La crise économique
frappe avec une violence redoublée à la porte des grands pays
capitalistes. Personne ne l'a conviée et pourtant elle s'invite partout.
Hier encore, tous les "experts" de la bourgeoisie levaient leur verre
à la bonne santé du plus dynamique des modes de production. La
dernière convive, la "nouvelle économie", était
célébrée sur tous les tons. Le régime idéal
avait été trouvé : une croissance constante sans inflation.
Mais tous ces beaux discours ont dû s'éclipser discrètement
pour laisser la place à celle qui, loin des salons d'apparat, des réceptions
"d'écoptimistes" et des mensonges électoraux, n'avait
jamais cessé son travail de sape. Nous avons toujours affirmé
que, derrière les falsifications des chiffres du chômage, se cachait
la liquidation de pans entiers de l'économie mondiale, que, derrière
la "croissance", se dissimulait, outre l'enfoncement dans une misère
indicible des trois quarts de la planète, un endettement astronomique
porteur de banqueroutes de pays entiers, comme aujourd'hui en Argentine. C'est
l'économie mondiale toute entière qui souffre d'un mal incurable
dont les causes sont dans le mode de production capitaliste lui-même.
Mais un autre mensonge, une autre falsification est aujourd'hui répandue,
destinée à faire croire aux prolétaires qu'il existe des
solutions à cette crise économique et sociale dans le cadre du
capitalisme. Ce sont les discours réformistes des tenants de "l'antimondialisation"
qui prétendent que le mal vient d'un "libéralisme trop sauvage"
et qu'il suffirait de plus de régulation par les Etats-nations pour en
sortir. Toutes ces bonnes âmes "citoyennes" -et leur sillage
de manifestants "globe-trotter" plus ou moins excités- ne font
qu'amuser la galerie pour mieux masquer la seule alternative à la faillite
du capitalisme : celle du renversement de ce système par le prolétariat
international. Seule la classe ouvrière, créatrice de l'essentiel
de la richesse sociale, peut remettre en cause la logique de l'exploitation
capitaliste qu'elle est la première à vivre dans sa chair et en
finir avec ce mode de production, c'est à dire avec le règne de
la marchandise et du salariat, véritable cause des crises, de la misère
et des guerres qui ravagent la planète. Seul le développement
des luttes ouvrières, sur leur terrain de classe, peuvent préparer
la voie à la destruction révolutionnaire de l'Etat bourgeois et
des rapports marchands capitalistes, que ce soit sous leur forme "libérale"
ou "étatisée". Aujourd'hui que c'est par charrettes
de 10.000 ou 20.000 ouvriers que les grands groupes annoncent leurs licenciements,
la question de la riposte de la classe ouvrière revient se poser plus
ouvertement, même si chaque prolétaire n'en a pas encore clairement
conscience. Les révolutionnaires ne peuvent que saluer la crise, car
avec elle, c'est la perspective d'affrontements décisifs entre les classes
qui vient se réaffirmer avec force.
Les conflits meurtriers
continuent à ravager la planète. Les belles promesses sur un "monde
de paix" faites en 1990, à la suite de l'effondrement du bloc de
l'Est, sont bien loin de correspondre à la réalité. Au
contraire, l'humanité s'enfonce dans une barbarie guerrière permanente.
L'actualité nous le démontre jour après jour :
Sans compter les victimes de la guerre larvée qui se poursuit en Tchétchénie ou les massacres qui se perpétuent à travers les luttes entre factions rivales au sein de l'Etat en Algérie...
Dans tous les coins du monde, des hommes, des femmes, des enfants meurent tous
les jours parce que leur bourgeoisie veut conquérir ou défendre
un bout de terre ou de pouvoir, au nom des intérêts de la patrie,
de la religion, de l'indépendance nationale. Des centaines de milliers
de prolétaires sous l'uniforme ou en civil sont sacrifiés pour
des intérêts qui ne sont pas les leurs. Comment arrêter ces
tueries absurdes, comment y mettre fin ?
Ainsi, le Moyen-Orient renvoie à nouveau depuis un an l'image même
de la fuite en avant dans cette folie meurtrière. Et, depuis un an, jour
après jour, la liste des morts et des blessés s'allonge en Israël
comme dans les territoires occupés.
On assiste d'un côté
à la réactivation du terrorisme de l'Etat israélien avec
une série d'attentats ciblés contre les leaders palestiniens du
Fatah, du FPLP ou du Hamas, de l'autre à la multiplication des attentats-suicides
faisant un maximum de victimes (comme à l'entrée d'une discothèque
le 1er juin puis dans une pizzeria en plein centre de Tel Aviv le 9 août).
Tout cela à côté de la poursuite de raids et de bombardements
à coups de missiles sur les cités palestiniennes, dans un climat
d'affrontements et de provocations endémiques sur l'esplanade des mosquées
à Jérusalem qui pousse les populations dans chaque camp vers un
déferlement de haine raciale. Non seulement le gouvernement Sharon pousse
à la colonisation des territoires occupés, mais il encourage les
colons à détruire au passage de façon provocatrice les
habitations des Palestiniens.
Dans cette partie du monde qui a déjà connu cinq guerres ouvertes
depuis la fin de la seconde boucherie mondiale (sans compter les opérations
militaires en temps de "paix"), ce sixième conflit est une
véritable escalade dans la terreur permanente pour les populations, et
se traduit par des massacres aveugles, l'entraînement de jeunes adolescents
dans la pire des hystéries nationalistes et le pire fanatisme religieux.
Aujourd'hui, face à la guerre du Moyen-Orient, de chaque côté, les cliques dirigeantes appellent les ouvriers à "défendre la patrie", qu'elle soit juive ou palestinienne. Des deux côtés, le sang des prolétaires continue à couler. Pour les intérêts exclusifs de leurs exploiteurs.
Mais, des deux côtés coulent également de façon répugnante
les flots de propagande nationaliste, une propagande abrutissante destinée
à transformer des êtres humains en bêtes féroces.
