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Luttes de décembre 95 dans la fonction publique en France - victoire pour les syndicats ; défaite pour la classe ouvrière

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Luttes de décembre 95 dans la fonction publique en France - victoire pour les syndicats ; défaite pour la classe ouvrière - Introduction

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"Le mouvement social le plus important depuis mai 68", "une formidable mobilisation" : voilà en quels termes la presse et la télévision bourgeoises elles-mêmes célébraient, à grand renfort de publicité, les luttes dans la Fonction publique de novembre/décembre 1995 en France contre le plan Juppé. Et ce sont encore les médias qui, avec les syndicats, ont été les premiers, à l'issue du mouvement, à présenter celui-ci comme une "grande victoire ouvrière". Que ce soit ceux dont le rôle a toujours été au contraire de dénigrer, minimiser ou carrément passer sous silence, quand ils le pouvaient, les luttes ouvrières les plus significatives constitue déjà un sérieux indice du fait que la bourgeoisie a voulu mystifier les prolétaires. Cela doit les inciter à la plus vive méfiance et à la réflexion sur ce qu'a réellement été cette mobilisation.

En réalité, cette prétendue victoire de la classe ouvrière, loin de l'avoir renforcée dans sa capacité de résistance aux attaques de la bourgeoisie, l'a au contraire laissée encore plus vulnérable face à celles-ci. Ainsi, dans les mois qui suivirent décembre 95, c'est l'essentiel des mesures du plan Juppé qui sont passées, et d'autres encore. Loin d'avoir permis aux ouvriers de "relever la tête", "tous ensemble" dans la lutte, elle n'a fait qu'affaiblir leur conscience du rôle anti-ouvrier des syndicats. Tout ce que dans les années 80 ils avaient appris en confrontation à la politique de ces saboteurs de la lutte de classe, se trouve oublié momentanément.

Aujourd'hui, beaucoup d'ouvriers ont perdu des illusions sur les luttes de décembre 95. Néanmoins, rares sont ceux qui parviennent à la pleine conscience que la formidable mobilisation en question n'a été rien d'autre qu'une manoeuvre de la bourgeoisie destinée à renforcer la capacité d'encadrement de la classe ouvrière par les syndicats.

La manipulation bourgeoise à l'oeuvre dans les grèves et manifestations de décembre 95 ne peut se comprendre que dans le contexte du profond recul subi par l'ensemble du prolétariat au niveau de sa conscience, suite aux campagnes idéologiques sur l'effondrement du stalinisme en 1989 et au battage intense sur la "mort du communisme ", La profonde désorientation qui en a résulté dans les rangs ouvriers, si elle n'a pu aboutir à une résignation du prolétariat l'amenant à abandonner le terrain de sa défense contre les attaques du capital, a néanmoins rendu beaucoup plus difficiles les conditions de son combat. Elle s'est traduite en particulier à travers une perte de confiance importante de la classe ouvrière en ses propres forces et par un regain d'illusions en son sein sur la possibilité de s'aménager une place au sein du système.

Mais, face aux attaques brutales que le capitalisme en crise a déchaîné contre eux, et n'ayant d'autre issue que de se défendre dans la lutte, les prolétaires ne sont pas restés passifs. Dés 1992, en Italie, ils ont repris le chemin des luttes. Consciente du danger, la bourgeoisie ne pouvait rester sans réagir. Afin de pouvoir porter ses attaques au niveau requis par l'aggravation catastrophique de la crise économique mondiale, elle se devait absolument d'affaiblir le prolétariat en mettant à profit le recul en son sein avant qu'il ne soit surmonté.

C'est ainsi que, depuis 1993, alors que des mouvements de luttes, notamment dans la Ruhr, tendaient à nouveau à présenter des caractéristiques des années 80 (rejet des consignes syndicales, recherche de l'unité au-delà du secteur) elle développa au niveau international toute une stratégie dont l'objectif central était de re-crédibiliser les syndicats afin qu'ils soient à même de saboter efficacement les ripostes de la classe ouvrière.

Cette stratégie a commencé à porter ses fruits dès l'année 1994, à travers une tendance à la reprise en mains des luttes par les syndicats, en Allemagne et en Italie notamment, et a connu une totale réussite lors du mouvement de décembre 95 en France. Décidée a anticiper la remontée générale de la combativité dans la classe ouvrière, la bourgeoisie a poussé le plus possible d'ouvriers dans un combat prématuré alors qu'ils n'avaient, dans la plupart des secteurs, pas encore la force ni la détermination pour engager massivement la lutte. Grâce à la réelle provocation que constituait le plan Juppé pour certains secteurs, les syndicats lancèrent d'abord ceux-ci dans la lutte. Forts de leur nouvelle image au sein de la classe ouvrière, ils parvinrent à entraîner derrière ces secteurs des centaines de milliers d'ouvriers de la Fonction publique, tout en gardant un contrôle étroit et total sur la lutte, du début à la fin, sans qu'ils aient eu à craindre le moindre débordement.

Si, dans tous les pays du monde, la bourgeoisie a fait une publicité très importante au mouvement de décembre 95, c'est bien parce que cela servait ses intérêts. Non seulement l'exemple qu'il donnait ne constituait en rien une menace pour ses intérêts, mais encore représentait un excellent moyen de faire croire que les ouvriers en France avaient retrouvé toute leur force, leur capacité de lutte et leur confiance en eux mêmes ... grâce aux syndicats. Certaines bourgeoisies allèrent même jusqu'à reproduire dans leur propre pays une manoeuvre semblable destinée à améliorer l'image ouvrière et combative de leurs syndicats. Ce fut le cas en Allemagne et surtout en Belgique, où la manoeuvre revêtit la forme d'une quasi-réplique de ce qui venait de s'achever moins d'une semaine auparavant en France.

Si nous publions aujourd'hui cette brochure, constituée d'une sélection d'extraits d'articles et d'autres moyens de l'intervention du CCI, diffusés au sein des luttes elles-mêmes ou dans les mois qui suivirent, c'est pour contribuer à la nécessaire clarification dans la classe ouvrière sur les événements eux-mêmes, et plus généralement sur les leçons qu'il faut en tirer. Parmi celles-ci, il y a en premier lieu la nécessaire reconnaissance de la capacité qu'a la bourgeoisie d'agir de façon préventive en suscitant le déclenchement de mouvements sociaux que le prolétariat dans son ensemble n'est pas encore capable d'assumer et dont il ne peut sortir que vaincu. A une toute autre échelle, et avec alors des enjeux considérables, c'est une telle tactique que la bourgeoisie employa contre la montée de la révolution en Allemagne. Elle provoqua les ouvriers de Berlin qui se lancèrent en janvier 1919 dans l'insurrection et furent massacrés, alors que ceux de la province n'étaient pas prêts à se soulever.

Ainsi, s'il veut pouvoir développer sa lutte face à des attaques aux conséquences de plus en plus dramatiques pour ses conditions d'existence, le prolétariat ne pourra pas faire l'économie d'apprendre à déceler, analyser les pièges de son ennemi mortel afin de pouvoir le combattre et le vaincre. En particulier, dans ses luttes, la classe ouvrière ne pourra pas échapper à la nécessité de se confronter aux syndicats.

CCI (juillet 97).

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

I - Une manoeuvre de portée internationale visant à renforcer le contrôle des syndicats sur la classe ouvrière

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Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

1 - La manoeuvre en France

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Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Un an après les grèves contre le plan Juppé : Que reste-t-il de la prétendue victoire ouvrière de décembre 95 ?

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Il y a un an, la méga-mobilisation syndicale contre le plan Juppé battait son plein en France et donnait lieu à un battage médiatique sans précédent à l'adresse des prolétaires. Les trois semaines de grèves dans la fonction publique, la paralysie complète des transports, les «records» de mobilisation des manifestations, les commentaires appuyés des médias sur la «popularité» de la grève, enfin la «victoire» finale des cheminots, tout cela avait laissé la classe ouvrière dans une espèce d'euphorie grisante. Le mouvement n'avait-il pas été victorieux ? Juppé n'avait-il pas tremblé devant la masse des manifestants ? La classe ouvrière n'avait-elle pas retrouvé «sa dignité» et renoué avec la «solidarité» et «l'unité dans la lutte» ? Il y a un an, celui qui émettait le moindre doute là-dessus passait au mieux pour un rabat-joie, au pire pour un «jaune». Et pour mieux envelopper la classe ouvrière dans cette euphorie de la victoire et dans ce sentiment trompeur de puissance retrouvée, la bourgeoisie mettait les bouchées doubles. Des syndicats aux médias, des gauchistes aux instances patronales et gouvernementales, tous s'accordaient à voir dans l'événement un «nouveau mai 68», le prototype de futures «explosions sociales» du même acabit qu'il fallait s'attendre à voir surgir un peu partout. Loin de la conspiration du silence des médias qu'on a connue dans les années 80 vis-à-vis des luttes ouvrières qui se développaient partout en Europe, ce mouvement là a eu droit à une publicité médiatique phénoménale. La classe ouvrière dans tous les pays était ainsi invitée à faire du «décembre 95 français», l'exemple à suivre, la référence incontournable de tous ses combats à venir et, surtout, à voir dans les syndicats, qui avaient été si «combatifs», si «unitaires» et si déterminés tout au long des événements, leurs meilleurs alliés pour se défendre contre les attaques du capital.

 

Non le vainqueur de décembre 95 ne fut certainement pas la classe ouvrière. Les grands gagnants de l'opération ce sont ceux qui l'ont mise sur pied et orchestrée du début à la fin : les syndicats d'abord et en même temps qu'eux le gouvernement.

 

Décembre 95 : une victoire pour la bourgeoisie...

 

Parfaitement complices, c'est ensemble et de manière concertée que syndicats et gouvernement ont monté cette gigantesque manoeuvre, dans un seul but : renforcer considérablement les instruments de sabotage des luttes ouvrières que sont les syndicats et permettre ainsi au gouvernement d'avoir les mains plus libres pour assener ses attaques anti-ouvrières.

 

Face à l'usure accélérée des syndicats et à la défiance qu'avaient suscitée dans les rangs ouvriers 35 ans de sabotage syndical de leurs luttes, il était urgent pour la bourgeoisie d'imprimer une nouvelle image positive de ses officines d'encadrement de la classe ouvrière et de pousser les ouvriers à leur faire confiance. Pour ce faire, les syndicats ont pris l'initiative de lancer un mouvement qui, du début à la fin, est resté sous leur parfait contrôle, et dans lequel ils se sont offert une image inhabituellement «radicale», «combative» et «unitaire».

 

Quant au «recul» du gouvernement sur le contrat plan de la SNCF et le maintien du régime de retraite de l'entreprise, il faisait pleinement partie, dès le début, de la manoeuvre. Loin d'être une «gaffe», l'annonce, simultanément au plan Juppé sur la sécurité sociale, d'attaques ciblant spécifiquement les cheminots était une provocation parfaitement calculée qui allait permettre de lancer le mouvement. De leur côté, les syndicats allaient se servir de la combativité existant chez les cheminots pour pousser par tous les moyens le maximum d'ouvriers à se lancer dans un mouvement parfaitement encadré, qu'ils n'étaient pas prêts à mener et qu'ils ne contrôlaient pas. Il a suffi que, 3 semaines plus tard, Juppé retire les attaques concernant la SNCF, pour que toute cette mobilisation sous contrôle, retombe aussitôt comme un soufflé. Non seulement le gouvernement avait fait passé ce qu'il voulait, mais les syndicats en sont ressortis renforcés et auréolés d'une image de combativité et de défense des intérêts ouvriers totalement usurpée.

 

...une défaite pour la classe ouvrière

 

Beaucoup d'ouvriers sont aujourd'hui désorientés. L'euphorie d'hier a laissé la place à la gueule de bois et à l'amertume. Le constat que la «victoire» de 95 n'était qu'un leurre et le sentiment d'avoir été illusionné s'est répandu dans les rangs ouvriers

 

Aux cris de triomphe des syndicalistes d'hier clamant que, grâce à eux, le mouvement avait fait reculer Juppé, s'oppose le constat d'évidence : le plan Juppé est passé intégralement. Quant à l'illusion que cette «expérience» aurait permis à la classe ouvrière de se renforcer en réapprenant à se défendre, qu'elle y aurait retrouvé ses réflexes de lutte, de solidarité de classe et d'unité, elle aussi s'est révélée une chimère. Depuis un an, les attaques gouvernementales et patronales n'ont fait que redoubler de violence : outre la mise en place, mois après mois, des mesures du plan Juppé, les hausses de prélèvements et baisses des allocations sociales, la bourgeoisie a déchaîné sur la classe ouvrière une avalanche de coups sans précédents, sous forme de plans sociaux à répétition et leurs charrettes de licenciements (Moulinex, Crédit Lyonnais, arsenaux, Alcatel, sans parler des centaines de petites entreprises qui ont «dégraissé» à tour de bras) et de suppressions de postes dans la fonction publique.

 

A tout cela les ouvriers ont été incapables d'opposer la moindre résistance sérieuse, et pour cause. Pris dans la nasse de syndicats renforcés par leur nouvelle image, les ouvriers en butte aux attaques se sont retrouvés ballades, atomisés, dispersés dans des actions syndicales impuissantes et isolées, sans trouver la force de contester et encore moins de déborder cet encadrement syndical omniprésent. Bref, les syndicats ont eu les mains plus libres que jamais pour faire leur sale boulot habituel de saucissonnage, de division et de sabotage ouvert.

 

Face à la combativité ouvrière montante, la bourgeoisie déploie d'autres pièges

 

En même temps, face à l'accumulation des attaques anti-ouvrières, un mécontentement beaucoup plus profond et général que celui qui existait l'an dernier se développe aujourd'hui dans tous les secteurs de la classe ouvrière. Il y a un an, lorsqu'elle a mis en place sa manoeuvre, la bourgeoisie savait très bien que la classe ouvrière n'était pas encore prête à en découdre et que compte tenu de la combativité faible et minoritaire qui existait à ce moment là, elle ne risquait guère de voir les actions «unitaires» lancées par les syndicats échapper à son contrôle. C'est bien pour cela qu'elle avait choisi ce moment-là pour lancer sa gigantesque opération de crédibilisation des syndicats.

 

Voilà pourquoi si aujourd'hui les syndicats continuent d'être omniprésents sur tous les terrains, on ne les voit plus du tout «pousser à la lutte» à tout prix et chercher à mobiliser le maximum d'ouvriers, comme ils l'ont fait l'année dernière. Les journées d'actions et manifestations syndicales qui se sont succédées depuis le début de cet automne 96 contrastent violemment avec les méga-mobilisations d'il y a un an et leur fameux «Juppéthon». Les syndicats font tout pour limiter volontairement l'ampleur des manifestations, comme on l'a vu le 17 octobre dernier et plus encore lors de la «semaine d'action» du 12 au 16 novembre. A «l'unité syndicale» dont les grandes centrales se glorifiaient hier, a succédé une stratégie de «division» maximale entre ces différentes officines qui leur permettent, selon leur pratique de sabotage habituel, de disperser au maximum la colère ouvrière. Hier déterminés à «rassembler» à tout prix une combativité ouvrière qui était faible, hétérogène et minoritaire, les syndicats font aujourd'hui tout pour émietter une colère et une combativité qui mûrissent dangereusement.

 

La bourgeoisie sait très bien que l'accumulation des attaques anti-ouvrières, la plongée catastrophique de son système dans la crise vont immanquablement pousser la classe ouvrière à reprendre l'initiative de la lutte. C'est bien pour s'y préparer qu'elle a tout fait pour renforcer préalablement ses organes d'encadrement syndicaux.

 

Mais, si la classe dominante ne peut pas répéter toujours la même manoeuvre, si la montée de la combativité ouvrière ne lui permet pas aujourd'hui de prendre le risque de provoquer de nouvelles mobilisations massives des prolétaires sur leur terrain de classe, elle ne baisse pas les bras pour autant et ne renonce pas à déployer ses pièges pour désarmer la classe ouvrière. (...)

 

La manoeuvre de décembre 95 en France avait servi de laboratoire et de référence pour toutes les bourgeoisies européennes. Dans les semaines et mois qui ont suivi, des manoeuvres similaires ont vu le jour dans d'autres pays, comme en Belgique et en Allemagne. Aujourd'hui, ce sont les événements de Belgique qui donnent le ton au niveau international de l'offensive que déploie la bourgeoisie pour désamorcer le danger social. Ce n'est pas par hasard si le retentissement médiatique international donné aux manifestations autour de l'affaire Dutroux est tout à fait comparable à celui auquel avaient eu droit celles de décembre 95 en France contre le plan Juppé. L'utilisation des médias fait partie du terrible arsenal de la classe dominante pour bourrer les crânes et brouiller les consciences. Et c'est bien contre la conscience de la classe ouvrière que la bourgeoisie mène l'offensive, aussi bien quand elle cherche à re-crédibiliser les syndicats que lorsqu'elle tente de la mobiliser en dehors de son terrain de classe. C'est à la prise de conscience de la faillite de ce système et de la nécessité de le détruire, qu'elle s'attaque en entretenant l'illusion d'un capitalisme réformable et aménageable grâce aux institutions syndicales et démocratiques.

 

oOo

 

Dans l'amertume et la désillusion ressentie aujourd'hui dans les rangs ouvriers, un an après leur prétendue «grande victoire», il n'y a pas qu'un simple constat de défaite et un désarroi. Il y a aussi le début d'une réflexion qui fait son chemin sur les raisons de cette défaite, de cette impuissance. Il appartient aux ouvriers de tirer toutes les leçons de cette expérience. Et cela veut dire qu'ils doivent aussi regarder en arrière, bien au delà des «décembre 95 français» et «automne 96 belge» que la bourgeoisie dressent comme des écrans pour empêcher la classe ouvrière de renouer avec ses réelles expériences de lutte. Ce sont les expériences des combats menés depuis 1968, où la classe ouvrière avait appris à se confronter aux syndicats, où elle avait su démasquer leur rôle véritable, et où, en particulier dans les années 80, elle avait commencé à prendre en mains ses luttes et à rechercher par sa propre initiative à les étendre et les unifier ; ce sont celles-là qui doivent servir de guide à l'heure de reprendre le combat.

"Révolution Internationale" n°263 Décembre 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

L'exécution et les objectifs de la manoeuvre

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Des centaines de milliers de travailleurs en grève. Les transports urbains complètement paralysés. Une grève qui s'étend au sein du secteur public : d'abord les chemins de fer, le métro et les bus, ensuite la poste, les secteurs de la production et de la distribution de l'électricité, de la distribution du gaz, des Télécom, de l'enseignement, de la santé. Certains secteurs du privé également en lutte, comme les mineurs qui s'affrontent violemment à la police.

 

Des manifestations rassemblant à chaque fois un nombre important de manifestants de différents secteurs : le 7 décembre, à l'appel de différents syndicats[1], on compte environ un million de manifestants contre le plan Juppé[2] dans les principales villes de France. Deux millions le 12 décembre.
Le mouvement de grèves et de manifestations ouvrières se déroule sur toile de fond d'agitation des étudiants avec la participation de ceux-ci à certaines manifestations ou assemblées générales ouvrières. La référence à mai 1968 est de plus en plus présente dans les médias, lesquelles ne manquent pas d'établir le parallèle : le ras le bol généralisé, les étudiants dans la rue, les grèves qui s'étendent.

 

 

 

Serait-on en présence d'un nouveau mouvement social comparable à celui de mai 1968 qui avait donné le coup d'envoi de la première vague internationale de lutte de classe après 50 ans de contre révolution ? Non. Il ne s'agit nullement de cela. En réalité, le prolétariat en France est la cible d'une manoeuvre d'ampleur destinée à l'affaiblir dans sa conscience et dans sa combativité, une manoeuvre qui s'adresse également à la classe ouvrière des autres pays afin de lui faire tirer de fausses leçons des événements en France. C'est la raison pour laquelle, à l'inverse de ce qui se passe quand la classe ouvrière entre en lutte de sa propre initiative, sur son propre terrain, la bourgeoisie en France et dans d'autres pays a donné un tel retentissement à ces événements.

 

La bourgeoisie utilise et renforce les difficultés de la classe ouvrière

 

Les événement de mai 1968 en France avaient été annoncés par toute une série de grèves dont la caractéristique majeure était une tendance au débordement des syndicats, voire à la confrontation avec ces derniers. Ce n'est en rien la situation aujourd'hui, ni en France, ni dans les autres pays.

 

Il est vrai que l'ampleur et la généralisation des attaques que la classe ouvrière a subies depuis le début des années 1990 tendent à alimenter sa combativité ainsi que nous le mettions en évidence dans la résolution sur la situation internationale adoptée par notre 11e Congrès international : "Les mouvement massifs en Italie, à l'automne 1992, ceux en Allemagne de 1993 et beaucoup d'autres exemples ont rendu compte du potentiel de combativité qui croissait dans les rangs ouvriers. Depuis, cette combativité s'est exprimée lentement, avec de longs moments de mise en sommeil, mais elle ne s'est pas démentie. Les mobilisations massives à l'automne 1994 en Italie, la série de grèves dans le secteur public en France au printemps 1995, sont des manifestations, parmi d'autres, de cette combativité"[3].

 

Cependant, la manière dont se développe cette combativité est encore profondément marquée par le recul que la classe ouvrière a subi lors de l'effondrement du bloc de l'Est et le déchaînement des campagnes sur la "mort du communisme", recul le plus important depuis la reprise historique de ses combats de classe en 1968 : "Les luttes menées par le prolétariat au cours de ces dernières années ont aussi témoigné des énormes difficultés qu 'il rencontre sur le chemin du combat de classe, du fait de la profondeur et de l extension de son recul. C'est de façon sinueuse, avec des avancées et des reculs, dans un mouvement en dents de scie que se développent les luttes ouvrières." Partout la classe ouvrière trouve face à elle une classe bourgeoise à l'offensive politique pour affaiblir sa capacité à riposter aux attaques et à surmonter le profond recul de sa conscience. A l'avant garde de cette offensive, les syndicats : "Les manoeuvres présentes des syndicats ont aussi et surtout un but préventif. II s'agit pour eux de renforcer leur emprise sur les ouvriers avant que ne se déploie beaucoup plus leur combativité, combativité qui résultera nécessairement de leur colère croissante face aux attaques de plus en plus brutales de la crise (...) Déjà les grèves du printemps en France, en fait des journées d'action des syndicats, ont constitué un succès pour ces derniers."

 

Au niveau international et depuis quelques mois, la classe ouvrière des pays industrialisés est soumise à un véritable bombardement d'attaques. En Suède, Belgique, Italie, Espagne, pour ne citer que les derniers exemples en date. En France, jamais depuis le premier plan Delors en 1983, la bourgeoisie n'avait osé porter un tel coup de massue aux ouvriers avec, à la fois : augmentation du taux de TVA, c'est-à-dire des taxes à la consommation (entraînant, évidemment, une hausse des prix), augmentation des impôts et du forfait hospitalier (montant de la journée d'hôpital non remboursé par la Sécurité sociale), gel des salaires des fonctionnaires, baisse des pensions de retraites, augmentation de la durée de travail nécessaire avant de pouvoir prendre la retraite pour certaines catégories de fonctionnaires, alors que, dans le même temps, les chiffres officiels de la bourgeoisie commencent à montrer une reprise de l'augmentation du chômage. En fait, comme ses consoeurs de tous les autres pays, la bourgeoisie française est confrontée à une aggravation croissante de la crise mondiale du capitalisme qui l'oblige à attaquer toujours plus les conditions d'existence des prolétaires. Et cela est d'autant plus indispensable pour elle qu'elle a pris un retard important tout au long des années où la gauche, avec Mitterrand et le PS, se trouvait à la tête de l'Etat ce qui dégarnissait passablement le terrain social et l'obligeait à une certaine "timidité" dans ses politiques anti-ouvrières.

 

Une telle avalanche d'attaques ne pouvait qu'alimenter la combativité ouvrière qui s'était déjà exprimée à différents moments et dans différents pays : Suède, France, Belgique, Espagne...

 

En effet, face à cela, les prolétaires ne peuvent rester passifs. Ils n'ont d'autre issue que de se défendre dans la lutte. Mais, pour empêcher que la classe ouvrière n'entre dans le combat avec ses propres armes, la bourgeoisie a pris les devants et elle l'a poussée à partir prématurément en lutte sous le contrôle total des syndicats. Elle n'a pas laissé aux ouvriers le temps de se mobiliser à leur rythme et avec leurs moyens : les assemblées générales, les discussions, la participation aux assemblées d'autres lieux de travail que le sien, l'entrée en grève si le rapport de forces le permet, l'élection de comités de grèves, les délégations aux autres assemblées d'ouvriers en lutte.

 

Ainsi le mouvement de grèves qui vient de se dérouler en France, s'il révèle l'existence d'un profond mécontentement dans la classe ouvrière, est avant tout le résultat d'une manoeuvre de très grande ampleur de la bourgeoisie visant à amener les travailleurs à une défaite massive et, surtout à provoquer, chez eux une profonde désorientation.

 

Un piège tendu aux ouvriers

 

Pour mettre en place son piège, la bourgeoisie a manoeuvré de main de maître, faisant coopérer de façon très efficace ses différentes fractions qui se sont partagées le travail : la droite, la gauche, les médias, les syndicats, la base radicale de ceux-ci constituée essentiellement de militants des fractions d'extrême gauche. En premier lieu, pour engager sa manoeuvre, la bourgeoisie doit faire partir en grève un secteur de la classe ouvrière. Le développement du mécontentement au sein de celle-ci en France, aggravé par les récentes attaques sur la Sécurité sociale, pour être réel n'est cependant pas encore assez mûr pour provoquer l'entrée en lutte massive de ses secteurs les plus décisifs, particulièrement ceux de l'industrie. C'est un facteur favorable à la bourgeoisie car, en poussant dans la grève le secteur qu'elle va provoquer, il n'y a pas le risque que les autres suivent spontanément et débordent l'encadrement syndical. Le secteur " choisi "est celui des conducteurs de train. Avec le " contrat de plan " qu'elle annonce pour la compagnie des chemins de fer (SNCF), la bourgeoisie les menace de devoir travailler huit années supplémentaires avant de pouvoir partir en retraite sous le prétexte qu'ils sont des "privilégiés" sur ce plan par rapport aux autres employés de l'Etat. C'est tellement énorme que les ouvriers ne prennent même pas la peine de réfléchir avant de se lancer dans la bagarre. C'est justement ce qui était recherché par la bourgeoisie : ils s'engouffrent dans l'encadrement que leur avaient préparé les syndicats. En vingt-quatre heures, les conducteurs du métro et des bus parisiens, menacés de perdre certains avantages catégoriels de même type, sont entraînés dans un piège similaire. Les syndicats mettent le paquet pour forcer l'entrée en grève, alors que de nombreux ouvriers, perplexes, ne comprennent pas cette précipitation. La direction de la RATP (Régie des transports parisiens) vient à la rescousse des syndicats en prenant l'initiative de fermer certaines lignes et en faisant tout pour empêcher de travailler ceux qui le désirent.

 

Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle choisi ces deux catégories de travailleurs pour engager sa manoeuvre ?

 

Certaines de leurs caractéristiques constituaient des éléments favorables à la mise en oeuvre du plan bourgeois. Ces deux catégories ont effectivement des statuts particuliers dont la modification constitue un prétexte tout trouvé pour déclencher une attaque les concernant spécifiquement. Mais il y a surtout la garantie que, une fois les cheminots et les conducteurs du métro et des bus en grève, l'ensemble des transports publics sera paralysé. Outre le fait qu'un tel mouvement ne peut passer inaperçu pour aucun ouvrier, c'est un moyen supplémentaire, et d'une très grande efficacité, que se donne ainsi la bourgeoisie pour éviter les débordements, alors que son objectif est de poursuivre l'extension de la grève à d'autres secteurs du secteur public. Ainsi, sans transports, le principal et quasiment unique moyen de se rendre aux manifestations, c'est de prendre les cars syndicaux. Aucune possibilité de se rendre massivement à la, rencontre d'autres ouvriers en grève, dans leurs assemblées générales. Enfin, la grève des transports c'est, en plus de tout cela, un moyen de diviser les ouvriers en les montant les uns contre les autres, alors que ceux qui sont privés de transports doivent faire face aux pires difficultés pour rejoindre quotidiennement leur lieu de travail.

 

Mais les cheminots ne sont pas seulement un moyen de la manoeuvre, ils sont également spécifiquement visés par elle. La bourgeoisie était consciente des avantages qu'elle tirerait à épuiser et embrouiller la conscience de ce secteur de la classe ouvrière qui s'était illustré en décembre 1986 par sa capacité à s'affronter à l'encadrement syndical pour entrer en lutte. Une fois ces deux secteurs en grève sous le contrôle total des syndicats, la phase suivante de la manoeuvre peut être exécutée : la grève dans un secteur traditionnellement combatif et avancé de la classe ouvrière, celui des postes, et tout particulièrement, en son sein, les centres de tri. Dans les années 1980, ces derniers avaient souvent résisté aux pièges des syndicats, n'hésitant pas à la confrontation avec eux.

 

En incorporant ce secteur au "mouvement", la bourgeoisie vise à l'emprisonner dans les mailles de la manoeuvre, afin de le neutraliser et de lui infliger la même défaite qu'à d'autres secteurs. De plus, la manoeuvre s'en trouverait encore plus efficace face aux secteurs qui ne sont pas encore en grève, le mouvement obtenant ainsi une certaine légitimité apte à diminuer partout ailleurs la méfiance ou le scepticisme à son égard. Néanmoins, vis-à-vis de ce secteur, la bourgeoisie se devait de procéder plus finement encore que précédemment avec les cheminots ou de métro. Pour cela, elle a suscité et organisé des "délégations d'ouvriers", ne présentant aucun signe apparent d'appartenance syndicale (et probablement composés d'ouvriers sincères trompés par des syndicalistes de base), qui sont venues appeler à la lutte les ouvriers des centres de tri réunis en assemblées générales. Trompés sur la véritable signification de ces délégations, les ouvriers des principaux centres de tri postal se laissent ainsi entraîner dans la lutte. Afin de donner le maximum d'impact médiatique à l'événement, la bourgeoise a dépêché sur place ses journalistes, et le journal Le Monde en fera la une de son édition du soir même.

 

A ce stade de déploiement de la manoeuvre, F ampleur déjà atteinte par le mouvement donne du poids aux arguments des syndicats pour y agglomérer de nouveaux secteurs : les ouvriers de l'électricité, du gaz, des Télécom, les enseignants. Face aux hésitations de certains ouvriers sur le bien fondé de la "lutte maintenant", face à leur insistance pour en discuter les modalités et les revendications, les syndicats opposent la formule péremptoire "c'est maintenant qu'il faut y aller" et culpabilisent ceux qui ne sont pas encore en lutte : "nous sommes les derniers à ne pas encore être en grève". Afin d'augmenter davantage encore le nombre des grévistes, il faut faire croire qu'il se développe un vaste et profond mouvement social. A les en croire tous, syndicats, gauche, gauchistes, le mouvement susciterait même un immense espoir dans l'ensemble de la classe ouvrière. A l'appui de cela, il y a la publication quotidienne par les médias d'un "indice de popularité" de la grève, toujours favorable à celle-ci dans l'ensemble de la "population". C'est vrai que la grève est "populaire" et qu'elle est ressentie par beaucoup d'ouvriers comme un moyen d'empêcher le gouvernement d'asséner ses attaques. Mais la sollicitude dont elle est l'objet dans les médias, et particulièrement à la télévision, est bien la preuve que la bourgeoisie est intéressée à ce qu'il en soit ainsi et que cette popularité soit gonflée au maximum.

 

Les étudiants font aussi partie, à leur insu, de la mise en scène. On les a fait descendre dans la rue pour donner l'impression d'une montée générale des mécontentements, pour faire croire qu'il y a des ressemblances pleines d'espoir avec mai 1968, et en même temps pour noyer les revendications ouvrières dans les revendications interclassistes dont sont porteurs les étudiants. On les retrouve même jusque dans les assemblées sur les lieux de travail, "à la rencontre des luttes ouvrières", et cela avec la bénédiction des syndicats [4].

 

Toute initiative est retirée à la classe ouvrière qui n'a d'autre choix que de suivre les syndicats. Dans les assemblées générales convoquées par ces derniers, l'insistance pour que les ouvriers s'expriment n'a d'autre signification que de donner un simulacre de vie à l'assemblée alors que tout est décidé par ailleurs. Au sein de celles-ci, la pression syndicale pour l'entrée en grève est tellement forte que des fractions significatives d'ouvriers, pour le moins dubitatifs sur la nature de cette grève, n'osent pas s'exprimer. Pour certains autres au contraire, complètement mystifiés, c'est l'euphorie d'une unité factice. En fait, une des clés de la réussite de la manoeuvre de la bourgeoisie est le fait que les syndicats ont systématiquement repris à leur compte, pour les dénaturer et les retourner contre elle, des aspirations et des moyens de lutte de la classe ouvrière :

 
  • la nécessité de réagir massivement, et non en ordre dispersé, face aux attaques bourgeoises ;
  • l'élargissement de la lutte à plusieurs secteurs, le dépassement des barrières corporatistes ;
  • la tenue quotidienne d'assemblées générales sur chaque lieu de travail, chargées notamment de se prononcer sur l'entrée en lutte ou la poursuite du mouvement ;
  • l'organisation de manifestations de rue où de grandes masses d'ouvriers, de différents secteurs et de différents lieux, puisent un sentiment de solidarité et de force[5].
 
