Le 20 janvier, Donald Trump a officiellement pris ses fonctions présidentielles. Cette victoire représente un échec retentissant pour les factions les plus responsables de la bourgeoisie américaine qui avaient tenté d’empêcher le retour au pouvoir de ce triste sire durant tout le mandat de Joe Biden.
Si lors de la première élection de 2016, la bourgeoisie avait été surprise par la victoire de Trump, elle avait cherché après coup à encadrer les humeurs et les incohérences du locataire du bureau ovale.
Mais ses discours revanchards et le discrédit de ses rivaux Démocrates se sont avérés plus puissants que les condamnations et les procès intentés contre lui pour agression, chantage ou comportement séditieux pendant l’assaut de janvier 2021 contre le Capitole. Cette fois, la bourgeoisie américaine est clairement dépassée par la situation créée par ce trublion qui n’a jamais caché sa volonté d’affaiblir les institutions de l’État fédéral et de se placer au-dessus d’elles. La mainmise de Trump sur l’ensemble des institutions est plus solide et étendue qu’elle ne l’était en 2017, ce qui traduit une perte de contrôle plus importante sur l’appareil politique de la part des fractions les plus lucides de la bourgeoisie américaine et l’exacerbation des tensions en son sein pour défendre au mieux les intérêts du capital national. Le programme de Trump, plus brutal et outrancier qu’entre 2017 et 2021, traduit bien l’enkystement et l’expansion du populisme qui sévit sur le monde. 1
Les manifestations de l’irresponsabilité de Trump résident tant dans ses outrances et son programme que dans la promotion des nouveaux cadres de son gouvernement, dont l’ineffable Elon Musk est le symbole. Pete Hegseth, ancien présentateur de Fox News, accusé d’agressions sexuelles, sans aucune expérience du haut commandement, se retrouve secrétaire à la défense. Robert Kennedy Jr., un antivax qui fait le bonheur des complotistes devient secrétaire à la santé. Le climato-sceptique Chris Wright est nommé secrétaire à l’énergie… Bref, une équipe de pieds nickelés révélatrice d’une phase historique dans laquelle la bourgeoisie américaine, à l’avant-garde de toutes les bourgeoisies des grandes puissances occidentales, tend à perdre la boussole avec, en perspective, des crises politiques toujours plus profondes et chaotiques.
En somme, ce que préfigure ce nouveau mandat ne représente rien de moins qu’une nouvelle accentuation du désordre mondial. La politique menée par la nouvelle équipe ne pourra qu’alimenter le tourbillon destructeur des crises qui s’auto-alimentent et interagissent à l’échelle du monde : chocs économiques, guerres, dégradation accélérée du climat et effondrement des écosystèmes, crises sociales, vagues migratoires incontrôlées…
Utilisant sournoisement les miasmes de la décomposition de son système moribond, la bourgeoisie sait parfaitement les retourner contre la conscience de la classe ouvrière, tant pour pousser les prolétaires au désespoir que pour semer l’illusion d’un futur plus « juste » et plus « démocratique ». Si le gouvernement Trump est un acteur et un agent saillant du désordre planétaire, il n’en est cependant pas à l’origine, contrairement à ce que cherchent à faire avaler une bonne partie de la bourgeoisie et ses médias, pour mieux dissimuler l’impasse historique du système, derrière la « folie » d’un seul homme.
Cette campagne idéologique mondiale prolonge une vaste offensive politique, initiée au moment de la campagne électorale, visant bien sûr à déboussoler les ouvriers derrière le drapeau de l’antifascisme et promouvoir « la défense de la façade démocratique des gouvernements au service de la domination capitaliste. Une façade conçue pour cacher la réalité de la guerre impérialiste, de la paupérisation de la classe ouvrière, de la destruction de l’environnement, de la persécution des réfugiés. C’est la feuille de vigne démocratique qui masque la dictature du capital, quel que soit le parti (de droite, de gauche ou du centre) qui accède au pouvoir politique dans l’État bourgeois ». 2 C’est cette campagne idéologique démocratique qui se poursuit, chacun apportant sa pierre à l’édifice mystificateur, tel Macron en France dénonçant une « internationale réactionnaire » ou les bourgeoisies allemande et britannique dénonçant les « ingérences » de Musk. Mais ce sont surtout les fractions les plus à gauche de la bourgeoisie qui parviennent, en réalité, à mystifier avec le plus d’efficacité la classe ouvrière, au nom de la défense de la « démocratie » contre le « fascisme ». Les partis de gauche apportent ainsi leur caution « radicale » et du crédit à l’idée d’une « internationale réactionnaire ».
Le prolétariat doit rester sourd à cette intense propagande qui se poursuit et qui va s’intensifier, au risque de se trouver plus affaibli face aux forces du capital. Il doit comprendre que l’État démocratique est l’outil du capital, son pire ennemi. Aujourd’hui, le seul moyen de lutte pour la classe ouvrière reste le combat sur le terrain de ses intérêts de classe et la défense de ses conditions de vie face aux attaques de tous les États, même les plus « démocratiques », et de tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Ce combat devra aussi se mener contre les faux amis de la classe ouvrière que sont les syndicats. En Belgique, malgré le front commun syndical qui cherche à encadrer et stériliser la lutte en organisant chaque mois une journée d’action, accompagnée d’autres grèves, comme dans l’enseignement francophone et dans les chemins de fer, la classe tend à dépasser le carcan syndical et de plus en plus de travailleurs se joignent aux journées d’action. Les prolétaires en Belgique ne sont pas seuls. Depuis 2022, partout dans le monde, au Royaume-Uni, en France, au Canada, aux États-Unis, la classe ouvrière relève la tête, refuse de courber l’échine face à la crise, aux licenciements, à l’inflation, aux « réformes ». Partout, elle commence peu à peu à se reconnaître comme une force sociale. Partout, de petites minorités émergent en se questionnant sur les origines de la crise, de la guerre et du chaos dans lequel nous plonge le capitalisme. Un tel combat contient en germe la perspective d’une politisation, il contient la perspective, pour le futur, du renversement du capitalisme et de l’édification d’une autre société, sans exploitation, sans barbarie guerrière.
WH, 22 janvier 2025
1) Cf. « Ni populisme, ni démocratie bourgeoise… La seule véritable alternative, c’est le développement mondial de la lutte de classe contre toutes les fractions de la bourgeoisie », publié sur le site web du CCI (janvier 2025).
2) Extrait de notre proposition d’« Appel de la Gauche communiste contre la campagne internationale de mobilisation en faveur de la démocratie bourgeoise », publiée sur le site web du CCI.
Une fois de plus, « trop c’est trop » a été le mot d’ordre des journées d’action de Bruxelles des 13 décembre et 13 janvier contre les plans d’austérité sur la table des négociations du nouveau gouvernement fédéral en devenir en Belgique. Ces plans avaient été révélés par des « fuites » dans les médias ; aujourd’hui, ils ne sont plus un secret. Les syndicats parlent des « mesures les plus drastiques des 80 dernières années ». Alors que les travailleurs des entreprises privées seront licenciés en masse (27 000 d’ici 2024) et que l’indexation automatique des salaires sera remise en cause, le nouveau gouvernement national veut tailler dans les dépenses de sécurité sociale, les allocations de chômage et les pensions. Pour couronner le tout, il souhaite réduire drastiquement le nombre de fonctionnaires et rendre le travail encore plus précaire pour l’ensemble des travailleurs.
Si lors de la première journée d’action, avec quelque 10 000 manifestants, ce sont surtout les délégués syndicaux qui ont été mobilisés (et principalement ceux de la région wallonne), la situation a pris une toute autre dynamique le 13 janvier. Au lieu des 5 000 à 10 000 manifestants initialement prévus par les syndicats, ce sont finalement plus de 30 000 travailleurs des différentes régions du pays et d’un nombre croissant de secteurs qui ont participé à la manifestation. 47 000 enseignants de la région flamande se sont également mis en grève, un chiffre historiquement élevé. Des arrêts de travail ont également eu lieu dans les chemins de fer, les transports publics, chez les éboueurs, à la poste et dans de nombreux autres services publics. Une nouvelle journée d’action est annoncée pour le 13 février, désormais derrière le mot d’ordre : « pour la défense des services publics et du pouvoir d’achat ».
Avant même ces deux journées d’action, une autre manifestation avait déjà mobilisé beaucoup plus de travailleurs que prévu en novembre. Lors de cette manifestation des travailleurs de la santé et du secteur social, la participation a également été trois fois plus importante que prévu : plus de 30 000 travailleurs. Le 26 novembre, le personnel francophone de l’enseignement a mené une grève largement soutenue sous le slogan « enseigner oui, saigner non ». Les 27 et 28 janvier, deux autres journées de grèves et de manifestations sont prévues. Et le syndicat de l’enseignement, sous pression, envisage d’annoncer une grève illimitée.
Ces manifestations, grèves et protestations confirment un développement de la combativité dans le monde entier, dont nous avons parlé à maintes reprises dans notre presse, ces dernières années. L’escalade des tensions impérialistes et le chaos croissant, la fragmentation du commerce mondial, la hausse de l’inflation et des coûts de l’énergie sont autant de signes d’une aggravation sans précédent de la crise. Dans tous les pays, la bourgeoisie tente donc de répercuter les conséquences de la crise économique sur les travailleurs. La Belgique ne fait pas exception.
La bourgeoisie est bien consciente que ces plans allaient provoquer des réactions dans de larges secteurs de la classe. Elle sait qu’à l’échelle internationale, la classe ouvrière a déjà montré, dans de nombreux pays, qu’elle avait surmonté des décennies de reflux des luttes. C’est pourquoi la bourgeoisie attache de l’importance à être bien préparée et à mettre en place les forces nécessaires pour absorber et détourner la résistance attendue.
Les syndicats ont vu l’inquiétude et le mécontentement des travailleurs grandir de semaine en semaine et ne sont pas restés passifs pour éviter que le mécontentement ne se manifeste par des actions « incontrôlées ». Le 8 décembre, Ann Vermorgen (présidente du syndicat ACV) a déclaré à la télévision que les syndicats communs avaient décidé d’organiser une journée d’action le 13 de chaque mois au cours de la période à venir. Cette déclaration a été suivie de journées d’action en décembre et en janvier, au cours desquelles les syndicats ont tenté de limiter les mobilisations à certains secteurs (en particulier l’éducation) et à certaines revendications (la réforme des pensions dans l’éducation). Les syndicats utilisent là des tactiques bien rodées : l’isolement et la division des différents secteurs et des régions dans une série de journées d’action destinées à épuiser la combativité.
Cependant, la forte mobilisation du 13 janvier a exprimé un mécontentement plus large et s’est développée dans d’autres secteurs et régions au point de surprendre les syndicats eux-mêmes. La colère va au-delà d’une mesure particulière ou d’une « réforme » annoncée. C’est l’expression d’un mécontentement et d’une indignation plus générale et la réalité du retour de la combativité face à l’augmentation du coût de la vie, à la dégradation des conditions de travail, à l’insécurité de l’emploi et au spectre grandissant de la pauvreté.
Pendant des années, on nous a dit que le capitalisme était le seul système possible et que la « démocratie » bourgeoise était la meilleure et la plus parfaite des institutions politiques imaginables. Ces mystifications n’ont pas d’autres buts que de démobiliser la classe ouvrière, de réduire les prolétaires isolés à l’impuissance, de les couper de la force et de la solidarité de leur classe. Pourtant, malgré les appels incessants à se mobiliser dans les urnes pour prétendument « peser contre l’austérité », comme les appels à défendre la « démocratie » contre les discours ignobles des populistes, les travailleurs reprennent le chemin de la lutte, redécouvrent le besoin de lutter tous ensemble sur leur terrain de classe. Il est aussi significatif que cette rupture, cette nouvelle dynamique dans le développement de la lutte des classes s’inscrit dans un contexte croissant de guerre et d’augmentation drastique des dépenses militaires qui doivent être payées par la classe ouvrière.
Pour parer réellement aux attaques contre nos conditions de vie, il faut donner à la lutte la base la plus large possible en unissant tous les travailleurs, indépendamment de l’entreprise, de l’institution, du secteur ou de la région dans lesquels ils travaillent. Tous les travailleurs sont « dans le même bateau ». Toutes ces luttes ne sont pas des mouvements séparés, mais un cri collectif : « nous sommes une ville de travailleurs, cols bleus et cols blancs, syndiqués et non syndiqués, immigrés et nés dans le pays », comme l’a déclaré un enseignant en grève à Los Angeles en mars 2023. Les grèves en Belgique s’inscrivent pleinement dans les mouvements qui ont eu lieu ces trois dernières années dans d’autres pays, tels que la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France.
Mais il est indispensable que la classe ouvrière, en Belgique comme ailleurs, surmonte certaines faiblesses de ces luttes antérieures :
– En 2022-23, en Grande-Bretagne, des travailleurs d’entreprises de secteurs différents, parfois distantes de moins de 100 mètres, n’ont pas tenté de briser le système rigoureux des piquets de grève, de rechercher la solidarité et d’unir leur lutte.
– En 2023 en France, les travailleurs ont participé en masse à 14 « journées d’action » contre le plan de réforme des retraites du gouvernement, sans réussir à élargir la lutte à des grèves massives dans les entreprises.
En Belgique, la bourgeoisie et ses syndicats ne cessent de répandre le poison de la division : entre le secteur public et le secteur privé, comme entre les travailleurs des deux côtés de la frontière linguistique. Il s’agit d’un obstacle traditionnellement difficile à surmonter, 1 mais pas impossible, comme nous l’avons vu le 23 avril 2023 lorsque les enseignants francophones et néerlandophones ont manifesté à l’unisson à Bruxelles. Les grèves de 1983 et de 1986 avaient également rassemblé des centaines de milliers de travailleurs des secteurs public et privé et de régions wallonne, bruxelloise et flamande. 2 Tirer les leçons des luttes passées est indispensable pour s’armer face aux pièges tendus par la bourgeoisie.
Notre force, c’est l’unité, la solidarité dans la lutte ! Ne pas lutter côte à côte mais unir la lutte dans un même mouvement : faire grève et envoyer des délégations massives pour rejoindre les autres travailleurs dans la lutte, lutter ensemble, gagner de plus en plus de travailleurs à la lutte ; organiser des assemblées générales pour délibérer ensemble sur les besoins de la lutte ; s’unir autour de revendications communes. C’est cette dynamique de solidarité, d’expansion et d’unité qui a toujours ébranlé la bourgeoisie au cours de l’histoire.
Lac, 21 janvier 2025
1) Cf. « La coalition “Arizona” prépare une attaque frontale contre les conditions de travail et de vie », Internationalisme n° 381
2) Cf. « Vers l’unification de la lutte », Internationalisme n° 111 (1986).
Les institutions économiques les plus respectées de la bourgeoisie se targuent d’un bilan plutôt positif de l’état actuel de l’économie mondiale, qui « a fait preuve d’une remarquable résilience face à la pandémie, à la guerre en Ukraine et à une poussée d’inflation ». 1 Le FMI, la Banque mondiale et d’autres institutions prévoient pour 2025 un peu plus de croissance qu’en 2024, malgré leurs inquiétudes quant aux grandes incertitudes et aux risques considérables, dus notamment à l’augmentation des tensions géopolitiques. Mais la réalité est tout autre : le système capitaliste poursuit bel et bien sa trajectoire dans les abîmes d’une crise économique chronique, plongeant davantage le monde dans la misère et le marasme.
En 2024, l’économie mondiale ne s’est pas remise de la pandémie de Covid-19 et de ses rigoureux confinements, ce qui se traduit par une économie mondiale plus affaiblie que jamais. Comment pourrait-il en être autrement ? Avant l’apparition de Covid-19, le capitalisme était déjà confronté à une grande fragilité du système monétaire et financier ainsi qu’à un endettement massif des États nationaux, ce qui laissait présager l’ouverture d’une période de graves convulsions. 2 La pandémie qui s’est développée en 2020 n’a fait qu’accentuer ces tendances, notamment en désorganisant davantage les chaînes de production et du commerce mondial.
Au cours des 25 dernières années, l’économie mondiale a été principalement maintenue à flot grâce à l’administration d’une dose massive de crédit entraînant une envolée de la dette publique. « La dette publique mondiale a plus que quintuplé depuis l’an 2000, dépassant nettement le PIB mondial, qui a triplé au cours de la même période ». 3 L’ONU parle d’une augmentation alarmante de la dette publique mondiale qui atteindra le chiffre record de 97 000 milliards de dollars en 2023, tandis que la dette mondiale totale (une dette totale qui comprend également celle des entreprises et des ménages) atteindra le chiffre délirant de 300 000 milliards de dollars, pour un PIB mondial de seulement 105 000 milliards de dollars.
Ces dernières années, l’économie mondiale a été touchée par l’éruption de guerres extrêmement violentes au Moyen-Orient et en Ukraine. Cette dernière a provoqué une flambée de l’inflation dans les deux pays belligérants, avec un phénomène de contagion dans plusieurs pays voisins, tels les pays baltes où l’inflation a dépassé les 20 % en 2022. Les sanctions contre la Russie ont eu un impact négatif à la fois sur l’économie russe et sur celles des pays situés à proximité de la zone de guerre. L’impact le plus notable est celui sur l’économie allemande, qui a rompu ses relations commerciales avec la Russie et perdu l’approvisionnement en gaz bon marché.
Les années 2020-2024 ont été la plus faible demi-décennie de croissance du PIB depuis trente ans. Cette situation déplorable laisse entrevoir la possibilité réelle que des économies importantes comme les États-Unis, l’Europe et la Chine soient touchées par la stagflation.
L’économie européenne, déjà fragile, est mise à rude épreuve par des prix de l’énergie relativement élevés et des dettes nationales colossales. L’économie allemande est au bord de la récession. Son secteur manufacturier (automobile et chimie), autrefois réputé, est affecté par les coûts élevés de l’énergie et une concurrence internationale féroce. Elle subit une baisse importante de la demande extérieure. En 2024, la production industrielle était inférieure de 15 % au pic de 2016 et des dizaines de milliers de travailleurs sont sur le point d’être licenciés. La France a perdu le contrôle de ses finances publiques avec des niveaux d’endettement dépassant largement les 100 % du PIB, un problème auquel sont également confrontés la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Belgique. L’une des principales économies européennes est donc sur une trajectoire économique insoutenable. Le secteur manufacturier français est également en crise, et aucun signe de reprise ne se profile à l’horizon. L’escalade des tensions impérialistes et le développement du chaos, la fragmentation du commerce mondial, la hausse de l’inflation et des coûts de l’énergie convergent donc vers un approfondissement sans précédent de la crise de l’économie européenne.
En Chine, l’impact des sanctions américaines et les mesures de confinement lors du Covid-19 avaient déjà fortement affaibli l’économie. Mais l’éclatement de la bulle immobilière a encore aggravé la crise, la valeur totale des logements inachevés et invendus s’élevant à environ 4,1 billions de dollars. Aujourd’hui, la bulle a également entraîné la faillite de quarante petites banques. Enfin, elle a anéanti environ 18 000 milliards de dollars d’épargne des ménages, ce qui affecte gravement la confiance des consommateurs et freine leurs dépenses. Conjuguée à une baisse continue des recettes d’exportation, cette situation entraîne un ralentissement sans précédent depuis des décennies. Aujourd’hui, l’économie chinoise ne sera certainement pas en mesure de fonctionner comme le moteur de l’économie mondiale, comme elle l’a fait après la crise financière de 2008.
Trump a annoncé une politique protectionniste agressive, avec l’intention d’imposer des barrages douaniers à tous ses concurrents, y compris ses « partenaires ». Cette politique provoquera une guerre commerciale acharnée, les autres pays fixant leurs propres tarifs. Elle risque fort d’alimenter l’inflation et de ralentir encore plus la croissance mondiale, en particulier celle en Chine, et probablement aussi en Europe. Les droits de douane annoncés constituent une nouvelle étape d’une politique qui jette l’économie mondiale dans la tourmente, exacerbe sa fragmentation et laisse présager un nouveau démantèlement de la mondialisation. Leur mise en œuvre donnera une impulsion considérable à la crise mondiale qui n’épargnera aucune puissance, pas même les États-Unis.
La guerre est le mode de vie du capitalisme dans sa phase de décadence, l’économie suit donc naturellement la voie du militarisme qui domine la plupart des économies nationales. Avec la prolifération des conflits armés dans le monde, cette tendance s’accentue considérablement. Par exemple, les dépenses militaires mondiales ont augmenté pour la neuvième année consécutive en 2023, atteignant un total de 2 443 milliards de dollars, le niveau le plus élevé jamais enregistré. L’Allemagne a doublé son budget militaire, tandis que le budget des États-Unis atteint près de 1 000 milliards de dollars. Les dépenses improductives constituent une perte nette pour l’économie nationale et pourraient même conduire à sa faillite.
L’état de décomposition de la société capitaliste est tel qu’au-delà de sa superstructure idéologique, ses propres fondements économiques sont eux-mêmes affectés par ses effets destructeurs. L’accumulation de l’effet combiné de ces facteurs (crise, guerre, réchauffement climatique, chacun pour soi) produit « une spirale dévastatrice aux conséquences incalculables pour le capitalisme, frappant et déstabilisant toujours plus gravement l’économie capitaliste et son infrastructure de production. Si chacun des facteurs qui alimentent cet effet “tourbillon” de décomposition risque d’entraîner l’effondrement des États, leurs effets combinés dépassent de loin la simple somme de chacun d’entre eux pris isolément ». 4
Ainsi, les deux guerres, en Ukraine et au Moyen-Orient, n’entraînent pas seulement une destruction catastrophique de l’infrastructure des pays concernés, mais aussi une fragmentation et une déstabilisation de pans entiers de l’économie mondiale. Par exemple, l’une des « nouvelles routes de la soie », liaisons terrestres et maritimes entre la Chine et l’Europe, qui passait par le territoire de la Russie et du Belarus, est complètement paralysée depuis le début de la guerre. Les vols en provenance d’Amérique du Nord et d’Europe ne peuvent plus survoler la Sibérie et ce détour entraîne une augmentation spectaculaire du coût des vols concernés. Différentes routes commerciales maritimes, comme le passage par la mer Rouge et la mer Noire, sont risquées pour le trafic maritime à cause des menaces liées aux guerres en cours. Ces sérieuses entraves au commerce mondial conduisent à l’augmentation des coûts du fret maritime, avec la menace d’une crise alimentaire dans certaines parties du monde.
Les chocs climatiques récurrents, aléatoires et potentiellement importants entraînent la destruction des infrastructures, la dégradation des sols, l’effondrement des écosystèmes et des populations humaines, tandis que la nature est de moins en moins capable de se remettre de ces événements catastrophiques, ce qui conduit à une perte permanente de la capacité de production. Entre 2014 et 2023, environ 4 000 événements liés au climat semblent avoir entraîné des pertes économiques estimées à 2 000 milliards de dollars. Et comme le capitalisme, en raison de la concurrence mondiale féroce, n’est pas en mesure de freiner le réchauffement climatique, ces pertes augmenteront à un rythme accéléré.
Sous l’influence croissante du populisme, les mesures de la bourgeoisie deviennent de plus en plus irrationnelles et parfois même au détriment des intérêts économiques nationaux. Prenons par exemple le sabotage lors de la première présidence de Trump des travaux de l’OMC, une institution destinée à maintenir un minimum de stabilité dans l’économie mondiale, laissant libre cours au développement international du chacun pour soi. De même, la décision de la bourgeoisie britannique de se retirer de l’UE a créé des obstacles majeurs au commerce avec le continent, avec un impact négatif important sur son économie. Enfin, la gestion totalement irrationnelle de la crise du Covid-19 par Bolsonaro et Modi a entraîné beaucoup plus de pertes humaines que la moyenne générale, accroissant la crise économique.
Ces dernières années, la crise a déjà entraîné une paupérisation significative dans les régions économiques les plus importantes du monde capitaliste. Selon Eurostat, en 2023, 16,2 % des citoyens européens étaient menacés de pauvreté, ce qui signifie qu’environ 71,7 millions de personnes souffrent de privations matérielles et sociales et n’ont pas de revenus suffisants pour mener une vie décente. Les États-Unis ont l’un des taux de pauvreté les plus élevés du monde occidental. Selon le Brookings Institute, 43 % des familles américaines ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins fondamentaux.
En Chine, il n’y a officiellement pas de pauvreté. Mais en 2020, 600 millions de Chinois subsistaient encore avec l’équivalent de 137 dollars par mois, peinant à subvenir à leurs besoins.
Avec la détérioration de la situation économique, cette tendance se poursuivra dans les années à venir, comme en témoignent déjà la série de licenciements annoncée. 384 entreprises technologiques américaines, par exemple, ont déjà licencié plus de 150 000 travailleurs en 2024, s’ajoutant aux 428 449 travailleurs de ce même secteur qui ont perdu leur emploi au cours des deux années précédentes. En Europe, des licenciements massifs sont annoncés chez Bosch (5 000 emplois), Volkswagen (35 000 emplois), Schaeffler AG (4 700 emplois), Ford (4 000 emplois), Airbus (2 043 emplois) et Air France KLM (1 500 emplois)… Les plus grandes entreprises privées chinoises ont supprimé 300 000 emplois. Le taux de chômage des jeunes en Chine a atteint 20 %. Ces chiffres illustrent la façon dont le ralentissement de l’économie chinoise se répercute sur la main-d’œuvre. Les intentions stupéfiantes de Trump II porteront certainement un nouveau coup aux conditions de vie des travailleurs.
En réaction à l’aggravation de l’économie mondiale et à la détérioration de ses conditions d’existence, la classe ouvrière doit se préparer à la lutte, comme l’ont fait les ouvriers de différents pays depuis 2022, 5 lorsque ceux-ci ont fermement affirmé qu’ils n’accepteraient pas les attaques économiques sans se battre et se sont engagés dans la lutte avec plus d’assurance. Cela doit encourager tous les travailleurs à surmonter leurs hésitations, à suivre l’exemple de leurs frères de classe et à se joindre à leur lutte.
Dennis, 15 janvier 2025
1) « Exploiter le pouvoir de l’intégration : A Path to Prosperity in Central Asia », Rapport du FMI (2024).
2) Cf. « Résolution sur la situation internationale (2019) : [7] Conflits impérialistes ; vie de la bourgeoisie, crise économique [7] », Revue internationale n° 164 (2020).
3) « Un monde de dettes – Un fardeau croissant pour la prospérité mondiale [8] », Rapport de l’ONU (2024).
4) « Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste [9] », Revue internationale n° 165 (2021).
5) « Pourquoi le CCI parle-t-il de “rupture” dans la dynamique de la lutte de classe ? », Révolution internationale n° 498.
Les ravages de trois années de guerre en Ukraine, tout comme la barbarie sans nom des quinze mois du conflit israélo-palestinien, qui a contribué à embraser l’ensemble du Moyen-Orient, constituent une terrible illustration des guerres engendrées par la période de décomposition du capitalisme
Quelles que soient les trêves éventuelles et les cessez-le-feu conclus dans le cadre des manœuvres impérialistes à venir, ils ne pourront être que temporaires et ne représenteront que des accalmies momentanées dans le renforcement du militarisme le plus barbare qui caractérise le mode de production capitaliste.
En février 2022, Poutine avait certifié que l’armée russe progresserait rapidement en Ukraine par le biais d’une « opération militaire spéciale » de courte durée. Trois ans se sont écoulés et, bien que les missiles et l’artillerie continuent de détruire des villes entières et de faire des milliers de victimes, la guerre a atteint un point où aucune des deux parties ne progresse significativement, ce qui rend les opérations militaires encore plus désespérées et destructrices. Il est difficile de connaître avec certitude le nombre de victimes de la guerre, alors que les médias parlent désormais de plus d’un million de morts ou de blessés et que les protagonistes éprouvent de plus en plus de peine à recruter de la « chair à canon » pour « boucher les trous » sur la ligne de front.
Au Moyen-Orient, après l’attaque barbare du Hamas, les représailles de l’État d’Israël causent des destructions et des massacres qui atteignent un niveau de sauvagerie inimaginable. Comme Poutine, Netanyahou, après l’attaque sanglante du 7 octobre 2023, assurait qu’en trois mois, il en finirait avec le Hamas : cela dure déjà depuis plus d’un an et la barbarie qu’il a déclenchée n’a cessé de prendre de l’ampleur. Israël a largué sans discrimination 85 000 tonnes d’explosifs, soit l’équivalent de trois fois la quantité de matière explosive contenue dans les bombes larguées sur Londres, Hambourg et Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale ! Ces attaques féroces ont fait près de 45 000 morts, plus de 10 000 disparus et près de 90 000 blessés, dont de nombreux mutilés, y compris des milliers d’enfants. Selon Save the Children, chaque jour depuis le début de la guerre à Gaza, une dizaine d’enfants ont été victimes de graves mutilations. Et au scénario d’horreur des bombardements s’ajoutent la faim et les maladies telles que la polio et l’hépatite, qui se propagent en raison des conditions sanitaires inhumaines.
Toute cette folie guerrière qui dure depuis si longtemps en Ukraine et dans la bande de Gaza s’étend aujourd’hui à d’autres pays, élargissant la spirale du chaos et de la barbarie. Après les combats au Sud-Liban et les bombardements sur Beyrouth, la reprise des affrontements en Syrie, qui a conduit au renversement rapide de Bachar Al Assad, illustre bien la façon dont l’instabilité se propage. Le soutien militaire conséquent de la Russie et de l’Iran avait permis à Al Assad de s’imposer à l’issue de la guerre civile syrienne de 2011 à 2020, même si la situation était précaire. Avec l’affaiblissement militaire des alliés d’Assad, en particulier la Russie prise au piège en Ukraine et le Hezbollah occupé au Liban, leur soutien militaire s’est fortement réduit, ce qui a entraîné une perte de contrôle de la situation par le régime, exploitée par le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) pour attaquer et renverser le gouvernement. Cependant, la fuite d’Al Assad ne signifie nullement que le nouveau régime qui a pris le pouvoir à Damas présente un projet cohérent et unifié. Au contraire, une multitude de groupes, « démocratiques » ou « islamistes » plus ou moins radicaux, chrétiens, chiites ou sunnites, kurdes, arabes ou druzes sont plus que jamais impliqués dans les confrontations pour le contrôle du territoire ou de certaines de ses portions, avec derrière eux la camarilla des parrains impérialistes : la Turquie, Israël, le Qatar, l’Arabie Saoudite, les États-Unis, l’Iran, les pays européens et peut-être encore la Russie, chacun avec son propre agenda et ses propres intérêts impérialistes. Plus que jamais, la Syrie et le Moyen-Orient en général représentent un foyer de multiples tensions qui poussent à la guerre et au militarisme.
De nombreuses armes nouvelles et sophistiquées ont été déployées en Ukraine comme au Moyen-Orient : boucliers de défense antimissiles, drones d’attaque, manipulation de systèmes de communication pour les transformer en engins explosifs… Les budgets que les différents États allouent à l’achat d’armes conventionnelles et à la modernisation ou à l’expansion de l’arsenal atomique explosent également : selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires dans le monde en 2023 s’élevaient à 2 443 milliards de dollars, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2022 (le taux de croissance le plus élevé depuis 2009). Et tant les commandes que les déclarations des chefs d’États sur tous les continents ne permettent pas d’entrevoir autre chose qu’une expansion générale impressionnante de la militarisation, ce qui amène par la même occasion une remarquable augmentation des bénéfices des entreprises d’armement.
Mais cela signifie-t-il que la guerre a pour autant un effet positif sur l’économie capitaliste ? Le capitalisme est né dans la boue et le sang de la guerre et du pillage, mais leur rôle et leur fonction ont changé au fil du temps. Dans la phase ascendante du capitalisme, les dépenses militaires et la guerre elle-même étaient un moyen d’étendre le marché et de stimuler le développement des forces productives, car les nouvelles régions conquises nécessitaient de nouveaux moyens de production et de subsistance. Au contraire, l’entrée dans la phase de décadence (qui s’est ouverte avec la Première Guerre mondiale) indiquait que les marchés solvables avaient été globalement répartis et que les rapports de production capitalistes étaient devenus une entrave au développement des forces productives. Dans ce contexte, le système capitaliste trouve dans la guerre (et sa préparation) certes une impulsion pour la production d’armements, mais, en tant que moyens de destruction, ils ne bénéficient pas à l’accumulation du capital. La guerre représente, en réalité, une stérilisation de capital. Pour autant, cela ne signifie pas, comme l’expliquait déjà la Gauche communiste de France, « que la guerre s’est transformée en objectif de la production capitaliste. Cet objectif reste pour le capitalisme la production de la plus-value. Ce que cela signifie, c’est que la guerre, en prenant ce caractère permanent, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent ». 1
Dans la période de décomposition du capitalisme, qui constitue la dernière phase du déclin irréversible dans la barbarie de ce mode de production, les caractéristiques de la décadence sont non seulement maintenues, mais accentuées, de sorte que la guerre non seulement continue à n’avoir aucune fonction économique positive, mais se présente maintenant comme un élément déclencheur d’un chaos économique et politique toujours croissant et perd par là même sa finalité stratégique : l’objectif de la guerre se réduit de plus en plus à la destruction massive irrationnelle, ce qui en fait un des principaux facteurs menaçant l’humanité de destruction totale. La menace d’une confrontation nucléaire en témoigne tragiquement.
Cette dynamique est clairement illustrée dans les guerres actuelles comme en Ukraine ou à Gaza. La Russie ou Israël ont rasé ou anéanti des villes entières et contaminé durablement les terres agricoles avec leurs bombes, de sorte que l’avantage qu’ils retireront d’une hypothétique fin de la guerre se limitera à des champs de ruines. Les massacres répugnants de civils et d’enfants, tout comme le bombardement de centrales nucléaires en Ukraine soulignent le changement qualitatif que prend la guerre dans la décomposition, dans la mesure où l’irresponsabilité et l’irrationalité rythment la guerre, puisque le seul objectif est de déstabiliser ou de détruire l’adversaire en pratiquant systématiquement une politique de « terre brûlée ». Dans ce sens, si « la fabrication de systèmes sophistiqués de destruction est devenue le symbole d’une économie moderne et efficace […] elle n’est, du point de vue de la production, de l’économie, qu’un gigantesque gaspillage de ressources ». 2
Le développement croissant de la militarisation a récemment conduit certains pays qui avaient abandonné le service militaire obligatoire à le réintroduire, comme en Lettonie, en Suède et la CDU l’a même proposé en Allemagne. Il se reflète surtout à travers la pression généralisée pour augmenter les dépenses militaires, au moyen d’une campagne de différents porte-parole de la bourgeoisie plaidant, par exemple, pour la nécessité que les pays de l’OTAN dépassent largement le montant convenu de 2 % du PNB consacré à la défense. Dans un scénario où les États-Unis de Trump joueront plus que jamais la carte de l’« America first », même envers les pays « amis » qui se croyaient en sécurité sous l’ombrelle nucléaire américaine, les pays européens cherchent à renforcer d’urgence leurs infrastructures militaires et augmentent fortement leurs dépenses militaires pour mieux défendre leurs propres ambitions impérialistes. Lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déclare : « Nous devons dépenser plus, nous devons dépenser mieux, nous devons dépenser européen », elle résume bien la stratégie d’expansion des infrastructures militaires de l’Europe et d’une industrie d’armement européenne autonome.