Les bourgeoisies israélienne et arabes n'ont cessé de l'attiser
depuis plus d'un demi-siècle. Aux ouvriers israéliens et arabes,
on n'a cessé de répéter qu'ils devraient défendre
la terre de leurs ancêtres. Chez les premiers, on a développé,
à travers une militarisation systématique de la société,
une psychose d'encerclement afin d'en faire de "bons soldats". Chez
les seconds, on a ancré le désir d'en découdre avec Israël
afin de retrouver un foyer, une nation. Et pour ce faire, les dirigeants des
pays arabes dans lesquels ils étaient réfugiés les ont
maintenus pendant des dizaines d'années dans des camps de concentration,
avec des conditions de vie insupportables, au lieu de les laisser s'intégrer
dans la société de ces pays.
Le nationalisme est une des pires idéologies que la bourgeoisie ait inventées.
C'est l'idéologie qui lui permet de masquer l'antagonisme entre exploiteurs
et exploités, de les rassembler tous derrière un même drapeau
pour lequel les exploités vont se faire tuer au service des exploiteurs,
pour la défense des intérêts de classe et des privilèges
de ces derniers.
Pour couronner le tout, il s'y ajoute le poison de la propagande religieuse, cet "opium du peuple" comme ont toujours dit les révolutionnaires, qui permet de susciter les fanatismes les plus déments, ceux des actuels "kamikaze" palestiniens porteurs de bombes sur le sol israélien.
Malgré toutes les "poignées de mains historiques", les
conférences de "paix" sous patronage américain, les
promesses de renouer les négociations, le ballet incessant des voyages
diplomatiques, la situation n'a fait qu'empirer. Le ministre israélien
de la Défense déclarait le 7 août : "il n'y a pas de
solution militaire au conflit". D'autres responsables politiques israéliens
avouent en privé que cette guerre est une impasse parce qu'il n'y a aucun
moyen qu'elle débouche sur une victoire militaire d'Israël. En fait,
s'il n'y pas de solution sur le terrain militaire pas plus que sur le terrain
diplomatique bourgeois, c'est que toutes les guerres sont des impasses ; des
impasses qui sont inscrites dans la nature même du capitalisme. Les grandes
puissances continuent à faire croire qu'elles veulent la paix. En fait,
elles utilisent ou attisent les affrontements pour la défense de leurs
sordides intérêts impérialistes concurrents. Suivant le
pays et la couleur des gouvernements, on nous engage à prendre fait et
cause pour l'un ou l'autre camp en présence, en particulier en France
où la forte implantation des deux communautés avive les passions.
En même temps, en
particulier en Israël, s'est développé ces derniers mois
un ras-le-bol, une lassitude, voire un écoeurement face à la guerre
qui traduisent un réel rejet de la politique militariste du gouvernement
"d'union nationale". Ce rejet s'appuie avant tout sur la dégradation
croissante, accélérée par la guerre, des conditions de
vie des populations et des prolétaires en particulier. L'aggravation
de la crise économique dans ce pays est spectaculaire : le taux de chômage,
qui touche officiellement plus de 10% de la population, a bondi de près
de 4% en un mois, il est le plus élevé depuis la création
de l'Etat hébreu. Un tiers des entreprises de haute technologie a disparu
en moins d'un an. Le taux de croissance, qui était de 6,2 % en 2000,
a chuté à moins de 1%. Et surtout, au sein d'une société
déjà entièrement militarisée, les budgets de l'armée
et de la police viennent encore d'être revus à la hausse, au détriment,
évidemment, des budgets sociaux. Une fraction de la bourgeoisie israélienne
s'est récemment appuyée sur le mécontentement provoqué
par la politique militariste du gouvernement pour dévoyer ce sentiment
d'exaspération et animer une reprise des mouvements et des manifestations
pacifistes, notamment une marche aux flambeaux, le 5 août dernier, rassemblant
de 5 à 10.000 personnes au centre de Tel Aviv. Le terrain du pacifisme
n'a jamais été une réponse à la guerre car il est
totalement illusoire. Il consiste à mobiliser les populations pour "faire
pression sur les dirigeants", afin de leur demander et les convaincre de
"faire la paix". Ce qui ne sera jamais possible car, si ces dirigeants
se font la guerre, c'est précisément parce qu'ils expriment des
réels intérêts impérialistes concurrents et antagoniques.
Déjà aujourd'hui, chaque nouvel attentat contre les populations
civiles en Israël vient démontrer l'inanité du mouvement
pacifiste, le pulvérise, le replonge dans son inconsistance et transforme
ses anciens partisans en nouveaux apôtres de la croisade belliciste contre
"la férocité de l'ennemi". Dans l'histoire, tout ceux
qui ont emboîté le pas à la démarche du pacifisme
se retrouvent toujours au bout du compte dans un camp contre l'autre, au nom
de la défense de "l'agressé" contre "l'agresseur",
de la défense du "plus faible" contre le "plus fort",
de la défense du "bon qui veut la paix" contre le "mauvais
qui veut la guerre" comme ce fut le cas dans les deux conflits mondiaux.
Et finalement, les pacifistes se sont retrouvés aux côtés
des pires chauvins sous le drapeau de la "défense de l'intérêt
national". C'est pourquoi le pacifisme a toujours été le
meilleur auxiliaire idéologique et le sergent recruteur le plus efficace
de la politique belliciste de la bourgeoisie.
Mais là dedans où se trouvent les intérêts de la
classe ouvrière, celle d'Israël, juive ou arabe, celle de Palestine,
celle des autres pays du monde ? Nulle part.
Ce n'est pas ainsi qu'on peut arrêter la guerre. La seule façon
de se battre contre la guerre, c'est de se battre contre le système qui
l'engendre, contre le capitalisme.
Les prolétaires n'ont pas de patrie. Ils n'ont pas à se mobiliser sur le terrain du nationalisme, de la religion ou du pacifisme, mais leur combat contre la guerre et l'exploitation passe par la lutte de classe, là-bas comme ici. Les ouvriers juifs qui, en Israël, sont exploités par des capitalistes juifs doivent se mobiliser et se battre contre eux. Les ouvriers palestiniens qui sont exploités par des capitalistes juifs ou par des capitalistes arabes doivent se battre contre leurs exploiteurs.
