des autres ouvriers des autres raffineries, conscients qu’après la fermeture de Dunkerque, ils seraient à leur tour les prochaines victimes. Le 17 février, c’est non seulement les cinq autres sites des raffineries Total qui se sont mis en grève mais celle-ci a touché dès le 15 février deux sites d’ExxonMobil, à Gonfreville en Normandie et à Fos-sur-Mer près de Marseille concernés par des projets similaires. Les syndicats ont alors pris les devants en prenant en charge cette extension et en bloquant les ouvriers sur les dépôts au nom de la solidarité avec ceux de Dunkerque, empêchant ainsi tout lien autre que syndical entre les sites. Par exemple, dans la région du Havre, les usines Total et ExxonMobil sont restées isolées l’une de l’autre alors qu’elles se situent dans le même périmètre ainsi d’ailleurs que l’usine Renault de Sandouville où les hausses de cadence alternées avec des jours de chômage technique ont spontanément provoqué des arrêts de travail dans la même période.
Pendant ce temps, la CGT claquait spectaculairement la porte lors d’une rencontre avec la direction de Total, en clamant bruyamment qu’elle était venue pour négocier alors qu’il n’y avait pas de négociation à l’ordre du jour et en agitant la menace d’un blocage illimité en promettant une inquiétante pénurie de carburant sur le territoire. Le directeur adjoint de Total jouait alors le rôle du “méchant” en mettant en avant les contraintes de restructuration du groupe dès le 1er février (un mois avant les élections régionales) alors que ce plan était censé être dévoilé le 29 mars. Le gouvernement déclare aussitôt “mettre la pression” sur la direction pour ouvrir des négociations. Au bout de 9 heures de pourparlers (et seulement quelques heures après le début de la grève de solidarité annoncée et ainsi court-circuitée à ExxonMobil), un accord est “trouvé” le 24 avec la promesse de ne pas fermer d’autres sites en France d’ici 5 ans dans les raffineries. La mise en avant d’une “table ronde” du comité central d’entreprise réunissant syndicats et patronat “sur l’avenir du raffinage en France”, revendication derrière laquelle la CGT avait réussi à mobiliser les ouvriers, a été aussi avancée du 29 au 8 mars pour sceller le sort de l’usine de Flandres et organiser le reclassement des salariés de Dunkerque. Immédiatement après ce petit “recul” orchestré de la direction, la CGT annonce que cet accord est satisfaisant, comporte des avancées significatives et préconise “la suspension de la grève” dans le vote en AG du lendemain. Effectivement, tous les salariés votent la reprise du travail… sauf à Dunkerque où SUD, syndicat majoritaire, pousse les salariés à continuer à se battre “jusqu’au bout”. Ainsi, dans ce partage du travail, les syndicats ont pu redorer leur blason en mettant en avant une image combative et radicale, tout en prétendant avoir favorisé l’extension et la solidarité, le gouvernement a pu quant à lui se donner le beau rôle en jouant au “médiateur social”, en épargnant au pays la “menace” d’une pénurie d’essence et surtout de concert avec tous les syndicats en coupant l’herbe sous le pied à un mouvement de solidarité qui s’est retourné en son contraire : l’isolement complet des salariés de Dunkerque et le “chacun pour soi”. Quel jeu de dupes dont les ouvriers se retrouvent une fois de plus les dindons de la farce ! Ceux de Dunkerque se retrouvent maintenant isolés, seuls à vouloir continuer la grève derrière SUD mais avec le sentiment de se sentir lâchés par leurs camarades des autres raffineries. On comprend alors pourquoi les médias ont focalisé autant sur la grève à Total. La bourgeoisie a réussi à diviser les ouvriers de Total et à saboter la solidarité pour montrer que c’est le “chacun pour soi” qui domine aujourd’hui dans la classe ouvrière. Il s’agissait avant tout d’éviter une situation semblable à celle où s’est récemment confrontée la bourgeoisie en Espagne où des chômeurs et des ouvriers de la construction navale ont fait cause commune dans la lutte à Vigo (voir article page 4). En plus de provoquer l’amertume des ouvriers de Dunkerque, la bourgeoisie cherche ainsi à discréditer les travailleurs et le besoin d’extension de leur lutte. Mais comme le montre un article publié sur notre site Internet rédigé par nos camarades en Belgique (1), que la bourgeoisie recule ou pas dans ses attaques, le terrain de l’isolement et du corporatisme ne peut sauver aucun emploi et ne peut déboucher que sur la démoralisation des travailleurs. Tôt ou tard de nouveaux plans de licenciements seront remis en selle de connivence avec les syndicats. Le conflit qu’ont vécu les ouvriers des raffineries Total est à bien des égards révélateur des problèmes auxquels est confronté l’ensemble des prolétaires dans la situation actuelle. Restructurations, suppressions de postes, licenciements, fermetures de site, délocalisations, liquidations judiciaires, horaires ou heures sup’ imposés, blocage des salaires, hausse de cadences… : toute la classe exploitée est aujourd’hui embarquée dans la même galère face à l’accélération de la crise mondiale du capitalisme et aux attaques qu’elle subit.
Ce que la bourgeoisie veut dès à présent empêcher, c’est de voir germer chez les ouvriers l’idée de la nécessité d’étendre la lutte de proche en proche, au-delà des revendications spécifiques liées à la défense de leur usine, de leur entreprise, de leur secteur. C’est cette solidarité active de toute la classe ouvrière confrontée partout aux mêmes attaques contre leurs conditions de vie, que l’État et le patronat veulent à tout prix empêcher. C’est pour cela que les syndicats (qui ne sont rien d’autre que des organes d’encadrement au service du capital) enferment la colère des ouvriers dans des revendications purement corporatistes, derrière des revendications spécifiques à “leur” boîte et dans lesquelles les travailleurs des autres entreprises ne peuvent se rallier. Cette vieille stratégie de sabotage syndical où chaque secteur est appelé à lutter seul dans son coin a toujours conduit les grévistes à la démoralisation et à la défaite, paquet par paquet, usine par usine, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
C’est pourquoi au-delà des luttes actuelles, la bourgeoisie a commencé des manœuvres de bien plus grande envergure alors qu’elle s’apprête dans les mois prochains à porter une attaque concernant d’emblée tous les prolétaires, toutes générations et tous secteurs confondus, celle sur les retraites, précisément susceptible d’unifier le combat autour des mêmes intérêts et des mêmes revendications. La bourgeoisie est bien consciente qu’il s’agit là d’un enjeu majeur pour elle comme pour l’avenir de la mobilisation ouvrière.
Ainsi, la bourgeoisie a laissé entendre que le gouvernement allait porter son attaque sur les retraites à la veille des vacances ou en plein milieu de celles-ci. Cette provocation aurait inévitablement déclenché la colère générale des travailleurs et renforcé leur détermination, d’autant que la droite risque d’être confrontée au handicap de se retrouver en situation minoritaire après les élections régionales, ce qui n’est pas une position de force pour porter des attaques. Frapper fort d’emblée puis reculer un peu ou accorder des miettes pour faire passer l’essentiel, est une vieille tactique que la bourgeoisie avait déjà utilisée notamment dans les luttes de 1995 et de 2003. Et il est possible qu’elle soit de nouveau remise à l’ordre du jour C’est pour cela que Sarkozy s’est empressé de déclarer qu’on allait négocier et qu’il n’y aurait pas de “passage en force”. Toute la bourgeoisie s’attend en effet à une très large mobilisation autour des retraites. C’est là que les syndicats seront appelés à jouer un rôle de premier plan, de concert avec le gouvernement, en réutilisant des méthodes de sabotage éprouvées dans le passé afin de faire passer l’attaque sur les retraites.
La classe ouvrière doit se souvenir que c’est grâce au travail de sape des syndicats que l’ex-Premier ministre Raffarin avait pu faire passer le premier volet de cette attaque en affirmant que “ce n’est pas la rue qui gouverne.” Ce n’est qu’en développant un front massif et uni, en refusant de se laisser diviser, qu’elle pourra faire obstacle aux plans d’austérité de ses exploiteurs.
W (27 février)
1) “En Belgique, chez Opel et chez AB InBev, le même combat, le même sabotage syndical [2]”.
Grèce, Portugal, Espagne Irlande, France, Allemagne, Angleterre… partout la même crise, partout les mêmes attaques. La bourgeoisie affiche ouvertement la couleur. Son discours froid et inhumain tient en quelques mots : “Si vous voulez éviter le pire, la catastrophe économique et la faillite, il va falloir vous serrer la ceinture comme vous ne l’avez encore jamais fait !” Certes, tous les Etats capitalistes ne sont pas immédiatement dans la même situation de déficit incontrôlable ou de cessation de paiement, mais tous savent qu’ils sont entraînés irrémédiablement dans cette direction. Et tous utilisent cette réalité pour défendre leurs sordides intérêts. Où trouver l’argent nécessaire pour tenter de réduire un peu ces monstrueux déficits ? Il n’y a pas à chercher bien loin. Si déjà certains d’entre eux sont passés à l’offensive contre la classe ouvrière, tous préparent idéologiquement le terrain.