 
 
 

En outre, les syndicats ont pris le soin, dans la plus grande partie du mouvement, d'afficher leur unité. On a même pu voir, abondamment médiatisée, les poignées de main entre les chefs des deux syndicats traditionnellement "ennemis" : la CGT et Force Ouvrière (qui s'était constituée comme scission de la CGT, avec le soutien des syndicats américains, au temps de la Guerre froide). Cette "unité" des syndicats, qu'on retrouvait souvent dans les manifestations sous forme de banderoles communes CGT-FO-CFDT-FSU, était bien propre à entraîner un maximum d'ouvriers dans la grève derrière eux puisque, pendant des années, une des causes du discrédit des syndicats et du refus des ouvriers de suivre leurs mots d'ordre de grève était justement leurs chamailleries perpétuelles. Dans ce domaine, les trotskystes ont apporté leur petite contribution puisqu'ils n'ont cessé de réclamer l'unité entre les syndicats, faisant de celle-ci une sorte de précondition au développement des luttes.

 

Du côté de la droite au pouvoir, après la détermination affichée au début du mouvement, on simule des signes de faiblesse (auxquels les médias font toute la publicité nécessaire), qui donnent à penser que les grévistes pourraient bien gagner, obtenir le retrait du plan Juppé, avec, pourquoi pas, la chute du gouvernement. En fait, le gouvernement fait durer les choses sachant pertinemment que les ouvriers qui ont mené une grève longue ne sont pas de si tôt disposés à reprendre la lutte. Ce n'est qu'au bout de 3 semaines qu'il annonce le retrait de certaines des mesures qui avaient mis le feu aux poudres : retrait du "contrat de plan" dans les chemins de fer et, plus généralement, des dispositions concernant les retraites des agents de l'Etat. L'essentiel de sa politique, cependant, est maintenu : les augmentations d'impôts, le blocage des salaires des fonctionnaires et, surtout, les attaques sur la Sécurité sociale. Les syndicats, en même temps que les partis de gauche, chantent victoire et s'emploient, dès lors, à faire reprendre le travail. Ils s'y prennent de façon tellement habile qu'ils ne se démasquent pas : leur tactique consiste à laisser s'exprimer, sans pression de leur part cette fois-ci, les assemblées générales majoritairement en faveur de la reprise du travail.

 

Ce sont les cheminots, dont les syndicats soulignent la "victoire", qui, le vendredi 15 décembre, donnent le signal de cette reprise comme ils avaient donné le signal de l'entrée dans la grève. La télévision montre à répétition l'image des quelques trains qui recommencent à circuler. Le lendemain, un samedi, les syndicats organisent d'immenses manifestations auxquelles sont conviés les ouvriers du secteur privé (c'est-à-dire, principalement, de l'industrie). C'est l'enterrement en grande pompe du mouvement, un baroud d'honneur qui permet de faire passer plus facilement aux ouvriers la pilule amère de leur défaite sur les revendications essentielles. Dépôt après dépôt, les assemblées de cheminots votent la fin de la grève. Dans les autres secteurs, la lassitude générale et l'effet d'entraînement font le reste. Le lundi 18, la tendance à la reprise est presque générale. Le mardi 19, la CGT, seule, organise une journée d'action et des manifestations : comparée à celle des semaines précédentes, la mobilisation est ridicule ce qui ne peut que convaincre les derniers "récalcitrants" qu'il faut reprendre le travail. Le jeudi 21, gouvernement, syndicats et patronat du privé se retrouvent lors d'un "sommet" : c'est l'occasion pour les syndicats, qui dénoncent les propositions gouvernementales, de continuer à se présenter comme les "défenseurs des ouvriers".

 

Une attaque politique contre la classe ouvrière

 

La bourgeoisie vient de réussir à faire passer une attaque considérable, le plan Juppé, et à épuiser les ouvriers afin d'amoindrir leur capacité de riposte aux futures attaques.

 

Mais les objectifs de la bourgeoisie vont bien au delà de cela. La manière dont elle a organisé sa manoeuvre était destinée à faire en sorte que, non seulement les ouvriers ne puissent pas, en préparation de leurs luttes futures, tirer d'enseignements de cette défaite, mais surtout de les rendre vulnérables aux messages empoisonnés qu'elle veut faire passer.

 

L'ampleur que la bourgeoisie a donnée à la mobilisation, la plus importante depuis des années quant au nombre de grévistes et de manifestants, et dont les syndicats ont été les artisans reconnus, est destinée à donner du poids à l'idée selon laquelle il n'y a qu'avec les syndicats qu'on peut faire quelque chose. Et c'est d'autant plus crédible que, durant le déroulement de la lutte, parfaitement contrôlée par eux, ils ne se sont pas trouvés en situation d'être démasqués, même partiellement, comme c'est le cas lorsqu'il s'agit pour eux de casser un mouvement spontané de la classe. De plus, ils ont su prendre en compte, dans leur stratégie, le fait que, majoritairement, la classe ouvrière, même si elle pouvait les suivre, ne leur faisait néanmoins pas fondamentalement confiance.

 

C'est la raison pour laquelle ils ont pris soin de faire "participer", de façon ostensible, visible par tous, des "non syndiqués" (ouvriers sincères et naïfs ou sous-marins des syndicats) dans les différentes "instances de lutte" comme les "comités de grève" auto-proclamés. Ainsi, en même temps que l'emprise des syndicats sur la classe ouvrière pourra, sous l'effet de la manoeuvre, se renforcer, la confiance des ouvriers dans leur propre force, c'est-à-dire dans leur capacité d'entrer en lutte par eux-mêmes, et de la conduire eux-mêmes, va s'amoindrir pour un long moment. Cette re-crédibilisation des syndicats constituait pour la bourgeoisie un objectif fondamental, un préalable indispensable avant de porter les attaques à venir qui seront encore bien plus brutales que celles d'aujourd'hui. C'est à cette condition seulement qu'elle peut espérer saboter les luttes qui ne manqueront pas de surgir au moment de ces attaques. C'est sûrement là un des aspects essentiels de la défaite politique que la bourgeoisie a infligée à la classe ouvrière.

 

Un autre bénéficiaire de la manoeuvre au sein de la bourgeoisie, c'est la gauche du capital. Les élections présidentielles en France de mai 1995, ont placé toutes les forces de gauche dans l'opposition. Aucune d'entre elles n'étant directement impliquée dans la décision des attaques actuelles, elles ont eu les coudées franches pour les dénoncer et tenter de faire oublier qu'elles-mêmes, PS et PC de 1981 à 1984, et PS tout seul ensuite, ont aussi mené la même politique anti-ouvrière. C'est donc un renforcement de la politique de partage du travail droite au pouvoir, gauche dans l'opposition qu'a permis cette manoeuvre : la droite étant chargée d'assumer la responsabilité des attaques anti-ouvrières, et la gauche dans l'opposition ayant pour rôle de mystifier le prolétariat, d'encadrer et de saboter ses luttes, à travers notamment ses courroies de transmission syndicales.

 

Un des autres objectifs de premier plan que s'était donnés la bourgeoisie c'est de faire croire aux ouvriers, sur base de l'échec d'une lutte qui s'était étendue à différents secteurs, que l'extension, cela ne sert à rien. En effet, des fractions importantes de la classe ouvrière croient avoir réalisé l'élargissement de la lutte aux autres secteurs ([6]), c'est-à-dire ce vers quoi avaient tendu les luttes ouvrières depuis 1968, et jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est. C'est sur ces acquis des luttes depuis 1968 que la bourgeoisie s'est d'ailleurs appuyée pour entraîner les ouvriers des centres de tri dans la manoeuvre, comme le montrent les arguments employés pour les faire débrayer : "Les ouvriers des PTT ont été vaincus en 74 parce qu 'ils sont restés isolés. De même les cheminots en 86, parce qu'ils n'ont pas réussi à étendre leur mouvement. Aujourd'hui, il faut saisir l'occasion qui se présente". Ce sont ces acquis qui étaient dans la ligne de mire de la manoeuvre, pour les dénaturer.

 

Il est encore trop tôt pour évaluer l'importance de l'impact de cet aspect de la manoeuvre (alors que la re-crédibilisation des syndicats est, dès à présent, incontestable). Mais il est clair que le trouble chez les ouvriers risque encore de se trouver renforcé par le fait que le secteur des cheminots, lui, a obtenu satisfaction sur la revendication qui l'avait fait entrer en lutte, le retrait du "plan d'entreprise" et des attaques sur l'accession à la retraite. Ainsi l'illusion qu'on peut obtenir quelque chose en luttant seul dans son secteur va-t-elle se développer et constituer un puissant stimulant au développement du corporatisme. Sans parler de la division ainsi créée dans les rangs ouvriers alors que ceux qui sont entrés en lutte derrière les cheminots, et qui n'ont rien obtenu du tout, vont avoir le sentiment d'avoir été lâchés.

 

Sur ce plan, les analogies sont grandes avec une autre manoeuvre, celle qui a présidée à la lutte dans les hôpitaux à l'automne 1988. Elle était alors destinée à désamorcer la montée de la combativité dans l'ensemble de la classe ouvrière en faisant éclater prématurément la lutte dans un secteur particulier, celui des infirmières. Celles-ci, organisées au sein de la coordination du même nom, ultra corporatiste, organe préfabriqué par la bourgeoisie pour remplacer les syndicats trop discrédités, se sont vues au terme de leur lutte, accorder un certain nombre d'avantages sous forme d'augmentations de salaires (le milliard de francs que le gouvernement avait prévu à cet effet avant même que la grève ne démarre). Les autres travailleurs des hôpitaux, qui s'étaient massivement engagés dans la bataille en même temps que les infirmières, eux, n'ont rien obtenu. Quant à la combativité dans les autres secteurs, elle est retombée, résultat du désarroi des ouvriers face à l'élitisme et au corporatisme des infirmières.

 

Enfin, en invoquant aussi souvent et avec tant d'insistance une prétendue similitude entre ce mouvement et celui de mai 1968, la bourgeoisie cherchait, comme on l'a déjà dit, à entraîner dans la manoeuvre le plus grand nombre possible d'ouvriers. Mais c'était également pour elle le moyen d'attaquer la conscience des ouvriers. En effet, pour des millions d'ouvriers, mai 1968 demeure une référence, y compris pour ceux qui n'y ont pas participé parce que trop jeunes ou pas encore nés, ou habitant d'autres pays mais qui ont été à l'époque enthousiasmés par cette première manifestation du resurgissement du prolétariat sur son terrain de classe, après quarante années de contre révolution. Ces générations d'ouvriers ou fractions de la classe ouvrière qui n'ont pas directement vécu ces événements, plus vulnérables à l'intoxication idéologique sur cette question, étaient particulièrement la cible de la bourgeoisie qui visait à leur faire penser que, finalement, mai 1968 n'avait peut être pas été tellement différent de la grève syndicale d'aujourd'hui. Ainsi c'est une nouvelle attaque à l'identité même de la classe ouvrière dont il s'agit, pas aussi profonde que celles sur la "mort du communisme", mais qui constitue un obstacle supplémentaire sur la voie de la récupération du recul qui a suivi l'effondrement du bloc de l'Est.

 

Les véritables leçons à tirer de ces événements

 

La leçon première que tirait le CCI de la manoeuvre de la lutte des infirmières en 1988[7], reste encore tragiquement d'actualité : "Il importe de souligner la capacité de la bourgeoisie d'agir de façon préventive et en particulier de susciter le déclenchement de mouvements sociaux de façon prématurée lorsqu'il n'existe pas encore dans l'ensemble du prolétariat une maturité suffisante permettant d'aboutir à une réelle mobilisation. Cette tactique a déjà été souvent employée dans le passé par la classe dominante, notamment dans des situations où les enjeux étaient encore bien plus cruciaux que ceux de la période actuelle. L exemple le plus marquant nous est donné par ce qui s'est passé à Berlin en janvier 1919 où, à la suite d'une provocation délibérée du gouvernement social-démocrate, les ouvriers de cette ville s'étaient soulevés alors que ceux de la province n'étaient pas encore prêts à se lancer dans l'insurrection. Le massacre de prolétaires (ainsi que la mort des deux principaux dirigeants du Parti communiste d'Allemagne : Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht) qui en a résulté a porté un coup fatal à la révolution dans ce pays où, par la suite, la classe ouvrière a été défaite paquet par paquet." Face à un tel danger il importe que la classe ouvrière puisse le plus largement possible tirer les enseignements de ses expériences, au niveau historique, comme au niveau de ses luttes de la dernière décennie.

 

Un autre enseignement important c'est que la lutte de classes est une préoccupation majeure de la bourgeoisie internationale, et que, sur ce plan, comme nous l'a déjà montré sa réaction face aux luttes de 1980 en Pologne, elle sait oublier ses divisions. Black-out face aux mouvements qui se déroulent sur un terrain de classe et risquent d'avoir un effet d'entraînement d'un pays à l'autre, ou du moins d'influencer positivement les ouvriers. Inversement, la plus grande publicité donnée, d'un pays à l'autre, aux résultats des manoeuvres contre la classe ouvrière. Il n'y a aucune illusion à se faire, le déchaînement du chacun pour soi, dans la guerre commerciale et les rivalités impérialistes, ne va en rien entraver l'unité internationale dont la bourgeoisie sait faire preuve contre la lutte de classe. (...)

 

L'ampleur de la manoeuvre élaborée par la bourgeoisie en France, le fait, notamment, qu'elle se soit permise de provoquer des grèves massives qui ne pourront qu'aggraver encore un peu plus ses difficultés économiques, sont en soi le signe que la classe ouvrière et sa lutte n'ont pas disparu comme aimaient à le répéter, pendant des années, les "experts" universitaires aux ordres. Elle démontre que la classe dominante sait parfaitement que les attaques de plus en plus brutales qu'elle devra mener provoqueront nécessairement des luttes de grande ampleur. Même si aujourd'hui elle a marqué un point, si elle a remporté une victoire politique, l'issue de la bataille est loin d'être jouée. En particulier, la bourgeoisie ne pourra empêcher que s'effondre de plus en plus son système économique, ni que se déconsidèrent ses syndicats, comme ce fut le cas au cours des années 1980, au fur et à mesure qu'ils saboteront les luttes ouvrières. Mais la classe ouvrière ne pourra l'emporter que si elle est capable de prendre la mesure de toute la capacité de son ennemi, même appuyé sur un système moribond, à semer des obstacles, les plus subtils et sophistiqués qui soient, sur le chemin de son combat.

Extraits de la "Revue Internationale" n°84

23 décembre 1995.

 


 

[1] La CGT, courroie de transmission du PC ; FO, "social démocrate" ; la FEN, proche du Parti socialiste, syndicat majoritaire dans l'éducation nationale ; la FSU, qui a scissionné il y a quelques années d'avec la FEN, et plus proche du PC et des gauchistes.

 

[2] Du nom du premier ministre chargé de l'appliquer. Ce plan comprend, entre autres, un ensemble d'attaques concernant la Sécurité sociale et l'Assurance maladie.

 

[3] Revue internationale n° 82.

 

[4] Il faut noter qu'en 1968, les syndicats faisaient un barrage systématique devant les entreprises pour empêcher tout contact entre ouvriers et étudiants. C'est vrai qu'à cette époque c'est parmi ces derniers qu'on parlait le plus de "révolution" et surtout qu'on dénonçait le plus les partis de gauche, PC et PS. Le risque n'existait pas que l'ensemble de la classe ouvrière reprenne à son compte l'idée de la révolution : elle n'en était qu'aux premiers pas d'une reprise des combats après 4 décennies de contre-révolution. D'ailleurs, cette idée était particulièrement fumeuse dans la tête et les propos de la majorité des étudiants qui l'évoquaient du fait de la nature petite-bourgeoise de leur "mouvement". Ce que craignaient surtout le syndicats, c'est qu'il leur soit encore plus difficile de garder le contrôle d'un combat ouvrier qui avait démarré en dehors d'eux et qui avait surpris l'ensemble de la bourgeoisie.

 

[5] Le premier ministre Juppé avait, à sa façon, contribué à des manifestations massives en affirmant, lors de l'annonce de son plan, que le gouvernement ne survivrait pas si deux millions de personnes descendaient dans la rue : au soir de chaque journée de manifestations, les syndicats et les médias faisant le compte en faisant valoir qu'on s'approchait de ce chiffre et qu'on pouvait l'atteindre. Certains secteurs de la bourgeoisie, y compris à l'étranger, font croire que Juppé, avec une telle déclaration, a commis une "gaffe". De même, ils lui reprochent la "maladresse" consistant à asséner toutes ses attaques au même moment : "Les mouvements de grève sont beaucoup dus au fait que le gouvernement s'y est pris maladroitement en cherchant à faire passer plusieurs réformes d'un seul coup" (The Wall Street Journal). On lui reproche aussi son arrogance : " La colère publique est en grande partie dirigée contre la façon autocratique dont gouverne Alain Juppé... C'est autant une révolte contre la morgue du gaullisme que contre la rigueur budgétaire. " (The Guardian). En réalité, cette "maladresse" et cette "arrogance" constituaient un élément important de la provocation : la droite au gouvernement se donnait les meilleurs moyens d'attiser la colère ouvrière et de faciliter le jeu des syndicats.

 

[6] C'est ce qu'expriment clairement ces propos d'un conducteur de train : "Je me suis lancé dans la bagarre comme conducteur. Le lendemain je me sentais avant tout cheminot. Puis j'ai endossé l'habit du fonctionnaire. Et, maintenant, je me sens tout simplement salarié, comme les gens du privé que j'aimerais rallier à la cause... Si j'arrêtais demain, je ne pourrais plus regarder un postier en face" (Le Monde du 12 et 13 décembre).

 

[7] Voir l'article " Les coordinations sabotent les luttes " dans la Revue internationale n° 56, et notre brochure sur la lutte des infirmières.

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Les "ruses" de la base syndicale et des médias pour mettre en grève le centre de tri Austerlitz

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Pour pouvoir déployer pleinement sa manoeuvre, la bourgeoisie se devait d'embarquer, dans le «mouvement» qu'elle a provoqué, derrière les cheminots, d'autres secteurs importants de la classe ouvrière. Voilà pourquoi, les centres de tri parisiens qui, par le passé, ont toujours fait preuve de combativité et de résistance aux magouilles syndicales, sont dès le début, une cible de choix pour l'ennemi de classe. Celui-ci, par l'intermédiaire de ses syndicats et de ses gauchistes, a tout fait pour les précipiter dans la «lutte». C'est ainsi que le centre de tri PTT de Paris Austerlitz est en grève depuis le mardi soir 28 novembre. Et c'est après la visite et l'intervention très appuyée de délégations de cheminots et du centre de tri du PLM (Gare de Lyon), dominées par des syndicalistes de bases (les pontes syndicaux se sont faits discrets à ce moment-là), que le centre s'est mis en grève. Pour emporter la décision et faire basculer les hésitants, tous les moyens sont utilisés, depuis les discours les plus «radicaux» et les plus «combatifs» jusqu'à la présence, au sein de l'AG, d'une éminente journaliste du «Monde » qui a été amenée là pour «témoigner» de l'«élargissement du mouvement» (ce qu'elle fera dès le lendemain à la une de son journal). Depuis lors, la grève a touché au mieux dans ses moments forts 50% du personnel. Dès le départ, les syndicats CGT, SUD, et LO ont pris la direction, l'organisation et le contrôle des assemblées quotidiennes. Par des interventions interdisant toute réelle discussion, «On ne va pas chipoter, il faut y aller», «Nous sommes OBLIGES de suivre les cheminots», ils ont vidé les AG de leur rôle décisionnel et souverain qui passe justement par le débat et la réflexion collective sur les buts et les moyens de la lutte. En ne laissant d'autre choix aux participants de ces AG que celui de la grève «reconductible» -mais dans les faits, longue et illimitée-, les syndicats ont réussi à imposer une dynamique «jusqu'au-boutiste» qui ne pouvait qu'effrayer les hésitants, nombreux, et les exclure de la lutte. Dans les brigades de nuit, sur une centaine de postiers, la moyenne des votes pour la grève a été entre 40 et 45. Souvent en dessous de 40. De fait, dans la grève, les syndicats ont créé une division entre participants aux AG et non-participants, entre grévistes et non-grèvistes. Les militants de LO ont été le fer de lance de l'enfermement des AG dans la lutte longue et aveugle : «Comment pouvons-nous hésiter à faire grève alors que les cheminots ont déjà perdu tant de jours ?», «Nous ne pouvons laisser les copains en grève, il faut tenir, et tenir encore». Et lorsque ces arguments, qui visent à culpabiliser les ouvriers qui s'interrogent, n'ont plus été efficaces, lorsqu'une brigade de nuit a suspendu la grève pour un week-end, tout en affirmant dans une motion sa mobilisation, les militants de LO se sont opposés à la tenue de l'assemblée. Pour les syndicalistes, une assemblée n'est «souveraine» que pour voter... ce qu'ils ont décidé.

 

Aujourd'hui, après 17 jours, la grève continue de façon minoritaire. Mais déjà, tout comme dans les autres secteurs, les syndicats vont maintenant jouer de leur division pour le pourrissement de la grève et sa défaite. Par exemple, LO qui dirige les AG des brigades de jour, a proposé à SUD et à la CGT de prendre en main celles-ci. Ce que ces derniers ont refusé, trop contents de laisser le sale boulot à LO. D'ailleurs l'organisation trotskite s'y prépare en affirmant dans son bulletin de boîte du 12 décembre que si la grève «devait se terminer sur ce qu elle a déjà obtenu, ce serait une victoire pour tous»... alors qu'ils disent le contraire dans les AG. Les syndicats vont essayer de se renvoyer la responsabilité de la reprise du travail et laisser les assemblées se déliter petit à petit, provoquant ainsi le retour au travail des grévistes, chacun dans son coin, individuellement, aggravant le sentiment amer de l'impuissance et de s'être «fait avoir». A part dire oui ou non à la grève illimitée, les assemblées n'ont eu aucun pouvoir, ni aucun contrôle. Malgré quelques timides tentatives, à aucun moment les travailleurs du centre n'ont pu prendre l'initiative et disputer la direction de la lutte aux syndicats. Ce sont les syndicats et LO qui ont tenu les AG, qui ont organisé la grève et les délégations, qui ont eu le monopole des informations et qui ont mené cette grève là où elle en est arrivée. Ce sont les syndicats qui ont décidé des manifestations. Ce sont les syndicats qui négocient sans aucun contrôle de la part des ouvriers ce qui leur laisse toute latitude pour s'entendre avec le gouvernement. Ce sont les syndicats qui magouillent entre eux pour finir la grève dans l'échec. Laisser l'initiative et la direction des luttes aux syndicats mène à la division et à la défaite.

"Révolution Internationale" n°252

Janvier 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Le « soutien » de toute la bourgeoisie à la lutte des cheminots

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L'ensemble de la bourgeoisie s'est d'abord donné le mot afin de monter en épingle la «lutte» des cheminots. Ainsi, les médias aux ordres de la classe dominante ne se sont pas privés de flatter l'énorme combativité des travailleurs de la SNCF en les présentant comme les «guides » de ce «grand mouvement social». Dans toute la presse bourgeoise, les titres les plus ronflants ont fleuri : «La SNCF a ouvert la voie» (« Info-Matin »), «Les cheminots ouvrent la voie» («Rouge»). On pouvait lire dans « Le Monde », au lendemain de la manifestation du 24 novembre que : «Les cheminots, en continuant leur grève, espèrent donner l'exemple» (26-27 novembre) et que «la mobilisation des agents de la SNCF dans les jours qui viennent pourrait inciter les syndicats à prendre appui sur ce mouvement pour amplifier leur action.» (28 novembre) Prophétie ? Oh que non ! Manoeuvre organisée, de toute la bourgeoisie. Et ce sont une fois de plus le PCF et les gauchistes qui ont le mieux animé cette entreprise de décervelage des travailleurs de la SNCF, et, avec ceux-ci, de toute la classe ouvrière. Le PCF, qui, souvenons-nous, à l'époque où le «camarade» Fiterman était ministre des transports, traitait de «fascistes d'extrême droite» les cheminots en grève sauvage en 1984, n'a pas cessé ici de les caresser dans le sens du poil, de monter au pinacle leur «volonté d'en découdre», des cheminots «résolus à tenir ferme, jusqu 'à ce que Juppé mette les deux genoux à terre». C'est lui qui, le premier, a salué le «renforcement de leur mouvement», a appelé à son «élargissement». Quant aux gauchistes, ils n'ont pas été moins présents et moins actifs à envoyer les ouvriers au casse-pipe. Dans l'hebdomadaire de la Ligue Communiste Révolutionnaire, «Rouge», du 23 novembre (n°1661), on pouvait ainsi lire que «les cheminots peuvent jouer un rôle d'impulsion pour une suite générale au 24 novembre», que «le mouvement cheminot peut être un élément détonateur». LO n'était pas en reste, et clamait à son tour dans son numéro du 24 novembre (n°1429) que : «Si la grève démarrait vraiment à la SNCF, il est certain que, dans l'ambiance générale actuelle, ce pourrait être le signal d un mouvement encore plus vaste...» Ainsi, la magnifique unanimité et la synchronisation de toutes ces déclarations de l'ensemble des forces du capital, faisant une gigantesque publicité pour la lutte «exemplaire» des cheminots ne visaient qu'un seul but : galvaniser la combativité des autres secteurs pour les pousser à s'engager massivement, derrière les cheminots, dans le piège de la bourgeoisie.

Extrait de "Révolution Internationale" n°252

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

2 - L'extension internationale de la manoeuvre

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Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

L'exemple français utilisé contre le prolétariat en Europe

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Des attaques anti-ouvrières d'une ampleur similaire à celles de la France sont à l'ordre du jour un peu partout pour les bourgeoisies européennes, comme dans l'ensemble des Etats les plus industrialisés.

 

Pour faire passer de telles attaques, la grande manoeuvre réussie par la bourgeoisie française enthousiasme et inspire ses consoeurs. Tous les médias se sont fait l'écho complaisant de la "grande grève ouvrière française" et de ses "risques de contagion" qui font la "une" de la presse européenne ; ainsi, le "Corriere délia Sera» émet l'idée que "le malaise français pourrait se propager dans toute l'Europe, et naturellement en Italie". Et ce sont bien sûr les syndicats et les partis de gauche qui sont en première ligne pour inviter les ouvriers à "suivre l'exemple donné par les travailleurs français", selon l'expression du secrétaire général du PC espagnol, Anguita. D'ailleurs, le congrès du PCE votait dans la foulée une résolution pour "appuyer, féliciter et encourager les salariés de France". En Allemagne, la puissante centrale syndicale DGB "assurait de sa sympathie les grévistes qui se défendent contre une grande attaque au droit social" tandis que le syndicat des postiers leur adressait un message de soutien, et que PIG-Metall affirmait que "la lutte des Français était un exemple de résistance contre les coups portés aux droits sociaux et politiques". De même, les trois principaux syndicats italiens "saluaient et soutenaient" en choeur cette "lutte massive". En Grèce comme en Italie, des meetings et des manifestations autour de la lutte en France sont animés par des groupes gauchistes. En Allemagne, une manifestation appelée le 14 décembre à l'initiative de collectifs étudiants et de la "gauche alternative" à Berlin sur la défense des immigrés et des "initiatives sociales" s'est transformée en "manifestation de solidarité avec ce qui se passe en France", accordant la vedette à un cheminot français gréviste.

 

De fait, les syndicats ont aussi d'ores et déjà sauté sur l'occasion pour tenter d'entraîner des secteurs entiers de la classe ouvrière dans le même piège qu'ici, et dans la défaite, en embrayant l'organisation d'une série de grèves et de manifestations "sur le modèle français". L'exemple le plus significatif est celui de la Belgique où, après .une manifestation d'étudiants et d'enseignants à Liège qui s'est terminée par un affrontement violent avec la police et les gendarmes à cheval, et une grève d'un mois des salariés d'Alcatel face à des licenciements, les syndicats ont organisé une manifestation unitaire en défense des services publics le 13 décembre, rassemblant entre 40 et 50 000 personnes dans les rues de Bruxelles, et mettant en première ligne les cheminots de la SNCB (après une grève tournante de trois jours qui avait paralysé l'ensemble du trafic ferroviaire) et les salariés de la Sabena qui avaient également perturbé les transports aériens. La propagande de la bourgeoisie oppose le caractère "bien canalisé" de la manifestation par les deux principaux syndicats étroitement liés à la coalition au pouvoir responsable des attaques gouvernementales à la pseudo-» organisation par la base des luttes en France". Elle ne fait ainsi que tendre un piège qu'elle s'apprête à refermer sur les ouvriers en Belgique lors de l'annonce du projet de "réforme" de la Sécurité sociale qui sera rendu public en janvier prochain.

"Révolution Internationale" n°252 Janvier 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

En Belgique comme en France : Les syndicats entraînent les prolétaires vers la défaite

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Les bourgeoisies européennes ne se limitent pas à étaler "l'exemple français" dans leurs médias mais tiennent à l'exploiter pour étendre la défaite dans d'autres pays. Les syndicats ont partout en Europe d'ores et déjà sauté sur l'occasion pour tenter d'entraîner des secteurs entiers de la classe ouvrière dans le même piège qu'en France, en embrayant l'organisation d'une série de grèves et de manifestations "sur le modèle français". L'exemple le plus significatif est sans nul doute le développement des manoeuvres syndicales en Belgique durant ces derniers mois.

 

La bourgeoisie belge, comme en France, est confrontée à la nécessité impérieuse de lancer une série d'attaques particulièrement dures : réforme de la Sécu et du système d'indexation des salaires, dégraissage de la Fonction publique et nouvelle série de licenciements dans le privé. Elle sait pertinemment qu'elle ne s'arrêtera pas là et qu'elle devra continuer à porter des attaques frontales contre les conditions de vie de la classe ouvrière, auxquelles cette dernière réagira en développant ses luttes et son expérience.

 
 

La bourgeoisie exploite "l'exemple français"...

 

C'est pourquoi la bourgeoisie a pris les devants. Déjà depuis plusieurs mois, comme dans les autres pays européens, la bourgeoisie a lancé ses syndicats dans une série d'actions préventives pour renforcer leur crédibilité et leur contrôle, et pour entretenir et semer la confusion au sein de la classe ouvrière. Les mouvements en France contre le plan Juppé lui ont permis de passer à la vitesse supérieure, par l'exploitation habile de toute la campagne lancée autour de ce "nouveau mai social". Gouvernement, patronat et syndicats, fraternellement unis dans la défense de l'ordre capitaliste, ont développé un piège perfide visant à entraîner certains secteurs de la classe ouvrière en Belgique à leur tour dans une lutte prématurée, afin de leur infliger une défaite devant servir de leçon pour l'ensemble de la classe ouvrière.

 

Les différentes phases de la mise en place du piège sont éclairantes :

  • Fin novembre : Tandis que les syndicats lancent une campagne générale autour de la défense du secteur public, menacé par la réforme de la Sécu et les privatisations, gouvernement et patronat effectuent une provocation inouïe dans deux secteurs particuliers : à la SNCB, un plan de restructuration prévoit une réduction des dépenses de 70 milliards sur 10 ans avec près de 9.000 pertes d'emplois, une réduction de 5% des salaires et des "avantages sociaux" ; à la Sabena, le patron suspend les conventions collectives en vigueur et annonce une nouvelle réduction des salaires conjuguée à une "flexibilité" maximale.

Une fois de plus, nous voyons comment gouvernement, patronat et syndicats se répartissent le travail : les provocations doivent faire voir rouge aux travailleurs et assurer la mobilisation derrière les syndicats qui ont soigneusement préparé l'occupation du terrain social. Ainsi, le ras-le-bol, la volonté d'en découdre sont habilement utilisés contre les travailleurs, engagés dans une série de grèves syndicales tournantes. Celles-ci permettent aux syndicats de se placer sur le devant de la scène, se présentant comme "radicaux" et "défenseurs des intérêts ouvriers", et de développer leur manoeuvre dans laquelle les cheminots et les ouvriers de la Sabena sont mis dès le départ à l'avant-plan.

  • Début décembre : Soudain, la bourgeoisie semble hésiter et repousse les échéances des attaques : à la Sabena, le ministre du Travail nomme un médiateur pour reprendre les négociations à zéro ; à la SNCB, le gouvernement fait brusquement des propositions de prise en charge des investissements pour le TGV et le réseau intérieur par l'Etat ; même les échéances concernant la Sécu sont reportées en janvier et le Premier ministre se veut rassurant : "Ce ne sera pas le 'big bang' comme en France."