Les ouvriers des "grandes démocraties", dont les dirigeants
ont toujours les mots de "paix" et de "droits de l'homme"
à la bouche, doivent refuser de prendre partie pour un camp bourgeois
ou pour l'autre. En particulier, ils doivent refuser de se laisser berner par
les discours des partis qui se réclament de la classe ouvrière,
les partis de gauche et d'extrême-gauche qui leur demandent d'aller manifester
"leur solidarité avec les masses palestiniennes" en quête
de leur "droit à une patrie". La patrie palestinienne ne sera
jamais qu'un Etat bourgeois au service de la classe exploiteuse et opprimant
ces mêmes masses, comme c'est déjà le cas aujourd'hui à
travers les Arafat et consorts, avec des flics et des prisons. La solidarité
des ouvriers des pays capitalistes les plus avancés ne va pas aux "Palestiniens"
comme elle ne va pas aux "Israéliens", parmi lesquels se mélangent
exploiteurs et exploités. Elle va aux ouvriers et chômeurs d'Israël
et de Palestine, qui d'ailleurs mènent déjà la lutte contre
leurs exploiteurs malgré tout le bourrage de crâne dont ils sont
victimes, comme elle va aux ouvriers de tous les autres pays du monde. Et la
meilleure solidarité qu'ils puissent leur apporter ne consiste certainement
pas à encourager leurs illusions nationalistes. Cette solidarité
passe nécessairement avant tout par le développement de leur combat
contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres, un combat
contre leur propre bourgeoisie.
Au Moyen-Orient, comme dans beaucoup d'autres régions du monde ravagées
aujourd'hui par la guerre, il n'y a pas de "juste paix" possible dans
le capitalisme. Pour mettre fin à la guerre, il faut renverser et abolir
le capitalisme, il n'y a pas d'autre voie. La paix, la classe ouvrière
devra la conquérir en renversant le capitalisme à l'échelle
mondiale, ce qui passe aujourd'hui même par le développement de
ses luttes sur son terrain de classe, contre les attaques économiques
de plus en plus dures que lui assène un système plongé
dans une crise insurmontable.
Contre le nationalisme, contre les guerres dans lesquelles veulent vous entraîner
vos exploiteurs,
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
A Gènes,
pendant la réunion du G8 en juillet, Carlo Giuliani est mort sauvagement
assassiné, après avoir reçu une balle à bout portant
des forces de répression de l'Etat italien et s'être fait écrasé
par une voiture de police. A Göteborg, au sommet de l'Union Européenne
en juillet, la police suédoise -pour la première fois depuis
1931- avait déjà fait usage de balles réelles contre des
manifestants. La mort de Giuliani aura été la première
dans les manifestations "anti-mondialisation" qui se succèdent
de par le monde depuis deux ans, mais cette escalade dans la violence répressive
contre des manifestations de rue montre que la répression étatique
n'est pas l'apanage des "dictatures" du tiers-monde. C'est aujourd'hui
dans les pays "démocratiques", "civilisés"
et développés du cœur du capitalisme, là où,
parait-il, règnent les "droits de l'homme", que l'Etat bourgeois
montre son vrai visage.
Comme prévu, l'Etat italien s'était préparé à réprimer sauvagement, en déployant des milliers de policiers anti-émeutes, des carabinieri para-militaires, des francs-tireurs, une surveillance par satellite, un système de défense anti-missile, des hélicoptères, des avions, des bateaux (y compris au moins un sous-marin), des gaz lacrymogènes, des canons à eau et 200 "body bags", sans parler d'autres armes et tactiques non rendues publiques. Au manifestant tué, il faut ajouter au moins 500 blessés et beaucoup d'hospitalisés. Lors du raid policier contre le Genoa Social Forum, plus de 60 personnes furent blessées. Des dizaines de manifestants arrêtés ont été tabassés et torturés.
Dans les divers milieux organisant les mobilisations antimondialistes, on a entendu toutes sortes d'analyses quant aux événements. Beaucoup de trotskistes ont avancé que la police avait laissé libre cours aux anarchistes des "black blocks", que certains d'entre eux ont été filmés en discussion avec des flics, et qu'au moins pour une partie, il s'agissait de purs et simples agents provocateurs aux ordres de l'appareil répressif. D'autres courants gauchistes s'en sont pris aux "Tute Bianchi", leur reprochant leur discours non violent et leur comportement de clowns. A Göteborg, les staliniens ont semé le doute sur la crédibilité du groupe "Action antifasciste". A Gènes, la gauche "classique" a critiqué sévèrement les manifestants "anticapitalistes". De leur côté, beaucoup d'anarchistes accusent la gauche d'essayer de prendre le train en marche pour récupérer le mouvement, ou lui reproche en général son "autoritarisme". Beaucoup de ces remarques sont fondées. Par exemple, le rôle du "black bloc" paraît en effet plus que louche, et il semble fort possible qu'ils aient eu des liens avec l'Etat. A un autre niveau, l'activité des pacifistes, comme les "Tute Bianchi" en Italie ou les "Wombles" en Grande-Bretagne, est futile face à la répression étatique. Quant aux gauchistes, il n'est guère surprenant de les voir participer dans les actions "antimondialisation". Comme d'habitude, ils sont préoccupés de récupérer les énergies militantes et de les diriger vers des voies sans issue et notamment dans la défense de la démocratie bourgeoise.
Les médias bourgeois ont dit que les confrontations entre manifestants et forces de l'ordre étaient prévisibles et pas du tout spontanées. Ce n'est pas parce que la bourgeoisie préférerait voir des luttes imprévisibles et spontanées, loin de là. Elle cherche à accréditer l'idée que derrière chaque manifestation, il y a une conspiration, et surtout elle tient à faire savoir que les manifestations qui ne rentrent pas dans le cadre classique de l'encadrement syndical sont ennemies des sacro-saintes règles de la démocratie bourgeoise. La leçon sous-jacente est évidemment d'avertir tout un chacun que "cela ne change rien de jeter des pierres - quand vous serez plus vieux, vous vous rendrez compte que le changement ne vient que des urnes". A Gênes, tandis que les chefs d'Etat comme Tony Blair, Chirac et Cie se faisaient forts d'insister sur le fait que les participants à la conférence de Gênes étaient élus démocratiquement, à l'extérieur de la conférence, les antimondialistes se disputaient sur la question de savoir si on pouvait encore considérer les forces de l'Etat comme démocratiques, comme si les événements de Gênes et de Göteborg étaient une nouvelle tendance, alors qu'ils ne font qu'être l'expression typique des attaques de l'Etat bourgeois.