Le plan d’austérité grec destiné à réduire les déficits publics est d’une extrême brutalité et d’un cynisme inouï. Le premier ministre des finances de ce pays vient de déclarer sans broncher que “les fonctionnaires devaient faire preuve de patriotisme… et donner l’exemple” (1). Ils devraient ainsi accepter sans rien dire, sans se battre, que leurs salaires soient revus à la baisse, que leurs primes soient supprimées, que l’on ne remplace plus les départs à la retraite qu’au compte- goutte, que ceux-ci soient repoussés au-delà de 65 ans et, enfin, qu’ils puissent être licenciés et jetés comme des kleenex. Tout ça pour défendre l’économie nationale, celle de leur Etat exploiteur, de leurs patrons et autres suceurs de sang d’ouvriers. Toutes les bourgeoisies nationales européennes participent activement à la mise en œuvre de ce plan d’austérité drastique. L’Allemagne, la France et même l’Espagne prêtent en effet une attention toute particulière à la politique et aux attaques menées par cet Etat. Ils veulent lancer au prolétariat à l’échelle internationale ce message : “Regardez la Grèce, ses habitants sont obligés d’accepter des sacrifices pour sauver l’économie. Vous allez tous devoir faire de même.”
Après les ménages américains, les banques, après les entreprises, voici le temps venu où ce sont les Etats eux-mêmes qui subissent de plein fouet la crise économique et qui sont menacés par la faillite. Résultat : ils doivent à leur tour orchestrer d’impitoyables attaques. Ils vont organiser dans les mois à venir une réduction draconienne du nombre de fonctionnaires, du “coût du travail” en général et, donc, de notre niveau de vie à tous. La bourgeoisie prend les ouvriers pour du bétail que l’on pourrait mener à l’abattoir quand ses intérêts mesquins le commandent. La situation est identique au Portugal, en Irlande et en Espagne, mêmes plans brutaux, même catalogue de mesures anti-ouvrières. En France, toute la bourgeoisie prépare le terrain pour suivre ce chemin. Mais cela n’est pas une spécificité de la zone euro. Aux Etats-Unis, le pays le plus puissant de la planète, après deux petites années de crise, on dénombre plus de 17 % de chômeurs, 20 millions de nouveaux pauvres et 35 millions de personnes survivant grâce aux bons d’alimentation. Et chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de misère.
Comment en est-on arrivé là ? Pour toute la bourgeoisie, en particulier sa fraction d’extrême-gauche, la réponse est très simple. Ce serait la seule faute des banquiers et des mastodontes comme Goldman Sachs et autre J.P. Morgan. Il est vrai que le système financier est devenu fou. Plus rien ne compte que son intérêt immédiat, selon le vieil adage “après moi, le déluge”. Il est maintenant connu de tous que ce sont ces grandes banques qui, pour gagner toujours plus d’argent, ont accéléré la cessation de paiement de la Grèce en pariant sur sa faillite. Elles feront sans aucun doute de même demain avec le Portugal ou l’Espagne. Les grandes banques mondiales et les institutions financières ne sont que des charognards. Mais cette politique du monde financier, finalement suicidaire, n’est pas la cause de la crise du capitalisme. Elle en est au contraire l’effet (qui, à un certain stade de son développement, devient lui-même un facteur aggravant).
Comme d’habitude, la bourgeoisie de tous bords nous ment. Elle dresse devant les yeux de la classe ouvrière un véritable rideau de fumée. Pour elle, l’enjeu est de taille. Il consiste à tout faire pour que les ouvriers ne fassent pas le lien entre l’insolvabilité croissante des Etats et la faillite du système capitaliste tout entier. Car la vérité est bien là : le capitalisme est moribond et la folie de sa sphère financière en est l’une des conséquences visibles.
Lorsque la crise a éclaté avec force au milieu de l’année 2007, partout, et notamment aux Etats-Unis, est apparue la faillite du système bancaire. Cette situation n’était que le produit de dizaines d’années de politique d’endettement généralisé et encouragé par les Etats eux-mêmes afin de créer de toutes pièces le marché indispensable à la vente des marchandises. Mais quand, in fine, les particuliers et les entreprises, étranglés par ces prêts, se sont révélés incapables de rembourser, les banques se sont retrouvées au bord de l’écroulement et toute l’économie capitaliste avec. C’est à ce moment-là que les Etats ont dû reprendre à leur compte toute une partie des dettes du secteur privé et mener des plans de relance pharaoniques et coûteux pour essayer de limiter la récession.
Maintenant ce sont donc les Etats eux-mêmes qui se retrouvent endettés jusqu’au cou, incapables de faire face à leurs propres dettes (sans d’ailleurs que le secteur privé ne soit sauvé pour autant) et en situation potentielle de faillite. Certes, un Etat n’est pas une entreprise, lorsqu’il est en cessation de paiement, il ne met pas la clef sous la porte. Il peut encore espérer s’endetter en payant toujours plus d’intérêts, ponctionner toutes nos économies, imprimer encore plus de papier monnaie. Mais vient un temps où les dettes (ou du moins les intérêts) doivent être remboursées, même par un Etat. Pour comprendre cela, il suffit de regarder ce qui se passe actuellement pour les Etats grec, portugais et même espagnol. En Grèce, l’Etat a tenté de se financer par l’emprunt sur les marchés internationaux. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Tout le monde, sachant que celui-ci est maintenant insolvable, lui a proposé des emprunts à très court terme et à des taux de plus de 8 %. Inutile de dire qu’une telle situation financière est impossible à supporter. Que reste-t-il alors comme solution ? Des prêts eux aussi à très court terme de la part d’autres Etats, tels l’Allemagne ou la France. Mais attention, ces puissances peuvent peut-être réussir à renflouer ponctuellement les caisses grecques, elles seront incapables de venir en aide après au Portugal, à l’Espagne et encore moins l’Angleterre... Elles n’auront jamais assez de liquidités. Et dans tous les cas, cette politique ne peut conduire très rapidement qu’à leur propre affaiblissement financier. Même un pays comme les Etats-Unis, qui peut pourtant s’appuyer sur la domination internationale de son dollar, voit son déficit public se creuser sans cesse. La moitié des Etats américains sont en faillite. En Californie, le gouvernement paye ses fonctionnaires non plus en dollars mais avec une sorte de “monnaie locale”, des bons valables uniquement sur le territoire californien !
Bref, aucune politique économique ne peut sortir à terme les Etats de leur insolvabilité. Pour reculer les échéances, ils n’ont donc d’autres choix que de réduire très fortement leurs “dépenses”. Voilà exactement le sens des plans adoptés en Grèce, au Portugal, en Espagne et demain inévitablement dans tous les autres pays. Il ne s’agit plus ici de simples plans d’austérité tels que la classe ouvrière en a connus régulièrement depuis la fin des années 1960. Ce dont il est question maintenant, c’est de faire payer très cher la survie du capitalisme à la classe ouvrière. L’image que nous devons avoir en tête, ce sont ces files d’attente interminables de familles ouvrières faisant la queue devant les boulangeries dans les années 30 pour un morceau de pain. Voilà le seul avenir que promet la crise sans issue du capitalisme. Face à la misère croissante, seules les luttes massives de la classe ouvrière mondiale peuvent ouvrir la perspective d’une nouvelle société en renversant ce système basé sur l’exploitation, la production de marchandises et le profit.
Tino (26 février)
1) La Tribune du 10 février.
Le 10 février dernier à 6 heures du matin, dans un froid glacial, plusieurs familles étaient évacuées d’un immeuble de Bagnolet par la police. Chassés en même temps par les bulldozers qui se sont mis à pied d’œuvre pour raser l’édifice, les locataires précaires, principalement d’origine africaine, avec femmes et enfants, n’ayant pu disposer du temps nécessaire pour récupérer leurs affaires détruites (papiers, fiches de paie, etc.), se sont retrouvés à la rue, jetés comme de vulgaires nuisibles. Ceci, sans solution d’hébergement alternative, totalement démunis (1) ! La plupart étaient installés depuis une dizaine d’années dans l’immeuble, avec un travail, mais ne pouvaient habiter ailleurs du fait de la pénurie chronique et du coût des logements. Aujourd’hui, en plein hiver, ils se retrouvent face à des hommes casqués et un tas de gravats !