En réalité, la tendance à l’explosion des dépenses d’armements est mondiale, stimulée par une avancée tous azimuts du militarisme. Chaque État est ainsi poussé à renforcer sa puissance militaire. Cela exprime fondamentalement la pression de l’instabilité croissante des rapports impérialistes dans le monde.
Tatlin, 14 janvier 2025
1) « Rapport de la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France », reproduit dans la Revue internationale n° 59 (1989).
2) « Où en est la crise ? Crise économique et militarisme », Revue internationale n° 65 (1991).
Dans un article précédent, 1 nous avons dénoncé les récentes inondations catastrophiques de Valence (en Espagne) et avons souligné l’incompétence crasse de la bourgeoisie à la fois pour prévenir et pour réagir efficacement face à une catastrophe qu’elle nous présente comme le résultat de « l’imprévisibilité de la nature » et de « l’impact d’une mauvaise gestion ». Les chiffres sont absolument effrayants : plus de 200 morts, plus de 850 000 personnes directement affectées, des dizaines de milliers de maisons et de véhicules endommagés, l’effondrement des transports, des pôles d’entreprise et d’enseignement, des conséquences psychologiques traumatisantes pour les habitants…
En 2021, nous avions assisté à un phénomène similaire en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe centrale, avec plus de 240 morts, des milliers de blessés et des milliards d’euros de dégâts matériels. L’ampleur de ces deux catastrophes a suscité le désespoir et la colère de personnes indignées.
Déjà en Allemagne, les médias soulignaient le manque de préparation des autorités face au changement climatique : « Les inondations mortelles révèlent les lacunes de la préparation aux catastrophes en Allemagne » ; « Alors que de fortes pluies étaient attendues, de nombreux habitants n’ont pas été prévenus » ; « Les inondations mortelles en Allemagne étaient jusqu’à neuf fois plus probables en raison du changement climatique, et le risque continuera d’augmenter » (CNN). Mais, au-delà des constats résignés de la bourgeoisie, de la recherche de coupables, de l’illusion d’une reconstruction « solidaire » et des promesses solennelles des gouvernements de s’impliquer dans la lutte contre le changement climatique, il faut identifier les causes et les conséquences profondes de ces catastrophes, celles qui se cachent derrière l’horreur des images et l’incurie des autorités.
Ces terribles inondations ne sont pas qu’une simple anecdote dans la succession des catastrophes au cours de l’histoire de l’humanité. Dès les années 1980, une tendance se dessine à l’accumulation de toute une série de catastrophes naturelles et des désastres de différents types dans la vie quotidienne des pays centraux du capitalisme : les accidents d’usines Seveso, les catastrophes nucléaires de Three Mile Island et de Tchernobyl, les effets meurtriers des canicules, la résurgence des épidémies, etc. Le système capitaliste avait réussi jusqu’alors à limiter la prolifération de ces phénomènes aux pays périphériques, mais, tout en continuant à s’y multiplier, elles tendaient aussi à s’étendre à l’ensemble de la planète, affectant directement, comme un boomerang, les grandes métropoles au cœur du système.
À la fin des années 1980, après des années de pourrissement du capitalisme en déclin, la situation historique a débouché sur une impasse : face au resurgissement de la crise économique, la bourgeoisie n’a pu concrétiser sa « solution », celle de la mobilisation en vue d’une nouvelle guerre mondiale apocalyptique, du fait même du développement de luttes ouvrières. Le prolétariat, de son côté, s’est mobilisé dans une série de luttes ouvertes importantes à partir de la fin des années 1960, mais n’est pas parvenu à avancer vers une politisation de son combat et des confrontations décisives avec la bourgeoisie. La conséquence de cette impasse dans le rapport de force entre les deux classes antagoniques a été une intensification du processus de putréfaction de la société, notamment illustrée par l’effondrement du bloc capitaliste de l’Est et l’entrée dans un Nouveau Désordre Mondial, 2 une terrible dynamique, apparemment moins directe, mais finalement tout aussi destructrice que la guerre mondiale elle-même !
L’ampleur de la décomposition est parfaitement illustrée, sur un plan strictement écologique, 3 par des manifestations allant de l’expansion de mégalopoles asphyxiantes ou de pollutions de tout genre jusqu’à des phénomènes planétaires comme le changement climatique et l’effet de serre, eux-mêmes exacerbés par la multiplication des effets interconnectés des ravages des guerres et de la crise économique. La bourgeoisie est de plus en plus incapable de dissimuler son impuissance face à la perspective des catastrophes en chaîne à venir.
Alors que le système capitaliste exploite la technologie et les ressources les plus avancées pour s’armer jusqu’aux dents, pour mettre en place des communications transatlantiques instantanées et pour mener les recherches scientifiques et techniques les plus complexes, dans le même temps, il subit l’approfondissement de ses contradictions internes et se trouve dès lors de moins en moins capable de reporter les pires conséquences de celles-ci vers le futur et ne peut empêcher que les effets de décennies de déclin se retournent contre lui.
L’Oxford Environmental Change Institute souligne, à propos des inondations de 2021, que « cela montre à quel point même les pays développés ne sont pas à l’abri de l’impact de conditions météorologiques extrêmes qui, nous le savons, vont s’aggraver avec le changement climatique ». Les phénomènes extrêmes vont devenir de plus en plus fréquents, comme en témoigne la récente succession de sécheresses et d’inondations extrêmes en Méditerranée. À la suite de l’année 2021, une série d’enquêtes scientifiques avaient été commanditées pour tenter soi-disant de prévenir ce type de catastrophes inattendues et l’Agence européenne pour l’environnement avait posé la question : « inondations en 2021, l’Europe tiendra-t-elle compte des avertissements ? » La réponse est clairement non, comme nous l’avons vu à Valence. En réalité, le capitalisme se révèle de plus en plus incapable de répondre aux recommandations scientifiques concernant l’avenir de l’humanité et de la planète.
Tout au contraire, on observe même une tendance à l’abandon de la population par l’État, pas seulement due au manque de préparation, au chaos ou à la détérioration des systèmes d’alerte, mais fondamentalement au manque de moyens et à la manière dont la bourgeoisie esquive le problème, en se refilant la patate chaude des responsabilités entre ses différentes factions régionales ou centrales. Déjà en Allemagne en 2021, la critique était que « les communautés devraient décider comment réagir. Dans le système politique allemand, les États régionaux sont responsables des efforts d’urgence » (BBC News). En Espagne, nous avons assisté à un spectacle similaire, voire pire. Face à cette tendance croissante à l’abandon « ce qui a redonné espoir, c’est l’arrivée de volontaires de toute l’Allemagne sur les lieux de la tragédie, déblayant la boue, parlant aux personnes touchées… et les dons ont atteint des niveaux records » (DW News). De même, la catastrophe en Espagne a généré un élan de solidarité populaire similaire, reflet de la nature sociale de l’être humain. Mais, ce type d’impulsion sociale représente-t-il un espoir pour l’avenir, constitue-t-il la base de la lutte pour une société qui vaincra le capitalisme ?
Avant d’approfondir cette question, il faut constater que, au-delà de la banalisation de ces catastrophes, de leur normalisation, l’idée de « la nécessité de s’adapter aux changements inéluctables » est de plus en plus propagée, de façon à inculquer qu’il est impossible d’anticiper et donc qu’il faudra « faire avec » en espérant circonscrire les effets les plus destructeurs, stimulant ainsi fatalisme et désespoir, le chacun pour soi et la débrouille individuelle face à un système qui se déclare inapte à inverser la tendance. De fait, les sommets mondiaux sur le climat passent du stade d’engagements totalement creux à l’imposture ouverte !
La dernière COP 29, marquée par l’absence d’une grande partie des dirigeants mondiaux, a donné des résultats qualifiés de décevants dans la presse bourgeoise elle-même : « accord honteux » (Greenpeace) ; « une perte de temps totale » (EuroNews). Pour le magazine Nature, les fonds alloués ne convaincront personne et l’accord n’anticipe même pas l’impact du prochain « scénario Trump » ; 4 des chercheurs de Cambridge présents à la COP confiaient : « Je n’ai parlé à aucun scientifique qui pensait que la limite de 1,5 °C était encore réalisable avec les moyens actuels ».
En Espagne, la réaction spontanée de la population face à la catastrophe a donné naissance à une vague de volontaires et à un élan de générosité pour aider les sinistrés et, face à l’inaction et à l’incompétence de l’État, cela a même généré des slogans tels que « seul le peuple peut sauver le peuple ».
Cette réaction a été exploitée de manière éhontée par différentes factions de la bourgeoisie, de son extrême droite à son extrême gauche, dans une lutte de charognards. Les groupes d’extrême gauche se sont partagés le travail avec les partis de gauche en réorientant de façon subtile la réflexion des travailleurs vers un terrain bourgeois.
Ils ne présentent jamais une analyse sérieuse de l’évolution et de la nature du capitalisme, mais proposent aux travailleurs toutes sortes de fausses alternatives axées sur une « gestion populaire » du système capitaliste. Des groupes comme Izquierda revolucionaria en Espagne, la branche allemande du CIO, ou le WSWS, 5 crachent apparemment du feu contre « l’irresponsabilité et l’inaction criminelle des politiques et autorités » et nous disent d’abord que « le capitalisme est responsable » pour cracher ensuite leur venin mystificateur en affirmant que « ce n’est pas l’establishment, mais le peuple lui-même qui a organisé la solidarité et l’hospitalité et même une partie de l’hospitalité. Les dons, les gens, les services et les secouristes… une solidarité pleine d’espoir “d’en bas” qui doit être démocratisée et coordonnée efficacement ». Une caricature de l’idéologie selon laquelle la solidarité spontanée face à la catastrophe serait une alternative prolétarienne à l’incurie du capitalisme est défendue, par exemple, par les trotskistes de Voix de gauche (Révolution permanente en France) qui disent qu’elle peut provoquer une sorte de « communisme de catastrophe », où « les gens se libèrent des capitalistes et commencent à reconstruire la société de manière collaborative […] quand je ressens le désespoir climatique, je pense à cette perspective de me joindre à d’autres personnes du monde entier pour lutter contre la catastrophe ».
À Valence, nous avons vu comment toute la solidarité, la colère, l’indignation et le désespoir suscités par la catastrophe ont été canalisés dans des campagnes d’unité nationale comme les rassemblements de deuil commun avec des hommes d’affaires aux portes des entreprises en « soutien à Valence » ou « pour le peuple valencien, fier de sa solidarité ». Les anarchistes qui font normalement appel aux « alternatives de quartier » et à l’autogestion se sont lancés dans l’aventure des « réseaux locaux de solidarité, pour l’auto-organisation et l’autonomisation du peuple ». Et la provocation de l’arrivée des autorités a été accueillie par une pluie de boue et d’insultes.
Cependant, il n’y a eu aucun embryon d’approche de classe, aucune protestation contre la pression exercée sur les travailleurs pour qu’ils continuent à travailler, ou contre la perte de salaires, d’allocations de chômage ou d’aides au logement. Les assemblées ou les discussions pour réfléchir sur les causes profondes de la catastrophe étant inexistantes, les gauchistes et les syndicats n’ont eu aucune peine à canaliser une partie de la colère, tandis qu’une partie des habitants s’est égarée dans la pure désorientation, dans les conflits entre partis bourgeois, voire sur le terrain du populisme contre les élites politiques ineptes, « insensibles aux souffrances du peuple ».
Il ne faut avoir aucune illusion sur l’impact de ces réactions immédiates ! Comme les réflexes de survie sociale consistant à aider les autres ne trouve pas à s’exprimer sur un terrain de classe, ils sont immédiatement mis à profit par la bourgeoisie pour désarmer le prolétariat et l’empêcher de développer sa propre réponse de classe ! Ce type d’indignation, de désespoir et de rage spontanés face à la destruction, expriment fondamentalement l’impuissance, la frustration, le manque de perspective face au pourrissement de la société. Les effets de la décomposition du capitalisme, en eux-mêmes, ne constituent pas une base favorable pour une réaction du prolétariat en tant que classe contre le capitalisme, comme les gauchistes veulent nous le faire croire. À la lutte de classe du prolétariat, ils opposent et substituent le magma informe qu’est le « peuple », condamnant ainsi les travailleurs à se diluer dans la masse dominée et impuissante de « ceux d’en bas ».
L’accélération de la décomposition du capitalisme conduira inévitablement à une multiplication de catastrophes de plus en plus terribles face auxquelles les États se montreront de plus en plus incompétents et indifférents. Mais la bourgeoisie exploitera idéologiquement à la fois les effets de la décomposition de son système et les « réactions de solidarité spontanées » pour encadrer la population derrière la défense de l’État, avec de prétendues purges des corrompus ou des promesses d’amélioration de l’efficacité de sa gestion. Mais l’exploitation de la solidarité humaine par la classe dirigeante (des sacrifices volontaires au travail aux campagnes humanitaires pour crédibiliser le système) n’active nulle flamme d’espoir pour l’avenir. Seule la classe ouvrière, par sa lutte contre les attaques envers ses conditions de vie, et la recherche de leur extension et leur unité, de leur politisation, représente l’espoir de renverser cette société pourrie.
Opero, 12 janvier 2025
1) « Inondations à Valence. Le capitalisme est une catastrophe assurée », publié sur le site web du CCI (2024). Au moment où nous écrivons ces lignes, de gigantesques incendies frappent la région de Los Angeles aux États-Unis : l’incurie et l’incapacité croissante de la bourgeoisie à affronter les catastrophes dont son système est l’origine, se sont une nouvelle fois confirmées.
2) Le « Nouvel Ordre Mondial » est une expression inventée par Bush père lors de l’invasion du Koweït, faisant référence à une nouvelle ère dans laquelle les États-Unis étaient censés assurer l’ordre en tant que gendarme du monde.
3) Voir « Sécheresse en Espagne : Le capitalisme ne peut pas atténuer, il ne peut pas s’adapter, il ne peut que détruire », publié sur le site web du CCI (mars 2024).
4) Le « scénario Trump » : la nouvelle administration Trump compte écarter tout discours sur le changement climatique, en implémentant la politique de « drill baby drill » tout en se retirant de tous les traités internationaux combattant le réchauffement climatique. La réponse de Trump aux incendies catastrophiques de Los Angeles donne le ton : Trump n’a pas imputé la responsabilité de l’assèchement des forêts au changement climatique, mais au refus présumé du gouverneur de Californie de libérer des réserves d’eau dans la région, juste pour protéger ce que le nouveau Président appelle un « poisson sans valeur », l’éperlan.
5) Le soi-disant « Comité pour une Internationale ouvrière » ou le « World Socialist Web Site (Comité international de la Quatrième Internationale) ».
Une nouvelle polémique a vu le jour, il y a quelques mois, entre les deux groupes trotskistes, Révolution permanente (RP), issue du NPA, et Lutte ouvrière (LO), concernant la question palestinienne. Cette dispute centrée avant tout sur ce que chacune de ces organisations considère être la position internationaliste la plus claire face à la barbarie du conflit moyen-oriental, RP reprochant à LO de renvoyer dos à dos l’État d’Israël et le Hamas et de se refuser à « choisir un camp militaire ». Même si ces deux groupes trotskistes prétendent défendre l’internationalisme prolétarien et la perspective révolutionnaire, la réalité est tout autre : en éminents membres de l’extrême gauche du capital, ils se font encore et toujours les défenseurs les plus acharnés du nationalisme palestinien de manière plus ou moins insidieuse, appuyant toujours derrière un verbiage retors un camp impérialiste contre un autre.
Dans les conflits guerriers où la classe ouvrière est embrigadée comme chair à canon et massacrée par milliers, leur démarche est toujours la même : tout cet échange mené dans un prétendu débat de clarification n’est qu’un discours bourgeois où chacun se veut être le « champion » le plus radical de la défense du « peuple » et de la cause nationale palestinienne. Et cela au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », au nom du « droit des oppressés à répondre à l’oppresseur impérialiste », principes considérés comme émancipateurs et tremplins d’une prétendue perspective révolutionnaire : « le fait de renvoyer dos-à-dos le nationalisme des oppresseurs et celui des opprimés est une faute politique. Cela revient à ne pas comprendre que le sentiment national, anti-impérialiste et/ou anticolonial d’un peuple opprimé a un contenu progressiste et libérateur (quand bien même il serait limité) » (RP, septembre 2023).
En dépit de leurs beaux discours et de leurs références falsifiées à Marx ou Lénine et même Trotski, le terrain nationaliste n’a strictement rien de prolétarien et, dans la phase de déclin du système capitaliste, le « contenu progressiste » des aventures guerrières « d’un peuple opprimé » s’est toujours avéré en pratique réactionnaire et barbare. L’entretien d’un discours confus et louvoyant n’est autre que la contribution de ces organisations, sous toutes leurs formes plus ou moins radicales, à la barbarie guerrière elle-même, l’appel à choisir un camp impérialiste contre un autre !
Cette dispute est introduite par RP critiquant LO pour sa « position bordiguiste » considérée comme le fait d’avoir une position politique invariante, incapable d’analyser l’évolution réelle de rapports de force impérialistes : les positions seraient « justes » de manière générale mais « ne tiendraient pas compte de la situation du moment ». RP défend l’idée qu’il y a des principes internationalistes, certes, mais à géométrie variable, ceux-ci devant être défendus dans le cadre d’un « principe de réalité », d’une politique de moindre mal, adaptée aux circonstances !
Cette référence au bordiguisme 1 n’est toutefois pas anodine. Elle cherche à dénigrer la tradition historique internationaliste du mouvement ouvrier qui n’a pas trahi le prolétariat durant la Guerre civile en Espagne ni durant la Guerre mondiale. Cela, contrairement aux trotskistes qui se sont vautrés dans l’antifascisme et ont sombré dans le soutien du camp impérialiste Allié derrière l’État stalinien. L’objectif de cette dispute est clairement empoisonné ! Elle n’est qu’une tromperie destinée à travestir la véritable défense des principes internationalistes par les groupes existants de la Gauche communiste, comme le courant bordiguiste ou le CCI.
Quelles que soient les critiques, même importantes, que le CCI peut adresser au courant bordiguiste et aux groupes qui le composent, ce courant est demeuré dans le camp du prolétariat et celui de Gauche communiste depuis qu’il a dénoncé le caractère impérialiste de la Seconde Guerre mondiale, refusant de choisir entre la barbarie du camp antifasciste et celle de l’Axe.
RP et LO mettent en vitrine de grandes déclarations internationalistes : « les organisations révolutionnaires cherchent à analyser dans les conflits quels sont les camps en présence et où se situent, en dernière instance, les intérêts du prolétariat international dans tel ou tel affrontement armé. Quel dénouement peut-être le plus favorable ou, à l’inverse, opposé, à l’horizon révolutionnaire ? » (RP, novembre 2024). Mais leur fonds de commerce nationaliste n’est jamais loin. Pour Révolution permanente : « Prendre parti pour un camp politique sans se positionner en faveur d’un camp militaire revient à se cacher derrière son petit doigt ». « Dans le cas d’un conflit mettant aux prises un belligérant impérialiste […] et des peuples colonisés ou des pays semi-coloniaux, […] sous le joug de l’impérialisme, les révolutionnaires se situent dans le “camp militaire” de ces derniers ». « Qu’on le veuille ou non, le Hamas n’est pas Daesh et il s’agit, sur le plan militaire, de la principale organisation de la résistance nationale palestinienne à l’État d’Israël »…
C’est au nom de la perspective révolutionnaire que ces sergent-recruteurs ont le culot de défendre une politique de massacreurs la plus éhontée : « Cette fuite en avant guerrière, toujours plus destructrice, pourrait ouvrir une brèche pour l’entrée en scène des masses populaires de la région, sur un terrain social, politique et militaire, en fonction des différents théâtres et pourrait changer la dynamique du conflit […]. Une victoire ou une avancée du camp palestinien pourrait ouvrir la voie à un processus révolutionnaire dans la région ».
Une telle outrance guerrière et nationaliste amène LO à prendre un peu plus de distance quant à leur propre défense de la cause palestinienne, en critiquant l’ « abandon de l’internationalisme » par RP. Mais rien n’y fait : la logique nationaliste sue par tous ses pores. Ce que ne manque d’ailleurs pas de lui rappeler RP qui estime, avec regrets, que lors de la guerre de 1973, LO avait choisi clairement un camp. Il est vrai que le radicalisme apparent et contrefait de LO à propos du conflit israélo-palestinien n’est que de la poudre aux yeux tant, à d’autres occasions, LO n’a jamais hésité à défendre des positions ouvertement nationalistes (Cambodge, Vietnam, Cuba, Irak…).
C’est alors un réflexe au quart de tour pour LO de nous resservir son discours visqueux après avoir cultivé à merveille les ambiguïtés : « En tant que communistes révolutionnaires, nous sommes solidaires des Palestiniens, des Libanais et de tous les peuples victimes de la violence de l’impérialisme et de l’État israélien qui lui sert de bras armé au Moyen-Orient. Dans la guerre qu’il mène, nous souhaitons la défaite militaire de l’État israélien » (LO, septembre 2024). Voilà donc les choses remises à leur place ! Quelle que soit la plus ou moins grande radicalité des discours de Lutte ouvrière ou de Révolution permanente, leur internationalisme est un bluff, une tromperie authentiquement bourgeoise !
Mais loin de nous amener à nous moquer de cette esbroufe, de ces discours parfois tortueux pour justifier l’injustifiable, nous persistons à penser qu’ils représentent surtout un piège important pour la politisation de ceux qui cherchent à comprendre ce que représentent vraiment les guerres dans le chaos impérialiste d’aujourd’hui et comment s’y opposer. Pour les trotskistes, c’est clair : d’une manière ou d’une autre, il faut y prendre part et choisir un camp : « Nous avons donc bien choisi un camp, mais qui est d’abord un camp politique : nous sommes inconditionnellement solidaires du peuple palestinien face à l’oppression qu’il subit » (LO, septembre 2024).
C’est tout le sens de leur intervention pour répondre et pourrir la réflexion dans la classe ouvrière autour des massacres du Hamas et de Tsahal. RP et LO se sont finalement partagé la sale besogne : alors que RP patauge dans un soutien « critique » aux barbares du Hamas, LO assume un soutien plus sournois en disant « arborer le drapeau rouge, celui de la classe ouvrière internationale et non le drapeau national palestinien, à l’inverse de RP ». Unanimement, ces deux organisations regrettaient que les manifestations pro-palestiniennes « n’ont entraîné qu’une fraction très minoritaire de la jeunesse, en particulier en France où elles n’ont jamais atteint un niveau de mobilisation comparable à celui des États-Unis ». (LO, septembre 2024)
Ces mobilisations sont un piège visant à exploiter la difficulté de la classe ouvrière et de sa jeune génération à comprendre, derrière les conflits guerriers, la gravité de la situation de décomposition et de chaos du capitalisme. Mais le peu de mobilisation derrière les drapeaux nationalistes palestiniens est aussi le signe que la jeune génération ouvrière des pays centraux, malgré toutes ses confusions, n’est pas prête à s’enrôler sur un terrain va-t-en-guerre, refuse l’embrigadement dans des boucheries toujours plus sanglantes et irrationnelles contraires à ses intérêts de classe. Au grand dam du trotskisme…
Stopio, 5 janvier 2025
1) Comble du mensonge, cette référence au bordiguisme passe par la référence à Lotta comunista, un groupe italien également gauchiste, issu de l'anarchisme et produit d'une dissidence stalinienne, mais qui cherche à se faire passer pour un groupe de la Gauche communiste. Il est d’ailleurs étonnant que la critique de « déviation » bordiguiste que RP adresse à LO soit peu ou prou la même que celle que LO adressait, il y a quelques années… à Lotta comunista ! RP et LO font ici la publicité d’un groupe qui n’est rattaché à la Gauche communiste ni par sa filiation, ni, et surtout, par ses positions politiques. Les positions de Lotta comunista sont en tous points aux antipodes de celles de la Gauche communiste authentique.
Le 16 novembre, le CCI a tenu une réunion publique en ligne sur le thème : « Les implications mondiales des élections américaines ». En plus des militants du CCI, plusieurs dizaines de personnes réparties sur quatre continents et une quinzaine de pays ont participé à cette discussion. Des traductions simultanées en anglais, en espagnol et en français ont permis à tous de suivre ces échanges qui ont duré un peu plus de trois heures.
Évidemment, au regard de la nécessaire révolution à accomplir par toute la classe ouvrière au niveau mondial, ce petit nombre peut paraître insignifiant. Le chemin devant nous est encore long pour que se développent au sein du prolétariat une profonde conscience et une vaste organisation. Ce type de réunion internationale est justement un moyen d’avancer sur ce chemin. Pour l’instant, les minorités révolutionnaires sont encore très réduites : une poignée dans telle ville, un individu dans telle autre.
Se rassembler depuis plusieurs pays pour discuter, élaborer, confronter les arguments et ainsi comprendre au mieux la situation mondiale est un moment précieux pour rompre l’isolement de chacun, nouer des liens, ressentir la nature mondiale du combat révolutionnaire prolétarien. Il s’agit de participer à l’effort de notre classe pour secréter une avant-garde. Ce type de réunion est ainsi un jalon qui présage de la nécessaire organisation des révolutionnaires à l’échelle mondiale. Ce regroupement des forces révolutionnaires est un long processus, qui nécessite un effort conscient et constant. C’est là une des conditions vitales pour préparer l’avenir, pour s’organiser en vue des affrontements révolutionnaires décisifs qui viendront.
Cette forte mobilisation pour notre réunion révèle aussi la préoccupation, voire l’inquiétude, que suscite l’élection de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale.
Tous les intervenants ont souligné, avec le CCI, que la victoire de ce président ouvertement raciste, machiste, haineux, revanchard, prônant une politique économique et guerrière irrationnelle, va accélérer toutes les crises, va aggraver les incertitudes et le chaos. À partir de cette position commune, de nombreuses questions et nuances, des désaccords aussi, ont émergé au fil de la discussion :
Le triomphe de Trump est-il le fruit d’une politique voulue et consciente de la bourgeoisie américaine ? Trump est-il la meilleure carte pour la défense des intérêts de la bourgeoisie américaine ? Ses choix impérialistes vis-à-vis de l’Iran, de l’Ukraine ou de la Chine sont-ils un pas en avant vers la Troisième Guerre mondiale ? Sa politique protectionniste, à coups de hausses des taxes douanières, est-elle une pièce de ce puzzle vers la guerre ? Ses velléités d’attaquer férocement la classe ouvrière, en particulier les fonctionnaires, sont-elles liées aux sacrifices nécessaires pour préparer l’économie nationale à cette guerre ?
Ou, au contraire, comme l’ont affirmé le CCI et d’autres participants, l’arrivée de Trump à la tête de la première puissance mondiale témoigne-t-elle d’une difficulté croissante des bourgeoisies nationales à empêcher ses fractions les plus obscurantistes et irrationnelles à prendre le pouvoir ? La guerre des cliques au sein même de la bourgeoisie, comme la fragmentation de la société entre américains / immigrés, hommes / femmes, noirs / blancs, tout ce que le clan Trump aggrave, ne sont-elles pas un signe de la tendance vers le désordre et le chaos de la société ? La guerre commerciale voulue par Trump, en revenant aux mesures protectionnistes des années 1920 et 1930 qui avaient à l’époque ruiné tous les pays, ne montre-t-elle pas l’irrationalité de sa politique du point de vue même de l’intérêt du capital américain ? Dans le même sens, les incertitudes grandissantes quant à la politique impérialiste de la nouvelle administration américaine ne renforcent-elles pas les tensions guerrières entre tous les pays, poussant encore plus vers les alliances instables et changeantes, vers le chacun pour soi, la politique à courte vue, l’éclatement de guerres n’engendrant rien d’autre que la terre brûlée ?
Pour le CCI, répondre à toutes ces questions implique de se pencher, avec une plus grande profondeur, sur la période historique que nous traversons : la décomposition. Parce qu’au fond, la victoire de Trump n’est pas un élément à prendre en soi, à analyser en soi et dans l’immédiat, elle est le fruit de toute une situation mondiale, d’une dynamique historique, celle qui voit le capitalisme pourrir sur pied. La victoire de Donald Trump aux États-Unis ou de Javier Milei en Argentine, la politique sans avenir d’Israël au Moyen-Orient ou de la Russie en Ukraine, la mainmise des cartels de la drogue sur des pans de plus en plus larges de l’Amérique latine ou des groupes terroristes en Afrique ou des seigneurs de la guerre en Asie centrale, la montée de l’obscurantisme, du complotisme, les explosions de violence de certaines couches de la société… tous ces phénomènes apparemment sans rapport les uns avec les autres sont en réalité l’expression de la même dynamique de fond du capitalisme : la décomposition.
La deuxième partie de la discussion, qui s’est attachée à comprendre au mieux où en est la lutte de classe, s’est inscrite dans la même dynamique. Là aussi, le débat a été ouvert, franc et fraternel, là aussi de très nombreuses questions ont été posées, des nuances et désaccords ont émergé.
La victoire de Trump signifie-t-elle que le prolétariat est vaincu, ou à minima gangréné lui-aussi par le racisme et le populisme ? Au contraire, le rejet du parti démocrate par les ouvriers induit-il une prise de conscience de la réelle nature de ce parti bourgeois ? L’apparence de dictateur de Trump peut-elle favoriser la colère et la réaction de la classe ouvrière ? Au contraire, la campagne poussant à défendre la démocratie va-t-elle être un piège mortel pour le prolétariat ? L’aggravation des conditions de vie et de travail, menée de façon extrêmement brutale par Trump, Musk et leur bande, va-t-elle pousser à la lutte ? Au contraire, ces sacrifices vont-ils renforcer la recherche de boucs émissaires, comme l’étranger, l’illégal ?
Toutes ces interrogations, contradictoires, ne sont pas étonnantes. La situation est extrêmement complexe, difficile à appréhender dans sa globalité et sa cohérence. L’actualité est jalonnée d’événements opposés : ici une grève ouvrière, ici une émeute, là-bas un rassemblement populiste…
Et tout comme pour la première partie de la discussion, ce qui manque c’est une boussole, celle de considérer chaque question non pas en soi, séparément les unes des autres, mais dans un ensemble et dans un contexte international et historique.
Il est impossible de penser le monde sans se référer consciemment, volontairement, systématiquement à la dynamique générale et profonde du capitalisme mondial : le système plonge dans la pourriture (avec tous les relents nauséabonds qui s’en dégagent), mais le prolétariat n’est pas vaincu et même, depuis 2022 et l’été de la colère au Royaume-Uni, il relève la tête, retrouve le chemin de la lutte et de son combat historique.
Nous ne pouvons ici développer plus notre réponse, nous y reviendrons, dans notre presse et dans nos prochaines réunions.
Ce débat n’est donc qu’un début. Nous encourageons tous nos lecteurs à venir participer à cet effort, aux débats entre révolutionnaires, au processus collectif de clarification. Ne restez pas isolés ! Le prolétariat a besoin que ses minorités tissent des liens, à l’échelle internationale, qu’elles s’organisent, qu’elles débattent, confrontent les positions, échangent les arguments, comprennent le plus profondément possible l’évolution du monde.
Le CCI vous invite ainsi chaleureusement à venir participer à ses différentes réunions : les réunions publiques en ligne et internationales, les réunions publiques physiques dans plusieurs villes, les permanences. Tous ces moments pour se rencontrer et débattre sont annoncés régulièrement sur notre site web.
Au-delà de ces réunions, nous vous encourageons aussi à nous écrire, pour réagir à un article, poser des questions ou affirmer un désaccord. Les colonnes de notre presse sont ouvertes, elles appartiennent à la classe. Vos propositions de textes sont les bienvenues.
Le débat est une absolue nécessité. Nous sommes loin les uns des autres, isolés, souvent à contre-courant des idées qui se développent autour de nous. Se regrouper, à l’échelle internationale, est un enjeu vital pour préparer l’avenir.
Toutes les minorités révolutionnaires ont cette responsabilité.
CCI, novembre 2024
Le 23 novembre, la Tendance communiste internationale (TCI) a tenu une réunion publique à Paris sur le thème : « Face à la montée des guerres et confrontations nationalistes, la seule perspective est la lutte de classe internationaliste ». Ont participé à cette réunion, en plus évidemment de la TCI, des militants du Parti communiste international-Le Prolétaire (PCI), du Courant communiste international (CCI), un représentant du Groupe international de la Gauche communiste (GIGC), et plusieurs sympathisants de ces différentes organisations. La TCI publiera certainement sur son site un bilan de cette réunion. 1
Nous n’avons pas ici la prétention d’être exhaustifs, nous voulons simplement souligner les points cruciaux qui, pour nous, sont ressortis de cette discussion.
La présence d’une assistance relativement large lors de cette réunion publique, caractérisée en partie par sa jeunesse, est un fait très significatif de la dynamique actuelle de notre classe. « L’été de la colère » en 2022 au Royaume-Uni, cette série de grèves qui a touché presque tous les secteurs durant plusieurs mois, a été le signe que le prolétariat reprenait le chemin de la lutte après plus de vingt ans d’atonie. Face aux coups de boutoir de la crise économique, face aux attaques incessantes du capital et de ses gouvernements, les ouvriers sont à nouveau prêts à entrer en grève, à manifester, à lutter.
Cette dynamique est aussi marquée par un processus global invisible : l’effort considérable de réflexion qu’est en train de produire notre classe. Face à l’impasse du système, tout un questionnement germe dans les têtes ouvrières. C’est ainsi qu’apparaissent aux quatre coins du globe des minorités qui recherchent les positions révolutionnaires, qui viennent à la rencontre des groupes du camp prolétarien, ceux qui défendent l’autonomie de la classe et l’internationalisme. Au-delà de la participation plus forte aux réunions des organisations de la Gauche communiste, il y a d’autres nombreux signes comme l’émergence de conférences autour de l’internationalisme (à Arezzo, Prague, Bruxelles…).