Pour comprendre réellement ce qui se passe avec les manifestations "antimondialistes",
il faut, comme pour toute autre question dans la société de classe,
regarder quelles sont les forces sociales, les classes et les idéologies
qui y sont impliquées. En tant que telle, une manifestation n'a pas de
nature de classe. Les ouvriers peuvent manifester afin de se joindre à
leurs frères de classe, ou pour protester contre les attaques répressives
et sociales de l'Etat capitaliste ; les manifestations peuvent aussi être
un moyen de lutte pour les chômeurs qui n'ont plus les moyens de lutter
sur le lieu de travail. Par contre, les manifestations du Countryside Alliance,
du British National Party (équivalent du FN), ou des campagnes nationalistes
diverses, nous montrent que n'importe quelle mouvance bourgeoise peut monter
une manifestation si elle le veut.
Pour ceux qui ont participé aux escarmouches répétées
à l'occasion des différents sommets, quelles que soient leurs
motivations ou leur origine sociale, les bagarres spectaculaires avec la police
ont été des confrontations futiles, dont l'effet est de stériliser
tout désir de réfléchir sérieusement sur la nature
de la société de classe, et sur comment cette dernière
peut être renversée. Cet effet est même célébré
par Roger Burbach, un prosélyte du "carnaval de la vie" contre
"le monde grotesque et opulent qui nous a été imposé
par les nouveaux seigneurs-voleurs des grandes entreprises", quand il écrit
: "Le plus important, c'est que les anarchistes et les manifestations antimondialisation
offrent une échappatoire aux frustrations et au sentiment d'aliénation
de la nouvelle génération" (in Anti-capitalism : a guide
to the movement). C'est grossier, mais au moins c'est honnête. Quand une
"nouvelle génération" se sent "frustrée"
et "aliénée", alors les échappatoires sont de
grande valeur pour la classe dominante. Et quand on ne se préoccupe que
de la prochaine campagne, la prochaine manifestation, la prochaine bagarre avec
les flics, alors la réflexion politique, les contributions au mouvement
historique de la classe ouvrière, l'analyse de la situation actuelle
et du développement de la conscience de classe ne sont guère des
priorités.
Chaque manifestation "anticapitaliste" offre une gamme importante de thèmes. L'environnement, le changement climatique, le libre-commerce, le rôle des grandes entreprises, les privatisations, la dette du Tiers-Monde, la politique économique du G8, le rôle de l'Organisation Mondiale du Commerce, les programmes de réajustement du FMI et de la Banque Mondiale - tous sont des cibles pour les gauchistes, les anarchistes, les verts, les groupes religieux et les Organisations non gouvernementales qui se mobilisent dans les manifestations "antimondialisation".
On peut prendre n'importe quel thème au programme de ce mouvement, on
ne va y trouver ni diagnostic ni solution qui mettent le capitalisme en question.
Un exemple connu, c'est que sur les 100 entités économiques les
plus importantes au monde, 49 sont de grandes entreprises tandis que 51 sont
des économies nationales. On cherche à suggérer que si
les grandes entreprises étaient moins grandes, alors nous pourrions tous
bénéficier d'une exploitation exclusive de la part des Etats-nations
oppresseurs. Beaucoup disent même que la misère est le résultat
de la privatisation, alors qu'ils passent sous silence la réalité
des programmes d'austérité imposés par l'Etat. Quand les
ouvriers luttent, le statut formel de leur patron ne les intéresse pas
- les ouvriers polonais en 1980-81 engagèrent des grèves massives
contre toutes sortes d'entreprises nationalisées, les mineurs anglais
en 1984-85 se battirent contre le Coal Board nationalisé et, aujourd'hui,
quand les postiers se mettent en lutte, ce n'est pas contre la privatisation
mais contre les conditions imposées par la poste étatisée.
La campagne contre les grandes entreprises est un des exemples les plus frappants,
mais toutes les autres questions posent également le problème
de la nature du capitalisme, de ses crises, de la concurrence et de l'incapacité
à satisfaire les besoins de l'humanité. Alors que certains commencent
à faire le lien entre les différents aspects de la société
capitaliste, le "mouvement antiglobalisation" réduit toutes
les préoccupations à des campagnes pour des changements au sein
du capitalisme.
Dans les manifestations
comme celles de Gênes ou de Göteborg, les groupes religieux, les
organisations caritatives et non gouvernementales ne prétendent pas être
anti-capitalistes. Leurs actions visent à faire pression sur la classe
dominante pour faire en sorte que le système d'exploitation fonctionne
au bénéfice de ses victimes. Toute "concession" accordée
à de tels groupes ne sera que de la propagande.
Cependant, la prétention d'être "anticapitaliste" ne
s'applique pas plus aux gauchistes ni à la plupart des anarchistes. Les
trotskistes (et les résidus du stalinisme) sont des défenseurs
du capitalisme d'Etat. Avec les anarchistes, il y a diverses idéologies
(certaines qui ne se distinguent pas du gauchisme) mais ce qu'ils ont en commun
c'est l'engagement dans la contestation en soi. Ils n'ont pas de perspective,
et certainement pas la reconnaissance que la classe ouvrière est la seule
force capable de renverser la dictature du capital. Aux manifestations du 1er
mai 2001 à Londres, on pouvait lire sur une banderole : "Renverser
le capitalisme et le remplacer avec quelque chose de plus sympa." Une autre
devise est "Notre monde n'est pas à vendre", ce qui absolument
faux, car tout dans ce monde, à commencer par la force de travail, est
devenu une marchandise avec un prix, et ce monde n'est clairement pas le "nôtre",
puisqu'il est soumis à la classe dominante capitaliste. A Gènes,
un slogan à la mode était "un autre monde est possible".
Contre le flou artistique de tels mots d'ordre futiles, le marxisme a toujours
fait une critique claire ancrée dans la réalité matérielle.