Quel était le commanditaire d’une telle sauvagerie, d’un acte aussi ignoble qu’inhumain ? L’immeuble appartenait à la mairie de Bagnolet qui cherchait depuis longtemps à virer les locataires. Le maire apparenté PCF, Marc Everbecq, est donc un des maillons essentiel de la chaîne répressive. Il avait pour cela revendu récemment cet immeuble à une filiale du groupe Auchan (2), ce qui constituait une aubaine pour virer enfin les locataires indésirables. La mairie n’a pas trouvé mieux pour justifier son acte barbare que de déclarer dans un tract, avec une hypocrisie qui a provoqué un haut le cœur chez les habitants du quartier : “il est avéré que ce squat était devenu un lieu de trafic de drogue, de voitures, de prostitution, de tapage nocturne incessant qui durait depuis des années…”. Pour le maire adjoint, dont le cynisme atteint des sommets, “la trêve hivernale ne concerne pas les occupants sans droits ni titres”. Autrement dit, les expulsés sans quittance de loyer peuvent crever de froid ! La loi, c’est la loi… capitaliste !
Gêné aux entournures, le PCF, qui s’est vu obligé de “condamner” la décision de son poulain, n’en souligne pas moins de façon tout aussi hypocrite qu’il s’agissait de toutes façons d’un “immeuble dangereux où les risques d’incendie sont grands et où les conditions de vie pour ses occupants sont particulièrement difficiles”. La réalité, c’est qu’il ne s’agit là que de prétextes honteux, fabriqués par des menteurs professionnels, des politiciens de “proximité” qui se soucient comme d’une guigne du sort des habitants ! Les élus du PCF sont d’ailleurs coutumiers du fait et n’en sont pas à leur coup d’essai. Souvenons-nous de la brutale intervention policière dans la nuit du 7 au 8 septembre 2007 à Aubervilliers où près d’une centaine de travailleurs ivoiriens et leur famille avaient été délogés du campement qu’ils avaient établi depuis le mois de juillet à la suite d’une première expulsion de leur logement squatté. Cette opération policière était le résultat d’une décision de justice obtenue par la municipalité dirigée par le PCF quelques jours auparavant. Souvenons-nous de la politique ignoble menée par la mairie PCF de Montreuil expulsant aussi manu militari en septembre 1992 une vingtaine de familles ouvrières immigrées dans un quartier racheté par une société immobilière placée sous son contrôle, mais aussi de l’évacuation spectaculaire en décembre 1980, à coups de bulldozers encore, de 300 ouvriers maliens d’un foyer Sonacotra de Vitry-sur-Seine dont l’édile était le stalinien Paul Mercieca tandis que, vers la même période (février 1981), l’ancien secrétaire général du PC Robert Hue, à l’époque simple maire et conseiller général du Val-d’Oise, organisait une manifestation dans sa commune de Montigny-lès-Cormeilles pour faire expulser une famille marocaine sur laquelle il avait fait courir la fausse rumeur qu’elle se livrait à du trafic de drogue !
Face à la détresse des familles, le premier réflexe prolétarien est celui du refus, de l’indignation et de la solidarité. C’est ce qui se vérifie sur le terrain avec les soutiens matériels apportés par les habitants eux-mêmes de ce quartier ouvrier. Les révolutionnaires ne peuvent qu’appuyer et apporter à leur tour leur plein soutien à ces prolétaires, comme nous le faisons, non seulement en dénonçant cette situation de répression barbare, mais en oeuvrant de toutes nos forces à combattre pour détruire ce qui est à la racine d’une telle inhumanité : le système capitaliste !
C’est ce soutien et cette solidarité identiques que nous devons apporter à un drame parallèle, aux jeunes réprimés de l’association “No Border” (3), indépendamment du fait que nous ne partageons pas les mêmes visions politiques ni les méthodes de luttes. Ces jeunes militants sont à l’initiative de la création d’un squat associatif à Calais, installé dans un hangar, dont l’objectif est de soutenir les sans-papiers et les migrants. Bien que de notre point de vue ce projet généreux ne puisse ouvrir de réelles perspectives politiques, l’engagement de ces jeunes part d’un rejet des frontières nationales et d’un profond sentiment de solidarité humaine que nous saluons, un sentiment que la bourgeoisie ne peut ni comprendre ni admettre, mais qu’au contraire elle réprime brutalement. C’est ce qui explique que constamment harcelés par la police, deux jeunes d’entre les “no border” ont été arrêtés et matraqués par les CRS. Comme pour les manifestations étudiantes et lycéennes (4), la bourgeoisie vise à intimider, à faire peur aux jeunes générations de prolétaires, à les empêcher de s’organiser, à pétrifier tout ceux qui n’acceptent pas la réalité barbare du capitalisme et qui dénoncent les injustices les plus criantes et inacceptables. C’est ce qu’exprime lucidement un jeune militant de “no border” lors d’une interview : “nous sommes sujet à des contrôles d’identités permanents. Ils peuvent aller jusqu’à dix par jour (…). C’est juste de l’intimidation et du harcèlement, pour nous décourager” (5).
Ces deux événements parallèles, à Bagnolet et à Calais, parmi tant d’autres au quotidien, ne font que révéler la nature totalitaire et policière de l’Etat démocratique. L’arsenal sécuritaire qui n’a cessé de se développer ne pourra indéfiniment masquer la réalité : celle de la domination exercée par la terreur sur les populations et la préparation à la répression ouverte des militants et des ouvriers combatifs. Partout, les Etats démocratiques répriment et méprisent avec le même zèle ceux qu’ils jettent à la rue. On peut le voir en Europe, aux Etats-Unis, où les expulsés de force sont regroupés dans de véritables camps à soupe populaire. Qu’ont donc à envier ces Etats démocratiques qui utilisent les mêmes méthodes que celle de l’Etat chinois, où les pelleteuses et bulldozers défoncent presque sans sommation les maisons des ouvriers ? Qu’ont-ils donc à envier à l’Etat russe, qui vide de force des quartiers entiers, si ce n’est le recours aux assassinats pour des opérations immobilières expéditives ? Partout, les prolétaires doivent savoir qu’ils ont à faire à la même logique du capital, au même patron : l’Etat et ses méthodes de gangsters.
WH (18 février)
1) Les sans-logis se sont réfugiés où ils le pouvaient, notamment dans un gymnase municipal. Les gardes mobiles sont venus aussitôt les déloger, éteignant le brasero qui permettait de les réchauffer, allant même jusqu’à détruire leur maigre stock de nourriture !
2) C’est ce que révèle un communiqué paru sur le site : www.monde-solidaire.org/spip.php ?article5223 [7].
3) Selon le site http ://www.millebabords.org/spip.php ?article13409 [8] “Le réseau No Border est un mouvement mondial d’individus et de groupes luttant pour le droit à la liberté de circulation des personnes, et non uniquement pour les marchandises de l’Europe ultra consommatrice. Depuis le camp No Border à Calais en juin, les militants “no border” ont eu une présence constante à Calais sous la bannière de Calais migrants Solidarité. Nous avons été témoins d’actes de violences policières et avons collectivement résisté à des expulsions. Nous avons organisé la distribution d’aide humanitaire, et agi concrètement en faveur des droits des migrants.”
4) Voir notre article “Manifestation des lycéens à Lyon : des provocations policières pour tenter de pourrir le mouvement [9]” dans RI n°397 (janvier 2009).
5) Voir le site
Le 2 février dernier, un élève de 14 ans est passé à tabac par une bande d’adolescents dans la cour du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine. Blessé à coups de couteau, il sera hospitalisé d’urgence. Immédiatement, les 180 enseignants de cet établissement scolaire de la région parisienne, à la fois choqués et ulcérés, arrêtent les cours et exercent leur “droit de retrait” (1).
Depuis lors, ces enseignants continuent de manifester leur colère. Ils refusent de reprendre le travail malgré les pressions qui s’exercent sur eux de toutes parts. Le recteur et l’inspecteur d’académie ne cessent de répéter en chœur aux médias qu’ils ont à faire à des “irresponsables”, qu’il est parfaitement “inacceptable” que des enseignants laissent leurs élèves désœuvrés. Les plus hautes sphères de l’Etat menacent elles aussi d’abattre leur foudre sur cette poignée de travailleurs. Le gouvernement considère ainsi que ces enseignants n’exercent pas un “droit de retrait” face à un danger mais un “droit de grève”. Les journées de fermeture de l’établissement ne seront donc pas payées. Les salaires, déjà maigres, vont être probablement largement amputés ! Pour autant, jusqu’à maintenant, ces 180 enseignants ne se sont pas laissés impressionner. Ils semblent déterminés à “se faire entendre”. Leurs conditions de travail sont devenues totalement insupportables. Il faut dire que sur cet immense complexe scolaire de 36 hectares et 1500 élèves, il n’y a que 11 surveillants ! Ces 11 salariés doivent gérer les entrées et les sorties des élèves, s’occuper de la cour, des permanences (de plus en plus surchargées puisqu’il n’y a presque plus d’enseignants remplaçants), calmer les élèves dissipés exclus des cours, surveiller la cantine, gérer les absences et les retards, prévenir les familles, accompagner les malades à l’infirmerie et souvent les réconforter… Sans tout ce travail éducatif, absolument nécessaire, l’ambiance générale d’un établissement se dégrade très vite, les incidents se multiplient et les enseignants sont confrontés à des classes de plus en plus ingérables. C’est pourquoi les enseignants de Vitry réclament 11 surveillants supplémentaires, soit le minimum pour que l’établissement fonctionne correctement.
