La grève qui se déroule depuis le 20 janvier en Guadeloupe, a fait tâche d'huile en Martinique à partir du 5 février et menace de s'étendre prochainement à la Réunion et à la Guyane, les autres DOM (Départements d'outre-mer). Elle n'a rien d'un conflit identitaire ou exotique. Il s'agit bien là d'une authentique expression de la remontée internationale de la lutte de classe qui témoigne de la colère et de la combativité des ouvriers face à la vie chère.
Aux Antilles, les prix sont en moyenne de 35 à 50% plus chers qu'en métropole, le chômage touche officiellement plus de 24% de la population (56% parmi les jeunes de moins de 25 ans) et l'on compte plus de 52.000 RMIstes. Malgré le poids du caractère nationaliste de l'encadrement syndical (autonomiste ou indépendantiste), les 146 revendications mises en avant par les grévistes sont toutes liées à la question des attaques du niveau de vie : baisse immédiate du prix des carburants, baisse des prix de tous les produits de première nécessité, des impôts et taxes, gel des loyers, augmentation des salaires de 200 euros net pour tous les travailleurs, ainsi que pour les pensions de retraites et les minima sociaux, baisse du prix de l'eau et des transports publics, titularisation des contrats pour tous les emplois précaires aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public... La popularité de ces revendications comme l'obstination de la lutte à faire reculer le gouvernement témoignent aussi de l'ampleur de la mobilisation et de la combativité des ouvriers, au même titre que les manifestations du 29 janvier dernier en France, que les récentes émeutes de la jeunesse prolétarisée en Grèce, que les manifestations en Islande, que les récentes grèves ouvrières en Grande-Bretagne...
Malgré la propagande diffusée par les médias mettant en avant le folklore local animé par les associations culturelles (manifestations et chants rythmés par le tambour traditionnel), et surtout avec leur battage autour de la revendication de la "créolité" face aux "békés" blancs et une tonalité nationaliste "anti-coloniale", ces caractéristiques traditionnelles du mouvement aux Antilles ont été constamment reléguées au second plan. Le collectif LKP (Lyannaj kont profitasyon, Union contre la surexploitation) regroupant 49 organisations syndicales, politiques, culturelles et associatives, et son charismatique leader Elie Domota ont cherché à canaliser une lutte remettant clairement en cause les conditions d'exploitation des ouvriers.
Nous devons saluer le caractère massif, unitaire et solidaire de cette grève qui montre la voie dans laquelle l'ensemble de la classe ouvrière doit aujourd'hui s'engager face à la dégradation générale de ses conditions de vie. Depuis le début de la grève, les bus ne circulent plus, les établissements scolaires, l'université, les hypermarchés, les administrations et la plupart des entreprises et commerces sont fermés. Là encore, face à la pénurie alimentaire ou d'essence, une véritable solidarité de classe s'y est exprimée, s'exerçant à tous les niveaux entre parents, amis ou voisins. En Guadeloupe, la manifestation du 30 janvier à Pointe-à-Pitre, partie à quelques milliers de personnes, a rapidement rallié 65.000 manifestants en atteignant le centre ville ; c'était la plus grande manifestation jamais réalisée dans l'archipel (en rapport à la population de l'île). Une telle mobilisation équivaut à près de 10 millions de personnes sur les pavés de Paris. Un millier de lycéens et d'étudiants se sont joints aux ouvriers en grève. Le Palais de la Mutualité de Pointe-à-Pitre est devenu un lieu de ralliement, d'expression, de débats où de nombreux travailleurs et en particulier des ouvrières ont pu prendre la parole pour parler de leur colère ou de leur désarroi face à leurs conditions d'existence. Dans une des premières séances de négociations, le 26 janvier, des journalistes et techniciens grévistes de Radio-France outre-mer (RFO) avaient placé des caméras à l'intérieur de la salle de réunion et des haut-parleurs à l'extérieur du bâtiment pour permettre à tout le monde de connaître et de suivre en direct toutes les négociations. Il y a également eu plus de 20 000 manifestants dans les rues de Fort-de-France le 9 février autour des mêmes revendications et des mêmes mots d'ordre qu'en Guadeloupe.
La venue d'Yves Jégo, secrétaire d'État à l'outre-mer sur l'île a permis de faire redémarrer la plupart des 115 stations de carburant (dont les petits patrons étaient également en grève) en promettant la limitation de création de nouvelles stations-service automatiques par les grands groupes pétroliers. Le sous-ministre a multiplié d'autres promesses pour tenter de désamorcer le conflit (baisse des taxes sur les produits pétroliers, sur les produits laitiers, réduction des taux de la taxe d'habitation et la taxe foncière), s'engageant même à favoriser la négociation auprès du patronat d'exonérations diverses équivalant à 130 euros par salarié. Alors que la négociation sur les 200 euros d'augmentation salariale mensuelle était elle-même en cours entre patrons et syndicats, sous l'égide du préfet, Jégo se faisait rappeler à l'ordre par le premier ministre Fillon et rappeler tout court à Paris. Son départ précipité, ses déclarations contradictoires (il a ensuite affirmé qu'il n'avait jamais rien promis en matière d'augmentation salariale : "C'est au patronat et aux syndicats seuls de négocier en ce domaine"), son retour-éclair dans l'île, cette fois quasiment dessaisi du dossier, flanqué de deux "médiateurs" pour l'encadrer, sa nouvelle dérobade, n'ont fait qu'attiser de plus belle la colère de la population, choquée par un tel mépris et par de tels "mensonges".
Sous la pression de la colère des grévistes excédés et de la population en général, les syndicats et le LKP ont été contraints de radicaliser leurs positions. L'appel était lancé à des AG dans toutes les entreprises, les "délégations marchantes" d'une entreprise à l'autre se sont multipliées, le renforcement des piquets de grève était décidé. La proposition (soutenue par le PS local) pour désamorcer le conflit du versement d'une prime mensuelle de 100 euros pendant 3 mois par le Conseil régional a été refusée par les grévistes.