Mais le plus significatif est sûrement l’attitude de la bourgeoisie elle-même. Soucieuse d’encadrer cette réflexion et de la diriger dans des impasses, son extrême gauche radicalise de plus en plus son langage, n’hésitant plus à mettre en avant la nécessité de la révolution, ses syndicats affichent de plus en plus combativité et unité en prônant un « syndicalisme de classe ». Il s’agit pour la gauche du capital de jouer son rôle, celui d’attirer à elle les jeunes qui sont de plus en plus nombreux à vouloir lutter.
Il pèse donc sur les épaules de la Gauche communiste une responsabilité historique, celle de transmettre à la nouvelle génération qui émerge lentement, les positions, la méthode, les principes dont elle a elle-même hérité du mouvement ouvrier. Ces leçons acquises de longues luttes depuis deux siècles sont absolument vitales pour l’avenir ; il ne pourra y avoir de révolution prolétarienne internationale victorieuse si elles sont oubliées. La réunion de la TCI qui s’est tenue à Paris doit être évaluée à la lumière de cette exigence qui s’impose à tous les groupes de la Gauche communiste :
1. Débattre pour clarifier. La présentation réalisée par la TCI pour lancer les débats a clairement exposé les points suivants :
– Au XIXe siècle, certaines luttes de libérations nationales pouvaient être soutenues par les révolutionnaires, quand elles permettaient de balayer les dernières entraves féodales et ainsi accélérer le développement du capitalisme. Mais depuis le début du XXe siècle, dans ce système en déclin, ce n’est plus la formation des nations capitalistes qui est à l’ordre du jour, c’est la révolution internationale prolétarienne.
– Le développement actuel du chaos guerrier, en Ukraine, à Gaza, ou ailleurs, est le produit du système capitaliste.
– Face à cette situation, seule la classe ouvrière est en mesure de s’opposer au système qui engendre cette situation toujours plus barbare : le capitalisme.
– Contre les campagnes nationalistes dans lesquelles la bourgeoisie tente de mobiliser la classe ouvrière pour la défense d’un camp contre un autre, les révolutionnaires doivent défendre au sein de la classe, l’internationalisme prolétarien.
Le CCI est intervenu d’emblée pour soutenir les grandes lignes de l’exposé. Nous avons notamment souligné l’effort produit pour adopter une démarche historique afin de comprendre ces différentes questions si cruciales pour le développement de la conscience de classe et l’avenir de la lutte prolétarienne. C’est pour cela, que nous avons jugé nécessaire d’insister sur les profonds changements engendrés par l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence. Comme l’Internationale communiste le proclama dès sa fondation en mars 1919 : l’expérience du carnage de la guerre de 1914 et la vague révolutionnaire internationale qui a suivi prouvaient que le monde était rentré dans « l’ère des guerres et des révolutions » : le capitalisme devenu décadent n’a plus rien à offrir à l’humanité, la seule alternative réside dans sa destruction par la révolution prolétarienne mondiale. La guerre devient dès lors le mode de vie du capitalisme, chaque nation, chaque bourgeoisie, petite ou grande, est impérialiste et contribue à la fièvre guerrière et nationaliste. Dans cette nouvelle configuration, les luttes de libération nationale, l’appel des peuples à disposer d’eux-mêmes, soutenus par les révolutionnaires dans certaines circonstances au cours de la période d’ascendance, deviennent des orientations et mots d’ordre caducs et réactionnaires.
Le PCI a, quant à lui, défendu une tout autre démarche : fidèle à sa théorie de l’invariance, cette idée que le programme a été établi une fois pour toute en 1848 et qu’il n’y a plus rien à ajouter ou à modifier depuis lors, il a soutenu qu’aujourd’hui encore les luttes de libérations nationales étaient possibles. Cohérents avec cette approche, le PCI et son sympathisant ont donc défendu la légitimité de la lutte du « peuple palestinien » contre « l’oppression israélienne » (sans évidemment à aucun moment soutenir le Hamas ou une quelconque fraction bourgeoise locale). Le sympathisant du PCI a même affirmé que, pour lui, ne pas soutenir le peuple palestinien alors que celui-ci est massacré, torturé, qu’il subit la barbarie la plus effroyable, est une forme d’indifférentisme vis-à-vis de toutes ses souffrances.
En réponse, plusieurs interventions ont essayé de démontrer que les luttes de libération nationale sont un piège consistant à enchaîner une partie de la classe ouvrière à la domination de sa propre bourgeoisie. Face à cela, nous devons brandir le mot d’ordre déjà contenu dans le Manifeste du Parti communiste : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! »
Si, durant cette première partie du débat, la TCI et le CCI ont défendu ensemble la même position politique générale, deux nuances sont aussi apparues :
– Contrairement au CCI, jamais les militants de la TCI n’ont prononcé les mots « ascendance » et « décadence » pour définir les deux grandes phases de vie du capitalisme. Or, selon nous, ces termes reflètent la vision la plus juste et la plus précise de l’évolution profonde et historique du système.
– La TCI a dit reconnaître l’existence de nations opprimées et de nations qui oppriment, ce qui, pour le CCI, est une erreur car elle entretient l’ambiguïté quand il s’agit de défendre fermement que toutes les nations, petites ou grandes, bien ou mal armées, sont impérialistes.
La seconde partie de la discussion était consacrée aux enjeux historiques qui se présentent aujourd’hui : la guerre et la lutte de classe.
Dans de nombreuses interventions, notamment celles de la TCI et du PCI, la vision défendue a été celle d’un cours vers la Troisième Guerre mondiale (ou vers la « généralisation de la guerre ». Nous avouons n’avoir pas forcément bien saisi s’il y avait pour eux une différence entre ces deux termes). Il y a dans cette position une évaluation pessimiste de l’état de la classe ouvrière et de ses luttes.
Le CCI a alors développé une autre évaluation de la situation : le capitalisme ne se dirige pas, dans un avenir prévisible, vers une Troisième Guerre mondiale mais est en train de s’enfoncer dans la décomposition. Concrètement, cela signifie une multiplication des conflits guerriers (comme en Ukraine, Palestine, Syrie, etc.), une désagrégation du tissu social (atomisation, montée des violences, du racisme et du repli identitaire, gangrène de la drogue et du trafic, etc.), une érosion de la pensée cohérente et rationnelle… Il ne s’agit pas là d’un danger moins grand que l’éventualité d’une guerre mondiale, ces deux chemins mènent à la disparition de la civilisation humaine. Par contre, cette dernière approche permet de comprendre la réalité qui se développe sous nos yeux dans toute sa complexité et son chaos, de relier entre eux des phénomènes qui peuvent apparaitre indépendants les uns des autres, ou même contradictoires.
Quant à la lutte de classe, pour le CCI, le prolétariat n’est aujourd’hui pas vaincu. C’est cette force du prolétariat, en particulier en Europe et en Amérique du Nord, qui a empêché durant quarante ans que la guerre froide ne se transforme en Troisième Guerre mondiale. Le prolétariat a même commencé à reprendre aujourd’hui le chemin des luttes et tente de développer plus loin sa réflexion et sa conscience. Nous le disions dès l’introduction : depuis 2022 et la série de grèves nommées « L’été de la colère » au Royaume-Uni, le CCI a mis en avant le retour de la combativité ouvrière. 2
Tous ces désaccords au sein de l’assemblée se sont exprimés dans un climat très chaleureux et ouvert, où tout le monde était soucieux de comprendre et de répondre de façon argumentée aux positions des uns et des autres. Ce moment positif doit servir de repère : les groupes de la Gauche communiste doivent développer beaucoup plus le débat entre eux, la confrontation de leurs positions politiques, la participation aux réunions publiques des uns et des autres. Nos journaux et nos revues aussi doivent participer à ce processus de clarification ; les polémiques publiques entre nos groupes sont très largement insuffisamment nombreuses. S’il y a des articles du PCI et du CCI qui se répondent, effort que nous devons poursuivre et amplifier ensemble, la TCI refuse presque systématiquement ce débat public, nos courriers et nos articles demeurant lettres mortes.
2. S’unir autour des positions fondamentales du camp prolétarien. Un moment de la réunion de la TCI doit attirer tout particulièrement notre attention : alors que les interventions soulignaient toutes sans détour les points de désaccords, quelques jeunes participants sont intervenus pour dire qu’ils ne comprenaient pas vraiment ce qui distinguait les positions des différentes organisations présentes. Ces remarques révèlent un point essentiel : les organisations de la Gauche communiste, aussi importantes que peuvent être leurs divergences, ont en commun une histoire, un héritage, des positions fondamentales.
Le titre de la réunion résumait en lui-même cette unité : « Face à la montée des guerres et confrontations nationalistes, la seule perspective est la lutte de classe internationaliste ». Tous les intervenants lors de ce débat ont ainsi eu à cœur de se dresser contre les guerres impérialistes, de défendre l’internationalisme prolétarien, de réfléchir au développement de la lutte et de la conscience ouvrières.
La dynamique de cette réunion est une nouvelle preuve concrète que les différents groupes de la Gauche communiste ont une double responsabilité : confronter leurs divergences dans un processus collectif vers la clarification et se rassembler pour défendre ensemble, d’une voix plus forte, ce qu’ils ont d’essentiel en commun.
C’est pourquoi, lors de chacune de ses interventions, le CCI a rappelé systématiquement que nous devrions ensemble être capables de défendre d’une seule et même voix la position internationaliste de la Gauche communiste face aux conflits guerriers qui se développent à travers la planète. Nous avons aussi rappelé que cet appel commun pourrait permettre aux nouvelles générations de s’appuyer sur cette expérience comme nous-mêmes nous pouvons nous appuyer sur l’expérience de Zimmerwald. Ce serait un jalon pour l’avenir.
Mais une nouvelle fois, la TCI comme le PCI ont rejeté cet appel commun.
La nouvelle génération aura donc ici un rôle important à jouer, pour pousser les groupes de la Gauche communiste à la fois à polémiquer entre eux et à s’unir sur les points cardinaux qu’ils ont en commun, pour pousser les groupes de la Gauche communiste à être à la hauteur de leur responsabilité historique.
3. Défendre les principes du mouvement ouvrier et la solidarité prolétarienne. Les lecteurs attentifs auront remarqué que nous avons signalé en introduction la participation à cette réunion d’un représentant du GIGC, l’individu Juan, sans jamais rien dire de son rôle dans les débats.
Certainement qu’en apparence, aux yeux des participants, Juan a eu une attitude fraternelle vis-à-vis de l’assemblée, qu’il a participé au débat de manière claire et dynamique, qu’il a fait de très bonnes interventions permettant à la réflexion collective d’avancer.
Il est tout à fait vrai que Juan a été éloquent, que ses interventions étaient même brillantes, qu’il a toujours affiché sourire et bonne humeur. Il a ainsi défendu dans la première partie du débat les mêmes positions que le CCI sur le piège des luttes de libérations nationales en période de décadence et donc contre l’invariance du PCI. Dans la deuxième partie, il a repris les positions de la TCI pour dire que la Troisième Guerre mondiale approche. Surtout, il a souligné avec insistance son accord avec le combat que mène le CCI afin que les groupes de la Gauche communiste produisent un appel commun pour défendre l’internationalisme, affirmant qu’il était prêt à le signer.
Mais les apparences sont souvent trompeuses. Nous devons donc ici rappeler quelques faits pour démasquer le niveau d’hypocrisie et de manœuvre de cet individu : Juan a frappé dans la rue un de nos camarades, obligeant celui-ci à aller à l’hôpital à cause de ses tuméfactions au visage. Un de ses acolytes, en la présence de Juan, a menacé un autre militant du CCI de lui trancher la gorge (sachant que ce Monsieur a effectivement toujours un couteau dans la poche). Lors d’une fête de Lutte ouvrière où nous intervenions, Juan s’est mis à rire d’un camarade parce qu’il savait que celui-ci venait de frôler la mort à cause d’une crise cardiaque, se réjouissant de son malheur. Voilà pour la réalité de la fraternité quand les témoins manquent !
Évidemment, le soutien affiché lors de cette réunion aux positions du CCI souffre de la même duplicité. Il suffit de lire les articles du GIGC pour constater que la colonne vertébrale de ce groupe est sa haine pour notre organisation. Dès son texte de fondation, le GIGC lance « le Courant communiste international se délite sous nos yeux tant au plan théorique, politique qu’organisationnel, liquidant sa presse régulière, abandonnant ses réunions publiques, après avoir abandonné la plus grande partie de ses principes ». Ses bulletins sont parsemés de ragots contre le CCI. Par exemple, sous son ancien nom de FICCI, il disait déjà en 2014 dans un article titré « Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI ! » : « Le CCI vit à nouveau – selon des documents internes récents – une nouvelle crise interne […]. Les énergies militantes gaspillées en introspections psychologiques et autocritiques couvrent des dizaines de pages de bulletins alors même que les sections de cette organisation diminuent la fréquence de leurs publications – lorsqu’elles ne l’arrêtent pas tout simplement – ou encore décident de ne plus tenir de réunions publiques et d’assurer l’intervention dans la rue et les luttes. S’il ne s’agissait pas d’une entreprise délibérée de destruction d’une organisation devenue une véritable secte et qui s’attaque sur tous les plans à la Gauche communiste, […] nous ne serions pas intervenus publiquement sur cette affaire non encore révélée par l’organisation en crise. Mais là, il y a urgence ! […] Pour nous, il est clair qu’il y a une volonté et une entreprise consciente de destruction des militants du CCI, de leur conviction communiste et de leur engagement communiste, qui a été initiée, c’est vrai, depuis une bonne vingtaine d’années maintenant. Certainement passe-t-elle, à l’occasion de cette crise, une dernière étape ». Nous sommes aujourd’hui fin 2024, dix ans après cette oraison funèbre quelque peu prématurée. 3
Mais attardons-nous quelques instants sur certains mots : « selon des documents internes récents » ; « nous ne serions pas intervenus publiquement sur cette affaire non encore révélée par l’organisation en crise »… Nous touchons là l’essence profonde du GIGC, la réelle nature de Juan, quand le masque est retiré : le mouchardage ! Depuis sa naissance, ce groupe (qu’il se nomme GIGC ou FICCI), n’a de cesse de publier sur internet des informations qui touchent à la vie interne et à la sécurité du CCI et de ses militants : citations de bulletins internes, délation des vraies initiales des militants, révélation de qui écrit tel ou tel article, 4 dates de nos réunions internes… 5 Tout y passe ! 6
Quant à la déclaration de Juan concernant son accord avec un ensemble de positions politiques du CCI, il s’agit d’un leurre destiné à duper les participants à la réunion publique de la TCI et dont témoignent les nombreux textes qu’il a écrits déformant nos positions pour pouvoir les calomnier. 7
Lors de la réunion de la TCI, nous avons rappelé très brièvement qui est réellement Juan en disant : « Nous ne débattons pas avec les mouchards ». La réaction de Juan a alors été de tourner en dérision notre accusation, en en rajoutant : « Oui, c’est moi le mouchard, le flic ! », ce qui a fait rire l’assistance. L’arme de la dérision est efficace et maligne, elle détourne et distrait, mais elle est aussi l’aveu que Juan ne peut contredire notre accusation, car il sait que toutes les preuves sont accessibles, tous ses actes de mouchardages sont sur Internet.
À tous ceux qui considèrent que le comportement prolétarien est une question cruciale, que les révolutionnaires ne peuvent pas accepter le vol, le chantage, le mensonge et la manipulation, les menaces de mort et le mouchardage, nous leur conseillons de ne pas se laisser berner par le sens de la dérision de Juan, ni par ses flagorneries adressées au CCI lors de cette réunion. La réalité de sa politique, de ses agissements, de sa haine anti-CCI, de son mouchardage, vous la trouverez étalée à longueur de colonnes sur son propre site. Les révolutionnaires ont toujours traité de façon extrêmement sérieuse et intransigeante ces combats pour les principes, pour la défense des organisations révolutionnaires, à commencer par Marx 8 contre Bakounine ou contre Vogt.
C’est pourquoi nous regrettons que les autres organisations soient restées silencieuses sur cette question quand Juan l’a tournée en ridicule, comme nous regrettons que la TCI continue à accepter dans ses réunions un individu porteur de tels comportements destructeurs. Cette tolérance tourne le dos à toute la tradition du mouvement ouvrier et salit la Gauche communiste. Elle est aussi un manquement à la plus élémentaire solidarité que se doivent les révolutionnaires.
Cette acceptation du mouchardage est une faiblesse terrible, mais elle ne doit pas effacer l’aspect positif de cette réunion tenue par la TCI : la confirmation de l’apparition d’une nouvelle génération en recherche des positions révolutionnaires et une confrontation nécessaire des positions de trois organisations de la Gauche communiste !
Il reste justement à nos organisations d’être à la hauteur de leurs responsabilités, de ce que nous devons transmettre à la nouvelle génération, pour l’avenir de la révolution, y compris sur le plan des principes prolétariens.
Nous finirons ce bilan comme nous avons fini la réunion de la TCI : en saluant la TCI et tous les participants pour la tenue de ce débat, et en invitant la TCI, le PCI ainsi que tous les présents à venir participer à nos prochaines réunions publiques.
Pawel, 9 décembre 2024
1) Au moment de la mise en ligne de cet article, la TCI a publié sur son site web son bilan de la réunion : « Bilan de la réunion publique du 23/11/24 ». Nous invitons nos lecteurs à en prendre connaissance.
2) Cf. « Après la rupture dans la lutte de classe, la nécessité de la politisation des luttes », Revue internationale n° 171 (2023).
3) Nous avions à l’époque répondu avec humour à cette attaque dans notre article : « Conférence internationale extraordinaire du CCI : la “nouvelle” de notre disparition est grandement exagérée ! », Revue internationale n° 153 (2014).
4) « Ce texte est de la main de CG, alias Peter, ce que prouve le style et surtout la référence », Bulletin de la FICCI n° 14.
5) Y compris des dates de nos réunions au Mexique, pays où nos camarades sont menacés de mort !
6) Pour connaître la liste (non exhaustive des méfaits dont se rend régulièrement coupables le GIGC, lire notre article : « Attaquer le CCI : la raison d’être du GIGC », publié sur notre site web (2023).
7) Cf. les articles suivants : « Le parasitisme politique n’est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression » et « Le GIGC tente de discréditer la plateforme du CCI ».
8) En voyant Juan sourire et être fraternel, certains peuvent douter qu’une telle duplicité existe. Alors rappelons simplement ces mots de Marx et d’Engels quand, dans La Sainte Famille, ils décrivent justement sous quels traits se présente en général un mouchard : « De son métier, le Chourineur était boucher. […] Rodolphe le prend sous sa protection. Suivons la nouvelle éducation du Chourineur, guidée par Rodolphe. […] Pour commencer, le Chourineur reçoit des leçons d’hypocrisie, de perfidie, de trahison et de dissimulation, […] c’est-à-dire qu’il en fait un mouchard […]. Il lui conseille d’avoir l’air […]. Le Chourineur, en jouant de la camaraderie et en inspirant confiance, mène son ancien compagnon à sa perte ».
Les États concurrents et leurs dirigeants, qu’ils soient présentés comme « autoritaires » ou « démocrates », cherchent partout à imposer des « sacrifices » aux prolétaires au nom de « l’indispensable économie de guerre ».
Que ce soit la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jinping, les États-Unis de Trump ou l’Union européenne de Von der Layen, « l’heure est au réarmement » ! Le nouveau Chancelier allemand l’affirme : « il faut désormais appliquer à notre défense la règle suivante : quoi qu’il en coûte ! » Le Président Macron veut quant à lui « renforcer nos armées le plus rapidement possible » tout comme le Premier ministre britannique Keir Starmer qui annonce des dépenses militaires « inédites depuis la fin de la guerre froide ».
Pour imposer ces dépenses colossales, en pleine crise économique et financière, sur fond de déficits publics faramineux, la stratégie la plus efficace reste la manipulation par la peur : « Qui peut croire que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ? » (Macron). Ne faut-il pas à tout prix « dissuader des tyrans comme Vladimir Poutine ? » (Starmer).
En réalité, dans ce capitalisme obsolète, tous les États sont impérialistes, petits ou grands, agresseurs comme agressés, tous ne défendent que les froids intérêts du capital national. Tous sont des gangsters, des monstres cupides croupissant dans un panier de crabes qui, lorsqu’ils ne se vautrent pas déjà dans le sang de civils qu’ils répandent sans vergogne, se préparent aux futures boucheries qu’ils auront froidement décidées. Et comme toujours, ces va-t-en-guerre prennent des précautions d’usage pour justifier cyniquement la monstruosité de leurs entreprises barbares, toujours au nom de la « paix » et de « valeurs » ! Poutine ne combat-il pas lui-même des « nazis » ? Le ministre français de l’économie, Eric Lombard, ne défend-il pas une « économie de paix » démocratique pour acheter ses instruments de mort ?
Partout, la classe ouvrière est soumise à cette intense propagande, au rouleau compresseur médiatique qui tente de persuader par des discours nauséabonds que les dépenses militaires seraient « nécessaires » et que la production d’armes doit « inévitablement augmenter ». Cela, pour des raisons présentées partout comme « morales » ! Fleurissent alors des sondages destinés à jauger, manipuler, alimenter les mêmes discours cherchant à persuader qu’il faut « défendre la souveraineté de sa patrie » !
Mais prétendre que la guerre et la militarisation de la société sont un « mal nécessaire », quelque chose qui tomberait sous le sens, contre lesquels on ne pourrait rien au risque de plus grands massacres encore, est un odieux mensonge. La militarisation et la guerre sont toujours les fruits des décisions barbares de la classe dominante et l’expression même de l’impasse dans laquelle s’enfonce de plus en plus le système capitaliste en décomposition. Les guerres mondiales hier, comme les massacres abominables dans la bande de Gaza ou en Ukraine aujourd’hui, sont les produits non pas de la « folie » de tel ou tel dirigeant, mais l’expression de l’impasse historique dans laquelle se trouve le système capitaliste, de son incapacité à proposer autre chose que d’entraîner la classe ouvrière et l’humanité entière dans des destructions toujours plus vastes, apocalyptiques. Ce qui se cache derrière tous les beaux discours de « paix », ce n’est ni plus ni moins que la transformation de zones de plus en plus étendues en champs de ruines, en nouvelles Ukraine, Syrie ou Palestine ! 1
Toute cette agitation belliqueuse alimente à son tour la même course aux armements et partout les dirigeants demandent à la classe ouvrière d’en payer la facture. Les budgets militaires prévus en Europe dépassent déjà les 2 % du PIB en vigueur. Le plan européen « ReArm Europe » envisage de débloquer 800 milliards d’euros pour l’achat d’armes de guerre. L’Allemagne prévoit à elle seule d’engager 1 000 milliards d’euros pour sa défense. La loi de programmation militaire 2024-2030 en France prévoit une somme de 413 milliards !
Tout cela, les exploités commencent à le ressentir en termes d’attaques contre leurs conditions de vie. En nous martelant qu’on ne peut plus compter sur les « dividendes de la paix », la bourgeoisie prépare le terrain pour faire accepter des sacrifices au service des meurtres de masse. Soufflant le chaud et le froid, enrobant les discours ou prônant un langage de « vérité », les perspectives sont celles d’attaques massives sur le plan social, de la santé, des retraites, de l’éducation… Pour le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, « cela ne peut pas attendre […]. Les pays investissent jusqu’à un quart de leur PIB dans les pensions, les systèmes de santé ou la sécurité sociale. Nous avons besoin d’une petite fraction de cet argent pour renforcer notre défense ». Ce qu’il se garde bien de dire, c’est que cette « petite fraction », prélevée sur des systèmes déjà exsangues, ne peut que paupériser davantage des millions de personnes. Il s’agit d’un cynique euphémisme qui signifie en réalité des coupes claires à la hache dans les budgets sociaux, de la sécurité sociale, de l’assurance-chômage ou maladie.
Ce qu’on nous présente comme une source de « relocalisation industrielle » pour « promouvoir l’emploi » est également une sinistre tartufferie qui vise à justifier une intensification de la production d’armements qui ne se fera qu’au prix d’une fuite en avant dans la dette, une plongée dans la récession mondiale, mais aussi d’une intensification de l’exploitation et d’une dégradation générale des conditions de vie des prolétaires. Si des entreprises d’armements pourront, certes, en retirer de substantiels bénéfices, l’économie, elle, du point de vue du capital global, sera plombée par un immense gaspillage de ressources et de capitaux stérilisés dans des stocks d’armes improductifs. Ces armes ne pourront au mieux que rouiller, au pire tuer et détruire, généraliser la politique de la terre brûlée ! Bref, cela signifie une dévalorisation fortement accrue du capital qui génère déjà inflation, attaques et misère ouvrière !
Cette situation cauchemardesque ne doit pas être acceptée par la classe ouvrière. Nous ne pouvons, comme classe, que dénoncer tous les préparatifs guerriers et tous les discours visant à mobiliser le prolétariat et la population derrière la « nation » pour une prétendue « paix » et la défense de prétendues « valeurs démocratiques ». La classe ouvrière doit se méfier et combattre notamment ses faux amis, à gauche et à l’extrême gauche, qui multiplient les discours les plus sournois. Ces derniers accumulent ainsi les obstacles à la prise de conscience ouvrière en proposant de fausses alternatives qui sont autant de pièges idéologiques : soit par des mobilisations pacifistes, couvrant ainsi d’un voile la responsabilité du capitalisme, soit en prônant carrément le soutien d’un camp militaire, justifiant le massacre au nom du « moindre mal », ou de « l’anticolonialisme ». 2 Dans les deux cas, ces poisons idéologiques ont pour principes essentiels la division ouvrière et la défense du capital et cela, toujours au nom de la « démocratie » bourgeoise !
Les pièges de la mystification démocratique sont d’autant plus dangereux qu’ils exploitent un réel sentiment de colère en réaction aux diverses attaques, telles les nombreuses manifestations du 5 avril aux États-Unis, canalisées sur une mobilisation anti-Trump ou anti-Musk. Ces mêmes pièges se déploient en s’appuyant sur une série de mouvements populaires de protestation dans bon nombre de pays tels la Turquie, la Serbie ou la Corée du Sud. L’objectif est de pousser les ouvriers vers les urnes ou des partis bourgeois d’opposition en leur faisant croire qu’il serait possible d’organiser la société capitaliste plus humaine et juste, ce qui est un grossier mensonge : le capitalisme ne peut plus être « progressiste », usé jusqu’à l’os, il n’a plus rien à offrir ! Il est bel et bien en faillite et toujours plus destructeur.
Les miasmes de sa décomposition et la fragmentation sociale qu’il engendre sont eux-mêmes utilisés à ces fins idéologiques par la classe dominante pour tenter d’obscurcir la recherche de la seule perspective viable et possible, celle léguée par l’expérience du mouvement ouvrier et la lutte de classe : celle du communisme.
La bourgeoisie tente de masquer que la militarisation va nécessairement de pair avec les attaques anti-ouvrières. Et précisément, ce n’est que sur un terrain de classe, dans la dynamique des luttes ouvrières contre les attaques en cours et à venir, que le prolétariat pourra développer sa force et sa prise de conscience de la faillite du capitalisme. La seule issue pour offrir la perspective d’une société alternative viable est donc de refuser et de rejeter en bloc les campagnes idéologiques bourgeoises, combattre toute la logique imposée par le capital et lutter contre ce monstre sanguinaire.
WH, 5 avril 2025
1) Les manœuvres militaires et les provocations de la Chine, début avril, autour de Taïwan, en réponse aux décisions irrationnelles et aux provocations de Trump à propos des droits de douanes et de ses intentions impérialistes, l’attestent avec brutalité.
2) C’est ce qui amène, par exemple, des gauchistes à soutenir ouvertement les massacres du Hamas à Gaza.
Après la manifestation du 13 février qui avait rassemblé plus de 100 000 manifestants, la grève générale de 24 heures du 31 mars a confirmé une fois de plus que l’indignation et la colère contre les plans d’austérité du gouvernement fédéral 1 sont profondément ressenties par un nombre croissant de travailleurs de tous les secteurs et de toutes les régions en Belgique, et que la combativité reste élevée. Cependant, la fragmentation sectorielle et régionale imposée au mouvement illustre que la bourgeoisie a lancé sa contre-offensive par l’entremise de ses syndicats, et ceci dans un contexte de guerre commerciale et d’explosion des budgets de défense qui annoncent de nouvelles attaques massives contre la classe ouvrière, en Belgique comme partout dans le monde.
Cette importante vague de luttes en Belgique n’est pas isolée mais constitue une expression de la rupture avec des années de soumission passive des travailleurs aux attaques de la bourgeoisie, d’atomisation, mais aussi la maturation souterraine, le processus de réflexion en cours. « La résurgence de la combativité ouvrière dans un certain nombre de pays est un événement historique important qui n’est pas le résultat des seules conditions locales et ne peut s’expliquer par des circonstances purement nationales. Portés par une nouvelle génération de travailleurs, l’ampleur et la simultanéité de ces mouvements témoignent d’un véritable changement d’humeur de la classe et d’une rupture avec la passivité et la désorientation qui ont prévalu de la fin des années 1980 à aujourd’hui ». 2 L’été de la colère au Royaume-Uni en 2022, le mouvement contre la réforme des retraites en France à l’hiver 2023, les grèves aux États-Unis, notamment dans l’industrie automobile, à la fin de l’été 2023, restent les manifestations les plus spectaculaires du développement des luttes ouvrières dans le monde. Les mouvements actuels en Belgique illustrent aussi dans quel contexte se développeront les combats ouvriers plus particulièrement dans les pays industrialisés, avec des attaques tous azimuts du fait de l’accélération de la crise économique, interagissant comme dans un tourbillon avec l’expansion du militarisme et du chaos.
Le programme du nouveau gouvernement De Wever prévoit un total de près de 26 milliards d’euros de réduction budgétaire afin de réduire la dette de l’État (105 % du PNB). Le programme gouvernemental inclut une forte réduction des budgets sociaux, en particulier les économies sur les retraites (en pénalisant toute retraite anticipée et en s’attaquant aux régimes de retraite des fonctionnaires et des enseignants), ainsi que la limitation des droits au chômage à un maximum de deux ans, ce qui entraînerait l’exclusion de 100 000 chômeurs cette année. Par ailleurs, un demi-million de malades de longue durée risquent de perdre leurs prestations en raison d’efforts « insuffisants ou non coopératifs » pour reprendre le travail. Les paiements pour les heures supplémentaires et le travail de nuit sont également drastiquement réduits.
Les « partenaires sociaux » devraient proposer une réforme de l’indexation automatique des salaires et des prestations (c’est-à-dire une réduction !) d’ici à la fin de 2026. De plus, moins de deux mois après l’annonce de ce programme, les plans de réarmement généralisés de l’Europe entraîneront pour la Belgique, à la traîne au niveau des budgets de défense, un quasi doublement de celui-ci dans les prochaines années.
Dès les premières fuites concernant ces plans, l’opposition aux mesures s’est manifestée. Pour ne pas perdre le contrôle de la situation, les syndicats ont décidé d’organiser une première journée d’action le 13 décembre 2024, dans le but de détourner le mécontentement vers les directives de l’Union européenne. Cette première journée a réuni quelque 10 000 manifestants. La manœuvre n’a cependant pas réussi et le mécontentement a continué de croître, comme en témoigne la deuxième journée d’action du 13 janvier, où les syndicats ont tenté à nouveau de restreindre la mobilisation à « la défense des retraites dans l’enseignement ». En réalité, la participation a atteint environ 30 000 manifestants issus de secteurs de plus en plus nombreux et de toutes les régions du pays. Le 27 janvier, une manifestation sectorielle régionale « historique » du personnel de l’enseignement francophone a rassemblé 35 000 participants contre les coupes sombres imposées par le gouvernement régional. Puis, la constitution du nouveau gouvernement fédéral et la communication de son programme d’austérité n’a fait qu’aviver la contestation et la troisième journée d’action du 13 février, organisée avec le slogan trompeur de « défense des services publics », a réuni plus de 100 000 manifestants de tous les secteurs qui ont exprimé leur volonté de transgresser le saucissonnage sectoriel et régional du mouvement organisé par les syndicats. Les manifestants ont appelé à mener un combat global contre les attaques du gouvernement.
Face à la montée de la combativité ouvrière et de la poussée vers l’unité, les syndicats ont engagé une contre-attaque visant à empêcher toute mobilisation de masse dirigée contre la globalité des projets gouvernementaux : le sentiment d’appartenir à une seule classe, de lutter ensemble et solidairement pour construire un rapport de force, devait être contré ! Alors que la solidarité dans la lutte devenait de plus en plus claire, les syndicats ont organisé la fragmentation et la division des mouvements entre secteurs, avec des revendications spécifiques et entre les syndicats eux-mêmes. En lieu et place des manifestations communes, des grèves éparpillées d’un ou de plusieurs jours ont été organisées dans l’enseignement, les transports urbains et régionaux, dans les chemins de fer, avec un planning étalé sur six mois ! Une grève générale d’un jour a été déclarée six semaines plus tard, le 31 mars, sans aucun appel à manifester. Le message est désormais de rester passivement chez soi, avec une multitude de petits piquets de grévistes centrés sur leur entreprise ou leur secteur, bien séparés les uns des autres. La soi-disant grève générale a été utilisée comme moyen de paralyser les mobilisations et d’isoler les travailleurs, d’épuiser la combativité contre toute tendance à l’unification.
La contre-offensive du gouvernement et des syndicats tente donc d’épuiser le mouvement avant la période estivale. Ainsi, un appel à une nouvelle « grève générale » est lancée pour le 29 avril. Le fait que des secteurs comme les transports ferroviaires et l’éducation aient encore des grèves et des journées d’action prévues en avril, mai et juin, soulignent que les syndicats « mettent le paquet » afin d’isoler les secteurs combatifs et surtout, en fin de compte, de les épuiser dans des actions coupées du reste de la classe ouvrière. Si, le 22 mai (soit trois mois après la précédente mobilisation !), une nouvelle manifestation nationale est annoncée par les syndicats, évidemment autour des revendications spécifiques aux secteurs public et associatif, c’est clairement avec l’espoir de pouvoir constater que la combativité est en recul et que le découragement s’installe.