Pour que leur revendication soit satisfaite, ils ont multiplié les “actions”. Ils ont ainsi d’abord envoyé une délégation au rectorat de l’Académie de Créteil puis, devant le mutisme de la hiérarchie, ils ont réalisé une série de manifestations devant ces bâtiments. Le recteur ne voulant toujours rien entendre, ils ont ensuite décidé d’en appeler directement au ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, en se mobilisant devant le ministère… sans plus de résultat. Plus exactement, ce monsieur a consenti à “faire un geste” en proposant 3 postes supplémentaires de surveillants et 6 postes de médiateurs de la vie scolaire. Les professeurs ont légitimement rejeté cette “offre” car, comme ils l’expliquent eux-mêmes, “Les médiateurs ne sont pas formés, ils disposent d’un statut précaire (CDD de six mois renouvelable, ndlr) et ne font que vingt heures par semaine au lieu de trente-cinq comme les surveillants” (2). Ils réclament aujourd’hui un débat public et télévisé avec le ministre.
Où mènent toutes ces actions ? Elles révèlent sans aucun doute la détermination de ces enseignants. Leur colère est légitime et fondée. Mais en cherchant ainsi à “se faire entendre” de l’inspecteur, du recteur, du ministre, en cherchant l’appui des parlementaires et des élus, que peuvent bien gagner ces travailleurs ? Est-ce là réellement la meilleure façon de mener la lutte, d’endiguer la dégradation continuelle de nos conditions de vie et de travail ? Ne s’agit-il pas là, au contraire, d’une impasse ?
L’isolement, la lutte chacun “dans son coin” est toujours un piège pour les travailleurs. Aussi courageux et nombreux soient-ils, des salariés d’une seule boîte (ou d’un seul établissement scolaire) ne font pas le poids face à un patron (ou à un recteur) car celui-ci a toujours l’État caché derrière lui ou ouvertement à ses côtés !
Même quand c’est un secteur tout entier qui entre en grève, cela ne suffit généralement pas. Une lutte circonscrite à une branche d’industrie ou d’activité, par exemple, est elle-aussi condamnée à la défaite. Rappelons-nous du printemps 2003 ! Il y a 7 ans, contre la réforme des retraites de Fillon (déjà), tous les enseignants de France, du primaire et du secondaire se dressaient comme un seul homme et descendaient dans la rue. Cette lutte a pourtant échoué car elle est restée circonscrite au seul secteur de l’éducation nationale. Elle n’est pas parvenue à entraîner derrière elle les autres parties de la classe ouvrière et n’a donc pas fait trembler la bourgeoisie et son Etat. A l’époque, la colère était pourtant très grande. En particulier dans l’Académie de Créteil, la mobilisation avait été extrêmement forte ; des collèges et des lycées avaient été fermés pendant des mois !
Seule l’extension de la lutte à l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière peut inquiéter la bourgeoisie. La preuve en positif cette fois-ci. En 2006, les étudiants sont parvenus à faire reculer le gouvernement qui a été contraint de retirer son Contrat première embauche, ce “Contrat poubelle embauche” comme le rebaptisèrent à l’époque les jeunes générations. Pourquoi ce recul ? Parce que peu à peu, au fil des semaines, une partie de plus en plus grande de la classe ouvrière se reconnaissait dans le combat des étudiants. De manifestation en manifestation, il y a avait de plus en plus de salariés de tous les secteurs, de chômeurs, de retraités… qui comprenaient que la précarité des jeunes c’était la précarité de tous !
Les enseignants de Vitry doivent tirer les leçons de cet échec de 2003 et de cette victoire de 2006. Il manque des surveillants dans ce lycée ? C’est la même chose dans tous les établissements scolaires ! Le gouvernement embauche de moins en moins, multiplie les contrats précaires (des surveillants comme des enseignants contractuels d’ailleurs) à l’éducation nationale (3) ? C’est la même chose dans tous les ministères et dans toutes les entreprises du privé ! Tous les travailleurs vivent la même réalité, dans les hôpitaux, les administrations, les usines. Ils subissent eux-aussi de plein fouet les réductions d’effectifs et les plans de licenciements. Alors, oui, il faut se battre, non pas pour “ses” postes ou “son” établissement, mais pour des embauches et contre la précarité, partout, à Vitry comme ailleurs.
Des enseignants en lutte sur le terrain pourraient nous répondre qu’en rendant ainsi public et médiatique leur lutte, ils mettent la pression sur le ministre et ont ainsi des chances d’avoir au bout du compte leurs 11 postes de surveillants. Il est vrai que nous ne savons pas encore quel est le plan de l’Etat. En fait, il doit y avoir une bonne raison pour que les médias aux ordres de la bourgeoise parlent effectivement autant de cette mobilisation des enseignants. Quand une lutte l’embarrasse, la bourgeoisie n’hésite pas à la cacher, à exercer un total black-out. Qui a ainsi entendu parler des grandes luttes qui ont lieu en Turquie en ce moment ? Personne ou presque. Si la bourgeoisie braque ses projecteurs médiatiques sur ce lycée de Vitry, c’est qu’elle a certainement une idée en tête. Il y a deux raisons. Soit elle ne va pas donner les 11 postes pour montrer aux yeux de tous les ouvriers que “la lutte ne paie pas”, soit elle va satisfaire un peu leurs revendications localement pour mieux supprimer en catimini des milliers de postes dans les autres écoles.
Pour rompre leur isolement, pour lutter contre la dégradation des conditions de vie et de travail qui frappe toute la classe ouvrière et tous les secteurs, ces 180 enseignants doivent utiliser leur colère et leur combativité pour essayer d’entraîner à leurs côtés les autres exploités. Il faut aller, tous ensemble, dans les établissements scolaires voisins et expliquer aux collègues que cette lutte est aussi “leur” lutte. Les écoles toutes proches ne manquent pas. Il y a les collèges Gustave-Monod, Jean-Perrin, Lakanal, Danielle-Casanova, François-Rabelais ; les lycées privés Jean-Macé et Jean-Jacques-Rousseau. Mais pour ne pas rester enfermés dans le seul secteur de l’éducation nationale, comme en 2003, il faut aussi aller à la rencontre des travailleurs des autres branches, les hôpitaux ou les grandes administrations voisines, les entreprises… Dans le même département, il y a deux magasins Ikéa dont les salariés sont aussi en lutte. Aller les rencontrer, discuter, mettre en avant des revendications communes (et nous ne parlons pas là de simple rencontre entre délégués syndicaux, mais bien de délégations massives), voilà ce qui peut faire “tâche d’huile”. Il y a aussi, sur la même commune, l’usine Sanofi qui est touchée par un vaste plan de restructuration et dont le personnel manifestait il y a deux mois encore.
Essayer d’étendre ainsi la lutte, géographiquement, de proche en proche, signifie tenter de briser le corporatisme imposé par les syndicats. Toutes leurs actions, ou presque, enferment les travailleurs dans “leur” boîte, “leur” corporation. Par exemple, les syndicats d’enseignants ont appelé le 11 février une quarantaine d’établissements de la seule académie de Créteil à une journée de grève et ont organisé un rassemblement devant l’Assemblée nationale afin “d’interpeller et de faire pression sur les parlementaires”. Cette manifestation a rassemblé entre 1500 et 2000 personnes (enseignants, parents et élèves). Pour éviter ce type d’actions totalement stériles et démoralisantes, il faut pouvoir discuter collectivement de comment lutter au sein d’assemblées générales souveraines, organisées réellement par les travailleurs eux-même (contrairement à toutes ces AG bidons où les syndicats ont déjà tout organisé et planifié à l’avance et où il ne reste plus qu’à choisir qui va faire les banderoles). C’est en de tels lieux, lors de tels débats ouverts entre travailleurs en colère que la décision d’aller tous ensemble au lycée, à l’hôpital, à l’usine la plus proche prend tout son sens et toute sa valeur. C’est en de tels moments de lutte qu’une véritable dynamique de classe peut être enclenchée.