Pendant des semaines, les innombrables manœuvres et les ficelles utilisées pour pourrir et diviser la grève et désamorcer le mouvement, en le dévoyant sur un terrain purement nationaliste, n'ont pas abouti. Le 16 février, alors que le LKP faisait dresser à nouveau des barrages sur les routes pour "dénoncer le blocage des négociations", le gouvernement français haussait le ton, déclarant "intolérable la poursuite de la situation" et la police a commencé à charger les manifestants (alors que jusque là, il n'y avait pas eu le moindre heurt), blessant deux d'entre eux et procédant à une cinquantaine d'arrestations même si tous étaient relâchés 3 heures plus tard, alors que les manifestants menaçaient d'assiéger le commissariat. La bourgeoisie a clairement joué la carte du pourrissement de la situation et de l'enlisement de la lutte, misant sur le poids de l'isolement et de l'insularité du mouvement. Un véritable "cordon sanitaire" a été dressé autour de la Guadeloupe pour empêcher le conflit de s'étendre davantage et d'enflammer les autres DOM : en Martinique, le gouvernement a discrètement lâché du lest, en décidant une baisse significative sur plusieurs produits de première nécessité tandis que tous les syndicats réunionnais tombaient d'accord pour décréter unilatéralement l'appel à une journée d'action... pour le 5 mars, autrement dit aux calendes grecques, pour éloigner l'échéance d'une mobilisation similaire et laisser le temps de régler le conflit ou de l'affaiblir significativement en Guadeloupe. Dans ce contexte, l'exaspération ne pouvait qu'éclater. Des jeunes des cités, désespérés, minés par le chômage et la précarité endémique sont passés à l'action, menant une guérilla urbaine, sommairement armés, dressant des barrages sur les routes, cassant et pillant des magasins, brûlant des voitures et cherchant la confrontation avec les forces de répression. Dès le 17 février, une voiture est mitraillée sur un barrage près d'une cité de banlieue et le conducteur, un syndicaliste connu, est tué sur le coup. Mais à qui le crime profite ? La provocation ne fait guère de doute et ce meurtre est soit l'œuvre d'un policier infiltré, soit aurait été commandité et exécuté par des membres de milices patronales recrutées pour quelques centaines d'euros. Quant au gouvernement, il répond seulement par l'envoi de 4 escadrons de police supplémentaires (200 hommes). Sarkozy s'est obstiné à vouloir traiter à part le problème de la Guadeloupe qui est délibérément mis à l'écart des pseudo-négociations salariales lors de la réunion du 18 février avec les syndicats. Le lendemain, il reçoit en grandes pompes les élus des DOM et leur annonce ses "propositions". En fait, il se borne à le saupoudrer de quelques promesses peu coûteuses avec l'annonce de primes exceptionnelles temporaires sur les bas salaires évaluées entre 70 et 130 euros par salarié au lieu de la hausse salariale de 200 euros réclamée par tous et l'avancée d'un an pour la mise en place du RSA limitée à quelques milliers de foyers concernés dans les DOM. La reprise des négociations s'effectue dans un climat de tension sociale très vive. Les travailleurs antillais revendiquent d'être traités avec dignité ; ils accusent le patronat de perpétuer une mentalité esclavagiste et colonialiste et le gouvernement de les mépriser ouvertement ; alors que la quasi-totalité des grévistes n'a pas touché le moindre centime en un mois, leur détermination et leur colère ne faiblissent pas mais au contraire se renforcent, la "débrouille" s'accompagne d'une solidarité ouvrière qui attire d'autres couches non-exploiteuses dans le même élan d'entraide généralisée. Et malgré la pression pour isoler la colère en Guadeloupe, émerge un "collectif du 5 février contre la vie chère" en Martinique qui regroupe là encore la totalité des organisations de gauche, des syndicats et des mouvements culturels ou associatifs pour contrôler le mouvement. Ce "collectif" est contraint de prendre les devants d'une mobilisation massive et de faire de la surenchère en réclamant 370 euros d'augmentation salariale pour tous, tandis que, parmi les jeunes déshérités des banlieues, éclatent là aussi des scènes de violences. A la Réunion, le NPA de Besancenot et Lutte ouvrière se sont même associés au PS, au PC et aux autres organisations de gauche, au sein du même collectif.
En métropole, le mouvement de lutte suscite la sympathie, un sondage lui accorde près de 80 % de popularité. Même les médias le traitent avec une certaine complaisance et une partie de la bourgeoisie remet en cause ouvertement "la méthode du gouvernement Sarkozy" dans la gestion de ce conflit.
L'influence de la crise est palpable : le mouvement autonomiste, voire indépendantiste, en Guadeloupe naguère très influent, surtout chez les leaders syndicaux est en nette perte de vitesse, il n'est quasiment plus revendiqué et pour cause, ce serait quasiment suicidaire de prétendre à l'autonomie pour une région déjà si fortement touchée par le marasme économique et qui sombrerait très rapidement comme à Haïti dans une misère terrible et un chaos irrémédiables. Il est plus intéressant pour toutes les fractions locales de la bourgeoisie ou leurs appendices de réclamer des subsides du gouvernement français. Par contre, cela n'enlève rien aux dangers des relents nationalistes qui revendiquent désormais une "citoyenneté française".
Le 25 février au soir, le gouvernement a proposé d'ajouter 80 euros aux contributions accordées par le patronat. L'augmentation de salaires atteindrait ainsi 180 euros par mois. Des grévistes maintenaient la pression, rassemblés devant la capitainerie du port autonome de la Guadeloupe, où se déroulaient les discussions. Simultanément dans la capitale martiniquaise, la police patrouillait dans les rues, au lendemain d'une nuit agitée, où une trentaine de personnes avaient été arrêtées alors que des dizaines de manifestants s'étaient rassemblées près de l'Hôtel de Ville, exigeant les résultats des négociations en cours.
La classe ouvrière ne pourra faire reculer la bourgeoisie et obtenir gain de cause que si la lutte s'élargit au-delà des limites géographiques des DOM. Le seul moyen d'obliger la bourgeoisie à satisfaire les revendications des grévistes, c'est l'extension du mouvement à la métropole. Seule la solidarité active de toute la classe ouvrière, dans et par la lutte massive, peut empêcher le pourrissement et la répression des travailleurs aux Antilles. Pour cela, les prolétaires ne doivent pas faire confiance aux spécialistes de la négociation, les syndicats. Ils ne doivent compter que sur leurs propres forces en prenant eux-mêmes leur lutte en main.
Partout, à travers la dure expérience de sa confrontation à l'aggravation de la crise économique, malgré tous les pièges et les obstacles que lui dressent ses ennemis irréductibles, la classe ouvrière est en train de se réapproprier son identité de classe et de s'éveiller à la lente prise de conscience de la force que représente l'unité et la solidarité dans ses rangs. Elle se prépare à entrer dans une période historique où rien ne peut plus être comme avant, "où ceux d'en haut ne peuvent plus et ceux d'en bas ne veulent plus", comme l'affirmait déjà Lénine il y a près d'un siècle.
W (26 février)
Pour Obama, confirmer son engagement dans les bases militaires de l'impérialisme américain au début de son règne est un avertissement pour le reste du monde. Bien qu'il ait parlé de changement dans sa campagne, il est clairement dans la continuité guerrière du régime de Bush. L'Amérique continuera à user de son pouvoir militaire pour défendre ses intérêts.