L’offensive syndicale est d’autant plus nécessaire que de nouvelles attaques se profilent à l’horizon : « Regardez le contexte international » indiquait le président des socialistes flamands (le parti « Vooruit »). La bourgeoisie a de moins en moins de marge de manœuvre pour faire face aux effets de la guerre économique et du militarisme croissant. La décision d’augmenter significativement le budget de la défense de 1,3 % à 2 % du PIB dès cette année en est une preuve éloquente et ce n’est qu’un premier pas vers un niveau de 3 % du PIB, financé par des mesures d’austérité plus brutales encore. D’autre part, l’investissement massif dans les budgets militaires a été ressenti comme une provocation par beaucoup de ceux qui se sont mobilisés contre les plans d’économies de 5,1 milliards sur le chômage et les retraites.
Les gauchistes tentent évidemment d’empêcher la radicalisation de la réflexion et de la ramener dans le cadre idéologique de la bourgeoisie : ainsi, des groupes trotskistes appellent à se battre pour un « véritable » gouvernement de gauche et contribuent à renforcer les campagnes démocratiques et pacifistes.
Pour sa part, le parti populiste de gauche Parti du Travail de Belgique (PTB/PvdA) organise une marche le 27 avril sur le thème « De l’argent pour les travailleurs, pas pour l’armement ». Il alimente ainsi l’illusion qu’un choix « démocratique » au sein du capitalisme est possible.
Le contexte actuel tendra donc de plus en plus à exiger de la classe ouvrière un niveau de lutte plus politisé pour réussir à faire reculer la bourgeoisie, comme l’illustre la situation en Belgique. Face à une nouvelle aggravation de la crise économique, face à la pression du militarisme et à la menace toujours plus présente de la barbarie guerrière, nous devons résister au discours trompeur et mensonger de la bourgeoisie qui nous demande toujours plus de sacrifices. La crise économique, la destruction écologique, les guerres meurtrières, les flux massifs de réfugiés jetés sur les routes du désespoir et de la mort sont le produit du capitalisme en décomposition. Seules la solidarité et l’unité dans la lutte contre les attaques de nos conditions de vie nous permettront de développer des revendications qui uniront les différents secteurs de la classe ouvrière. Dès à présent, l’utilisation des mobilisations syndicales pour engager une discussion entre travailleurs la plus large possible sur les besoins généraux de la lutte au lieu d’écouter passivement les discours de ceux qui organisent notre division et notre impuissance peut constituer un premier pas dans ce sens.
Lac, 15 avril 2025
1) Cf. « Une nouvelle expression du militantisme international de la classe ouvrière », Révolution internationale n° 503, et « La coalition “Arizona” prépare une attaque frontale contre les conditions de travail et de vie », Internationalisme n° 381.
2) « Résolution sur la situation internationale du 25e congrès international du CCI », Revue internationale n° 170 (2023).
Le monde connaît depuis le début de l’année une recrudescence spectaculaire de manifestations en faveur de l’État « démocratique » : Corée du Sud, Turquie, Israël, Serbie et depuis peu, États-Unis. Ces mouvements, comme on n’en avait pas vu depuis longtemps, sont l’indubitable signe de crises politiques et sociales. Mais devons-nous forcément nous réjouir de voir ces événements se dérouler aux quatre coins du monde ? Les révolutionnaires savent que « tout ce qui bouge n’est pas rouge » et qu’il est important de voir ce qui se cache derrière chaque manifestation, d’analyser quel est le fond politique réel de ces mouvements.
Dans un pays où existe un prolétariat important avec une certaine expérience de lutte, où existe même un groupe se réclamant de la Gauche communiste, 1 le coup de force du président Yoon Suk-yeol, le 4 décembre dernier, a entraîné des manifestations importantes, pour défendre le président putschiste d’un côté, pour soutenir sa destitution et son arrestation de l’autre. À la tête des manifestations, des députés des principaux partis de l’Assemblée coréenne ont rameuté leurs partisans, en attendant la décision de la Cour constitutionnelle.
Les préoccupations sociales et prolétariennes sont à l’évidence totalement absentes de ces manifestations, qui ne sont d’un côté comme de l’autre que des manœuvres de soutien à une clique bourgeoise contre une autre. La cause de cette situation est le blocage politique entre fractions bourgeoises à l’Assemblée, incapables d’adopter un budget faute de majorité suffisante, ce qui a entraîné la tentative de coup de force du président.
Le chaos politique qui en a résulté illustre bien la situation de la bourgeoisie coréenne, profondément divisée, fragmentée et le chacun-pour-soi de tous les partis, illustrés par la tentative d’assassinat en janvier 2024 du principal dirigeant du parti d’opposition et par le coup de force du 4 décembre. La radicalisation des fractions de droite vers une idéologie complotiste d’inspiration trumpiste, les épisodes ubuesques qui se sont déroulés lors de l’arrestation du président par la police, un épisode d’une destitution présidentielle qui s’est déjà produit trois fois depuis 2004, suivi de la destitution du président par intérim du fait de son manque de coopération avec l’Assemblée, montrent le poids de la décomposition sur la classe dominante de ce pays.
« La coopération avec le Parti démocrate, une faction de la classe capitaliste, est l’enterrement de la lutte ouvrière. Proposer une réforme du capitalisme par une “réforme sociale” sans combattre le système capitaliste occulte le fait que la cause de la crise et de la tragédie actuelles est le système capitaliste et propage l’illusion d’un capitalisme plus sain ». 2 L’enjeu pour le prolétariat est de ne pas se laisser entraîner dans la défense d’un camp bourgeois ou de l’autre, dans un pays qui va nécessairement pâtir de la récession qui s’annonce avec les mesures prises par Trump et sa clique, dont l’économie sud-coréenne risque de particulièrement souffrir.
L’arrestation le 19 mars d’Ekrem Imamoglu, chef de file du parti CHP d’opposition au président Erdogan et maire d’Istanbul, intervient comme point d’orgue d’un durcissement du pouvoir vis-à-vis de l’opposition du fait de l’échéance de la prochaine élection présidentielle, Imamoglu ayant été désigné candidat à cette élection par son parti, membre de l’Internationale socialiste.
Une réaction immédiate a eu lieu dans les rues, la plus importante mobilisation depuis l’affaire de la tentative de destruction du parc Gezi à Istanbul en 2013 pour réaliser des projets immobiliers. Mais les mots d’ordre mis en avant montrent toute l’emprise du CHP sur ces manifestations : il s’agit de « défendre la démocratie turque » menacée par un « gouvernement autoritaire » qui mettrait en scène des élections-spectacles, où le président Erdogan choisirait ses adversaires en éliminant ses concurrents les plus dangereux. Il s’agit donc de défendre la légitimité du scrutin.
Face à cela, nous soutenons la conclusion d’Internationalist Voice, un groupe du milieu prolétarien, qui a consacré un article bien documenté sur les mouvements en Turquie : « Ce n’est que par la lutte des classes, et depuis le terrain de classe, que nous pourrons repousser les attaques de la bourgeoisie. Nous devons étendre notre lutte indépendamment de toute faction et de tout mouvement bourgeois, en nous opposant directement au capitalisme. Notre intérêt ne réside pas simplement dans un changement au sein de la classe dirigeante, c’est-à-dire dans le remplacement d’Erdoğan par İmamoğlu, mais dans la lutte de classe elle-même ». 3
Là encore, il s’agit d’une lutte entre cliques bourgeoises, totalement étrangère aux intérêts de classe du prolétariat. La situation économique catastrophique de la Turquie entraîne le prolétariat turc dans une spirale infernale de pauvreté, qui va de toute façon être aggravée par les conflits impérialistes auxquels toute la bourgeoisie turque se prépare : affrontements avec Israël en Syrie, avec la Russie dans le Caucase et en Asie centrale, avec les Kurdes en Irak et en Syrie, avec la Grèce dans la rivalité pour la suprématie en Mer Égée… La spirale guerrière de la région et la volonté d’armement de la bourgeoisie turque ne seront aucunement modifiées par un changement démocratique de la faction au pouvoir en Turquie ; la figure tutélaire du CHP reste Kemal Atatürk. Se battre pour une clique bourgeoise contre une autre alors que c’est le capitalisme tout entier qui sombre dans une crise sans fin et le tourbillon de phénomènes liés à la décomposition de l’ordre capitaliste mondial, c’est demander au prolétariat de se battre pour savoir qui va le mener à la misère et à la guerre !
L’effondrement du toit de la gare de Novi Sad (16 morts) en Serbie le 1er novembre dernier, à cause d’évidentes malfaçons liées à la corruption qui gangrène le pays, a entraîné une série de manifestations géantes dont les motivations étaient « la lutte contre la corruption » et « vivre dans un pays où la Justice fonctionne et fait son travail ». Ces manifestations géantes, comme celle du 15 mars, ont rassemblé une foule aux motivations politiques hétéroclites, allant des démocrates opposés à l’autoritarisme du président serbe Vucic aux ultra-nationalistes pro-russes. Des paysans avec leur tracteur se sont même joints au cortège.
Le caractère hétéroclite des participants comme des motivations de ces manifestations, ainsi que le soutien de l’opposition au parti du président sous la forme d’actions au sein du Parlement (comme le lancement de fumigènes dans le Parlement le 4 mars), démontrent évidemment qu’il n’y est pas question de défendre les intérêts de la classe ouvrière, laquelle est noyée dans la masse des manifestants qui défendent de fait l’État bourgeois et réclament une meilleure Justice pour le pays. Ce mouvement initialement interclassiste s’est rapidement trouvé entièrement sous la coupe des cliques bourgeoises qui entendent faire démissionner le président et organiser de nouvelles élections. Il est sur un terrain totalement étranger et opposé à la lutte prolétarienne. Dans un pays déstabilisé par une crise économique sans fond et qui est le champ de bataille de diverses influences impérialistes (les ultranationalistes soutiennent la Russie, l’opposition voudrait intégrer l’Union européenne, et c’est la Chine qui construit la nouvelle voie de chemin de fer entre Belgrade et Budapest), la classe ouvrière doit plus que jamais imposer la défense de ses intérêts propres, indépendamment de toute faction bourgeoise. L’enjeu pour le prolétariat en Serbie est de sortir de ce mouvement le plus vite possible : se battre contre la corruption dans un système capitaliste pourrissant, c’est se battre contre les scories de sa faillite avec l’illusion qu’il est encore possible de l’améliorer de l’intérieur et non avancer sur la voie de la prise de conscience de la nécessité de son renversement.
Le prolétariat n’a que son unité et sa conscience à opposer à la bourgeoisie. Soutenir une fraction bourgeoise plus « progressiste » que les autres est, certes, une stratégie que Marx et Engels ont mise en avant lors de la révolution de 1848, mais le but était à cette époque avant tout de réaliser le projet national de la bourgeoisie pour développer et unifier la classe ouvrière dans un contexte où le capitalisme était dans une phase ascendante, en plein développement. Cette vision est aujourd’hui totalement obsolète au vu de la faillite historique du système capitaliste : toutes les fractions de la bourgeoisie sont maintenant réactionnaires, et le prolétariat n’a aucun intérêt à en soutenir l’une d’entre elles contre les autres. Le prolétariat doit garder son autonomie politique, défendre ses intérêts sans les mélanger avec ceux de fractions bourgeoises dont la raison d’être est d’empêcher la lutte de classe de se développer. Il est de toute façon illusoire de vouloir combattre la corruption ou réclamer plus de « démocratie » dans un monde où la règle est le profit maximal et où le pouvoir politique en place est partout une dictature de classe !
En Corée du Sud, Turquie, Serbie comme ailleurs, l’enjeu aujourd’hui est de défendre nos intérêts de classe face à la dégradation de nos conditions de vie et de travail, aux licenciements, à la mobilisation pour le réarmement et à terme pour la guerre de tous contre tous. Aucune fraction bourgeoise ne défendra nos intérêts à notre place !
Le prolétariat des pays industrialisés, le plus nombreux et le plus expérimenté, doit mettre en avant ses méthodes de lutte propres, à savoir l’unité des prolétaires autour de la défense de ses conditions de vie et de travail, la lutte contre les conséquences de la crise économique et des politiques bellicistes de toutes les bourgeoisies, les manifestations pour chercher la solidarité, les grèves les plus étendues possible pour établir un rapport de force. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons avoir une claire conscience des enjeux réels de la situation, de qui sont nos amis et nos ennemis, de comment nous parviendrons à faire reculer l’État et la classe dominante, des perspectives politiques propres à la classe ouvrière. Et ce n’est certainement pas en défendant l’État capitaliste et la démocratie que nous y parviendrons !
HG, 24 avril 2025
1) Le groupe International Communist Perspective (ICP).
2) « The dismissal of Yoon Seok-yeol is the beginning of a class struggle against the capitalist regime and the capitalist system ! », ICP (4 avril 2025).
3) « Neither Erdoğan nor İmamoğlu : Class Struggle is the Only Path Forward ! », Internationalist Voice (24 mars 2025).
Ces derniers mois, Trump a été constamment sous les feux de la rampe : il ne se passe pas un jour sans qu’il ne fasse une déclaration qui déconcerte la planète entière : volonté d’annexer le Groenland ou le Panama, humiliation publique de Zelensky, purge de l’administration, licenciement sans ménagement de milliers de fonctionnaires fédéraux, intimidation de journalistes… En quelques semaines, ses accents de chef de gang et sa pratique brutale du pouvoir ont tant défrayé la chronique que la presse américaine et mondiale entonne désormais en chœur ses plus hypocrites refrains démocratiques : la « plus grande démocratie du monde » serait en train de se transformer en « régime illibéral », voire en « dictature ». La bourgeoisie pousse d’ailleurs le bouchon très loin, puisqu’il a déjà été publiquement décrié comme un « traître », un « despote » et un « fasciste ». Certains font même des parallèles entre Trump et Mussolini !
Plus l’ineptie et la brutalité de Trump s’étalent au grand jour, plus il est facile pour le reste de la bourgeoisie, Démocrates en tête, de rejeter sur le Président et sa bande de pieds nickelés la responsabilité du chaos économique et impérialiste et des attaques contre la classe ouvrière. La campagne assourdissante autour de ses « folles décisions » et de son « autoritarisme » relève d’une stratégie classique de la bourgeoisie pour faire croire que le chaos, les destructions barbares et les massacres sont la faute d’individus « irresponsables » ou « délirants » (Trump ou Poutine, aujourd’hui ; Hitler, Mussolini ou Staline, hier…) et non l’expression de la faillite historique du système capitaliste.
En réalité, l’élection de Trump aux États-Unis, comme celle de Milei en Argentine, et la montée du populisme un peu partout dans le monde, particulièrement dans les pays européens, ne sont que la manifestation de la difficulté croissante des diverses bourgeoisies nationales de garder le contrôle de leur appareil politique sous la pression du pourrissement sur pied du capitalisme.
La situation est aujourd’hui bien différente des années 1930. À la fin de la Première Guerre mondiale, une impressionnante vague révolutionnaire a touché l’ensemble de l’Europe. Dans certains pays en particulier, l’Allemagne, l’Italie, la Russie, le prolétariat fut particulièrement combatif et parvint même à s’emparer du pouvoir politique en Russie. À tel point qu’après avoir pris le pouvoir politique lors de la révolution d’octobre 1917 en Russie, il avait contraint les bourgeoisies belliqueuses à mettre fin à la guerre pour affronter leur ennemi mortel, non seulement en Russie, mais aussi et surtout en Allemagne.
Malheureusement, cette vague révolutionnaire s’est soldée par un échec, et par une féroce répression de la bourgeoisie. En Allemagne, où la classe ouvrière a subi plus qu’ailleurs (à l’exception de la Russie) les conséquences d’une terrible défaite physique et idéologique infligée par la social-démocratie, le nazisme, comme le fascisme en Italie dans les années 1920, est finalement apparu à la bourgeoisie allemande comme le moyen le plus efficace pour finaliser l’écrasement du prolétariat et conduire au pas de charge les transformations sociales radicales et la militarisation la plus extrême de la production, nécessaires à la marche vers la Seconde Guerre mondiale.
Dans les pays « démocratiques », où la bourgeoisie était contrainte de maintenir l’arsenal de mystification parlementaire et électorale, elle a embrigadé la classe ouvrière pour la préparer à la guerre et lui faire accepter tous les sacrifices nécessaires en l’enfermant dans un faux-choix, opposant à la menace du fascisme, la défense de la démocratie : c’est là toute l’idéologie antifasciste qui enferme la classe ouvrière dans des combats qui ne sont pas les siens et l’amène à accepter de se ranger derrière un prétendu « moindre mal » : la bourgeoisie « démocratique ».
L’antifascisme est donc, tout comme le fascisme, une conséquence de l’écrasement physique et idéologique du prolétariat. Ils s’inscrivent dans une période de contre-révolution laissant le champ libre à la bourgeoisie pour mener les travailleurs vers la guerre mondiale.
Le contexte est-il comparable aujourd’hui ? Depuis la fin de la contre-révolution, qui s’est manifestée avec les événements de Mai 1968 en France et d’autres luttes partout dans le monde (de l’Italie en 1969 jusqu’en Pologne en 1976 et 1980), la classe ouvrière n’a pas subi de défaite significative ouvrant la voie à une période de contre-révolution. Il y a eu des moments d’avancées de la conscience, des piétinements et des reculs plus ou moins importants, mais jamais de défaite définitive. Aucune comparaison possible donc avec les années 1930, d’autant plus qu’aujourd’hui, en rupture avec une période de désarroi et de passivité, une lente reprise de la combativité et du développement de la maturation de la conscience s’opère depuis fin 2022, qui s’est manifestée par des mouvements de lutte importants à l’échelle internationale, en Grande-Bretagne, en France ou aux États-Unis.
Contrairement au fascisme, qui était un produit de l’écrasement du prolétariat, la vague populiste actuelle est l’expression du pourrissement du capitalisme. Ce n’est nullement un hasard si les partis populistes se sont réellement développés et ont atteint de tels impacts depuis le début du XXIe siècle. Leur développement coïncide avec l’expansion des effets néfastes de la décomposition de la société capitaliste. À mesure que la crise économique s’intensifie, que les confrontations impérialistes s’embrasent, les tensions entre factions de la bourgeoisie s’exacerbent, les rivalités en son sein deviennent de plus en plus incontrôlables et, en conséquence apparaît une perte de contrôle croissante de l’appareil politique. Les cliques populistes dénoncent les élites politiques et les factions dominantes qui monopolisent le pouvoir et propagent des politiques de petites frappes qui déstabilisent et rendent encore plus irrationnelle la politique des différents États. Le populisme exprime donc une réalité radicalement différente de celle du fascisme : s’il déstabilise l’appareil politique de la bourgeoisie, il est bien incapable, face à une classe ouvrière qui résiste aux attaques, d’imposer les sacrifices nécessaires à la préparation de la guerre, et encore moins à celle d’un conflit mondial.
C’est pourquoi la bourgeoisie utilise l’idéologie antifasciste, par l’intermédiaire de ses factions de gauche, en faisant du populisme un épouvantail, assimilé au fascisme. Les partis de gauche visent ainsi à détourner la dynamique de lutte ouvrière vers l’impasse électorale en se positionnant comme le véritable « rempart » de la démocratie et de l’égalité, à même d’apporter une réponse à la crise du capitalisme.
L’identification du populisme au fascisme sert donc surtout à la gauche pour lancer une intense campagne visant à dénoncer Trump comme la source de la débâcle économique et des dérives guerrières, occultant ainsi la faillite historique du mode de production capitaliste. Elle dissimule cette vérité crue que les attaques contre la classe ouvrière ne pourront que se multiplier.
C’est dans cette perspective que les Sanders, les Ocasio-Cortez, les Warren, les fractions les plus « radicales » du parti Démocrate ainsi que les syndicats ont poussé les ouvriers à descendre massivement dans les rues de nombreuses villes américaines en les encadrant derrière le mouvement baptisé « Hands off ! » (« Bas les pattes ! ») pour dénoncer « l’autocratie » de Trump. Ces fractions de la bourgeoisie ont pris la tête et canalisé la protestation alors que se dessinait une colère ouvrière grandissante, non seulement contre les licenciements de dizaines de milliers de fonctionnaires mais aussi face aux coupes à la tronçonneuse dans tous les budgets sociaux comme dans les services de l’éducation ou de la santé en passant par la hausse spectaculaire du coût de la vie. Pour faire bonne mesure et noyer davantage la réaction des prolétaires à ces attaques, se sont ajoutées et juxtaposées des revendications parcellaires, du mouvement LGTB aux associations caritatives, toutes de nature idéologique bourgeoise, sous la bannière de la défense des « droits des citoyens » et de la « démocratie ».
Il s’agissait, en fin de compte, de dévoyer la combativité ouvrière, d’éloigner les prolétaires de la mobilisation sur leur véritable terrain de classe, celui où se construit la solidarité, la réflexion collective et l’unité du prolétariat. C’est aussi la raison pour laquelle les syndicats appellent les fonctionnaires licenciés à se mobiliser, seuls et coupés du reste de la classe ouvrière, contre Elon Musk, érigé en « incarnation du mal », source de tous les maux. Le mouvement « Hands off ! » a d’ailleurs promis d’amplifier la « riposte » sur ce terrain idéologique pourri et miné d’avance ces prochaines semaines, tandis que Sanders et Ocasio-Cortez multiplient les meetings et les rassemblements.
En opposition aux campagnes pour la défense de l’État démocratique, la classe ouvrière américaine doit mener la lutte contre les licenciements dans les administrations fédérales et dans l’enseignement, tout comme dans les entreprises, contre la baisse des retraites indexées sur les indices boursiers qui s’effondrent, contre la baisse des aides sociales et le démantèlement de la sécurité sociale sur son propre terrain de classe, en refusant les divisions entre secteurs. Face à l’intensification de la crise, de « l’effort de guerre » et de l’ensemble des attaques imposées par la bourgeoisie, face aux effets de la décomposition, il est essentiel que la classe ouvrière, aux États-Unis comme ailleurs, développe sa lutte unie contre les attaques et les sacrifices que la crise et la guerre lui imposent. Le système capitaliste n’a rien à lui offrir. Les promesses vides de la bourgeoisie ne sont là que pour mieux l’enchaîner à l’exploitation.
Cam, 21 avril 2025
Tandis que l’OTAN sur la page d’accueil de son site déclare : « L’OTAN condamne avec la plus grande fermeté la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine. L’Alliance demeure résolument déterminée à soutenir l’Ukraine et à l’aider ainsi à exercer son droit fondamental à la légitime défense », Trump humilie et rudoie en public, devant les médias du monde entier, le président ukrainien, le désignant même comme responsable de la barbarie en Ukraine, tout en renouant les liens et entamant des négociations avec la Russie de Poutine.
Ces prises de position provocantes soulignaient publiquement et brutalement la rupture idéologique et stratégique de l’Amérique trumpienne avec l’axe central de la politique de l’OTAN. En outre, Trump met en doute la solidarité entre les pays de l’OTAN, la quintessence de l’Alliance Atlantique : « S’ils ne paient pas, je ne vais pas les défendre », « Mon plus gros problème avec l’OTAN […], c’est que si les États-Unis avaient un problème et qu’on appelait la France, ou d’autres pays que je ne nommerais pas, en disant : “On a un problème”, vous pensez qu’ils viendraient nous aider, comme ils sont censés le faire ? Je n’en suis pas sûr… » En quelques semaines, Donald Trump torpillait ainsi l’Alliance Atlantique, il démolissait politiquement le pacte de défense collective qui unissait les États-Unis et l’Europe depuis 1949. L’Amérique n’entendait plus appuyer leurs alliés dans la défense de l’Ukraine, elle ne garantissait même plus la solidarité inconditionnelle des États-Unis en cas d’agression d’un des partenaires.
Ces événements ont une signification historique profonde puisqu’il s’agit de l’éclatement au grand jour, d’une complète remise en cause des relations impérialistes entre les grandes puissances en usage depuis 1945. En réalité, ils sont l’aboutissement de tout un processus initié par l’effondrement du bloc de l’Est fin 1989, qui marquait par ailleurs l’ouverture de la période de décomposition.
À l’époque, le CCI avait indiqué que l’effondrement du bloc stalinien s’accompagnerait d’une irréversible désagrégation du bloc occidental : « La différence avec la période qui vient de se terminer, c’est que ces déchirements et antagonismes, qui auparavant étaient contenus et utilisés par les deux grands blocs impérialistes, vont maintenant passer au premier plan. La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux partenaires d’hier, ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales ». 1
La désagrégation s’est effectuée progressivement depuis cette époque, avec des hauts et des bas, pour aboutir aujourd’hui à la manifestation explicite du divorce transatlantique. Dans leur tentative de défendre leur statut d’unique superpuissance régissant le monde, les États-Unis ont initialement exploité l’OTAN pour les appuyer dans leur rôle de gendarme du monde et leur permettre de maintenir leurs « partenaires » du bloc occidental sous contrôle (première guerre d’Irak, 1991, Afghanistan, 2001), pour intégrer les pays d’Europe de l’Est de l’ex-bloc soviétique dans leur zone d’influence et enfin récemment pour appuyer l’Ukraine contre l’attaque russe. Tout ceci permettait à Washington de contrer, par la même occasion, les velléités d’indépendance des pays européens.
Celles-ci ont cependant surgi dès le début des années 1990 avec les manœuvres de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne lors de la guerre civile en ex-Yougoslavie et se sont accentuées avec le refus des principaux pays européens de participer à l’aventure de la seconde guerre d’Irak sous Bush junior en 2003. Plus globalement l’autonomisation des pays européens (en particulier l’Allemagne) s’est exprimée par une réduction sensible de leurs contributions militaires à l’OTAN et par leur large ouverture énergétique et commerciale à la Russie et la Chine.
Confrontée à son déclin irréversible face à l’explosion du « chacun pour soi » et à l’émergence du challenger chinois, la première puissance mondiale entend aujourd’hui utiliser sa puissance militaire, économique et politique pour imposer la défense de ses intérêts par la force brute si nécessaire à tous les autres pays, adversaires comme alliés. Dès lors, derrière le lâchage par Washington de l’Ukraine, la mise en question de la solidarité transatlantique au sein de l’OTAN et le rapprochement avec la Russie, c’est bien la structuration du monde depuis 1945 qui est en train d’être définitivement balayée.
Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, tout comme certains milieux militaires ou politiques européens, espèrent encore que les déclarations tonitruantes de Trump ont essentiellement pour but de faire monter les enchères dans le cadre d’une négociation « transactionnelle » sur le financement de l’OTAN et que l’augmentation drastique des budgets militaires décidée par les pays européens calmera l’agressivité anti-européenne de Trump. Si la forme concrète et la vitesse de finalisation du divorce entre les « alliés de toujours » restent difficiles à prédire, l’irréversibilité du processus est cependant confirmée par divers éléments.
« Mais Trump a désarmé politiquement l’OTAN, il l’a vidée de ce qui fait la force d’une alliance de défense collective : la fiabilité ». 2 La garantie absolue d’une intervention militaire en soutien et du parapluie atomique américain en couverture au sein de l’OTAN n’est plus du tout assurée, bien au contraire, comme l’indique encore une note récente du Pentagone (la « Interim National Defense Strategic Guidance ») basée sur des directives du ministre de la défense Pete Hegseth que le Washington Post du 31 mars a pu consulter. Elle précise qu’en cas d’agression, l’Europe ne pourra éventuellement compter que sur un renfort de troupes non indispensables face à la Chine. Par ailleurs, Trump continue de revendiquer le Groenland au Danemark, ainsi que l’annexion du Canada, pourtant deux pays partenaires au sein de l’OTAN. Pas étonnant que le premier ministre canadien Mark Carney ait conclu que les États-Unis n’étaient plus un partenaire fiable ! Quels que soient les revirements ultérieurs, le doute sur l’indéfectibilité de l’Alliance transatlantique et du soutien américain à l’Europe a été définitivement instillé.
L’irréversibilité du divorce est également soulignée sur un plan idéologique. La conclusion du Pacte transatlantique et la fondation de l’OTAN après 1945 avaient comme couverture idéologique la défense de la « démocratie occidentale ». La remise en question du soutien indéfectible à l’Ukraine par Trump au profit d’un rapprochement avec le « dictateur Poutine » ainsi que l’attaque par le vice-président Vance, au Forum de Munich, de la conception de la démocratie défendue par les bourgeoisies européennes, alors que dans le même temps, l’administration Trump ne cesse d’apporter son soutien aux partis populistes et d’extrême-droite en Europe, déchirent complètement cette couverture idéologique commune. Trump enlève à l’Alliance Atlantique tout son ciment idéologique.
Alliée cruciale des États-Unis face à l’URSS pendant plus de cinquante ans, l’Europe a perdu de son importance géostratégique au fur et à mesure de la montée en puissance de la Chine, pour devenir surtout un concurrent économique et un pourvoyeur de pays contestataires, voire ennemis, lors de conflits armés. « Nous sommes également ici aujourd’hui pour exprimer clairement et sans ambiguïté une réalité stratégique incontournable : les États-Unis ne peuvent plus être principalement concentrés sur la sécurité de l’Europe. Les États-Unis font face à des menaces directes contre notre propre territoire. Nous devons (et nous sommes en train de) donner la priorité à la sécurité de nos propres frontières. […] Cela nécessitera que nos alliés européens s’impliquent pleinement et prennent la responsabilité de leur propre sécurité conventionnelle sur le continent ». 3 L’Europe, et donc le pacte transatlantique, n’est plus une priorité, voire une nécessité, pour l’impérialisme américain, et l’administration Trump l’exprime sans fioritures diplomatiques.
Entre pays européens, des divergences surgissent encore quant à une subsistance éventuelle de liens transatlantiques : certains, tels l’Italienne Meloni ou le Polonais Tusk, espèrent que l’effort d’armement conséquent des pays européens permettra de sauvegarder l’essence de l’alliance et calmera l’agressivité anti-européenne de l’administration Trump ; d’autres par contre constatent le délitement final du lien transatlantique et poussent au développement d’une politique alternative par rapport aux États-Unis. Ces derniers exploiteront sans nul doute la situation en accentuant la pression en vue de la dislocation du « pôle européen ». Ainsi, Trump tendra à développer une politique « transactionnelle » plus favorable envers certains pays, tels la Pologne, ou moins favorable envers d’autres, comme l’Allemagne.
« Écoutez, soyons honnêtes, l’Union européenne a été conçue pour entuber les États-Unis ». 4 La multiplication des tarifs douaniers par les États-Unis envers les importations des « alliés » européens, accusés par Trump de traiter les États-Unis bien plus mal que certains « ennemis », tout comme les représailles européennes, ne feront qu’exacerber les tensions entre les deux rives de l’Atlantique et constituent le volet économique du divorce. Cette guerre commerciale illustre bien en quoi les « partenaires » européens d’antan sont vus aujourd’hui comme des rivaux de l’America first. L’imposition aux pays européens d’un gigantesque effort d’investissements militaires à cause de la fin du parapluie militaire américain a notamment pour objectif d’imposer à tous les pays de l’UE un « gaspillage » d’une partie de leurs réserves économiques dans le développement de leurs moyens militaires afin que ces pays perdent en compétitivité vis-à-vis des États-Unis. En outre, la variation des tarifs douaniers est potentiellement aussi un moyen de semer la discorde entre pays européens.
La remise en cause des relations impérialistes entre grandes puissances a non seulement une signification historique importante, elle débouchera surtout sur une accélération formidable du chacun pour soi, de l’irrationalité et du chaos au niveau mondial.
L’objectif prioritaire de l’administration Trump, dans le prolongement de la politique de Biden d’ailleurs, est d’empêcher par tous les moyens économiques et militaires le challenger chinois de menacer la suprématie déclinante des États-Unis. Dans ce but, Trump cherche à détacher la Russie de la Chine et pour ce faire, il est prêt à sacrifier l’Ukraine et la stabilité de l’Europe, voire la cohésion de l’UE.
Cependant, Si la Russie ne peut que se réjouir du rapprochement opéré par les États-Unis alors qu’elle considère avec méfiance la mainmise économique croissante de la Chine sur la Sibérie, dans le même temps, elle se méfie du caractère fluctuant des décisions de Trump, d’où les réticences de la fraction Poutine à s’engager dans le processus de fin des combats sur la base du « deal » proposé par Washington. En fait, Trump tente un coup, sans être certain de la réussite de celui-ci et sans se préoccuper des conséquences. En ce sens Trump est la caricature de comment la bourgeoisie dans la décomposition développe sa politique impérialiste : « tenter un coup », avec une vision immédiate, sans se préoccuper des conséquences à plus long terme.
Une conséquence majeure du divorce transatlantique est sans nul doute l’explosion généralisée des dépenses d’armement et plus globalement du militarisme en Europe. Les rencontres entre grands pays européens se multiplient pour accroître la production militaire et assurer le soutien à l’Ukraine. Partout en Europe une augmentation des budgets militaires pour les années à venir est annoncée : c’est le cas de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, et l’UE annonce un soutien de 800 milliards d’Euros pour les dix années à venir. L’Allemagne a voté une réforme de sa Constitution pour supprimer un point qui lui interdit d’avoir des déficits publics afin de pouvoir s’endetter pour augmenter les dépenses militaires. Mais, des divergences apparaissent déjà entre les États : des nuances s’expriment entre la France et la Grande-Bretagne, d’une part, et l’Italie et la Pologne, par exemple, sur quoi faire par rapport à l’Ukraine. De même, quelle sera l’attitude des autres puissances européennes face à l’Allemagne, première force économique dans l’UE, qui veut aussi devenir la principale puissance de l’UE ? Aux Pays-Bas, le premier ministre a été mis en minorité au sein de sa propre majorité par rapport aux engagements envers l’Ukraine, les populistes défendant l’idée que l’argent doit d’abord servir aux Hollandais. Si des rapprochements stratégiques se dessineront par rapport aux États-Unis et au sein de l’UE, la tendance est à ce qu’il n’y aura plus d’alliances militaires stables, une dynamique propre à l’exacerbation du « chacun pour soi » en période de décomposition et déjà largement constatable dans divers conflits dans le monde.
En lâchant l’Ukraine, en torpillant le Pacte transatlantique, en se tournant vers la Russie, bref en détruisant les dernières fondations de l’ordre international qui avaient survécu à la chute de l’URSS, les États-Unis feront face à un monde impérialiste qui leur sera encore plus hostile et moins contrôlable, car rien de stable ne sortira de ce « bouleversement des alliances » qui ne pourra jamais en engendrer de durables.
En fait, Trump a indiqué face au monde : la parole de l’État américain ne vaut rien, vous ne pouvez pas nous faire confiance. De toute évidence, lui et sa clique ne cherchent pas à établir des alliances internationales solides, mais des « deals » bilatéraux ponctuels, valables « tout de suite maintenant ».