Ce "recul" est bien sûr présenté par les médias comme une "première percée grâce à la mobilisation syndicale", alors qu'à aucun moment bien sûr la bourgeoisie n'a manifesté la moindre intention de suspendre ses attaques ("Plus d'argent pour la SNCB ne signifie donc pas qu 'il faudra faire moins d'économies." ("De Morgen" du 9 décembre). Sur base de cette "première victoire syndicale", la bourgeoisie passe alors à l'étape suivante :

 
  • en focalisant l'attention sur la France et en exploitant l'exemple de la "lutte massive en France" pour stimuler une ample participation des ouvriers dans les mobilisations syndicales en Belgique ;
  • en centrant l'attention des travailleurs sur l'importante manif syndicale du 13 décembre de "l'ensemble du secteur public" (50.000 participants).
 
 

...pour pousser les ouvriers derrière les syndicats

 

Cette manifestation générale de la fonction publique avait de toute évidence un rôle très important dans la manoeuvre de la bourgeoisie.

 

L'ensemble de ses orientations en témoignent :

 
  • la manifestation se présentait comme une "large mobilisation du secteur public". De fait, elle visait à entraîner un maximum de secteurs de la fonction publique sous les bannières syndicales. Ainsi, la manif affirmait promouvoir "l'extension" vers le privé, avec la présence de délégations syndicales d'entreprises comme VW Forest, et même sur un plan international, une délégation CGT des cheminots de Lille, venue "exprimer sa solidarité avec les cheminots belges". En réalité, la seule "extension" que les syndicats propagent, c'est l'extension de leurs manoeuvres contre la classe ouvrière ;
  • la manif prétendait enfin, avec la présence des étudiants en son sein, présenter une perspective, celle d'une recherche de la solidarité dans les "grands mouvements populaires". Cette "solidarité" que les syndicats proposent n'est en vérité rien d'autre que la dissolution de la classe ouvrière dans le magma informe de la "population", ce qui lui enlève toute revendication spécifique de classe.
 
 

Bref, tout était mis en oeuvre pour pousser de larges secteurs de la classe ouvrière dans la mobilisation syndicale. Ayant assuré et renforcé son contrôle sur le mouvement, la bourgeoisie lance, dans les mêmes secteurs, deux jours après la manif nationale, une nouvelle provocation qui illustre une fois de plus la collusion absolue entre gouvernement, patronat et syndicats. Le vendredi 15, le conseil de direction de la SNCB adopte "à l'improviste" le plan de restructuration contesté, ce qui provoque un coup de colère des syndicats "mis devant le fait accompli". Mensonges évidemment ! Comme ils ont des représentants au conseil de direction, les syndicats étaient parfaitement au courant de l'ordre du jour. Les 18 et 19 éclatent un peu partout parmi les cheminots des grèves "spontanées" face à la provocation, soigneusement encadrées par les syndicats qui les suspendent "jusqu'après les fêtes" : "Nous aurions préféré ne développer des actions qu'après les vacances mais la base n est apparemment pas du même avis. Nous soutenons ces gens." (M. Bovy du syndicat social-chrétien) Quelle hypocrisie ! Derrière cette "spontanéité" du mouvement, il y a une stratégie de la tension qui a soigneusement été préparée par l'ensemble des forces de la bourgeoisie et qui utilise, exactement comme en France, les cheminots comme appât pour attirer d'autres parties de la classe ouvrière dans le piège. Le 19 et le 20, c'est à la Sabena que, face au refus du patron de retirer sans conditions la suspension des conventions collectives en vigueur, les syndicats déclenchent une grève "dure" de 48h (pour en assurer le succès, la direction avait d'ailleurs demandé à tous les employés de rester à la maison) avec blocage de l'aéroport, puis la dramatisent à travers le piège de l'occupation du tarmac, provoquant une intervention des forces de l'ordre, et la "radicalisent" le jour suivant au moyen d'une manif avec la participation de délégations syndicales de diverses entreprises privées (SNCB, VW, Volvo, Sidmar, Belgacom, Renault), venues "manifester leur solidarité" et affirmer aux travailleurs de la Sabena que "leur lutte constitue un laboratoire social pour l'ensemble des travailleurs". De cette façon, une fois de plus, les syndicats utilisent les travailleurs de la Sabena pour entraîner d'autres secteurs dans la manoeuvre.

 

Le but est clair. Comme en France, la bourgeoisie lance une partie de la classe ouvrière dans une lutte prématurée, en exploitant pleinement "l'exemple français", afin de préparer l'avenir en affaiblissant la classe ouvrière. Comme en France, son objectif central est non seulement de re-crédibiliser ses syndicats mais, plus encore, d'amener la classe ouvrière à leur faire confiance.

"Révolution Internationale" n°253

Février 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Les bourgeoisies européennes suivent l'exemple de décembre 95 en France

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La manoeuvre anti-ouvrière de novembre/décembre 95 en France n'était pas un fait isolé, mais bien le signal d'une vaste offensive internationale de la classe dominante contre son ennemi mortel. Ce printemps, c'est en Belgique et en Allemagne qu'on a pu voir les syndicats, en pleine complicité avec leurs gouvernements respectifs, mettre en scène toute une agitation «radicale» afin de renforcer leur crédibilité et leur emprise dans les rangs ouvriers. Tout ce remue-ménage ne vise à rien d'autre que faire passer les attaques présentes de la bourgeoisie et préparer le terrain à celles qui suivront, en occupant au maximum le terrain social.

 

Les événements d'Allemagne et de Belgique, tout comme ceux de France l'automne dernier, loin d'être la manifestation d'une explosion de la colère ouvrière ont été autant d'initiatives de la bourgeoisie pour prendre les devants de cette colère AVANT que celle-ci ne s'exprime spontanément face aux attaques du capital..

 

En Allemagne...

 

Après s'être faits des mois durant les champions du «pacte pour l'emploi» (par lequel la bourgeoisie allemande entend faire accepter aux salariés des coupes claires dans les salaires au nom de la «sauvegarde de l'emploi»), les syndicats d'outre Rhin ont spectaculairement et brusquement changé de ton. «"Nous avons quitté le consensus pour entrer dans la confrontation" déclarait, fin avril, le président du DGB Dieter Schulte, après l'échec du «sommet social» entre gouvernement, patronats et syndicats consacré au fameux pacte. De son côté, le gouvernement Kohl annonçait un programme d'austérité particulièrement brutal qui n'était pas sans rappeler l'annonce par Juppé de son fameux «plan» à l'automne 1995 en France : gel des salaires dans la Fonction publique, baisse des indemnités de chômage et des prestations de sécurité sociale, allongement du temps de travail, allongement de l'âge de la retraite, suppression de l'autorisation de licenciement, abandon du principe de l'indemnisation à 100% des absences pour maladie.

 

Si la bourgeoisie avait voulu donner aux syndicats l'occasion de rompre «le consensus» pour s'offrir à la place une image radicale et combative, elle n'aurait pas agi autrement. Et effectivement le spectacle, très médiatisé, du pseudo-radicalisme syndical est allé crescendo depuis début mai. Les syndicats organiseront ainsi une série de «grèves d'avertissement» et de manifestations dans le secteur public qui seront complaisamment rapportées par les médias. Ils orchestrent des débrayages de quelques heures -en réalité très minoritaires-, parfaitement huilés, ville après ville, corporation après corporation, ici les transports en commun, là les postes, plus loin les éboueurs ou les crèches. Les médias multiplient les commentaires complaisants à l'égard de ces actions syndicales et déploient leurs caméras pour renvoyer un déluge d'images et donner l'impression d'un pays paralysé.

 

Dans le même temps la confédération DGB de l'industrie multiplie, par la bouche de Schulte, les menaces d'un «été chaud». Une énorme publicité est faite aux préparatifs de la «marche sur Bonn» du 15 juin, programmée des semaines à l'avance pour être «la plus massive depuis 1945» avec 200.000 manifestants attendus et, fait historique, appelée conjointement par tous les syndicats, du privé et du public. Schulte prévient qu'elle ne sera «que le début d âpres conflits sociaux qui pourrait conduire à des conditions à la française» et annonce finalement le 10 juin que «même la grève générale n est plus exclue».

 

Ainsi, pendant des semaines, aussi bien en Allemagne que dans les médias à l'étranger, le spectre d'une réédition outre-Rhin de l'énorme et spectaculaire mobilisation syndicale de l'automne dernier en France a été brandie à qui mieux mieux, les syndicats allant jusqu'à faire agiter des drapeaux français à leurs troupes lors des manifestations.

 

Quelques jours avant la «marche», les négociations du secteur public accouchent d'un accord qui concède finalement de maigres augmentations de salaires et la promesse de ne pas remettre en cause les indemnités de maladie, deux points qui étaient au coeur de «l'intransigeance» syndicale. Les syndicats ne manquent pas de mettre ce pseudo-recul à l'actif de leur agitation et de leur détermination. Le «Tous à Bonn» lancé sur tous les médias par les syndicats et les moyens déployés par ceux-ci pour permettre la venue d'un maximum de leurs affiliés (des milliers de cars et près de 100 trains spéciaux) feront de la marche du 15 juin, avec ses 350.000 participants, une grand messe à la gloire des syndicats et le point d'orgue du scénario. Certes on est loin du «Juppéthon» de Blondel et Viannet, mais jamais les syndicats allemands n'avaient pu se glorifier d'un tel succès, d'une telle démonstration de force, d'une telle capacité à occuper et baliser le terrain social.

 

...comme en Belgique,...

 

Après avoir mis sur pied cet hiver une manoeuvre qui était quasiment la copie conforme de celle de la bourgeoisie française [4], la bourgeoisie belge poursuit sa stratégie de renforcement des syndicats.

 

C'est ainsi que, à l'instar des syndicats allemands, et après avoir signé avec le gouvernement et le patronat un «contrat d'avenir pour l'emploi» sur le même principe qu'en Allemagne, les syndicats belges se sont offert un virage à 180° en dénonçant brutalement cet accord, «après consultation de leur base». Ce revirement spectaculaire, là encore très médiatisé, leur a permis de s'offrir une image «démocratique», soucieuse de la volonté des ouvriers et surtout de se blanchir de toute responsabilité dans les plans d'attaques contre la classe ouvrière que le gouvernement se prépare à mettre sur pied.

 

En parallèle, ces mêmes syndicats s'enorgueillissent de la longue «lutte des enseignants», qui enferme depuis le mois de février les travailleurs de l'éducation dans un conflit à la fois hyper corporatiste et interclassiste contre les réformes de l'enseignement. S'appuyant sur un secteur de la classe ouvrière qu'ils contrôlent particulièrement bien, ce conflit, après celui de la SNCB et de la Sabena cet hiver, leur permet de s'offrir une image radicale et «unitaire» tout en piégeant les salariés dans une grève longue et corporatiste, en les noyant dans un large mouvement interclassiste incluant parents d'élève et étudiants et en les entraînant sur le terrain pourri de la défense de l'éducation et de la démocratie.

 

Avec le 1er mai, les syndicats vont s'offrir un nouveau coup du pub en transformant la traditionnelle de la «fête» annuelle que la FGTB organise d'habitude chaque année avec le PS en chahut organisé contre ce même parti impliqué dans le gouvernement. Tout ce cinéma visait bel et bien à permettre aux syndicats de se démarquer de la gauche au gouvernement.

 

...le même piège anti-ouvrier

 

Ces manoeuvres n'ont pas été seulement à «usage national». La dimension internationale de «l'automne chaud» français est largement visible à travers la médiatisation européenne et même mondiale des événements et à travers l'utilisation qui en a été faite pas les syndicats des pays voisins qui ont pu ainsi faire rejaillir sur eux l'image «combative» que se sont offerts les syndicats français. De même, la radicalisation des syndicats allemands, leurs menaces appuyées d'un «été chaud» et les commentaires alarmistes des médias européens sur «la fin du consensus à l'allemande» viennent à leur tour relayer l'idée que les syndicats sont capables, même là où ils ont une tradition de concertation et de négociation, d'être d'authentiques «organes de lutte» pour la classe ouvrière et même des organes de lutte efficaces, capables d'imposer, contre l'austérité gouvernementale et patronale, la défense des intérêts ouvriers.

 

Mais ces manoeuvres préventives ont en même temps un autre but, celui d'attaquer idéologiquement la conscience des ouvriers. Ainsi, tout «intransigeants» et «combatifs» qu'ils se présentent, les syndicats n'ont pas manqué, en Allemagne comme en Belgique, de continuer à faire passer l'idée qu'«il faut accepter les sacrifices». Le «tournant» du DGB allemand a été précédé et accompagné d'une répugnante campagne nationaliste, pleinement appuyée par les syndicats eux-mêmes, selon laquelle il fallait se battre pour sauver la compétitivité du capital national grâce à un «partage équitable des efforts entre tous». Cette puante idéologie de soumission aux intérêts de «son» entreprise, de «son» secteur et de «son» capital national, s'accompagne d'une stratégie de division qui dresse les différents secteurs de la classe ouvrière les uns contre les autres, en les poussant à se battre pour «leur part de ce qu'il reste du gâteau» : salariés du privé contre «nantis» du public, ouvriers actifs contre chômeurs, ouvriers autochtones aux salaires «trop hauts» contre ouvriers étrangers et immigrés, ouvriers de l'Est de l'Allemagne contre privilégiés de l'Ouest, etc.

 

Voilà le double piège à travers lequel la bourgeoisie prépare l'inévitable confrontation avec la classe ouvrière.

"Révolution Internationale" n°258 Juillet/août 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

II - Ce qu'est une véritable lutte ouvrière

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Dans sa presse, le CCI a constamment eu le souci d'opposer à la manoeuvre de la bourgeoisie et de ses syndicats les besoins réels de la classe ouvrière et les moyens qu'elle devait mettre en oeuvre pour pouvoir mener une véritable lutte contre l'ennemi de classe. Même si de tels objectifs n'étaient nullement réalisables face à la vaste offensive déployée par la bourgeoisie à l'échelle internationale en décembre 1995, il était primordial qu'une organisation révolutionnaire indique clairement à l'ensemble du prolétariat quelle était la véritable direction de la lutte ouvrière et comment s'armer pour les combats futurs que la classe aurait inévitablement à mener face aux attaques de la bourgeoisie. Pour cela, au lieu de mettre en avant des mots d'ordre abstraits, le CCI s'est appuyé sur le rappel d'un certain nombre d'expériences marquantes et fondamentales de luttes dans lesquelles le prolétariat avait démontré sa capacité d'imposer un rapport de forces à la bourgeoisie.

 

Ces expériences, telles que mai 68 ou la lutte de l'hiver 86/87 à la SNCF en France mais aussi le soulèvement prolétarien d'août 1980 en Pologne, font ressortir que la force de la lutte, sa capacité à s'élargir et à faire reculer la bourgeoisie sont étroitement liées à la faiblesse de l'encadrement syndical ou à la capacité de la classe ouvrière dans ses luttes de le remettre en cause et de se dégager de l'emprise syndicale. Elles démontrent que le prolétariat ne pourra développer sa lutte, déjouer les pièges de la bourgeoisie et prendre confiance en ses propres forces qu'en se confrontant aux syndicats.

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Les réelles leçons de décembre 95

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(...) Ce que montrent également les récentes grèves en France c'est que l'extension des luttes entre les mains des syndicats est une arme de la bourgeoisie. Et plus une telle extension prend de l'ampleur, plus la défaite qu'elle permet d'infliger aux ouvriers est étendue et profonde. Là aussi il est vital que les ouvriers apprennent à déceler les pièges de la bourgeoisie. A chaque fois que les syndicats appellent à l'extension, c'est soit qu'ils sont contraints de coller à un mouvement qui se développe, pour ne pas être débordés, soit pour entraîner dans la défaite un maximum d'ouvriers, alors que la dynamique de le lutte commence à s'inverser. C'est ce qu'ils avaient fait lors de la grève des cheminots en France début 1987 quand ils ont appelé à l'"extension" et au "durcissement" du mouvement, non pas lors de la montée de la lutte (à laquelle ils s'étaient ouvertement opposés), mais lors de son déclin, dans le but d'entraîner le plus possible de secteurs de la classe ouvrière derrière la défaite des cheminots.

 

Ces deux situations mettent en évidence la nécessité impérative pour les ouvriers de contrôler leur lutte, du début à la fin. Ce sont leurs assemblées générales souveraines qui doivent prendre en charge l'extension, afin que celle-ci ne tombe pas aux mains de syndicats. Evidemment, ceux-ci ne se laisseront pas faire, mais il faut imposer que la confrontation avec eux se déroule au grand jour, dans les assemblées générales souveraines, qui élisent des délégués révocables au lieu d'être de vulgaires rassemblements manipulés à leur guise par les syndicats comme ce fut le cas dans la présente vague de grèves.

 

Mais la prise en main de leur lutte par les ouvriers passe nécessairement par la centralisation de toutes leurs assemblées qui envoient leurs délégués à une assemblée centrale. A son tour elle élit un comité central de lutte. C'est cette assemblée qui garantit en permanence l'unité de la classe et qui permet une mise en oeuvre coordonnée des modalités de la lutte : si tel jour il est opportun ou non de faire grève, quels secteurs doivent faire grève, etc. C'est elle également qui doit décider de la reprise générale du travail, du repli en bon ordre lorsque le rapport de force immédiat le nécessite.

 

Ceci n'est pas une vue de l'esprit, ni une pure abstraction, ni un rêve. Un tel organe de lutte, le Soviet, les ouvriers russes l'on fait surgir dans les grèves de masse de 1905, puis en 1917 lors de la révolution. La centralisation de la lutte par le Soviet, c'est là une des leçons essentielles de ce premier mouvement révolutionnaire du siècle et que les ouvriers dans leurs luttes futures devront se réapproprier. Voici ce qu'en disait Trotsky dans son livre 1905 : "Qu'est ce que le Soviet ? Le conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique suscité par les conjonctures d'alors : il fallait avoir une organisation jouissant d'une autorité indiscutable, libre de toute tradition, qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison ; cette organisation (...) devait être capable d'initiative et se contrôler elle-même d une manière automatique : l'essentiel, enfin, c 'était de pouvoir la faire surgir dans les vingt quatre heures (...) pour avoir de l'autorité sur les masses, le lendemain même de sa formation, elle devait être instituée sur la base d une très large représentation. Quel principe devait-on adopter ? La réponse venait toute seule. Comme le seul lien qui existât entre les masses prolétaires, dépourvues d'organisation, était le processus de la production, il ne restait plus qu'à attribuer le droit de représentation aux entreprises et aux usines."[1].

 

Si le premier exemple d'une telle centralisation vivante d'un mouvement de la classe nous vient d'une période révolutionnaire, cela ne signifie pas que ce soit uniquement dans une telle période que la classe ouvrière puisse centraliser sa lutte. La grève de masse des ouvriers en Pologne en 1980, si elle n'a pas donné naissance à des soviets qui sont des organes de prise de pouvoir, nous en a néanmoins fourni une illustration magistrale. Rapidement, dès le début de la grève, les assemblées générales ont envoyé des délégués (en général deux par entreprise) à une assemblée centrale, le MKS, pour toute une région.

 

Cette assemblée se réunissait quotidiennement dans les locaux de l'entreprise phare de la lutte, les chantiers navals Lénine de Gdansk et les délégués venaient ensuite rendre compte de ses délibérations aux assemblées de base qui les avaient élus et qui prenaient position sur ces délibérations. Dans un pays où les luttes précédentes de la classe ouvrière avaient été impitoyablement noyées dans le sang, la force du mouvement avait paralysé le bras assassin du gouvernement l'obligeant à venir négocier avec le MKS dans ses locaux mêmes. Evidemment, si d'emblée les ouvriers de Pologne, en 1980, avaient réussi à se donner une telle forme d'organisation, c'est que les syndicats officiels étaient totalement discrédités puisqu'ils étaient ouvertement les flics de l'Etat stalinien (et c'est la constitution du syndicat "indépendant" Solinarnosc qui a seule permis l'écrasement sanglant des ouvriers en décembre 1981). C'est la meilleure preuve que non seulement les syndicats ne sont pas une organisation, même imparfaite, de la lutte ouvrière, mais qu'ils constituent, au contraire, tant qu'ils peuvent semer des illusions, le plus grand obstacle à une organisation véritable de cette lutte. Ce sont eux qui, par leur présence et leur action, entravent le mouvement spontané de la classe, né des nécessités de la lutte même, vers une auto-organisation.

 

Evidemment, du fait justement de tout le poids du syndicalisme dans les pays centraux du capitalisme, ce n'est pas d'emblée la forme des MKS, encore moins des soviets, qu'y prendront les prochaines luttes de la classe. Néanmoins, celle-ci doit leur servir de référence et de guide, et les ouvriers devront se battre pour que leurs assemblées générales soient réellement souveraines et se déterminent dans le sens de l'extension, du contrôle et de la centralisation du mouvement par elles mêmes.

 

En fait, les prochaines luttes de la classe ouvrière, et pour un certain temps encore, seront marquées par le sceau du recul, exploité par toutes sortes de manoeuvres de la bourgeoisie Face à cette situation difficile de la classe ouvrière, mais qui ne remet néanmoins pas en cause la perspective d'affrontements de classe décisifs entre bourgeoisie et prolétariat, l'intervention des révolutionnaires est irremplaçable. Afin qu'elle soit le plus efficace possible, et qu'elle ne favorise pas, sans le vouloir, les plans de la bourgeoisie, les révolutionnaires ne doivent pas laisser la moindre prise, dans leurs analyses et leurs mots d'ordre, à la pression idéologique ambiante et doivent être les premiers à déceler et dénoncer les manoeuvres de l'ennemi de classe.

Extraits de la "Revue Internationale" n°84


[1] Voir notre article "Révolution de 1905 : enseignements fondamentaux pour le prolétariat", dans la Revue internationale n° 43

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Comment lutter ?

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Les syndicats, depuis des décennies, ont fait la preuve qu'il n'y a rien à attendre d'eux sinon le sabotage des luttes ouvrières. A chaque fois que les ouvriers les ont suivis ou même quand ils ont simplement toléré leur présence, ils ont subi des défaites. Par contre, à chaque fois que les ouvriers ont réussi à imposer un rapport de force à la bourgeoisie, chaque fois qu'ils ont réussi à la faire reculer, c'est en menant des luttes importantes en dehors et contre les syndicats.

 

La lutte est l'affaire des ouvriers, pas des syndicats

 

Qu'on se souvienne du mouvement des ouvriers en Pologne, durant le mois d'août 1980, qui avait eu la force de faire céder l'Etat stalinien et de faire trembler la bourgeoisie mondiale non seulement du fait de sa puissance (le mouvement avait embrasé tout le pays en quelques jours) mais aussi parce qu'il n'a pas eu à faire face à l'obstacle syndical (les seuls syndicats qui existaient, les syndicats «officiels» qui se présentaient eux-mêmes comme les rouages de l'Etat, étaient trop discrédités). C'est justement la création et la mise en place de Solidarnosc (avec le soutien actif des bourgeoisies occidentales) qui a permis à l'Etat polonais de rétablir son contrôle sur la classe ouvrière en affaiblissant sa lutte pendant plus d'un an pour finalement livrer les ouvriers à la répression du gouvernement Jaruzelski (voir article page 8).

 

Aujourd'hui, encore une fois, c'est aux syndicats, c'est-à-dire à ceux qui ont réellement initié, organisé, dirigé le «mouvement» contre le plan Juppé et négocié la reprise dans les coulisses avec le gouvernement que la classe ouvrière doit sa défaite. Elle doit donc se débarrasser de ses illusions par rapport à ces organisations de l'Etat bourgeois qu'on ne cesse de lui présenter comme les seuls capables de les défendre, comme les «spécialistes» de la lutte. Les seuls et véritables spécialistes de la lutte ce sont les ouvriers eux-mêmes. La lutte doit donc être leur affaire et surtout pas celle des syndicats. Ce n'est pas à ces derniers de décider ni des moyens ni du moment de la lutte, c'est aux ouvriers de prendre eux-mêmes, tous ensemble, l'initiative de la démarrer et de l'arrêter. Quand ils remettent leur lutte entre les mains des syndicats, ils s'en laissent déposséder et ils la remettent en fait entre les mains de l'ennemi.

 

Comment lutter efficacement ?

 

Dans son combat contre les attaques capitalistes, la classe ouvrière ne peut et ne doit compter que sur ses propres forces, son unité, sa solidarité, sa conscience, son organisation dans la lutte.

 

Pour lutter efficacement :

 
  • les ouvriers ne doivent pas attendre les consignes syndicales pour engager la lutte. Dès le début, ils ne doivent pas hésiter à disputer le contrôle de la lutte aux syndicats. La preuve que les syndicats sont des ennemis de la classe ouvrière, c'est qu'à chaque fois que les ouvriers ont engagé spontanément une lutte, les syndicats les ont combattus, voire même dénoncés (comme, par exemple lors de la grève spontanée des la RAPT en décembre 85, et celle de la SNCF en 86). Le combat de la classe ouvrière passe nécessairement par un affrontement à ces forces d'encadrement capitalistes;
  • lorsque les ouvriers décident d'engager le combat, ils doivent immédiatement se donner comme perspective d'étendre la lutte sur une base géographique (et non corporatistes ou sectorielle) en envoyant des délégations massives aux différentes entreprises voisines. C'est uniquement en prenant eux-mêmes très rapidement cette décision qu'ils pourront empêcher les syndicats (ou leur base gauchistes) de leur couper l'herbe sous le pied en s'emparant du mot d'ordre d'»extension» pour mieux dénaturer et saboter cette nécessité de la lutte, comme ce fut le cas ces dernières semaines;
  • si les ouvriers en lutte ne parviennent pas à convaincre ceux des autres entreprises pour les entraîner dans le combat, il ne sert à rien de poursuivre la lutte, seuls, car l'isolement ne peut les mener qu'à la défaite. Mieux vaut arrêter la lutte et repartir un peu plus tard lorsque les conditions de l'extension seront plus mûres. En aucune façon, les ouvriers ne doivent utiliser les méthodes des syndicats consistant, comme ce fut le cas dans les grèves contre le plan Juppé, à faire le forcing en culpabilisant les non grévistes, voire en les dénonçant comme des ennemis, pour les obliger à suivre un mouvement (notamment une grève longue) dans lequel ils ne sont pas prêts à s'engager;
  • c'est en premier lieu dans la tenue et la participation de tous les ouvriers aux assemblées générales massives et SOUVERAINES qu'ils peuvent réellement maîtriser leur lutte, l'étendre, déjouer les manoeuvres de sabotage syndical, imposer leurs propres décisions dans la discussion la plus large possible. Aujourd'hui, les syndicats prétendent que les AG qu'ils ont organisées étaient réellement souveraines avec l'argument que les décisions (c'est-à-dire les leurs) étaient votées «démocratiquement» par les grévistes. Ce n'est certainement pas le vote des propositions syndicales qui fait le caractère souverain de ces AG. Pour être de véritables lieux de décision où s'exprime la vie réelle de la classe ouvrière, ces AG doivent être ouvertes à tous les ouvriers de toutes les entreprises, tous les secteurs, qu'ils soient salariés ou au chômage. Or, dans le mouvement contre le pan Juppé, les syndicats ont tout fait pour verrouiller ces AG en empêchant les ouvriers des autres secteurs et entreprises d'y participer (sauf lorsqu'il s'agissait d'envoyer des délégations de cheminots pour «étendre» la grève sous le contrôle des syndicats);
  • c'est dans les AG souveraines que les ouvriers peuvent prendre réellement leurs luttes en mains, la contrôler en élisant des délégués et des comités de grève responsables devant l'ensemble des travailleurs en lutte, et donc révocables à tout moment. C'est dans ces AG souveraines qu'ils doivent se donner des organes de centralisation de la lutte, comme ce fut le cas en Pologne en 80 avec les MKS. Quand la lutte se généralise, les ouvriers doivent se doter d'un comité central de grève, chargé de centraliser la lutte à l'échelle géographique. Cet organe de centralisation du mouvement doit être formé de délégués de toutes les entreprises, secteurs et régions. Cette centralisation est l'expression de l'unité de la classe ouvrière en lutte;
  • seule cette centralisation peut permettre aux ouvriers de réellement maîtriser, contrôler, diriger leur combat du début à la fin. Et lorsque les ouvriers décident d'arrêter le mouvement, cette décision ne peut être prise que de façon collective et centralisée afin d'éviter la reprise du travail dans la dispersion, l'éclatement, la division où chacun se retrouve du jour au lendemain, isolé dans son entreprise, son atelier, coupé des autres ouvriers avec lesquels il a mené le combat. Une telle situation ne peut être que source de démoralisation. C'est justement ce que recherchent aujourd'hui les syndicats lorsqu'ils font voter la reprise paquets par paquets dans la plus grande confusion afin de créer un clivage entre ceux qui veulent poursuivre la lutte et ceux qui veulent reprendre le travail;
  • lorsque les ouvriers décident collectivement d'arrêter le combat, ils doivent préserver leur unité de classe en de donnant les moyens d'éviter à tout prix l'isolement, l'atomisation. Ils doivent chercher à se regrouper sur les lieux de travail pour discuter ensemble des forces et des faiblesses de la lutte qu'ils viennent de mener. Pour pouvoir repartir au combat dans les meilleures conditions, ils doivent tirer les principaux enseignements non seulement de leur dernière expérience mais de toutes leurs luttes passées (notamment en formant des comités de lutte lorsque les conditions le permettent).
 
 
 
 
 
 
 

Pour développer ses luttes, opposer un front massif et uni à la bourgeoisie, la classe ouvrière ne peut compter que sur elle-même. Elle a les moyens de mener un tel combat. Mais pour cela, elle doit retrouver la confiance en ses propres forces. C'est cette force que la classe dominante et son Etat redoute pas dessus tout.

 

"Révolution Internationale" n°252 Janvier 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

SNCF décembre 86 : les ouvriers peuvent se battre sans les syndicats

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Aujourd'hui, les syndicats occupent massivement le terrain social et l'on assiste à un retour en force du syndicalisme dans les rangs ouvriers. Après s'être laissée manipuler par les syndicats en novembre-décembre 95, la classe ouvrière se retrouve désemparée, hésitante à reprendre le chemin de ses luttes, sans perspective claire, face aux attaques de la bourgeoisie.

 

Il y a juste 10 ans, à travers la lutte à la SNCF de l'hiver 1986, la classe ouvrière démontrait pleinement à l'inverse que les prolétaires n'avaient pas besoin des syndicats pour développer et étendre leurs luttes et qu'ils étaient capables de créer une dynamique de lutte et d'inquiéter la bourgeoisie en se dégageant de l'emprise syndicale.

 

Contrairement à la formidable publicité nationale et internationale dont a "bénéficié" novembre-décembre 95 pour piéger les ouvriers, la bourgeoisie fait tout pour étouffer la mémoire de cette lutte en la décriant comme une "grève purement corporatiste", afin d'en dénaturer le sens et la portée.

 

Les ouvriers prennent l'initiative de la lutte en dehors et contre les syndicats

 

Cette grève à la SNCF de la fin 1986 s'intégrait dans une vague de luttes et de mobilisation ouvrière en Europe occidentale, vague dans laquelle s'exprimait une forte volonté d'unité, comme par exemple chez les mineurs du Limbourg, en grève au printemps 1986, qui avaient envoyé des délégations massives vers d'autres secteurs de la classe ouvrière. Cependant, malgré cette pression, les syndicats étaient parvenus à organiser et à prendre la tête des manifestations massives, empêchant ainsi la jonction des luttes en Belgique entre secteur public et secteur privé.

 

La lutte à la SNCF en France, démarrait quant à elle dans la nuit du 18 au 19 décembre 1986, lorsqu'un groupe de conducteurs de trains de Paris-Gare du Nord cessait le travail hors de toute consigne syndicale contre à la "nouvelle grille de travail" et les suppressions d'emploi prévues par la direction. Avant même les négociations qui devaient avoir lieu le 6 janvier suivant, les ouvriers prenaient l'initiative et appelaient les autres cheminots à une assemblée générale. L'assemblée décidait immédiatement la grève, sans aucun préavis. Les grévistes bloquaient tout le trafic ferroviaire de Paris région-Nord et lançaient des appels aux roulants des autres zones à les rejoindre dans la lutte. Avec une rapidité foudroyante, 48 heures après le premier arrêt de travail, la grève des conducteurs était pratiquement générale, impliquant 98% des agents de conduite. Les rares trains qui circulaient étaient conduits par le personnel d'encadrement ou des élèves-conducteurs non qualifiés pour cette tâche et le mouvement s'étendait à la quasi-totalité des dépôts, sans qu'aucun syndicat n'ait appelé au moindre débrayage.