Prenons le concept de "mondialisation". Le 23 juillet, avant les évènements
de Gènes, Time magazine a cité en les approuvant ces phrases tirées
du Manifeste Communiste de 1848 : "La grande industrie a créé
le marché mondial (...) Les vieilles industries nationales ont été
détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées
par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou
de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient
plus des matières premières indigènes, mais des matières
premières venues des régions les plus lointaines, et dont les
produits se consomment dans le pays même, mais aussi dans toutes les parties
du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux,
naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits
des contrées et des climats les plus lointains. (...) Tous les rapports
sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions
et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux
qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait
solidité et permanence s'en va en fumée (...)" Le journaliste
de Time prend ceci pour une description valable de la nature du capitalisme
depuis 150 ans. En fait, Marx et Engels voyaient dans l'élimination par
la bourgeoisie des anciens modes de production, féodal et autres, et
dans la création d'une économie mondiale, la tâche historique
du capitalisme. Avec cette réalisation, la révolution internationale
de la classe ouvrière devenait possible. Mais, sans une révolution
prolétarienne et dans un monde entièrement inféodé
au capitalisme, depuis environ 100 ans, l'économie bourgeoise n'a plus
été un système dynamique qui échangeait simplement
des marchandises. Tout au contraire, le capitalisme est devenu depuis longtemps
un obstacle au véritable développement des forces productives,
ce qui est la vraie raison de toutes les guerres et des catastrophes qui ont
décimé l'humanité depuis le début du 20e siècle.
L'économie capitaliste mondiale a été un pas en avant par
rapport à la production pré-capitaliste, parce qu'elle a créé
les bases pour une révolution internationale de la classe ouvrière
et la création d'une société communiste ; mais, si cette
possibilité ne se réalise pas, la survie du capitalisme ne peut
amener l'humanité qu'au désastre.
George Monbiot,
un des principaux défenseurs de "l'antimondialisation" a dit
que "en termes numériques [cette dernière] est le plus important
mouvement de protestation dans l'histoire du monde". (Guardian, 24 juillet
2001) Il arrive à cette conclusion en affimant que "presque tout
le monde est d'accord que le monde serait meilleur" sans les activités
des grandes entreprises et que "la plupart des gens (...) seraient heureux
de voir les sièges de Balfour Beatty ou de Monsanto démantelés
par l'action non-violente". Le "mouvement de protestation" dans
l'esprit de Monbiot est "important" seulement parce qu'il comprend
tous ceux qui sont déçus par un aspect quelconque de la vie moderne.
Cela inclut tout le monde, depuis ceux qui s'inquiètent de la "globalisation",
jusqu'à ceux qui donnent pour l'aide humanitaire, en passant par les
gauchistes qui souhaitent un renforcement du rôle de l'Etat dans le capitalisme,
mais cela inclut aussi ceux qui commencent à ressentir que le seul véritable
"anticapitalisme" est celui qui entraîne la mobilisation de
millions de prolétaires contre la domination de l'Etat bourgeois.
Quant au titre de "plus important mouvement de protestation de l'histoire,
les meilleurs candidats appartiennent à l'histoire du mouvement ouvrier.
Chaque lutte ouvrière est une protestation contre les conditions de l'existence
prolétarienne. Entre 1917 et 1923, par exemple, la classe ouvrière
a pris le pouvoir en Russie, s'est engagée dans des insurrections massives
en Allemagne, a secoué l'Italie, la Hongrie et l'Autriche de fond en
comble, et a mené des luttes acharnées en Grande-Bretagne, en
Espagne, aux Etats-Unis, en Argentine et au Brésil. Plus récemment,
entre 1983 et 1989, il y a eu des luttes ouvrières importantes dans les
pays d'Europe occidentale et aux Etats-Unis, mais aussi en Amérique latine,
en Asie, en Europe de l'Est et en Afrique. Plus importantes en nombre que le
"mouvement de protestation" de Monbiot, la signification réelle
des vagues internationales de luttes ouvrières est bien plus grande encore
parce que la classe ouvrière - au coeur de l'économie capitaliste
- a la capacité de détruire le capitalisme et de construire une
société basée sur des rapports de solidarité. La
lutte de la classe ouvrière a pour perspective ultime l'établissement
d'une commmunauté humaine mondiale. Parce que l'organisation et la conscience
sont les seules armes que détient la classe ouvrière, les luttes
et les discussions d'aujourd'hui sont déjà des pas importants
pour faire de cette perspective une réalité.
La catastrophe économique et sociale actuelle en Argentine n'a rien d'un
phénomène exotique. Elle n'est qu'une expression avancée de la faillite
générale du capitalisme mondial. Mais au delà de la banqueroute générale de
l'économie et de la misère sociale qu'elle engendre, la situation en Argentine
vient rappeler qu'y vit un prolétariat traditionnellement combatif qui, comme
partout ailleurs, cherche à retrouver le chemin d'une perspective de classe.
Ce mois d'août de cet hiver austral, le
gouvernement argentin vient de négocier avec le FMI un nouveau prêt de 9
milliards de dollars. Le FMI, avec d'autres banques étrangères, avait déjà
octroyé un crédit de 40 milliards de dollars en décembre 2000. Mais les
réserves de ce pays sont à nouveau vides, avec une dette publique de… 128
milliards de dollars, soit plus de 44% du PIB !
Cette demande de prêt de l'État argentin s'est accompagné de plongeons à
répétition de la Bourse, une onde de choc qui a des répercussions importantes
dans d'autres pays, comme l'Espagne, le Brésil ou le Chili, avec la crainte de
l'effet domino qu'on a pu voir en d'autres occasions pendant les années 90
(Mexique, crise asiatique, Russie, et en 2000-2001, à côté de l'Argentine, la
Turquie ou le Brésil).
L'Argentine est en récession ouverte depuis trois ans, avec un taux de chômage
d'environ 17 % de la population active (deux millions et demi de personnes).
Mais la situation s'est encore aggravée depuis le début de cette année. Ce mois
de juillet a connu un niveau record de licenciements : ceux-ci ont triplé par
rapport au mois de juillet 2000. À côté de ce 17 % de chômage, il y a plus de
trois millions de personnes qui ne travaillent que quelques heures par semaine
et un Argentin sur trois vit dans la pauvreté.