Ainsi, après les échecs successifs de la bourgeoisie américaine à imposer son ordre et à limiter le « chacun pour soi », Trump acte l’impossibilité d’enrayer cette dynamique, mais au contraire se place à la tête de celle-ci en déclarant ouverte la « guerre de tous contre tous ». Voilà la véritable « stratégie » de vandale de la nouvelle administration américaine : « L’ordre mondial est devenu une arme utilisée contre nous. Il nous revient à nouveau de créer un monde libre à partir du chaos. Cela exigera une Amérique […] plaçant ses propres intérêts au-dessus de tout le reste ». 5 Dorénavant, aucun véritable retour en arrière n’est possible.
Pour la classe ouvrière, le divorce transatlantique et le « bouleversement des alliances » annoncent deux choses : une intensification significative des attaques contre leurs conditions de vie, provoquée par l’exacerbation du militarisme, et la multiplication d’horribles confrontations guerrière, telles que celles qui massacrent chaque mois des milliers de personnes en Ukraine ou en Palestine. Face aux campagnes visant à les mobiliser en défense de l’État démocratique, face à la « guerre de tous contre tous », les travailleurs doivent au contraire maintenir leur unité sur leur terrain de classe pour lutter contre les attaques des différentes bourgeoisies.
R. Havanais 20 avril 2025
1) « Militarisme et décomposition », Revue internationale n° 64 (1991).
2) Chronique d’Alain Frachon, Le Monde (6 mars 2025).
3) Discours de P. Hegseth, le 12 février 2025 lors de la réunion du Groupe de contact pour l’Ukraine de l’OTAN.
4) Déclaration de Trump, le 26 février 2025.
5) Le secrétaire d’État M. Rubio, commission du Sénat dans « Alliance atlantique ou schisme occidental ? » Le Monde diplomatique (avril 2025).
Après la surenchère folle des derniers mois sur les droits de douane et la chute des bourses et du dollar qui en ont été la conséquence, le monde est suspendu aux décisions que Trump prendra ou ne prendra pas, celles sur lesquelles il reviendra ou pas… Pour la grande majorité des factions de la bourgeoisie, la politique de l’administration américaine est « absurde », les décisions de Trump sont « folles » et elles menacent le développement d’une économie mondiale déjà chancelante, et en premier lieu celui de l’économie américaine. Selon les prévisions récentes du FMI, la croissance de l’économie américaine reculerait de près de 1 % par rapport aux prévisions précédentes, l’économie chinoise de 0,6 %, l’économie mondiale de 0,5 %.
Ce qui menace fondamentalement l’économie mondiale et l’humanité, c’est le capitalisme décadent qui est entré dans sa phase finale de décomposition, où se combinent à présent les effets de la crise économique, des guerres, de la crise climatique, et de toutes les manifestations du pourrissement sur pieds de la société dans un monde à l’agonie. Trump, de même que le populisme, n’est autre qu’un produit de cette dynamique.
Depuis la réapparition de la crise économique à la fin des années 1960, produit des contradictions fondamentales du capitalisme, la bourgeoisie a mis en œuvre des palliatifs pour essayer de reporter à plus tard les effets les plus lourds de la récession. L’efficacité de telles politiques reposait sur la capacité des principaux pays industrialisés à s’accorder sur un certain niveau de coopération internationale basée sur la mise en œuvre de mécanismes de capitalisme d’État qui, notamment, constituèrent la charpente de la mondialisation de l’économie et permirent, dans un premier temps, aux échanges économiques d’échapper au chaos sévissant, par exemple, sur les plans impérialiste ou de la vie politique de la bourgeoisie.
Ainsi, au plus grave de la convulsion économique de 2007-2008, qui avait déjà frappé durement les États-Unis, et celle de 2009-2011 avec la crise de la « dette souveraine », la bourgeoisie avait pu concerter ses réponses, ce qui a permis d’atténuer un peu les coups de la crise et garantir une « relance » anémique pendant la phase 2013-2018.
Mais une telle politique a trouvé ses limites dans la tendance croissante au « chacun pour soi » des différentes fractions nationales de la bourgeoisie, les rendant de moins en moins capables d’apporter une réponse un minimum concertée, à travers des mesures palliatives, à la crise mondiale du capitalisme. Une telle « évolution » était la marque de l’expansion de la décomposition du capitalisme, en particulier du chacun pour soi à tous les niveaux de la société, y compris à celui de la gestion du capital par la bourgeoisie. Cela se confirma de manière éclatante avec la pandémie de 2020 et ensuite les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, qui ont provoqué la fermeture des frontières, suscité un courant très significatif en faveur de mesures de « relocalisation nationale » de la production, de préservation de secteurs clé dans chaque capital national, du développement d’entraves à la circulation internationale des marchandises et des personnes. Tout cela a contribué à semer la pagaille dans les politiques monétaires, financières, commerciales.
C’est dans ce terrain miné que Trump revient aux affaires avec sa politique populiste décomplexée, irrationnelle au possible, changeante et complétement imprédictible. Tout en étant un produit du pourrissement sur pied du capitalisme, Trump est à son tour un facteur actif de celui-ci. C’est ce qu’illustre de façon on ne peut plus probante ses gesticulations à la tête de l’exécutif américain dans la guerre des droits de douane qu’il a enclenché contre le monde. Les justifications « économiques » avancées par l’administration Trump dans sa croisade pour augmenter les tarifs douaniers imposés sur la plupart des marchandises importées sont soit du bluff, soit absurdes, voire l’un et l’autre.
L’une d’entre elles, presque risible, est que jusqu’alors les États-Unis auraient été trop généreux avec leurs partenaires qui ne se lassaient pas de profiter des largesses de l’oncle Sam. Il fallait donc « remettre les pendules à l’heure » en se payant grassement avec des droits de douanes sur certaines marchandises importées.
Une autre justification invoque la lutte contre l’inflation, qui est un sujet sensible aux États-Unis puisque l’envolée des prix sous la présidence Biden avait largement contribué à la défaire électorale des démocrates aux dernières élections. On ne voit pas trop comment le renchérissement des produits importés pourrait faire baisser les prix aux États-Unis, si ce n’est au moyen de mystérieux mécanismes compensatoires. Mais là n’est pas l’essentiel : il existe ici une tentative de masquer la cause réelle de l’inflation.
En effet, ce n’est pas l’augmentation des droits de douane qui empêchera l’inflation, laquelle a une cause qui est tout autre : « Les causes fondamentales de l’inflation sont à rechercher dans les conditions spécifiques du fonctionnement du mode de production capitaliste dans sa phase de décadence. En effet, l’observation empirique nous permet de constater que l’inflation est fondamentalement un phénomène de cette époque du capitalisme ainsi que de constater qu’elle se manifeste avec le plus d’acuité pendant les périodes de guerre (1914-18, 1939-45, la guerre de Corée, 1957-58 en France pendant la guerre d’Algérie…), c’est-à-dire celles où les dépenses improductives sont les plus élevées. Il est donc logique de considérer que c’est à partir de cette caractéristique spécifique de la décadence, la part considérable des armements et plus généralement des dépenses improductives dans l’économie, qu’on doit tenter d’expliquer le phénomène de l’inflation ». 1
En deux mots, si le coût de la vie augmente aux États-Unis comme ailleurs c’est en bonne partie pour payer le prix des dépenses militaires (improductives). Maintenir loin devant tous ses rivaux impérialistes une très grande avance sur le plan militaire (y compris le plus puissant d’entre eux, la Chine) a un coût qui est très loin d’être négligeable et qu’il faut faire payer à la population.
La « guerre tarifaire » n’est qu’une illustration sur le plan économique de la remise en question de l’ordre mondial établi après 1945 et qui a déjà largement volé en éclat sur le plan impérialiste avec le « divorce transatlantique », au profit d’une politique de chacun contre tous totalement irrationnelle et imprédictible. Or, sur le plan économique, le manque de visibilité sur le futur est pour le capitalisme un facteur inhibiteur de l’activité économique. Dans le cas présent de la politique de Trump, c’est plus qu’un manque de visibilité dont il s’agit mais bien de l’impossibilité de prévoir quoi que ce soit, puisqu’il est capable de changer de position du jour en lendemain et plusieurs fois de suite, et cela en fonction de ses intérêts immédiats. Sa démarche, qui est celle consistant à tenter des « bons coups » au détriment de ses adversaires du moment, ne concerne pas seulement les questions économiques avec les droits de douane, puisqu’on la voit également à l’œuvre sur le plan impérialiste dans les négociations autour de la paix en Ukraine.
Par ailleurs, réagir à la dépression économique par la levée de droits de douane constitue l’effacement total des leçons que la bourgeoisie a tirées de la Grande Dépression des années 1930, c’est-à-dire que le protectionnisme ne peut qu’aggraver la crise de surproduction en réduisant les marchés encore plus.
Enfin, les méthodes aberrantes et autoritaires de l’administration Trump, souvent totalement irrationnelles eu égard non seulement au bon fonctionnement du capitalisme mais encore concernant les propres intérêts des États-Unis, renvoie l’image d’une première puissance mondiale aux comportements imprévisibles et à laquelle on ne peut plus se fier. S’agissant de la première puissance économique mondiale, distançant de loin toutes ses rivales, en particulier sur le plan militaire, l’impact de la politique de Trump sur les rapports entre nations au niveau de l’ensemble de la planète ne peut être que ravageur.
Les effets les plus lourds et dévastateurs de cette déstabilisation globale toucheront en premier lieu la classe exploitée dans le capitalisme : la classe ouvrière. Déjà directement par l’inflation qui va attaquer fortement son pouvoir d’achat et donc sa capacité à survivre dans la situation. Mais les capitaux nationaux vont aussi devoir trouver des compensations à l’augmentation des coûts liés à la reconfiguration des flux de production issus de la mondialisation et aux relocalisations. Pour cela ils n’auront pas d’autre possibilité que d’attaquer les prolétaires, supprimer des emplois, dégrader les conditions de travail pour réduire les coûts marginaux et réduire frontalement les salaires et les revenus indirects liés à la protection sociale. Les annonces des différents gouvernements européens sur les « efforts » à consentir pour « sauver » l’économie nationale ne sont rien d’autre qu’une préparation idéologique aux coups qui vont pleuvoir sur le prolétariat.
La classe ouvrière doit s’attendre, partout dans le monde, à être la première à payer cette plongée dans l’incertitude et le chaos. Les attaques vont s’intensifier et s’accompagneront forcément de campagnes idéologiques qui feront porter la responsabilité de la situation, qui à Trump, qui à la démocratie qu’on attaque, qui aux fauteurs de guerre en Amérique, en Russie et sans doute ailleurs quand ce sera nécessaire.
La guerre commerciale servira aussi à amplifier le discours nationaliste pour la protection de « nos valeurs », la défense de « notre patrimoine économique » et de la « grandeur de notre nation ». Il ne faudra pas tomber dans le panneau. La décomposition du capitalisme entraîne le système sous toutes ses dimensions dans l’abîme. Rien ne peut sortir l’humanité du gouffre, ni des mesures maintes fois essayées et ayant toujours généré plus de crises et de guerres, ni des « efforts » de la force de travail pour encore plus réduire ses coûts et donc ses conditions de travail et moyens de survie.
Rien, sauf une remise en cause totale et radicale de ce système, son renversement au profit d’une société débarrassée de la domination du capital et au seul bénéfice de l’humanité et de son environnement. Cette société, le communisme, est un projet entre les mains du prolétariat qui, en se battant contre les attaques portées contre lui par la bourgeoisie, pourra de plus en plus concevoir ce pouvoir et ses responsabilités historiques. Le chemin est sans doute encore très long mais les perspectives tracées par la situation actuelle ne font que signaler l’urgence d’un développement de la lutte.
Syl. D., avril 2025
1) Révolution internationale, ancienne série n° 6, cité dans notre « Rapport sur la crise économique pour le 25e congrès du CCI » (2024).
Le CCI tient régulièrement des permanences et des réunions publiques, physique ou en ligne. Celle du 5 avril s’est tenue en ligne, regroupant des participants de différents pays et continents. Lors de ce débat, la discussion s’est penchée sur les évolutions de la situation internationale, une situation particulièrement grave et complexe. Cela, afin de pouvoir mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre, de pouvoir mieux poser les conditions de la lutte de classe avec la plus grande clarté possible.
Une introduction du CCI a présenté le cadre politique pour comprendre la signification et les implications du divorce transatlantique, celui que nous pouvons constater entre les États-Unis et l’Europe et qui s’est largement amplifié et confirmé depuis. La dynamique mondiale, qui est à l’œuvre depuis 1989 et qui culmine aujourd’hui avec l’élection de Trump et l’éclatement des alliances scellées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a des implications à différents niveaux de la vie de la société. En particulier sur le plan impérialiste et la lutte de classe.
Sur la base de notre présentation, les participants étaient appelés à intervenir plus précisément sur les thématiques et problématiques suivantes :
– Derrière les promesses de paix de Trump, pouvons-nous nous attendre à autre chose que plus de militarisme et d’escalade guerrière ? La dynamique à l’œuvre depuis 1989 a-t-elle maintenant atteint un nouveau palier historique ?
– La classe capitaliste n’a-t-elle d’autre choix, afin de financer de vastes programmes d’armement, que d’attaquer les travailleurs partout et de la manière la plus impitoyable ?
Les camarades qui sont intervenus après l’exposés ont exprimé un soutien global aux positions défendues par le CCI sur la question des tensions guerrières, avec toutefois des nuances, voire chez un camarade une vision différente à propos de la manière dont le monde s’enfonce dans la barbarie guerrière. Selon lui on assiste à un renforcement de trois blocs impérialistes rivaux.
Mais dans le cadre de cette réunion, il nous a semblé préférable de laisser cette question très importante en suspens afin de privilégier l’analyse du changement historique occasionné par le divorce entre les États-Unis et l’Europe.
Bon nombre d’interventions sont allées dans le sens d’une confirmation de la réalité du développement du chacun pour soi, en particulier au sein de l’UE, soulignant un phénomène aggravé par les pressions américaines et la politique erratique de Trump comme expression du capitalisme en décomposition. Bon nombre de camarades se sont centrés sur les points que nous jugeons essentiels, en tentant notamment d’appréhender la signification de ce que nous qualifions de « divorce » entre les États-Unis et l’UE scellant la rupture de leur alliance : « il est difficile de prédire une rupture définitive entre les États-Unis et l’UE, mais il est clair que l’UE aura un besoin urgent d’augmenter ses dépenses militaires et de renforcer son indépendance […]. Au-delà de Trump, la politique américaine envers la Chine tend à diviser l’UE. De nombreux facteurs divisent les pays : une alliance étroite, fragile ces trente dernières années, mais qui ne se reproduira plus ». Un autre camarade a souligné l’importance du phénomène et sa gravité : « Nous observons une fracture entre les États-Unis et l’Europe. Cela confirme ce qui se passe depuis un certain temps. C’est un Choc et la stupeur face à Trump […]. Même la bourgeoisie affirme que le monde est devenu plus dangereux […]. L’élection de Trump est une nouvelle étape qualitative du capitalisme vers la barbarie ».
De nombreuses interventions ont évoqué aussi, dans ce cadre, le poids du populisme et sa réalité. Un camarade a ainsi cherché à mettre en exergue « une accélération profonde de la crise de toutes les bourgeoisies » mettant en évidence que « la bourgeoisie américaine a encore une supériorité sur la Russie avec l’objectif de mettre le bazar en Europe pour tenter de garder le leadership mondial et damer le pion à la Chine. On est dans une espèce de course folle vers le néant et il n’y a pas le choix pour la bourgeoisie, quoiqu’elle fasse, cela se retourne contre elle […]. Il faut [pour les États-Unis] désorganiser l’Europe, faire tout pour contrecarrer la concurrence de l’Europe ».
Les camarades qui sont intervenus ont souligné les difficultés qu’il y avait pour appréhender une situation mouvante et complexe. Le CCI a donc tenté de contribuer au débat avec le souci de donner un cadre mettant davantage l’accent sur la profondeur historique des changements opérés sur le plan international. Pour comprendre la situation, en particulier cette question du divorce entre les ex-alliés du bloc occidental, nous pensons qu’il est nécessaire de partir de l’équilibre des alliances dans les rapports impérialistes traditionnels instaurés depuis 1945. Après la Seconde Guerre mondiale, il a toujours existé une alliance forte et une certaine dépendance entre les États-Unis et l’Europe de l’Ouest. Même après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, malgré la menace de disparition du bloc occidental et sa désagrégation progressive, les anciens alliés restaient en partie soudés du fait de leur « victoire » mais aussi de leurs inquiétudes et prudence face à un effondrement du bloc de l’Est qui conduisait à rebattre les cartes sur le plan impérialiste. Prônant la « victoire du monde libre » et de la « démocratie », puis la « mort du communisme », il existait encore des liens politiques au sein des ex-alliés, liens qui se sont distendus par la suite du fait de la contestation croissante de l’autorité américaine sans que, pour autant, celle-ci disparaisse totalement.
Or, en février 2025, l’administration Trump entrait en pourparlers avec la Russie de Poutine sans la participation des pays européens et de l’Ukraine. Trump est allé jusqu’à reprendre les arguments de la Russie, justifiant ainsi l’intervention en Ukraine, en opposition totale avec la vision de la plupart des pays Européens. La rencontre entre le président Ukrainien Zelenski humilié et le couple Trump/Vance à Washington a confirmé cet alignement officiel de l’équipe Trump sur les revendications de la Russie face au « dictateur Zelenski ». Ainsi, concernant tant la question ukrainienne que celle de l’OTAN, Trump 2.0 marque une véritable rupture avec les anciens alliés européens. Les liens ténus se sont rompus.
Contrairement aux groupes du milieu politique prolétarien qui pensent que nous nous orientons vers des blocs militaires et une Troisième Guerre mondiale, les faits têtus démontrent qu’il n’en est rien. Même les alliés historiques comme les États-Unis, la Grande Bretagne ou le Canada ne marchent plus ensemble comme par le passé. Cela ne signifie nullement pour autant que le militarisme et la guerre ne sont plus des menaces, bien au contraire !
Dans cette période d’aggravation de la décomposition, il existe un chaos croissant qui s’instaure dans les rouages politiques de la bourgeoisie et alimente le militarisme. La montée du populisme, qui ne correspond pas à une politique réfléchie, rationnelle de la bourgeoisie, donne des orientations politiques chaotiques et aberrantes. Nous avons mentionné des exemples, dont celui spectaculaire de la Grande-Bretagne avec le Brexit, non souhaité par la partie de la bourgeoisie la plus éclairée. Une des bourgeoisies les plus expérimentées au monde perdait ainsi le contrôle de son appareil politique !
Aujourd’hui, nous constatons que la première puissance mondiale, à son tour, se donne comme dirigeants une équipe d’aventuriers irresponsables. Jamais dans la diplomatie bourgeoise de tels comportements ont pu être observés, même pendant les pires moments de la guerre froide, des comportements de voyous qui deviennent peu à peu la règle. De nombreux exemples ont aussi été donnés relatifs à l’irrationalité et la bêtise des orientations populistes, comme celle consistant à d’attaquer systématiquement la science en privant ainsi la classe dominante de certains outils, prouvant à quel point la montée au pouvoir de l’équipe Trump constitue une aberration totale face à la nécessité pour les différentes fractions bourgeoises au pouvoir de défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine et de son État.
Le deuxième point traité durant cette réunion publique concernait les perspectives de la lutte de classe. Malheureusement, si elle a été très vivante et passionnante, cette deuxième partie de discussion a manqué de temps, en particulier pour explorer la question de la dynamique du combat ouvrier.
Globalement, les interventions ont souligné que, face aux attaques brutales, le prolétariat sera amené à lutter : « Toutes les puissances impérialistes augmentent leurs budgets militaires et développent une économie de guerre. C’est la classe ouvrière mondiale qui subira le poids de cette économie de guerre et des politiques d’austérité, subissant une baisse de son niveau de vie. La classe ouvrière sera forcée de répondre par la lutte des classes ». De même, cette insistance : « De toute évidence, il est impossible d’éviter les attaques contre la classe ouvrière, et c’est vrai partout, en raison de la crise. En Europe en particulier, comme je l’ai mentionné précédemment, l’augmentation nécessaire des dépenses militaires, un doublement, se fait aux dépens de la classe ouvrière. La situation ne fait que s’aggraver ».
Beaucoup d’interventions se basaient sur l’analyse selon laquelle « le prolétariat n’est pas près d’être mobilisé pour la guerre », ce qui est effectivement très important et vérifié dans les parties du monde où le prolétariat a la plus forte expérience historique.
Certaines interventions ont aussi insisté avec lucidité sur les obstacles auxquels la classe ouvrière doit se confronter, notamment sur le plan idéologique. Ainsi, la classe ouvrière : « doit résister aux dangers posés par certains gauchistes ou démocrates (à savoir la fausse dichotomie entre démocratie et fascisme) et rester engagée dans sa lutte indépendante. La seule voie progressiste est la lutte des classes ». Une autre intervention allait dans le même sens en s’appuyant sur l’expérience de l’histoire de la Gauche communiste : « la défense de la démocratie contre le fascisme ou l’irrationalité populiste est un aspect essentiel des attaques idéologiques de la bourgeoisie contre la classe ouvrière […]. Parallèlement, d’autres factions de la bourgeoisie parlent de résistance et de défense de la démocratie contre les dangers autocratiques de Trump. La Gauche communiste a toujours été consciente du danger de ce type d’idéologie. Bordiga avait déclaré que le pire produit du fascisme était l’antifascisme ».
Une question cependant plus difficile à appréhender a été celle de savoir si le prolétariat pourra récupérer pleinement son identité de classe, sa conscience de constituer une classe historique aux intérêts opposés à ceux de la bourgeoisie, s’il sera capable de renforcer son combat en vue du renversement du capitalisme. Il s’agit là d’une question très importante, qui est la clé du processus de développement de la conscience de la classe ouvrière. Pour le CCI, ce processus a démarré et s’exprime de manière souterraine et aussi de façon plus visible, comme au moment des luttes au Royaume-Uni de l’été 2022, qui a constitué une rupture dans la dynamique mondiale de la lutte de classe.
En effet, jusque-là, la classe ouvrière était prisonnière des campagnes idéologiques de la bourgeoisie sur une prétendue « fin de la lutte de classe » et sur la « non-existence même de la classe ouvrière ». Une propagande bâtie à partir de l’effondrement du bloc de l’Est présenté comme « preuve » de la « mort du communisme ». En réalité, le recouvrement de l’identité et de la conscience de classe sera un processus long, de plus entravé par de nombreux pièges idéologiques tendus par la bourgeoisie pour tenter de l’en détourner, comme l’ont souligné divers intervenants.
Pour comprendre le sens de la rupture opérée dans les tréfonds de la conscience ouvrière, il convient de prendre du recul historique et procéder avec méthode. Pour le CCI, si nous ne pouvons mettre sur le même plan les grèves en Grande-Bretagne et celles de la fin des années 1960, nous pouvons tout de même procéder, toute proportion gardée, par analogie. Les grèves de 1968 étaient bien plus importantes historiquement. Cependant, les grèves en Grande-Bretagne de l’été 2022 témoignaient de la réalité d’une nouvelle dynamique qualitative de la lutte de classe. Comme l’a rappelé un camarade « cette lutte a éclaté au même moment que la guerre qui faisait rage en Ukraine, avec une vaste campagne médiatique sur la guerre et une crise politique au sein de la bourgeoisie autour de Johnson, juste après la pandémie. Malgré cela, la classe ouvrière a fait passer ses intérêts avant ceux du capitalisme. Ce n’était donc pas une réponse pavlovienne aux attaques, mais le fruit d’une réflexion ».
Nous devons aussi comprendre dans ce processus l’importance du prolétariat anglais, le plus ancien du monde. Dans les années 1970, il était à l’avant-garde de la lutte du prolétariat mondial. Comparée à des pays comme l’Italie, la Grande-Bretagne, en particulier en 1979, était bien le théâtre d’un nombre plus important de jours de grève. Le prolétariat était extrêmement combatif durant cette période, et cela a culminé en 1985 avec les grèves des mineurs. Mais il s’agissait d’un piège tendu par la bourgeoisie qui a isolé et vaincu le prolétariat. Une défaite qui a entraîné une grande passivité pendant des décennies. Il y a eu alors un ralentissement et un reflux des luttes ouvrières un peu partout dans le monde. La chute de l’URSS a aggravé la situation en Grande-Bretagne.
Pourtant, après une période de passivité de plusieurs décennies, le Royaume Uni a été le théâtre du grand mouvement de grèves de l’été 2022. À partir de ce moment, nous avons constaté un changement d’état d’esprit dans la classe ouvrière, dans le rapport de force entre le prolétariat et la bourgeoisie à différents endroits. Un changement qui s’est poursuivi avec des luttes en France, aux États-Unis ou en Belgique, comme il n’en avait pas existé depuis les années 70 et 80. Ce changement d’atmosphère dans la combativité ouvrière ne concerne donc pas seulement la Grande-Bretagne, mais il est le signe d’un changement qui s’effectue en profondeur au sein du prolétariat international.
Bien entendu, il ne faut pas s’attendre mécaniquement à un développement rapide de la lutte et de la conscience prolétariennes. Le chemin est long. La classe ouvrière aura besoin de temps pour développer son identité de classe et sa force, elle devra faire face aux obstacles comme diverses interventions l’ont bien illustrées. C’est un passage obligé pour la classe ouvrière, avant de pouvoir développer sa conscience historique et donner une perspective politique à la lutte.
Les insistances ont porté sur le fait que ces attaques vont également susciter la résistance de la classe ouvrière. La classe ouvrière sera donc attaquée aussi brutalement que dans les années 1930. Face à cette situation, elle doit plus que jamais se battre sur son propre terrain de classe, à savoir la défense de ses intérêts économiques. Même si la classe ouvrière est confrontée à de grandes difficultés, elle n’est pas vaincue et a commencé à relever la tête.
Face à ces perspectives de lutte de classe, nous avons réaffirmé que les révolutionnaires doivent être prêts à intervenir en vue de soutenir la résistance de notre classe, de défendre l’auto-organisation, l’unification des luttes et surtout participer au processus lent et difficile de politisation du combat.
CCI, 23 avril 2025
La barbarie guerrière en Ukraine et au Moyen-Orient semble se poursuivre sans fin, tout comme les nombreuses guerres en Afrique, en particulier au Congo et au Soudan. Pendant ce temps, les puissances européennes sont plus ou moins abandonnées par leur ancien « protecteur » américain, imposant une augmentation significative des dépenses militaires pour leur « défense », ce qui impliquera sans aucun doute des attaques croissantes contre le niveau de vie des travailleurs. Les tensions entre les États-Unis et la Chine s’accentuent également. La question de la guerre et de la lutte contre celle-ci se pose donc avec de plus en plus d’acuité pour tous ceux qui visent à défendre les intérêts internationaux de la classe ouvrière.
Cependant, toute tentative d’adopter une position claire contre la guerre aujourd’hui se confronte immédiatement à un certain nombre d’obstacles. D’un côté, il y a les loups va t’en guerre déguisés en agneaux « internationalistes » : les organisations de l’extrême gauche du capital qui se présentent comme d’authentiques révolutionnaires. Au premier rang de ces organisations figurent les organisations trotskistes, dont un certain nombre ont radicalisées leur discours pour prendre en charge tout réel questionnement sur la nature de la guerre aujourd’hui. 1 Les organisations gauchistes de la bourgeoisie se présentent aujourd’hui comme de véritables défenseurs de l’internationalisme. Mais leur internationalisme n’est qu’une couverture pour leur chauvinisme pur et dur. Ainsi, certains groupes gauchistes (y compris les anarchistes), appellent à soutenir l’Ukraine au nom du « moindre mal », de la « défense du plus faible agressé » dans la lutte contre la Russie de Poutine. D’autres considèrent encore la Russie comme une sorte de « force anti-impérialiste » et soutiennent sa guerre contre l’OTAN, comme le World Socialist Website (WSWS) publié par le Comité International de la Quatrième Internationale. Un groupe trotskiste plus « radical », le Revolutionary Communist Party (anciennement International Marxist Tendency), semble cependant adopter, en apparence, une position internationaliste : « Nous ne pouvons soutenir aucun des deux camps dans cette guerre, car il s’agit d’une guerre réactionnaire des deux côtés. En dernière analyse, il s’agit d’un conflit entre deux groupes d’impérialistes ». Mais face à la guerre au Moyen-Orient, l’internationalisme du RCP a complètement disparu : « Dès le premier jour de cet horrible conflit, nous avons participé au mouvement de solidarité pour la libération de la Palestine ».
Ce que les gauchistes ne peuvent jamais mettre en avant, c’est la conclusion déjà tirée par Rosa Luxemburg pendant la Première Guerre mondiale : dans la période de décadence du capitalisme, l’ère de « l’impérialisme débridé », toutes les nations et toutes les guerres sont impérialistes. De plus, toutes les guerres sont les maillons d’une même chaîne de destruction : par exemple, ceux qui soutiennent les forces militaires luttant pour la « libération de la Palestine » soutiennent nécessairement « l’axe de la Résistance » soutenu par l’Iran, qui à son tour est un fournisseur de drones meurtriers à la Russie dans son attaque contre l’Ukraine.
Il y a aussi tout un paysage de forces politiques qui habitent une zone que nous appelons souvent le « marais », « cette zone intermédiaire qui rassemble tous ceux qui oscillent entre le camp du prolétariat et celui de la bourgeoisie, qui se dirigent constamment vers l’un ou l’autre camp ». 2
Face à la guerre en Ukraine, un certain nombre de groupes, pour la plupart anarchistes, défendent sans ambiguïté, même si sans principe, une position internationaliste d’opposition aux deux camps, critiquant fortement les autres groupes anarchistes qui ont formé des « unités autonomes » au sein de l’armée ukrainienne. Cette position internationaliste a été le point de départ de la conférence « anti-guerre » de Prague à laquelle nous avons participé l’été dernier. 3 Mais comme nous l’avons également vu à Prague, ces anarchistes refusent de se donner un cadre politique cohérent basé sur la classe ouvrière comme seul sujet historique capable de renverser le capitalisme et donc de mettre fin à toutes les guerres. Ils sont souvent tentés par la recherche de résultats immédiats basés sur l’activisme de petits groupes (par exemple, la tentative d’obstruction ou de sabotage de la production ou de la fourniture d’armes). Et dans certains cas, ce type d’activisme déborde vers le gauchisme pur et dur, comme dans le cas du Groupe communiste anarchiste, qui a rejeté à la fois Israël et le Hamas dès le début de la guerre, mais qui en même temps a fait de la publicité pour des activités de Palestine Action, 4 un groupe activiste qui a clairement choisi son camp dans un cadre nationaliste. Les révolutionnaires doivent intervenir dans ce paysage politique, en mettant en évidence ses confusions et en le poussant plus avant vers un niveau de clarté supérieur à celui qu’il a atteint.
Enfin, qu’en est-il du milieu révolutionnaire lui-même, celui des organisations de la seule tradition qui a maintenu un internationalisme cohérent depuis plus d’un siècle, la Gauche communiste internationale ?
Comme le prolétariat dans son ensemble, que Marx appelait dans L’Idéologie allemande : « une classe de la société civile qui n’est pas une classe de la société civile », les organisations révolutionnaires sont un « corps étranger » à l’intérieur de ce système, une expression vivante de l’avenir communiste, et pourtant elles vivent et respirent à l’intérieur de ce système, ce qui signifie qu’elles ne sont jamais à l’abri d’inhaler le poison de l’idéologie dominante.
La maladie que cette idéologie entraîne est connue sous le nom d’opportunisme, c'es-à-dire s’adapter aux visions sous-jacentes de ce système (comme l’idée que les nations sont quelque chose d’éternel et au-dessus de la division de la société en classes)et celle d’édulcorer les principes afin d’obtenir un écho immédiat au sein des masses.
La pénétration de l’opportunisme dans le milieu existant de la Gauche communiste est particulièrement évidente lorsque l’on examine la réponse des différents groupes bordiguistes (ces différents groupes se nommant tous Parti communiste international) face à la guerre au Moyen-Orient. Après avoir adopté une position claire sur la guerre en Ukraine, leurs déclarations sur Gaza et la question palestinienne, à l’instar de nombreux groupes dans le marais, sont souvent très ambiguës, tendant à soutenir la lutte des « masses palestiniennes » spécifiquement contre l’occupation Israélienne, ou exigeant que les travailleurs israéliens se mobilisent d’abord pour soutenir les Palestiniens avant de pouvoir se joindre à une bataille de classe commune contre les exploiteurs des deux camps. Comme nous le montrons dans un article de la Revue internationale n° 173, 5 les confusions des différents groupes bordiguistes sur la question nationale ont des racines historiques profondes, reflétant une réelle difficulté à reconnaître que le capitalisme n’est plus, et n’est plus nulle part, un système ascendant avec des possibilités de révolutions nationales ou bourgeoises comme il l’était à l’époque du Manifeste du Parti communiste.
Les concessions à l’idéologie et aux pratiques bourgeoises, qui caractérisent l’aile droite du mouvement ouvrier, ont toujours été accompagnées d’un sectarisme à l’égard de l’aile gauche du mouvement, de ceux dont l’adhésion aux principes et dont la capacité à comprendre les changements historiques profonds de la situation du capitalisme et du prolétariat fondés sur l’analyse et l’évolution du rapport de forces entre les deux classes déterminantes de la société, irritent ceux qui veulent poursuivre leurs schémas opportunistes.
C’est clairement le cas des bordiguistes, qui ont presque toujours refusé de discuter avec les autres courants du mouvement révolutionnaire, un nouveau « principe éternel » en totale contradiction avec la pratique de la Fraction italienne de la Gauche communiste dans les années 1930, qui a toujours soutenu que la confrontation des positions politiques était une nécessité vitale pour le développement de la clarté et l’unification finale du mouvement révolutionnaire.
Lorsque la guerre d’Ukraine a éclaté en 2022, le CCI a appelé à une Déclaration commune de défense des principes internationalistes par tous les groupes authentiques de la Gauche communiste. Cet appel a été suivi par d’autres : sur la guerre au Moyen-Orient ou sur les campagnes bourgeoises autour de la « défense de la démocratie » contre la droite populiste. À quelques exceptions près, dont nous ne voulons pas minimiser l’importance, ces appels ont été systématiquement rejetés par les autres groupes.