Il ne s’agit pas là d’une recette miracle. Nous en avons bien conscience. Oser contredire les délégués syndicaux, même se confronter à leurs manœuvres et essayer d’entraîner derrière soi les autres exploités à lutter, tout ça n’est pas chose facile. Pour mille tentatives, peut-être une seule sera efficace. Mais il s’agit là de la seule voie à emprunter, la seule qui permet de construire collectivement un rapport de force favorable à la classe ouvrière.
Plus encore, même si mener une telle lutte ne paye pas toujours comme elle l’a été en 2006, même si elle n’apporte rien sur le plan matériel, elle remonte le moral. Rien n’est plus vivifiant que d’essayer d’étendre la lutte de proche en proche, en allant massivement à la boîte, à l’usine, à l’administration d’à-côté. Il faut faire vivre la solidarité ouvrière, l’entraide, la lutte collective.
Ce n’est qu’en se battant tous ensemble et tous unis qu’on parviendra à résister efficacement aux attaques incessantes et de plus en plus brutales du capital !
PW (14 février)
1) Une loi de décembre 1982 a reconnu un droit d’alerte et de retrait au bénéfice du salarié “qui a un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouve présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé”. Ce droit de suspendre son activité professionnelle a été étendu depuis 1995 aux agents de la fonction publique.
2) Site de Libération du 9 février (https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-leurs-pions [11]).
3) Cette année, le nombre d’enseignants non titulaires employés par l’Education nationale a augmenté de 28 % par rapport à l’année précédente dans le seul rectorat de Créteil.
Nous voici, de nouveau, à l’approche d’élections. Les affiches fleurissent un peu partout, la télévision nous assomme de messages, la presse en remplit des pages entières : n’oubliez pas d’aller voter ! Il faudrait vraiment le faire exprès pour oublier. Tout au plus peut-on se demander si c’est vraiment utile. Mais la bourgeoisie multiplie aussi les enjeux pour donner un peu de substance à ces élections régionales : et si la gauche remportait toutes les régions ? Et si le Front national amorçait un retour ? Et si la gauche radicale continuait son déclin ? Comme s’il fallait justifier de l’intérêt d’élections pour une institution, la région, dont peu de monde connaît les réelles attributions et compétences. Même le NPA nourrit l’agitation médiatique avec sa candidate voilée. Tout est fait pour dramatiser la situation : “faites attention, votre vie peut changer si vous ne votez pas !”.
Mais la question n’est pas là. L’alternance du pouvoir implique tout au plus un changement dans la forme (et encore) mais le fond reste absolument le même. Les régions qui ont basculé de droite à gauche aux dernières élections n’ont pas changé la vie de la classe exploitée.
L’enjeu n’est d’ailleurs pas plus grand aux présidentielles ou aux législatives. La question n’est pas de savoir si ce vote précis est utile, mais si le vote en général, le cirque électoral bourgeois, peut permettre d’une façon ou d’une autre, de satisfaire les intérêts de la classe ouvrière.
Le mouvement ouvrier, en se fondant sur la réalité historique, a depuis longtemps tranché la question : les élections sont non seulement inutiles à la défense des intérêts du prolétariat, mais elles sont plus encore un piège pour détourner la classe ouvrière du seul terrain où sa voix peut se faire entendre, celui de sa lutte contre les attaques du capital (1). Les élections atomisent les ouvriers dans les isoloirs en créant l’illusion d’un choix collectif et d’une unité d’action. Que se soit la gauche ou la droite qui sorte vainqueur des urnes, c’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. La gauche n’a aucun programme alternatif à offrir aux ouvriers. En France, comme en Espagne ou en Grèce comme dans tous les pays, la gauche n’a pas d’autre fonction que de gérer les affaires de l’État ou de la région et de faire payer la crise du capitalisme aux travailleurs.
La classe ouvrière n’a aucune illusion à avoir. Que ce soit la gauche ou la droite, qui résident à l’Elysée, à l’Assemblée nationale, dans les régions, départements ou communes, c’est toujours la classe de ses exploiteurs qui est aux commandes d’un capitalisme dont l’état délabré ne lui laisse d’autre choix que d’étrangler la classe ouvrière. Au-delà des intérêts de chapelles et de clans en son sein, qui sont réels, la bourgeoisie ne s’intéresse pas tant à qui vont aller les suffrages qu’au nombre d’ouvriers qui vont placer encore leurs espoirs dans leur bulletin de vote. Les élections sont un moyen très efficace d’étouffer l’expression de la colère ouvrière. Le prolétariat ne peut devenir une force politique que lorsqu’il se bat sur son propre terrain de classe pour défendre ses propres intérêts contre l’exploitation, le chômage, les licenciements, la dégradation de ses conditions d’existence. Il ne peut offrir une autre alternative au capitalisme en crise qu’en développant ses luttes de façon solidaire et unie et en prenant son destin en mains.
Certains se disent peut-être que ces élections sont l’occasion de laisser un message à Nicolas Sarkozy en réaction à sa politique ? Mais ce vote “utile” destiné à sanctionner la politique du chef de l’État ne changera pas la condition de la classe ouvrière. Cette mascarade électorale ne peut qu’entraîner les exploités derrière les illusions démocratiques de telle ou telle clique bourgeoise. Il ne peut que les pousser à déserter le seul chemin capable de construire un vrai rapport de force face aux attaques incessantes qu’ils subissent quotidiennement : celui de la lutte, des grèves et des manifestations massives.
GD (19 février)
1) A ce sujet, le CCI a récemment édité une brochure sur la question électorale : “Les élections, un piège pour la classe ouvrière [13]” .
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur notre site Internet en langue espagnole et traitant d’une nouvelle lutte à Vigo, en Galice (province d’Espagne) (1).
Nous avons appris la nouvelle d’une lutte conjointe entre des ouvriers au chômage et des ouvriers actifs du secteur de la construction navale de la ville de Vigo.
Nous remercions un de nos lecteurs qui nous a envoyé son commentaire. Nous affirmons de suite que nous sommes d’accord avec la conclusion qu’il tire de cette lutte : “Seules l’unité et la solidarité de tous les chômeurs et des travailleurs, dans des assemblées et des manifestations conjointes pourront nous amener à la victoire. Nous saluons les travailleurs et les chômeurs des chantiers navals de Vigo. Les chômeurs et les ouvriers du monde entier devraient prendre l’exemple sur les [prolétaires des] chantiers navals de Vigo, leur unité, de leur solidarité, parce que c’est tous unis que nous réussirons à vaincre le capitalisme mondial”. Dans ce même sens, nous avons reçu sur notre forum un autre message : “L’article sur les luttes menées par les chômeurs et les actifs des chantiers navals de Vigo a été publié sans la moindre réaction et pourtant on peut en tirer une de ces leçons que nous devons toujours avoir en tête : celle de l’unité de la classe ; quelque chose de très important est en train de se passer à Vigo, parce que ce sont les travailleurs actifs et les chômeurs qui manifestent ensemble, en rassemblant d’autres travailleurs jusqu’à l’arrêt de tout le secteur naval. Prenez le temps de lire et vous apprendrez beaucoup de choses. Salutations”.
À Vigo, il y a plus de 60 000 chômeurs. Rien qu’en 2009 et dans le seul secteur de la métallurgie, 8000 emplois ont disparu. L’indignation jointe à la préoccupation face à un avenir de plus en plus difficile, se répand chez les ouvriers. Dans les chantiers navals, particulièrement, les chômeurs avaient été inscrits lors d’un accord entre les syndicats et le patronat dans une “Bourse du travail” où ils seraient convoqués chaque fois que du travail pourrait être distribué.
Les chômeurs inscrits à cette Bourse du travail – autour de 700 – ont pu se rendre compte avec rage qu’au lieu d’y être convoqués, on engageait pour des chantiers ponctuels des ouvriers étrangers avec des salaires bien plus bas et dans des conditions terribles. Ainsi, par exemple, d’après le porte-parole des chômeurs, “il y a des travailleurs qui dorment dans des parkings et qui mangent tout juste un sandwich par jour”.
Ce fut l’élément détonateur de la lutte. Les ouvriers ont tenu à affirmer qu’ils ne sont nullement contre les travailleurs étrangers embauchés. C’est ainsi qu’un de leurs porte-parole a insisté : “Nous n’avons pas la moindre objection à ce que des personnes venant d’ailleurs soient embauchées, mais à condition que le patronat ne passe pas par-dessus la convention collective de la province, parce que avec le salaire d’un seul d’entre nous ils payent deux ou trois étrangers”. Malgré cela, les medias, spécialistes de la “communication”, ont ressorti leur “explication”, en accusant les travailleurs de xénophobie. El Faro de Vigo, par exemple, titrait ainsi l’article où ce journal rendait compte de la lutte : “Les chômeurs de la métallurgie s’opposent à l’embauche d’étrangers”, ce qui est un mensonge éhonté, ce sont les ouvriers au chômage eux-mêmes qui ont dénoncé la manœuvre du patronat qui “fait venir de la main d’œuvre bon marché dans des conditions proches de l’esclavage”.