Durant les années 70-80, l'économie
argentine avait pu profiter, à l'époque de la dictature militaire, du boycott
des céréales soviétiques par l'administration Carter, pour relancer ses
exportations. Les militaires s'occupant des sales besognes, ils avaient mis à
la tête de l'économie un "Chicago-boy", Martínez de la Hoz. La
dictature militaire, visiblement plus à l'aise sur le front de la torture que
sur le front de la guerre, sombra dans la débâcle du conflit des Malouines qui
opposa l'Argentine à la Grande-Bretagne en 1982. La bourgeoisie comprend alors
que le temps est venu de mettre fin au régime de junte militaire : c'est le
retour à la "démocratie" à partir de 1983 et ses chants de sirènes
sur un avenir radieux. Mais la réalité de la crise se charge de dissiper
rapidement toute fausse espérance : c'est l'explosion de la dette et de
l'hyper-inflation. Les illusions véhiculées par la "démocratisation"
se perdent dans les soupes populaires, dans l'ombre des coupures d'électricité
à répétition, dans l'épuisement de la recherche d'un emploi ou dans un
pluri-emploi qui ne donne rien. Même les "classes moyennes" de cet
ancien Eldorado s'appauvrissent à toute vitesse: l'ancien pays d'accueil de
l'immigration devient un pays d'où on partirait si on le pouvait. Avec
l'arrivée au pouvoir du parti péroniste[1] [9]
et de Menem, ancien parti "étatiste", devenu ultra-libéral, la
bourgeoisie argentine essaye de juguler l'hyper-inflation et de désencombrer
l'État.
Mais le processus de privatisations, poursuivi tout au long des années 90 pour
éponger une partie de la dette, pas plus qu'ailleurs, n'a été un remède
miracle. Encore plus qu'ailleurs, ce ne fut qu'une foire d'empoigne où se sont
engouffrés des capitaux extérieurs à la recherche d'une rentabilité rapide.
Face à une inflation à quatre chiffres, le plan de convertibilité (la
"dollarisation" qui impose un peso argentin égal à un dollar
américain) amena une certaine amélioration, sur fond de croissance américaine
artificielle et d'une corruption généralisée, à commencer par celle du
président Menem. Mais cet équilibre très instable n'a pas résisté à la
"crise asiatique" puis "russe" et l'Argentine connaît une
récession ouverte en 1999, avec, à la clé, encore plus de dettes, encore plus
de faillites, et pour la classe ouvrière encore plus de chômage et encore plus
de misère. Dans ce sens, l'Argentine est un raccourci de ce qu'est la crise du
capitalisme : entre le "plus d'Etat" et le "moins d'Etat",
on est toujours de plus en plus bas. C'est toujours sur le dos de la classe
ouvrière que le capitalisme essaie de se dédommager de ses déboires.
En fait, les années 90 ont confirmé la tendance irréversible de la
paupérisation de la classe ouvrière et des couches non-exploiteuses. Le pouvoir
actuel du président De la Rua a changé de ministre de l'Economie deux fois en
un seul mois (mars), pour finalement ressortir Domingo Cavallo, le même qui, il
y a 8 ans, avait mis en place le plan de "dollarisation". Ce super
pompier a été rappelé pour essayer de faire un "nouveau miracle". Le
nouveau plan veut atteindre le "déficit budgétaire zéro". Ce
"plan de réajustement" drastique est présenté comme celui de la
dernière chance face à une banqueroute annoncée. Il est vrai que la situation
est telle, le "crédit pays", comme disent les économistes bourgeois,
est tellement bas, que la banqueroute est le seul avenir. Le catastrophisme
n'est pas seulement une figure de style de la bourgeoisie pour faire avaler ses
recettes et ses plans à répétition. La situation est réellement catastrophique,
la bourgeoisie du pays et ses semblables des pays dominants l'ont très bien
compris. C'est pour cela qu'après quelques tergiversations et quelques
réticences, le FMI vient d'octroyer les 9 milliards.
Quel est donc ce nouveau plan miraculeux de la dernière chance ? Pour
économiser 16 milliards de francs en deux ans, l'État argentin impose la
réduction de 10 % des salaires des employés publics et des pensions de
retraités dépassant 3500 francs par mois ! Déjà très mal en point, la Sécurité
Sociale va réduire ses dépenses, ainsi que l'Éducation. On peut imaginer ce que
cela veut dire dans la vie de tous les jours, en plus des licenciements dans
l'automobile, dans les transports, dans les banques. Avec la menace que s'il n'y
a pas de rentrée d'argent suffisante, l'Etat diminuera encore plus les
salaires.
Un exercice très prisé des intellectuels
argentins est de se torturer les méninges pour comprendre comment se fait-il
qu'un pays qui a été "si riche" ait pu devenir à ce point "si
pauvre". Et de rappeler dans une espèce de tango déchirant que l'Argentine
fut la 8ème, puis la 12ème puissance économique de la planète. Il
est vrai qu'on peut rester perplexe face à la déchéance d'un pays développé,
récepteur d'immigration, d'une grande tradition culturelle et scientifique. La
question qu'on doit se poser c'est : quelle est la situation du capitalisme en
général pour que de telles situations de catastrophe économique arrivent à se
produire ? La situation actuelle de l'Argentine fait suite à une série des
secousses qui ont émaillé la décennie passée et qui ont touché des régions ou
des pays plus ou moins périphériques du capitalisme. Depuis la crise mexicaine
jusqu'à celle de la Russie, en passant par l'Asie du Sud-Est et le Brésil,
toutes ces crises ont quelque chose en commun : la dette et l'impossibilité de
la rembourser. Nous avons développé à maintes reprises les caractéristiques de
la crise actuelle du capitalisme décadent qui essaye de compenser l'absence de
marchés solvables par une accumulation irrationnelle de dettes. Le cas de
l'Argentine, au-delà de certaines spécificités de ce pays, n'est pas une
exception mais la caricature de la règle.