A cet égard, la seule chose, qui rend les Etats-Unis exceptionnels, c'est l'ampleur avec laquelle ils peuvent agir. Chaque Etat capitaliste a recourt à la force pour défendre les intérêts de sa classe dirigeante. Qu'il s'agisse de l'Iran ou de la Corée du Nord qui développent des missiles, de la Chine qui construit un porte-avions, de l'armée sri-lankaise qui balaye le nord du pays ou de l'une des nombreuses factions en lutte contre la République démocratique du Congo, comme le Soudan ou la Somalie, le capitalisme, c'est la guerre.
Car (6 février)Partout dans le monde, les luttes ouvrières se multiplient. En Grèce, en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Islande, en Grande-Bretagne, en Irlande ([1])..., les travailleurs et les retraités, les chômeurs et les étudiants, précarisés, tentent de résister. Subissant de plein fouet les bourrasques de la crise économique, ils se battent pour leur dignité en refusant de voir encore leurs conditions de vie se dégrader.
Cette volonté de se battre et de ne pas se laisser faire est particulièrement prégnante en France. Le mouvement de grève générale qui frappe la Guadeloupe depuis plusieurs semaines en est la plus forte expression. Et en métropole aussi la colère gronde. Hier, les lycéens étaient dans la rue contre la loi Pécresse. Aujourd'hui, ce sont les enseignants-chercheurs et les étudiants qui refusent les coupes claires dans les budgets et les effectifs universitaires. Il y a encore eu 10 000 manifestants à Paris le jeudi 26 février. Le "climat social" - comme disent les experts et les journalistes - est particulièrement tendu. La bourgeoisie française en a parfaitement conscience et c'est pourquoi elle tente de désamorcer les conflits à chaque fois qu'elle le peut. Elle a ainsi reporté la réforme des lycées d'une année et promis qu'il n'y aura pas de suppression de postes dans les universités en 2010. Ces reculs montrent que la bourgeoisie a peur de voir une lutte faire tâche d'huile, qu'elle s'étende, que la solidarité se développe entre les différents secteurs de la classe ouvrière et entre les générations ([2]). La mobilisation des étudiants et des travailleurs au printemps 2006 contre le CPE est un souvenir bien trop frais à son goût.
Oui, il y a un véritable ras-le-bol. Oui, la combativité ouvrière est en train de se développer. Oui, il y a une potentialité de convergence des luttes dans l'avenir. Aux quatre coins de l'hexagone éclatent des petites grèves localisées. Ainsi, entre autres exemples, les employés de Caterpillar France sont actuellement mobilisés contre 733 licenciements ([3]). Cinq cents employés ont manifesté à Grenoble le jeudi 26 février et ont commencé à organiser l'occupation des deux usines situées à Grenoble et à Echirolles (en chômage partiel depuis le 17 décembre dernier !). Ce type de réaction, ce refus d'être considérés comme des kleenex que l'on utilise puis que l'on jette quand on n'en a plus besoin, se multiplient un peu partout. Mais bien plus significative encore fut la participation record à la journée de mobilisation du 29 janvier. La présence dans les rues d'environ 2 millions de manifestants avait alors montré que les ouvriers ne veulent pas lutter chacun dans leur coin, dans "leurs" usines ou "leurs" bureaux, mais au contraire se retrouver ensemble, qu'ils soient du public ou du privé, du secteur automobile ou de la fonction publique hospitalière, retraités, chômeurs ou étudiants.
Et ce sentiment d'être "tous dans la même galère" ne va probablement que s'amplifier. La crise économique fait des ravages. La pandémie du chômage n'épargne aucune famille ouvrière : pour le seul mois de janvier, le nombre de chômeurs a augmenté de 90 300, du jamais vu depuis 1991, date de la création de ce type de statistiques. Invité de France 3 le 26 février au soir, le secrétaire d'Etat Laurent Wauquiez a avoué qu'"on va avoir des chiffres comme ça sur plusieurs mois". Des "chiffres comme ça" signifient concrètement pour la classe ouvrière 1 million de chômeurs supplémentaires en 2009 ! Et les annonces de plans sociaux qui se succèdent (le Monde daté du 27 février titrait "Pourquoi le chômage va encore augmenter : de nombreux plans sociaux annoncés ne sont pas encore mis en œuvre") laissent présager d'un avenir bien plus sombre encore.
Consciemment ou inconsciemment, la même question trotte donc dans toutes les têtes : comment développer les luttes ? Comment faire pour ne pas rester seul et impuissant dans son coin ? Comment tisser des liens avec les autres travailleurs ?
Les syndicats ont parfaitement perçu ce questionnement et ils se sont empressés d'y apporter leur réponse : les journées d'actions syndicales. Après celle du 29 janvier, les syndicats se sont donnés officiellement pour but de "mobiliser plus fortement" encore le 19 mars ([4]). Et surtout, ils crient haut et fort leur unité retrouvée : "Nous sommes tous unis et nous allons tous dans le même sens" a ainsi clamé, le 23 février, Gabrielle Simon (CFTC) au nom de l'intersyndicale (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, FSU, UNSA et Solidaires) ([5]).
Mais à y regarder de plus près, cette belle unité syndicale ne signifie absolument pas l'unité des ouvriers dans la rue et dans la lutte. Au contraire ! Ce que propose concrètement cette intersyndicale, ce sont des journées de "manifestation-balade" où tout est fait pour que les travailleurs des différents secteurs ne puissent pas discuter entre eux. Officiellement, il s'agit de journées d'action "public-privé" mais dans les administrations, tous les tracts syndicaux insistent pour la défense du "service public". Les syndicats soulignent l'aspect "interprofessionnel" de leur journée, mais les ouvriers défilent boîte par boîte, sous "leur" banderole ("hôpitaux du 78", "lycée Montaigne du 92", "cheminots de Saint-Etienne", etc.). Chacun est parqué, étiqueté, sans possibilité de discuter avec ceux de la banderole de derrière ou de devant, prié de marcher sans s'arrêter et de reprendre en chœur les slogans crachés par le mégaphone. Et à la fin de la manifestation, là où il pourrait y avoir éventuellement un temps pour débattre, discuter collectivement des perspectives à donner à la mobilisation, tout le monde est prié de se disperser et de ne pas faire attendre les cars syndicaux. D'ailleurs, cette soudaine unité n'est-elle pas suspecte de la part de ceux qui, depuis des années, freinent des quatre fers pour éviter tout rassemblement trop important dans les rues, de la part de ceux qui n'ont cessé de jouer la carte de la division en signant des "accords" branche par branche, entreprise par entreprise, la plupart du temps dans le dos de la classe ouvrière ? Sous les apparences donc, dès qu'on creuse un peu, on s'aperçoit que ces "journées d'action unitaire" distillent encore et toujours le poison syndical de la division.