La bourgeoisie est une classe cynique, machiavélique. Elle engage des travailleurs étrangers en les soumettant à des conditions salariales bien inférieures à celles des ouvriers du pays. Si ceux-ci se mettent en lutte en s’opposant à de telles conditions d’embauche, elles les accuse tout de suite de racisme, de xénophobie, de “défense des idées de l’extrême droite”, de nationalisme, etc., alors que la riposte immédiate des ouvriers ne s’est pas du tout faite contre leurs frères de classe, mais contre le fait d’établir un précédent en les embauchant à des conditions salariales inférieures, ce qui ne fait que tirer vers le bas les conditions salariales de tous. C’est ce qu’on a pu voir en Grande-Bretagne lors de la lutte des ouvriers du bâtiment (2) et de même lors de la lutte des ouvriers des chantiers navals de Sestao (3).
Le 3 février, les chômeurs se sont rendus aux portes d’Astilleros Barreras (l’entreprise la plus importante de ce secteur des chantiers navals) avec l’intention d’organiser une assemblée générale commune avec les travailleurs de cette entreprise. Les portes étant fermées, ils se sont mis à crier des slogans au mégaphone et à expliquer leurs revendications jusqu’à ce que finalement la grande majorité des employés abandonnent les installations et se joignent aux chômeurs. D’après la chronique d’Europa-Press, “cinq fourgons de police anti-émeutes se sont présentés sur les lieux. Les policiers se sont déployés sur toute la zone armés de fusils à balles en caoutchouc et avec des boucliers, mais finalement les forces de sécurité se sont repliées vers le rond-point de Beiramar”. L’information d’Europa-Press se poursuit ainsi : “Finalement, le groupe composé de chômeurs et de travailleurs est parti en manifestation en direction de Bouzas, et sur ce trajet des ouvriers des autres chantiers navals de la zone (tels que Cardama, Armon et Freire-Así) se sont joints à eux, de sorte que l’activité s’est arrêtée dans toutes les industries navales”.
Nous venons de voir dans cette expérience comment se concrétise la solidarité et l’unité entre les camarades au chômage et ceux qui ont encore un travail ; les assemblées générales conjointes, la manifestation de rue pour faire connaître la lutte aux autres travailleurs, la communication et le lien direct avec des travailleurs des autres entreprises pour les gagner à la lutte commune. Autrement dit, la même chose que ce qui est arrivé à Vigo en 2006 (4) : les ouvriers reprennent les méthodes prolétariennes de lutte qui n’ont rien à voir avec la division, le corporatisme, la passivité, typiques des méthodes syndicales (5).
Le 4 février, ces actions se sont renouvelées. Vers 10 heures du matin, les chômeurs se sont à nouveau rendus aux portes de Barreras. Et encore une fois, leurs camarades de l’entreprise sont sortis pour se joindre à la lutte. Malgré le dispositif policier, tous sont encore partis en manifestation. D’après El Faro de Vigo, “La protestation d’hier était surveillée par un fort dispositif policier. Il y a eu des moments de tension, mais finalement il n’y a pas eu d’échauffourées. Les chômeurs ont manifesté dans les zones de Beiramar et Bouzas de Vigo, accompagnés par les travailleurs du secteur, et ils ont affirmé qu’ils continueront les mobilisations tant que les patrons n’accepteront pas de régler avec eux les problèmes qui, d’après la dénonciation qu’ils en font, existent dans l’embauche du personnel”.
Nous n’avons pas d’autres informations. Mais nous pensons que ces faits sont significatifs de la combativité et de la prise de conscience des travailleurs, de la recherche de l’unité et de la solidarité face aux coups bas que le capital nous assène.
Nous exprimons notre solidarité avec nos camarades en lutte. Nous encourageons à ce qu’on tire des leçons et à ce qu’une solidarité active se fasse jour. Ce n’est pas les motifs qui manquent : on vient de passer le seuil des 4 millions de chômeurs, le gouvernement annonce le recul de l’âge de la retraite à 67 ans, l’augmentation du temps de cotisations, etc.
CCI (5 février)
1) Ceci a pu être écrit à la suite d’un message du 3 février 2010 qu’un lecteur a envoyé à notre section “Commentaires” de notre site : https://es.internationalism.org/node/2765#comment-636 [15].
Par ailleurs, pour mieux comprendre ce mouvement, nos lecteurs peuvent lire, sur les luttes dans cette ville en 2009 : “”.
Et sur le mouvement de 2006 : “”
2) Voir : “”.
“Grèves en Grande Bretagne : les ouvriers commencent à remettre en cause le nationalisme” , http ://fr.internationalism.org/node/3690 [16]
3) “”.
4) “”
5) Sur le sabotage syndical, lire notre article publié en septembre 2009 : “”
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur le site Internet du CCI en anglais le 5 février. Il révèle que la colère et la combativité continuent d’animer le prolétariat en Grèce depuis un an.
Cet article a aussi parfaitement anticipé ce qui se déroulerait les 10 et 24 février : des journées de grève suivies massivement par une classe ouvrière qui ne veut plus subir les violentes attaques de l’Etat avec des syndicats qui manœuvrent pour diviser les ouvriers et stériliser le mécontentement grandissant.
La situation grecque est importante car elle est une sorte de test pour la bourgeoisie européenne et même mondiale. De nombreux Etats vont devoir dans les mois qui viennent mener les mêmes attaques frontales que l’Etat grec contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Si les mesures d’austérité drastiques passent dans ce pays, cela servira de test positif pour sonner le coup d’envoi à toute une série d’attaques à travers le monde. C’est pourquoi les bourgeoisies française et allemande, en particulier, apportent leur savoir-faire en terme d’encadrement de la classe ouvrière. Ils aident le gouvernement de Papandréou à quadriller le terrain en faisant monter au créneau les syndicats. Ceux-ci, en prenant les devants et en organisant des journées d’action, espèrent parvenir à canaliser le mécontentement grandissant.
Il y a un an, il y a eu trois semaines de luttes massives dans les rues de Grèce après l’assassinat par la police d’un jeune anarchiste, Alexandros Grigoropoulos. Mais le mouvement dans la rue, dans les écoles et les universités a eu de grandes difficultés à se coordonner avec les luttes sur les lieux de travail. Il n’y a eu qu’une seule grève, celle des enseignants du primaire qui, pendant une matinée, avait soutenu le mouvement. Même si ce fut une période de troubles sociaux massifs, incluant une grève générale, les liaisons n’ont finalement pas pu se faire.
Toutefois, en Grèce, les actions de travailleurs se sont poursuivies au-delà de la fin du mouvement de protestation jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le ministre du Travail, Andreas Lomberdos, a été contraint d’adresser une mise en garde à la bourgeoisie internationale. Il a affirmé que les mesures nécessaires dans les trois prochains mois, pour sortir de l’eau la dette nationale dans la crise qui menace de jeter la Grèce hors de la zone euro, pourraient entraîner une effusion de sang. “Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour empêcher cela” a-t-il ajouté. Plus récemment, le mois dernier, le Premier ministre grec, dans un discours devant le Parlement, a déclaré que la crise de la dette nationale est “la première crise de souveraineté nationale depuis 1974”. Le nouveau gouvernement socialiste parle de réunir tous les partis bourgeois et tente de constituer un gouvernement d’unité nationale d’urgence qui serait en mesure de suspendre des articles de la Constitution garantissant le droit de réunion publique, de manifestation et de grève !
Même avant que le gouvernement ait tenté de mettre en œuvre ses “réformes” (autrement dit, les attaques contre la classe ouvrière) pour réduire le déficit budgétaire de 12,7 % à 2,8 %, il y a eu une grande vague de luttes ouvrières. Lors de ces deux derniers mois, les dockers ont été en grève ainsi que les travailleurs de Telecom, les éboueurs, les médecins, les infirmières, les enseignants des écoles maternelles et primaires, les chauffeurs de taxi, les ouvriers de la sidérurgie et les employés municipaux ! A priori, toutes ces luttes semblent éclater chaque fois pour des raisons distinctes mais en réalité elles sont toutes des réponses aux attaques que l’Etat et le capital sont contraints de porter pour essayer de faire payer la crise aux travailleurs.
Avant que le programme d’austérité ait été mis en avant (et approuvé par l’Union Européenne), le Premier Ministre Papandreou avait averti qu’il serait “douloureux”. Et le 29 janvier, avant que le moindre détail en ait été annoncé, il y a eu, en réponse à l’actuel “programme de stabilité”, une manifestation de colère de la part des pompiers et d’autres travailleurs du secteur public à Athènes.