Compte tenu de la crainte d'une récession ouverte dans le monde industrialisé,
le capitalisme ne peut pas se permettre de laisser un pays comme l'Argentine
complètement à la dérive. Mais cette même situation inquiétante nourrit les
réticentes à injecter encore des capitaux dans un pays qui paraît être un
gouffre aussi profond que la pampa est étendue.
En fait de "pays émergent", l'Argentine, pourtant désigné comme le
meilleur élève de la classe du FMI, est un pays s'enfonçant dans le
sous-développement, de la même façon que les pays dits "en voie de
développement" n'ont jamais vu se développer que de la misère.
Depuis un an et demi, cinq grèves
générales ont exprimé l'exaspération de la classe ouvrière argentine. Que les
syndicats se mettent en avant de telles grèves, ce n'est guère étonnant. Qu'il
s'agisse des grandes centrales "péronistes"[2] [10]
avec leurs campagnes nationalistes contre les "capitalistes
étrangers" ou les syndicats radicaux comme la CGT-Rebelle, ils remplissent
leur rôle de flics et de saboteurs des luttes. Ce qui est par contre réellement
significatif, c'est l'ampleur, la radicalisation et la combativité des luttes
ouvrières qui se mènent en Argentine, illustration, si besoin était, que face à
l'écroulement de l'économie capitaliste et aux attaques contre ses conditions
de vie, le prolétariat sera toujours poussé à engager la lutte. Aujourd'hui,
comme hier, et encore plus demain, la crise est et sera l'allié objectif du
prolétariat, même si de façon immédiate, c'est la misère qui impose partout son
visage de désolation. Nous avons vu la relative importance passée de
l'Argentine dans l'économie mondiale, et plus particulièrement à l'échelle de
l'Amérique latine. Parallèlement au formidable développement du capitalisme à
la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, s'est également
développée en Argentine une forte classe ouvrière, éduquée, concentrée, en lien
avec les traditions prolétariennes de l'Europe, bénéficiant notamment de
l'immigration de nombreux ouvriers italiens et espagnols qui amenaient avec eux
leurs traditions politiques, socialistes et anarchistes. On a ainsi pu voir,
pendant la Première Guerre mondiale, en 1917, alors que les Etats-Unis faisaient
une forte pression pour que l'Argentine rejoigne la boucherie impérialiste, la
classe ouvrière entrer massivement en lutte contre la guerre. Les grèves des
cheminots notamment furent nombreuses, s'affrontant avec l'armée, faisant
sauter les ponts, etc. Il est évident que cette mobilisation ouvrière a
fortement pesé sur le maintien de la neutralité de l'Argentine tout au long du
conflit. Même si, depuis 1945, la classe ouvrière a toujours été prise entre
l'enclume péroniste et le marteau de la dictature militaire, elle n'en a pas
moins été capable de s'affirmer de façon autonome à plusieurs reprises, comme
en 1951, où des grèves dans les chemins de fer accompagnées d'occupations et de
manifestations firent l'expérience de la répression péroniste avec plusieurs
morts et 3000 arrestations. Ce furent aussi les évènements de Cordoba en mai
1969 que nous avons toujours salué comme étant un moment fort de la reprise
internationale de la lutte de classe à partir de 1968 : "La grève générale
décrétée le 29 mai à la suite d'émeutes à Corrientes, Tucuman, La Plata, San
Juan et Salta, se transforma rapidement en insurrection à Cordoba même où sous
l'impulsion des ouvriers d'IKA-Renault, les manifestants contrôlèrent tous les
quartiers et le centre de la ville. La police étant débordée, l'armée et
l'aviation intervinrent : pendant 48 heures, elles ratissèrent les rues à la
mitraillette et au bazooka. Les ouvriers résistant avec des tireurs isolés sur
les toits, et par des contre-attaques en masse, eurent plusieurs dizaines de
morts et plus d'une centaine de blessés. A la suite de cette féroce répression,
toute la fin de l'année 69 fut marquée par des mouvements de grève encore
spontanés face auxquels les syndicats et partis traditionnels étaient
dépassés"[3] [11]. Dans
la continuité de cette vague de luttes, "en mars 72, la classe ouvrière de
Mendoza protestant contre la hausse des tarifs d'électricité, s'est heurtée de
nouveau à l'armée. Son combat de plusieurs jours au prix de dizaines de morts a
montré la voie révolutionnaire contre les illusions sur le retour aux
institutions démocratiques"[4] [12].
Aujourd'hui, cette combativité continue de s'exprimer contre les baisses de
salaires[5] [13],
contre la liquidation de la Sécurité Sociale et du système éducatif (un jeune
sur deux ne va plus à l'école), mais surtout face à la véritable
caractéristique de la crise historique du capitalisme : le chômage endémique et
le sous-emploi permanent. Les premières ripostes des ouvriers argentins sont
donc contre les vagues de licenciements qui viennent sans cesse grossir la
masse des 4 millions d'ouvriers au chômage complet ou partiel. Des grèves
éclatent contre les licenciements, comme, par exemple, à Salta ou dans la
province de Córdoba contre les licenciements chez Fiat, ou chez "Aerolineas
argentinas", la compagnie aérienne argentine détenue par l'Etat espagnol
(ce qui encourage les campagnes nationalistes des dirigeants syndicaux qui
appellent au boycott des capitaux espagnols). Ces grèves et ces actions,
massivement suivies, souvent très combatives, restent majoritairement
contrôlées par les centrales syndicales péronistes ou leurs nombreux avatars.
Ils peuvent notamment jouer du radicalisme contre les mesures
"antisyndicales" du gouvernement de De la Rua pour compenser le discrédit
des dirigeants syndicaux, qui ont toujours mangé à tous les râteliers.
Mais ce qui domine "l'actualité sociale" argentine (pour ce que veut
bien en laisser transparaître la presse bourgeoise, à défaut d'une présence
révolutionnaire sur place), c'est le mouvement dit des piqueteros, des groupes
de prolétaires sans travail ou menacés de licenciements. Ces piqueteros,
poussés par le désespoir, regroupés par milliers, bloquent par des barricades
(d'où leur nom) les principaux axes routiers entre provinces argentines ou vers
les pays voisins. C'est souvent au cœur des régions les plus industrialisées et
les plus touchées par la crise, comme La Matanza, où maintenant 40% de la
population vit sous le seuil de pauvreté, que se situent les groupes les plus
importants. Leur dénuement extrême est à l'image de leur volonté d'en découdre.