 

En plusieurs endroits, la grève entraînait derrière elle les autres catégories et les autres secteurs de la SNCF. Partout, le mouvement s'était étendu à l'initiative des seuls ouvriers. Partout s'affirmait la claire et manifeste volonté des grévistes de prendre en charge la lutte par eux-mêmes et de la conserver entre leurs mains, sans laisser les syndicats négocier à leur place. A large échelle, s'instaurait la pratique générale d'assemblées, de permanences, de regroupements où l'on discutait de la conduite, de la reconduction, de l'organisation de la grève, où l'on décidait ensemble des actions à mener. Non seulement le mouvement échappait au contrôle des syndicats mais il exprimait au grand jour l'accumulation d'une défiance profonde et massive vis-à-vis d'eux et de leur travail de sabotage des luttes ouvrières.

 

Les syndicats n'avaient pas organisé moins de 14 "journées d'action" en cours d'année dans ce secteur pour tenter d'épuiser les ouvriers. Les centrales syndicales dénonçaient tout d'abord la grève et tentaient de la saboter. En particulier, la CGT, minoritaire chez les agents de conduite mais majoritaire au niveau de l'ensemble du personnel SNCF, allait s'opposer ouvertement à la grève depuis les premières heures du conflit jusqu'au 21 décembre à 18 heures, à la veille de l'ouverture de négociations entre syndicats et direction. Dans certains dépôts de la région parisienne, elle appelait à la reprise du travail, dans d'autres (Paris-Austerlitz ou Miramas sur le réseau Sud-Est), elle allait jusqu'à organiser des "piquets de travail", face à un mouvement qui se situait non seulement en dehors des syndicats mais aussi contre eux. Pour la bourgeoisie, il devenait rapidement évident que les syndicats étaient totalement débordés, impuissants, en dehors du coup. Elle savait aussi qu'il existait un risque d'extension de la lutte ouvrière, tant dans la Fonction publique et les entreprises nationalisées que dans le secteur privé. Des signes de colère et d'une méfiance généralisée envers les syndicats s'étaient déjà manifestés à l'EDF, dans les PTT, à la RATP où d'autres "journées d'action" syndicales étaient programmées au cours des semaines suivantes et alors qu'un mouvement de marins, rejoints en solidarité par des ouvriers et des dockers, paralysait les ports du pays depuis près d'un mois.

 

La contre-offensive de la bourgeoisie et de ses syndicats

 

La bourgeoisie utilisait alors son principal atout : jouer sur la période des fêtes de fin d'année qui s'ouvrait pour prévenir ce risque d'extension du conflit, notamment dans le secteur public, et pour asphyxier et isoler la lutte des cheminots. Pour cela, il lui fallait favoriser la réintégration des syndicats dans le mouvement. La CGT et les autres syndicats cessaient de s'opposer à la grève, donnant désormais ordre à leurs troupes de rattraper le mouvement, se faisant notamment les champions de l'élargissement de la lutte aux autres catégories de personnel de la SNCF où elle disposait d'une plus grande influence. Les négociations s'ouvraient dès le lendemain entre une direction et des syndicats seuls reconnus habilités à représenter les grévistes. Au cours de celles-ci, l'intransigeance affichée par la direction permettait aux syndicats de se radicaliser en se présentant à nouveau comme des "défenseurs des ouvriers" et solidaires d'eux. Mais cela ne pouvait suffire. Et c'est justement parce que les syndicats étaient totalement débordés que la bourgeoisie n'avait pas d'autre choix, pour combler le vide laissé par ses organes traditionnels d'encadrement des luttes ouvrières, que de recourir à des structures para-syndicales et «syndicalistes de base», animées par des gauchistes : les fameuses "coordinations" (l'une plus particulièrement dirigées par les trotskistes de LO, l'autre par ceux de la LCR). Ces «coordinations» ont alors accompli exactement le même sale boulot que les syndicats en enfermant les cheminots dans le piège du corporatisme et en constituant un service d'ordre musclé pour filtrer et interdire l'accès des AG aux «éléments extérieurs à la SNCF». C'est ainsi par exemple que des postiers venus apporter leur solidarité ont été vidés manu militari de l'AG par les «coordinations» pour la simple raison qu'ils n'étaient pas cheminots.

 

Parallèlement, un mouvement de grève engagé dans le métro se durcit et commence à gagner les dépôts de bus de la RATP : le trafic se retrouve quasiment bloqué à la veille de Noël. La CGT et la CFDT étaient contraintes de s'y joindre, sous peine de perdre tout crédit. Mais dans les heures qui suivent, les syndicats, chacun tirant de son côté, parviennent à faire cesser la grève à la RATP en présentant l'ouverture immédiate de négociations dans cette entreprise comme un succès et en faisant de vagues promesses sur la "défense" de certaines revendications spécifiques. Cela a pour effet de démoraliser nombre d'ouvriers et de casser la dynamique d'extension de la lutte. Malgré la détermination apparemment intacte des grévistes à la SNCF, la réapparition progressive des syndicalistes au premier rang accompagne un repli sur une "solidarité" purement corporatiste, un enfermement dans la SNCF et des "actions" de blocage de voies ferrées. Dès qu'ils ont pu remettre le pied à l'étrier, les syndicats ont organisé le sabotage de la lutte et l'ont entraînée vers la défaite la plus cuisante, pleinement épaulés par le travail des "coordinations". C'est après que toute la bourgeoisie se soit bien assurée que les ouvriers de la SNCF étaient enfermés dans le piège du corporatisme et de l'isolement, que leur combativité ait été épuisée dans un conflit long et jusqu'au-boutiste par les "coordinations", autant d'ingrédients ayant fait pourrir la grève sur pied, que les syndicats ont organisé, début 1987, une pseudo-extension de la lutte dans les autres secteurs, en particulier dans le service public. Cette contre-offensive avait pour objectif essentiel d'amplifier et d'élargir la défaite des ouvriers sous la houlette syndicale. La bourgeoisie cherche à persuader les prolétaires qu'ils n'ont pas d'autre alternative aujourd'hui que de lutter derrière les syndicats. L'expérience de 1986 illustre tout le travail de sabotage des syndicats contre la dynamique des luttes ouvrières. Mais elle démontre surtout que les ouvriers ont les moyens d'étendre la lutte et de la prendre en mains en dehors des structures syndicales. La classe ouvrière doit se réapproprier cette expérience pour reprendre confiance en ses propres forces et retrouver sans hésiter le chemin de ses combats de classe.

"Révolution Internationale" n°264 Janvier 1997

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Récent et en cours: 

  • SNCF [5]

MAI 68 : Un véritable combat de la classe ouvrière ouvrant une perspective pour le prolétariat mondial

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Lors des grèves de décembre contre le plan Juppé, toute la bourgeoisie et ses médias ont orchestré un gigantesque battage idéologique visant à faire croire que, grâce aux syndicats, la classe ouvrière était en train de développer un combat comparable à celui qu'elle avait mené en mai 68. Une telle campagne, basée sur une falsification éhontée de l'histoire, n'avait qu'un seul but : dénaturer la signification et la dynamique du mouvement de mai 68 pour attaquer la conscience et la mémoire du prolétariat. En faisant une comparaison entre mai 68 et le mouvement contre te plan Juppé, il s'agissait pour la bourgeoisie d'inoculer le mensonge suivant lequel les syndicats auraient été à l'initiative du formidable mouvement de mai 68. Le but de la manoeuvre visait ainsi à mystifier les ouvriers afin de les pousser à s'engager dans un combat prématuré, téléguidé de bout en bout par les forces d'encadrement capitaliste.

 

Face à une telle campagne mensongère, l'article que nous republions ci-dessous rappelle ce que fut réellement Mai 68 : au delà de sa signification historique pour le prolétariat mondial, ce mouvement a révélé la véritable nature de classe des syndicats : des organes de l'Etat capitaliste dont la seule fonction consiste à saboter la reprise des combats ouvriers.

 

 

 

Après avoir massacré physiquement la classe ouvrière pendant les années 20 à la suite de la vague révolutionnaire du premier après-guerre, après l'avoir démoralisée et complètement déboussolée au nom de la "défense de la patrie socialiste russe" et de "l'anti-fascisme" dans les années 30, après l'avoir précipitée dans les charniers de la seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie confondait l'épuisement du prolétariat avec son asservissement. Ivre de la "prospérité" de l'après-guerre fondée sur des millions de cadavres, elle se croyait devenue immortelle et se moquait ouvertement de la classe porteuse du communisme et de sa conception du monde, le marxisme.

 

Dans cette illusion, elle était confortée par les écrits de l'intelligentsia universitaire, les "autorités" en matière de pensée "révolutionnaire", les Castoriadis, les Marcuse et leurs héritiers, petits fils de la canaillerie stalinienne qui, forts de leur prestige, prononcèrent le requiem du marxisme, pour le plus grand plaisir de leurs maîtres. Ces intelligences avaient "découvert" que désormais le capitalisme pouvait se développer sans crise. Pour elles, le prolétariat avait été "récupéré", intégré au système, il s'était "embourgeoisé". Dans le même cercueil, elles rangèrent la lutte de classe et la nature révolutionnaire du prolétariat. Car tel est le rêve illusoire de la bourgeoisie.

 

Mai 68 : la fin des mystifications sur la disparition du prolétariat.

 

Le mouvement de Mai 68 allait sonner le glas de ces illusions. Le repas de funérailles n'était pas encore desservi que le défunt, bien vivant, mettait fin au banquet. Et de quelle façon ! Pour son premier réveil après plusieurs décennies de torpeur, le prolétariat mondial allait mener en France la plus grande grève de son histoire : 9 millions d'ouvriers, la presque totalité de la classe ouvrière du pays, bloquant la production pendant près d'un mois. Pour la première fois de l'histoire, le vieux mythe du syndicalisme révolutionnaire du début du siècle, la "grève générale", semblait prendre corps. Comment en étions-nous arrivés là ?

 

Nous ne pouvons évidemment pas, dans le cadre de cet article, faire un historique, même résumé, de ces événements[1]. Nous nous contenterons d'indiquer quelques uns des faits les plus importants permettant aux lecteurs qui ne les ont pas vécus de s'en faire une idée. Même si la grève de mai 68 a surpris presque tout le monde et notamment la plupart de ses protagonistes, on ne peut dire qu'elle a éclaté comme un éclair dans un ciel bleu. En fait, depuis plus d'un an, il s'était développé en France toute une série de conflits sociaux, tels que grèves, occupations, manifestations, heurts avec la police (Dassault-Bordeaux début 67 ; Renault-Le Mans, Rhodia, Berliet-Venissieux en automne 67, Caen, Fougères, Quimper, Redon, début 68) qui révélaient un profond mécontentement ouvrier. Mais l'événement qui agit comme détonateur en mai 68, c'est la répression qui s'abat au début du mois sur les étudiants. Parmi ces derniers, l'agitation s'était développée à partir de fin mars, notamment à l'université de Nanterre. Le 2 mai, cette université est occupée par les CRS et fermée. En protestation quelques centaines d'étudiants occupent la cour de la Sorbonne le lendemain : ils en sont chassés par les CRS qui procèdent à des arrestations. Le mot d'ordre : "Libérez nos camarades" mobilise des dizaines de milliers d'entre eux toute la semaine suivante jusqu'aux barricades du 10 mai qui donnent lieu à une répression policière sauvage. Face à la colère qui s'empare de la grande majorité de la population et particulièrement de la classe ouvrière, les centrales syndicales appellent à des manifestations pour le 13 mai. Malgré la libération précipitée des détenus, ces manifestations revêtent une ampleur sans précédent : presque 1 million de personnes à Paris.

 

Ainsi, une agitation étudiante, dans l'ensemble moins importante que celle qui s'est déroulée auparavant dans beaucoup d'autres pays a abouti, par la grâce d'une série de maladresses d'un gouvernement dépassé par la situation, et d'une répression aussi brutale que stupide, à la mobilisation de millions d'ouvriers. Mais l'incompétence et la surprise des autorités n'expliquent pas tout. Derrière cette énorme mobilisation se trouve un mécontentement beaucoup plus profond qui ne tarde pas à s'exprimer.

 

Dès le lendemain, la grève est déclenchée spontanément à Sud-Aviation Nantes, puis à Renault-Cléon. Le 16 mai, c'est au tour de Renault-Billancourt, l'usine phare de la classe ouvrière, d'entrer dans la lutte, ce qui constitue un signal attendu par des millions d'ouvriers pour se lancer.

 

Prise au dépourvu par cette grève qui s'étend comme une traînée de poudre dans tout le pays, la CGT lance le même jour un "appel à la lutte". Comme on le dit alors : "elle prend le train en marche". Les autres centrales l'imitent. Toutes n'ont plus qu'une préoccupation : reprendre le contrôle d'un mouvement qui s'est déclenché indépendamment, quand ce n'était pas contre, leur volonté. Elles s'y emploient avec ardeur notamment en prenant en charge systématiquement les occupations des usines qui, derrière les piquets syndicaux, deviennent de véritables prisons pour les ouvriers. Pour les syndicats et le PCF, il s'agit, au nom de la "protection de l'outil de travail" contre "les provocateurs" qui auraient "infiltré" les étudiants, d'éviter que les groupes "gauchistes" (maoïstes et trotskistes) dont ils craignent la concurrence, et surtout les révolutionnaires, ne viennent "contaminer" les ouvriers. Il s'agit surtout de diviser, d'isoler les différents secteurs de la classe ouvrière, chacun dans son coin, pour empêcher celle-ci de se constituer eh une force unie qui représenterait un danger bien plus important pour la bourgeoisie et serait bien plus difficile à vaincre par cette dernière.

 

Ces manoeuvres ne suffisent pas à empêcher l'extension du mouvement -laquelle se poursuit jusqu'à la fin du mois- ni le déroulement, souvent dans les facultés occupées, de nombreuses discussions impliquant des dizaines de milliers d'ouvriers et abordant toutes sortes de sujets intéressant la classe ouvrière : le rôle des syndicats, les conseils ouvriers, la révolution, comment lutter aujourd'hui etc..

 

Avec un certain retard sur le PCF et les syndicats, les autres secteurs de l'appareil politique bourgeois reprennent leurs esprits. Le 24 mai, le gouvernement, en même temps qu'il provoque une nouvelle fois les étudiants en expulsant Cohn-Bendit, le leader des étudiants de Nanterre, propose l'ouverture de négociations réclamées à cor et à cris par les syndicats. Les 25 et 26 mai, tous les dirigeants des centrales syndicales et des organisations patronales élaborent, sous la présidence de Pompidou, premier ministre, les accords dits de "Grenelle" destinés à brader la grève ouvrière. Ces accords, s'ils comportent une augmentation de 35% du salaire minimum (ce qui ne concerne que 7% de la classe ouvrière) ne proposent que 10% d'augmentation ce qui équivaut, compte tenu d'une perte moyenne de 4% du salaire due à la grève et aux hausses de prix qui s'annoncent, une élévation du pouvoir d'achat bien moindre que celle des années précédentes (qui déjà n'étaient pas fameuses).

 

Les ouvriers ressentent ces accords comme une gifle. Venu les présenter à Renault-Billancourt le matin du 27 mai, Séguy, secrétaire général de la CGT, se fait abondamment siffler. Il ne réussit à sauver sa mise qu'en se désolidarisant d'un texte qu'il a élaboré pendant deux jours avec ses comparses du patronat et du gouvernement et alors qu'il a déclaré aux journalistes quelques heures auparavant : "La reprise ne saurait tarder". Pour ne pas perdre le contrôle de la situation, la CGT reprend à son compte le mot d'ordre : "Le combat continue ! " pendant que d'autres forces bourgeoises "de gauche" viennent compléter son travail de sabotage. C'est ainsi que le même jour se tient au stade Charléty, à Paris, un grand rassemblement destiné à récupérer derrière une "alternative de gauche" les ouvriers écoeurés par les manoeuvres de la CGT. On y retrouve côte à côte la CFDT (syndicat proche du parti socialiste mais qui, durant les grèves s'est donné des airs de "radicalisme" vis-à-vis de la CGT), les groupes gauchistes (maos, trotskistes et anarchistes), Cohn-Bendit (rentré illégalement en France) et Mendès-France (ancien Président du Conseil). La CGT n'est pas en reste : le 29 elle organise une grande manifestation à Paris où elle fait acclamer le slogan "Gouvernement populaire".

 

Le 30 mai c'est aux autorités officielles de repasser à l'offensive. De Gaulle fait un discours où il annonce la dissolution de l'assemblée nationale et la tenue d'élections fin juin. En même temps ses troupes sont rameutées et participent à une grande manifestation sur les Champs Elysées. Le gouvernement appelle à ouvrir des négociations branche par branche. Les syndicats et en particulier la CGT se précipitent sur cette opportunité permettant de faire reprendre les secteurs (tel EDF-GDF) où les propositions patronales vont au delà des accords de Grenelle. Ils renforcent cette pression en faveur de la reprise par toutes sortes de manoeuvres comme la falsification des votes, les mensonges sur de prétendues "reprises", l'intimidation au nom de la lutte contre les "provocateurs gauchistes". Un de leurs grands arguments est qu'il faut reprendre le travail afin que les élections, sensées "compléter la victoire ouvrière", puissent se dérouler normalement. "L'Humanité" titre : "Forts de leur victoire, des millions de grévistes reprennent le travail". Malgré cela, de nombreuses poches de résistance se maintiennent, comme à Renault-Flins, Peugeot-Sochaux, où la répression fait plusieurs morts, ainsi qu'à Citroën-Javel, où le travail ne reprend qu'après le 1er tour des élections le 23 juin.

 

Finalement, la formidable grève de mai-juin 68 devait aboutir à une défaite pour la classe ouvrière. Mais ce fut une expérience incomparable où des millions d'ouvriers ont été confrontés aux problèmes qui se posent à leur classe, où en particulier ils ont dû affronter le sabotage des syndicats (de nombreuses cartes syndicales furent déchirées en juin 68). Mais surtout, Mai 68, par son ampleur, révélait qu'il ne s'agissait pas d'une simple péripétie "française" de l'agitation estudiantine des années 60, la révolte contre la "société de consommation" ou la "société du spectacle". C'était bien une nouvelle période qui s'ouvrait dans l'histoire du prolétariat mondial.

 

La reprise historique du prolétariat mondial

 

Cette nouvelle période, seuls pouvaient en prévoir et reconnaître la venue ceux, les révolutionnaires marxistes, qui savaient que le capitalisme décadent est totalement incapable de surmonter ses contradictions économiques. C'est ainsi qu'en janvier 68, nos camarades d"'Internacionalismo" au Venezuela (groupe précurseur du CCI) pouvaient écrire dans le n°9 de leur revue :

 
  • "L'année 67 nous a laissé la chute de la Livre Sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson (...) voici que se dévoile la décomposition du système capitaliste, qui, durant quelques années, était restée cachée derrière l'ivresse du "progrès" qui avait succédé à la seconde guerre mondiale."
 

Sur cette base, nos camarades saluaient l'année 68 car elle devait se signaler par un surgissement mondial des luttes ouvrières stimulées par l'aggravation de la crise.

 

Pour sa part, évidemment, l'intelligentsia tentait encore de pérorer. En particulier, en s'appuyant sur le rôle de détonateur joué par l'agitation des étudiants et sur le succès du verbiage révolutionnaire en leur sein, elle surévaluait complètement leur rôle dans les événements de mai afin de rabaisser celui de la classe ouvrière. Ainsi, Castoriadis éructait péniblement : "Il est de première importance de dire bien haut et avec calme qu'en Mai 68, le prolétariat n'était pas l'avant-garde révolutionnaire de la société, qu'il n'était que l'arrière-garde muette ".

 

L'insistance avec laquelle cet idéologue patenté s'efforce d'appeler la bourgeoisie à garder son calme est touchante : le prolétariat n'existait pas puisque lui-même l'avait enterré !

 

La bourgeoisie ne manquait pourtant pas de raisons pour s'affoler. Car la vague de luttes qui commença en France en mai 1968 allait secouer le monde jusqu'en 1974 : d'Italie en Argentine (1969), d'Espagne en Pologne ( 1971 ) en passant par la Belgique et la Grande-Bretagne (1972), en Scandinavie et en Allemagne, la classe ouvrière allait démontrer dans la réalité sociale cette vérité que permet de prévoir la vision marxiste et qui avait tant fait rire la bourgeoisie : "Mai 68 est la première riposte importante de la classe ouvrière à un processus de crise aiguë du système capitaliste dont l'approfondissement inévitable verra se radicaliser les luttes prolétariennes jusqu'à déboucher sur la Révolution mondiale." (Révolution Internationale Ancienne série, n° 3, p. 48).

 

Le marxisme avait permis de prévoir l'inévitable crise économique qui allait permettre de poser la question de la destruction du système capitaliste.

 

Il avait aussi permis de prévoir le retour fracassant du prolétariat sur la scène de l'histoire, pour mener à bien cette destruction et construire la société communiste.

 

Mais alors que ceux qui l'avaient enterré parlaient de révolution en mai 68 -dans le but de souligner son échec et par là rendre illusoire et utopique l'idée-même de révolution-, le marxisme ne permettait pas cette impatience : si le prolétariat s'était affirmé à nouveau après cinquante années de contre-révolution, il n'avait cependant pas atteint, ni en France en 68, ni mondialement, la maturité nécessaire pour s'imposer à la bourgeoisie et lui livrer les combats décisifs qui décideront du destin de l'humanité : socialisme ou barbarie généralisée.

 

La révolution sera nécessairement l'oeuvre consciente de l'immense majorité des travailleurs et cette conscience ne peut se forger qu'à travers une longue série de luttes de plus en plus radicales, répondant à une dégradation de plus en plus profonde des conditions d'existence de la classe ouvrière (...)

 

La méthode marxiste est vivante, ses fossoyeurs sont mal en point. C'est elle qui a permis aux révolutionnaires de ne pas céder aux chants de sirène des visions modernistes, c'est elle qui leur a permis de comprendre et d'intervenir dans les luttes du prolétariat. Par le cadre international et historique qu'elle exige, elle seule peut permettre aux révolutionnaires de participer concrètement, théoriquement, à l'achèvement de ce processus réenclenché en 68 par la classe ouvrière, et rendre ainsi possible le triomphe de la Révolution mondiale.

 

"Révolution Internationale" n°254 Mars 1996

 

 

[1] Nous recommandons tout particulièrement à nos lecteurs le livre de Pierre Hempel : "Mai 68 et la question de la révolution"

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Mai 1968 [6]

III - Les syndicats contre la classe ouvrière

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Avec le mouvement de décembre 1995, on a vu s'opérer un retour en force des syndicats. Celui-ci a été le produit d'une action conjuguée de toutes les forces de la bourgeoisie. L'objectif principal de cette manoeuvre de grande envergure a été non seulement de répandre de la façon la plus large et efficace l'idée que les syndicats «défendent» vraiment les intérêts ouvriers, mais que le syndicalisme reste encore la meilleure forme d'organisation de la lutte. Elle a ainsi permis de faire oublier le discrédit croissant à leur égard, voire l'hostilité ouverte, qui gagnait l'ensemble du prolétariat en profondeur dans les années 80. Elle a fortement contribué à faire reculer la réflexion et la prise de conscience dans la classe ouvrière sur le syndicalisme et le travail de sape des syndicats, réflexion et prise de conscience qui étaient à l'oeuvre depuis bientôt trente ans.

Les deux articles publiés ci-après ont pour but de contribuer à la nécessaire réappropriation du rôle réel des syndicats contre les luttes ouvrières et d'armer le prolétariat pour ses luttes présentes et à venir. Le premier montre comment et en quoi le syndicalisme appartenait au mouvement ouvrier et comment les syndicats, à l'origine organisations authentiquement ouvrières, sont passés définitivement dans le camp de la bourgeoisie et de la défense acharnée du capitalisme. Le deuxième montre en particulier comment cette défense sans faille s'est illustrée dans toutes les vagues de luttes, des années 70 au début des années 90.

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Le syndicalisme : une arme de la bourgeoisie

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Le prolétariat peut-il encore se servir des syndicats ou les reconquérir à son service ? Le syndicalisme, fût-il «radical» ou «de base», figure-t-il la forme d'organisation adaptée au contenu des luttes ?

XIXe siècle : les syndicats, des instruments pour la lutte et l'unification du prolétariat

Au siècle dernier, les syndicats étaient vraiment des organisations qui regroupaient les ouvriers et qui leur permettaient d'organiser leurs luttes en vue d'obtenir des réformes (augmentations de salaire et diminution du temps de travail). Dans le contexte d'un mode de production en plein développement et ne connaissant que des crises cycliques de courte durée, ces luttes syndicales parvenaient effectivement à arracher à la bourgeoisie des avantages substantiels et durables. Le fait même d'avoir obtenu le droit (reconnu en 1824 en Angleterre) ou la simple possibilité de former des syndicats pour lutter représentait une victoire, et non des moindres, arrachée à la bourgeoisie de haute lutte. Les syndicats traduisaient l'effort souvent héroïque des ouvriers pour s'unir en vue de lutter et donc de se constituer en classe qui défend ses intérêts face à la bourgeoisie. Les ouvriers s'organisaient par corporations, se soutenant dans leurs luttes d'une corporation à l'autre, et même d'un pays à l'autre, par le biais, par exemple, des caisses de secours. Il s'agissait alors de faire plier tel patron ou telle branche d'industrie et de les contraindre à accorder de meilleures conditions de vie et de travail. Cela était alors possible. Marx et Engels soulignent l'importance des syndicats et l'unification de la classe ouvrière que leurs luttes permettaient :

  • «Les syndicats et les grèves qu'ils entreprennent ont une importance fondamentale parce qu'ils sont la première tentative faite par leurs ouvriers pour supprimer la concurrence. Ils impliquent en effet la conscience que la domination de la bourgeoisie repose nécessairement sur la concurrence des ouvriers entre eux, c'est-à-dire sur la division du prolétariat et sur l opposition entre groupes individualisés d'ouvriers. » (Marx-Engels, «Le syndicalisme», Ed. Mas-péro.)

Mais cette forme d'organisation comportait des limites : «Il est évident, écrivaient encore Marx et Engels dans le même texte, que tous ces efforts ne peuvent modifier la loi économique qui règle les salaires en fonction de l'offre et de la demande sur le marché du travail». Ainsi, Marx et Engels mettent déjà en garde face à cette tendance des syndicats à se borner «à régulariser le salaire moyen et à fournir aux ouvriers, dans leur lutte contre le capital, quelques moyens de résistance» et qui les amène à oublier le but final du mouvement : la lutte pour l'abolition du système salarial tout entier.

Cette période ascendante du capitalisme permettait aussi à la classe ouvrière d'envoyer des représentants au Parlement. En effet, la bourgeoisie de cette époque était encore divisée en fractions les unes plus progressistes et les autres réactionnaires. La classe dirigeante d'alors, par exemple, luttait encore contre les représentants des classes hégémoniques de l'Ancien Régime, dont le pouvoir économique demeurait encore puissant et contre les fractions les plus rétrogrades de sa propre classe. Si, à cette époque, il était possible d'avoir ces deux formes de lutte, la lutte au Parlement et la lutte pour des réformes économiques ne pouvaient être comprises que comme faisant partie du même mouvement : celui de la lutte d'une classe contre une autre. En 1905, les grèves de masse qui explosent en Russie viennent illustrer et confirmer cette tendance du syndicat à vouloir enfermer la lutte ouvrière dans les limites de la lutte pour des réformes. Ainsi, à l'heure où l'évolution du capitalisme oriente la classe ouvrière vers la lutte révolutionnaire, le syndicalisme devient un frein à cette lutte. «La grève de masse, telle que nous la montre la révolution russe de 1905 est un phénomène si mouvant qu 'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution (...) Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre (...). La loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement; elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. » (Rosa Luxemburg, «Grève de masse, parti et syndicats».)

Les syndicats ne voient pas ce mouvement irréversible qui accompagne le déclin du capitalisme. Ils se figent sur la lutte pour les réformes, sur les grèves préparées et organisées méthodiquement en vue d'arracher des réformes. En 1906, le congrès syndical de Cologne interdit même la discussion sur la grève de masse dans un moment où la classe ouvrière essaie d'en tirer les leçons.

XXe siècle : les syndicats, instruments de la division et du sabotage des luttes

Les syndicats ont donc été une arme véritable pour les luttes de la classe ouvrière. Mais les limites qu'ils portaient en eux font que, avec le changement de période, ils vont devenir de simples freins d'abord (1905), puis de véritables entraves au point d'être récupérés tout simplement par l'Etat bourgeois, quand l'ère des réformes s'achève et que se pose la nécessité de la lutte révolutionnaire. Les syndicats, dans leur très grande majorité, vont d'ailleurs clairement se placer dans le camp capitaliste en 1914, en soutenant dans tous les pays les efforts de guerre de leur bourgeoisie nationale et en appelant les ouvriers à participer au premier holocauste mondial. Ils confirmeront leur nature bourgeoise dès 1919 en s'affirmant les ennemis résolus, aux côtés de l'Etat, de la lutte révolutionnaire des ouvriers d'Allemagne. «Rappelez-vous, camarade, quelle situation régnait en Allemagne avant et pendant la guerre. Les syndicats, uniques moyens d'action mais bien trop faibles, machines improductives entièrement aux mains des chefs qui les faisaient fonctionner au profit du capitalisme. Puis, ce fut la révolution. Les chefs et la masse des syndiqués transforment ces organisations contre celle-ci. La révolution est assassinée avec leur concours, avec leur appui, par leurs chefs, et même par une partie des syndiqués de base. Les communistes voient leurs propres frères fusillés avec la bénédiction des syndicats. Les grèves en faveur de la révolution sont brisées.» (Gôrter, «Réponse à Lénine».)

Dès lors, le syndicalisme sert à encadrer la classe ouvrière, à saboter sa lutte, à l'enfermer dans le cadre désormais trop étroit du capitalisme et de sa légalité. Un syndicalisme au service des intérêts ouvriers n'est plus possible. Ce ne sont pas seulement les syndicats qui sont pourris mais la forme syndicale elle-même qui n'est plus adaptée. Dans la période de décadence du capitalisme, il n'y a plus de programme minimum à défendre, plus de possibilité d'obtenir des réformes durables, pour la classe ouvrière. Le prolétariat doit désormais lutter pour le programme maximum, pour l'abolition de l'esclavage salarié, en détruisant le capitalisme. Une lutte de cette envergure ne peut se dérouler dans le cadre des organisations syndicales qui avaient surgi au siècle dernier pour l'obtention de réformes. Croire qu'on peut aujourd'hui encore utiliser les syndicats pour développer la lutte, c'est se bercer d'illusions sur la possibilité d'arracher au capitalisme décadent des réformes durables comme au XIXe siècle. Ainsi, en 1936, six mois après les accords de Matignon, les augmentations de salaires étaient déjà annulées par l'inflation.

De plus, le syndicalisme enferme aussi la classe ouvrière dans une situation de faiblesse, de manque de confiance en elle, puisqu'il demande aux ouvriers de confier l'organisation de leur lutte à des «spécialistes» qui pensent et négocient à leur place.

La forme syndicale correspond encore à l'illusion qu'une minorité combative organisée peut préparer, éventuellement déclencher et organiser, les luttes. Or, dans la période de décadence du capitalisme, les luttes ne se décrètent pas et l'organisation jaillit du sein-même de la lutte. Les seuls grands combats depuis la fin des années 60 ont été des grèves qui sont parties spontanément et se sont donné comme base d'organisation non pas la forme syndicale, mais celle des assemblées générales, où tous les ouvriers débattent ensemble, avec des comités élus et révocables pour centraliser la lutte. Depuis 1968, ce sont toutes ces illusions sur le syndicalisme qui ont permis à la bourgeoisie de saboter et de conduire toutes les luttes ouvrières à la défaite.

Mais, à travers les hauts et les bas des mouvements revendicatifs, dans tous les pays a mûri progressivement la conscience que les syndicats sont l'instrument de division et de sabotage des luttes par l'Etat bourgeois. La grande grève de mai 1968, en France est déclenchée malgré les syndicats ; en Italie, au cours des grèves de l'»automne chaud» de 1969, les travailleurs chassent les représentants syndicaux des assemblées générales de grévistes ; en 1973. les dockers d'Anvers en grève s'attaquent au local des syndicats ; dans les années 70, en Grande-Bretagne, les ouvriers malmènent souvent les syndicats, qui se font conspuer dans les luttes ; c'est ce même rejet des syndicats qui s'exprime également en France en 1979 dans la lutte des sidérurgistes de Longwy-Denain ; en août 1980, en Pologne, les ouvriers prennent eux-mêmes la direction de leur combat et organisent la grève de masse sur la base des assemblées générales souveraines et des comités élus et révocables (les MKS) : micros et haut-parleurs sont de rigueur pendant les négociations pour permettre à tous les ouvriers d'y participer, d'intervenir et de contrôler leurs délégués.

La bourgeoisie s'inquiète de ce phénomène montant de méfiance et de rejet de ses forces d'encadrement en milieu ouvrier, surtout dans une période où elle sait parfaitement que la crise de son système va obliger les ouvriers à se lancer dans des combats de plus en plus larges, massifs et généralisés, à la mesure des attaques dont ils sont l'objet. Il n'est donc pas étonnant de voir la bourgeoisie déployer beaucoup de zèle pour remédier à ce discrédit croissant des syndicats en s'efforçant de les renforcer (...). Pour ce faire, la classe dominante travaille à radicaliser ses syndicats, à les orienter vers un travail «de base», «à l'écoute» des ouvriers, afin qu'ils ne se laissent pas déborder par des mouvements de combativité incontrôlés.

Pour enfermer les ouvriers dans l'idéologie du syndicalisme, elle ne se contente pas seulement de redorer le blason des grandes centrales. Elle entretient aussi la fausse opposition base syndicale/dirigeants, de même qu'elle a montré sa capacité à créer de toutes pièces des structures de type syndical, présentées soi-disant comme une «alternative» aux syndicats officiels : les «coordinations» (comme celles de la SNCF en 1986 ou des travailleurs de la santé en 1988). C'est sur cette longue expérience de sabotage de ses luttes par les syndicats que la classe ouvrière doit s'appuyer aujourd'hui pour briser le carcan que lui impose la bourgeoisie, pour prendre elle-même ses combats en main, les élargir, et s'affronter à l'Etat bourgeois.

"Révolution Internationale" n°215

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [7]

Les syndicats ont toujours saboté les luttes ouvrières

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Mai 68, de même que le mouvement de «l'automne chaud» italien en 1969, ont constitué pour le prolétariat une première expérience de confrontation au sabotage syndical au début de la reprise historique de la lutte de classe. Dès le début de cette reprise, les syndicats, à travers leurs manoeuvres et leur collaboration ouverte avec le gouvernement, sont massivement contestés.

 

En France comme en Italie, des dizaines de milliers d'ouvriers déchirent leur carte syndicale. Cependant, ces réactions de colère ponctuelles n'étaient rien à côté de toute l'expérience de confrontation permanente aux syndicats qu'allait vivre la classe ouvrière dans tous les mouvements de luttes des années 1970 et 1980.

 

Après l'expérience de mai 68 en France, la bourgeoisie n'a qu'une préoccupation : empêcher à tout prix les ouvriers de sortir massivement dans la rue. Pour cela elle va compter sur ses syndicats qui, partout, vont faire obstacle au développement des luttes.

 

1973-1975 : comment les syndicats s'opposent aux luttes ouvrières

 

En France, toutes leurs manoeuvres de sabotage vont consister à enfermer les ouvriers dans leur lieu de travail, comme ils l'avaient fait efficacement en 1968 avec le mouvement d'occupation des usines. La lutte des travailleurs de LE? en 1973 a constitué l'exemple le plus caricatural de cette stratégie d'enfermement où, sous l'égide de la CFDT, les «LIP» se sont laissé piéger dans la défense de l'outil de travail , derrière le mot d'ordre mystificateur de l'«autogestion», c'est-à-dire de la gestion de leur propre exploitation.

 

En présentant la lutte des ouvriers de LIP comme une victoire de la classe ouvrière les syndicats ont pu partout s'appuyer sur cet exemple pour dévoyer la classe ouvrière sur le terrain pourri de la défense de «leur» entreprise. Ainsi, l'année suivante, la grève massive des postiers qui a démarré spontanément et s'est étendue dans tout le secteur des PTT aux quatre coins de la France, s'est heurtée elle aussi à la même tactique des syndicats. Au nom de la défense du service public et contre les privatisations, les syndicats, CGT en tête, ont organisé la défaite des ouvriers en donnant comme principal objectif à la lutte l'ouverture des négociations avec le gouvernement. Toutes leurs manoeuvres ont consisté, grâce à des négociations par catégories, à faire reprendre le travail progressivement dans les différents services des PTT, afin d'isoler le noyau dur, les ouvriers du tri, que les syndicats sont parvenus à épuiser dans une grève longue et stérile. Au printemps 1975, c'est encore la même stratégie que les syndicats ont utilisée pour étouffer la colère des ouvriers de Renault. Ainsi, la CGT n'a cessé pendant six semaines d'enchaîner les «Renault» à la défense de l'outil de travail, des nationalisations. En organisant la division au sein même de chaque usine, ils ont tout mis en oeuvre pour cloisonner la grève atelier par atelier, appelant à des débrayages à tel endroit, à une grève reconductible à tel autre, à un ralentissement des cadences ailleurs, etc., afin d'empêcher les ouvriers de se retrouver tous ensemble dans la lutte.

 

Toutes ces manoeuvres de sabotage se sont révélées parfois encore plus clairement dans les autres pays. Ainsi, en Italie, en août 1975, lorsque les cheminots entrent spontanément en lutte, les syndicats condamnent la grève en revendiquant l'ouverture de longues négociations destinées à marchander une maigre augmentation des salaires en échange d'un renforcement de la productivité. Le secrétaire national de la SFI-CGTL ira même jusqu'à critiquer la police parce qu'elle ne fait rien contre les grévistes.

 

En Espagne, les Commissions Ouvrières et le PC sabotent les grèves en les détournant sur le terrain pourri de la défense de la démocratie contre le régime franquiste. Au Portugal, en 1974-1975, l'intersyndicale dirigée par le PC alors au gouvernement, exhorte constamment les ouvriers à abandonner leurs luttes et à accepter de nouveaux sacrifices. Finalement ils enverront les flics contre les grévistes, en particulier contre les ouvriers des transports.

 

Partout, les syndicats se sont efforcés non seulement de briser ou de réprimer les grèves, mais encore de dévoyer la colère ouvrière derrière les programmes électoraux des PS et PC, en semant l'illusion qu'avec la venue de la gauche au gouvernement leur sort serait amélioré. C'est cette mystification qui a permis à la bourgeoisie d'épuiser cette première vague de luttes.

 

1978-1979 : les ouvriers commencent à briser l'encadrement syndical

 

A partir de la fin 1978, après l'échec de la gauche aux élections de mars, qui a signé l'acte de décès du «programme commun» en France, la classe ouvrière reprend le combat. C'est le début d'une nouvelle vague de luttes qui touche non seulement la France, mais de nombreux autres pays (Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Brésil, Pologne...). En France, l'annonce des 20 000 licenciements dans la sidérurgie va servir de détonateur à la riposte ouvrière face aux mesures d'austérité du plan Barre qui frappe toute la classe ouvrière. Face aux licenciements en Lorraine et dans le Nord, les ouvriers savent qu'ils n'ont plus rien à perdre. La colère explose massivement à Longwy et Denain en janvier 1979. Comme durant les années précédentes, les syndicats commencent d'abord par accepter les mesures de l'Etat capitaliste en négociant les licenciements. Mais les ouvriers, cette fois, sont bien déterminés à ne pas se laisser faire. Ils commencent à contester l'encadrement syndical en comprenant que l'usine est devenue une véritable forteresse gardée par les syndicats, et qu'il faut maintenant gagner la rue pour s'affronter à l'Etat. Dès le début du mouvement, les syndicats, débordés par l'énorme combativité des ouvriers qui s'affrontent partout avec les forces de*l'ordre (attaques des commissariats et des centres des impôts, occupations des sous-préfectures, séquestrations de cadres, etc.), dénoncent la violence des «provocateurs» et des «éléments incontrôlés». Puis ils essaient de reprendre le contrôle de la situation en dévoyant la colère des ouvriers à travers l'organisation de journées «ville morte», des grèves et manifestations régionales sans parvenir cependant à épuiser leur combativité. Devant l'ampleur du mouvement, les syndicats s'efforcent d'éviter tout affrontement avec la police et surtout de manoeuvrer pour garder la situation en main. Ainsi, un responsable de la CGT déclare le 20/ 2/79 : «Ce qu'on redoute maintenant, c 'est que les gars s organisent entre eux et montent des coups sans nous avertir parce qu 'ils savent qu 'ils ne peuvent plus compter sur notre soutien», tandis qu'un délégué de la CFDT surenchérit la semaine suivante : «Il faut que les gars puissent se défouler, on a prévu pour cela un catalogue d'actions. »

 

Pour empêcher tout risque d'explosion comme en 1968, alors que dans toute la France des grèves commencent à éclater dans d'autres secteurs, les syndicats vont mettre toutes leurs forces dans la bataille pour saboter la colère ouvrière. Ils font d'abord reprendre le travail dans les autres secteurs en lutte (postes, hôpitaux, banques, SFP...) avant d'organiser, sous la pression des ouvriers, la marche des sidérurgistes sur Paris le 23 mars. C'est à travers une minutieuse division du travail entre CGT et CFDT que les syndicats vont tout faire pour dissuader les ouvriers d'aller manifester leur colère à Paris. Ainsi, jusqu'à la dernière minute, personne ne saura ni quand ni comment les sidérurgistes arriveront dans la capitale. Et lorsqu'ils arrivent, ils sont réceptionnés par un puissant service d'ordre syndical et de bonzes du PCF qui vont organiser, en collaboration avec les flics, le sabotage de la manifestation : modification de l'itinéraire de la manif au dernier moment afin d'éviter toute rencontre avec les ouvriers parisiens, dispersion des sidérurgistes dans plusieurs cortèges syndicaux afin de donner une image éclatée du mouvement, quadrillage de la manifestation par les cordons de flics syndicaux et de CRS qui travaillent main dans la main, dispersion rapide à la fin de la manifestation pour empêcher toute tentative des ouvriers de tenir des meetings. Et pour couronner le tout, le PCF et la CGT dénoncent la présence d'éléments «autonomes» en leur cognant dessus et en livrant certains d'entre eux à la police. Jamais la complicité entre les forces de l'ordre et les flics syndicaux n'aura été aussi évidente. De plus, les sidérurgistes n'ont pas seulement été bombardés par les grenades lacrymogènes des flics. Ce sont encore les écoeurant slogans nationalistes du PCF et de la CGT qu'ils ont dû subir tout au long de cette journée du 23 mars : «Sauver l'indépendance nationale», «Se protéger des trusts allemands». Aujourd'hui, si la majorité des ouvriers qui ont participé à cette bataille ont été licenciés c'est grâce aux syndicats qui les ont trimballés, épuisés, humiliés et matraqués dans le seul but de permettre les «restructurations» nécessaires à la défense du capital national.

 

Dans tous les pays, cette deuxième vague de luttes s'est caractérisée par un mouvement de contestation des syndicats qui s'est traduit notamment par des taux de désyndicalisation en constante augmentation (en particulier en Italie, en France, en Belgique). Dans les usines, les assemblées générales, les manifestations, de plus en plus d'ouvriers dénoncent la «trahison» des syndicats dont les leaders se font souvent siffler, insulter. Dans les médias, on commence même à parler de «crise du syndicalisme».

 

Cette deuxième vague de luttes s'épuise au début des années 1980, avec la défaite de la grève massive des ouvriers de Pologne. Ce formidable mouvement des ouvriers de Pologne qui avait montré aux yeux du monde entier la force du prolétariat, sa capacité à prendre ses luttes en mains, à s'organiser par lui-même à travers ses assemblées générales (les MKS) pour étendre la lutte dans tout le pays, a constitué un encouragement pour la classe ouvrière de tous les pays. La création (avec l'aide des syndicats occidentaux) du syndicat Solidarnosc qui a livré les ouvriers de Pologne pieds et poings liés à la répression du gouvernement Jaruzelski, a provoqué un profond désarroi dans les rangs du prolétariat mondial. Il lui faudra plus de deux ans pour digérer cette défaite.

 

1983-88 : la bourgeoisie aiguise l'arme du syndicalisme contre la classe ouvrière

 

A partir de la fin 1983, face aux nouveaux plans d'austérité dans tous les pays, la classe ouvrière reprend le chemin de la lutte. D'emblée cette reprise des combats ouvriers qui débute en Belgique avec la grève du secteur public à l'automne 1983 sera marquée par des mouvements de luttes spontanées, explosant en dehors de toute consigne syndicale. C'est le signe, non seulement d'une méfiance croissante des ouvriers à l'égard des syndicats, mais également d'une plus grande confiance du prolétariat en lui-même. Cette dynamique a ainsi révélé que l'exemple des luttes d'août 1980 en Pologne (où les ouvriers étaient parvenus, avant la création de Solidarnosc, à faire reculer le gouvernement) était resté gravé dans la mémoire de toute la classe ouvrière. Dès le début, cette nouvelle vague de luttes est marquée par une volonté des ouvriers de ne plus lutter chacun dans son usine, son secteur ou sa région, mais d'élargir le combat en allant chercher la solidarité des autres ouvriers. Cette tendance s'est clairement manifestée non seulement en Belgique en 1983, et surtout lors du mouvement du printemps 1986 (où les mineurs du Limbourg, notamment, ont envoyé des délégations massives vers les autres secteurs), mais également, de 1984 à 1988, en Grande-Bretagne, en Suède et au Danemark, en Espagne, en Italie, en Allemagne...

 

Face à la volonté des ouvriers de briser l'isolement, et pour affronter de façon unie l'Etat capitaliste, les syndicats ont été contraints partout, dans un premier temps, de courir après les luttes pour en prendre le contrôle afin d'empêcher tout mouvement de solidarité entre les ouvriers de différents secteurs. Et pour ne pas être débordés, ils vont abandonner désormais leur politique d'opposition aux luttes. Ainsi, alors que dans la période précédente, leurs discours étaient toujours «il faut négocier», c'est maintenant un autre langage qu'ils vont tenir pour mystifier les ouvriers : celui de l'opposition ouverte et «radicale» au gouvernement. Quant à leur stratégie sur le terrain des luttes, elle consistera à reprendre à leur propre compte la volonté d'unité des ouvriers pour mieux la saboter.

 
  • 1983 : en Belgique, c'est de cette façon qu'ils sont parvenus à empêcher toute unification entre les ouvriers du secteur public et du secteur privé, en organisant un quadrillage du mouvement grâce à la vieille tactique de la division entre les différents syndicats et en organisant des manifestations par secteur, par région, par entreprise, par usine. En 1986, ils ont pris la tête des manifestations massives pour mieux les saucissonner et les contrôler.
  • 1984 : en Grande-Bretagne, alors que dès le début de la grève des mineurs, la question de la solidarité s'est posée, notamment avec les sidérurgistes en lutte au même moment, le NUM (syndicat des mineurs) insiste sur l'idée de l'extension de la grève d'abord dans les mines, en faisant tout pour empêcher les ouvriers de prendre eux-mêmes en charge la direction de la lutte (avec l'aide des barrages de flics et en opposant grévistes et non grévistes). Finalement, ils sont parvenus à enfermer les mineurs dans le corporatisme le plus étroit, et à dénaturer la solidarité ouvrière derrière les collectes dans le seul but d'épuiser la combativité des mineurs dans une grève longue et isolée.
  • 1985 : en France, la stratégie de la CGT a consisté à exploiter le dégoût des syndicats dans les rangs ouvriers pour les immobiliser. Ainsi en multipliant partout des journées d'action sur des revendications spécifiques à tel ou tel catégorie ou secteur, les syndicats, en même temps qu'ils faisaient tout pour en limiter l'ampleur, avaient pour seul objectif d'empêcher les ouvriers d'occuper la rue, de les paralyser, de leur ôter toute initiative. Cette manoeuvre visait ainsi à faire croire que l'apathie et le manque de volonté de lutter venaient des ouvriers eux-mêmes, empêchant ainsi la classe ouvrière de développer la confiance en ses propres forces.
 
 
 

Cette tactique syndicale de démobilisation a été utilisée également dans d'autres pays, comme en Espagne (lors des grèves des chantiers navals et dans les postes) et en Italie (où la CGIL et les gauchistes ont immobilisé les ouvriers en polarisant toute leur attention sur l'organisation par les syndicats d'un référendum sur l'échelle mobile des salaires).

 

Mais cette tentative* de paralysie des ouvriers n'a duré qu'un temps et n'a fait qu'accentuer encore le discrédit des syndicats. Dès l'automne 86, alors que dans tous les pays, les attaques qui sont tombées au cours de l'été ont renforcé le mécontentement des ouvriers, les syndicats vont devoir encore chercher à redorer leur blason pour affronter la combativité ouvrière. Partout en Europe et jusque dans les pays Scandinaves (notamment en Suède où le syndicat LO, pourtant contrôlé par le parti social-démocrate alors au gouvernement, surprend par le ton de ses discours d'une «combativité» et d'une «intransigeance» jamais vues), on assiste à un phénomène de radicalisation extrême des discours syndicaux. En France, la CGT non seulement claironne partout qu'il faut développer des ripostes «massives et unitaires» contre les attaques du gouvernement (qu'elle a pourtant soutenues pendant les trois ans où le PCF était au gouvernement), mais elle multiplie les actions de commando (blocages de trains ou d'autoroutes) pour défouler la combativité ouvrière tout en cherchant à se donner une image «jusqu'au-boutiste» et «combative». Néanmoins toutes ces manoeuvres destinées à regagner la confiance des ouvriers se sont soldées par un échec. Près de vingt ans de sabotage des luttes ouvrières ont considérablement accéléré la perte de crédit des syndicats au sein du prolétariat.

 

Ainsi, les mouvements qui ont secoué toute l'Europe occidentale entre 1986 et 1988 (lutte massive des ouvriers de Belgique au printemps 1986, grève de la SNCF en France au cours de l'hiver 1986-1987, grèves dans tous les secteurs en Espagne au printemps 1987, lutte des enseignants à l'automne 1987 en Italie, grève des hôpitaux en France en 1988) ont révélé une volonté croissante des ouvriers de développer leurs luttes en-dehors, voire contre les syndicats. Face à ce danger, la bourgeoisie devait réagir immédiatement. Les syndicats n'étant plus capables à eux seuls de contrôler les combats ouvriers, la classe dominante a été ainsi contrainte, dans tous les pays, d'appeler ses forces d'extrême gauche (trotskistes ou anarchistes) à la rescousse. C'est grâce à tous ces gauchistes «radicaux» que la classe dominante a pu utiliser à fond l'arme du «syndicalisme de base» et créer de nouvelles structures d'encadrement des luttes, les «coordinations», dont la seule fonction consiste à faire mine de contester les syndicats pour mieux enfermer les ouvriers dans la logique syndicaliste, en noyautant les assemblées générales ouvrières et en sabotant en leur sein toute tentative d'extension de la lutte aux autres secteurs. C'est dans ce piège que sont tombés les ouvriers de la SNCF en 1986 et les travailleurs des hôpitaux en 1988 (voir notre brochure «Bilan de la lutte des infirmières [8]»).

 

Cette troisième vague de luttes ouvrières prend fin de façon brutale en 1989 avec l'effondrement spectaculaire de tout un pan du monde capitaliste : le bloc de l'Est. Grâce à cet événement, la bourgeoisie est parvenue a exploiter une fois encore le plus grand mensonge de l'histoire, l'identification du stalinisme avec le communisme, pour faire croire que tout combat contre le capitalisme ne peut mener qu'à la terreur et au chaos. Elle est parvenue à déboussoler complètement la classe ouvrière en développant une ignoble campagne visant à prouver que le communisme a fait faillite et que le capitalisme est le seul système viable. (...)

"Révolution Internationale" n°225

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La question syndicale [7]

IV - Les gauchistes dans la manoeuvre

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La bourgeoisie ne dispose pas seulement de ses partis de gauche et de ses syndicats comme organes d'encadrement du prolétariat et de dévoiement des luttes ouvrières. Les organisations dites aujourd'hui "d'extrême-gauche" ou "gauchistes" et qui, pour la plupart se réclament du trotskisme ou de la mouvance "anarchiste", ont démontré qu'elles constituaient depuis des décennies, et notamment depuis 1968, avec la réémergence des luttes ouvrières sur le devant de la scène historique, de précieux auxiliaires de la bourgeoisie. Leur créneau qui constitue leur fonction spécifique est de servir de "soutien critique" aux partis de gauche et aux appareils syndicaux. Dans les luttes ouvrières en particulier, la bourgeoisie les utilise pour ramener les ouvriers les plus combatifs et critiques derrière les illusions d'un syndicalisme "de base" ou "de combat" et finalement dans le giron ou sous l'emprise des syndicats.

 

En certaines circonstances, notamment sous la pression des luttes ouvrières au milieu des années quatre-vingt, lorsque le discrédit croissant des syndicats débouchait dans les luttes sur une large remise en cause de l'encadrement syndical et un débordement des appareils syndicaux, ces groupes ont pu jouer un rôle plus central et déterminant au profit de l'ensemble de la bourgeoisie. En France notamment, lors de la grève des cheminots de l'hiver 86/87 comme lors des grèves dans le secteur hospitalier en octobre 1988, les plus puissantes de ces organisations comme LO et la LCR ont efficacement pallié au discrédit des appareils syndicaux en enfermant les ouvriers dans des "coordinations" qu'elles animaient et contrôlaient. Face à la menace d'extension et d'auto-organisation des luttes ouvrières, elles ont effectué le même sale boulot de sabotage et d'encadrement que les syndicats en enfermant les ouvriers dans une lutte corporatiste et en s'opposant par la force à ce que .les ouvriers d'autres secteurs participent aux assemblées générales.

 

En décembre 95, où le but essentiel de la manoeuvre bourgeoise était précisément de re-crédibiliser les appareils syndicaux, leur rôle ne pouvait être que plus modeste. Mais ces groupes gauchistes ont constitué une force d'appoint non négligeable à la manoeuvre de la bourgeoisie en conservant leur fonction de rabatteurs des syndicats, que les uns comme la LCR se présentent ouvertement comme les chantres de "la grande mobilisation sociale" de novembre-décembre 95, porteur d'un espoir pour le "peuple de gauche", ou que les autres, comme LO déguisent les mêmes mystifications sous un langage plus critique et de façon plus sournoise.

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • Gauchisme [9]
  • Trotskysme [10]

« Lutte Ouvrière », un fidèle serviteur de la bourgeoisie

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A travers la mystification électorale comme dans les luttes de classes, la fonction essentielle de l'organisation trotskiste "Lutte Ouvrière" (LO) est de pousser les ouvriers sur le terrain de la bourgeoisie, et en particulier de les rabattre vers les partis de gauche et les syndicats, c'est-à-dire derrière les principales forces bourgeoises d'encadrement sur le terrain des luttes.

 

La duplicité de la politique de LO

 

Dans sa revue théorique "Lutte de Classe" n°17 datée de janvier-février, LO revient sur les grèves dans les services publics de fin 1995 en France en reprenant et développant une "analyse" déjà évoquée dans sa presse hebdomadaire de décembre. LO se démarque tout d'abord EN APPARENCE des autres organisations gauchistes qui se sont contentées d'applaudir avec enthousiasme le mouvement contre le plan Juppé en adoptant d'emblée un ton radical et très critique : "La grève que nous venons de vivre n 'est pas partie de la base". Elle a été le produit de "la volonté délibérée des fédérations syndicales d'aller (...) vers une grève générale de la fonction publique. (...) Cette stratégie fut manifestement un calcul délibéré des appareils syndicaux qui voulaient faire une démonstration de force".

 

La démonstration de LO se poursuit par une charge critique contre les appareils syndicaux qui "n'ont pas changé de nature au cours de cette grève, (...) un bureaucrate qui étend une grève reste quand même totalement un bureaucrate. (...) Les bureaucraties syndicales sont capables démener des luttes larges, dures, lorsqu'elles le jugent nécessaire. C'est en particulier le cas lorsqu 'elles ont besoin de garder leur crédit auprès des travailleurs." Non seulement LO laisse entendre que les syndicats sont des organes de la bourgeoisie : "Les directions sont (...) des institutions pour préserver l'ordre social existant".

 

Mais quand LO ajoute que "les directions syndicales n'hésitèrent pas à se servir des fractions les plus combatives des grévistes pour entraîner les autres", elle est carrément en train d'avouer aux ouvriers qu'ils se sont laissés manoeuvrer, qu'ils ont été manipulés par les directions syndicales.

 

Tout ce discours de vérité que LO est capable de développer contraste étrangement avec l'attitude de LO sur le terrain, pendant les grèves, où personne n'a entendu LO émettre la moindre contestation vis-à-vis des directions syndicales. Au contraire, LO s'est totalement fondu dans le mouvement lui-même et restait complètement masqué derrière les calicots syndicaux au point qu'elle n'est jamais apparue en tant qu'organisation politique distincte à l'intérieur du mouvement. Pour autant, ses militants ne sont pas restés passifs, mais à l'inverse omniprésents pour pousser les ouvriers à participer à l'extension de la grève derrière les syndicats.

 

Quand LO nous dit "Les appareils syndicaux ont dû mobiliser difficilement et progressivement les travailleurs. Il a fallu l'intervention active, déterminée, volontariste des militants de la CGT, de FO et d'autres syndicats "(...) pour que la grève s'étende d'abord à l'intérieur de la SNCF, puis à la RATP, puis à la Poste et à d'autres", c'est en fait d'abord à l'intervention active, déterminée, volontariste de leurs propres militants camouflés en militants syndicalistes de base au sein de la CGT, de FO et d'autres syndicats qu'ils peuvent penser. La critique et la dénonciation APRES COUP de LO n'est que du bluff.

 

Ces illusionnistes cherchent à escamoter en paroles le grand coup de main qu'ils ont donné dans la pratique aux "directions syndicales" et à la manoeuvre de la bourgeoisie. Elle est une manifestation de la duplicité de LO qui sert à cacher la réalité de ses agissements.

 

Un rabatteur des syndicats et des manoeuvres bourgeoises

 

D'autre part, c'est après la fin de la grève que LO pouvait entreprendre de saboter et dévoyer un début de réflexion des ouvriers sur l'attitude manoeuvrière des syndicats dans la grève.

 

Pour cela, cette organisation devait continuer à présenter que "dans les circonstances actuelles, la grève de la fonction publique a été une victoire pour les travailleurs (...) et a obligé le gouvernement à reculer", comme elle l'avait d'ailleurs proclamé dans sa presse en décembre.

 

LO s'évertue à démontrer que cela a été possible GRACE AUX SYNDICATS : "En raison du fait que les directions syndicales ont cherché à s'appuyer sur la base pour conduire et étendre la grève, les grévistes ont découvert les assemblées générales où ils pouvaient discuter, la solidarité entre grévistes. Nombre d'entre eux ont découvert le contact avec les travailleurs des autres entreprises".

 

La bourgeoisie ne pouvait trouver meilleure apologie des syndicats ! Comment LO résout la contradiction entre un mouvement qu'ils proclament téléguidé et manipulé par les directions syndicales et le mensonge selon lequel les syndicats auraient permis aux ouvriers non seulement de " gagner " mais surtout de retrouver les besoins essentiels de leur lutte ? Par un tour de passe-passe idéologique.

 

En expliquant que las bureaucraties syndicales ne visaient que la défense de leurs propres intérêts, notamment "parce qu 'elles étaient attaquées par la bourgeoisie au niveau de la gestion de la Sécurité sociale". Nous nageons dans une opération d'escamotage. Les syndicats n'ont pas agi ainsi pour encadrer les ouvriers mais, selon LO, parce que la bourgeoisie les attaquait EN MEME TEMPS que les ouvriers.

 

Nous serions en présence d'une "bureaucratie syndicale" qui défendrait des intérêts propres, n'étant ni ceux de la classe ouvrière, ni surtout ceux de la bourgeoisie. Ce qui permet à LO et autres consorts trotskistes de mettre en avant une alliance ou une convergence d'intérêts possibles entre cette fameuse "classe bureaucratique" et le prolétariat. Une telle mystification est directement une arme de la bourgeoisie contre les luttes du prolétariat. Elle sert à délivrer ce message essentiel : "Ils (les bureaucrates syndicaux) ne défendent les intérêts des travailleurs que dans la mesure et dans les limites où ils coïncident avec leurs intérêts propres d'appareils".

 

A travers cette argumentation, le but poursuivi par LO ne se limite pas à cautionner la manoeuvre elle-même de la bourgeoisie et à masquer son sens réel pour les ouvriers. Il est surtout de masquer la nature bourgeoise des syndicats aux yeux des ouvriers.

 

Mais l'entreprise de dévoiement de la conscience ouvrière de LO ne s'arrête pas là. Elle apporte sa pierre pour baliser aussi le chemin de la poursuite de la manoeuvre bourgeoise en cherchant à arrimer plus fortement les ouvriers au syndicalisme en général et aux syndicats en particulier dans la perspective des luttes à venir. Quand LO insinue : "la suite est liée à la politique des syndicats et en particulier de la CGT pendant les semaines ou les mois à venir", elle inocule un véritable poison.

 

Après avoir joué le jeux de la critique, voire de la dénonciation des syndicats, LO cherche à persuader les prolétaires que même si l'appareil syndical est pourri par sa bureaucratie, les syndicats, eux, sont une arme de la classe ouvrière. Et, quand, pour en finir, LO évoque la perspective d'une situation «où ils (les travailleurs) ne dépendraient pas de la politique des bureaucraties syndicales», c'est pour pousser les ouvriers dans une voie toute tracée, c'est pour les enfermer dans le piège du syndicalisme de base où le seul rôle de la classe ouvrière serait de forcer le sommet bureaucratique des syndicats à «évoluer».

 

La phraséologie radicale de LO lui permet d'agir sur le terrain des luttes ouvrières indifféremment dans le cadre syndical comme hors de celui-ci.

 

Face à des situations de discrédit et de débordement des syndicats, comme lors de la grève des cheminots au cours de l'hiver 1986/87, ou encore dans la lutte du secteur hospitalier, à l'automne 1988, LO a été une des organisations qui a été en première ligne pour mettre en place le filet des coordinations afin de ramener les ouvriers dans le piège du syndicalisme (lire en particulier nos brochures "Le trotskisme contre la classe ouvrière" et "Bilan de la lutte des infirmières").

 

Aujourd'hui où LO participe activement et directement au renforcement des appareils syndicaux, cette organisation démontre qu'elle demeure un des fers de lance indispensables des manoeuvres de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Elle a bien sa place dans les rangs des ennemis de classe que le prolétariat devra démasquer et combattre à travers le développement de ses luttes.

"Révolution Internationale" n°255 Avril 1996

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • Gauchisme [9]
  • Trotskysme [10]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Les soi-disant partis "ouvriers" [11]

V - L'intervention du CCI

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Dans son intervention, le CCI s'est pleinement mobilisé pour être à la hauteur de ses responsabilités. Et il n'a pas attendu le mois de novembre pour cela. C'est justement parce qu'il s'est résolument impliqué, qu'il est intervenu activement dans les nombreuses journées d'action syndicales organisées dans le mois d'octobre (notamment le 10 octobre dans la Fonction Publique) qu'il a pu déceler, analyser avec lucidité et dénoncer la préparation d'une grande manoeuvre de la bourgeoisie. C'est pour cela qu'il a pu mettre en garde par avance l'ensemble de la classe ouvrière en annonçant qu'un énorme piège lui était tendu. Nous écrivions alors de façon "prémonitoire" fin octobre : "La journée de "protestation" des fonctionnaires contre le blocage des salaires a ainsi constitué le premier épisode de l'offensive de grande ampleur de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. En prenant une telle mesure provocatrice (dans la Fonction publique), Il s'agissait pour la classe dominante de lancer un ballon d'essai destiné à tester les réactions ouvrières face à l'encadrement syndical. Cette journée d'action n'était en effet rien d'autre qu'une manoeuvre préventive visant à remettre en selle les syndicats. Ces derniers sont parvenus à occuper tout le terrain, en embarquant un maximum d'ouvriers de la fonction publique dans une action stérile. (...) Ils sont parvenus à faire croire que la seule lutte possible, c'est la lutte derrière les syndicats." (RI n° 250).

Tout au long de la lutte, les militants du CCI ont cherché, en chaque occasion, à assurer au maximum la présence et la défense de la position des révolutionnaires au sein de leur classe. Ils ont dénoncé sans relâche la manoeuvre de la bourgeoisie dans les manifestations comme sur leurs lieux de travail. Ils sont intervenus par tous les moyens dont ils disposaient, à travers des discussions ou des prises de parole en assemblées générales chaque fois que cela était possible comme à travers la vente de la presse, la diffusion à un millier d'exemplaires d'un supplément au journal dont des extraits sont publiés ci-dessous, puis par la distribution la plus large possible dans l'ensemble de la classe ouvrière et au niveau national à la fin de la grève d'un tract-bilan également reproduit en fin de ce chapitre. Le CCI a également tenu plusieurs réunions publiques sur ce sujet dans différentes villes de France.

Vie du CCI: 

  • Interventions [12]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Quelle intervention des révolutionnaires face à la manoeuvre ?

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En chaque circonstance, les organisations révolutionnaires se sont toujours appuyées dans leurs interventions au sein de leur classe sur des principes et sur une méthode à partir desquels elles sont à même de s'orienter comme avec une boussole. Ces principes, cette méthode vivante, c'est le marxisme.

 

Mais le degré d'appropriation de cette méthode ne s'auto-proclame pas, ne se décrète pas. Il se vérifie et peut être jugé entièrement dans la pratique de ces organisations. La justesse -et par là même l'efficacité- de leur intervention se démontre toujours après coup, à terme, dans son apport à la défense des intérêts et des positions prolétariennes pour armer le mouvement ouvrier dans sa lutte historique.

 

Le marxisme : seule boussole pour l'intervention des révolutionnaires

 

C'est le caractère propre à la lutte révolutionnaire du prolétariat, tel qu'il a été défini par Marx au siècle dernier, qui détermine un des premiers principes de l'intervention des révolutionnaires dans la lutte de classes : savoir garder la tête froide pour analyser les événements et le rapport de forces entre les classes. Ce principe s'appuie sur la connaissance fondamentale que la classe ouvrière ne pourra aller à la victoire qu'après avoir subi une longue série de défaites :

 
  • "Les révolutions bourgeoises se précipitent rapidement de succès en succès. (...) Les révolutions prolétariennes, par contre, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour recommencer à nouveau, raillant impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n 'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière." (Marx, "Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte").
 

C'est parce qu'elle est l'émanation d'une classe historique, seule porteuse d'un avenir pour l'humanité que l'intervention des révolutionnaires est un travail patient, opiniâtre, à long terme. Mais dans cette intervention, les révolutionnaires doivent avant tout se prémunir contre le danger constant de céder au découragement ou de succomber au revers de la même médaille : se laisser bercer d'illusions rassurantes ou pire, euphorisantes. Pour cela, ils ne doivent pas plonger la tête dans le sable face à la réalité mais prendre la mesure la plus exacte possible des obstacles dressés sur le chemin de la révolution par la bourgeoisie et des difficultés des batailles à mener.

 

Cette pratique est tout à l'opposé de l'impatience et de l'immédiatisme. Ces tares caractéristiques de la petite-bourgeoisie font courir celle-ci en tous sens et lui font voir l'hydre de la révolution derrière la moindre grève ou même derrière tout ce qui bouge et à chaque moment. Une telle attitude, ravivée par l'héritage du mouvement étudiant "soixante-huitard", représente un véritable fléau pour les luttes du prolétariat.

 

L'intervention des révolutionnaires est le seul antidote qui puisse s'y opposer, dans la mesure où elle cristallise l'expérience historique des combats de la classe ouvrière et où elle est capable de savoir dégager l'analyse la plus claire du rapport de forces réel entre les classes à un moment donné.

 

L'intervention du CCI dans les grèves de décembre 95

 

C'est là la méthode utilisée par le CCI qui a servi de guide à son intervention dans les événements de l'hiver dernier en France. C'est sa pratique marxiste qui lui a permis d'écarter fermement toute approche opportuniste pour "gagner les masses" sur des orientations floues, ambiguës, superficielles. Dans la forme comme dans le contenu, les critères d'intervention du CCI dans ce mouvement ont reflété notre conception d'une organisation révolutionnaire conséquente.

 

La tâche des révolutionnaires n'est pas de pousser la classe ouvrière vers n'importe quelle aventure, en particulier lorsqu'il s'agit, comme dans ce mouvement, d'une aventure derrière les syndicats, contrairement à ce qu'ont fait les groupes parasites. Ce n'est pas sur le même terrain que celui des détracteurs de son intervention que le CCI a combattu. Ceux-ci ont ricané parce qu'au lieu d'un tract d'appel à la lutte, le CCI a diffusé un supplément à sa presse territoriale où il dénonçait la manoeuvre de la bourgeoisie en mettant les ouvriers en garde contre le danger de foncer tête baissée dans une lutte prématurée, provoquée et téléguidée par les syndicats.

 

Pour nos détracteurs du milieu parasitaire, c'était la preuve indubitable que le CCI "n'était pas partie prenante". Mais la vraie question était de savoir de quoi eux-mêmes étaient "partie prenante" : d'une gigantesque manoeuvre de la bourgeoisie pour ramener les prolétaires derrière les syndicats. Contrairement à tous ceux qui, en se prétendant révolutionnaires, ont donné comme seule perspective aux ouvriers de marcher toujours plus nombreux dans un mouvement dirigé par les forces de la bourgeoisie, le CCI a affirmé clairement et sans la moindre ambiguïté dans ce supplément à notre journal RI qu'il n'y avait AUCUNE PERSPECTIVE pour la classe ouvrière dans un tel mouvement, sinon celle de se laisser embrigader derrière les syndicats. En plein déploiement de la manoeuvre bourgeoise, ce supplément était la seule forme d'intervention permettant à notre organisation d'être à la hauteur de ses responsabilités en débusquant, en analysant en profondeur et en dénonçant sous tous ses angles les différentes facettes du piège de la bourgeoisie.

 

L'intervention des révolutionnaires ne consiste nullement à flatter ou applaudir ce que font à chaque instant les ouvriers. Leur fonction n'est pas de faire de la "géviculture", ni de s'extasier béatement sur la "combativité" du prolétariat en réduisant la vision de ses luttes à cette dimension, car cela contribue à masquer le fait que l'arme essentielle du prolétariat dans ses combats de classe est sa conscience. C'est pourquoi la responsabilité cruciale des révolutionnaires est de mettre en garde la classe ouvrière contre les pièges que lui tend la bourgeoisie et de les dénoncer en tant que tels. Le CCI a été ainsi la seule organisation capable d'anticiper la défaite de la classe ouvrière, non pas pour s'en lamenter mais pour l'aider à surmonter cette nouvelle épreuve, afin de pouvoir repartir au combat. C'est dans ce but que le CCI a massivement diffusé, à la fin du mouvement un tract-bilan, tirant les enseignements de cette défaite et permettant à la classe ouvrière de comprendre ce qui s'était passé, afin de mieux s'armer et de mieux se préparer pour les luttes à venir. En particulier, ce tract-bilan souligne que la première nécessité pour aborder les prochaines luttes est d'abord de savoir reconnaître et identifier qui sont les ennemis auxquels le prolétariat devra se confronter, et en premier lieu les syndicats. C'est là que réside la responsabilité la plus élémentaire des révolutionnaires aujourd'hui.

"Révolution Internationale" n°254 Mars 1996

Vie du CCI: 

  • Interventions [12]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Peut-on gagner en luttant derrière les syndicats ? (Extraits du supplément à notre journal diffusé en décembre 95)

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(...) Alors que pendant des années, notamment les années de la Gauche au gouvernement, ils freinaient des quatre fers face aux différents plans d'austérité, aujourd'hui les syndicats «excitent la foule» à travers des discours «radicaux» et «jusqu'au boutistes».

 

Les syndicats poussent les ouvriers dans le piège de la bourgeoisie avec la complicité des médias.

 

Dans toutes les entreprises, d'abord du secteur public, puis du secteur privé, ils poussent les ouvriers à engager massivement la lutte derrière eux. Face aux hésitations de la plupart des secteurs devant la perspective d'une grève de longue durée, ils sont revenus à la charge à plusieurs reprises partout où la volonté d'entrer en grève était minoritaire (centres de tris, certains dépôts de la SNCF, aux usines Renault, etc.). Les médias bourgeois leur ont même prêté main forte en relayant les appels répétés des grands dirigeants syndicaux à 1'«extension» et au «durcissement du mouvement». Jamais on avait vu un tel empressement des médias au service de la lutte de la classe ouvrière. En général, lorsque les combats ouvriers menacent réellement les intérêts de la classe dominante, c'est le «black out», la conspiration du silence, quand ce n'est pas une dénonciation ouverte des ouvriers en lutte (comme par exemple lors de la grève spontanée de la RATP en décembre 85 où on a eu droit à une campagne hystérique des médias, accusant les grévistes de «prendre les usagers en otage», tandis que les syndicats dénonçaient le caractère «illégal» de cette grève qui est partie sans consignes et donc sans préavis syndical). Il est même arrivé que la grève soit annoncée dans le journal «Le Monde» avant même que les ouvriers ne se soient mobilisés (par exemple au tri de Paris-Austerlitz le 28 novembre) !

 

Les syndicats occupent tout le terrain de la lutte

 

Dans la rue, dans les entreprises, dans les ateliers, dans les assemblées générales, dans des «comités de grève» mis en place par eux, ce sont les syndicats qui dirigent et contrôlent la lutte, ce sont eux qui prennent toutes les décisions, ne laissant pas d'autre alternative aux ouvriers que de les suivre dans une grève longue, «illimitée», ou 'de ne rien faire. En quadrillant ainsi tout le terrain, ils ne laissent aux ouvriers pas d'autre choix que de se soumettre à leurs directives en leur faisant croire que la seule lutte possible, c'est la lutte derrière les syndicats. Après chaque journée d'action (le 24, puis le 28 novembre, puis le 5 décembre, etc.), les syndicats mettent en avant la nécessité de «tenir» jusqu'à la prochaine journée de manifestations afin de faire durer la grève le plus longtemps possible pour épuiser les ouvriers.

 

Les syndicats organisent l'extension... de la défaite

 

Aujourd'hui, les syndicats, CGT en tête, n'ont à la bouche que le mot «extension de la grève !», mais dans la réalité, ils sabotent tous les moyens permettant aux ouvriers de réaliser une véritable extension de la lutte. En particulier, en poussant à la paralysie totale des transports (SNCF et RATP), ils empêchent tout moyen de communication, de déplacement des ouvriers. Non seulement, en bloquant les transports, les syndicats obligent les ouvriers qui veulent aller aux manifestations à dépendre des cars syndicaux, mais ils les empêchent de se rendre aux assemblées générales des autres entreprises en grève. En prenant ainsi les ouvriers en otage, les syndicats gardent le monopole des assemblées générales et de tout contact, de tout lien réel entre les différents lieux de lutte (d'ailleurs sur certaines lignes de la RATP et de la SNCF, c'est la direction elle-même qui a empêché le départ des trains pour donner un petit coup de pouce aux syndicats).

 

Face à cette manoeuvre de séquestration de la classe ouvrière destinée à la déposséder de ses armes de combat, les prolétaires doivent se souvenir de la lutte exemplaire de leurs frères de classe de Pologne en août 1980 qui non seulement a été capable de faire reculer le gouvernement Gierek, mais qui a fait trembler toute la bourgeoisie mondiale. Dès le début du mouvement, en prenant eux-mêmes leur lutte en mains sans l'»aide» d'aucun syndicat, les ouvriers avaient décidé de ne pas bloquer les voies de communication. Ils avaient mis les transports au service de l'extension géographique de la lutte. C'est en grande partie grâce à la circulation des trains et des tramways qu'ils avaient pu étendre et unifier leur combat, en envoyant des délégations massives, d'un bout à l'autre du pays.

 

Tous les ouvriers savent qu'une lutte ne peut être victorieuse que si elle s'étend et implique le plus grand nombre possible de travailleurs. Aujourd'hui, les syndicats utilisent ce besoin ressenti par les ouvriers non pour renforcer le mouvement mais pour embarquer le maximum d'ouvriers dans le piège de la bourgeoisie. C'est la raison pour laquelle les syndicats, épaulés par leur «base radicale» et les trotskistes (notamment de «Lutte Ouvrière») ont organisé et manipulé des délégations de cheminots qu'ils ont envoyés aller «étendre» la grève notamment dans les entreprises (par exemple les tris postaux) où les ouvriers hésitaient à s'engager dans une lutte longue dont la seule perspective est de «tenir jusqu'au bout», en leur faisant croire que le bras de fer avec le gouvernement se joue sur la durée du mouvement.

 

En poussant à «l'extension» sur ce terrain pourri, celui d'une lutte «dure» et «longue», les syndicats ne visent qu'à élargir la défaite à l'ensemble de la classe ouvrière. Les ouvriers ne doivent pas se leurrer : à chaque fois que les syndicats appellent à «l'extension», c'est pour embrigader le maximum d'ouvriers dans une impasse. C'est d'ailleurs ce qu'ils avaient fait lors de la grève des cheminots, début 87 lorsqu'ils ont appelé à «l'extension» et au «durcissement» du mouvement non pas lors de la montée de la lutte, mais au moment de son déclin, dans le but d'entraîner le plus possible de secteurs de la classe ouvrière derrière la défaite des travailleurs de la SNCF.

 

La grève longue divise les ouvriers et les dégoûte de la lutte

 

Une grève longue ne renforce pas la lutte ouvrière, elle ne peut que renforcer la bourgeoisie. Dans une situation économique où les ouvriers ont déjà bien du mal à joindre les deux bouts, ils ont tout à perdre dans une grève «illimitée». D'abord, ils perdent des semaines de salaire pour une lutte qui ne fait pas peur à la bourgeoisie car, sur le plan économique, celle-ci est prête à tenir jusqu'à ce que les ouvriers soient totalement épuisés. Souvenons-nous de la grève des mineurs en 84 en Grande-Bretagne où les ouvriers ont mené une lutte qui a duré plus d'un an, avec piquets de grève et caisse de «solidarité». Ils ont perdu des mois de salaires pour rien. Non seulement le gouvernement n'a pas cédé, mais de plus, il a accéléré ses plans de licenciements.

 

Souvenons-nous de l'échec de la grève des cheminots en 86-87 et des travailleurs d'Air-France à l'automne 93 où, après plusieurs semaines de paralysie des transports, les ouvriers ont repris le travail sans avoir rien obtenu. Us se sont retrouvés complètement démoralisés. Les grèves longues préconisées par les syndicats ne servent qu'à écoeurer les ouvriers de la lutte. Lorsque les prolétaires reprennent le travail avec le sentiment qu'ils se sont battus «jusqu'au bout» pour rien, ils ne sont pas prêts à repartir au combat avant longtemps, ils se sentent impuissants et ont le sentiment que lutter ne sert à rien. C'est justement ce que recherche la bourgeoisie. C'est bien pour cela qu'elle compte sur ses syndicats pour insuffler un tel sentiment d'amertume et de démoralisation dans les rangs ouvriers, ce qui permettra par la suite au gouvernement et au patronat de faire passer de nouvelles attaques encore plus brutales.

 

La grève longue, «jusqu'au-boutiste», divise aussi les ouvriers en lutte entre ceux qui suivent les syndicats sur ce terrain, et ceux qui ne sont pas disposés à se laisser entraîner aveuglément, qui hésitent à se lancer dans une combat sur lequel ils n'ont aucun contrôle, aucune maîtrise. Dans ce mouvement de riposte contre le plan Juppé, fréquemment, la grève n'est suivie que par une partie, souvent minoritaire, des ouvriers. En imposant sans réelle discussion la grève illimitée dans les AG, en bloquant les dépôts de bus de la RATP autoritairement, en excluant ceux qui ne veulent pas ou hésitent à s'engager dans une grève longue (comme aux usines Renault par exemple), les syndicats interdisent tout contrôle et toute maîtrise collective de la lutte par les ouvriers eux-mêmes. Et surtout ils préparent la défaite : en divisant la classe ouvrière entre grévistes et non-grévistes, ils provoquent des ressentiments et des amertumes.

 

Aujourd'hui la bourgeoise veut infliger une défaite à l'ensemble de la classe ouvrière, elle veut la démoraliser car les attaques du gouvernement Juppé ne sont qu'un début. La crise économique du capitalisme ne pourra aller qu'en s'aggravant et la classe dominante sera amenée à cogner toujours plus fort pour faire payer aux prolétaires les frais de l'effondrement de son système. (...)

Supplément à Révolution Internationale (6/12/95)

Vie du CCI: 

  • Interventions [12]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Quelles leçons pour les luttes futures ? - (Tract diffusé en janvier 1996)

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Novembre-décembre 1995 : il n'y avait pas eu depuis longtemps une telle mobilisation de la classe ouvrière en France. Et pourtant, malgré les centaines de milliers de grévistes, les millions de manifestants, le gouvernement a réussi à faire passer ses principales attaques contre les travailleurs, à commencer par le plan Juppé sur la Sécurité sociale.

 

Il faut appeler un chat un chat : malgré son énorme mobilisation, la classe ouvrière a encaissé une défaite. Et même là où le gouvernement a retiré ses mesures, particulièrement à la SNCF, il ne faut pas se faire d'illusions : il va revenir à la charge en attendant le moment propice.

 

Mais cette défaite sera beaucoup plus grave encore si les ouvriers ne sont pas en mesure d'en tirer les enseignements, s'ils ne comprennent pas pourquoi cette mobilisation a mené à un tel résultat.

 

Et la première question à laquelle il faut répondre est celle du rôle des syndicats.

 

Les syndicats changent d'attitude pour duper les ouvriers

 
  • Aujourd'hui, on les voit arborer un langage hyper-radical et contestataire à l'égard du gouvernement alors qu'entre 81 et 84, ils nous avaient habitués à la plus grande «modération» envers les patrons et le gouvernement qui licenciaient à tour de bras dans la sidérurgie, les mines et l'automobile, un gouvernement PC-PS qui envoyait même ses CRS contre les ouvriers.
  • Les syndicats se sont portés à la tête du mouvement, poussant systématiquement les ouvriers à s'engager dans la lutte alors que dans le passé, ils n'ont pas arrêté de saboter les luttes ouvrières :
 
 

Souvenons-nous de la formidable grève de 1968, qui a démarré sans les syndicats, où beaucoup d'ouvriers ont déchiré leurs cartes syndicales, tellement ils avaient été écoeurés par les magouilles des syndicats pour brader le mouvement (le secrétaire général de la CGT, Séguy, s'était même fait huer lorsqu'il avait essayé de faire avaler aux ouvriers de Renault les accords de Grenelle qu'il avait concocté avec Pompidou et le jeune Chirac).

 

Souvenons-nous de la grève de décembre 1985 à la RATP, dénoncée comme «illégale» par la CGT parce qu'elle avait démarré spontanément, sans aucune consigne syndicale.

 

Souvenons-nous qu'au début de la grande grève des cheminots de décembre 1986, les syndicats avaient freiné des quatre fers : on avait même vu la CGT (encore elle !) organiser des piquets antigrève.

 

Et lorsque les syndicats se sont «engagés» dans le mouvement, c'était... pour aller négocier la défaite des cheminots avec le gouvernement !

 
  • Aujourd'hui, on voit les principaux syndicats unis, lancer des appels aux mêmes manifestations, avec les mêmes mots d'ordre, alors que pendant des années, ils n'ont pas cessé de diviser les ouvriers en étalant leurs propres divisions, en appelant à la grève à des jours différents, à des manifestations dans des cortèges différents, etc.
  • Les syndicats se démènent pour l'extension de la grève au-delà des secteurs, alors que pendant des années, ils ont systématiquement divisé, enfermé, isolé les travailleurs, par des revendications catégorielles, corporatistes, spécifiques à telle ou telle entreprise. Les rares fois où ils ont appelé à l'extension, c'était pour mieux étendre une défaite de la classe ouvrière : ainsi, pendant la grève des cheminots en décembre 86, ils se sont bien gardé d'appeler à l'extension de la lutte. Ce n'est qu'au début de l'année 1987 qu'ils ont appelé l'ensemble du secteur public à entrer en lutte au moment même où le mouvement des cheminots refluait du fait de son isolement.
 
 

Les syndicats sont-ils devenus de véritables défenseurs de la classe ouvrière ?

 

Pour répondre à cette question, il nous faut comprendre ce qui s'est réellement passé au cours des dernières semaines.

 

En fait, la classe ouvrière a été confrontée à une énorme manoeuvre de la bourgeoisie qui avait deux objectifs principaux :

 
  • faire passer dès à présent un maximum de mesures anti-ouvrières ;
  • préparer le terrain pour les futures attaques en affaiblissant la classe ouvrière.
 
 

Comment la bourgeoisie s'y est-elle prise ?

 

Le point d'orgue de cette manoeuvre a été constitué par une gigantesque provocation du gouvernement Juppé qui, semaine après semaine, a accumulé volontairement les annonces d'attaques brutales contre l'ensemble des travailleurs :

 
  • augmentation de la fiscalité indirecte (hausse de la TVA) et directe (création de la CRD, contribution au remboursement de la dette) ;
  • gel des allocations familiales pour 1996 avant de les rendre imposables en 1997 : ainsi, ce sont les ouvriers, les bas salaires et les chômeurs qui sont visés en priorité ;
  • réforme de la Sécurité sociale : les travailleurs devront payer plus (les retraités et les chômeurs sont également mis à contribution) pour être moins remboursés et plus mal soignés.
 
 
 

En même temps, le gouvernement annonce des attaques plus spécifiques contre le secteur public : blocage des traitements, attaque sur les régimes de retraites.

 

Enfin, cette provocation est couronnée par une véritable agression contre les cheminots, et particulièrement les roulants, avec le contrat de plan de la SNCF qui prévoit notamment des suppressions massives d'emplois, un démantèlement des régimes de retraites et l'obligation de travailler 7 ans de plus en moyenne.

 

En prenant cette dernière mesure, le gouvernement savait parfaitement que les cheminots allaient être les premiers à réagir, qu'ils allaient constituer un «exemple» pour les autres ouvriers, particulièrement dans le secteur public. Et c'est justement ce qu'il voulait : que les cheminots donnent le signal de la grève comme ils allaient donner le signal de la reprise lorsqu'il retirerait son plan pour la SNCF. Il ne faut pas s'y tromper, la bourgeoisie avait prévu depuis le début ce prétendu recul à la SNCF, comme elle avait prévu de «reculer» sur le régime de retraite des fonctionnaires : c'était le meilleur moyen de faire avaler tout le reste, et particulièrement la «réforme» de la Sécurité sociale.

 

Ce type de manoeuvre n'est pas nouveau : il avait déjà été utilisé par exemple lors de la grève des hôpitaux à l'automne 88. En effet :

 
  • comme en 88 durant la grève des infirmières, face au ras le bol des ouvriers contre la politique d'austérité du gouvernement, la classe dominante a pris les devants en provoquant un combat prématuré afin de mouiller la poudre, saboter tout le terrain de la lutte et entraîner l'ensemble de la classe ouvrière dans une défaite cuisante ;
  • comme en 88 avec les infirmières, elle a utilisé un secteur ouvrier particulièrement combatif (les cheminots) pour présenter leur lutte comme un exemple à suivre ;
  • comme en 88, le gouvernement avait prévu dans son plan d'attaque un simulacre de «recul» pour faire croire à une «victoire» de la classe ouvrière.
 
 
 

Faut-il des preuves de cette manoeuvre ? Il n'y a qu'à voir l'attitude de la presse et de la TV au cours de la grève : jamais une lutte ouvrière n'avait été présentée de manière aussi favorable en même temps qu'on mettait en relief l'arrogance et la morgue de Juppé. Même la presse étrangère s'y est mise : habituellement, les médias font un complet silence sur les luttes dans les autres pays. Cette fois-ci, les grèves en France faisaient la une des journaux dans les principaux pays d'Europe.

 

Et dans cette manoeuvre, les syndicats ont pris toute leur part. Grâce à la provocation du gouvernement Juppé, ils ont pu se mobiliser pour se présenter comme les véritables défenseurs de la classe ouvrière :

 
  • à la SNCF, puis à la RATP et dans l'ensemble des transports publics, ils ont poussé systématiquement à l'entrée en grève ;
  • une semaine après, ils ont appelé à l'extension de la grève dans le reste du secteur public, particulièrement aux PTT, en organisant en beaucoup d'endroits l'envoi de délégations de cheminots vers les centres de tri ;
  • ils ont multiplié les manifestations «unitaires» (qui ne pouvaient qu'encourager encore plus de travailleurs à entrer en grève) sauf celle du samedi 16 décembre qui était un baroud d'honneur préparant la reprise du travail.
 
 
 

Sur le terrain, les syndicats contrôlent tout. Ils récupèrent les besoins de la lutte pour enlever toute initiative aux ouvriers : ce sont eux qui «organisent» l'extension du mouvement. Même l'idée des AG «souveraines» est mise en avant par eux pour mieux les dénaturer en faisant croire que ce sont les ouvriers qui décidaient de la conduite du mouvement. Ensuite, ils poussent plus ou moins ouvertement à la reprise du travail, sans trop se mouiller, sachant très bien que la lassitude a fait son effet (le gouvernement a fait exprès d'attendre trois semaines). Cette tactique leur permettait de ne pas être démasqués. Enfin, ils participent au «sommet social» du 21 décembre en bombant le torse, plus radicaux que jamais.

 

Grâce aux syndicats, non seulement l'essentiel des mesures contre la classe ouvrière est passé mais, pour la bourgeoisie, le terrain est beaucoup mieux préparé pour lui permettre de faire passer les nouvelles attaques : cette grève aura servi à «mouiller la poudre». Ainsi :

 
  • à la SNCF même, lorsque le frère ou le cousin du contrat de plan sera annoncé, les cheminots épuisés par trois semaines de grève, ne seront pas prêts à se lancer dans un mouvement d'une telle ampleur ;
  • dans les autres parties du secteur public, qui se sont également investies dans le mouvement, les postes, France télécom, EDF-GDF, les enseignants, les impôts, etc., il risque d'en être de même;
  • dans l'ensemble de la classe ouvrière, même parmi ceux qui ne se sont pas mobilisés cette fois-ci, il y aura de fortes hésitations à reprendre le chemin de la lutte du fait du sentiment que malgré des combats de grande ampleur, les mesures passent quand même ;
  • en particulier, l'idée que l'extension ne sert à rien est une fausse leçon du mouvement que la bourgeoisie cherche aujourd'hui à faire tirer aux ouvriers.
 
 
 
 

Après trois semaines de grève, un grand nombre d'ouvriers ont repris le travail avec un sentiment de fierté d'avoir été capable de relever la tête. Ce sentiment est tout à fait valable en lui-même car le principal gain de la lutte, c'est la lutte elle-même, c'est la capacité de la classe ouvrière à riposter aux attaques capitalistes. Mais aujourd'hui cette idée représente un grand danger pour les ouvriers car la bourgeoisie l'utilise contre eux : à travers sa manoeuvre elle cherche à induire l'idée que ce sont les syndicats qui ont permis aux ouvriers de relever la tête, sans les syndicats la classe ouvrière n'est pas capable de lutter. Ainsi, un tel sentiment de «victoire» obtenue grâce aux syndicats est pire qu'une défaite ouverte, ressentie comme telle.

 

Alors que les syndicats ont pleinement participé au partage des tâches avec le gouvernement et les médias, la manoeuvre a été telle-' ment bien ficelée qu'ils ont réussi à masquer leur sale travail. Plus encore, ils ont redoré leur blason, ils sont effectivement apparus comme des organes de lutte de la classe ouvrière. En regagnant la confiance d'un grand nombre d'ouvriers, ils pourront d'autant mieux saboter, comme ils l'ont fait systématiquement dans le passé, les prochaines luttes qui surgiront nécessairement face aux attaques de la bourgeoisie.

 

Quels enseignements pour les prochaines luttes ?

 

La première leçon que les ouvriers doivent tirer de cette grève, c'est que, malgré les apparences, malgré l'énorme «combativité» dont ils ont fait preuve, les syndicats sont toujours des ennemis de la classe ouvrière.

 

Pour lutter efficacement, les ouvriers n'auront pas d'autre choix que de s'affronter aux syndicats, notamment en leur disputant dès le début la direction de la lutte. Ils doivent garder le contrôle de leur mouvement du début à la fin :

 
  • à travers de véritables AG souveraines, ouvertes aux ouvriers de tous les secteurs, qu'ils soient chômeurs ou «actifs». Dans ces AG souveraines, les ouvriers doivent discuter collectivement de toutes les questions concernant la lutte et prendre eux-mêmes en main toutes les initiatives, en premier lieu l'extension de la lutte ;
  • cette extension est une nécessité vitale pour la classe ouvrière car une lutte isolée mène TOUJOURS à la défaite. C'est pour cela que dès le début, la recherche de l'extension doit être la préoccupation centrale des ouvriers ;
  • pour contrôler et diriger eux-mêmes leur combat, les ouvriers doivent élire des comités de grève sur base des décisions prises par l'ensemble des travailleurs en lutte. Ces comités doivent être révocables à chaque instant par les assemblées ;
 
 
 

lorsque la lutte s'élargit, il ne faut pas laisser aux syndicats le soin de la centraliser. Par exemple, il faut refuser la pratique des négociations des dirigeants syndicaux avec le patronat ou le gouvernement car celles-ci sont toujours des magouilles dans le dos des ouvriers, où ces derniers ne peuvent rien contrôler. Seule une représentation véritable des travailleurs en lutte, mandatée et contrôlée par les assemblées souveraines, pourra éviter ces magouilles.

 

La classe ouvrière sera obligée de reprendre et développer ses combats car les attaques capitalistes ne vont pas cesser : celles qu'elle a subies dans les derniers mois ne sont qu'un avant-goût de ce qui l'attend. En effet, les attaques anti-ouvrières sont la seule réponse que la bourgeoisie puisse apporter à la crise insoluble de son système. Cette crise est l'expression de la faillite du capitalisme. C'est ce système moribond qui est responsable ici de la misère et du chômage, ailleurs des famines, des guerres et du chaos.

 

Face à l'aggravation de la misère et de la barbarie capitaliste, la lutte de la classe ouvrière représente la seule perspective pour l'humanité. Ce n'est qu'en menant le combat contre les effets de la crise du capitalisme dont il est la principale victime, que le prolétariat, en tirant les leçons de ses luttes, pourra trouver la force de renverser ce système avant qu'il ne détruise toute la planète.

Révolution Internationale, organe du Courant Communiste International en France (3/01/96)

Vie du CCI: 

  • Interventions [12]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

VI - Polémique au sein du milieu révolutionnaire

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Dans le milieu révolutionnaire, la polémique a de tous temps représenté une véritable tradition. Elle correspond au besoin impérieux appartenant aux origines mêmes du mouvement ouvrier de confronter et débattre publiquement des différences analyses et points de vue des organisations révolutionnaires afin de surmonter les divergences et de dégager des positions politiques les plus claires. C'est dans la polémique la plus âpre que sont nées les premières organisations du siècle dernier, comme les première et deuxième Internationales, et que s'est fondée la troisième Internationale, au coeur de la vague révolutionnaire qui a suivi Octobre 1917. Non seulement le CCI se réclame depuis sa constitution de cette tradition mais il n'a jamais dérogé à cette règle fondamentale. Les questions que doit résoudre le prolétariat, qu'il s'agisse de la défense de ses intérêts immédiats comme de la marche vers la révolution et l'instauration du communisme, ne sont pas académiques, elles sont vitales. Le mouvement de décembre 1995 a ainsi donné lieu à une série de polémiques entre les organisations du milieu révolutionnaire, en particulier le BIPR[1] et le PCI[2] et notre organisation.

Nous présentons ici celles que nous avons menées dans notre Revue Internationale. Il apparaît que ces deux organisations sont tombées, pour des raisons et à des niveaux différents, dans la même erreur consistant à prendre les vessies de la bourgeoisie pour des lanternes prolétariennes, c'est-à-dire à prendre cette cynique manoeuvre bourgeoise pour une expression de la lutte ouvrière. Cette erreur est la conséquence de graves faiblesses politiques résultant, de la part de BC, d'un cadre d'analyse insuffisant sur la question du cours historique et, en ce qui concerne le PCI, d'une position complètement erronée sur la nature de classe des syndicats dans la période actuelle.

 

[1] Bureau International Pour le Parti Révolutionnaire composé de Battaglia Comunista et de la CWO

 

[2] Parti Communiste International qui publie "Le Prolétaire"

Vie du CCI: 

  • Interventions [12]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [13]
  • Battaglia Comunista [14]
  • Communist Workers Organisation [15]

La cécité du BIPR face aux manoeuvres de la bourgeoisie

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Chaque jour qui passe témoigne un peu plus de la barbarie sans nom dans laquelle s'enfonce le monde capitaliste.

 
  • "Plus que jamais, la lutte du prolétariat représente le seul espoir d'avenir pour la société humaine. Cette lutte, qui avait resurgi avec puissance à la fin des années 60, mettant un terme à la plus terrible contre-révolution qu'ai connue la classe ouvrière, a subi un recul considérable avec l'effondrement des régimes staliniens, les campagnes idéologiques qui l'ont accompagné et l'ensemble des événements (guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, etc.) qui l'ont suivi. C 'est sur les deux plans de sa combativité et de sa conscience que la classe ouvrière a subi, de façon massive, ce recul, sans que cela remette en cause toutefois, comme le CCI l'avait déjà affirmé à ce moment-là, le cours historique vers les affrontements de classe. Les luttes menées au cours des dernières années par le prolétariat sont venues confirmer ce qui précède. Elles ont témoigné, particulièrement depuis 1992, de la capacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat de classe, confirmant ainsi que le cours historique n'avait pas été renversé. Elles ont témoigné aussi des énormes difficultés qu'il rencontre sur ce chemin, du fait de la profondeur et de l'extension de son recul. C'est de façon sinueuse, avec des avancées et des reculs, dans un mouvement en dents de scie que se développent les luttes ouvrières."[1] Les grèves et les manifestations ouvrières qui ont secoué la France à la fin de l'automne 1995 sont venues illustrer cette réalité : la capacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat mais aussi les énormes difficultés qu'il rencontre sur ce chemin. Dans le précédent numéro de la Revue Internationale, nous avons déjà dégagé, à chaud, la signification de ces mouvements sociaux[2] :
 

L'importance de ce qui s'est passé en France à la fin 1995

 

Le fait que les mouvements sociaux de la fin de l'année 1995 en France soient fondamentalement le résultat d'une manoeuvre de la bourgeoisie ne saurait en atténuer l'importance ni signifier que la classe ouvrière est aujourd'hui une troupe de moutons à la merci de la classe dominante. En particulier, ces événements apportent un démenti cinglant à toutes les "théories" (relancées abondamment lors de l'effondrement des régimes staliniens) sur la "disparition" de la classe ouvrière ainsi qu'à leur variantes évoquant soit la "fin des luttes ouvrières", soit (c'est la version "de gauche" de ces théories) la "recomposition"de la classe sensée porter avec elle une atteinte majeure à ces luttes[3]. Ce témoignage des réelles potentialités de la classe à l'heure actuelle nous est apporté par le fait même de l'ampleur des grèves et des manifestations de novembre-décembre 1995 : des centaines de milliers de grévistes, plusieurs millions de manifestants. Cependant, on ne peut s'arrêter à ce simple constat : après tout, au cours des années 1930, on a assisté à des mouvements de très grande ampleur comme les grèves de mai-juin 1936 en France ou l'insurrection des ouvriers d'Espagne contre le coup d'Etat fasciste du 18 juillet de la même

 

Ce qui différencie fondamentalement les mouvements de la classe aujourd'hui de ceux des années 1930 c'est que ces derniers s'inscrivaient dans une longue suite de défaites de la classe ouvrière au lendemain de la vague révolutionnaire qui avait surgi au cours de la première guerre mondiale, des défaites qui avaient plongé le prolétariat dans la plus profonde contre-révolution de son histoire. Dans ce contexte de défaite physique et surtout politique du prolétariat, les manifestations de combativité de la classe avaient été facilement dévoyées par la bourgeoisie sur le terrain pourri de l'antifascisme, c'est-à-dire de la préparation de la seconde boucherie impérialiste. Nous ne reviendrons pas ici sur notre analyse du cours historique[4], mais ce qu'il s'agit d'affirmer clairement c'est que nous ne sommes pas aujourd'hui dans la même situation que dans les années 1930. Les mobilisations actuelles du prolétariat ne peuvent être en aucune façon des moments de la préparation de la guerre impérialiste mais prennent leur signification dans la perspective d'affrontements de classe décisifs contre le capitalisme plongé dans une crise sans issue.

 

Cela dit, ce qui confère une importance de premier plan aux mouvements sociaux de la fin de l'automne 1995 en France, ce n'est pas tant la grève et les manifestations ouvrières par elles-mêmes, que l'ampleur de la manoeuvre bourgeoise qui se trouve à leur origine. Bien souvent, on peut évaluer l'état réel du rapport de forces entre les classes, dans la façon dont agit la bourgeoisie face au prolétariat. En effet, la classe dominante dispose de multiples moyens pour évaluer ce rapport de forces : sondages d'opinion, enquêtes de police (par exemple, en France, c'est une des missions des Renseignements Généraux, c'est-à-dire de la police politique, que de " tâter le pouls " des secteurs de la population " à risque ", en premier lieu de la classe ouvrière). Mais l'instrument le plus important est constitué par l'appareil syndical qui est bien plus efficace encore que les sociologues des instituts de sondage ou que les fonctionnaires de police. En effet, cet appareil, dans la mesure où il a comme fonction de constituer l'instrument par excellence d'encadrement des exploités au service de la défense des intérêts capitalistes, où il dispose, en outre, d'une expérience de plus de 80 ans dans ce rôle, est particulièrement sensible à l'état d'esprit des travailleurs, à leur volonté et à leur capacité à engager des combats contre la bourgeoisie. C'est lui qui est chargé d'avertir en permanence les patrons et le gouvernement de l'importance du danger représenté par la lutte de classe. C'est d'ailleurs à cela que servent les rencontres périodiques entre les responsables syndicaux et le patronat ou le gouvernement : se concerter pour préparer ensemble la meilleure stratégie permettant à la bourgeoisie de porter ses attaques contre la classe ouvrière avec le maximum d'efficacité.

 

Dans le cas des mouvements sociaux de la fin de l'année 1995 en France, l'ampleur et la sophistication de la manoeuvre organisée contre la classe ouvrière suffisent, à elles seules, à souligner à quel point la lutte de classe, la perspective de combats ouvriers de grande envergure, constituent aujourd'hui pour la bourgeoisie une préoccupation centrale.

 

La manoeuvre de la bourgeoisie

 

L'article du précédent numéro de la Revue Internationale décrit par le détail les différents aspects de la manoeuvre et comment ont collaboré à celle-ci tous les secteurs de la classe dominante, depuis la droite jusqu'aux organisations d'extrême gauche. Nous nous contenterons ici d'en rappeler les éléments essentiels : (...)

 

Après trois semaines de grève, le gouvernement retire son "contrat de plan" dans les chemins de fer et des mesures contre les régimes de retraite des fonctionnaires : les syndicats crient victoire et parlent du "recul" du gouvernement ; malgré des résistances dans quelques centres "durs", les cheminots reprennent le travail, donnant le signal de la fin de la grève dans les autres secteurs.

 

Au total, grâce à ce prétendu "recul" prévu à l'avance, la bourgeoisie a remporté une victoire en faisant passer l'essentiel des mesures qui touchent tous les secteurs de la classe ouvrière comme l'augmentation des impôts et la réforme de la Sécurité Sociale, et même des mesures concernant spécifiquement les secteurs qui se sont mobilisés comme le blocage des salaires des agents de l'Etat. Mais la plus grande victoire de la bourgeoisie est politique : les travailleurs qui ont fait trois semaines de grève ne sont pas prêts à se relancer dans un mouvement de ce type lorsque pleuvront les nouvelles attaques.

 

De plus, et surtout, ces grèves et ces manifestations ont permis aux syndicats de redorer de façon considérable leur blason : alors qu'auparavant l'image qui collait aux syndicats en France était celle de la dispersion des luttes, des journées d'action poussives et de la division, ils sont apparus tout au long du mouvement (principalement les deux principaux d'entre eux : la CGT d'obédience stalinienne et Force Ouvrière dirigée par des socialistes) comme ceux sans qui rien n'aurait été possible, ni l'élargissement et l'unité du mouvement, ni l'organisation de manifestations massives, ni les prétendus "reculs" du gouvernement. Comme nous le disions dans l'article du précédent numéro de la Revue Internationale : "Cette re-crédibilisation des syndicats constituait pour la bourgeoisie un objectif fondamental, un préalable indispensable avant de porter les attaques à venir qui seront encore bien plus brutales que celles d'aujourd'hui. C'est à cette condition seulement qu 'elle peut espérer saboter les luttes qui ne manqueront pas de surgir au moment de ces attaques."

 

En fait, l'importance considérable que la bourgeoisie accorde à la re-crédibilisation des syndicats s'est confirmée amplement à la suite du mouvement, notamment dans la presse avec de nombreux articles soulignant le "come back" syndical. Il est intéressant de noter que dans une des feuilles confidentielles que se donne la bourgeoisie pour informer ses principaux responsables, on peut lire : "Un des signes les plus clairs de cette reconquête syndicale est la volatilisation des coordinations. Elles avaient été perçues comme le témoignage de la non-représentativité syndicale. Qu 'elles n'aient pas surgi cette fois montre que les efforts des syndicats pour mieux «coller au terrain» et restaurer un «syndicalisme de proximité» n'ont pas été vains."[5]. Et cette feuille se plaît à citer une déclaration, présentée comme "un soupir de soulagement ", d'un patron du secteur privé : "Nous avons enfin à nouveau un syndicalisme fort."

 

Les incompréhensions du milieu révolutionnaire

 

Le fait de constater que les mouvements de la fin 1995 en France résultent avant tout d'une manoeuvre très soigneusement élaborée et mise en place par tous les secteurs de la bourgeoisie ne constitue en aucune façon une quelconque remise en cause des capacités de la classe ouvrière à affronter le capital dans des combats de très grande ampleur, bien au contraire. C'est justement dans les moyens considérables mis en oeuvre par la classe dominante pour prendre les devants des combats futurs du prolétariat qu'on peut déceler à quel point celle-ci est préoccupée par cette perspective. Encore faut-il pour cela qu'on soit en mesure d'identifier la manoeuvre déployée par la bourgeoisie.

 

Malheureusement si cette manoeuvre n'a pu être démasquée par les masses ouvrières, et elle était suffisamment sophistiquée pour qu'il en soit ainsi, elle a également trompé ceux dont une des responsabilités essentielles est de dénoncer tous les coups fourrés que les exploiteurs portent contre les exploités : les organisations communistes.

 

Ainsi les camarades de Battaglia Comunista (BC) pouvaient-ils écrire, dans le numéro de décembre 1995 de leur journal : "Les syndicats ont été pris à contre-pied par la réaction décidée des travailleurs contre les plans gouvernementaux."

 

Et il ne s'agit pas là d'un jugement hâtif de BC résultant d'une information encore insuffisante puisque, dans le numéro de janvier 1996, BC revient à la charge avec la même idée : "Contre le plan Juppé, les employés du secteur public se sont mobilisés spontanément. Et c'est bien de rappeler que les premières manifestations des travailleurs se sont déroulées sur le terrain de la défense immédiate des intérêts de classe, prenant par surprise les organisations syndicales elles-mêmes, démontrant encore une fois que lorsque le prolétariat bouge pour se défendre contre les attaques de la bourgeoisie, il le fait presque toujours en dehors et contre les directives syndicales. Ce n 'est que dans une seconde phase que les syndicats français, surtout Force Ouvrière et la CGT, ont pris en marche le train de la protestation récupérant ainsi de leur crédibilité aux yeux des travailleurs. Mais l'implication aux apparences de radicalité de Force Ouvrière et des autres syndicats cachait de mesquins intérêts de la bureaucratie syndicale qu 'on ne peut comprendre que si l on connaît le système de protection sociale fronçais [où les syndicats, particulièrement Force Ouvrière, assurent la gestion des fonds, ce qui est justement remis en cause par le plan Juppé]".

 

C'est un peu la même thèse qu'on retrouve de la part de l'organisation-soeur de BC au sein du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, la Communist Workers' Organisation (CWO). Dans sa revue Revolutionary Perspectives n° 1, 3e Série, on peut lire : "Les syndicats, particulièrement FO, la CGT et la CFDT[6] s'opposaient à ce changement. Cela aurait constitué un coup majeur porté contre les prérogatives des dirigeants syndicaux. Cependant, tous, à un moment ou à un autre, avant les annonces de Juppé, avaient soit accueilli favorablement le dialogue avec le Gouvernement, soit accepté la nécessité de nouveaux impôts. C'est seulement quand la colère ouvrière contre les dernières propositions est devenue claire que les syndicats ont commencé à se sentir menacés par plus important que la perte de leur contrôle sur des domaines financiers majeurs."

 

Dans l'analyse des deux groupes du BIPR, il existe toute une insistance sur le fait que les syndicats ne cherchaient qu'à défendre des "intérêts mesquins" en appelant à la mobilisation contre le plan Juppé sur la Sécurité Sociale. Même si les dirigeants syndicaux sont évidemment sensibles à leurs petits intérêts de boutique, une telle analyse de leur attitude revient à observer la réalité par le petit bout de la lorgnette. C'est comme si on interprétait les disputes dont sont coutumières les centrales syndicales uniquement comme manifestation de la concurrence entre elles sans y voir l'aspect fondamental : un des moyens par excellence de diviser la classe ouvrière. En réalité, ces "intérêts mesquins" des syndicats ne peuvent s'exprimer que dans le cadre de ce qui constitue leur rôle dans la société d'aujourd'hui : celui de pompiers de l'ordre social capitaliste, de flics de l'Etat bourgeois dans les rangs ouvriers. Et s'il leur faut renoncer à leurs "intérêts mesquins" et de boutique pour pouvoir tenir ce rôle, ils n'hésitent pas à le faire car ils ont un parfait sens des responsabilités dans la défense des intérêts du capital contre la classe ouvrière. En menant leur politique de la fin 1995, les dirigeants syndicaux savaient parfaitement qu'elle allait permettre à Juppé de faire passer son plan qui les privait de certaines de leurs prérogatives financières, mais ils avaient fait leur deuil de celles-ci au nom des intérêts supérieurs de l'Etat capitaliste. En fait, il est de loin préférable pour les appareils syndicaux de laisser croire qu'ils prêchent pour leur propre chapelle (ils pourront toujours se réfugier derrière l'argument que leur propre force contribue à celle de la classe ouvrière) plutôt que de se démasquer pour ce qu'ils sont réellement : des rouages essentiels de l'ordre bourgeois.

 

En réalité, si nos camarades du BIPR sont tout à fait clairs sur la nature parfaitement capitaliste des syndicats, ils commettent une sous-estimation considérable du degré de solidarité qui les lient à l'ensemble de la classe dominante et, notamment, de leur capacité à organiser avec le gouvernement et les patrons des manoeuvres destinées à piéger la classe ouvrière.

 

Ainsi, tant pour la CWO que pour BC, il existe l'idée, bien qu'avec des nuances[7], que les syndicats ont été surpris, voire débordés, par l'initiative de la classe ouvrière. Rien n'est plus contraire à la réalité. S'il existe un exemple depuis ces dix dernières années en France où les syndicats ont parfaitement prévu et contrôlé un mouvement social, c'est bien celui de la fin 1995. Plus, c'est un mouvement qu'ils ont suscité de façon systématique, avec la complicité du gouvernement, comme nous l'avons vu plus haut et analysé par le détail dans notre précédent article.

 

Et la meilleure preuve qu'il n'y avait aucun "débordement" ni aucune "surprise"pour la bourgeoisie et son appareil syndical, c'est la couverture médiatique que la bourgeoisie des autres pays a immédiatement donnée aux événements. Depuis longtemps, et particulièrement depuis les grandes grèves de Belgique qui, à l'automne 1983, avaient annoncé la sortie de la classe de la démoralisation et la désorientation qui avaient accompagné la défaite des ouvriers en Pologne, en 1981, la bourgeoisie s'est fait un devoir d'organiser au niveau international un black-out complet autour des luttes ouvrières. Ce n'est que lorsque ces luttes correspondent à une manoeuvre planifiée par la bourgeoisie, comme ce fut le cas en Allemagne au printemps 1992, que le black-out fait alors place à une profusion d'informations (orientées, évidemment). Dans ce cas déjà, les grèves du secteur public, et notamment dans les transports, avaient comme objectif de "présenter les syndicats, qui avaient systématiquement organisé toutes les actions, maintenant les ouvriers dans la plus grande passivité, comme les véritables protagonistes contre les patrons"[8].

 

Dans le cas des mouvements de la fin 1995 en France, on a assisté, de ce point de vue, à un "remake" de ce que la bourgeoisie avait fomenté en Allemagne trois ans et demi plus tôt En fait, l'intense bombardement médiatique qui a accompagné ces mouvements (même au Japon c'est de façon quotidienne que la télévision diffusait abondamment des images de la grève et des manifestations) ne signifie pas seulement que la bourgeoisie et ses syndicats les contrôlaient parfaitement et depuis le début, non seulement qu'ils avaient été prévus et planifiés par ces derniers, mais aussi que c'est à l'échelle internationale que la classe dominante avait organisé cette manoeuvre afin de porter un coup à la conscience de la classe ouvrière des pays avancés.

 

La meilleure preuve de cette réalité est la façon dont la bourgeoisie belge a manoeuvré à la suite des mouvements sociaux en France :

 
  • alors que les médias parlent à propos de la France d'un "nouveau mai 68", les syndicats lancent, fin novembre 1995, exactement comme en France, des mouvements contre les atteintes au secteur public, et particulièrement contre la réforme de la Sécurité Sociale ;
  • c'est alors que la bourgeoisie organise une véritable provocation en annonçant des mesures d'une brutalité inouïe dans les chemins de fer (SNCB) et les transports aériens (Sabena) ; comme en France, les syndicats se portent résolument au devant de la mobilisation dans ces deux secteurs présentés comme exemplaires, et les cheminots belges sont invités à faire comme leurs collègues français ;
  • la bourgeoisie fait alors mine de reculer ce qui est évidemment présenté comme une victoire de la mobilisation syndicale et qui permet le succès d'une grande manifestation de tout le secteur public, le 13 décembre, parfaitement contrôlée par les syndicats et où l'on note la présence d'une délégation de cheminots français de la CGT ; le quotidien De Morgen titre le 14 décembre : "Comme en France, ou presque" ;
  • deux jours plus tard, nouvelle provocation gouvernementale et patronale à la SNCB et à la Sabena où la direction annonce le maintien de ses mesures : les syndicats relancent des luttes "dures" (il y a des affrontements avec la police sur l'aéroport de Bruxelles bloqué par les grévistes) et essaient d'élargir la manoeuvre aux autres secteurs du public et aussi dans le privé où des délégations syndicales venues "apporter leur solidarité'' aux travailleurs de la Sabena affirment que "leur lutte constitue un laboratoire social pour l'ensemble des travailleurs" ;
  • finalement, début janvier, le patronat fait de nouveau mine de reculer en annonçant l'ouverture du "dialogue social", tant à la SNCB qu'à la Sabena, "sous la pression du mouvement" ; comme en France, le mouvement se solde par une victoire et une crédibilisation des syndicats.
 
 
 
 
 

Franchement camarades du BIPR, pensez-vous que cette remarquable ressemblance entre ce qui s'est passé en France et en Belgique était le fruit du hasard, que la bourgeoisie et ses syndicats n'avaient rien prévu à l'échelle internationale?

 

En réalité, l'analyse de la CWO et de BC témoigne d'une dramatique sous-estimation de l'ennemi capitaliste, de sa capacité de prendre les devants lorsqu'il sait que les attaques de plus en plus brutales qu'il sera conduit à porter contre la classe ouvrière provoqueront nécessairement de la part de celle-ci des réactions de grande envergure dans lesquelles les syndicats devront être mis abondamment à contribution pour la préservation de l'ordre bourgeois. La position prise par ces organisations donne l'impression d'une naïveté incroyable, d'une vulnérabilité déconcertante face aux pièges tendus par la bourgeoisie.

 

Cette naïveté, nous l'avions déjà constatée à plusieurs reprises, notamment de la part de BC. C'est ainsi que cette organisation, lors de l'effondrement du bloc de l'Est, était tombée dans le piège des campagnes bourgeoisies sur les perspectives souriantes que cet événement était sensé représenter pour l'économie mondiale[9]. Parallèlement, BC avait marché à fond dans le mensonge de la prétendue "insurrection" en Roumanie (en réalité un coup d'Etat permettant le remplacement par d'anciens apparatchiks à la Ion Iliescu d'un Ceausescu honni). A cette occasion, BC n'avait pas craint d'écrire : "La Roumanie est le premier pays dans les régions industrialisées dans lequel la crise économique mondiale a donné naissance à une réelle et authentique insurrection populaire dont le résultat a été le renversement du gouvernement en place (...) en Roumanie, toutes les conditions objectives et presque toutes les conditions subjectives étaient réunies pour transformer l'insurrection en une réelle et authentique révolution sociale.'' Camarades de BC, lorsqu'on est conduit à écrire de telles sottises, on doit essayer d'en tirer des leçons. En particulier, on se méfie un peu plus des discours de la bourgeoisie. Sinon, si l'on se laisse piéger par les trucs de la classe bourgeoise destinés à berner les masses ouvrières, comment peut-on se prétendre l'avant garde de celles-ci?

 

La nécessité d'un cadre d'analyse historique

 

En réalité, les bourdes commises par BC (tout comme la CWO qui, en 1981, appelait les ouvriers de Pologne à "La révolution maintenant !") ne sont pas réductibles à des caractéristiques psychologiques ou intellectuelles, la naïveté, de leurs militants. Il existe dans ces organisations des camarades expérimentés et d'une intelligence correcte. La véritable cause des erreurs à répétition de ces organisations, c'est qu'elles se sont systématiquement refusées à prendre en compte le seul cadre dans lequel on puisse comprendre l'évolution de la lutte du prolétariat : celui du cours historique aux affrontements de classe qui a succédé, à la fin des années 1960, à la période de contre-révolution.

 

Nous avons déjà, à plusieurs reprises mis en évidence cette grave erreur de BC à laquelle s'est ralliée la CWO[10].

 

En réalité, c'est la notion même de cours historique que BC remet en cause : "Quand nous parlons d'un «cours historique» c'est pour qualifier une période... historique, une tendance globale et dominante de la vie de la société qui ne peut être remise en cause que par des événements majeurs de celle-ci... En revanche, pour Battaglia, il s'agit d'une perspective qui peut être remise en cause, dans un sens comme dans l'autre, à chaque instant puisqu'il n'est pas exclu qu'au sein même d'un cours à la guerre il puisse intervenir «une rupture révolutionnaire»... la vision de Battaglia ressemble à une auberge espagnole : dans la notion de cours historique chacun apporte ce qu'il veut. On trouvera la révolution dans un cours vers la guerre comme la guerre mondiale dans un cours aux affrontements de classe. Ainsi chacun y trouve son compte : en 1981, le CWO appelait les ouvriers de Pologne à la révolution alors que le prolétariat mondial était supposé n'être pas encore sorti de la contre révolution. Finalement, c'est la notion de cours qui disparaît totalement ; voila où en arrive BC : éliminer toute notion d'une perspective historique... En fait, la vision de BC (et du BIPR) porte un nom : l'immédiatisme."[11]

 

C'est l'immédiatisme qui explique la "naïveté" de BC : hors d'un cadre historique de compréhension des événements, cette organisation en est conduite à croire ce que les médias bourgeois racontent à leur propos.

 

C'est l'immédiatisme qui permet de comprendre pourquoi, par exemple, en 1987-88 les groupes du BIPR, face aux luttes ouvrières, s'amusent à la balançoire entre un total scepticisme et un grand enthousiasme : la lutte de 1987 dans le secteur de l'école, en Italie, d'abord considérée par .BC sur le même plan que celle des pilotes d'avion ou des magistrats devient par la suite le début "d'une phase nouvelle et intéressante de la lutte de classe en Italie." A la même période, on peut voir la CWO osciller de la même façon face aux luttes en Grande-Bretagne.[12]

 

C'est le même immédiatisme qui fait écrire à BC de janvier 1996 que "La grève des travailleurs français, au delà de l'attitude opportuniste (sic) des syndicats, représente vraiment un épisode d'une importance extraordinaire pour la reprise de la lutte de classe". Pour BC, ce qui faisait cruellement défaut dans cette lutte, pour lui éviter la défaite, c'est un parti prolétarien. Si le parti qui, effectivement, devra être constitué pour que le prolétariat puisse réaliser la révolution communiste, devait s'inspirer de la même démarche immédiatiste que celle dont ne s'est pas départie, malgré toutes ses bourdes, le BIPR, alors, il faudrait craindre pour le sort de la révolution.

 

En fait, c'est justement en tournant fermement le dos à l'immédiatisme, en ayant la préoccupation constante de replacer les moments actuels de la lutte de classe dans leur contexte historique qu'on peut les comprendre et assumer un véritable rôle d'avant-garde de la classe. Ce cadre, c'est évidemment celui du cours historique, nous n'y reviendrons pas. Mais, plus précisément, c'est celui qui prévaut depuis l'effondrement des régimes staliniens à la fin des années 1980 et qui est sommairement rappelé au début de cet article.

 

C'est dès la fin de l'été 1989, deux mois avant la chute du mur de Berlin que le CCI s'est attelé à élaborer le nouveau cadre d'analyse permettant de comprendre l'évolution de la lutte de classe :

 
 
  • "C'est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat... qu'il faut s'attendre. Si les attaques incessantes et déplus en plus brutales que le capitalisme ne manquera pas d'asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n'en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avancer dans sa prise de conscience. En particulier, l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats.
    Compte tenu de l'importance historique des faits qui le déterminent, le recul actuel du prolétariat, bien qu'il ne remette pas en cause le cours historique, la perspective générale aux affrontements de classe, se présente comme bien plus profond que celui qui avait accompagné la défaite de 1981 en Pologne."[13]
 

Par la suite, le CCI a été conduit à intégrer dans ce cadre les nouveaux événements de très grande importance qui se sont succédés : "Une telle campagne [sur la «mort du communisme» et le «triomphe» du capitalisme] a obtenu un impact non négligeable parmi les ouvriers, affectant leur combativité et leur conscience. Alors que cette combativité connaissait un nouvel essor, au printemps 1990, notamment à la suite des attaques résultant du début d'une récession ouverte, elle a été de nouveau atteinte par la crise et la guerre du Golfe. Ces événements tragiques ont permis de faire justice du mensonge sur le «nouvel ordre mondial» annoncé par la bourgeoisie lors de la disparition du bloc de l'Est sensé être le principal responsable des tension militaires (...) Mais en même temps, la grande majorité de la classe ouvrière des pays avancés, à la suite des nouvelles campagnes de mensonges bourgeois, a subi cette guerre avec un fort sentiment d'impuissance qui a réussi à affaiblir considérablement ses luttes. Le putsch de l'été 1991 en URSS et la nouvelle déstabilisation qu'il a entraînée, de même que la guerre civile en Yougoslavie, ont contribué à leur tour à renforcer ce sentiment d'impuissance. L'éclatement de l'URSS et la barbarie guerrière qui se déchaîne en Yougoslavie sont la manifestation du degré de décomposition atteint aujourd'hui par la société capitaliste. Mais, grâce à tous les mensonges assénés par ses médias, la bourgeoisie a réussi à masquer la cause réelle de ces événements pour en faire une nouvelle manifestation de la «mort du communisme», ou bien une question de «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» face auxquelles les ouvriers n'ont d'autre alternative que d'être des spectateurs passifs et de s'en remettre à la «sagesse» de leurs gouvernements. "[14]

 

En fait, la guerre en Yougoslavie, par son horreur, sa durée et par le fait qu'elle se déroulait tout près des grandes concentrations prolétariennes d'Europe occidentale a constitué un des éléments essentiels permettant d'expliquer l'importance des difficultés rencontrées par le prolétariat à l'heure actuelle. En effet, elle cumule (même si à un niveau moindre) les dégâts provoqués par l'effondrement du bloc de l'Est, des illusions et un désarroi important parmi les ouvriers, et ceux provoqués par la guerre du Golfe, un profond sentiment d'impuissance, sans pour autant apporter, comme cette dernière, une mise en évidence des crimes et de la barbarie des grandes "démocraties". Elle constitue une claire illustration de comment la décomposition du capitalisme, dont elle est aujourd'hui une des manifestations les plus spectaculaires, joue comme un obstacle de premier plan contre le développement des luttes et de la conscience du prolétariat.

 

Un autre aspect qu'il importe de souligner, notamment parce qu'il concerne l'arme par excellence de la bourgeoisie contre la classe ouvrière, les syndicats, c'est le fait qui était déjà signalé en septembre 1989 dans nos "thèses" : "l'idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes dans la période qui vient, favorisant grandement l'action des syndicats". Cela découlait du fait, non pas que les ouvriers se faisaient encore des illusions sur "le paradis socialiste", mais que l'existence d'un type de société présenté comme " non capitaliste " semblait signifier qu'il pouvait exister autre chose sur terre que le capitalisme. La fin de ces régimes a été présenté comme "la fin de l'histoire" (terme utilisé très sérieusement par des "penseur" bourgeois). Dans la mesure où le terrain par excellence des syndicats et du syndicalisme est l'aménagement des conditions de vie du prolétariat dans le capitalisme, les événements de 1989, aggravés par toute la succession de coups portés à la classe ouvrière depuis, ne pouvaient qu'aboutir, comme on l'a constaté effectivement, à un retour en force des syndicats ; un retour en force célébré par la bourgeoisie lors des mouvements sociaux de la fin 1995.

 

En fait, cette remise en selle des syndicats ne s'est pas faite immédiatement. Ces organisations avaient amassé, tout au long des année 1980 notamment, un tel discrédit, du fait de leur contribution permanente au sabotage des luttes ouvrières, qu'il leur était difficile de revenir du jour au lendemain dans le rôle de défenseurs intransigeants de la classe ouvrière. Aussi, leur retour en scène s'est-il produit en plusieurs étapes au cours desquelles ils se sont de plus en plus présentés comme l'instrument indispensable des combats ouvriers.

 

Un exemple de ce retour en force progressif des syndicats nous est donné par l'évolution de la situation en Allemagne où, après les grandes manoeuvres dans le secteur public du printemps 1992, il y avait encore eu place pour les luttes spontanées, en dehors des consignes syndicales, de l'automne 1993, dans la Ruhr avant qu'au début 1995, les grèves dans la métallurgie ne les remettent beaucoup plus en selle. Mais l'exemple le plus significatif de cette évolution est celui de l'Italie. A l'automne 1992, l'explosion violente de colère ouvrière contre le plan Amato voit des centrales syndicales prises pour cible de cette même colère. Ensuite, un an plus tard, ce sont les "coordinations des conseils de fabrique", c'est-à-dire des structures du syndicalisme de base qui animent les grandes "mobilisations"de la classe ouvrière et les grandes manifestations qui parcourent le pays. Enfin, la manifestation "monstre" de Rome, au printemps 1994, la plus imposante depuis la seconde guerre mondiale, a constitué un chef d'oeuvre du contrôle syndical.

 

Pour comprendre ce retour en force des syndicats, il importe de souligner qu'il a été facilité et permis par le maintien de l'idéologie syndicale dont les syndicats "de base" ou "de combat" sont les ultimes défenseurs. En Italie, par exemple, ce sont eux qui ont animé la contestation des syndicats officiels (en apportant aux manifestations les oeufs et les boulons destinés aux bonzes) avant que d'ouvrir le chemin de la récupération syndicale de 1994 par leurs propres "mobilisations"de 1993. Ainsi, dans les combats à venir, après que les syndicats officiels se soient à nouveau discrédités du fait de leur indispensable travail de sabotage, la classe ouvrière devra encore s'attaquer au syndicalisme et à l'idéologie syndicaliste représentés par les syndicats de base qui ont si bien travaillé pour leurs grands frères au cours de ces dernières années.

 

Cela signifie que c'est encore un long chemin qui attend la classe ouvrière. Mais les difficultés qu'elle rencontre ne doivent pas être un facteur de démoralisation, particulièrement parmi ses éléments les plus avancés. La bourgeoisie, pour sa part, sait parfaitement quelles sont les potentialités que porte en lui le prolétariat. C'est pour cela qu'elle organise des manoeuvres comme celle de la fin 1995. C'est pour cela que, cet hiver, lors du colloque de Davos qui traditionnellement rassemble les 2000 "décideurs" les plus importants du monde dans le domaine économique et politique (et où participait Marc Blondel, chef du syndicat français Force Ouvrière) on a pu voir ces décideurs se préoccuper avec inquiétude de l'évolution de la situation sociale. C'est ainsi que parmi beaucoup d'autres, on a pu entendre des discours de ce genre : "Il faut créer la confiance parmi les salariés et organiser la coopération entre les entreprises afin que les collectivités locales, les villes et les régions bénéficient de la mondialisation. Sinon, nous assisterons à la résurgence de mouvements sociaux comme nous n'en avons jamais vus depuis la seconde guerre."[15]

 

Ainsi, comme les révolutionnaires l'ont toujours mis en évidence, et comme nous le confirme la bourgeoisie elle-même, la crise de l'économie capitaliste constitue le meilleur allié du prolétariat, celui qui lui ouvrira les yeux sur l'impasse du monde actuel et lui fournira la volonté de le détruire malgré les multiples obstacles que tous les secteurs de la classe dominante ne manqueront pas de semer sur son chemin.

 

"Revue Internationale" n°85 (2ème trimestre 1996)

 

 

[1] "Résolution sur la situation internationale [16]", IIe Congrès du CCI, point 14, Revue Internationale n° 82.

 

[2] Voir l'article tiré de la Revue Internationale n° 84 [17] au chapitre I de la présente brochure.

 

[3] Voir à ce sujet notre article "Le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire [18]", Revue internationale n° 74.

 

[4] Voir à ce sujet : "Rapport sur le cours historique [19]" dans la Revue internationale n° 18.

 

[5] Supplément au bulletin Entreprise et personnel intitulé : "Le conflit social de fin 1995 et ses conséquences probables"

 

[6] C'est une erreur, la CFDT, syndicat social-démocrate d'origine chrétienne, approuvait le plan Juppé sur la Sécurité Sociale.

 

[7] I1 faut relever le ton moins optimiste de la CWO que celui de BC : "La bourgeoisie a tellement confiance dans le fait qu'elle va contrôler la colère des ouvriers que la Bourse de Paris est en hausse." Il faut ajouter que tout au long du mouvement le Franc s'est maintenu à son cours. Ce sont bien deux preuves que la bourgeoisie a accueilli ce mouvement avec une totale satisfaction. Et pour cause !

 

[8] Revue Internationale n° 70, "Face au chaos et aux massacres, seule la classe ouvrière peut apporter une réponse [20]".

 

[9] Voir dans la Revue Internationale n° 61 notre article "Le vent d'Est et la réponse des révolutionnaires [21]".

 

[10] Voir en particulier nos articles "Réponse à Battaglia Comunista sur le cours historique [22]" et "La confusion des groupes communistes sur la période actuelle : la sous-estimation de la lutte de classe [23]" dans la Revue Internationale n° 50 et 54.

 

[11] Revue Internationale n° 54.

 

[12] Voir à ce sujet notre article "Décantation du milieu politique prolétarien et oscillations du BIPR [24]", Revue Internationale n° 55.

 

[13] "Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est [25] ", Revue Internationale n° 60 et dans notre brochure "Effondrement du Stalinisme".

 

[14] "Seule la classe ouvrière internationale peut sortir l'humanité de la barbarie [26]", Revue Internationale n° 68.

 

[15] Rosabeth Moss Kanter, ancien directeur de la Harvard Business Review, citée par Le Monde Diplomatique de mars 1996.

Vie du CCI: 

  • Interventions [12]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [13]

L’opportunisme du PCI sur la question syndicale le conduit à sous-estimer l'ennemi de classe

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mouvements sociaux de la fin 1995 présentées par le CCI, aussi bien dans la Revue internationale que dans sa presse territoriale et ses réunions publiques, ont rencontré majoritairement parmi ses lecteurs et ceux qui assistaient à ces dernières, intérêt et approbation. En revanche, elles n'ont pas été partagées par la plupart des autres organisations du milieu politique prolétarien.

Les analyses des groupes communistes

Dans le précédent numéro de la Revue, nous avons mis en évidence comment les deux organisations qui composent le BIPR, le CWO et Battaglia Comunista, s'étaient laissé piéger par la manoeuvre de la bourgeoisie en étant justement incapables d'identifier cette manoeuvre. Ces camarades, par exemple, ont reproché à notre analyse de conduire à l'idée que les ouvriers sont des imbéciles puisqu'ils se seraient laissés mystifier par les manoeuvres bourgeoises. Plus généralement, ils considèrent que, avec notre vision, la révolution prolétarienne serait impossible puisque les ouvriers seraient toujours les victimes des mystifications mises en oeuvre par la bourgeoisie. Rien n'est plus faux.
En premier lieu, le fait qu'aujourd'hui les ouvriers puissent se laisser piéger par des manoeuvres bourgeoises ne signifie pas qu'il en sera toujours ainsi.
L'histoire du mouvement ouvrier est pleine d'exemples où les mêmes ouvriers qui se laissaient embrigader derrière des drapeaux bourgeois ont été capables, par la suite, de mener des combats exemplaires, voire révolutionnaires. Ce sont les mêmes ouvriers russes et allemands qui, derrière leurs drapeaux nationaux s'étaient étripés les uns les autres à partir de 1914, se sont ensuite lancés dans la révolution prolétarienne en 1917, et avec succès, pour les premiers, et en 1918 pour les seconds, imposant à la bourgeoisie la fin de la boucherie impérialiste. L'histoire nous a appris, plus généralement, que la classe ouvrière est capable de tirer des enseignements de ses défaites, de déjouer les pièges dans lesquels elle était tombée antérieurement.
Et il revient justement aux minorités révolutionnaires, aux organisations communistes, de contribuer activement à cette prise de conscience de la classe, et en particulier de dénoncer de façon claire et déterminée les pièges tendus par la bourgeoisie.
Cest ainsi que, en juillet 1917, la bourgeoisie russe, a tenté de provoquer une insurrection prématurée du prolétariat de la capitale. La fraction la plus avancée de la classe ouvrière, le parti bolchevik, a identifié le piège et il est clair que, sans son attitude clairvoyante visant à empêcher les ouvriers de Petrograd de se lancer dans l'aventure, ces derniers auraient subi une défaite sanglante ce qui aurait coupé l'élan qui les a conduits à l'insurrection victorieuse d'Octobre.
En janvier 1919 (voir nos articles sur la révolution allemande dans la Revue), la bourgeoise allemande a réédité la même manoeuvre. Cette fois-ci, elle a réussi son coup : le prolétariat de Berlin, isolé, a été écrasé par les corps francs, ce qui a porté un coup décisif à la révolution en Allemagne et au niveau mondial. La grande révolutionnaire Rosa Luxemburg a été capable, avec la majorité de la direction du parti communiste nouvellement fondé, de comprendre la nature du piège tendu par la bourgeoisie. En revanche, son camarade Karl Liebknecht, pourtant aguerri par des années de militantisme révolutionnaire, notamment au cours de la guerre impérialiste, s'y est laissé prendre. Ce faisant, il a participé, grâce à son prestige, et malgré lui, à une défaite tragique de la classe ouvrière, qui lui a d'ailleurs coûté la vie comme à beaucoup de ses compagnons, y compris Rosa Luxemburg elle-même.
Mais même si cette dernière a tout fait pour mettre en garde le prolétariat et ses propres camarades contre le piège bourgeois, elle n'a jamais pensé que ceux qui s'y étaient laissé prendre étaient des "idiots". Au contraire, son dernier article, écrit à la veille de sa mort, "L'ordre règne à Berlin" insiste sur une idée essentielle : le prolétariat doit apprendre de ses défaites.
De même, en affirmant que les ouvriers de France ou de Belgique ont été victimes d'un piège tendu par la bourgeoisie, à la fin de l'année 1995, le CCI n'a jamais laissé entendre, ou pensé, que les ouvriers seraient des "idiots". En réalité, c'est tout le contraire qui est vrai. En effet, si la bourgeoisie s'est donnée la peine d'élaborer un piège particulièrement sophistiqué contre la classe ouvrière, un piège auquel ont contribué toutes les forces du capital, le gouvernement, les patrons, les syndicats et même les groupes gauchistes, c'est justement parce qu'elle ne sous-estime pas la classe ouvrière. Elle sait parfaitement que le prolétariat d'aujourd'hui n'est pas celui des années 1930, que contrairement à ce dernier, la crise économique, loin de l'enfoncer encore dans la démoralisation, ne peut que le conduire à des combats de plus en plus puissants et conscients.
En fait, pour comprendre la nature et la portée de la manoeuvre bourgeoise de la fin 1995 contre la classe ouvrière, il est nécessaire, au préalable, d'avoir reconnu que nous ne sommes pas à l'heure actuelle dans un cours historique dominé par la contre-révolution, dans lequel la crise mortelle du capitalisme ne peut aboutir qu'à la guerre impérialiste mondiale, mais dans un cours aux affrontements de classe. Une des meilleures preuves de cette réalité se trouve dans la nature des thèmes et des méthodes mis en avant par les syndicats dans cette récente manoeuvre.
Au cours des années 1930, les campagnes idéologiques de la gauche et des syndicats dominées par l'antifascisme, la "défense de la démocratie " et le nationalisme, c'est-à-dire des thèmes parfaitement bourgeois, ont réussi à dévoyer la combativité du prolétariat dans des impasses tragiques et à l'embrigader, ouvrant la porte à la boucherie impérialiste (le meilleur exemple en est donné par les grèves de juin 1936 en France et par la guerre civile en Espagne). Si, à la fin 1995, les syndicats ont été très discrets sur ce genre de thèmes, s'ils ont adopté au contraire un langage "ouvrier", proposant eux-mêmes des revendications et des "méthodes de lutte" classiques de la classe ouvrière, c'est qu'ils savaient parfaitement qu'ils ne pouvaient pas réussir une mobilisation massive derrière eux, redorer leur blason aux yeux des travailleurs, en se contentant de mettre en avant leurs discours habituels sur "l'intérêt national" et autres mystifications bourgeoises. Là où le drapeau national ou la défense de la démocratie pouvaient être efficaces dans l'entre-deux guerres pour mystifier les ouvriers, il faut maintenant des appels à "l'extension", à "l'unité de tous les secteurs de la classe ouvrière", à la tenue d'assemblées générales souveraines. Mais il faut bien constater que si les récents discours syndicaux ont réussi à tromper la grande majorité de la classe ouvrière, ils ont réussi également à tromper des organisations qui se revendiquent de la Gauche communiste.
Le meilleur exemple nous en est probablement donné par les articles publiés dans n°435 du journal Le Prolétaire, organe du Parti communiste international (PCI) qui publie en italien Il Comunista, c'est-à-dire un des nombreux PCI de la mouvance bordiguiste.
 

Les divagations du Prolétaire

Ce numéro du Prolétaire consacre plus de 4 pages sur 10 aux grèves de la fin 1995 en France.
On y donne beaucoup de détails sur les événements, et même des détails faux qui prouvent, soit que l'auteur était encore mal informé, soit, ce qui est plus probable, qu'il a pris ses désirs pour la réalité[1]. Mais le plus frappant dans ce numéro du Prolétaire c'est l'article de deux pages intitulé "Le CCI contre les grèves". Ce titre, déjà, en dit long sur la tonalité de l'ensemble de l'article. En effet, nous y apprenons, par exemple, que :
  • le CCI serait l'émule de Thorez, le dirigeant stalinien français, qui déclarait au lendemain de la seconde guerre que "la grève est l'arme des trusts" ;
  • qu'il s'exprime comme "n'importe quel jaune" ;
  • que nous sommes des "proudhoniens modernes" et des "déserteurs (souligné par Le Prolétaire) de la lutte prolétarienne".
Evidemment, le milieu parasitaire pour qui tout est bon pour dénigrer le CCI s'est immédiatement réjoui de cet article. En ce sens, Le Prolétaire apporte aujourd'hui sa petite contribution (volontaire ? involontaire ?) aux attaques actuelles de ce milieu contre notre organisation.
Evidemment, et nous l'avons toujours démontré dans notre presse, nous ne sommes pas contre les polémiques entre les organisations du milieu révolutionnaire. Mais la polémique, aussi véhémente soit-elle, veut dire que nous nous situons dans le même camp de la guerre de classe. Par exemple, nous ne polémiquons pas avec les organisations gauchistes ; nous les dénonçons comme des organes de la classe capitaliste, ce que le Prolétaire est incapable de faire puisqu'il définit un groupe comme Lutte Ouvrière, fleuron du trotskisme en France, comme "centriste". Ses pointes les plus acérées, Le Prolétaire les réserve aux organisations de la Gauche Communiste comme le CCI : si nous sommes des "déserteurs", c'est que nous avons trahi notre classe ; merci de nous l'apprendre. Merci également de la part des groupes parasites dont le leitmotiv est que le CCI serait passé au stalinisme et autres turpitudes. Il faudra quand même qu'un jour, le PCI sache dans quel camp il se trouve : dans celui des organisations sérieuses de la Gauche communiste, ou bien dans celui des parasites qui n'ont de raison d'être que de les discréditer au seul avantage de la classe bourgeoise.
Cela dit, si Le Prolétaire se propose de nous faire la leçon concernant nos analyses des grèves de la fin 1995, ce que démontre avant tout son article c'est :
  • son manque de clarté, pour ne pas dire son opportunisme, sur la question, essentielle pour la classe ouvrière, de la nature du syndicalisme ;
  • son ignorance crasse de l'histoire du mouvement ouvrier conduisant à une incroyable sous-estimation de la classe ennemie.

La question syndicale, talon d'Achille du PCI et du bordiguisme

Pour bien charger la barque, Le Prolétaire parle de "l'anti-syndicalisme de principe"du CCI. Ce faisant, il démontre que, pour le PCI, la question syndicale n'est pas une question "de principe". Le Prolétaire veut se montrer très radical en affirmant :
  • "Les appareils syndicaux sont devenus, à l'issue d un processus dégénératif accéléré par la victoire internationale de la contre-révolution, des instruments de la collaboration de classe" ; et encore plus : "si les grandes organisations syndicales se refusent obstinément à utiliser ces armes [les moyens de lutte authentiquement prolétarien], ce n 'est pas simplement à cause d'une mauvaise direction qu 'il suffirait de remplacer : des décennies de dégénérescence et de domestication par la bourgeoisie ont vidé ces grands appareils syndicaux des derniers restes classistes et les ont transformé en organes de la collaboration des classes, marchandant les revendications prolétariennes contre le maintien de la paix sociale... Ce fait suffit à montrer la fausseté de la perspective trotskiste traditionnelle de conquérir ou de reconquérir à la lutte prolétarienne ces appareils d agents professionnels de la conciliation des intérêts ouvriers avec les exigences du capitalisme. Par contre mille exemples sont là pour démontrer qu'il est tout à fait possible de transformer un trotskiste en bonze..."
En réalité, ce que le PCI met en évidence c'est son manque de clarté et de fermeté sur la nature du syndicalisme. Ce n'est pas ce dernier qu'il dénonce comme arme de la classe bourgeoise, mais tout simplement les "appareils syndicaux". Ce faisant, il ne réussit pas, malgré ses dires, à se dégager de la vision trotskiste : on peut maintenant trouver dans la presse d'un groupe comme Lutte Ouvrière le même type d'affirmations. Ce que Le Prolétaire, se croyant fidèle à la tradition de la Gauche communiste italienne, refuse d'admettre c'est que toute forme syndicale, qu'elle soit petite ou grande, légale et bien introduite dans les hautes sphères de l'Etat capitaliste ou bien illégale (c'était le cas de Solidarnosc pendant plusieurs années en Pologne, des Commissions Ouvrières en Espagne sous le régime franquiste) ne peut être autre chose qu'un organe de défense du capitalisme.
Le Prolétaire accuse le CCI d'être hostile "à toute organisation de défense immédiate du prolétariat". Ce faisant, il révèle soit son ignorance de notre position, soit, plus probablement, sa mauvaise foi. Nous n'avons jamais dit que la classe ouvrière ne devait pas s'organiser pour mener ses luttes. Ce que nous affirmons, à la suite du courant de la Gauche communiste que le bordiguisme couvre de son mépris, la Gauche allemande, c'est que, dans la période historique actuelle, cette organisation est constituée par les assemblées générales des ouvriers en lutte, des comités de grève désignés par ces assemblées et révocables par elles, des comités centraux de grève composés de délégués des différents comités de grève. Par nature, ces organisations existent par et pour la lutte et sont destinées à disparaître une fois que la lutte est achevée. Leur principale différence avec les syndicats c'est justement qu'elles ne sont pas permanentes et qu'elles n'ont pas l'occasion, de ce fait, d'être absorbées par l'Etat capitaliste.
C'est justement la leçon que le bordiguisme n'a jamais voulu tirer après des décennies de "trahison" de tous les syndicats, quelle que soit leur forme, leurs objectifs initiaux, les positions politiques de leurs fondateurs, qu'ils se disent " réformistes " ou bien "de lutte de classe", voire "révolutionnaires". Dans le capitalisme décadent, où l'Etat tend à absorber toutes les structures de la société, où le système est incapable d'accorder la moindre amélioration durable des conditions de vie de la classe ouvrière, toute organisation permanente qui se propose comme objectif la défense de celles-ci est destinée à s'intégrer dans l'Etat, à devenir un de ses rouages. Citer, comme le fait Le Prolétaire en espérant nous clouer le bec, ce que disait Marx des syndicats au siècle dernier est loin de suffire pour s'auto-accorder un brevet de "marxisme". Après tout, les trotskistes ne manquent pas de ressortir d'autres citations de Marx et d'Engels contre les anarchistes de leur époque pour attaquer la position que les bordiguistes partagent aujourd'hui avec l'ensemble de la Gauche communiste : le refus de participer au jeu électoral.
Cette façon de faire du Prolétaire ne démontre qu'une chose, c'est qu'il n'a pas compris un aspect essentiel du marxisme dont il se revendique : celui-ci est une pensée vivante et dialectique. Ce qui était vrai hier, dans la phase ascendante du capitalisme : la nécessité pour la classe ouvrière de former des syndicats, comme de participer aux élections ou bien de soutenir certaines luttes de libération nationale, ne l'est plus aujourd'hui, dans le capitalisme décadent. Prendre à la lettre des citations de Marx en tournant le dos aux conditions auxquelles elles s'adressent, en refusant d'appliquer la méthode de ce grand révolutionnaire, ne démontre que l'indigence de sa propre pensée. Mais le pire n'est pas cette indigence en elle-même, c'est qu'elle conduit à semer dans la classe des illusions sur la possibilité d'un "véritable syndicalisme", c'est qu'elle conduit tout droit à l'opportunisme. Et cet opportunisme, nous en trouvons des expressions dans les articles du Prolétaire lorsqu'il affiche la plus grande timidité pour dénoncer le jeu des syndicats :
  • "Ce que l'on peut et que l'on doit reprocher aux syndicats actuels..." Les révolutionnaires ne reprochent rien aux syndicats, comme ils ne reprochent pas aux bourgeois d'exploiter les ouvriers, aux flics de réprimer leurs luttes : ils les dénoncent.
  • "... les organisations à la tête du mouvement, la CGT et FO, qui selon toute vraisemblance avaient négocié dans la coulisse avec le gouvernement pour en finir..." Les dirigeants syndicaux ne "négocient" pas avec le gouvernement comme s'ils avaient des intérêts différents, ils marchent la main dans la main avec lui contre la classe ouvrière. Et ce n'est pas "selon toute vraisemblance" : c'est sûr ! Voilà ce qu'il est indispensable que sachent les ouvriers et que Le Prolétaire est incapable de leur dire.
Le danger de la position opportuniste du Prolétaire sur la question syndicale éclate enfin lorsqu'il écrit : "Mais si nous écartons la reconquête des appareils syndicaux, nous n'en tirons pas la conclusion qu'il faut rejeter le travail dans ces mêmes syndicats, pourvu que ce travail se fasse à la base, au contact des travailleurs du rang et non dans les instances hiérarchiques, et sur des bases classistes". En d'autres termes, lorsque de façon absolument saine et nécessaire des ouvriers écoeurés par les magouilles syndicales auront envie de déchirer leur carte, il se trouvera un militant du PCI pour accompagner le discours du trotskiste de service : "Ne faites pas cela, camarades, il faut rester dans les syndicats pour y faire un travail". Quel travail, sinon que celui de redorer un peu, à la base, le blason de ces organismes ennemis de la classe ouvrière ?
Car il n'y a pas d'autre choix :
  • ou bien on veut réellement mener une activité militante "sur des bases classistes", et alors un des points essentiels qu'il faut défendre est la nature anti-ouvrière des syndicats, pas seulement de leur hiérarchie, mais comme un tout ; quelle clarté le militant du PCI va-t-il apporter à ses camarades de travail en leur disant : "les syndicats sont nos ennemis, il faut lutter en dehors et contre eux maisje reste dedans" ?[2]
  • ou bien on veut rester " en contact " avec la " base " syndicale, " se faire comprendre par les travailleurs qui la composent, et alors on oppose " base " et " hiérarchie pourrie ", c'est-à-dire la position classique du trotskisme ; certes on fait alors " un travail ", mais pas " sur des bases classistes " puisqu'on maintient encore l'illusion que certaines structures du syndicat, la section d'entreprise par exemple, peuvent être des organes de la lutte ouvrière.
Nous voulons bien croire que le militant du PCI, contrairement à son collègue trotskiste, n'aspire pas à devenir un bonze. Il n'en aura pas moins fait le même "travail" anti-ouvrier de mystification sur la nature des syndicats.
Ainsi, l'application de la position du PCI sur la question syndicale a apporté, une nouvelle fois, sa petite contribution à la démobilisation des ouvriers face au danger que représentent les syndicats. Mais cette action de démobilisation face à l'ennemi ne s'arrête pas là. Elle éclate une nouvelle fois au grand jour quand le PCI se livre à une sous-estimation en règle de la capacité de la bourgeoisie à élaborer des manoeuvres contre la classe ouvrière.
 

La sous-estimation de l'ennemi de classe

Dans un autre article du Prolétaire, "Après les grèves de cet hiver, Préparons les luttes à venir" on peut lire ce qui suit : "Le mouvement de cet hiver montre justement que si, dans ces circonstances, les syndicats ont fait preuve d'une souplesse inhabituelle et ont laissé s'exprimer la spontanéité des grévistes les plus combatifs plutôt que de s'y opposer comme à leur habitude, cette tolérance leur a permis de conserver sans grandes difficultés la direction de la lutte, et donc de décider dans une très grande mesure de son orientation, de son déroulement et de son issue. Lorsqu'ils ont jugé que le moment était venu, ils ont pu donner le signal de la reprise, abandonnant en un clin d'oeil la revendication centrale du mouvement, sans que les grévistes ne puissent opposer aucune alternative. L apparence démocratique et basiste de la conduite de la lutte a même été utilisée contre les besoins objectifs du mouvement : ce ne sont pas les milliers d'AG quotidiennes des grévistes qui à elles seules pouvaient donner à la lutte la centralisation et la direction dont elle avait besoin, même si elles ont permis la compacité et la participation massive des travailleurs. Seules les organisations syndicales pouvaient pallier à cette carence et la lutte était donc suspendue aux mots d ordre et aux initiatives lancées centralement par les organisations syndicales et répercutées par leur appareil dans toutes les AG. Le climat d unité régnant dans le mouvement était tel que la masse des travailleurs non seulement n'a pas senti ni exprimé de désaccords avec l'orientation des syndicats (mis à part bien sûr les orientations de la CFDT) et leur direction de la lutte, mais a même considéré leur action comme l'un des facteurs les plus importants pour la victoire."
Ici, Le Prolétaire nous livre le secret de l'attitude des syndicats dans les grèves de la fin 1995. Peut être est-ce le résultat de sa lecture de ce que le CCI avait déjà écrit auparavant. Le problème, c'est que lorsqu'il faut tirer les enseignements de cette réalité évidente, Le Prolétaire, dans le même article, nous dit que ce mouvement est "le plus important du prolétariat français depuis la grève générale de mai-juin 68", qu'il salue sa "force" qui a imposé "un recul partiel du gouvernement". Décidément, la cohérence de la pensée n'est pas le fort du Prolétaire. Faut-il rappeler que l'opportunisme aussi la fuit comme la peste, lui qui essaye en permanence de concilier l'inconciliable ?
Pour notre part, nous avons conclu que ce mouvement qui n'a pu empêcher le gouvernement de faire passer ses principales mesures anti-ouvrières et qui a aussi bien réussi à redorer le blason des syndicats, comme le montre très clairement Le Prolétaire, ne s'est pas fait contre la volonté des syndicats ou du gouvernement, mais qu'il a été voulu par eux justement pour atteindre ces objectifs.
Le Prolétaire nous dit que le trait de ce mouvement qui "doit devenir un acquis pour les luttes futures, a été la tendance générale à s'affranchir des barrières corporatistes et des limites d'entreprises ou d'administrations et à s'étendre à tous les secteurs". C'est tout à fait vrai. Mais le seul fait que se soit avec la bénédiction, ou plutôt, bien souvent, sous l'impulsion directe des syndicats, que les ouvriers aient reconquis des méthodes vraiment prolétariennes de lutte, ne constitue nullement une avancée pour la classe ouvrière à partir du moment où cette conquête est associée pour la majorité des ouvriers à l'action des syndicats. Ces méthodes de lutte, la classe ouvrière était, tôt ou tard destinée à les redécouvrir, au long de toute une série d'expériences. Mais si cette découverte s'était faite à travers la confrontation ouverte contre les syndicats, cela aurait porté un coup mortel à ces derniers alors qu'ils étaient déjà fortement discrédités et cela aurait privé la bourgeoisie d'une de ses armes essentielles pour saboter les luttes ouvrières. Aussi, il était préférable, pour la bourgeoisie, que cette redécouverte, quitte à ce qu'elle intervienne plus vite, soit empoisonnée et stérilisée par les illusions syndicalistes.
Le fait que la bourgeoisie ait pu manoeuvrer d'une telle façon dépasse l'entendement du Prolétaire :
  • "A en croire le CCI «on» (sans doute TOUTE LA BOURGEOISIE) est extraordinairement rusé : pousser «les ouvriers» (c'est ainsi que le CCI baptise tous les salariés qui ont fait grève) à entrer en lutte contre les décisions gouvernementales afin de contrôler leur lutte, de leur infliger une défaite et de faire passer plus tard des mesures encore plus dures, voilà une manoeuvre qui aurait sans doute stupéfié Machiavel lui-même.
Les proudhoniens modernes du CCI vont plus loin que leur ancêtre puisqu 'ils accusent les bourgeois de provoquer la lutte ouvrière et de lui faire remporter la victoire pour détourner les ouvriers des vrais solutions : ils se frapperaient eux-mêmes pour éviter d'être frappés. Attendons encore un peu et nous verrons dans la lanterne magique du CCI les bourgeois organiser eux-mêmes la révolution prolétarienne et la disparition du capitalisme dans le seul but d'empêcher les prolétaires de la faire."[3]
Le Prolétaire se donne sûrement l'illusion d'être très spirituel. Grand bien lui fasse ! Le problème c'est que ses tirades dénotent avant tout la totale vacuité de son entendement politique. Alors, pour sa gouverne, et pour qu'il ne meure pas complètement idiot, nous nous permettons de rappeler quelques banalités :
  • 1° Il n'est pas nécessaire que toute la bourgeoisie soit "extraordinairement rusée" pour que ses intérêts soient bien défendus. Pour exercer cette défense, la classe bourgeoise dispose d'un gouvernement et d'un Etat (mais peut être que Le Prolétaire ne le sait pas) qui définit sa politique en s'appuyant sur les avis d'une armée de spécialistes (historiens, sociologues, politologues,... et dirigeants syndicaux). Qu'il existe encore aujourd'hui des patrons qui pensent que les syndicats sont les ennemis de la bourgeoisie, cela ne change rien à la chose : ce ne sont pas eux qui sont chargés d'élaborer la stratégie de leur classe comme ce ne sont pas les adjudants qui conduisent les guerres.
  • 2° Justement, entre la bourgeoisie et la classe ouvrière il existe une guerre, une guerre de classe. Sans qu'il soit nécessaire d'être un spécialiste des questions militaires, n'importe quel être doté d'une intelligence moyenne et d'un peu d'instruction (mais est-ce le cas des rédacteurs du Prolétaire ?) sait que la ruse est eue arme essentielle des années. Pour battre l'ennemi, il est en général nécessaire de le tromper (sauf à disposer d'une supériorité matérielle écrasante).
  • 3° L'arme principale de la bourgeoisie contre le prolétariat, ce n'est pas la puissance matérielle de ses forces de répression, c'est justement la ruse, les mystifications qu'elle est capable d'entretenir dans les rangs ouvriers.
  • 4° Même si Machiavel a, en son temps, jeté les bases de la stratégie bourgeoise pour la conquête et l'exercice du pouvoir aussi bien que dans l'art de la guerre, les dirigeants de la classe dominante, après des siècles d'expérience, en savent maintenant beaucoup plus que lui. Peut-être les rédacteurs du Prolétaire pensent ils que c'est le contraire. En tout cas, ils feraient bien de se plonger un tout petit peu dans les livres d'histoire, particulièrement celle des guerres récentes et surtout celle du mouvement ouvrier. Ils y découvriraient que le machiavélisme que les stratèges militaires sont capables de mettre en oeuvre dans les conflits entre fractions nationales de la même classe bourgeoise n'est encore rien à côté de celui que celle-ci, comme un tout, est capable de déployer contre son ennemi mortel, le prolétariat.
  • 5° En particulier, ils découvriraient deux choses élémentaires i que provoquer des combats prématurés est une des armes classiques de la bourgeoisie contre le prolétariat et que dans une guerre, les généraux n'ont jamais hésité à sacrifier une partie de leurs troupes ou de leurs positions pour mieux piéger l'ennemi, en lui donnant, éventuellement, un sentiment illusoire de victoire. La bourgeoisie ne fera pas la révolution prolétarienne à la place du prolétariat pour l'empêcher de la faire. En revanche, pour l'éviter, elle est prête à des prétendus "reculs", à des apparentes "victoires" des ouvriers.
  • 6° Et si les rédacteurs du Prolétaire se donnaient la peine de lire les analyses classiques de la Gauche communiste, ils apprendraient enfin qu'un des principaux moyens avec lesquels la bourgeoisie a infligé au prolétariat la plus terrible contre-révolution de son histoire a été justement de lui présenter comme des "victoires" ses plus grandes défaites : la "construction, du socialisme en URSS", les "Front populaires", la "victoire contre le fascisme".
Alors on ne peut dire qu'une chose aux rédacteurs du Prolétaire : il faut recommencer votre copie. Et avant, il faut essayer de réfléchir un peu et de surmonter votre ignorance affligeante. Les phrases bien tournées et les mots d'esprit ne suffisent pas pour défendre correctement les positions et les intérêts de la classe ouvrière. (...)
oOo
Ainsi, c'est bien à l'échelle mondiale que la bourgeoisie met en oeuvre sa stratégie face à la classe ouvrière. L'histoire nous a appris que toutes les oppositions d'intérêt entre les bourgeoisies nationales, les rivalités commerciales, les antagonismes impérialistes pouvant conduire à la guerre, s'effacent lorsqu'il s'agit d'affronter la seule force de la société qui représente un danger mortel pour la classe dominante, le prolétariat. C'est de façon coordonnée, concertée que les bourgeoisies élaborent leurs plans contre celui-ci.
Aujourd'hui, face aux combats ouvriers qui se préparent, la classe dominante devra déployer mille pièges pour tenter de les saboter, les épuiser et les défaire, pour faire en sorte qu'ils ne permettent pas une prise de conscience par le prolétariat des perspectives ultimes de ces combats, la révolution communiste. Rien ne serait plus tragique pour la classe ouvrière que de sous-estimer la force de son ennemi, sa capacité à mettre en oeuvre de tels pièges, à s'organiser à l'échelle mondiale pour les rendre plus efficaces. Il appartient aux communistes de savoir les débusquer et de les dénoncer aux yeux de leur classe. S'ils ne savent pas le faire, ils ne méritent pas ce nom.
"Revue Internationale" n°86
(3ème trimestre 1996)

[1] Un des exemples frappants de cette réécriture des faits est la façon dont est rapportée la reprise du travail à la fin de la grève : celle-ci n'aurait commencé que près d'une semaine après l'annonce du "recul" du gouvernement, ce qui est faux.
[2] C'est vrai que les bordiguistes ne sont pas à une contradiction près : vers la fin des années 1970, alors que s'était développée en France une agitation parmi les ouvriers immigrés, il était courant de voir des militants du PCI expliquer aux immigrés éberlués qu'ils devaient revendiquer le droit de vote afin de pouvoir... s'abstenir. Plus ridicule qu'un bordiguiste, tu meurs ! C'est vrai aussi que lorsque des militants du CCI ont essayé d'intervenir dans un rassemblement d'immigrés pour y défendre la nécessité de ne pas se laisser enfermer dans des revendications bourgeoisies, ceux du PCI ont prêté main forte aux maoïstes pour les en chasser...
[3] Il faut noter que le n° 3 de L'esclave salarié (ES), bâtard parasitaire de l'ex-Ferment Ouvrier Révolutionnaire, nous donne une interprétation originale de l'analyse du CCI sur la manoeuvre de la bourgeoisie : "Nous tenons à féliciter le cci [ES trouve très spirituel d'écrire en minuscules les initiales de notre organisation] pour sa remarquable analyse qui nous laisse béats d'admiration et nous nous demandons comment cette élite pensante fait pour infiltrer la classe bourgeoise et en retirer de telles informations sur ses plans et ses pièges, C 'est à se demander si le cci n 'est pas invité aux rendez-vous de la bourgeoisie et à l'étude de ses menées anti-ouvrières concoctées dans le secret et les rites de la franc-maçonnerie." Marx n'était pas franc-maçon et il n'était pas invité aux rendez-vous de la bourgeoisie mais il a consacré une grande partie de son activité militante à étudier, élucider et dénoncer les plans et les pièges de la bourgeoisie. Il faut croire que les rédacteurs de l'ES n'ont jamais lu Les luttes de classe en France ou La guerre civile en France, Ce serait logique de la part de gens qui méprisent la pensée, laquelle n'est pas le monopole d'une "élite". Franchement, il n'était pas nécessaire d'être franc-maçon pour découvrir que les grèves de la fin 1995 en France résultaient d'une manoeuvre bourgeoise ; il suffisait d'observer de quelle façon elles étaient présentées et encensées par les médias dans tous les pays d'Europe et d'Amérique, et jusqu'en Inde, en Australie et au Japon, C'est vrai que la présence dans ces pays de sections ou de sympathisants du CCI lui a facilité son travail, mais la véritable cause de l'indigence politique de ES ne réside pas dans sa faible extension géographique. Ce qui est provincial, chez lui, c'est avant tout son intelligence politique, provinciale... et "minuscule".

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