La réponse (ou dans la plupart des cas, la non-réponse) des bordiguistes était prévisible, puisqu’elle correspond à leur idée classiquement sectaire selon laquelle leurs différentes organisations ont déjà atteint la position ultime et indépassable d’être le seul et unique parti de classe. Mais il faut aussi noter que la Tendance communiste internationaliste (TCI), dont les positions programmatiques, notamment sur la question nationale, sont beaucoup plus proches des nôtres que celles des bordiguistes, a également rejeté notre appel, comme l’ont fait leurs prédécesseurs à d’autres moments de conflits impérialistes aigus, tels que l’invasion russe de l’Afghanistan, la guerre dans l’ex-Yougoslavie, etc.
Une Déclaration commune de la Gauche communiste était rejetée pour diverses raisons : parce qu’elle était soi-disant « trop générale » et ignorait « d’importantes différences d’analyse », parce qu’elle n’a « pas été envoyée à des groupes » que nous définissons comme parasites mais qu’ils veulent accepter comme faisant partie de la Gauche communiste (par exemple, le GIGC), 6 et surtout parce que leur principale préoccupation était de réunir un plus large éventail de groupes et d’individus internationalistes au-delà de la Gauche communiste. D’où leur initiative No War But the Class War (NWBCW), consistant à constituer des groupes sur la base d’un ensemble réduit de principes et de large ouverture afin de faire de la propagande ou de l’agitation contre la guerre impérialiste. 7
Pour nous, il s’agissait d’un nouveau cas de sectarisme envers la Gauche accompagné d’une approche opportuniste du marais : l’initiative du NWBCW était particulièrement destinée au milieu anarchiste, et avant la conférence de Prague, elle était proposée comme une voie à suivre pour toutes ses composantes très hétérogènes, dont la majorité voit l’opposition à la guerre d’une manière totalement activiste.
En fait, comme nous l’avons souligné dans un article consacré à la conférence, l’un des éléments les plus positifs de cette réunion a été l’amorce d’une coopération politique entre le CCI et la CWO (Communist Worker’s Organisation, section anglaise de la TCI) en vue de présenter une critique de l’activisme individuel ou de petits groupes, fondée sur la reconnaissance claire du fait que l’opposition à la guerre impérialiste ne peut naître que de la lutte de masse du prolétariat pour la défense de ses propres intérêts de classe. 8
Ce fragile moment d’unité entre les forces de la Gauche communiste (qui s’est heurté à une réelle hostilité de la part de certains « organisateurs » de la conférence) constitue à nos yeux une justification de l’approche adoptée par la Gauche, en particulier par Lénine et les bolcheviks, lors des conférences de Zimmerwald et de Kienthal pendant la Première Guerre mondiale. Les bolcheviks ont compris la nécessité de participer à ces conférences, malgré le fait qu’elles réunissaient des pacifistes et des centristes ainsi que des internationalistes conséquents. L’essentiel était d’être présent pour avancer une critique rigoureuse du pacifisme et du centrisme et pour esquisser une véritable position internationaliste (qui, à l’époque, s’exprimait le mieux par le slogan « transformer la guerre impérialiste en guerre civile »).
La même conclusion s’applique aujourd’hui : oui, il faut aller à la rencontre de tous ceux qui veulent lutter contre la guerre impérialiste, se réunir avec eux, discuter avec eux, mais sans faire de concessions à la conception confuse de l’organisation des groupes, à leur incohérence politique et à leurs concessions à l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise. Pour ce faire, une position unifiée des groupes de la Gauche communiste est un point de départ essentiel.
Il ne s’agit pas de nier l’existence de désaccords importants entre les groupes de la Gauche communiste, par exemple sur la question de savoir si la dynamique guerrière actuelle voit la reconstitution des blocs impérialistes et se dirige vers une troisième guerre mondiale, ou si la tendance dominante est celle d’un chaos impérialiste non moins dangereux. Ce sont là des points de discussion sur lesquels nous reviendrons dans un deuxième article, qui portera sur la signification du « divorce » entre les États-Unis et l’Europe. Mais ce que la semaine d’action de Prague a montré, c’est que la Gauche communiste est bien le seul courant capable d’aborder le problème de la guerre dans une perspective de classe.
Selon nous, l’application de cette perspective aux conditions actuelles conduit à la conclusion que la possibilité d’une opposition prolétarienne de masse à la guerre impérialiste viendra principalement des luttes des travailleurs contre les attaques sur leur niveau de vie exigées par la crise économique. Le fait que ces attaques s’accompagnent de plus en plus d’appels à des sacrifices pour construire l’économie de guerre sera certainement un facteur permettant aux travailleurs de faire le lien entre la lutte pour les revendications économiques et la question de la guerre impérialiste, et finalement de politiser leurs luttes, mais cela reste un processus de longue haleine qui ne doit pas conduire à des actions impatientes qui tendent à se substituer à la nécessaire lutte massive du prolétariat. Après des décennies de recul de la lutte de classe, la classe ouvrière ne peut retrouver son identité de classe (en tant que force mondiale qui n’a pas de patrie à défendre) qu’en passant par la dure école de la défense de son niveau de vie.
Les organisations de la Gauche communiste joueront certainement un rôle clé dans la récupération de l’identité de classe et, en fin de compte, de la perspective de la révolution, mais elles ne peuvent le faire qu’en tant qu’organisations politiques distinctes basées sur une plateforme cohérente, et non en tant que « fronts » lâches qui semblent offrir de manière trompeuse la possibilité d’un succès plus immédiat pour s’opposer à la guerre ou même pour l’arrêter.
D’nA, avril 2025
1) Voir aussi notre article « Dispute entre “Révolution permanente” et “Lutte ouvrière”: Deux variantes trotskistes d’un même nationalisme ! [76] », Révolution internationale n° 503 (2025).
2) Citation extraite de notre article « Les deux mamelles auxquelles s’accrochent les communisateurs : négation du prolétariat révolutionnaire, négation de la dictature du prolétariat [77] », Revue internationale n° 172.
3) Cf. « Action [78]W [78]eek [78] à Prague : l’activisme est un obstacle à la clarification politique [78] », Revue internationale n° 172 (2024).
4) Cf. « L’Anarchist Communist Group franchit une nouvelle étape en soutenant la campagne de guerre nationaliste [79] », publié sur le site web du CCI.
6) Cf. « Attaquer le CCI : la raison d’être du GIGC [81] », publié sur le site web du CCI.
7) Pour une critique plus développée de cette initiative, cf. « La “Tendance Communiste Internationaliste” et l’initiative “No War But the Class War” : un bluff opportuniste qui affaiblit la Gauche communiste [82] », Revue internationale spéciale « Lutte contre l’opportuniste ».
8) « Semaine d’action de Prague : quelques leçons et quelques réponses aux calomnies [83] », Révolution internationale n° 502.
Avec l’intensification des bombardements en Ukraine et en Russie, et la nouvelle débauche de barbarie à Potrovsk, l’interminable politique de terreur et de destructions continue de s’abattre sur les populations civiles. Au Moyen-Orient, l’armée israélienne poursuit inlassablement ses bombardements génocidaires et engage une nouvelle opération sanglante, un vaste plan visant à conquérir Gaza en ruine. Les territoires dévastés et les innombrables victimes témoignent partout d’une exacerbation des conflits impérialistes. Les guerres du capitalisme s’enlisent inexorablement sur tous les continents, prises dans une folle logique de terre brûlée, une inépuisable fuite en avant dans la destruction et l’extension du chaos. La résurgence de la menace nucléaire et les surenchères verbales qui l’accompagnent en sont une expression glaçante.
Dans ce contexte, la mise en scène de la rencontre Trump-Poutine en Alaska, celle de Washington avec les dirigeants européens et Zelensky ont offert un spectacle qui n’a évidemment rien changé à l’horreur de la guerre : le divorce entre les puissances européennes et l’Oncle Sam, l’imprévisibilité et le discrédit de la diplomatie américaine, la vacuité des pourparlers, ne font que souligner l’accélération du chaos mondial et l’impasse historique que représente le système capitaliste. Cette situation cauchemardesque alimente les peurs et sert à justifier une course aux armements qui fait peser encore plus de menaces sur l’humanité.
Sur tous les plans, la bourgeoisie démontre qu’elle n’a aucun avenir à offrir autre que la guerre, la misère et les catastrophes en tous genres. De manière totalement irresponsable et criminelle, sous le poids de la crise économique aiguë, elle poursuit aussi la destruction de l’environnement, accentuant le réchauffement climatique et toute une série de pollutions qui menacent directement l’humanité, et en premier lieu les plus pauvres. Chaque année les conséquences en sont de plus en plus visibles, la période de canicule de cet été ayant été marquée une nouvelle fois par des méga-feux, un peu partout en Europe, dévastant de larges zones géographiques, en particulier dans l’arc méditerranéen (Espagne, Portugal, Grèce, sud de la France…). Voilà un sombre tableau, une éclatante confirmation de l’accélération de la décomposition du système capitaliste, où toutes les crises, toutes les catastrophes s’alimentent les unes les autres dans une véritable spirale infernale.
Face à ce monde apocalyptique, la bourgeoisie aux abois n’a donc d’autre choix que de porter des attaques massives tous azimuts, comme elle le fait partout. Comme toujours, le prolétariat doit payer de sa poche, de sa sueur et même de son sang la crise et l’économie de guerre. La classe dominante montre ainsi qu’elle n’a aucune véritable solution pour inverser le cours de la tragédie qu’elle a générée par ses rapines, par la logique concurrentielle de son système agonisant.
L’avenir est-il alors sans espoir ? Si nous comptons sur la classe dominante, ses promesses électorales et ses mensonges nous faisant miroiter « démocratie » et « justice sociale » pour mieux dissimuler l’impasse de son système, nous sommes perdus. En revanche, il existe bel et bien une force sociale capable de dégager une véritable perspective : le prolétariat international.
Le capitalisme en décadence, empêtré dans ses contradictions et dans la concurrence généralisée, n’a plus aucune véritable réforme positive à offrir au prolétariat. Il ne peut qu’attaquer ses conditions d’existence, le presser toujours plus comme un citron. Notre classe n’a donc strictement rien à gagner dans ce système. Mais parce qu’elle n’a pas d’intérêt particulier autre que la lutte, qu’elle est une classe exploitée au cœur de la production mondiale, elle a aussi la particularité d’être une classe révolutionnaire. Elle seule, par les conditions universelles de son exploitation, possède les armes pour détruire le capitalisme qui l’enchaîne en abolissant ses rapports sociaux fondés sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
L’histoire du mouvement ouvrier témoigne de la puissance créatrice de la classe ouvrière, de la force sociale de son combat, de sa capacité à offrir une perceptive révolutionnaire pour une société libérée, sans classe. La Commune de Paris, la révolution en Russie en 1917 et la vague révolutionnaire des années 1917-1923, montrent qu’il ne s’agit pas de simples rêveries d’utopistes mais d’un mouvement historique réel, produit d’une nécessité matérielle.
Or, aujourd’hui, après une trentaine d’années d’atonie, d’un recul de sa combativité et de sa conscience, ce même prolétariat, même si ses nouvelles générations sont moins expérimentées, est de retour sur le chemin de la lutte. Durant l’été 2022, le mouvement massif en Grande-Bretagne, qualifié d’« été de la colère », a marqué le début d’une véritable rupture. Cela, dans le sens où s’exprime à nouveau une immense colère, une forte combativité des luttes partout dans le monde (que la bourgeoisie prend bien soin d’occulter par un immense black-out médiatique) : France, États-Unis, Canada, Corée, Belgique… À travers ces luttes qualifiées partout d’« historiques », nous assistons à un retour spectaculaire de la combativité du prolétariat, alimentée par une maturation souterraine de la conscience ouvrière, une reflexion en profondeur en son sein, particulièrement parmi les minorités qui se rapprochent des positions révolutionnaires. Le prolétariat n’est plus prêt à accepter les attaques sans broncher, comme en ont témoigné, une fois encore, les luttes en Grande-Bretagne en 2022 et ailleurs ensuite, avec un même slogan : « Trop, c’est trop ! ».
Les attaques massives que subissent de nouveau les ouvriers doivent les conduire à riposter. La classe ouvrière n’a pas d’autre choix que de se battre. La lutte sera longue et difficile, semée d’embûches et d’obstacles dressés par la bourgeoisie et la putréfaction même de son système.
Les révolutionnaires et les minorités les plus combatives ont déjà un rôle et une responsabilité particulière dans ce contexte : s’engager, se préparer à stimuler les luttes en intervenant en leur sein dès que possible de manière décidée pour raviver la mémoire ouvrière, défendre l’internationalisme et la perspective de classe. Face à l’intense propagande démocratique, notamment de la gauche et des gauchistes, face au grand danger de l’interclassisme (ces luttes où les revendications et les moyens de lutte de la classe ouvrière sont noyés dans les revendications du « peuple », des petits patrons, de la petite-bourgeoisie, etc.), les minorités révolutionnaires et la classe ouvrière devront défendre leur autonomie et leurs méthodes de lutte que sont la défense des lieux de réunions communistes et ouvriers, les AG, la grève, les manifestations massives de rue, une lutte la plus large possible qui devra être déterminée, mais aussi et surtout consciente.
WH, 1er septembre 2025
Le gouvernement Bayrou est tombé. Mais les attaques vont se poursuivre ! Avec le prochain gouvernement, qu’il soit de droite, 1 de gauche ou populiste, les licenciements, les cures d’austérité et l’exploitation vont continuer à s’intensifier.
En France, comme partout dans le monde, la bourgeoisie ne peut que multiplier les attaques à grande échelle pour faire payer à la classe ouvrière le prix de la faillite de son système, pressurer nos conditions de travail et d’existence pour défendre les intérêts du capital national dans le chaos de plus en plus brutal de la concurrence internationale, et financer l’accroissement gigantesque de son arsenal militaire.
Ces attaques inédites depuis des décennies, ne sont pas une spécificité française. Loin de là ! Partout dans le monde, la bourgeoisie impose des coupes budgétaires et la précarisation de l’emploi. Animés d’une profonde colère, d’un sentiment d’injustice et de rejet, les travailleurs du monde entier refusent l’austérité : manifestations massives et grèves en Belgique depuis janvier, grève « historique » contre les licenciements chez Stellantis en Italie à l’automne dernier, grève « illégale » pour les salaires des employés d’Air Canada en juillet, grèves à répétition chez Boeing depuis la fin de l’année dernière, sans parler d’autres mouvements un peu partout dans le monde qui confirment que la classe ouvrière a retrouvé sa combativité et cherche à s’opposer aux attaques de la bourgeoisie.
Si la Belgique était, ces derniers mois, l’un des États d’Europe les plus touchés par les mobilisations contre les vastes mesures d’austérité, c’est maintenant la France qui voit la tension sociale croître fortement. Avec ou sans Bayrou, les attaques programmées sont particulièrement violentes : santé, éducation, secteur des transports, arrêts maladie, indemnisations des chômeurs et des retraités, minima sociaux… C’est toute la classe ouvrière qui est massivement attaquée !
Et la bourgeoisie sait très bien que la colère est immense et que la classe ouvrière ne laissera pas ces graves attaques sans réponse. Le mécontentement n’est pas retombé depuis la lutte contre la réforme des retraites, il y a deux ans, car la bourgeoisie n’est pas parvenue à instiller l’idée de défaite. L’annonce du plan Bayrou et la brutalité des mesures ont ravivé cette colère. La classe ouvrière ne peut que riposter.
Face à cette combativité, la bourgeoisie s’est préparée, tendant tous les pièges possibles, exploitant toutes les difficultés que le prolétariat rencontre pour développer son combat et retrouver son identité de classe. À ce titre, les luttes en cours et à venir en France, les pièges idéologiques tendus par la bourgeoisie, sont riches d’enseignements pour l’ensemble du prolétariat mondial.
Au mois de mai un « collectif citoyen » faisait son apparition. Issu des groupes d’extrême-droite ou populistes (autour de l’expression « C’est Nicolas qui paie »), il surfait initialement sur le rejet épidermique des syndicats, des partis et des institutions. Ce mouvement du 10 septembre, qui a bénéficié d’une large publicité dans les médias, appelait au blocage du pays et de son économie, au boycott de tout et n’importe quoi, de l’utilisation des cartes bleues, des terminaux bancaires, des achats en grande surface, de l’école…
Durant l’été, la composante populiste du collectif a largement fondu au soleil du tollé dans la population et surtout de la colère ouvrière suite à l’annonce du plan d’austérité de Bayrou. Avec l’appui massif des partis de gauche et d’extrême gauche, cette mouvance a été reléguée au second plan, propulsant sur le devant de la scène les forces de gauche, du PS à LFI en passant par le PCF et les trotskistes de Révolution Permanente (les centrales syndicales ayant plus ou moins pris leurs distances), ce qui a entraîné par la même occasion une réorientation significative des revendications de ce mouvement vers un contenu plus « ouvrier » (appels à la grève et à des manifestations, notamment).
Certes, ce mouvement est une expression de colère et de combativité. Certes, des ouvriers sont présents, sans doute majoritairement. Mais ce qui se dessine, à l’heure où nous écrivons ces lignes, c’est un mouvement interclassiste, comme on l’a connu en 2018 avec les gilets jaunes, un mouvement où « le peuple » se dresse contre « les élites ».
Derrière ce type de phraséologie, se dissimule un véritable piège. Car dans de tels mouvements, la classe ouvrière, la seule force véritablement capable de faire trembler la bourgeoisie et de tracer, dans le futur, la perspective du renversement du capitalisme, se trouve réduite à l’impuissance. Pourquoi ?
En faisant très largement la promotion d’un tel mouvement durant l’été, la bourgeoisie cherchait à diluer les revendications ouvrières dans celle des couches intermédiaires. Dissoudre la classe ouvrière dans le « peuple », c’est la faire disparaître de la scène sociale, entraver le développement de sa propre lutte autonome. Au lieu de se trouver à la tête du mouvement, d’imposer ses mots d’ordre (sur les salaires, sur les conditions de travail, sur la précarité, etc), le mouvement du 10 septembre est utilisé pour tenter de noyer la classe ouvrière dans des revendications totalement étrangères à ses intérêts, celles de petits patrons (les boulangers, les artisans, etc.) et de la petite bourgeoisie (comme les taxis ou les petits paysans) sur « la pression fiscale », « les charges », « les normes qui étouffent »…
Ce type de mouvement rend également le prolétariat particulièrement vulnérable aux mystifications sur la « démocratie » bourgeoise. Il est clair que le mouvement du 10 septembre n’a pas du tout perdu sa composante « citoyenne » et « populaire » durant l’été. Au contraire, avec l’apparition des assemblées citoyennes et la persistance des mots d’ordre anti-Macron, la gauche n’a cessé d’utiliser ce mouvement pour affaiblir la classe ouvrière. Les partis de gauche nous rebattent les oreilles avec la perspective d’un nouveau Premier ministre, de nouvelles élections qui pourraient mettre en place un gouvernement plus social, permettre de « faire payer les riches », mieux « redistribuer les richesses »… comme si le capitalisme en faillite pouvait se réformer, apporter plus de « justice sociale », comme si l’exploitation dans un système à bout de souffle pouvait être plus « équitable » ! C’était très clair dans les AG citoyennes où il était beaucoup question de « renverser Macron », de « démocratie directe », d’« équité fiscale », etc.
Et tout cela, nous dit-on, nous pourrions l’imposer par la rue le 10 septembre ! Les officines bourgeoises, partis de gauche et syndicats nous vendent ces sornettes depuis des années : Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, PS et LFI en France… derrière les discours, c’est toujours l’austérité qu’ils appliquent quand ils sont au pouvoir !
Les groupes gauchistes, notamment trotskistes, ne sont pas en reste pour distiller le poison du démocratisme : Révolution Permanente, par la plume de son porte-parole Anasse Kazib, s’en est pris à la CGT (qui refuse de soutenir le mouvement du 10 septembre) : « Quand l’extrême droite, derrière les slogans du type “Nicolas qui paye” et ses appels à ne pas faire grève, boycotte ouvertement le 10 septembre, il faut mener la bataille à fond pour convaincre le maximum de travailleurs en les appuyant ».
Quant à Lutte Ouvrière, bien plus « radicale » (et sournoise !) comme d’habitude, elle considère l’appel du 10 septembre comme « confus »… sans dénoncer la campagne démocratique et promouvant les illusions sur la « juste répartition des richesses ».
Le mot d’ordre central du mouvement du 10 septembre, « bloquons tout », est également, sous couvert de radicalité, un piège tendu à la classe ouvrière. Le « blocage de l’économie » est une arme constamment utilisée par les syndicats pour désarmer le prolétariat. Alors que les ouvriers en lutte ont besoin d’aller chercher la solidarité de leurs frères de classe, d’étendre et unifier au maximum leurs mouvements, « bloquer tout », c’est chercher à enfermer les travailleurs dans leur entreprise, dans leur secteur, derrière leur piquet de grève. Au lieu d’immenses AG autonomes et souveraines, ouvertes à tous et réunissant les prolétaires par-delà les divisions corporatistes, permettant à la classe de sentir de façon vivante sa propre force, de développer sa réflexion collective, on enferme les travailleurs derrière le barrage de leur entreprise. Cette volonté d’isoler les prolétaires a été jusqu’à l’appel à « l’auto-confinement généralisé », c’est-à-dire rester chez soi, totalement atomisé !
Ce n’est pas la première fois que la bourgeoisie met en avant une telle tactique. En 2010 et en 2023, alors qu’il y avait en France des mouvements massifs contre les réformes des retraites, les syndicats ont enfermé les travailleurs des raffineries et les cheminots dans de longs blocages, les embarquant dans des mouvements épuisants, séparés du reste de leur classe. Ces mouvements ont suscité des divisions entre ceux qui voulaient continuer à bloquer, faire grève et les travailleurs contraints de retourner au boulot et qui se retrouvaient sans essence ou transport en commun.
Bien différente fût la grève de masse de 1980 en Pologne, totalement ignorée des médias, lorsque les ouvriers se sont servis de l’appareil de production, non pour s’enfermer dans des citadelles assiégées, mais pour étendre le combat. Les trains circulaient alors pour emmener les grévistes en masse vers les lieux de rassemblement et les assemblées de masse. En deux mois, le mouvement s’était étendu à l’ensemble du pays.
La colère et la volonté de se battre sont présentes parmi les travailleurs. Mais ils ont encore énormément de difficulté pour se reconnaître en tant que classe ouvrière. Et la bourgeoisie exploite cette faiblesse pour tenter de détourner leur combativité vers l’interclassisme.
La classe ouvrière peut contrer ce détournement en s’appuyant sur son expérience historique, comme celle de la Pologne en 1980, de Mai 68 en France, ou plus récemment du mouvement contre le CPE, en 2006. La force d’un mouvement de lutte réside dans la capacité des ouvriers à prendre en main leur lutte, à les étendre au maximum à tous les secteurs, et même, à tous les pays ! Les assemblées générales souveraines et autonomes, les délégations massives, les discussions les plus larges possibles, sont les meilleures armes du mouvement ouvrier.
De telles armes sont très différentes des assemblées citoyennes qui visent à exercer une « pression populaire » sur le gouvernement par la rue ; l’assemblée ouvrière, au contraire, cherche à développer la lutte et la solidarité de classe, seul terrain qui puisse permettre aujourd’hui de faire reculer l’État, et, demain, renverser le capitalisme en faillite.
Dans une telle dynamique, les travailleurs se heurteront inévitablement aux syndicats, ces faux amis de la classe ouvrière, véritables chiens de garde étatiques de la bourgeoisie. Leur rôle est d’encadrer les luttes, de diviser les ouvriers, secteur par secteur, entreprise par entreprise, et d’empêcher toute prise en main et toute extension de la lutte.
D’ailleurs, les syndicats planifient dès à présent une série d’actions visant à organiser la division et à encadrer idéologiquement, eux aussi, la colère ouvrière. Après une réunion intersyndicale pour « organiser la mobilisation » et le lancement d’une pétition collective pour dire « non au budget Bayrou », la mobilisation du 18 septembre, a été présentée par les syndicats comme un « succès ». Cela, du fait du nombre bien plus important de manifestants que lors de la journée du 10. Mais si « succès » il y a eut, c’est surtout parce que les ouvriers ont, cette fois, très majoritairement lutté sur leur propre terrain de classe, témoignant ainsi d’une capacité de résistance en ne se laissant pas entrainer dans le piège de l’interclassisme
Mais ce combat sur un terrain de classe, avec les armes du prolétariat, il faudra toujours le renforcer. C’est avant tout un immense effort de réflexion collective. Ce n’est pas un chemin facile, mais c’est le seul qui puisse offrir un futur à l’humanité. Pour ce faire, partout où les ouvriers les plus combatifs le peuvent, il faut se réunir, discuter, débattre, nous réapproprier l’expérience de notre classe et préparer les luttes futures.
Ce n’est pas en faisant confiance aux saboteurs professionnels des luttes que sont les syndicats, ni à un quelconque « collectif » visant à ramasser toutes les classes dans un appel au « boycott », ni en faisant confiance aux partis politiques bourgeois et à leur Parlement, que la classe ouvrière pourra défendre sa perspective révolutionnaire. La bourgeoisie sait parfaitement que le prolétariat mondial retrouve sa combativité face aux attaques et réagit massivement, que des minorités d’ouvriers combatifs vont émerger des luttes, vont vouloir discuter de comment lutter, vont comprendre que la gauche et les syndicats nous condamnent à l’impuissance. C’est ce qu’elle redoute aujourd’hui le plus et qu’elle essaie, avec le laboratoire qu’est aujourd’hui la France, de conjurer.
TG, 9 septembre 2025 (mis à jour le 19 septembre 2025)
1) Comme cela semble se dessiner, à l’heure où nous écrivons ces lignes, avec la nomination de l’ancien ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Partout dans le monde, la bourgeoisie fait payer au prolétariat le coût de la crise économique de son système et de l’expansion du militarisme à travers un déluge d’attaques qui s’abattent sur les ouvriers. C’est ce cumul d’attaques conduisant à un processus de paupérisation massif qui provoque aujourd’hui une colère toujours plus forte au sein de la population, en particulier de la classe ouvrière, une volonté de riposter et de ne pas accepter les sacrifices demandés.
Pour survivre à la guerre économique dans l’arène internationale, pour financer les préparatifs de guerre, la bourgeoisie n’a pourtant d’autre solution que d’imposer des mesures d’austérité de plus en plus draconiennes à la classe ouvrière. Mais loin de constituer une solution à la crise, celles-ci ne font qu’aggraver les contradictions du système capitaliste. Alors que les dettes sont abyssales et que d’un côté elle coupe tous les budgets sociaux, la bourgeoisie dépense de l’autre des sommes astronomiques pour les dépenses d’armement. Pour toutes les puissances, des plus petites jusqu’aux plus grandes, la logique est la même : fournir un effort de guerre historique que la classe ouvrière doit payer ! Cette orientation est déjà à l’œuvre dans les pays industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord. Et n’ayons aucune illusion, tout retour à une situation antérieure plus supportable est exclu tout comme le sont les moyens d’apaiser une colère légitime. Qu’on en juge ! Les pays les plus industrialisés d’Europe, se trouvent au cœur de la tourmente.
En Belgique, depuis le début de 2025, la classe ouvrière s’est mobilisée contre les mesures du gouvernement fédéral pour imposer 26 milliards d’économies budgétaires afin d’accroître la compétitivité et la rentabilité de l’économie nationale tout en dépensant des dizaines de milliards pour l’achat de matériel militaire. Ce large programme d’austérité impactera fortement toute la classe ouvrière, alors que les travailleurs des entreprises privées sont déjà licenciés en masse, l’indexation automatique des salaires et des allocations est érodée, les primes pour les heures supplémentaires et le travail de nuit sont réduites, la flexibilité du travail augmentée, le droit aux allocations chômage restreint. De plus, des coupes sombres sont opérées dans les pensions et l’assurance maladie, le nombre total de fonctionnaires est réduit, la titularisation du personnel enseignant est mise en péril, etc. 1
En Allemagne aussi, le nouveau gouvernement prévoit d’économiser plusieurs milliards d’euros sur le revenu universel (Bürgergeld) au cours des deux prochaines années. Les dépenses devraient diminuer de 1,5 milliard d’euros l’année prochaine. Cette économie devrait atteindre 3 milliards d’euros en 2027. En même temps 10 000 emplois industriels sont détruits chaque mois et les entreprises allemandes prévoient encore de licencier plus de 125 000 travailleurs. En outre, le nombre de chômeurs a dépassé en août la barre des 3 millions et une étude de l’Institut der deutschen Wirtschaft (Institut de l'économie allemande) propose de réduire la durée des allocations chômage pour les seniors.
Et quand un pays comme l’Espagne se présente comme une exception à cette tendance générale avec un taux de croissance du PIB de 2,5 % à faire rêver les États voisins, la réalité pour le prolétariat espagnol est moins idyllique : la « bonne santé » économique est soutenue par une forte pression à la baisse sur les salaires, par l’accueil massif d’une main-d’œuvre étrangère sous-payée qui pousse les salaires moyens vers le bas, de plus en plus découplés de l’augmentation du coût de la vie.
Le cas le plus récent et « spectaculaire », illustratif de cette situation, concerne la France où le prolétariat va aussi être frappé très durement. Le premier ministre Bayrou a annoncé, le 15 juillet, une série de mesures pour réduire le déficit public colossal de l’économie française, qui ne fait pas dans la dentelle : suppression pure et simple de deux jours fériés pour tous les salariés, contrôle et surveillance renforcés avec un énième durcissement des règles d’indemnisation de centaines de milliers de chômeurs, réduction des effectifs dans la fonction publique (à travers le non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois), gel des pensions et des prestations sociales, libéralisation du marché de l’emploi… À cela il faut ajouter toutes les mesures constituant des obstacles supplémentaires à l’accès aux soins ou à l’indemnisation des arrêts maladie sous prétexte « d’équité sociale » et de « chasse aux abus ». L’hypocrisie sans nom de leur justification ne cède en rien à la violence de ces annonces.
Dans des pays comme l’Argentine 2 ou les Philippines, 3 la bourgeoisie pousse à l’extrême les conditions d’exploitation de la classe ouvrière. En Inde, la « réforme » massive du Code du travail constitue une attaque frontale contre les conditions de travail en affaiblissant, voire en supprimant, toute forme de sécurité ou de droits légaux, tels que le salaire minimum, les horaires de travail fixes et la sécurité de l’emploi et du lieu de travail.
En outre, l’envolée du chômage suite à l’augmentation des droits de douane américains, combinée à la poussée de l’inflation impactent durement les conditions de vie de la classe ouvrière.
La classe ouvrière en Chine n’est pas épargnée. Les faillites en cascade dans le secteur immobilier ont déjà entraîné des centaines de milliers de licenciements, ainsi que d’importantes réductions salariales dans les entreprises de construction, de gestion immobilière et de la chaîne d’approvisionnement. Des géants de la technologie tels qu’Alibaba, Tencent et ByteDance annoncent d’importantes réductions d’effectifs. Des ouvriers sont privés de leur salaire depuis des mois. Les municipalités, fortement endettées, privilégient le remboursement des obligations plutôt que le paiement des salaires des fonctionnaires. Le chômage des jeunes a déjà atteint des niveaux sans précédent, un jeune travailleur chinois sur quatre étant sans emploi.
Loin d’être à l’abri de violentes attaques économique, la classe ouvrière des pays d’Amérique du Nord est directement exposée à toutes les conséquences de la guerre économique, du chaos croissant et de l’expansion explosive du militarisme. Au printemps, aux États-Unis, des coupes de près de 1 000 milliards de dollars étaient décidées dans les budgets sociaux pour la Santé (Medicaid). Concrètement, cela se traduira par la perte de la couverture santé pour près de 15 millions de personnes. Des mesures similaires étaient prises contre le Programme d’aide alimentaire (SNAP), où des coupes de 186 milliards de dollars entraînent la perte d’une partie ou de la totalité des prestations d’aide alimentaire pour 22,3 millions de personnes. Il a également été annoncé le licenciement d’environ 225 000 fonctionnaires fédéraux, qui seront sans doute suivis par des dizaines de milliers de licenciements dans le secteur de l’Éducation en raison d’une réduction budgétaire de 7 milliards d’euros, ainsi que des réductions budgétaires similaires affectant les prêts étudiants fédéraux et les pensions des employés fédéraux. 4
Comment en sommes nous arrivés là ? Suite à la crise bancaire de 2007-2008 et des dettes souveraines dans la zone euro en 2010-2012, la bourgeoisie a éprouvé des difficultés importantes pour maintenir son système économique à flot. Une telle vulnérabilité allait se répercuter dans sa gestion chaotique lors de la crise du Covid en 2020 et s’illustrer lors de l’irruption de la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient. Ces conflits ont impliqué un accroissement gigantesque de la production militaire, la mise au rencart de « l’économie verte » et provoqué la déstabilisation des marchés des matières premières, des objectifs industriels et des routes commerciales. « L’économie capitaliste était alors déjà en plein ralentissement, marquée par le développement de l’inflation, des pressions croissantes sur les monnaies des grandes puissances et une instabilité financière grandissante, la guerre aggrave désormais la crise économique à tous les niveaux ». 5
La politique économique de l’administration Trump 2 constitue à son tour un facteur de premier plan d’instabilité économique mondiale en particulier du fait de ses orientations protectionnistes (symbolisées par sa politique des droits de douane), de son abandon du multilatéralisme et de la gestion de l’économie mondiale à travers des conférences et instances internationales (OMC, Banque Mondiale, traité du GATT, etc.) au bénéfice de négociations bilatérales d’État à État. Une telle politique est en totale contradiction avec les besoins de l’économie capitaliste mondiale.
Ce à quoi on assiste, c’est « la tentative actuelle des États-Unis de démanteler les derniers vestiges politiques et militaires de l’ordre impérialiste mondial établi en 1945 [qui] s’accompagne de mesures qui menacent clairement toutes les institutions mondiales mises en place à la suite de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale pour réguler le commerce mondial et contenir la crise de la surproduction ». 6 La suppression de ces institutions aura les mêmes effets que le protectionnisme qui a suivi la dépression de 1930 et aggravé la crise mondiale.
Les soubresauts de plus en plus violents et incontrôlables de l’économie ne font que mettre à nu le problème insoluble auquel se heurte la bourgeoisie : la crise mondiale de surproduction généralisée du capitalisme décadent qui pousse chaque capital national à exploiter plus durement la classe ouvrière pour tenter de rester compétitif sur un marché mondial sursaturé. En effet, le monde est aujourd’hui confronté de manière généralisée et définitive, à ce que Marx au XIXe siècle appelait « une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, [qui] s’abat sur la société : l’épidémie de la surproduction ». 7
La surproduction, de cyclique au XIXe siècle est devenue globale et permanente depuis l’entrée du capitalisme en décadence.