Le plan gouvernemental sur trois ans prévoyait un gel total des salaires pour les travailleurs du secteur public et une réduction de 10 % des quotas. On estime que cela équivaut à une diminution de salaire allant de 5 à 15 %. Les fonctionnaires partant à la retraite ne seront pas remplacés, mais il y a aussi la perspective de l’augmentation de l’âge du départ à la retraite qui est présentée comme un moyen pour l’Etat d’économiser sur les charges de retraite.
Le fait que l’Etat est maintenant contraint de porter des attaques encore plus sévères contre une classe ouvrière déjà combative révèle la profondeur de la crise qui affecte la Grèce. Le ministre Lomberdos l’a précisé très clairement quand il a dit que ces mesures “ne peuvent être appliquées que de façon violente”. Cependant, ces attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent à ces derniers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes.
Si on examine attentivement ce que font les syndicats en Grèce, on peut voir que leurs actions ont pour objectif de maintenir les luttes divisées. Les 4 et 5 février, il y a eu une grève officielle de 48 heures des douaniers et des agents des impôts qui ont fermé les ports et les points de passage frontaliers, pendant que certains agriculteurs maintenaient leur blocus. L’Indépendant (5/2/10) a titré “Les grèves mettent la Grèce sur les genoux” et décrit l’action comme la “première manifestation d’une éruption attendue de grèves tapageuses”.
Cette “éruption attendue” de la grève comprend un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février.
Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l’Etat grec “à genoux”. Le Financial Times du 5 février estimait que jusqu’à présent “les syndicats ont réagi modérément aux plans d’austérité du gouvernement, ce qui reflète un état d’esprit de disposition à faire des sacrifices pour surmonter la crise économique”, mais identifie tout de même “une réaction violente des syndicats contre les programme d’austérité du gouvernement”. En réalité, les syndicats n’ont pas soudainement négligé leur soutien au gouvernement socialiste mais, avec la montée de la colère exprimée par la classe ouvrière, ils savent que s’ils ne mettent pas en scène quelques actions il y a la possibilité que les travailleurs commencent à démasquer la comédie syndicale. Pour le moment les syndicats ont affiché leur visage radical, rompu le dialogue sur les plans d’avenir pour les retraites et prévu des grèves d’une à deux journées à des dates différentes. Les syndicats se sont montrés vraiment désireux que les travailleurs fassent des sacrifices mais maintenant ils doivent tenir compte de la réaction de la classe ouvrière.
Pour les travailleurs, concernant le développement futur de leurs luttes, il est nécessaire qu’ils se méfient non seulement des syndicats mais aussi d’autres “faux amis”. Le KKE (parti communiste grec), par exemple, qui possède une certaine influence dans la classe ouvrière, qualifiait il y a un an les manifestants d’agents secrets de “mystérieuses forces étrangères” et de “provocateurs”. Maintenant, ils disent que “les travailleurs et les agriculteurs ont le droit de recourir à tous les moyens de lutte pour défendre leurs droits”. Les autres forces de gauche, comme les trotskistes, sont aussi là pour dévoyer la colère des travailleurs, en focalisant l’attention contre les fascistes ou d’autres forces de droite, ou contre l’influence de l’impérialisme américain - tout et n’importe quoi pour que les travailleurs ne prennent pas leurs luttes dans leurs propres mains et ne les dirigent contre le plus haut représentant du capital, l’Etat. Avec des grèves dans le pays voisin, la Turquie, qui se passent en même temps que les grèves en Grèce[1], les syndicats et leurs alliés seront particulièrement attentifs à ce que tous les problèmes que rencontrent les ouvriers soient dépeints comme étant spécifiquement grecs et non comme l’expression de la crise internationale et irrémédiable du capitalisme.
Ce qui est caractéristique de la situation en Grèce, c’est la prolifération de divers groupes armés qui bombardent des bâtiments publics, mais qui ne font qu’ajouter un peu plus de violence au spectacle habituel, tout en favorisant davantage de répression de la part de l’Etat. Ces groupes, aux noms exotiques comme la Conjuration des cellules du Feu, le Groupe de guérilla des terroristes ou de la Fraction nihiliste, n’offrent strictement rien comme perspective à la classe ouvrière. Les ouvriers ne peuvent construire leur solidarité de classe, prendre conscience de leur force et développer leur confiance en eux qu’à partir de leurs propres luttes, en développant leurs propres formes d’organisation, non en restant assis à la maison à regarder à la télévision des bombes placées par des gauchistes radicaux. Le bruit qui court à propos d’un meeting de masse de travailleurs discutant de la façon d’organiser leur propre lutte effraie plus la classe dirigeante que des milliers de bombes.
DD (5 février)
1. Lire notre article [17] sur la lutte des ouvriers de Tekel
Les grands de ce monde, en costumes et tailleurs chics, se sont échangé des politesses lors du dernier forum de Davos qui s’est déroulé du 27 au 30 janvier en Suisse. Armés de leur bonne éducation et de leur grande culture, ils ont ainsi su trouver les mots justes pour parler du terrible séisme qui a ravagé Haïti le 12 janvier. Ecoutons par exemple les paroles du très respecté Bill Clinton, l’ancien président des Etats-Unis : “C’est une opportunité pour réinventer le futur du peuple haïtien et je vous invite à faire partie de l’aventure.” Voilà comment parlent ces messieurs. Plus de 210 000 morts, des centaines de milliers d’orphelins et de sans-abri, et ils osent nous parler “d’opportunité” et “d’aventure” !
Ces paroles cyniques et abjectes diffusent, qui plus est, un message propagandiste et mensonger. Les médias, les personnalités politiques, les gouvernements, tous prétendent qu’Haïti va se relever grâce à l’aide de la “communauté internationale” (1). En réalité, il n’y aura pas de “reconstruction”, de “renaissance de l’île martyre” ou de “formidable aventure”. L’avenir pour la population qui vit en Haïti est d’une insoutenable noirceur et cela aussi longtemps que survivra ce système d’exploitation inhumain qu’est le capitalisme !
Il n’y a là aucun doute à avoir. Des catastrophes, toutes plus horribles les unes que les autres, ont déjà endeuillé l’humanité à de multiples reprises ces dernières années et jamais n’a surgi une “société nouvelle” sur ces cadavres, ces décombres et ces cendres. La population vivant en Haïti en sait d’ailleurs quelque chose :
“… avant le tremblement de terre du 12 janvier, Haïti était encore le théâtre de plusieurs chantiers de reconstruction “post-désastre” inachevés, voire oubliés. Pour mémoire, la ville des Gonaïves, qui a subi les graves conséquences des cyclones Fay, Gustav, Hanna et Ike (2008) est encore proche d’une situation apocalyptique. Les dix mille maisons détruites ou endommagées sont encore bien visibles dans cette ville pratiquement en ruine et ses habitants se sont appauvris. Il en est de même pour les habitants de la localité de Fonds-Verettes, détruite par des pluies torrentielles en mai 2004. Ils continuent d’errer dans un village fantôme car peu a été fait depuis pour les reloger” (2).
Cette fois-ci, le contraste entre les promesses et la réalité est peut-être encore plus fort et révoltant. Tous les Etats, Chine, Canada, France et Etats-Unis en tête, n’ont cessé de se vanter de leur réactivité et de leur mobilisation “pour le peuple haïtien”. Chaque don et chaque action humanitaire ont été médiatisés à grands renforts de publicités. Mais sur le terrain, ce même “peuple haïtien” continue de souffrir et de mourir. Aujourd’hui, la saison des pluies torrentielles commence et, avec elle, arrive son lot d’inondations, de coulées de boues et de glissements de terrain. Or, depuis le séisme, il y a près de 1,5 millions de sans-abri et au moins autant de personnes qui vivent dans des baraques faites de planches, de tôles et de toiles. Alors, qu’offrent tous ces Etats sauveurs ? “Paris mettra notamment 1000 tentes et 16 000 bâches à disposition des Haïtiens” (3). Oui, vous avez bien lu, pour toute aide, la grande et si généreuse “communauté internationale” offre aux habitants d’Haïti des tentes et des bâches pour se protéger des cyclones. Pourquoi pas des parapluies ?
En réalité, tous ces Etats qui ont pourtant su mobiliser sur place des milliers de soldats de l’ONU au nom du “maintien de l’ordre public”, sont même incapables de fournir suffisamment de ces abris de misère. “Environ 50 000 tentes ont jusqu’ici été livrées aux sinistrés. Il en aurait fallu plus de 200 000 pour les 1,2 millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent dans des camps de fortune” (4). Pourquoi n’y a-t-il pas assez de tentes ? “La livraison massive aux sinistrés de tentes, un temps envisagée, a été écartée, ces dernières ayant été jugées trop grosses, coûteuses et inefficaces” (5). Eh oui, même ces bouts de toile ont été jugés trop “coûteux”. La vie humaine des laissés-pour-compte ne vaut décidément pas grand chose aux yeux du capitalisme !
Il ne faut donc pas se raconter d’histoires. Avec ce séisme, les habitants d’Haïti se sont enfoncés un peu plus profondément encore dans la misère. Et cette descente aux enfers va se poursuivre inexorablement. Il n’y aura jamais de vraie reconstruction, mise à part peut-être quelques bâtiments symboliques comme le palais présidentiel, la base de l’ONU, les hôtels et quelques “maisons-témoins”. Les grands bourgeois le savent parfaitement et l’avouent même parfois à demi-mot dans un langage très diplomatique. Le Premier ministre canadien, Stephen Harper, a ainsi “lâché” qu’effectivement, la reconstruction du pays prendrait “au moins dix années”, autrement dit jamais.
Ces souffrances sont insupportables et intolérables. Tous ceux dont le cœur saigne devant de telles horreurs pensent souvent : “il faut faire quelque chose”. Ce “quelque chose”, c’est mettre à bas cette société d’exploitation. Seule la fin du capitalisme et la naissance d’une autre société, le communisme, mettra véritablement un terme à toutes les plaies qui s’abattent sur l’humanité !
Pawel (20 février)
1) En fait, cette “communauté internationale” n’est autre qu’un banc de requins impérialistes qui, tous, utilisent la notion “d’aide humanitaire” pour défendre leurs sordides intérêts nationaux. Lire nos deux articles à ce sujet : “Séïsme en Haïti : Les Etats capitalistes sont tous des charognards [18]” et “En Haïti, l’humanitaire comme alibi [19]”.
2) Le site du Monde du 17 février.
3) Le site du Figaro du 17 février.
4) Radio Canada, le 14 février.
5) Idem.
Depuis le début de l’année, un forum de discussion en langue française est ouvert sur notre site. Chacun peut y poser ses questions, faire ses remarques, contribuer à l’analyse collective, affirmer ses désaccords… enfin bref, débattre.
De fait, un camarade, se disant à la fois marxiste et proche des anarchistes, intervient depuis le début relativement régulièrement sous le pseudonyme Cincinnatus. Son style bien à lui est toujours très direct et fleuri. Le message que nous publions ci-dessous en est une preuve vivante ! Cincinnatus y dénonce avec virulence et fort justement l’attitude du NPA qui présente aux prochaines élections régionales une candidate musulmane voilée. Ce court message de Cincinnatus commence d’ailleurs très fort avec ce titre percutant :
Sont comme ça au NPA, à l’image du capitalisme eux pourtant si “anticapitaliste”, bourrés de contradictions. Eh oui, à force de défendre toutes les causes fourre-tout des “minorités opprimées” : gazaouis, rappeurs ouèch ouèch, bébés phoques, etc. ben on en devient inévitablement antinomique puisque toutes ces revendications minoritaires, communautaires s’opposent les unes aux autres. Dur métier que celui de trotskiste. Comment soutenir les féministes mi-putes mi-soumises et dans le même temps présenter aux régionales une candidate foularisée ? ça coince... mais pas tant que ça. A y regarder de plus près, c’est très logique. Depuis une paire d’années on a pu remarquer le petit manège de la LCR en banlieue. Depuis une paire d’années c’est opération séduction pour conduire les jeunes de cités sur le chemin des urnes et des isoloirs. Après les collectifs citoyens de rappeurs et comiques made in 9-3, voilà le NPA qui caresse le musulman dans le sens du voile (faut bien suivre la mode). Aussi, et plus terre à terre, il ne faut pas oublier que la LCR-NPA est un parti électoraliste qui comme les autres cherche moins le “forum public pour donner de l’écho aux idées anticapitalistes “ que les strapontins. Et pour ça, faut se constituer un électorat avec tout l’opportunisme qui convient.
Bref, mettre un voile pour le NPA n’est pas chose choquante si l’on considère que cela fait des décennies qu’elle le pose sur la réalité de ce monde en entretenant les illusions démocratiques.
Cincinnatus, le 5 février
Nous partageons cette analyse mais pour tous ceux qui veulent répondre à ce message ou à qui cet épisode inspire d’autres commentaires, rendez-vous sur notre forum, sous le fil “NPA… en voile et à vapeur”.
Nous évoquons Anton comme un combattant intransigeant de la classe, qui s’est opposé à l’exploitation dans la société qu’il a lui-même subie en usine et qui a contribué à la transmission de ses expériences à une nouvelle génération de révolutionnaires après 1968.
Il ne l’a pas fait tout seul : à côté de lui et avec lui, il y en avait beaucoup d’autres qui ont vécu des expériences similaires, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Autour de cette communauté s’est développé un cercle de discussion vivant dans les années qui ont suivi la guerre. Il y a eu de nombreuses discussions politiques et philosophiques immédiatement après la guerre au sein de l’Institut Emile Vandervelde avec le professeur Flam, issu de la Résistance au sein des camps de l’holocauste. Les heurts, également, avec la bureaucratie social-démocrate de Hoboken (une banlieue “rouge” d’Anvers) et l’intégration des groupes de la résistance du PCB (Parti communiste de Belgique) au gouvernement, ont constitué l’arrière-plan de la rupture politique définitive avec le stalinisme. Au début des années 1950, celle-ci a mené à des contacts avec le groupe de la Gauche communiste Spartacusbond aux Pays-Bas. Celui-ci a alors organisé d’intenses débats communs à Anvers. Il s’en est suivi une collaboration avec le Spartacusbond. Anton devint un fidèle collaborateur de leur journal, au travers des traductions qu’il faisait d’articles de la presse internationale de la Gauche communiste et d’anarchistes (parmi lesquels Révolution internationale après 1973).
Dans le conflit entre le Spartacusbond et le groupe conseilliste déchiré Daad & Gedachte, autour de 1964, il prit très consciemment le parti de Spartacusbond. Il trouvait en effet que les positions de D&G ne mèneraient qu’à la négation de toute activité politique en tant que groupe prolétarien, ce que la réalité a confirmé. Les tendances conseillistes de D&G ont en effet souvent eu une influence négative sur la survie des groupes prolétariens aux Pays-Bas et en Belgique. Y compris au sein de nos prédécesseurs directs : les Revolutionaire Raden Socialisten (Anvers), les Vrije Raden Socialisten (Gand) en Belgique, et Radencommunisme aux Pays-Bas se sont développés au travers d’une critique de l’attitude conseilliste de Daad & Gedachte au profit de la défense d’une intervention active de l’organisation révolutionnaire dans la lutte de classe.
Dans ce sens, c’est Anton qui a mis en contact notre groupe de jeunes Revolutionaire Raden Socialisten, issu du bilan politique de mai 68, avec Révolution internationale en 1972-73. Il a alors apporté une contribution essentielle à notre orientation politique de 1972 à 1975, en attirant notre attention sur l’importance des analyses politiques de Révolution internationale (un des groupes fondateurs du CCI), ce qui a conduit en 1975 à notre adhésion au CCI en cours de formation. Très tôt, il attirait notre attention sur l’importance d’approfondir la question de l’écologie d’un point de vue marxiste. Depuis lors, il est toujours resté un véritable sympathisant de notre organisation.
Chez lui, on rencontrait régulièrement des visiteurs qui discutaient des sujets les plus divers. Ces dernières années, il vivait plus retiré en compagnie des dessins et des peintures rudes de Rik Schevernels (†1972), son meilleur ami, artiste qui fustigeait l’église, le stalinisme et les syndicats, et de ses livres et publications philosophiques et politiques. Nous lui sommes toujours reconnaissants de sa contribution à notre évolution politique.
CCI
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/RI_410.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/content/belgique-chez-opel-et-chez-ab-inbev-meme-combat-meme-sabotage-syndical
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/295/grece
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/43/portugal
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[7] http://www.monde-solidaire.org/spip.php ?article5223
[8] https://www.millebabords.org/spip.php?article13409
[9] https://fr.internationalism.org/ri397/manifestation_des_lyceens_a_lyon_des_provocations_policieres_pour_tenter_de_pourrir_le_mouvement.html
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/immigration
[11] https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-leurs-pions
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[13] https://fr.internationalism.org/content/elections-piege-classe-ouvriere
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/elections
[15] https://es.internationalism.org/node/2765#omment-636
[16] https://fr.internationalism.org/content/greves-grande-bretagne-ouvriers-commencent-a-remettre-cause-nationalisme
[17] https://fr.internationalism.org/content/9723/turquie-solidarite-resistance-des-ouvriers-tekel-contre-gouvernement-et-syndicats
[18] https://fr.internationalism.org/content/seisme-haiti-etats-capitalistes-sont-tous-des-charognards
[19] https://fr.internationalism.org/ri409/en_haiti_l_humanitaire_comme_alibi.html
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/catastrophes
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[22] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/anton-brenders