Pour développer réellement notre unité, nous devons prendre en main nos luttes, ne pas nous en laisser déposséder. C'est à nous de décider, en discutant collectivement, de comment organiser les grèves et les manifestations. Sur les lieux de travail, cela signifie (quand il y en a la possibilité et qu'une grève se déclenche) se rassembler en AG souveraine (comme l'ont fait les étudiants en 2006) et essayer d'aller voir les travailleurs des administrations ou des entreprises les plus proches pour les entraîner dans la lutte et tisser des liens de solidarité. Et surtout, lors de ces journées d'actions syndicales, il faut aller discuter avec les autres manifestants, échanger ce que l'on vit sur les lieux de travail, en restant à la fin, quand le cortège se disperse, pour réfléchir ensemble sur comment poursuivre et développer la lutte, quels mots d'ordre communs mettre en avant. Il faut aussi discuter de comment on perçoit l'avenir, pourquoi il y a une crise économique si violente, et réfléchir à la question : comment peut-on édifier ensemble un autre monde pour mettre fin radicalement à la misère et à l'exploitation capitalistes.
Pawel (27 février)
[1]) 120 000 fonctionnaires ont manifesté à Dublin, le 21 février, contre le plan d'austérité annoncé par le gouvernement irlandais.
[2]) Un article du Monde, publié sur son site web le 26 février, avait pour titre "Après la crise financière, la guerre civile ?". On pouvait y lire : "La crise économique va-t-elle dégénérer en violentes explosions sociales ? En Europe, aux Etats-Unis ou au Japon, la guerre civile est-elle pour demain ?". Ce ton excessif et dramatique révèle surtout à quel point la bourgeoisie a aujourd'hui de nouveau peur de la lutte des classes, à quel point elle est de nouveau hantée par le spectre du communisme.
[3]) Cette entreprise a annoncé, pour 2009, 24 000 suppressions d'emplois à travers le monde, soit près du quart de ses effectifs.
[4]) Yahoo ! Actualités, le 23 février.
[5]) Les Echos Web, le 25 février.
La vague de grèves non-officielles initiée par la lutte des ouvriers de la construction et de l'entretien à la raffinerie du groupe Total de Lindsey a été une des luttes les plus importantes de ces vingt dernières années.
Des milliers d'ouvriers du bâtiment d'autres raffineries et de centrales électriques ont cessé le travail en solidarité. Des meetings de masse ont été organisés et tenus de façon régulière. D'autres ouvriers du bâtiment, de l'acier, des docks ou au chômage, ont rejoint les piquets de grève et les manifestations qui ont eu lieu devant différents sites. Les ouvriers n'étaient pas le moins du monde troublés par la nature illégale de leurs actions car ils exprimaient leur solidarité envers leurs camarades en lutte, leur colère devant la vague grandissante de licenciements et l'incapacité du gouvernement à y remédier. Lorsque 200 ouvriers polonais du bâtiment ont rejoint la lutte, celle-ci a atteint son plus haut point par la remise en cause du nationalisme qui avait marqué le mouvement depuis le début.
Le licenciement de 300 ouvriers sous-traités à la raffinerie de Lindsey, le projet d'engager un autre sous-traitant employant 300 ouvriers italiens et portugais (dont le salaire est inférieur car indexé sur le salaire de leur pays d'origine), et l'annonce qu'aucun ouvrier britannique ne serait inclus dans ce nouveau contrat a propagé la colère comme un traînée de poudre parmi les ouvriers du bâtiment. Depuis des années, on assiste à un recours croissant à l’exploitation d'ouvriers étrangers sous contrat, généralement avec des salaires beaucoup plus bas et des conditions de travail bien pires, avec pour résultat direct l'accentuation de la concurrence entre ouvriers pour avoir du travail, et une pression exercée sur tous les ouvriers vers des baisses de salaires et une détérioration plus forte des conditions de travail. Tout cela, combiné avec la vague de licenciements dans l'industrie du bâtiment et ailleurs du fait de la récession, a généré la profonde combativité qui a trouvé son expression dans ces luttes récentes.
Depuis le début, le mouvement s'est trouvé face à une question fondamentale, non seulement pour les grévistes impliqués aujourd'hui mais pour toute la classe ouvrière maintenant et pour demain : est-il possible de se battre contre le chômage et toutes les autres attaques en s'identifiant comme "ouvriers britanniques" et s’en prendre aux "ouvriers étrangers", ou devons-nous nous considérer comme des ouvriers, avec des intérêts communs avec tous les autres ouvriers, d'où qu'ils viennent ? C'est une question profondément politique, que ce mouvement devait prendre à bras-le-corps.
Dès le début, la lutte est apparue dominée par le nationalisme. On pouvait voir aux actualités des images d'ouvriers avec des pancartes faites-maison réclamant "des emplois britanniques pour les ouvriers britanniques" ("British job for British workers") et les bannières syndicales de chaque corporation déployaient le même slogan. Les syndicats officiels défendaient et reprenaient plus ou moins le mot d'ordre ; les médias parlaient d'une lutte contre les ouvriers étrangers et ont trouvé des ouvriers qui partageaient cette opinion.. Ce mouvement de grèves sauvages aurait potentiellement pu s’engluer dans le poison du nationalisme et s’orienter en défaite cuisante pour la classe ouvrière, les ouvriers s'opposant les uns aux autres, avec des ouvriers défendant en masse les cris de ralliement nationalistes et appelant à ce que le travail soit donné aux ouvriers "britanniques", tandis que les ouvriers portugais et italiens perdaient le leur. La capacité de toute la classe ouvrière à se battre aurait alors été affaiblie et la capacité de la classe dominante d'attaquer et diviser les ouvriers aurait été renforcée.
La couverture médiatique (et ce que certains ouvriers pouvaient dire) a permis de faire croire que les revendications des ouvriers de Lindsey étaient "Des boulots britanniques pour les ouvriers britanniques". Mais ce n'était pas le cas. Ainsi, la BBC a trafiqué et tronqué sans vergogne par exemple l’interview d’un gréviste, ensuite largement diffusée en boucle à l’appui de la thèse de la « xénophobie du mouvement » en lui faisant dire : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens » alors que sur une autre chaîne de moindre audience, l’interview réelle prenait un tout autre sens : « On ne peut pas travailler avec des Portugais et des Italiens ; on est complètement séparés d’eux, ils viennent avec leur propre compagnie », ce qui signifie qu’il était impossible de les côtoyer parce qu’ils étaient tenus volontairement à l’écart de la main-d’oeuvre locale. En l’occurrence, la BBC a servi de porte-parole servile à un gouvernement et à une bourgeoisie effayés face au renouveau de la combativité et de la solidarité ouvrières et face au danger d’extension de la lutte. Les revendications discutées et votées dans les meetings de masse n'ont pas repris le mot d'ordre ni manifesté d'hostilité envers les ouvriers étrangers, contrairement aux images de propagande largement diffusées et relayées dans les médias à l’échelle internationale..! Ces revendications ont plutôt exprimé des illusions sur la capacité des syndicats à empêcher les patrons de monter les ouvriers les uns contre les autres, mais sans nationalisme manifeste.
Le nationalisme fait partie intégrante de l'idéologie capitaliste. Chaque bourgeoisie nationale ne peut survivre qu'en entrant en compétition avec ses rivales économiquement et militairement. La culture, les médias, l'éducation, l'industrie du sport, toute cette idéologie bourgeoise répand son poison sans cesse de façon à lier la classe ouvrière à la nation. Les ouvriers ne peuvent échapper à l'infestation de cette idéologie. Mais ce qui est crucial dans ce mouvement est que ce poids du nationalisme s'est trouvé remis en question alors que les ouvriers s'attaquaient dans la lutte à la question de de la défense élémentaire de leurs conditions de vie et de travail, de leurs intérêts matériels de classe.
Le mot d'ordre nationaliste " Du boulot britannique pour les ouvriers britanniques", volé au Parti National Britannique (British National Party, équivalent du FN en France) par le « travailliste » Gordon Brown, a au contraire suscité beaucoup de malaise et de réflexion chez les ouvriers et dans la classe ouvrière. De nombreux grévistes ont déclaré qu'ils n'étaient pas racistes, que leur lutte n’avait rien à voir avec la question de l’immigration ou qu'ils ne soutenaient pas le BNP, qui a même été chassé par les ouvriers, alors qu’il tentait de s’infiltrer dans leur grève.
Tout en rejetant le BNP, beaucoup d'ouvriers interviewés à la télé essayaient de toute évidence de réfléchir à la signification de leur combat. Ils n'étaient pas contre les ouvriers étrangers, ils devaient travailler à l'étranger eux aussi, mais ils se trouvaient au chômage ou voulaient que leurs enfants puissent travailler aussi et donc ressentaient la nécessité que le boulot aille d'abord aux ouvriers "britanniques". Ces mots empoisonnés ont été relancés au visage de Gordon Brown en voulant souligner ironiquement et dénoncer le caractère purement démagogique et mensonger de ses promesses. Mais de telles visions finissent toujours par se retourner contre les ouvriers eux-mêmes en les enfermant dans une division en tant que "britanniques" ou "étrangers", niant leur intérêt commun de classe, et les ligotent dans le piège du nationalisme.
Cependant, des ouvriers ont clairement souligné à cette occasion les intérêts communs à tous les prolétaires, signe qu'un processus de réflexion est en train de naître et ils ont dit qu'ils voulaient que tous les ouvriers, de quelque origine qu’ils soient aient du travail. "J'ai été licencié de mon emploi de docker il y a deux semaines. J'ai travaillé à Cardiff and Barry Docks pendant 11 ans et je suis venu aujourd'hui ici dans l'espoir de secouer le gouvernement. Je pense que tout le pays devrait être en grève alors que nous perdons toute l'industrie britannique. Mais je n'ai rien contre les ouvriers étrangers. Je ne peux les blâmer de venir chercher du travail ici." (Guardian On-line du 20 janvier 2009) Il y a également eu des ouvriers qui défendaient le fait que le nationalisme constituait un réel danger. Un ouvrier travaillant à l'étranger est intervenu sur un forum Internet des ouvriers du bâtiment sur les divisions nationales utilisées par les patrons : "Les médias qui ont attisé les éléments nationalistes se retournent à présent sur vous, montrant les manifestants sous la pire lumière possible. Le jeu est fini. La dernière chose que les patrons et le gouvernement veulent, c'est que les ouvriers britanniques s'unissent avec les ouvriers d'au-delà des mers. Ils pensent qu'ils peuvent nous rendre idiots et nous pousser à nous battre les uns contre les autres. Cela leur donnera froid dans le dos que nous ne le fassions pas." Dans un autre mail, il reliait la lutte avec celles de France et de Grèce et la nécessité de liens internationaux : "Les manifestations massives en France et en Grèce ne sont que des signes précurseurs de ce qui va venir. A-t-on jamais pensé à contacter et construire des liens avec ces ouvriers et renforcer un large mouvement de protestation en Europe contre le fait que des ouvriers se font entuber ? Cela résonne comme une meilleure option que d'avoir les parties réellement coupables, cette cabale de patrons, de vendus de leaders syndicaux, et du New Labour, qui profitent de la classe ouvrière." (Thebearfacts.org). D'autres ouvriers d'autres secteurs sont aussi intervenus sur ce forum pour s'opposer aux mots d'ordre nationalistes.
La discussion parmi les ouvriers engagés dans la grève, et dans la classe en général, sur la question des mots d’ordre nationalistes atteignit une nouvelle phase le 3 février lorsque 200 ouvriers polonais rejoignirent 400 autres ouvriers dans une grève sauvage en soutien aux ouvriers de Lindsey, à la centrale en construction de Langage à Plymouth. Les médias firent leur possible pour cacher cet acte de solidarité internationale : la station télévisée locale de la BBC n'en faisait aucune mention et au niveau national encore moins. Le black-out a été total.
La solidarité des ouvriers polonais a été particulièrement importante car l'année dernière, ils avaient été impliqués dans une grève similaire. 18 ouvriers avaient été licenciés et d'autres ouvriers avaient cessé le travail en solidarité, y compris les ouvriers polonais. Le syndicat avait essayé d'en faire une grève contre la présence de travailleurs étrangers, mais la détermination des ouvriers polonais avait complètement fait avorter cette tentative. Les ouvriers de Langage ont ainsi lancé cette nouvelle lutte en étant avertis de comment les syndicats s'étaient servis du nationalisme pour essayer de diviser la classe ouvrière. Le lendemain du jour où ils avaient participé à un meeting de masse à Lindsey avec une banderole proclamant : "Centrale électrique de Langage – Les ouvriers polonais ont rejoint la grève : Solidarité", ce qui impliquait que quelques ouvriers polonais avaient fait le voyage de 7 heures pour être là, ou qu'au moins un ouvrier de Lindsey voulait mettre en lumière leur action.
Dans le même temps, on put voir une banderole du piquet de grève de Lindsey appelant les ouvriers italiens à se joindre au mouvement de grève – elle était écrite en anglais et en italien – et on sait que certains ouvriers portaient des pancartes où était inscrit : "Ouvriers du monde entier, unissez-vous !" (The Guardian du 5 février 2009). En bref, on a pu voir les débuts d'un effort conscient de certains ouvriers, à l’opposé des réactions nationalistes, racistes et xénophobes qu’on leur prêtait, pour développer et mettre en avant un véritable internationalisme ouvrier, un pas qui ne peut conduire qu'à plus de réflexion et de discussion dans la classe ouvrière.
Tout ceci a posé la question de porter la lutte à un autre niveau, qui devait remettre directement en cause la campagne pour la présenter comme une réaction nationaliste. L'exemple des ouvriers polonais a fait apparaître la perspective de milliers d'autres ouvriers étrangers rejoignant la lutte sur les plus grands sites en construction de Grande-Bretagne, tels ceux de l'Est de Londres pour les Jeux olympiques. Il y avait aussi le danger que les médias ne puissent cacher les slogans internationalistes. Ce qui aurait brisé la barrière nationaliste que la bourgeoisie s'est efforcée de dresser entre les ouvriers en grève et le reste de la classe. Il n'est pas surprenant que la lutte ait été aussi rapidement résolue. En 24 heures, les syndicats, les patrons et le gouvernement se sont mis d’accord alors qu’ils avaient annoncé précédemment que la résolution de ce conflit prendrait des jours, voire des semaines et ont promis non seulement l’embauche de 102 « ouvriers britanniques » mais l’annulation de leur décision précédente du renvoi des travailleurs portugais et italiens vers leur pays d’origine. Comme un gréviste le rapportait, "pourquoi devrions-nous nous battre seulement pour avoir du travail ?".
En une semaine, nous avons vu les grèves sauvages les plus importantes depuis des décennies, les ouvriers tenant des meetings de masse et engageant des actions de solidarité illégales sans un moment d'hésitation. Une lutte qui aurait pu plonger dans le nationalisme a commencé à remettre en question ce poison. Cela ne veut pas dire que le danger soit écarté : c'est un danger permanent, mais ce mouvement a donné aux luttes futures la possibilité de tirer d'importantes leçons. Le fait de voir des banderoles proclamant "Ouvriers de tous les pays, unissez-vous!" devant un piquet de grève supposé nationaliste ne peut qu'inquiéter la classe dominante sur ce qui l’attend dans l’avenir.
Phil (7 février 2009)
D’après World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne.
Madagascar fut intégré en 1896 à l'empire colonial français. Cette prise en main de l'île par l'impérialisme français n'eut rien de pacifique. Elle se fit à la force des baïonnettes. Mais l'horreur fut portée à son comble quand, pour garder Madagascar dans son empire, la France, en 1947, confrontée à une révolte nationaliste qui durait depuis 21 mois, donna l'ordre à son armée de réprimer les velléités indépendantistes de la bourgeoisie malgache. Le gouvernement français de l'époque enverra un corps expéditionnaire de 30 000 hommes. Le bilan fut terrible, effrayant : il y eut officiellement 89 000 morts, selon l'état-major de l'armée française. Voilà une page glorieuse de l'histoire du capitalisme français, qui ne fait pas partie de nos manuels scolaires. C'est en 1960 que Madagascar va devenir indépendante, et la population de cette île aura alors le droit d'être gouvernée pendant 25 ans par Didier Rastsiraka, président aux ordres de Paris. Aujourd'hui, cet ex-président vit tout naturellement et tranquillement en France. C'est ainsi que depuis plus d'un siècle, l'histoire de cette île et de ses massacres retombent sur les épaules des différentes fractions de la bourgeoisie nationale de Madagascar, manipulées et dirigées par l'impérialisme français.
Au cours des années 1990, les Etats-Unis viennent progressivement contester la domination impérialiste de la France à Madagascar. Le départ du pouvoir de Didier Rastsiraka en 2002 et l'arrivée du président actuel Marc Ravalomanana n'est pas étranger au soutien que lui ont prodigué les Etats-Unis. Surfant déjà à l'époque sur le désespoir de la population, celui-ci incarnait, à ce moment-là, l'espoir d'une vie meilleure. Malgré la présence d'un important contingent de l'armée française sur l'île, Marc Ravalomanana, pour rester au pouvoir, jouait ainsi de l'intérêt antagonique de la France et des Etats-Unis, ouvrant même tout récemment les portes de l'île à l'impérialisme chinois. Cette politique visait progressivement à se débarrasser du poids de l'influence française à Madagascar. En décembre 2007, un nouveau venu, Andry Rajoelina, allait se faire élire maire de la capitale de la grande île, Antananarivo, capitale qui avait justement servi précédemment de tremplin politique à Ravalomanana. Cette accession au pouvoir dans la capitale était d'autant plus facilitée que l'enrichissement du président en place et de sa clique s'étalait toujours plus au grand jour pendant que la population sombrait dans une pauvreté croissante. Depuis lors, Rajoelina (que l'on nomme le "TGV" pour son côté fonceur) a progressivement et de plus en plus ouvertement contesté le pouvoir du président actuel, s'appuyant à son tour sur le développement du mécontentement et de la colère de la population. Mais la montée en puissance de ce nouveau carnassier n'est pas, à son tour, que le produit de la réalité interne de l'île. En pleine période de bras de fer entre lui même et le président Ravalomanana, Andry Rajoelina, au mois de janvier dernier, est venu en visite à Paris et ce ne fut pas seulement pour y rencontrer l'ancien président à la solde de la France, Didier Ratsiraka, et l'ancien vice-premier ministre Pierrot Rajaonarivelo. A partir de ce moment-là, tous les yeux se sont tournés vers Paris, pour savoir ce qui se tramait dans les coulisses de l'Etat français. Cela a même obligé le maire d'Antananarivo à déclarer sur TV5 : "ne pas avoir de soutien ni des Etats-Unis, ni de l'Allemagne, ni de la France, ni de la Communauté européenne", avant d'ajouter : "Ceci dit, j'ai quand même pas mal de soutien au niveau international mais se sont des accords que je ne peux dévoiler." A partir de cette date, le massacre du 7 février à Antananarivo était comme programmé et la population était, une nouvelle fois, prise en otage entre ces différentes cliques bourgeoises locales et l'appétit des grands impérialistes, dont la France.
L'hypocrisie de la bourgeoisie n'a pas de limite. Après le massacre, le maire de la capitale qui avait jeté la population dans la rue le 7 février est venu se recueillir sous les caméras devant les cercueils exposés dans le gymnase Kianja Mitafo. Andry Rajoelina et sa clique ont alors immédiatement nommé cyniquement tous ces morts "martyrs de la transition". Il s'est auto-proclamé président de la haute-autorité pour la transition vers la IVe République. Quelques jours après le massacre et utilisant la colère contre le président en place, Rajoelina a commencé à nommer, en présence de 5000 personnes, quatre ministres de cette haute-autorité. Le face-à-face entre les deux hommes qui se disputent le pouvoir à Madagascar ne peut donc que continuer à se renforcer, et les grandes puissances comme la France et les Etats-Unis poursuivront d'autant leur politique consistant à attiser le feu entre ces deux chefs de gangs locaux, cherchant chacune à affaiblir le représentant de l'autre. Cette situation ne peut qu'apporter encore plus de souffrance et de massacres pour la population prise en otage par tous ces requins impérialistes.
Tino (26 février)C'est une nouvelle défaite des ouvriers qui se sont unis pour combattre et défier les lois capitalistes, pour défendre leur travail en pleine crise de surproduction. Pire, le paiement des arriérés de salaires promis va même dépendre de la capacité de l'entreprise de "surmonter" cette crise ([3]).
Après la grève, le syndicat les a conduit à leur première défaite, en leur faisant accepter une rotation des équipes de travail en 3 x 8, mais c'était un piège de la part des capitalistes parce que le véritable objectif de ces derniers est de les chasser, de les mettre à la porte de l'entreprise.
Les leçons de cette défaite
1. Pour résister de façon effective et puissante aux attaques capitalistes - licenciements, intensification de l'exploitation sur les chaînes de travail, mise en chômage partiel - les ouvriers unis doivent refuser les lois du capitalisme qui les empêchent de se lancer dans des grèves et de paralyser la production de l'entreprise. Pendant ces deux journées de grève, les ouvriers de Giardini ont défié les lois capitalistes, en menant une vraie lutte. Les ouvriers combatifs des Philippines dans les années 1970 et 1980 ont fait de nombreuses expériences de défi à la loi dictatoriale et militaire de l'Etat en se lançant dans des grèves.
2. Une grève isolée, comme celle organisée par les syndicats pour les ouvriers de Giardini, les a conduit à la défaite et à se soumettre à ce que voulaient les patrons et le gouvernement. Les ouvriers de Giardini se sont battus en s'opposant aux lois capitalistes. Mais ils ont combattu isolés... et c'est pourquoi ils ont été défaits.
Les seules luttes véritables aujourd'hui sont les luttes qui s'étendent dans le plus grand nombre possible d'entreprises, comme cela s'est passé dans la grève des ouvriers du textile au Bengladesh en 2006 ou dans la grève massive des ouvriers du textile en Egypte en 2006-2007. Ce n'est qu'avec l'extension de la lutte à de nombreuses usines et entreprises, qu'on peut se protéger des lois anti-ouvrières et de la répression de l'appareil d'Etat.
3. Les ouvriers doivent décider et mener eux-mêmes leur propre lutte, à travers leurs assemblées et comités de grève d'usine ou comités inter-grèves, au moins au niveau d'une ville. Ils doivent lutter en dehors du contrôle syndical ou de tout parti électoral de droite ou de gauche de la bourgeoisie. Les syndicats et les partis électoraux aux Philippines ne sont intéressés que par l'accroissement du nombre de membres de leur syndicat ou par des gains électoraux. Etant donné que la crise économique et politique s'aggrave comme jamais, la concurrence entre eux s'aiguise elle aussi. Une concurrence intense au sein des syndicats de gauche et de droite et des partis électoraux, s'aiguise de plus en plus. Les syndicats et les partis empêchent l'extension et le développement de l'unité des ouvriers parce que cela signifie l'auto-organisation de ces derniers en dehors des syndicats et des partis réformistes. Plus important que tout, les syndicats sont déjà devenus comme ailleurs des appendices de l'Etat pour protéger les intérêts du capital national.
4. Les ouvriers doivent coordonner leur lutte au niveau international et tirer les enseignements des expériences de leurs frères et sœurs de classe des autres pays, notamment dans les pays où les ouvriers ont plus d'expérience de lutte - en Europe de l'Ouest. La solidarité internationale ouvrière est la meilleure arme pour gagner le combat contre l'attaque mondiale des patrons. Le prolétariat des Philippines peut apprendre beaucoup de l'expérience des ouvriers combatifs du monde entier du déclenchement des grèves "illégales" (c'est-à-dire des grèves sauvages), qui se développent de plus en plus aujourd'hui, des réunions massives et des assemblées générales qui sont la principale forme d'organisation dans la lutte.
5. La défaite des ouvriers de Giardini a toutefois apporté des leçons profitables au prolétariat combatif des Philippines pour leurs luttes futures contre le capital national et face aux attaques de la part de leurs patrons. En cela, la lutte des ouvriers de Giardini n'a pas été vaine. Plus que jamais, le mot d'ordre : "l'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre des ouvriers eux-mêmes" reste valable et nécessaire, spécialement à l'époque de la décadence du capitalisme dans laquelle la révolution communiste est déjà à l'ordre du jour de l'histoire.
Internasyonalismo[1]) Giardini del Sole est une entreprise italienne d'exportation de meubles basée à Cebu, Philippines. Elle emploie 485 ouvriers. A cause de la crise mondiale, elle a sacrifié 245 ouvriers en les jetant à la rue et en les laissant mourir de faim.
[2]) Ils sont dirigés par le Parti ng Manggagawa (parti travailliste), parti électoral gauchiste.
[3]) "Le directeur Edmundo Mirasol a exprimé l'espoir que les troubles sociaux seraient bientôt réglés. Mirasol a dit que ce n'est qu'une fois que la compagnie pourrait payer les indemnités de licenciement, que les paiements seraient assurés par l'attribution d'une allocation de chômage" (Source URL : http//www.sunstar.com.ph.cebu/jonas-steps-row-strikers-management-come-deal [7]).
L'affaire fait grand bruit dans la presse et les couloirs du pouvoir depuis quelques semaines : Bernard Kouchner, icône a priori intouchable de l'engagement humanitaire serait un magouilleur sans morale, avide de popularité et de profit. Pierre Péan, journaliste habitué des révélations « choc » sur les mœurs des grands de ce monde, s'est attaqué, en publiant son livre Le monde selon K. , à un personnage hautement médiatique qui ne manque jamais une occasion de faire parler de lui ou de se montrer et qui s'est depuis plus de trente ans construit une image d'homme dont l'engagement n'a d'égal que l'indignation face à la misère du monde.
Pour autant, aussi spectaculaires que puissent être les résultats les plus mis en avant par les médias de l'enquête de Pierre Péan, ce ne sont pas ce qui nous semble le plus scandaleux dans le CV du « french doctor ». Le livre lui-même aborde d'autres aspects autrement plus significatifs mais qui n'ont pas été repris avec autant d'exposition médiatique.
Monsieur Kouchner aurait donc toute sa vie confondu ses engagements humanitaires et politiques avec ses intérêts personnels. Il aurait notamment monnayé des missions de conseil à bon prix en échange de subventions publiques dont il assurait la gestion, avec plusieurs pays africains. Il aurait usé de sa position ministérielle pour obtenir le paiement de son dû. Il aurait fait usage de son pouvoir pour intégrer la fonction publique. Il aurait cédé sans efforts aux sirènes de l'argent pour produire un rapport bienveillant pour une société pétrolière Total peu regardante sur le droit du travail. Il aurait offert des places de choix au sein de son cabinet ou en ambassade à ses collaborateurs, mandataires et associés dans le domaine professionnel. Il aurait même favorisé la nomination de sa femme à la tête de l'audiovisuel extérieur français. Bref, comme le résume Marianne en introduction aux « bonnes feuilles » du livre1, Bernard Kouchner aurait « peu à peu troqué sa générosité contre un cynisme calculateur ».
Sans vouloir faire un concours de cynisme, nous ne voyons pas en quoi ce serait une révélation. Le cynisme et le calcul sont deux caractéristiques minimales de tout membre de base de la bourgeoisie. C'est dire si, pour fréquenter les hautes sphères du pouvoir, il faut être particulièrement prodigue en la matière. Bernard Kouchner, de par sa carrière politique qui l'emmène du PCF au gouvernement Fillon en passant par le PS, le PRG et de nouveau le PS, montre à quel point il a toujours su sentir le sens du vent et profiter de sa force pour faire avancer son navire. Avide de pouvoir et d'argent, et c'est bien un minimum pour les gens de sa classe, il a aussi et surtout su faire preuve d'un grand talent pour servir les intérêts de son pays, tout particulièrement sur le terrain impérialiste.
A la sortie du livre, plusieurs membres du gouvernement se sont empressés de soutenir leur collègue, jusqu'au président Sarkozy qui, dans son show multi-télévisé, a balayé les accusations d'une seule phrase : « Sa vie parle pour lui ».
On ne peut mieux dire. Le jeune Bernard a même montré des aptitudes précoces qui le prédestinaient très tôt à la grande carrière qu'il fit ensuite. Et c'est même sur ce plan-là que résident les aspects les plus indignes de son parcours, bien plus en tout cas que quelques magouilles et abus de pouvoir.
Alors que tout frais sorti des ses études de gastro-entérologie, Bernard Kouchner se rend au Biafra à la fin des années 1960, c'est déjà pour participer à la politique impérialiste de la France, menée à l'époque par Jacques Foccart, le Monsieur Françafrique de l'Elysée. En dénonçant le « génocide » perpétré par le pouvoir nigérian, le futur fondateur de Médecins Sans Frontières apporte son soutien aux sécessionnistes alors appuyés par la France dans une guerre civile qui allait provoquer plus d'un million de morts.
Par la suite, il ne cessera de promouvoir le concept de « droit d'ingérence », inventé par le philosophe Jean-François Revel pendant la guerre du Biafra justement, et qui fut institutionnalisé par le président de la République François Mitterrand. Au nom de ce « droit » selon lequel « on ne laisse pas les gens mourir », les grandes puissances ont pu monter des opérations militaires hors de tout cadre dans de nombreux pays en proie à la guerre, sous couvert d'intervention humanitaire. Véritable paravent aux forces armées, le droit d'ingérence avait trouvé en Bernard Kouchner son plus talentueux VRP, qui poussa même l'inventivité jusqu'à compromettre les écoliers français dont les sacs de riz serviront de voie d'entrée de l'armée française en Somalie en 1992.
Au Rwanda, il fera le même usage de "l'ingérence humanitaire" pour propulser l'armée qui, avec force moyens humains et matériels, encadrera un des pires massacres jamais perpétrés.2
A son arrivée au ministère qu'il occupe encore aujourd'hui, il tenta de refaire le même coup au Darfour.
Et ce ne sont que quelques exemples dans une vie qui, Nicolas Sarkozy a raison sur ce point, parle suffisamment pour qu'on ne puisse émettre le moindre doute sur le dévouement absolu de son ministre au service de l'impérialisme français. Que ce soit un sac de riz sur le dos ou un enfant décharné dans les bras, c'est toujours en faisant vibrer la corde humanitaire qu'il fera accepter à l'opinion choquée la complicité de la France (comme celle des autres grandes puissances) dans la misère et les horreurs de la guerre. Comme un assassin qui pleure sur le corps de sa victime, Bernard Kouchner s'indigne des massacres qu'il a contribué à perpétrer. Bien au-dessus de son mélange des genres à vocation lucrative qui aujourd'hui défraie la chronique, c'est cette posture méprisable, adoptée depuis 40 ans, partout où l'impérialisme français a fait couler le sang, qui soulève notre indignation.
La bourgeoisie est une classe de profiteurs et de cyniques. Ce qui distingue les plus grands, c'est cette capacité, que Bernard Kouchner possède à l'évidence, de repousser toujours les limites du cynisme et de l'abjection, de se débarrasser de tout sens moral dès lors que les intérêts de sa classe, la bourgeoisie, sont en jeu.
GD (18 février)
1Marianne du 31 janvier 2009.
2Lire par exemple notre article [9] paru dans RI n° 345.
Nous invitons tous nos lecteurs à venir participer au débat afin que les générations d’aujourd’hui puissent se réapproprier les leçons de cette expérience du mouvement ouvrier.CAEN
le samedi 28 mars à 17 h,
Rendez-vous à 16 h 45
devant le Grand Théâtre
de Caen, esplanade Jo-Tréhard,
afin de se rendre ensuite
sur les lieux de la réunion publique.
LILLE
le samedi 11 avril à 14 h 30,
MRES, 23, rue Gosselet
LYON
le samedi 7 mars à 17 h, CCO,
39, rue Georges-Courteline,
à Villeurbanne
(bus 27, 37, 38, arrêts Antonins)
MARSEILLE
le samedi 25 avril à 17 h,
association Mille Bâbords,
61, rue Consolât (métro Réformé)
NANTES
le samedi 21 mars à 16 h,
3, rue de l’Amiral-Duchaffault
(quartier Mellinet)
PARIS
le samedi 14 mars à 15 h,
CICP, 21 ter rue Voltaire,
métro Rue-des-Boulets (11e)
toulouse
le samedi 21 mars à 15 h,
restaurant On’Nador,
5, rue de l’Université-du-Mirail,
métro Mirail-Université
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/120/pakistan
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/37/grande-bretagne
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/geographique/afrique
[7] http://www.sunstar.com.ph.cebu/jonas-steps-row-strikers-management-come-deal
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/243/philippines
[9] https://fr.internationalism.org/ri345/genocide_Rwanda.htm
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/bernard-kouchner
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/interventions