Il n’existe pas de solution à la crise du capitalisme au sein de ce système décadent et pourri. Aujourd’hui, la classe ouvrière est appelée à se serrer la ceinture, demain elle sera appelée à se faire trouer la peau dans des guerres du capitalisme comme c’est déjà le cas dans différents pays. Face aux mensonges de la bourgeoisie, qui veut faire croire que la crise serait le produit de la cupidité des riches ou de la bêtise de tel ou tel gouvernement, la responsabilité des organisations révolutionnaires est de mettre clairement en évidence les enjeux historiques et la nécessité de combattre le système capitaliste comme un tout. Elles doivent aussi dénoncer le piège des illusions démocratiques, comme tous les discours hypocrites et perfides de la bourgeoisie sur le « dialogue social » et les mensonges sur une gestion soi-disant « plus juste » du capitalisme qui, d’une manière ou d’une autre, cherchent toutes à détourner le mouvement social vers les urnes. Ces discours ont pour finalité de brouiller les cartes, de pourrir les consciences et les conditions de la lutte. Le prolétariat doit se préparer à répondre par une lutte indépendante, par l'extension et l'unification de son combat sur son propre terrain de classe, au sabotage des syndicats et à la mystification d’un gouvernement « populaire » prônée par les politiciens de gauche, ces faux amis des travailleurs qui, derrière des discours fallacieux, préparent toujours l’austérité en cherchant à désarmer la classe ouvrière.
Stopio, 28 août 2025
1) « Le combat ne fait que commencer ! Comment renforcer notre unité et solidarité [96]? », tract sur les luttes en Belgique disponible sur le site web du CCI.
2) L’inflation atteint déjà 214,4 %, un taux bien plus élevé que celui prévu lors de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Milei en 2023. Depuis lors, 3 millions de personnes ont sombré dans l’indigence absolue (la pire depuis 20 ans) et la malnutrition infantile a atteint des niveaux que l’on ne retrouve aujourd’hui que dans des endroits comme Gaza ou l’Afrique subsaharienne.
3) Augmentation constante du prix des produits de base alors que les salaires stagnent.
4) « Face aux assauts xénophobes de Trump contre la classe ouvrière et au cri de “défense de la démocratie”… la classe ouvrière doit développer sa lutte sur son propre terrain [97]! », publié sur le site web du CCI (2025).
5) « Résolution situation internationale du 25 [98]e congrès CCI [98] », Revue internationale n° 170 (2023).
6) « Résolution situation internationale du 26 [98]e congrès CCI [98] », Revue internationale n° 174 (2025).
7) Marx, Manifeste du Parti communiste (1844).
Le 10 juin, en Autriche, un ancien élève, vivant « reclus à l’extrême », tuait dix personnes et en blessait onze autres dans une école de la ville de Graz. Le même jour, un collégien assassinait une surveillante du collège de Nogent-sur-Marne en France. Il n’avait que 14 ans ! Les deux sont arrivés avec des armes : le premier avec une arme à feu, tuant par balle en ouvrant le feu « sans discernement », le second avec un couteau de cuisine dans son sac, avec la volonté de planter quelqu’un. Ce quelqu’un ce sera cette mère de famille de 31 ans qui avait décidé d’exercer dans un collège pour venir en aide aux jeunes, pour les protéger. C’est d’ailleurs ce qu’elle faisait ce matin-là, au moment où les sacs étaient fouillés par les forces de l’ordre à l’entrée de l’établissement. Ces dernières années, en dehors des États-Unis, où le phénomène est devenu presque courant du fait de la circulation importante d’armes à feu, ces horreurs se sont multipliées aussi en Europe dans des écoles et universités, comme en Finlande, en République tchèque, en Croatie, en Serbie, etc.
Pourquoi de tels actes ? Parfois la haine de l’école, de cette institution de l’État qui renvoie l’image du no future, qui fait se sentir bon à rien, qui écrase sous le poids du désespoir, de la peur, du repli et des humiliations, les meurtriers sont eux-mêmes des mômes broyés de l’intérieur par une société violente et sans avenir, une société capitaliste qui pourrit sur pied. Bien souvent, ils ne peuvent mettre des mots sur cette rage qui les brûle et les consume jusqu’à transformer leur détresse en vengeance aveugle, et des êtres en tueurs de sang-froid. Alors ils rendent à la société coup pour coup : ils tuent comme socialement on les écrase, ils assassinent une sœur ou un frère de classe.
La société se fragmente, se délite. Partout, le chômage, la misère, les difficultés pour se loger, pour travailler, pour se soigner. Partout, les guerres qui se multiplient. Partout, la planète se détraque. Partout, le no future qui angoisse. L’absence de perspective est la cause la plus profonde de stress et même de profonds troubles psychiques. Par exemple, en 2025 en France, 25 % des adolescents seraient atteints de troubles anxieux généralisés, 40 % présenteraient des symptômes dépressifs et 17 % seraient susceptibles de souffrir de troubles psychologiques modérément sévères, voire sévères. 1 Et c’est la même chose dans tous les pays du monde. Le capitalisme se décompose et entraîne dans sa chute tout avenir et tout espoir. C’est l’effondrement du capitalisme sur lui-même qui pousse au nihilisme, toutes générations confondues, tous pays confondus.
En Suède, le nombre de plaintes déposées par des professeurs pour violence à leur encontre a doublé en 10 ans. 2 Au Royaume-Uni, des dizaines de professeurs sont agressés par leurs élèves chaque année, l’un des taux les plus élevés d’Europe. 3 Et les agressions par arme blanche se multiplient partout, engendrant une paranoïa croissante, que ce soit au sein de l’école ou à l’extérieur. En 2022, un rapport de l’organe de recherche du ministère de l’Éducation Américaine annonçait 93 fusillades dans l’année contre 10, dix ans auparavant. Aux quatre coins du globe, l’« épidémie » de violence fait rage et touche des adolescents de plus en plus jeunes.
Et pour y faire face, les bourgeoisies ne rivalisent pas d’originalité : caméras portatives et cours de self-défense au Royaume-Uni, caméras et portiques de sécurité aux États-Unis, voire armement des enseignants. Et les politiques de prôner une plus grande « fermeté » judiciaire. En France, juste après ces minutes d’horreur, le Premier ministre François Bayrou a proposé en vrac des portiques de sécurité, une réponse pénale plus forte, un plan « santé mentale ». Marine Le Pen n’a rien trouvé de plus original que prôner la condamnation des parents.
Ici ou ailleurs, la seule réponse que le capitalisme est capable d’apporter à l’accroissement des violences est toujours plus de violence et de répression. On enferme un gosse de 14 ans sans réelle aide psychologique, on condamne des parents sans aide éducative, on envisage de donner des armes aux profs pour répondre aux fusillades, etc.
Alors que pour accompagner un adulte en construction, il faut des moyens humains et financiers, il faut des enseignants et des assistants d’éducation en nombre, il faut des médecins, des infirmières scolaires, des psychologues et psychiatres, des suivis individualisés, aider les familles… À la place on réprime et, face à la crise, on diminue le nombre de professionnels et les structures d’accueil.
Ces jeunes meurtriers ne sont pas des monstres. Ce sont des êtres humains qui commettent des actes monstrueux. Ils ont été enfantés par une société malade, agonisante. Leur haine et leur ivresse meurtrière ont d’abord été intériorisées sous la terreur permanente que font régner les rapports sociaux capitalistes, puis ont été libérées sous la pression de ce même système en explosant, générant une série d’actes ignobles. Que l’on ait 14, 31 ou 70 ans, nous subissons tous les effets du pourrissement de la société capitaliste et de ses ravages dans le monde. Ce ne sont pas de caméras de surveillance, de sanctions ou de réforme des lois dont la jeunesse a besoin, c’est d’espoir.
Et l’espoir se trouve dans la lutte pour un avenir meilleur, d’abord contre la misère, la précarité et les horreurs que nous fait subir le capitalisme et in fine lutter pour une société nouvelle, sans exploitation, sans crise ni guerre. Et lutter tous ensemble, toutes générations confondues, tous corps de métiers confondus face à la barbarie du système. Seule la lutte de la classe ouvrière a une perspective à offrir. « Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner ».
Manon, 10 juillet 2025
1) « Baromètre du moral des adolescents [99] ».
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« La plus grande frappe par B-2 de l’histoire ». Les mots choisis par le général Dan Caine, chef d’État-major des Armées américaines, pour qualifier les bombardements de plusieurs sites nucléaires iraniens dans la nuit du 21 au 22 juin montrent l’importance historique de l’événement. 125 avions en vol, un sous-marin et plusieurs navires mobilisés, 75 missiles de précisions et 14 bombes GBU-57 largués en quelques heures. Avec leur opération Midnight Hammer, les États-Unis viennent donc de rentrer de façon fracassante dans la guerre.
Il n’est pas encore possible d’évaluer l’ampleur des dégâts et le nombre de victimes en Iran et en Israël depuis le début des combats, le 13 juin, mais le feu des armes est abondamment nourri et destructeur. À l’heure de mettre sous presse ce tract, nous apprenons qu’après les frappes iraniennes sur des bases militaires américaines, les belligérants ont annoncé un « cessez-le-feu » alors que les missiles pleuvaient encore de part et d’autre.
La propagande de guerre claironne à tout rompre que les bombardements sur l’Iran sont un immense succès, que le régime des mollahs est durablement affaibli et pourrait même disparaître, qu’Israël et l’Amérique en ont fini avec la menace nucléaire, qu’ils vont imposer la paix et la sécurité au Moyen-Orient.
Tout cela n’est que mensonges ! Le Moyen-Orient va continuer à plonger dans le chaos, un chaos qui va impacter la planète entière. Faute de pouvoir répliquer directement, la République islamique, dos au mur, n’hésitera pas à semer la barbarie partout où elle le pourra, à activer tous les groupes armés sous son contrôle, voire à user massivement de l’arme du terrorisme. Les menaces que l’Iran fait peser sur le stratégique détroit d’Ormuz symbolisent à elles seules que la crise économique mondiale va encore s’aggraver et, avec elle, l’inflation.
Et si le régime de terreur des mollahs ne devait pas survivre, l’après sera tout aussi terrible que leur règne : partitions du pays entre seigneurs de guerre, cycle de vengeance entre les différentes cliques, floraison de groupes terroristes encore plus armés et dangereux que Daesh, exodes massifs de population…
Ce n’est pas là une prophétie apocalyptique, mais une leçon tirée de tous les conflits guerriers de ces vingt dernières années. En 2003, l’invasion de l’Irak par les États-Unis, censée porter un coup fatal à « l’axe du mal » et imposer la Pax Americana dans la région, transforme le pays en champ de ruines où les groupes armés et les cliques mafieuses se déchirent. En 2011, c’est au tour de la Syrie voisine de sombrer dans la guerre civile, avec l’implication des groupes armés et terroristes comme Daesh, des puissances régionales comme la Turquie, l’Iran et Israël, des puissances internationales comme les États-Unis et la Russie. En 2014, le Yémen entre dans la danse macabre. Résultat : des centaines de milliers de morts et un pays ravagé. En 2021, l’Afghanistan repasse aux mains des talibans, après vingt ans de guerre menée par les États-Unis qui visait à… renverser les talibans.
Fin 2023, le Hamas palestinien lance une attaque terroriste d’une rare barbarie sur des civils israéliens. L’armée israélienne réagit avec une brutalité sans borne par une campagne de destruction massive de la bande de Gaza qui tourne rapidement au génocide pur et simple. Dans les mois qui suivent, l’extension du chaos s’accélère dans des proportions inimaginables : face aux alliés du Hamas, Netanyahou se lance dans une offensive meurtrière tous azimuts au Liban, en Syrie et maintenant en Iran. Fondamentalement, la même dynamique est à l’œuvre en Ukraine, au Soudan, au Mali, en RDC. C’est le monde capitaliste qui sombre dans le chaos guerrier : comme à Gaza ou au Liban ces derniers mois, les éventuels « cessez-le-feu » en Iran ne seront que momentanés et précaires, conclus pour mieux préparer les prochains massacres. La « guerre des douze jours » (nom officiel donné à ce dernier épisode de la guerre en Iran) dure depuis bientôt cinquante ans et vient de s’aggraver considérablement pour les décennies à venir…
La guerre avec l’Iran va affaiblir les principaux adversaires des États-Unis : la Russie qui a besoin des drones iraniens en Ukraine, mais aussi la Chine qui a besoin du pétrole iranien et d’un accès au Moyen-Orient pour sa « nouvelle route de la soie ». Quant à l’opération Midnight Hammer, elle démontre à nouveau la supériorité incontestable de l’US Army, capable d’intervenir massivement à l’autre bout de la planète et de balayer tous ses ennemis. Ces frappes sont un message explicite à la Chine, comme les bombes atomiques sur le Japon en 1945 était avant tout un avertissement à la Russie.
Mais cette démonstration de force n’est qu’une victoire momentanée qui ne va résoudre aucun conflit, ne calmer aucun des autres requins impérialistes. Au contraire, les tensions vont partout monter d’un cran, chaque État, petits ou grands, chaque clique bourgeoise essayera de profiter du chaos pour défendre ses sordides intérêts, ce qui va accroître encore le désordre mondial. La Chine, surtout, ne va pas se laisser faire et finira par montrer elle aussi les muscles, à Taïwan ou ailleurs.
Là encore, ce sont les leçons que nous tirons de l’histoire. Depuis la chute de l’URSS en 1991, les États-Unis sont la seule superpuissance. Il n’y a plus de blocs à l’intérieur desquels les pays alliés devraient respecter une certaine forme de discipline et d’ordre. Au contraire, chaque pays joue sa propre carte, chaque alliance est de plus en plus fragile et de circonstance, rendant la situation toujours plus chaotique et incontrôlable. Les États-Unis ont immédiatement compris cette nouvelle dynamique historique. C’est pourquoi ils ont déclenché la guerre du Golfe dès 1991, véritable démonstration de force pour faire passer à tous le message : « Nous sommes les plus forts, vous devez nous obéir ». L’annonce par Bush père d’un « nouvel ordre mondial » ne disait rien d’autre. Et pourtant, deux ans plus tard, en 1993, la France soutient la Serbie, l’Allemagne soutient la Croatie, les États-Unis soutiennent la Bosnie, dans une guerre qui va finir par faire exploser la Yougoslavie.
La leçon est claire et ne s’est jamais démentie depuis trente-cinq ans : plus la contestation de la suprématie américaine augmente, plus les États-Unis doivent frapper fort… et plus ils frappent fort, plus ils nourrissent la contestation et le chacun pour soi sur toute la planète. À son échelle régionale, il en est exactement de même pour Israël. Autrement dit, avec la guerre en Iran, le développement du chaos et du désordre par la guerre va encore s’accélérer. L’Asie va devenir le point chaud des tensions impérialistes mondiales, coincée entre les prétentions de plus en plus grandes de la Chine et la présence militaire de plus en plus massive des États-Unis. La bourgeoisie américaine sait que c’est ici qu’elle doit dorénavant concentrer la plus grande partie de ses forces armées.
Face à ces horreurs insoutenables, face aux massacres à grande échelle, nombreux sont ceux qui ont envie de réagir, de crier leur colère, de se rassembler, de dire « stop ». Et c’est en effet une nécessité car si nous laissons faire, si nous ne réagissons pas, le capitalisme va emporter toute l’humanité dans un immense charnier, une série de conflits éparpillés, incontrôlables et de plus en plus meurtriers. Beaucoup de ceux qui ont la volonté de réagir se retrouvent aujourd’hui dans la rue dans différents mouvements de « résistance à la guerre » : No Kings, Free Palestine, Stop génocide, autant de mouvements soutenus par les forces de gauche du capital.
Mais les mots d’ordre avancés par la gauche, y compris les plus radicaux en apparence, sont systématiquement des pièges qui reviennent toujours à attribuer les causes de la guerre à tel ou tel dirigeant, à Netanyahou, au Hamas, à Trump, à Poutine ou à Khamenei, et, finalement, à choisir un camp contre un autre. Avec leurs hypocrites discours « pour la paix », pour « la défense de la démocratie », pour le « droit des peuples à l’auto-détermination », les forces d’encadrement du capital cherchent à nous illusionner, à faire croire que le capitalisme pourrait être moins guerrier, plus humain, qu’il suffirait d’élire les « bons représentants », de « mettre la pression sur les dirigeants » pour instaurer la paix dans le monde et des rapports « plus justes » entre les nations capitalistes. Tout cela revient finalement à dédouaner la dynamique guerrière dans laquelle s’enfonce inexorablement tout le système capitaliste, toutes les nations, toutes les cliques bourgeoises.
Trump, Netanyahou ou Khamenei sont sans aucun doute des dirigeants sanguinaires. Mais le problème auquel nous sommes confrontés, ce n’est pas tel ou tel dirigeant : c’est le capitalisme. Quelle que soit la fraction bourgeoise au pouvoir, de gauche ou de droite, autoritaire ou démocratique, tous les pays sont va-t-en-guerre. Ils le sont parce que le capitalisme s’enfonce dans une crise historique qu’il ne peut pas résoudre : la concurrence entre nations ne fait que s’exacerber, se brutaliser, devenir hors de contrôle. C’est cela que la gauche cherche à dissimuler. Et c’est le piège dans lequel tombent ceux qui participent à ces rassemblements en pensant lutter contre la guerre.
Dénoncer ainsi tous ces mouvements comme des pièges peut surprendre, voire provoquer de la colère chez ceux qui veulent agir sincèrement face à l’ampleur des massacres : « alors, il n’y a rien à faire, selon vous ? », « Vous critiquez, mais il faut bien faire quelque chose ! ».
Oui, il faut faire quelque chose, mais quoi ?
Les ouvriers de tous les pays doivent refuser de se laisser emporter par les discours nationalistes, ils doivent refuser de prendre parti pour un camp bourgeois ou pour un autre, au Moyen-Orient comme partout ailleurs. Ils doivent refuser de se laisser berner par les discours qui leur demandent de manifester leur « solidarité » avec tel ou tel peuple pour mieux endoctriner contre un autre « peuple ». « Palestiniens martyrisés », « Iraniens bombardés », « Israéliens terrorisés », autant d’expressions qui enferment dans le choix d’une nation contre une autre. Dans toutes les guerres, de chaque côté des frontières, les États embrigadent toujours en faisant croire à une lutte entre le bien et le mal, entre la barbarie et la civilisation. Mensonges ! Les guerres sont toujours un affrontement entre des nations concurrentes, entre des bourgeoisies rivales. Elles sont toujours des conflits dans lesquels meurent les exploités au profit de leurs exploiteurs.
« Iraniens », « Israéliens » ou « Palestiniens », parmi toutes ces nationalités se trouvent des exploiteurs et des exploités. La solidarité des prolétaires ne va donc pas aux « peuples », elle doit aller aux exploités d’Iran, d’Israël ou de Palestine, comme elle va aux travailleurs de tous les autres pays du monde. Ce n’est pas en manifestant pour un illusoire capitalisme en paix, ce n’est pas en choisissant de soutenir un camp dit agressé ou plus faible contre un autre dit agresseur ou plus fort qu’on peut apporter une solidarité réelle aux victimes de la guerre. La seule solidarité consiste à dénoncer tous les États capitalistes, tous les partis qui appellent à se ranger derrière tel ou tel drapeau national, telle ou telle cause guerrière !
Cette solidarité passe avant tout par le développement de nos combats contre le système capitaliste responsable de toutes les guerres, un combat contre les bourgeoisies nationales et leurs États.
L’histoire a montré que la seule force qui peut mettre fin à la guerre capitaliste, c’est la classe exploitée, le prolétariat, l’ennemi direct de la classe bourgeoise. Ce fut le cas lorsque les ouvriers de Russie renversèrent l’État bourgeois en octobre 1917 et que les ouvriers et les soldats d’Allemagne se révoltèrent en novembre 1918 : ces grands mouvements de lutte du prolétariat ont contraint les gouvernements à signer l’armistice.
C’est la force du prolétariat révolutionnaire qui a mis fin à la Première Guerre mondiale ! La paix réelle et définitive, partout, la classe ouvrière devra la conquérir en renversant le capitalisme à l’échelle mondiale.
Ce long chemin est devant nous, et il passe aujourd’hui par un développement des luttes contre les attaques économiques de plus en plus dures que nous assène un système plongé dans une crise insurmontable. En refusant la dégradation de nos conditions de vie et de travail, en refusant les perpétuels sacrifices au nom de la compétitivité de l’économie nationale ou des efforts de guerre, nous commençons à nous dresser contre le cœur du capitalisme : l’exploitation de l’homme par l’homme. Dans ces luttes, nous nous serrons les coudes, nous développons notre solidarité, nous débattons et prenons conscience de notre force quand nous sommes unis et organisés.
Ce long chemin, le prolétariat a commencé à l’emprunter lors de « l’été de la colère » au Royaume-Uni en 2022, lors du mouvement social contre la réforme des retraites en France début 2023, lors des grèves des secteurs de la santé et de l’automobile aux États-Unis en 2024, dans les grèves et manifestations qui durent depuis des mois et qui continuent en ce moment même en Belgique. Cette dynamique internationale marque le retour historique de la combativité ouvrière, le refus grandissant d’accepter la dégradation permanente des conditions de vie et de travail, la tendance à se solidariser entre les secteurs et entre les générations, en tant que travailleurs en lutte, sans se soucier des nationalités, des origines, des religions.
On pourrait reprocher ceci aux révolutionnaires : « face à la guerre, vous proposez de ne rien faire, de renvoyer le combat contre les massacres qui ont lieu sous nos yeux aux calendes grecques ». Aujourd’hui, les luttes du prolétariat n’ont, en effet, pas encore la force de se dresser directement contre la guerre, c’est une réalité. Mais il y a deux chemins possibles : soit nous participons aux mouvements dits « pour la paix maintenant et tout de suite », et nous nous laissons désarmer sur le terrain de la lutte pour un capitalisme « plus juste », « plus démocratique », ces idéologies qui participent au développement général de l’impérialisme en nous poussant à soutenir la nation, le camp, la clique qualifiée de « moins mauvaise », « plus progressiste ». Soit nous participons patiemment, par des luttes sur notre terrain de classe, à reconstruire notre solidarité et notre identité, nous œuvrons à un mouvement historique qui est le seul à pouvoir mettre à bas la racine des guerres et de la misère, des nations et de l’exploitation : le capitalisme. Oui, ce combat est long ! Oui, il nécessitera une grande confiance dans l’avenir, une capacité à résister à la peur, au désespoir que la bourgeoisie veut nous enfoncer dans le crâne. Mais il est le seul chemin possible !
Pour participer à ce mouvement, il faut nous regrouper, discuter, nous organiser, écrire et diffuser des tracs, défendre l’internationalisme prolétarien véritable et la lutte révolutionnaire. Contre le nationalisme, contre les guerres dans lesquelles veulent nous entraîner nos exploiteurs, les vieux mots d’ordre du mouvement ouvrier, ceux du Manifeste communiste de 1848, sont aujourd’hui plus que jamais à l’ordre du jour :
« Les prolétaires n’ont pas de patrie !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Pour le développement de la lutte de classe du prolétariat international !
CCI, 24 juin 2025
Les six premiers mois de l’administration Trump 2 ont été mouvementés. Elle a révoqué pas moins de 78 décrets de l’administration Biden qui ne correspondaient pas à ses objectifs politiques ; elle a limogé plus de hauts gradés militaires et de responsables de la sécurité nationale que n’importe quelle autre administration présidentielle de l’histoire. Trump a invoqué l’état d’urgence à huit reprises au cours de ses cent premiers jours. Cela a créé un tourbillon d’imprévisibilité et d’incertitude, particulièrement évident après ses premières annonces de droits de douane records en avril, et les principales bourses américaines ont enregistré leurs plus fortes pertes depuis 2020. De plus, il a effrayé le reste du monde avec ses déclarations sur l’annexion du Groenland et du Canada, sur la guerre en Ukraine et sur le fait que l’Europe n’était plus considérée comme une alliée des États-Unis.
Le PCI-Le Prolétaire a récemment publié un article 1 dans lequel il critique le CCI pour avoir adopté « le concept flou du “populisme”, cette véritable tarte à la crème des médias » et il affirme que la politique de Trump ne serait pas « en rupture avec les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie américaine ». Toute critique argumentée de nos positions par une organisation prolétarienne mérite d’être considérée, même si, comme nous le montrerons, son approche est contestable.
Le Prolétaire semble reconnaître les particularités de la politique Trump et conclut, à juste titre dans une certaine mesure, que « la cohérence de ces mesures prises à l’emporte-pièce est sans aucun doute discutable, leur efficacité est douteuse et leurs conséquences dommageables pour certains intérêts bourgeois ». Or paradoxalement, l’article ne se demande pas pourquoi ces mesures ont des effets aussi douteux et dommageables, mais affirme aussi que ce n’est pas nouveau, car la politique de Trump « correspond à une tendance de fond qui était déjà à l’œuvre dans les années précédentes ».
Pour étayer son affirmation, Le Prolétaire donne trois exemples de la politique étrangère des États-Unis, tels que le pivot vers l’Asie, le retrait de l’armée américaine des foyers de guerre, la menace d’abandonner ses « alliés ». Il mentionne également la campagne contre les « lunatiques marxistes » et les politiques « wokistes » contre la discrimination raciale ou sexuelle. Les deux premiers exemples sont exacts : le « pivot vers l’Asie » et le « retrait des foyers de guerre » étaient déjà une pierre angulaire de la politique d’Obama et de Biden.
Sous Biden, certains États américains ont interdit les contenus « woke » dans l’Éducation. La Chambre des représentants a même pu adopter des mesures anti-woke, mais ce n’était certainement pas la politique globale de l’administration fédérale et de la plupart des États. Sous Trump, en revanche, cette politique anti-woke s’est transformée en une véritable chasse aux sorcières généralisée. Dès le début de sa présidence, il a signé un décret contre la « culture woke » et a demandé à J. D. Vance de supprimer toute « idéologie inappropriée, polarisante ou anti-américaine ». Dans son premier projet de budget, la Maison-Blanche a annoncé des coupes dans les « programmes woke », affirmant que cela visait à éliminer « les idéologies radicales de genre et de race qui empoisonnent l’esprit des Américains » et à contrer le « marxisme culturel ».
Un autre exemple incontournable est la politique américaine en matière de droits de douane. Biden avait également imposé de nombreux droits de douane, mais seulement de manière partielle et sur des biens stratégiques. De plus, il a privilégié une approche multilatérale de la concurrence économique, en s’appuyant sur les instances internationales. Trump a placé la question des droits de douane, « le plus beau des mots », au cœur de la politique américaine et a qualifié leur annonce de « Jour de la Libération » pour les États-Unis. Selon lui, ces droits de douane garantissent la libération de l’économie américaine du fléau des produits étrangers bon marché et des pratiques commerciales déloyales adoptées par d’autres pays. La politique de Trump repose sur le protectionnisme et les négociations bilatérales afin de « garantir le retour massif des emplois et des usines dans notre pays ».
La critique du Prolétaire à l’égard de la position du CCI sur le caractère de rupture de la politique de Trump s’appuie sur sa célèbre « invariance du marxisme depuis 1848 ». Dans sa conception, le programme marxiste n’est pas « le produit d’une lutte théorique constante pour analyser la réalité et en tirer les leçons, mais un dogme révélé en 1848, dont il n’y a pas lieu de changer une virgule ». 3 Cette position a des conséquences bien plus graves qu’une simple déformation théorique. Prétendre que le marxisme est immuable, que le programme communiste ne peut s’enrichir d’éléments nouveaux à partir de l’évolution du capitalisme et de la lutte prolétarienne, revient à figer la réalité.
C’est pourquoi Le Prolétaire nie systématiquement que des changements fondamentaux soient intervenus dans l’évolution du capitalisme et dans la politique de la bourgeoisie, et ne s’intéresse qu’aux phénomènes qui confirment sa foi invariante. Par conséquent, non seulement sa critique de la position du CCI est superficielle et vaine, mais surtout sa compréhension de l’évolution du mode de production capitaliste et du rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat est en contradiction avec l’approche marxiste même.
Le populisme, une expression de la vie politique traditionnelle de la bourgeoisie ?
Le gouvernement Trump n’est pas un cas isolé ; il est l’expression d’une dynamique générale. Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie, Modi en Inde, etc. sont autant de manifestations de la vague populiste. Et cette vague est en réalité la forme la plus spectaculaire d’un processus de désintégration bien plus vaste, frappant l’ensemble de la bourgeoisie mondiale, touchée par l’épidémie du chacun pour soi. Mais le fait qu’un imbécile aussi incompétent soit devenu président du pays le plus puissant du monde (et ce pour la deuxième fois), ajouté à son indifférence totale aux graves dysfonctionnements de l’appareil d’État, causés par ses propres actions, en dit long sur les difficultés croissantes de cette bourgeoisie à gérer son système politique.
Avec l’instrument méthodologique de « l’invariance », Le Prolétaire refuse de reconnaître que le populisme soit autre chose qu’une expression de la vie politique traditionnelle de la bourgeoisie. Il rejette l’idée que le populisme soit l’expression d’une perte de contrôle par la bourgeoisie de son propre jeu politique. Selon lui, la bourgeoisie a même un contrôle total sur la situation !
Ce n’était clairement pas le cas le 6 janvier 2021, avec l’assaut du Capitole, perpétré par une horde de vandales attisée par le président sortant. Mais apparemment, Le Prolétaire voit les choses autrement : « Le capitalisme est toujours debout et il parvient à maintenir la domination politique et sociale de la classe bourgeoise ; le système démocratique qui masque cette domination est toujours debout. […] Même lorsque les bourgeois sont les premiers à montrer qu’ils n’hésitent pas à fouler aux pieds leurs propres lois et leur propre système politique dans le seul but de défendre leurs intérêts privés, le mythe de la démocratie ne s’efface pas ». 4 Le piétinement de « l’État de droit », le coup d’État manqué de Trump, l’occupation du Congrès, la mise en question du concept même de légitimité électorale… pour Le Prolétaire, tout cela semble être la manière normale dont la bourgeoisie défend ses intérêts privés ! Mais l’ex-président George W. Bush, membre du même parti que Trump, avait un autre point de vue : « Voilà comment les résultats des élections sont contestés dans une république bananière ».
L’article du Prolétaire sur les événements donne même l’impression que la bourgeoisie a provoqué l’assaut du Capitole, car « pour protéger le Capitole des incursions prévisibles des manifestants pro-Trump, il n’y avait qu’un mince cordon policier… qui a ouvert les portes pour laisser passer la foule ». 5 Mais l’article ne précise pas ce qui aurait motivé la bourgeoisie à déployer une telle manœuvre ni quelle fraction de sa classe en aurait tiré profit. En réalité, Le Prolétaire sous-estime totalement l’impact du désordre et l’intensification du chaos provoqués par ce type d’escalades populistes.
Sans être embarrassé par son explication complètement déformée des événements du 6 janvier 2021, Le Prolétaire critique ensuite le CCI, estimant que sa position sur le populisme est « un jugement impressionniste » et non marxiste. Nous comprenons, comme Le Prolétaire, que les événements, les phénomènes et les tendances de la société peuvent être ramenés à l’anatomie de la vie sociale, l’appareil économique. Et le CCI a toujours fondé ses analyses sur cette approche, comme on peut le lire par exemple dans « Comment la bourgeoisie s’organise » (Revue internationale n° 172). Cet article démontre sans ambiguïté que « c’est donc sur la base de l’aggravation continue de la crise économique et de l’incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la société pour la guerre mondiale que la désintégration de l’appareil politique trouve son principal moteur ». Pour le CCI, cette citation, comme le reste du même article, illustre clairement le lien, bien qu’indirect, entre l’économie capitaliste en crise, pour laquelle la bourgeoisie n’a pas d’issue, et le chacun pour soi ou l’indiscipline dans la politique bourgeoise, qui conduisent à l’émergence de cliques populistes.
Ainsi, Le Prolétaire se trompe lorsqu’il nie obstinément que le populisme est « un phénomène autonome et doté d’une dynamique propre ». C’est là une autre question de méthode cruciale pour comprendre la politique de la bourgeoisie. Le Prolétaire laisse entendre que le capitalisme est régi par une causalité simple, où la politique est mécaniquement déterminée par l’économie. Il faut décevoir les camarades, car la politique bourgeoise n’est pas le simple reflet de la situation économique. Les éléments de la superstructure, y compris le politique, suivent leur propre dynamique, comme l’explique Friedrich Engels dans une de ses lettres à Conrad Schmidt : « Il y a une action réciproque de deux forces inégales, du mouvement économique d’une part, et de l’autre du nouveau pouvoir politique qui aspire à la plus grande indépendance possible et qui, une fois constitué, est aussi doté d’un mouvement qui lui est propre ». 6 La négation de l’interaction entre base et superstructure et d’une dynamique propre à la dimension politique de la classe dirigeante est pour le moins à courte vue.
Enfin, Le Prolétaire avance l’argument selon lequel « la politique de Trump n’est pas le fruit de la lubie d’un personnage ou des fantasmes d’un cercle d’illuminés ». Or, cet argument est dénué de sens, car ce n’est pas ce que nous avons dit dans notre article. Nous avons plutôt dit que la politique de Trump est en contradiction avec les intérêts des factions les plus responsables de la bourgeoisie américaine et avec la politique que celles-ci tentent de mener, car la politique de Trump est essentiellement :
– motivée par la vengeance, fondée sur la conviction établie depuis longtemps que toute opposition politique est un sabotage et que la loyauté envers Trump personnellement est la plus haute vertu politique ;
– caractérisée par un saccage systématique de l’État de droit par des accaparements du pouvoir exécutif, des purges institutionnelles, des attaques contre la presse, des représailles contre le système judiciaire, etc.
La politique de Trump est l’expression d’une révolte désespérée contre le déclin des États-Unis en tant que superpuissance, « orientée non vers le futur mais vers le passé, fondée non sur la confiance mais sur la peur, non sur la créativité mais sur la destructivité et la haine ». 7
Enfin, un point mérite d’être soulevé. Nous ignorons quel article Le Prolétaire a lu… car l’article qu’il critique ne dit pas que la bourgeoisie américaine a subi une « cuisante défaite ». Il affirme littéralement que le retour de Trump à la tête de l’État américain représente « un échec retentissant pour la fraction la plus “responsable” de la bourgeoisie américaine ». 8 L’article du Prolétaire commence et se termine donc par une critique fondée sur cette affirmation citée erronément, ce qui pourrait mettre certains lecteurs sur une fausse piste. L’accent mis sur cet aspect particulier de l’article, au détriment de plus importants, comme l’attaque de Trump contre ce qu’il appelle « l’État profond », ne contribuera certainement pas substantiellement à la clarification du phénomène du populisme.
Et cela nous ramène à une autre question : comment doit se dérouler le débat entre les organisations de la Gauche communiste ? Le Prolétaire peine non seulement à lire et à citer notre article, mais il ne fait également aucune référence à d’autres articles du CCI sur le sujet depuis 2018 (date de la dernière polémique entre Le Prolétaire et le CCI). Nous avons déjà mentionné ci-dessus l’article « Comment la bourgeoisie s’organise », mais il en existe d’autres, tels que « La montée du populisme est un pur produit de la décomposition capitaliste » et « Trump 2.0 : nouveaux pas vers le chaos capitaliste ». Cela ferait honneur au Prolétaire de faire une nouvelle tentative, plus sérieuse, de critiquer la position du CCI sur le populisme, en s’appuyant sur des lectures et des arguments plus fouillés.
En tant qu’organisation révolutionnaire, cela relève de sa responsabilité politique envers la classe ouvrière et les minorités politisées qui en émergent.
Dennis, 10 septembre 2025
1) « Le CCI et le “populisme”. Les élections américaines sont-elles “un échec cuisant pour la bourgeoisie américaine” ? » (Le Prolétaire n° 557 (Avril-Mai-Juin 2025).
2) « Divorce transatlantique, lâchage de l’Ukraine et rapprochement avec la Russie : Le bouleversement des alliances exacerbe la logique du tous contre tous », Révolution Internationale n° 504 (2025).
3) « 15e congrès du CCI : Renforcer l’organisation face aux enjeux de la période », Revue internationale n° 114.
4) « January 6, 2021, Washington : a dark day for the Capitol, symbol of American democracy », Proletarian n° 17 (Printemps 2021).
5) Ibid.
6) Engels, Lettre à Conrad Schmidt, 27 octobre 1890.
7) « Contribution sur le problème du populisme », Revue internationale n° 157 (2016).
8) Cette dernière n’a pas les mêmes conséquences, car une défaite de la bourgeoisie tout entière implique quelque chose de positif pour la classe ouvrière, tandis qu’une défaite d’une fraction de la bourgeoisie n’est pas, par définition, bénéfique pour la classe ouvrière. Au contraire, elle comporte le risque que le prolétariat soit entraîné dans une lutte entre différentes fractions bourgeoises.
Le 12 juin, Israël bombarde massivement l’Iran qui aussitôt réplique. Des milliers de missiles, roquettes, drones traversent le ciel. Dessous, des habitations, des hôpitaux sont éventrés. La presse internationale parle d’une situation d’une extrême gravité pouvant plonger le Moyen-Orient dans le chaos.
Durant la nuit du 21 juin, les États-Unis entrent à leur tour dans le conflit en larguant notamment des bombes pénétrantes de treize tonnes pour détruire les sites nucléaires iraniens. Des engins aussi puissants n’avaient pas été utilisés depuis la Seconde Guerre mondiale.
C’est dans cette situation de développement de la guerre et de la barbarie que notre organisation décide d’organiser une réunion publique internationale en ligne. Si le but de ce rassemblement est évidemment de discuter pour analyser et comprendre la situation, il y a plus important encore : regrouper les forces révolutionnaires, isolées les unes des autres dans de nombreux pays, pour affirmer ensemble la voix prolétarienne de l’internationalisme.
En ce sens, nous pouvons d’emblée dire que cette réunion publique internationale a été une véritable réussite. Organisée en quelques jours, de nombreux camarades ont répondu présents à l’appel, ont dénoncé la nature impérialiste de tous les camps, de toutes les nations en présence dans le conflit et ont défendu avec force que le seul avenir pour l’humanité, c’est la solidarité et l’unité des travailleurs, par-delà les frontières, les races et les religions.
Un seul regret : l’absence – à l’exception d'Internationalist Voice [107][1] - des autres groupes révolutionnaires de la Gauche communiste que nous avions pourtant chaleureusement invités[2].
L’ensemble des participants ont affirmé que les guerres actuelles qui s’accumulent sont le produit du système capitaliste et des rivalités impérialistes entre puissances, petites ou grandes. Comme l’a souligné un camarade : «la boîte de Pandore a été ouverte en 1914». Mais comment expliquer la montée des tensions actuelles ? Pourquoi les guerres recommencent à s’étendre et à menacer des régions de plus en plus vastes de la planète ? Pourquoi partout la production d’armement explose?
Bon nombre de camarades ont souligné la polarisation croissante entre la puissance américaine et la Chine :
Des interventions ont aussi mis en avant la recherche d’intérêts économiques :
D’autres interventions encore ont insisté sur ce qui était, à leurs yeux, une vision rationnelle et politique de la bourgeoisie : «[les guerres] sont des outils politiques de la classe dirigeante, utilisés pour retarder les mouvements révolutionnaires, exploiter les sociétés et garantir les intérêts capitalistes».
D’autres camarades ont au contraire mis en évidence que la racine de la dynamique actuelle était celle du développement d’un chaos croissant. Un intervenant a insisté dans ce sens, sur la réalité d’une «fragmentation» et celle du «chacun pour soi», soulignant «les fluctuations de la politique de Trump qui reflètent les luttes au sein de la bourgeoisie». Nous sommes parfaitement d’accord avec cette réponse qui a émergé dans le débat. La dynamique de la discussion a alors permis de commencer à aborder la question qui se cache derrière l’ensemble de la dynamique mondiale actuelle : sommes-nous face à la constitution de deux nouveaux blocs impérialistes, comme durant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide ? Autrement dit, sommes-nous en train de nous diriger vers la Troisième Guerre mondiale ? La question a son importance car une telle déflagration planétaire, compte-tenu de la capacité d’annihilation de très nombreuses puissances, serait synonyme d’un holocauste nucléaire généralisé et donc de la fin de l’humanité. La réponse apportée par le débat a été majoritairement : NON ! C’est très clairement qu’un camarade a affirmé : «Nous ne nous dirigeons pas vers des blocs comme lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, mais vers une fragmentation, comme on le voit en Ukraine, en Afrique et au Moyen-Orient». Un autre a complété : «En ce qui concerne les blocs, je n’en vois pas la formation. Il est intéressant de voir dans quelle mesure Netanyahou agit de son propre chef : il sera intéressant de savoir si le CCI pense que les États-Unis utilisent Israël comme chien d’attaque ou s’il s’agit plutôt, pour Netanyahou, de suivre la politique du “chacun pour soi”[3]».
Pour saisir pleinement la signification de la dynamique du chaos, il faut partir de la phase historique du capitalisme : la décomposition. C’est à la fin de cette discussion que le CCI est intervenu pour défendre cette idée à notre avis essentielle : «De 1945 à 1990, le monde était structuré en deux blocs avec deux superpuissances […]. En 1989, avec l’effondrement de l’URSS, on aurait pu croire que les États-Unis allaient sortir grand vainqueurs et dominateurs, mais la bourgeoisie américaine a compris les difficultés qui allaient naître, tout de suite. Il y a eu le grand discours de Bush père soulignant la nécessité d’un “nouvel ordre mondial” et il y a la démonstration de force militaire dans le Golfe. […] Pourquoi cette démonstration ? La bourgeoisie américaine a dit au monde et en particulier à ses alliés “vous nous devez obéissance, nous avons une force militaire écrasante”. Sur le plan immédiat, la première guerre du Golfe est une immense victoire militaire. Mais deux ans après seulement, la Yougoslavie explose : les ex-alliés (la France, l’Allemagne, les États-Unis) vont jouer leur propre carte. […] Et ça va faire exploser la Yougoslavie en quatre ou cinq pays. Là est résumé ce qui se passe depuis maintenant 35 ans. C’est-à-dire que les États-Unis ont une puissance militaire de plus en plus écrasante par rapport à tous leurs concurrents, ils creusent l’écart. Ils investissent chaque année autant que le reste du monde. Et ils frappent de plus en plus fort. On le voit avec l’Iran. Et pourtant cela ne calme pas tous les adversaires. Au contraire ! Cela nourrit la dispersion. Cela nourrit les velléités de chaque impérialiste à jouer sa propre carte. C’est la vraie dynamique historique qui ne va pas s’arrêter et c’est pour cela que ce qui se passe en Iran est extrêmement grave et historique».
Le constat d’un affaiblissement de l’Iran ayant été acté par quelques interventions, il était possible à la discussion d’aller plus loin : «L’Iran est humilié et affaibli, mais les mollahs restent aux commandes. La question est celle de la déstabilisation de la région, de l’importance de la classe ouvrière en Iran et de la capacité des mollahs de se maintenir au pouvoir. Leur manque de force aérienne […] enhardit ses voisins».
En fin de compte, ce nouveau conflit entre Israël, l’Iran et les États-Unis marque un pas qualitatif dans l’accélération du chaos et de la barbarie guerrière. Pour la première fois depuis 2003, alors que les États-Unis souhaitaient renforcer leur positionnement dans le Pacifique, ils ont de nouveau été obligés d’intervenir militairement, ce qui témoigne encore du déclin de leur hégémonie. La démonstration de force par des bombardements destinés à impressionner la Chine et à tenter (de façon totalement illusoire) d’imposer leur autorité en est un signe clair. Par ailleurs, cette nouvelle guerre implique deux puissances régionales, dont une, l’Iran menace de s’effondrer, ce qui avec l’affaiblissement extrême du pouvoir des mollahs, contribue à une déstabilisation sans précédent de tout le Moyen-Orient et même plus largement du monde entier[4].
Face à la barbarie croissante et à la guerre qui tend à se généraliser, il était manifeste que l’ensemble des participants recherchait un lieu de débat pour défendre l’internationalisme prolétarien. C’est ce dont témoignait cette intervention : «je me réjouis que nous recherchions une ligne internationaliste prolétarienne cohérente». Cette recherche a permis d’énoncer en toute clarté que «l’internationalisme est une position que nous défendons. La classe ouvrière est internationale et notre stratégie et notre tactique sont basées sur ce principe». La discussion s’est donc appliquée ensuite à pousser la réflexion sur la façon dont il fallait mettre en œuvre ce principe cardinal du mouvement ouvrier énoncé depuis le Manifeste du Parti communiste de 1848, soulignant que «les prolétaires n’ont pas de patrie». Le point de vue partagé a été de mettre en avant, comme l’a affirmé un camarade, que «face à la barbarie de la guerre impérialiste, nous appelons le prolétariat à ne pas soutenir un pays plutôt qu’un autre. Contre la guerre, nous appelons les travailleurs du monde entier à s’unir et à adopter une position de classe et non une position nationaliste». Tout le monde a reconnu qu’il s’agissait là d’une exigence, d’un combat difficile face à une intense propagande bourgeoise. La discussion s’est poursuivie en tentant d’ailleurs de cerner les pièges idéologiques, les obstacles qui sont tendus par la bourgeoisie à la classe ouvrière, en dénonçant les mystifications démocratiques, faux amis que sont la gauche, les syndicats et particulièrement les gauchistes qui ont le vent en poupe : «le gauchisme peut se mobiliser pour soutenir le nationalisme ou les manifestations anti-Trump».
Face à toute cette propagande, la discussion a été source de réflexion concernant la façon dont la classe ouvrière menait son combat aujourd’hui pour tenter d’en tirer les leçons :
Une des toutes dernières interventions a insisté pour dire qu’«il est très important que les camarades ne se découragent pas face à l’absence de grèves massives au cœur de l’Europe, cela prendra beaucoup de temps. Aujourd’hui, un pas en avant a été franchi : les révolutionnaires et les internationalistes se sont réunis pour clarifier une dimension de la lutte des classes». Nous considérons que le souci et l’état d’esprit porté par cette intervention sont importants pour résister et combattre.
Pour conclure cet article, nous réitérons notre appel à la discussion et encourageons tous nos camarades, tous nos lecteurs à venir participer à nos prochaines réunions. Il suffit pour cela de surveiller notre site internet où nous publions régulièrement les dates et lieux de ces débats. Nous appelons aussi à diffuser nos tracts récemment publiés sur la question de la guerre comme ceux sur la lutte de classe (qui sont sur notre site web en format pdf).
WH, 29 juin 2025
[1] Consultez leur site web pour connaître leur claire position internationaliste sur la guerre actuelle au Moyen-Orient.
[2] Nous nous joignons là aux propos très justes de l’un des participants : «Il est regrettable qu’aucun camarade d’autres organisations de la Gauche communiste ne soit présent. Il est important que les organisations maintiennent la polémique, les discussions et la correspondance. Ce n’est que dans le cadre de la Gauche communiste que la classe ouvrière sera victorieuse».
[3] Nous pensons que ces deux aspects ne se contredisent pas : Biden puis Trump ont dû faire face à la logique de «chacun pour soi» qui embrase le Moyen-Orient, y compris le gouvernement israélien qui favorise ses propres intérêts avant ceux de son allié américain. Dans ce cadre, les États-Unis ont cependant mené des politiques qui cherchent à maintenir au mieux leur mainmise sur la situation.
[4] L’Iran est miné par les forces centrifuges de ses minorités, les Azéris au Nord, les Baloutches au Sud et ses clivages religieux, sans compter les puissances frontalières aux aguets, dont les tensions impérialistes s’aiguisent à l’image des tensions entre l’Inde et la Pakistan. Il ne s’agit là que des premières réflexions qu’il faudra poursuivre dans de nouvelles discussions afin de mieux comprendre le contexte géopolitique et le chaos dans lequel la lutte prolétarienne devra se développer.
[5] Voir notamment dans la Revue Internationale n° 173, «Les racines historiques de la “rupture” dans la dynamique de la lutte des classes depuis 2022 (Partie I)» et Partie II (mars 2025).
Pour la classe ouvrière, une classe dont la conscience est une arme des plus précieuses, 1 apprendre de sa propre expérience est d’importance fondamentale. Chaque fois qu’elle agit sur son propre terrain, d’une manière massive, unie et solidaire, et, surtout, avec un élan révolutionnaire, elle laisse des leçons importantes pour le futur, des leçons que la classe doit appréhender et utiliser pour ses actions futures.
Ce fut le cas de la Commune de Paris, en 1871, qui a fait comprendre à Marx et Engels que la classe ouvrière, en prenant le pouvoir, ne peut pas utiliser l’État bourgeois pour transformer la société vers le communisme. Elle doit le détruire pour construire une nouvelle manière de gérer la société, avec des fonctionnaires élus, révocables à tout moment.
Ce fut le cas aussi de la révolution en Russie en 1905, dont cette année est le 120e anniversaire. Dans ce cas, la leçon fut encore plus riche : on allait voir le surgissement de la grève de masse et la création des organes de son pouvoir : les conseils ouvriers (les soviets en russe), la « forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat », comme l’affirmait Lénine.
C’est à cette expérience que nous voulons consacrer cet article pour voir comment elle peut nous aider à comprendre l’actuelle dynamique de la lutte de classe, celle que le CCI a défini comme une « rupture » historique par rapport aux décennies précédentes.
Avant de nous pencher sur la dynamique de la Révolution russe de 1905, il faut rappeler brièvement quel était le contexte international et historique dans lequel cette révolution a pris son élan. Les dernières décennies du XIXe siècle ont été caractérisées par un développement économique particulièrement prononcé dans toute l’Europe. C’est dans ce contexte que la Russie tsariste, pays dont l’économie était encore marquée par une forte arriération, devient le lieu idéal pour l’exportation de capitaux importants visant à installer des industries de moyenne et grande dimension. En l’espace de quelques décennies, il y eut une transformation profonde de l’économie. Dans la Russie de la fin du XIXe siècle, la croissance du capitalisme a entraîné une forte concentration des travailleurs. Ainsi la caractéristique du prolétariat en Russie était sa concentration dans quelques grands bassins industriels, ce qui a fortement favorisé la recherche de solidarité et l’extension de sa lutte. Ce sont ces données structurelles de l’économie qui expliquent la vitalité révolutionnaire d’un prolétariat jeune et par ailleurs noyé dans un pays profondément arriéré et dans lequel prévalait l’économie paysanne.
En janvier 1905, deux ouvriers des usines Poutilov à Pétersbourg sont licenciés. Un mouvement de grèves de solidarité se déclenche, une pétition pour les libertés politiques, le droit à l’éducation, la journée de 8 heures, contre les impôts, etc., est élaborée pour être apportée au tsar dans une manifestation massive. « Des milliers d’ouvriers non pas des social-démocrates, mais des croyants, de fidèles sujets du tsar, conduits par le pope Gapone, s’acheminent de tous les points de la ville vers le centre de la capitale, vers la place du Palais d’Hiver, pour remettre une pétition au tsar. Les ouvriers marchent avec des icônes et Gapone, leur chef du moment, avait écrit au tsar pour l’assurer qu’il se portait garant de sa sécurité personnelle et le prier de se présenter devant le peuple ». 2
Tout se noue lorsque, arrivés au Palais d’Hiver pour déposer leur requête au tsar, les ouvriers se font attaquer par la troupe qui « charge la foule à l’arme blanche ; ils tirent sur les ouvriers désarmés qui supplient à genoux les cosaques de leur permettre d’approcher le tsar. D’après les rapports de police, il y eut ce jour-là plus d’un millier de morts et de deux mille blessés. L’indignation des ouvriers fut indescriptible ». 3 C’est cette indignation profonde des ouvriers pétersbourgeois à l’égard de celui qu’ils appelaient « Petit Père » et qui avait répondu par les armes à leur supplique, qui déchaîne les luttes révolutionnaires de janvier. Un changement très rapide dans l’état d’esprit du prolétariat se produit dans cette période : « D’un bout à l’autre du pays passa un flot grandiose de grèves qui secouèrent le corps de la nation. […] Le mouvement entraînait environ un million d’âmes. Sans plan déterminé, fréquemment même sans formuler aucune exigence, s’interrompant et recommençant, guidée par le seul instinct de solidarité, la grève régna dans le pays environ deux mois ». 4 Ce fait d’entrer en grève sans revendication spécifique, par solidarité, est à la fois expression et facteur actif de la maturation, au sein du prolétariat russe de l’époque, de la conscience d’être une classe et de la nécessité de se confronter en tant que telle à son ennemi de classe. La grève générale de janvier est suivie d’une période de luttes constantes, surgissant et disparaissant à travers le pays, pour des revendications économiques. Cette période est moins spectaculaire mais tout aussi importante. Des affrontements sanglants ont lieu à Varsovie. Des barricades sont dressées à Lodz. Les matelots du cuirassé Potemkine dans la mer Noire se révoltent. Toute cette période prépare le deuxième temps fort de la révolution.
« Cette seconde grande action révolutionnaire du prolétariat revêt un caractère sensiblement différent de la première grève de janvier. La conscience politique y joue un rôle beaucoup plus important. Certes, l’occasion qui déclencha la grève de masse fut ici encore accessoire et apparemment fortuite : il s’agit du conflit entre les cheminots et l’administration, à propos de la Caisse des Retraites. Mais le soulèvement général du prolétariat industriel qui suivit, est soutenu par une pensée politique claire. Le prologue de la grève de janvier avait été une supplique adressée au tsar afin d’obtenir la liberté politique ; le mot d’ordre de la grève d’octobre était : “Finissons-en avec la comédie constitutionnelle du tsarisme !” Et grâce au succès immédiat de la grève générale qui se traduisit par le manifeste tsariste du 30 octobre, le mouvement ne reflue pas de lui-même comme en janvier, pour revenir au début de la lutte économique mais déborde vers l’extérieur, exerçant avec ardeur la liberté politique nouvellement conquise. Des manifestations, des réunions, une presse toute jeune, des discussions publiques ». 5 Un changement qualitatif se produit en ce mois d’octobre exprimé par la constitution du soviet de Pétersbourg qui fera date dans l’histoire du mouvement ouvrier international. À l’issue de l’extension de la grève des typographes aux chemins de fer et aux télégraphes, les ouvriers prennent en assemblée générale la décision de former le soviet qui deviendra le centre névralgique de la révolution : « Le Conseil des députés ouvriers fut formé pour répondre à un besoin pratique, suscité par les conjonctures d’alors : il fallait avoir une organisation jouissant d’une autorité indiscutable, libre de toute tradition, qui grouperait du premier coup les multitudes disséminées et dépourvues de liaison ». 6
« Le rêve de la Constitution est suivi d’un réveil brutal. Et l’agitation sourde finit par déclencher en décembre la troisième grève générale de masse qui s’étend à l’Empire tout entier. Cette fois, le cours et l’issue en sont tout autres que dans les deux cas précédents. L’action politique ne cède pas la place à l’action économique comme en janvier, mais elle n’obtient pas non plus une victoire rapide, comme en octobre. La camarilla tsariste ne renouvelle pas ses essais d’instaurer une liberté politique véritable, et l’action révolutionnaire se heurte ainsi pour la première fois dans toute son étendue à ce mur inébranlable : la force matérielle de l’absolutisme ». 7 La bourgeoisie capitaliste effrayée par le mouvement du prolétariat s’est rangée derrière le tsar. Le gouvernement n’a pas appliqué les lois libérales qu’il venait d’accorder. Les dirigeants du soviet de Petrograd sont arrêtés. Mais la lutte continue à Moscou : « La révolution de 1905 atteignit son point culminant lors de l’insurrection de décembre à Moscou. Un petit nombre d’insurgés, ouvriers organisés et armés (ils n’étaient guère plus de huit mille) résista pendant neuf jours au gouvernement du tsar. Celui-ci ne pouvait se fier à la garnison de Moscou, mais devait au contraire la tenir enfermée et ce n’est qu’avec l’arrivée du régiment de Sémionovski, appelé à Pétersbourg, qu’il put réprimer le soulèvement ». 8
Qu’elle a donc été la dynamique en acte en 1905 ? Celle de la grève de masse, de cet « océan de phénomènes » (Luxemburg) fait de grèves, de manifestations, de solidarité, de discussions, de revendications économiques et de revendications politiques, en un mot toutes les expressions qui caractérisent la lutte de la classe ouvrière se manifestant en même temps, comme produit d’une maturation de la conscience des ouvriers, une maturation qui se fait pendant les événements mêmes, mais aussi et surtout fruit d’une maturation souterraine, d’une accumulation d’expériences et d’une réflexion en profondeur qui à un certain moment sort à la lumière. En fait, les événements de 1905 ne surgissent pas du néant, mais sont le produit de cette accumulation d’expériences successives et de réflexions qui ont ébranlé la Russie à partir de la fin du XIXe siècle. Comme le rapporte Rosa Luxemburg, la « grève de janvier à Saint-Pétersbourg était la conséquence immédiate de la gigantesque grève générale qui avait éclaté peu auparavant, en décembre 1904, dans le Caucase, à Bakou, et tint longtemps toute la Russie en haleine. Or, les événements de décembre à Bakou n’étaient qu’un dernier et puissant écho des grandes grèves qui, en 1903 et 1904, telles des tremblements de terre périodiques, ébranlèrent tout le sud de la Russie, et dont le prologue fut la grève de Batoum dans le Caucase, en mars 1902. Au fond, cette première série de grèves, dans la chaîne continue des éruptions révolutionnaires actuelles, n’est elle-même distante que de cinq ou six ans de la grève générale des ouvriers du textile de Saint-Pétersbourg en 1896 et 1897 ».
Ce concept de maturation souterraine de la conscience est difficile à accepter par une bonne partie des groupes du milieu politique prolétarien, mais aussi par un certain nombre de nos contacts ou sympathisants. Pourtant elle trouve ses racines dans les écrits de Marx, 9 tandis que Luxemburg en reprend l’idée, celle de la « vieille taupe », et Lénine fait de même. 10 Trotsky, s’il n’utilise pas tout à fait le même vocabulaire que le CCI pour rendre compte du phénomène de « maturation souterraine » de la conscience au sein du prolétariat, l’évoque très clairement dans son Histoire de la révolution russe. Le passage suivant en atteste parfaitement : « Les causes immédiates des événements d’une révolution sont les modifications dans la conscience des classes en lutte. […] Les modifications de la conscience collective ont un caractère à demi occulte ; à peine parvenus à une tension déterminée, les nouveaux états d’esprit et les idées percent au-dehors sous la forme d’actions de masses ».
Mais, surtout, la réalité des processus de maturation souterraine trouve sa confirmation dans tous les moments importants de la lutte du prolétariat : on l’a vu en 1905, on le voit encore en 1917 en Russie, où la révolution d’Octobre est précédée par des grèves contre la guerre des années précédentes. Et on l’a vu en action aussi dans des moments historiques plus proches de nous. On l’a vu en 1980 en Pologne avec le mouvement de grève qui a fait réapparaître « à la surface » la grève de masse sur la scène de l’histoire : les ouvriers polonais avaient déjà engendré des moments importants de luttes en 1970 et en 1976, luttes qui avaient subi une dure et sanglante répression de la part du régime stalinien. Forts de ces expériences qu’ils ont été amenés à « digérer », par une réelle maturation souterraine de leur conscience, les ouvriers ont su se lancer en 1980, dans une lutte intense et soudaine, avec une organisation ayant des ramifications dans l’ensemble du pays, avec des groupes de coordination qui ont été capables d’organiser eux-mêmes une grève de masse face à laquelle le pouvoir, paralysé, fut contraint de traiter et faire des concessions avant de répondre par la répression au moment du reflux de la lutte. 11
C’est dans la tradition de l’ensemble de ces expériences du mouvement ouvrier que nous avons interprété les grèves en Grande-Bretagne en 2022 comme le résultat d’une nouvelle maturation de la conscience de classe, non pas comme un feu de paille fortuit, mais comme le produit d’une réflexion en profondeur qui se poursuit, avec le retour de la lutte de la classe ouvrière après des décennies d’apathie et d’atonie. Nous avons qualifié ces mouvements de « rupture », afin de souligner ainsi que c’était un phénomène de signification historique et internationale. Les luttes importantes qui ont suivi cette première manifestation et résurgence de la combativité ouvrière, en France, aux États-Unis, ailleurs dans le monde et tout récemment en Belgique, confirment que les grèves en Grande-Bretagne n’étaient pas un phénomène local et passager, mais le résultat de cette maturation souterraine qui revenait finalement à la surface. Différentes caractéristiques des mouvements qui se sont déroulés durant ces trois dernières années, donnent chair à notre analyse :
– Le slogan largement répandu « trop c’est trop » exprimait le sentiment longtemps entretenu que toutes les promesses faites dans la période qui a suivi la « crise financière » de 2008 s’étaient révélées mensongères et qu’il était grand temps que les travailleurs commencent à faire valoir leurs propres revendications.
– Les slogans « nous sommes tous dans le même bateau » et « la classe ouvrière est de retour » exprimaient une tendance de la classe ouvrière (certes encore embryonnaire mais réelle) à retrouver le sentiment d’être une classe avec sa propre existence collective et ses intérêts distincts, malgré des décennies d’atomisation imposée par la décomposition générale de la société capitaliste, aidée par le démantèlement délibéré de nombreux centres industriels traditionnels avec une classe ouvrière expérimentée (mines, sidérurgie, etc.).
– Dans le mouvement en France, le slogan massif « Si tu nous mets 64, on te Mai 68 » exprimait une réactivation d’une mémoire collective, le souvenir de l’importance des grèves de masse de 1968.
– Le développement international de minorités tendant vers des positions internationalistes et communistes ; la majorité de ces éléments et leurs efforts de rassemblement sont moins le produit de la lutte de classe immédiate que la conséquence d’un questionnement face à la problématique de la guerre, ce qui est la preuve que les mouvements de classe actuels expriment quelque chose de plus que des préoccupations immédiates concernant la détérioration du niveau de vie. Elles expriment, le plus souvent de manière encore confuse, la préoccupation par rapport au futur que nous offre ce système de production : le capitalisme.
– Enfin, un autre signe du processus de maturation peut également être observé dans les efforts de l’appareil politique de la bourgeoisie, visant à renforcer les forces d’encadrement et de mystification contre les ouvriers que sont les syndicats et les organisations gauchistes. Le but est ici de radicaliser les messages adressés à la classe ouvrière, afin de saboter la réflexion de cette dernière et de la maintenir sous contrôle.
Nous ne sommes qu’au tout début de cette reprise de la combativité, de la reprise des luttes de la classe sur son propre terrain, d’une accumulation de nouvelles expériences qui pourront conduire la classe à radicaliser ses luttes, jusqu’à leur donner un caractère plus politique, qui pourrait remettre en cause le système en tant que tel et pas seulement le constat de ses attaques et leurs effets immédiats.
Ce sera un processus long, difficile, plein d’obstacles, car notre situation n’est plus celle de la Russie de 1905, où, en l’espace d'un an, la classe ouvrière pouvait passer d’une simple pétition adressée au tsar à une phase ouvertement insurrectionnelle. La situation actuelle est celle de la décomposition du capitalisme, phase historique ultime du capitalisme qui ne se manifeste pas seulement dans la pourriture de toute la vie politique de la bourgeoisie, mais qui pèse aussi sur la classe ouvrière à travers des phénomènes dont les effets, exploités idéologiquement par la classe dominante, entravent fortement et de manière insidieuse la prise de conscience des travailleurs :
« – l’action collective, la solidarité, trouvent en face d’elles l’atomisation, le “chacun pour soi”, la “débrouille individuelle” ;
– le besoin d’organisation se confronte à la décomposition sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société ;
– la confiance dans l’avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le “no future”;
– la conscience, la lucidité, la cohérence et l’unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque ». 12
Il ne faut donc pas être impatients, attendre à chaque moment une confirmation de ce processus. Le rôle des révolutionnaires est d’intervenir avec clarté dans la classe en inscrivant le combat sur le long terme, et surtout d’aider les minorités à comprendre dans ses ultimes implications l’enjeu de la situation, celui de la menace de destruction de l’humanité et en même temps la possibilité pour la classe ouvrière d’ouvrir une autre perspective, celle d’une société sans classes, sans exploitation, sans guerre, sans destruction de la planète, bref, celle d’une société véritablement communiste.
Helis, 22 juin 2025
1) La classe ouvrière est la première classe de l’histoire capable de développer la conscience révolutionnaire de son être, contrairement à la bourgeoisie révolutionnaire dont la conscience était limitée par sa position de nouvelle classe exploiteuse.
2) Lénine, Rapport sur la révolution de 1905 (1917).
3) Ibid.
4) Trotsky, 1905 (1909).
5) Luxemburg, Grève de masse, Parti et syndicats (1906).
6) Trotsky, 1905 (1909).
7) Luxemburg, Grève de masse, Parti et syndicats (1906).
8) Lénine, Rapport sur la révolution de 1905 (1917).
9) Pour Marx la révolution est une vieille taupe « qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement ».
10) Cf. sa polémique contre l’économisme dans Que faire ?.
11) L’histoire retiendra la scène de cette négociation entre grévistes et ministres, où les pourparlers entre les délégués ouvriers et les ministres étaient transmis en direct avec des haut-parleurs aux ouvriers regroupés en masse devant le palais du gouvernement. Pour mieux comprendre ce mouvement, voir notre brochure : Pologne 1980.
12) « Thèses sur la décomposition », Revue internationale n° 107 (2001).
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-503_bat_0.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/475/donald-trump
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/7/536/populisme
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/anti-populisme
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-belgique
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/reprise-internationale-lutte-classe
[7] https://en.internationalism.org/content/16704/resolution-international-situation-2019-imperialist-conflicts-life-bourgeoisie
[8] https://news.un.org/pages/wp-content/uploads/2023/07/2023_07-A-WORLD-OF-DEBT-JULY_FINAL.pdf
[9] https://en.internationalism.org/content/16924/report-covid-19-pandemic-and-period-capitalist-decomposition
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/56/moyen-orient
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/benyamin-netanyahou
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/bachar-al-assad
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/conflit-israelo-palestinien
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/gaza
[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
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[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/trotskysme
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/courant-communiste-international
[26] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/polemique
[27] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/interventions
[28] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/tci-bipr
[29] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/pci-proletaire
[30] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl
[31] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-504_bat.pdf
[32] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/534/poutine
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[49] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/546/erdogan
[50] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/kemal-ataturk
[51] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/vucic
[52] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste
[53] https://fr.internationalism.org/en/tag/4/491/populisme
[54] https://fr.internationalism.org/en/tag/4/459/democratie
[55] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/zelensky
[56] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/hitler
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[58] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/369/staline
[59] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/javier-milei
[60] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/bernie-sanders
[61] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/alexandria-ocasio-cortez
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[77] https://en.internationalism.org/content/17551/two-teats-suckle-communisers-denial-revolutionary-proletariat-denial-dictatorship
[78] https://fr.internationalism.org/content/11378/action-week-a-prague-lactivisme-obstacle-a-clarification-politique
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[83] https://en.internationalism.org/content/17558/prague-action-week-some-lessons-and-some-replies-slander
[84] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/debat
[85] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation
[86] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/bordiguisme
[87] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/lanarchisme-internationaliste
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[90] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri-505_bat.pdf
[91] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/rupture
[92] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/10-septembre
[93] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/gilets-jaunes
[94] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/bloquons-tout
[95] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/blocage-leconomie
[96] https://fr.internationalism.org/content/11618/combat-ne-fait-commencer-comment-renforcer-notre-unite-et-solidarite
[97] https://fr.internationalism.org/content/11614/face-aux-assauts-xenophobes-trump-contre-classe-ouvriere-et-au-cri-defense-democratie
[98] https://fr.internationalism.org/content/11601/resolution-situation-internationale-mai-2025
[99] https://www.ipsos.com/fr-fr/barometre-du-moral-des-adolescents-2025
[100] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/10/en-suede-l-inquietude-face-a-la-violence-croissante-contre-les-enseignants_6209938_3210.html
[101] https://www.franceinfo.fr/monde/royaume-uni/royaume-uni-des-solutions-face-aux-agressions-des-professeurs-par-leurs-eleves_4295847.html
[102] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_24.6.25_-2.pdf
[103] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/prises-position-du-cci
[104] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis
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[106] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/57/israel
[107] https://en.internationalistvoice.org/
[108] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/willich
[109] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/schapper
[110] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/528/lenine
[111] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/rosa-luxemburg
[112] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/leon-trotsky
[113] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/revolution-1905