Nombreux sont ceux qui n'ont plus d'allocations chômage, soit que leurs
"droits" aient pris - rapidement - fin, soit que leur ancien travail
au noir leur interdise toute indemnisation. Couchés dans des tentes de fortune,
dans des cartons, sous-alimentés, frigorifiés, ils doivent néanmoins
régulièrement s'affronter avec la police, comme le 17 juin dans la région de
Salta, au Nord-Est du pays, où il y eu au moins 2 morts et des dizaines de blessés,
avant que les piqueteros et des détachements ouvriers armés[6] [14]
ne se retranchent dans la ville de General Mosconi.
Malgré les tentatives de fédération de ce mouvement de piqueteros sous l'égide
des syndicats ou partis gauchistes en vue d'en faire un "mouvement de
masse national" (Juan Carlos Alderete, dirigeant du Courant de la Classe
Combative et leader piquetero à La Matanza) ou le fait que leurs assemblées
soient un champ de manœuvre pour les groupes trotskistes[7] [15],
nous saluons dans ces grèves à répétition, dans ces barricades qui se dressent,
l'affirmation de la classe ouvrière, la seule classe capable de riposter aux
coups de boutoirs de la crise, ce qui se traduit notamment par la mise en avant
de revendications nettement prolétariennes (augmentation des salaires,
extension des indemnités chômage, emplois). Bien sûr, ce n'est pas du jour au
lendemain que la classe ouvrière se débarrassera de la démagogie péroniste et
de ses sbires syndicaux, des illusions que portent tous les déclassés de la petite
bourgeoisie qui rejoignent ses rangs par pleines vagues. Mais il n'est pas
d'autre chemin que celui de la lutte. Et une des conditions pour le
développement de ces luttes en Argentine sera la capacité des ouvriers à ne pas
se replier sur une forme de lutte mais à assurer l'unité des grèves, des
manifestations, des piquets. De la même façon, le fait de barrer les routes, ne
doit pas se retourner contre les ouvriers en devenant un facteur d'isolement
régionaliste, mais permettre au contraire l'extension des grèves. Quand le
président De La Rua, après l'obtention de la dernière rallonge du FMI, affirme
qu'"il y avait pour la région un intérêt à ce que l'Argentine ne propage
pas sa contagion au reste du monde", il parle bien sûr des risques (déjà
largement vérifiés) de déstabilisation monétaire et économique, mais il est
tout aussi clair que la bourgeoisie est consciente de la nécessité de
circonscrire localement toute combativité ouvrière pour éviter que la
"contagion" ne devienne un facteur de prise de conscience de l'unité
des intérêts de classe des ouvriers argentins, chiliens ou brésiliens.
C'est à l'échelle internationale que la crise frappe les ouvriers. C'est à
l'échelle internationale que la riposte ouvrière doit s'imposer. La combativité
de nos frères de classe en Argentine, leur capacité à s'affronter à l'Etat
comme garant de l'ordre social et gestionnaire de la crise, participent
pleinement de la lente et difficile reprise de l'affirmation d'une perspective
prolétarienne face à la profondeur de la crise économique. La crise va
continuer de s'aggraver, donnant chaque jour un peu plus de raison d'entrer en
lutte, en même temps que chaque jour la bourgeoisie mettra entre les pattes de
la classe ouvrière une nouvelle "sortie du tunnel" dans 6 mois ou un an,
un nouveau syndicat "vraiment ouvrier" pour mieux attaquer toute
expression de conscience de classe. Enfin la bourgeoisie, même
"démocratique" comme en Argentine, n'hésitera pas non plus à recourir
à la répression armée si besoin est. La lutte de classe est un véritable
combat, et dans ce combat les révolutionnaires cherchent à développer l'unité
internationale du prolétariat, ce qui passe également par le regroupement des
forces révolutionnaires qui pourraient surgir des luttes que mène la classe en Argentine.
La classe ouvrière argentine a besoin de ses frères de classe du monde entier,
de la même façon que le prolétariat international a besoin de sa fraction
australe.
[1] [16] Le régime de Péron (1945-55) a été un mélange de populisme social et
syndical, soutenu tant par des fractions de l'armée que par les partis,
socialistes, communistes et trotskistes. A partir de la chute de Péron en 1955,
les Etats-Unis ont largement investi dans l'industrie argentineet les
"Marines" ont régulièrement débarqué en Argentine pour faire régner
l'ordre social, confortant les discours des trotskistes ou des guérilleros
castristes dans les années 1960.
[2] [17] La CGT en particulier était syndicat unique sous Péron, et est
toujours restée un des piliers de la fraction péroniste de la bourgeoisie
argentine.
[3] [18] RI n°2, nouvelle série, février 1973.
[4] [19] Idem, RI n°2, …
[5] [20] Pour ceux qui sont encore payés : 180 000 fonctionnaires n'ont pas
touché de salaire depuis 2 mois. D'autres sont payés en monnaie de singe, les
fameux "patacones" de la province de Buenos Aires, sorte de peso au
rabais, qui ne sont plus convertibles en dollar et dont "personne ne sait
quelle est la valeur exacte" (Le Monde du 22 août).
[6] [21] Il semblerait que la plupart des armes proviennent d'un précédent
soulèvement de piqueteros en novembre 2000 et de l'occupation d'un poste de
police.
[7] [22] La "Liga Obrera Internacionalista" (4e Internationale)
semble avoir joué un certain rôle dans des assemblées ouvrières de Salta.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-irak
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/42/italie
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/47/suede
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/forums-sociaux
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/anti-globalisation
[9] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn1
[10] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn2
[11] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn3
[12] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn4
[13] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn5
[14] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn6
[15] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftn7
[16] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref1
[17] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref2
[18] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref3
[19] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref4
[20] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref5
[21] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref6
[22] https://fr.internationalism.org/ri315/Argentine_lutte_de_classe#_ftnref7
[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/55/argentine
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud