Le gouvernement Schumann poursuit son existence et la politique qu'il s'est fixées. Cela ne se fait naturellement pas sans accrocs. De temps en temps, quelques fractions parlementaires se payent le luxe de quelques obstructions, de quelques manœuvres, provoquant débats et assauts d'éloquence à l'Assemblée nationale. Mais invariablement, cela se termine par des votes de confiance répétés et tout rentre dans l'ordre. Les discours spectaculaires de De Gaulle n'impressionnent désormais plus aucun. La soi-disant menace d'un coup d'État s'est avérée, comme nous n'avons pas cessé de le dire, un épouvantail à moineaux. Seuls les socialistes et les staliniens (et immanquablement les trotskistes) trouvaient dans De Gaulle matière à exploiter, pour se poser en "défenseurs" des libertés démocratiques et des intérêts ouvriers "menacés" par celui-ci. En vérité, De Gaulle n'a pas d'autre programme que celui appliqué par les autres partis au gouvernement depuis des années. De Gaulle au pouvoir ne serait pas plus fasciste que Depreux et Moch n'ont été des "démocrates". Dans ce jeu d’intrigues entre diverses cliques se disputant les honneurs et privilèges gouvernementaux, le prolétariat n'a rien à gagner, n'a rien à sauvegarder ; il ne fait que se perdre et disparaître en tant que force indépendante ; il cesse d'exister pour lui-même.
À quel point les clameurs sur le "danger" De Gaulle n'étaient que duperie, on peut le voir par les tractations qui ont eu lieu récemment pour élargir le gouvernement, avec les hommes du RPF. Si ces tractations n’ont pas abouti, cela n’est pas dû à une incompatibilité ou à une opposition de principe, mais simplement au fait que, pour le moment, le MRP et la SFIO suffisent amplement à la besogne. Rien n'exclut cependant, et c'est même fort probable, que le RPF trouvera tout naturellement sa place dans la prochaine combinaison ministérielle, à l’échéance du gouvernement actuel. En attendant cette échéance, le gouvernement Schumann-Mayer se porte assez bien. Sur le plan de la politique extérieure, Bidault va de succès en succès et est en passe de devenir un grand homme d'État européen sous l'égide du grand Maître, les États-Unis.
Collaboration plus étroite avec les États-Unis et l'Angleterre, pacte économique et militaire de l'Europe occidentale, accord économique et douanier avec l'Italie, ouverture de la frontière et arrangement avec l'Espagne. À part les staliniens et le point de vue russe, on ne voit pas ce qu'on pourrait souhaiter et faire mieux en fait de politique active et constructive sur le plan extérieur.
La France a définitivement abandonné la politique de la Grandeur pour une grande politique de fidèle et obéissante vassalisation aux États-Unis. Non moins active et pleine de succès est la politique économico-financière du gouvernement. Schumann a non seulement résisté à la pression stalinienne mais, en acceptant l'épreuve de force qu'étaient les grèves de novembre 1947, il a porté des coups qui ont brisé pour longtemps la force stalinienne. Du même coup, le mouvement revendicatif des ouvriers a été liquidé pour un bon bout de temps. Les salaires sont bloqués et stabilisés au niveau souhaité par le gouvernement et compatibles avec les conditions difficiles dans lesquelles végète l'économie française. Mais la situation de l'économie française est telle qu'il ne suffit pas, pour l'améliorer, de réduire au minimum le niveau de vie des ouvriers, au point que le pouvoir d'achat des salaires représente aujourd’hui environ 50% de celui de 1938. Il ne suffit pas aussi de relever simplement le volume de la production. Certes, ce furent là les premières mesures urgentes à entreprendre, et elles furent accomplies par les staliniens et les socialistes à la tête gouvernement au lendemain de la "libération". Mais l'économie française et son appareil productif ont subi une telle dégradation au sortir de la guerre 1939-45 que leur relèvement, même partiel, exige des efforts bien plus considérables et qui dépasse absolument la capacité interne de l'économie française. Alors même que le niveau de vie dans ouvriers français est réduit de moitié et que l'exploitation a en conséquence augmenté de 100%, il reste encore que la différence de productivité entre les États-Unis et la France est dans un rapport de 1 à 3 au minimum, pour atteindre dans certaines branches 1 à 8. Cela est dû au développement de l'appareil productif aux États-Unis, alors que celui de la France est resté stationnaire. Pour avoir une idée complète, on doit encore ajouter que l'appareil productif français n'est pas seulement resté stationnaire, mais qu'une partie importante a été détruite tandis que la partie restée en activité a été dégradée à 80%, exigeant par là son renouvellement dans le plus bref délai.
Tous les sacrifices imposés aux ouvriers sont insuffisants pour combler cette disproportion. Sur le marché mondial, les prix des marchandises s'établissent en fonction de la valeur des produits du pays industriellement le plus avancé. Ainsi la majeure partie de la féroce surexploitation des ouvriers d'Europe est drainée, par le truchement du marché mondial, vers les États-Unis ; une infime partie seulement restant entre les mains des bourgeoisies nationales d'Europe. Si les États-Unis peuvent se parer du titre de "philanthropes du monde" et s'occuper de l'aide à l'Europe, c'est exactement dans la mesure où les ouvriers de l'Europe sont devenus les parias des États-Unis et les bourgeoisies nationales d'Europe, des intermédiaires, des agents assurant l’extraction de la plus-value aux ouvriers et son transfert outre-mer.
Aussi, l'augmentation de la production française, approchant le niveau de 1938, est loin de signifier que l'économie française a retrouvé sa place (déjà bien médiocre) de 1938. La fraction belge de la GCI montre son incompréhension totale de la situation française quand, pour nous confondre et pour nous démontrer la reconstruction de l’économie française, elle nous cite triomphalement l'indice récent de la production. C'est précisément en s'approchant de l'indice de 1938 que la production française a montré toute sa fragilité et toutes les difficultés qu'elle rencontre pour se poursuivre. On peut réussir à augmenter la production en soumettant les ouvriers à une surexploitation intensifiée ; mais, une fois produites, ces marchandises doivent encore trouver, sur le marché mondial, la possibilité d'être vendues afin que la production puisse recommencer. Or, le marché européen est inexistant, aucun pays de l'Europe exsangue ne peut se permettre d'acheter et, sur le marché des États-Unis, les produits français ne peuvent soutenir la concurrence, quel que soit le bas niveau des salaires. Aussi, la fin de l'année 1947, où l’indice de la production approche celui de 1938, est précisément le moment critique où l'exportation tombe d'une façon catastrophique. En décembre, nous assistons à des arrêts d'usines, à des licenciements d'ouvriers, à une apparition du chômage partiel et même total[1].
L'économie française est dans une impasse. Malgré des mesures sévères prises dans le second semestre de 1947 visant à reteindre au strict minimum les importations, celles-ci s'élèvent à 258 milliards de francs pour l'année 1947 pendant que les exportations n'accusent que 132 milliards, représentant un déficit visible de 51% de la balance commerciale. La maison sociale France dépense ainsi 2 fois plus qu'elle ne gagne. Cependant, les prix ne font qu'augmenter entraînant le stoppage de la vente des produits français qui devient alarmant. La statistique de janvier-février fait ressortir une baisse de 30% de l'exportation par rapport au dernier trimestre de 1947, montrant ainsi toute la gravité de la situation.
C’est dans ce sens-là que le plan Mayer se distingue de la politique antérieure. À la place de la devise "Produire-Produire", le plan Mayer substitue celui d'"Exporter-Exporter" et toutes les mesures viseront à atteindre cet objectif. Le plan Monnet mettait l'accent sur la production, le pan Mayer le corrigera en faisant tout dépendre de l'exportation. Avant tout, on lui soumettra non seulement les importations mais aussi, et cela d'une façon radicale, la consommation intérieure.
La dévaluation qui a accompagné le prélèvement et surtout le blocage des billets de 5.000 francs réalisent des coupes sombres sur le pouvoir d'achat intérieur. Ces mesures touchent à peine les masses ouvrières sur les ventres de qui on ne peut guère réaliser encore de substantielles économies mais visent et frappent directement les paysans, les commerçants et aussi les capitalistes individuels. C'est la réduction forcée de leur consommation qui doit fournir au gouvernement les moyens lui permettant d'aligner le prix des produits français aux prix mondiaux et d'assurer ainsi le minimum indispensable d'exportation, clé de voûte de toute la production.
Une telle opération n'est pas le fait des capitalistes individuels. Seul un organisme centralisé agissant avec un plan d'ensemble est en mesure d'entreprendre une telle opération. C'est là une des conditions fondamentales qui rendent nécessaire la transformation du capitalisme classique anarchique en un capitalisme dirigé, le capitalisme d'État. Et ce n'est pas le moins amusant de l’histoire que de voir Mayer, l'homme du parti radical, du parti du capitalisme classique qui ne cesse de protester contre l'étatisme et le dirigisme, de voir ce Mayer devenir l'homme des mesures pratiques les plus farouchement étatistes et autrement audacieuses que les fanfaronnades dirigistes et impuissantes du socialiste A. Phillip.
Nous avons, dans nos numéros précédents, examiné en détail les mesures du plan Mayer. Il est incontestable que, du point de vue capitaliste et dans l'immédiat, elles ont eu des résultats efficaces. Après tous ces restrictions et épongeages (rappelons que le seul blocage des billets de 5.000 a eu pour résultat de retirer de la circulation, c'est-à-dire de la consommation intérieure, 250 milliards de francs qui représentent environ le quart de toute la circulation monétaire en France) qui ont eu pour répercussion une hausse formidable du coût de la vie, le gouvernement peut se permettre aujourd’hui de parler de mesures de baisse de prix. La démagogie est de taille et vise surtout à rendre inefficace l'agitation revendicative à laquelle s'est préparé le parti stalinien et son annexe la CGT.
Est-ce à dire que la politique économique du gouvernement, Schumann-Mayer a réussi à sortir la France du marasme et à assurer un renouveau à l'économie nationale ? C'est là une question qui n'est du ressort d'aucun gouvernement mais est entièrement conditionnée par l'évolution générale du capitalisme mondial. Cette évolution n'est ni vers une reconstruction et encore moins vers un développement mais se poursuit dans un cours de guerre permanente qui est le mode de vie du capitalisme décadent. Personne chez les hommes d'État français n'est plus assez naïf pour se poser des buts chimériques de reconstruction, mais uniquement et plus réaliste de se maintenir afin de prendre une place moins mauvaise dans un cours mondial devant culbuter, dans une échéance plus ou moins proche, dans la guerre généralisée. Toute la vie politique française, comme d'ailleurs dans le monde entier, est imprégnée de cette perspective ; et le projet gouvernemental de porter le temps de service militaire d'un an à 18 mois est une indication suffisamment éloquente.
Les mouvements, regroupements et rassemblements de toutes sortes sont à nouveau à l'ordre du jour en France. Après la "libération", nous avons connu une profusion de ces groupements issus de la résistance qui, après une courte période de gloire bien éphémère, sont vite tombés en poussière et dans l’oubli. Seules subsistent les formations qui avaient derrière elles non seulement des masses mais qui possédaient également un minimum de programme et représentaient effectivement des catégories sociales : les partis politiques.
Les nouveaux rassemblements ont de commun avec les groupements de la période de la "libération", le vague, le confus, l'inconsistance de leur programme mais, en plus, ce qui les distingue en quelque sorte, c'est que les nouveaux rassemblements n'ont aucune masse derrière eux et, en fait, ne rassemblent personne hormis quelques intellectuels ou petits politiciens qui n’ont pas trouvé leur place dans la vie publique et, de ce fait, sont à la recherche d'un clou où accrocher leurs illustres noms afin de se tailler un peu de gloire.
Ce qu'il est convenu d'appeler la droite a un fond social suffisamment bien assis et, de ce fait, cette droite n'est pas trop sujette à la maladie d'un besoin perpétuel de nouveaux rassemblements. Il n'en est pas de même dans le camp de la "gauche". Là, trop d'éléments déclassés à la recherche d'une place au soleil, trop d'inquiétude et d'angoisse du lendemain pour ne pas donner naissance de temps en temps à des nouveaux rassemblements où des ambitions inassouvies cherchent leur revanche. Y en a-t-il de ces groupements pour les États-Unis d'Europe et des États-Unis "socialistes" d'Europe, de ces congrès pour la paix et autre troisième force démocratique, anti-impérialiste et tout le reste ?
Dans notre dernier numéro, nous avons publié la réponse de Malaquais se refusant à signer "L'Appel à l'opinion française" de M. Pivert, J.P. Sartre, D. Rousset et Cie. À peine notre encre séchée qu'un nouvel appel nous apprenait la naissance d'un nouveau rassemblement : le "Rassemblement Démocratique Révolutionnaire". On y trouve à nouveau, parmi les signataires, l'inévitable Sartre, décidément dans toutes les combinaisons, D. Rousset également inévitable, J. Rous et Boutbien, enfants terribles de la Gauche socialiste et membres du Comité directeur de la SFIO.
Le "Rassemblement" affiche naturellement un programme de "lutte" contre le capitalisme, pour la transformation sociale. Il ne craint même pas de prôner, au besoin, la voie révolutionnaire mais toutefois démocratique. Son but principal est de mobiliser les esprits contre l'idée "saugrenue" de l'inévitabilité de la guerre. "La guerre n'est pas inévitable. Il suffit que les hommes de bonne volonté se mobilisent pour proclamer et imposer la paix." Voilà les sornettes que clament ces révolutionnaires démocrates rassemblés. Ils prennent en somme toute la phraséologie des socialistes dont ils ne sont que l'appendice.
Sont-ils conscients du rôle d'endormeurs qu'ils jouent, ou se chloroforment-ils eux-mêmes afin de calmer leurs angoisses ?
Cela importe peu. Toute situation trouble de veille de guerre comporte l'éclosion de mouvements au travers desquels les esprits cultivés traduisent leur trouble et leur impuissance. Quelque charlatan ou arriviste trouvera, là, l'occasion de faire carrière politique et peut-être un tremplin vers un futur mandat au parlement. En attendant de marcher dans la guerre, parce qu’on aura découvert alors l’inévitable dans les faits concrets, et que, tout de même, la démocratie vaut mieux que le totalitarisme, ces messieurs peuvent librement se livrer à leurs bavardages et à leur grandiloquence, sous l'œil amusé et le sourire encourageant de la presse bien pensante.
Le journal "Combat" lance, lui, une pétition pour un "gouvernement fédératif de l'Europe occidentale", "pour un parlement inter-parlementaire" ; et c'est vraiment curieux de constater qu'au fur et à mesure que la guerre approche, la paix trouve des amants nombreux et passionnés. Ceci du côté "démocratique et socialiste".
Pour leur faire face, les staliniens appuient la petite équipe de "la Bataille socialiste" exclue, au début de l'année, de la SFIO. Cette tendance - politiciens corrompus et acharnement stalinisant - vient de fonder le MSUD (Mouvement Socialiste Unitaire Démocratique). Ils mènent une campagne violente contre le RDR, pour le soutien de la Russie "prolétarienne" et autres "républiques populaires", pour l'intégration de la France dans le bloc oriental ; il va de soi que cette équipe participe à toutes les manifestations staliniennes, établissant ainsi un Front Unique sauce stalinienne.
Plus à gauche encore, se poursuivent depuis quelque temps des tractations actives pour la fondation d'un nouveau parti révolutionnaire. Cela se fait autour de la tendance ASR qui, on s'en souvient, a quitté au début de l'année la SFIO. Cette tendance, qui se réclame de la lutte de classe révolutionnaire, dénonce la politique de "compromission" et de "trahison" des chefs socialistes, mais son programme radical ne va pas au-delà de l'ancien PSOP, ... d'avant la guerre. Les trotskistes fondaient beaucoup d'espoir sur cette tendance qu’ils espéraient gagner à leur parti, avec la fédération des JS. Le ASR aurait été le triomphe de la politique de souplesse, de noyautage et de la manœuvre tactique du parti trotskiste. Mais c'est exactement le contraire qui est arrivé aux trotskistes. Au lieu d'intégrer, comme ils l'espéraient, les tendances socialistes de gauche, c'est eux même qui se font désintégrer.
Après avoir péniblement noyauté dans la jeunesse et dans le parti socialiste, après avoir aidé au détachement de quelques petits groupes, les trotskistes les appelaient à une conférence d'unification d'où devait sortir un grand parti révolutionnaire. Récemment, une conférence a unifié le ASR et la JS, mais les trotskistes ont été écartés. Non seulement le travail "en souplesse" de tant de mois a été perdu, mais encore la formation de ces divers partis et rassemblements a été un pavé dans la mare aux grenouilles et l'organisation trotskiste a été profondément ébranlée. Tous les leaders de la tendance dite de droite du parti (qui groupait au dernier congrès 47% de mandats) viennent d’être exclus pour avoir adhéré à un quelconque des rassemblements en vogue. Comment cela s'explique ? La "Vérité" a beau essayer de minimiser le fait, de parler des hommes usés et ayant perdu la foi révolutionnaire, elle ne peut diminuer sa signification politique. Bien sûr qu'il y a aussi des raisons d'ordre personnel, des intrigues organisationnelles qui ont joué un rôle. Mais le fond politique l'emporte et doit représenter, pour les militants trotskistes, des enseignements graves. On trouvera une indication de ces débats dans la série d'articles publiée par la "Vérité" sur la question du front unique. Une fois de plus, on essaye d'expliquer cette fameuse tactique que la JC a mis 10 ans pour ne pas parvenir à expliquer et qui jalonne les étapes de la dégénérescence opportuniste.
Critiquant la politique de l’JC de 1923 qui recherchait l'alliance et l'appui des chefs des Trade-Unions anglais, ou des journaux Chinois, Trotsky lui a reproché de s'accrocher à des "planches pourries". Ce que Trotsky ne disait pas, c'est qu'on ne recherche des "planches pourries" que parce qu'on a, soi-même, une politique pourrie. Frank a beau vouloir apprendre à Craipeau la différence qu'il y a entre Front Unique et capitulation politique, qui serait l'adhésion organisationnelle – mais ce dernier pourra lui rappeler la "tradition" du trotskisme quand, sous l'instigation de Trotsky lui-même, ses adeptes avaient adhéré à la deuxième internationale, aux partis socialistes nationaux et plus tard au PSOP.
Quand on se revendique de la Résistance, quand on cite à son actif des lettres de renseignements à l'état-major de la Résistance, quand on se réclame des FFI ou des FTP, quand on acclame la libération des peuples par l'armée rouge, quand on rappelle PC, PS et CGT au pouvoir, quand on mobilise les ouvriers pour la défense de l’URSS dans la prochaine guerre, il n'y a vraiment pas à être étonné que, tout d’un coup, les "chefs" d’hier, lassés de faire de la "grande" politique dans une petite secte, lassés d'agiter les "masses" dans une arrière-salle de café, préfèrent un milieu plus large, plus adéquat à leurs ambitions et à leur politique.
Certains nouveaux dissidents caressent le secret espoir de faire carrière, tout comme l'on fait les Rous, les Rimbert, les Rousset et autre Fourrier. D'autres continueront à végéter et, après la liquidation des RDR, se regrouperont dans un nouveau groupement trotskiste. Dans un délai plus ou moins long, cela donnera une occasion à une nouvelle et périodique conférence d'unification trotskiste.
Unification, scissions, le mouvement trotskiste reste identique à lui-même. Il n'a rien perdu et il n'a rien appris dans ces quinze ans de son existence.
MARCO
[1] Le nombre des chômeurs secourus par le fond de chômage passe de 5.989 en novembre à 9.339 au 1er février ; les demandes d'emplois non satisfaites passent de 38.000 en septembre à 74.000 en février. Ces chiffres ne présentent évidemment de valeur qu'en tant qu'indication d'une tendance à l'arrêt de la production qui se fait jour.
Il s'agit du bulletin mensuel (20-25 pages), dans sa 14e année, du Parti socialiste ouvrier des États-Unis, un petit parti ayant son centre à Boston (Massachusetts), et qui adhère au programme commun des partis socialistes du Canada, de Grande-Bretagne, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Le parti proclame son adhésion de principe à la doctrine économique et politique marxiste, bien qu'il diffère des autres partis marxistes en affirmant que la révolution Russe était une révolution bourgeoise et que la lutte pour le socialisme est avant tout une tâche d'éducation et de conquête de la majorité électorale. Le Western Socialist (Le socialiste de l'Ouest) est composé en partie d'articles théoriques d'un niveau assez élémentaire et en partie de commentaires des événements, de comptes-rendus occasionnels de livres et d'autres articles d'intérêt général. Le numéro de novembre contient des articles sur le problème juif (rejetant le sionisme), sur la limitation de production pratiquée par les producteurs d'acier américains, sur le caractère capitaliste de l'URSS et un article de Pannekoek intitulé "propriété publique et propriété privée" avec lequel la Revue exprime, dans un chapitre, certaines divergences peu importantes d'ailleurs. Le numéro de décembre contient des articles sur la "phobie rouge" en Amérique, sur l'importance d'éduquer la classe ouvrière à utiliser son vote dans le sens du socialisme, sur une analyse du capitalisme soutenant que la raison principale du chaos économique est une insuffisance des marchés mondiaux, enfin une suite à la discussion sur le problème juif.
C'est une feuille mensuelle de quatre pages publiée par les Partis socialistes d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Les numéros de septembre et novembre 1947 réunissent des articles sur la loi de "nationalisation" des Banques australiennes, dans lesquels la rédaction souligne que, bien que cette mesure ne doive pas avoir d'effet immédiat ni sur les capitalistes ni sur les ouvriers, elle aura des effets à long terme en ce qu'elle accentuera la tendance vers le capitalisme d'État. D'autres articles attaquent le système des primes de rendement et l'arbitrage obligatoire des conflits du travail.
Cette publication est une feuille mensuelle de 16 pages d'un groupe socialiste d'Australie qui adhère au programme des conseils ouvriers défendus par Pannekoek et au principe du "syndicat unique et fort" de l'IWW des États-Unis. Le numéro du 3 novembre 1947 déclare que "c'est seulement dans la révolte, dans les grèves spontanées de la base illégales que l'on trouvera la nécessité de penser, de raisonner selon une ligne de classe vers la liberté" (p. 3). Le même numéro donne un article intitulé "Socialisation et Nationalisation" qui souligne que les nationalisations, comme telles, sont simplement un instrument du capitalisme. D'autres articles contiennent une attaque contre le Parti socialiste d'Australie (accusé de défendre le capitalisme), des lettres de lecteurs, le commentaire des événements en Australie et les mouvements socialistes de l'étranger, spécialement sur la Gauche Communiste Internationale.
Il s’agit du journal (4 pages mensuelles) du Parti communiste révolutionnaire, section britannique de la IVème Internationale. Le numéro de décembre 1947 donne un compte-rendu de la défaite de la grève de l'hôtel Savoy à Londres qui se termina par la capitulation des dirigeants syndicaux et l'expulsion des dirigeants de la grève. D'autres articles rendent compte des attaques opérées par les socialistes d'Oxford contre une réunion trotskiste, de la résurrection du mouvement fasciste de Mosly, selon une nouvelle organisation du parti, des grèves en France, d'une attaque du plan des Nations-Unies pour le partage de la Palestine, d'un compte rendu du livre de Trotsky "STALINE" et de divers commentaires sur les nouvelles britanniques et internationales.
Le numéro de janvier contient des articles appelant au contrôle ouvrier sur les usines récemment nationalisées dans l'industrie des transports, une attaque contre la tendance du gouvernement travailliste à se porter contre le Parti communiste, un rapport sur la condition des prisonniers de guerre allemands en Égypte contenant une lettre des pasteurs allemands protestant contre leur état comme prisonniers de guerre, un article sur la dévaluation du rouble et une attaque contre la monarchie britannique comme institution.
Le numéro de février contient des articles sur la "démocratisation industrielle" appelant "au contrôle ouvrier sur la production", un rapport sur les profits des compagnies pour l'exercice 1947, des articles sur l'anniversaire du "Manifeste communiste", un rapport sur la défaite électorale du Parti travailliste aux élections municipales du 5 janvier à Coventry, un examen des gains électoraux du Parti trotskiste canadien dont les candidats, aux élections municipales de Toronto, réunirent 15.000 votes (11% du total des votes), enfin un article sur la dévaluation du franc.
C'est le premier numéro publié par les partisans américains de la Gauche Communiste Internationale, qui cherchent à organiser un groupe aux États-Unis. Le bulletin traite de la "situation des ouvriers américains", appelant les fractions des syndicats à une grève contre la loi du travail Taft-Hartley et pour une hausse des salaires avec diminution du temps du travail. Le bulletin rend compte de la première conférence de la Gauche Communiste Internationale et publie la déclaration inaugurale de la GCI. Également un article sur "la nature et la fonction de l'État Soviétique" considérées comme étant celles du capitalisme d'État.
Concluant notre dernier aperçu de la situation internationale, nous y notions la tendance de l'économique à céder le pas au politique, et ce sur un rythme accéléré. Ainsi, nous affirmions que la conjoncture économique en Tchécoslovaquie favorisait l'initiative russe. Non que cette initiative fût déterminée par des considérations purement économiques. Ce qui, par ailleurs, provoquait une accélération du rythme dans le cours vers la guerre, c'est que, si limité ce pouvoir fut-il, la bourgeoisie de la propriété dite privée n'en conservait pas une certaine autorité. Appuyée sur les promesses américaines, cette bourgeoisie devait tenter de contrecarrer, "saboter" la politique de planification nécessaire à l'organisation rationnelle de l'économie russe et de celles qui lui sont subordonnées ; pour ce faire, disputer activement le pouvoir aux staliniens. C'est pour parer à cette menace que Moscou dut brusquer les choses.
Ainsi que tout le laissait prévoir, cette initiative a suscité de violentes réactions américaines. Et Washington, elle aussi, a donné son coup de pouce aux évènements. Sans doute, la situation de l'Europe occidentale ne lui laisse, vis-à-vis de Washington, qu'une marge réduite d'indépendance. Mais cette marge, les Américains pouvaient la laisser subsister encore. Chose assurée, l'intégration de l'Ouest européen à son système pouvait se faire progressivement et sur un rythme plus lent. Une prolongation de l'aide intérimaire pouvait, par exemple, remédier quelque peu au délabrement européen. Ce sont là hypothèses, dira-t-on. Certes, mais non absolument gratuites. Telles méthodes ayant l'avantage de sauvegarder les apparences auraient favorisé les positions dites de la "troisième force" sans nuire à la pénétration yankee. Or, le coup de Prague a provoqué une accentuation du rythme dans l'assujettissement de l'Europe occidentale aux volontés impérialistes de Washington et de Wall Street conjuguées. Par-dessus les rapports et demandes des Seize, Washington a suggéré et approuvé le pacte des cinq. Dès avant d'éprouver les effets du Marshall ballon d'oxygène, les cinq organisent la tête de pont américaine en Europe et obtempèrent sans murmurer aux injonctions américaines.
Priés par Washington de dresser un tableau de leurs besoins, les Seize commencèrent par faire celui de leurs désastres. Leurs rapports d'experts constatent une ruine aux effets de quoi seul le bon cœur américain pourrait pallier. L'Europe des Seize a subi, du fait de la guerre, une importante diminution de son standing économique : destruction, disparition ou usure massive du matériel productif et de transports ; liquidation des investissements à l'étranger ; fermeture à ses produits de la plupart des marchés auparavant ouverts ; enfin, anéantissement du puissant fournisseur et client allemand. Passant aux solutions, les seize proposaient le rétablissement, au moins à son niveau de 1938, de leur capacité de production, rétablissement obtenu par un (...) indigène de production ; puis fixaient le montant de l'aide américaine, aide à laquelle les seize ne pouvaient offrir aucune contre-partie économique sérieuse. De plus, établissant le montant de leurs demandes, ils misaient sur des conditions aussi aléatoires que l'abaissement des prix américains, l'inexistence de conflits sociaux ou la récupération des marchés perdus pendant la guerre. Ils entendaient, leurs deux grands surtout, disposer de cette aide au mieux de leurs intérêts, éviter particulièrement un redressement quelconque de l'économie allemande.
Washington, dès l'abord, réduisit les chiffres proposés (de 29 à 17 milliards de dollars), puis posait ses conditions : la Maison-Blanche imposait son droit de regard et de contrôle économique et politique, fixait la quantité de marchandises concédée à ses vassaux, leur interdisant toute production jugée comme pouvant éventuellement concurrencer l'industrie américaine, et mettait pratiquement la main sur toute l'Allemagne occidentale, abandonnant, provisoirement peut-être, la Sarre à son client français.
On comprendra, sans dessin, que cette politique n'a pas l'agrément du Kremlin. Ce dernier réagit :
1º) en intégrant plus étroitement Est et Centre européens à son économie (mise au pas de la Tchécoslovaquie, éviction des derniers propriétaires étrangers en Roumanie, projet de nationalisation des ¾ de l'industrie hongroise, y échappant les sociétés à capital mixte hungaro-russes, "conversations" fino-russes) ;
2º) en utilisant la situation précaire des masses travailleuses en Europe occidentale, afin de fomenter des grèves sporadiques, troublant par-là "l'ordre social" et les bonnes résolutions des Seize quant à l'effort de production ;
3º) en représentant aux agriculteurs et commerçants que l'afflux des produits américains fera considérablement augmenter l'offre de marchandises et partant réduira leurs marges bénéficiaires, marges déjà compressées par la fiscalité excessive qu'engendre la nécessité de reconstruire l’appareil de production.
Enfin les Russes pousseront rigoureusement à la défense d'avancées stratégiques que les initiatives locales yankees pourraient bientôt menacer (Allemagne, Grèce, Chine du Nord).
Aux conditions américaines, aux réponses qu'entend lui opposer la Russie, chacun des Seize réagira selon sa situation propre. Voyons pour exemple les réactions de la France et de la Suisse. La Suisse vient de conclure un accord commercial avec la Russie, en conclusion de laborieuses négociations. "La collaboration industrielle de la Suisse, dit très bien "Le Monde" du 20/3/1948, est infiniment précieuse à la Russie ; et d'autre part nul n’ignore que la Confédération, menacée sur le marché mondial par la concurrence américaine, cherche à développer toujours davantage ses relations commerciales avec les pays de l'Est… L'industrie suisse va donc se trouver associée à la réalisation des plans économiques que l'Union Soviétique entend opposer au plan Marshall". La Suisse, relativement épargnée par la guerre, cherche encore un "équilibre". Mais, nous verrons plus loin où en est la politique de neutralité.
En France, Schumann-Mayer essaient de promouvoir une politique de baisse portant surtout sur les produits industriels "d’intérêt familial". Il s’agit surtout de mesures "psychologiques" promises à fournir à la CGT-FO et autres organisations menant le bon combat antistalinien.
***
Suivant les premières douleurs provoquées par le coup de Prague, le discours de Truman était attendu comme les cris d'une accouchée le sont d'une famille respectueuse ; ce discours est susceptible, comme tout autre phénomène, d'un assez grand nombre d’interprétations.
Voyons simplement s'en organiser deux thèmes :
1) accélérer le vote du plan Marshall, y rallier les hésitants. Il ne faut pas oublier en effet que la Grande-Bretagne peut, à bref délai, se trouver acculée aux dernières extrémités financières. La publication du Livre Blanc est un véritable appel au peuple. Le Livre Blanc note, en particulier, que la Grande-Bretagne n'a plus aucune réserve en dollars. Le prêt américain, devant courir sur une période de cinq ans, s'est trouvé résorbé en dix-huit mois : conséquence de l'augmentation des prix américains ainsi que de l'énorme déficit anglais en matières premières et en main d’œuvre. L'aide américaine arrive à expiration au 31 mars de cette année et seul l'apport de fonds américains peut éviter une banqueroute à la Grande-Bretagne. L'écroulement de l'économie anglaise signifierait celui de pans entiers de l'édifice capitaliste. Et, débitrice du monde entier, l'Angleterre utilise cette perspective comme un moyen de chantage. Quant à la France, sa situation est d'ores et déjà catastrophique et seul le plan Marshall, venant étayer le plan Mayer, peut, sous condition d'application immédiate, conjurer l'approche de la faillite. Notons au passage que, malgré sa dévaluation monétaire, la France a moins exporté en janvier-février 1948 que pendant la période correspondante de 1947, et que le volume des importations accuse une tendance à diminuer ; cette stagnation du commerce extérieur a pour accompagnatrice celle du commerce intérieur, favorisant l’écho petit-bourgeois…
(…) et paysan, soit aux sollicitations du PCF, soit aux discours fascisants de De Gaulle. Et l'Amérique impérialiste préfère les chauves généraux type Schumann, au général chevelu qui connaît le chemin de Moscou. Pour l’Italie, le discours, venant après les recommandations de Marshall et celles du pape, s'inscrit dans la ligne du "bien voter", après quoi, demain, l'on vous nourrira gratis.
2) rétablissement de la puissance militaire yankee : Truman demande l’adoption du service militaire obligatoire ainsi que la remise en vigueur d'un système de conscription partielle. Il faut voir, là, avec le souci de répondre à des nécessités d'ordre stratégique, de préparation à la guerre, la volonté de cultiver la psychose de guerre des masses américaines, de leur prouver que les démocrates et leur candidat–président (se donnant pour tel) sont résolus à ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la défense des "peuples libres" ; et la dernière opération russe vient à son heure, qui permet de dénoncer l'approche de l'homme au couteau entre les dents. Vu sous cet angle, l'anti-stalinisme de Truman est l'antifascisme de Roosevelt, le paravent derrière lequel se cache la volonté de "domination mondiale" des USA. L’établissement du service militaire pourrait enfin s'avérer être une mesure prophylactique dont l'emploi serait commandé par des perspectives de dépression économique (chômage). Et le vil et roublard baptiste approuve sans réserve le pacte à Cinq, déclarant que "la détermination des nations libres d’Europe de se défendre elles-mêmes aura pour contrepartie une détermination égale, de notre part, de les aider."
La pierre angulaire de la reconstruction européenne, comme dit Bidault, repose sur la recherche et l'étude accélérées des modalités d'union douanière entre les cosignataires ; y sera incluse "l’élimination de toute divergence dans leur politique économique", c'est-à-dire l'ébauche d'une planification, analogue à celle de l'Europe russe. Des mesures militaires ont été prévues à Bruxelles, en quelque sorte, in abstracto ; nul doute qu'elles feront l'objet de discussions plus concrètes entre les experts français, britanniques et bénéluxiens. Permission sera accordée aux Américains de coller l'oreille à la porte. Les Scandinaves sont avisés que leur présence au bas du pacte ne soulèverait aucune objection, bien au contraire (des liaisons militaires existent avec Londres de ce côté) ! Et l'Italie est amicalement prévenue que son association aux Cinq serait la marque de sa rentrée dans "le concert des puissances occidentales" ; on verra après les élections. Il faut signaler que les accords de Bruxelles mettent fin définitivement au mythe de la neutralité : il y a longtemps que les neutres n'existent plus, sinon "bienveillants" ; mais l'aspect juridique de cette neutralité en vient à s'évanouir sous la sollicitation du cours vers la guerre.
a) Les exportations des USA à destination de la sphère russe ont été dix fois moindres, au cours de l'année 1947, que celles destinées aux seize pays du plan Marshall. Mais, les administrateurs américains des services intéressés se sont aperçus "avec stupeur" que, parmi les produits exportés vers la Russie, figurait, pour une bonne part, du matériel de guerre. Là, c'est sûr, l'embargo sera mis. Cette mesure est d'autant plus significative que les États-Unis ont besoin de métaux rares d'origine russe (chrome, manganèse). L'impérialisme yankee tente donc, quoiqu'il lui en puisse coûter, d'asphyxier les Russes, adversaires impérialistes. Et puisqu'il y a du chrome en Turquie, il ira en Turquie ; il y est déjà.
b) en Palestine, Washington retourne entièrement ses positions. Rappelons rapidement quelques éléments de la situation palestinienne : l'arrivée de forts contingents d’émigrants juifs en Palestine y provoqua, en son temps, de forts investissements de capitaux détenus par leurs congénères de la Diaspora (nom générique des colonies juives dans le monde) ; il s'y fonda une industrie que la guerre et les besoins des fronts africain et birman ainsi que l'afflux de réfugiés, travailleurs spécialistes, ont contribué à rendre relativement importante sur le plan local. Le coût élevé de la production (voir plus bas à propos de l’Italie) met aujourd’hui les sionistes dans l'étroite dépendance du capital judéo-new-yorkais. Et ce dernier est, lui, solidaire du grand capital et de l'État américain. D'autre part, les féodaux arabes ont dû s’intégrer à la Ligue arabe, cela pour se défendre en tant que féodaux précisément. Les ficelles de cette Ligue étaient tenues à ce jour par la Grande-Bretagne ; mais celle-ci doit, volens nolens, en céder les commandes aux maîtres américains du grand capital.
Le partage de la Palestine s'expliquait, aux yeux de la Maison-Blanche, par des considérations électorales (importance sur ce plan de la minorité juive aux États-Unis) ainsi que par l'intérêt de posséder un pied-à-terre non loin des concessions anglaises de pétrole. Mais la faiblesse britannique a permis et permettra plus encore, aux Yankees, de s'emparer, plus vite qu'ils ne pensaient, des clefs de la situation dans les pays arabes. Et l'accentuation du rythme dont nous parlions plus haut a balayé les considérations électorales.
Truman sera ou non élu, mais les États-Unis renforcent leurs points névralgiques dans le Proche-Orient. Pendant que s'entre-égorgent ouvriers, paysans et petits-bourgeois juifs et arabes, il est opportun de se souvenir que la "Vérité" trotskiste considérait les gangsters juifs de l'Irgoun comme luttant objectivement contre l'impérialisme anglais ; Washington est assez de cet avis.
***
Dans la conjoncture actuelle, les élections italiennes prennent une importance extraordinaire. De leur résultat dépend la confirmation de ce que l'Italie est pratiquement à l’heure actuelle : une colonie du capital américain. Mais cette confirmation n'est pas donnée à l’avance, comme l’était par exemple le résultat des élections roumaines, comme sera celui des élections tchèques. L'alliance stalino-réformiste aura d'autant plus de voix qu'elle recueillera celles de tous les opposants au régime américano-De Gaspéri. Toute spéculation, donc, quant aux résultats de ces élections relève de la structure mentale d'un habitué du PMU. Mais il n'est pas sans intérêt de revoir, sans trop s'y attarder, les particularités de la situation italienne au sein du monde capitaliste d'une part, dans le mouvement ouvrier de l'autre. Nous négligerons délibérément le phénomène fasciste.
L'industrie italienne manque, sur place, de matières premières en quantité suffisante pour vendre ses produits aux cours mondiaux - ces produits seront des produits chers - ; son marché intérieur est limité à l'extrême (absence d'une paysannerie et d'une petite bourgeoisie aisées) ; son marché extérieur, conséquence du coût élevé de production, n'existe qu'en fonction d'accords politiques. L'industrie italienne est donc une industrie parasitaire à laquelle prêtent vie commandes et subventions de l'État. La disparition de l'Allemagne est totale, et comme fournisseur (les exportations allemandes en produits finis couvraient avant-guerre 50% des besoins italiens) et comme client ; l'effort de guerre, les destructions militaires, l'occupation allemande puis anglo-saxonne, une inflation fantastique faisant accuser, en 1947, un coût de vie 50 fois supérieur à celui de 1938, ont rendu plus instables encore les positions du capital italien. Ce dernier est un capital hautement concentré : neuf sociétés par actions détiennent ensemble un tiers du capital total ; et, du fait même de son caractère parasitaire, le capital industriel a dû rechercher l'appui sans cesse élargi de l'État.
Le régime fasciste, durant le plus long temps de son règne, favorisa et accentua progressivement la mainmise des monopoleurs sur le capital d'État (création d’entreprises mixtes où le capital d'État minoritaire est utilisé, à ses fins propres, par le capital des monopoles). L'expérience néo-fasciste de 1943, où le capital d'État tendait à évincer le capital privé, ne fut qu'un accident sans conséquences historiques. On peut dire qu'en Italie le capital d'État est soumis aux oligarques monopoleurs. La situation désastreuse de l'économie italienne au lendemain de la guerre, la concentration extrêmement poussée du capital industriel et du capital financier qui lui est subordonné, la mainmise des monopoleurs sur le capital d'État -soit durant le fascisme, soit passé l’expulsion des représentants stalino-réformistes au gouvernement– sont autant de conditions qui rendaient aisée la subversion de cette économie aux capitalistes yankees. On verra, par exemple Dupont-De-Nemours "converser" un brin avec Montecatini (puissant trust de l'énergie chimique), des sociétés mixtes italo-américaines se fonder, les techniciens américains affluer et l'Italie devenir l'atelier de réparation du matériel américain en Europe. L'homme lige des trusts, le ministre démocrate-chrétien des finances, Einaudi, poussera encore à la ruine du moyen et du petit capital privés en instituant, au travers des banques, un régime de restrictions (politique dite de déflation). Enfin, un marché noir, de proportion inconnue ailleurs (sinon en Allemagne occidentale), le nombre important de chômeurs expliquent la présence, dans les mains bourgeoises, d'une masse de manœuvre tout à la fois armée de réserve du capital, matériel d'exportation et base nécessaire d'un pouvoir politique qui, le cas échéant, peut devenir un pouvoir fort.
Si le nord de l’Italie est une des régions les plus industrialisées d'Europe, le sud, lui, est un pays de grande propriété foncière où le paysan est, si l'on peut dire, attaché à la glèbe. Le salariat rural se caractérisera donc par un analphabétisme fréquent, de basses superstitions religieuses et d'un fanatisme réactionnaire. Les bourgeois y recrutent leurs flics et les utilisent comme une masse de manœuvre opposable aux ouvriers du nord. En Émilie-Romagne, ainsi qu’en Toscane, le régime traditionnel de la petite propriété artisanale ou foncière favorise un certain courant anarchiste, anticlérical, individualiste, aussi bien, d'ailleurs, que le courant contraire, religieux et patriote. En Sicile, coexistent les deux formes de propriété et, partant, les deux courants politiques ; les Siciliens louchent volontiers vers la solution séparatiste pour que la question sicilienne soit, à leurs maîtres, un utile instrument de pression.
Nous avons vu, à propos de la Tchécoslovaquie, comment le capital, aux mains d'une bureaucratie appuyée sur une base de masse, asseyait son pouvoir : le parti unique, les comités d'usine et d'action. Mais, en Italie, les conditions particulières de l'industrie, la présence d'une église formidablement étayée sur la grande propriété foncière, la misère populaire, la demeure des papes et de séculaires superstitions, l'exercice du parlementarisme bourgeois et la multiplicité des partis, conséquente à l'affaiblissement profond de la petite bourgeoisie ; tout cela mêlé aboutit à une super structure complexe au possible. Aujourd’hui, il semble que l'essentiel des forces de la bourgeoisie ancienne se trouve à l'intérieur du parti démocrate-chrétien. Cependant, une certaine fraction de cette bourgeoisie et une part très large de la classe ouvrière - auxquelles le poids très lourd de la domination américano-De Gaspéri est insupportable - forment un front unique derrière Togliatti-Nenni.
Le mouvement ouvrier italien a une très longue tradition de luttes. Et c'est dans cette tradition passée, celle "de toutes les générations passées qui pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants", c’est dans cette tradition qu'il faut voir l'une des causes de sa faiblesse actuelle, de sa perméabilité aux mots d’ordre de Togliatti-Nenni. Les combats du prolétariat d'Italie ont été menés sur un plan revendicatif à l’intérieur même du cadre bourgeois. Ils ont eu, pour aboutissant dernier, une sanction officielle, le gouvernement du jour endossant les avantages acquis de haute lutte. Ainsi l'on put voir, en 1920, les métallos italiens lockoutés occuper et gérer leurs usines, instituer des conseils d’usines. Le conflit terminé à leur avantage, rapporte D. Guérin, ils obtinrent, au moins sur le papier, un droit de regard sur la gestion des entreprises, "le contrôle ouvrier". Autant en emporta le vent, les réformistes, refusant de sortir du cadre bourgeois des revendications économiques, laissèrent pourrir le fruit d'une victoire chèrement gagnée. En septembre 1920, le prolétariat, menant sa lutte sur le plan revendicatif, menaçait déjà toutes les positions capitalistes en Italie. Mais cette lutte, il ne sut la hisser au plan politique. Les prolétaires d'Italie étaient inhibés par des conceptions de lutte valables sans doute auparavant, ces luttes permettant l'obtention d'avantages réels pendant la période ascendante du capital. Ils ne comprirent pas, ne purent comprendre comment (et à regret bien sûr !) les capitalistes pouvaient leur accorder avantages verbaux sur avantages verbaux, augmentations nominales de salaires et promesses (sur papier) de contrôle ouvrier ; le tout sans laisser véritablement entamer leur armature. Les prolétaires furent incapables de prendre le pouvoir, non par "trahison" de dirigeants - qui à tout prendre en valaient bien d’autres -, mais parce qu'ils n'avaient pas une vision claire de la situation ; passer du plan de la lutte de classe revendicative à son plan politique et s’y maintenir désormais parce qu'ils n'eurent pas conscience de la nécessité de poser et de réaliser le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets" alors constitués. Et l'erreur d’appréciation de Bordiga, laissant dire au jour de la "marche sur Rome "que cette marche n'aurait jamais lieu, n'a qu'un intérêt de petite histoire. En 1920, dès la fin des grèves revendicatives -et toute grève économique a nécessairement une fin bourgeoise- les jeux sont faits, le fascisme pouvait s'emparer du pouvoir avec l'appui des monopoleurs. En 1920, la situation internationalement révolutionnaire était favorable à l'instauration du pouvoir soviétique ; dans le présent cours descendant de la révolution, le prolétariat, en tant que force organisée ayant ses objectifs propres, disparut, à l'exception toutefois de petits groupes d'avant-garde. Ne subsiste plus, dès lors, que le salariat comme catégorie économique dont la lutte est dépourvue de tout caractère communiste et internationaliste. Ce salariat obtiendra -et encore- des réajustements purement nominaux d'un pouvoir d'achat sans cesse diminuant ; quant à ses activités politiques, elles seront canalisées, utilisées par les dirigeants stalino-réformistes que lui impose la tradition et son corollaire, ce faux-semblant de Togliatti-Nenni arrachant aux patrons abhorrés "des améliorations progressives" du sort des travailleurs. Ces dirigeants n'ont pas le pouvoir de déloger les nouveaux propriétaires américains de l'Italie. Mais ils peuvent gêner l'exécution de leur plan en maintenant un certain état d'effervescence sociale ; et, pour l'heure, le Kremlin n'en demande pas plus.
La conjoncture politique italienne est dominée par l'approche des élections d'avril. Chacun des deux partis véritablement en présence, démocrate-chrétien et stalinien, cherche à mettre en son jeu le plus d'atouts possible. Un mot sur "la troisième force" : elle est en Italie plus carnavalesque et inexistante qu'ailleurs.
Une véritable course contre la montre s'est engagée pour savoir qui "rendra" Trieste à sa mère patrie. Et le tandem Bidault-Sforza a battu au sprint celui de Tito-Togliatti. Dans l'affaire de Trieste, l'intérêt politique prévaut, et de loin, sur les intérêts économiques et stratégiques en jeu. Trieste "irrédente" à des fins électorales le chauvinisme de l'un ou l'autre des partis donataires.
Quant au projet d’union douanière, formulé par le tandem étoilé, il ne prend de sens que dans le cadre du pacte des Cinq.
***
Cette analyse incomplète (Europe russe, Extrême-Orient) des faits résultant de la situation internationale en mars 1948 n'a de signification qu'en fonction d'une tendance générale.
Nous avons démontré en toutes occasions que, dès la "fin" de la dernière guerre impérialiste mondiale, s'ouvrait un cours vers une troisième guerre, cela étant la conséquence de l'irréductibilité des antagonismes impérialistes. Empruntant grossièrement au vocabulaire de la physique moderne, ce pronostic pourrait être qualifié de "probabilité statique". En un mot, tout ce qui se passe dans le mode capitaliste actuel prend son sens dans la perspective d'un cours général vers la guerre. Quant à fixer précisément le temps où se produira l'ouverture des hostilités à l'échelle mondiale, c'est affaire de journalistes et d'astrologues. L'ouverture des hostilités dépend de causes impondérables, rebelles à l'analyse et qui, tout compte fait, importent peu pour le déroulement global du processus d’évolution de la société humaine. Nous savons que le cours vers la guerre n'est réversible que par une action généralisée et concertée du prolétariat. Et que, dans la présente situation de cours vers la guerre et de confusion théorique, cette action ne se fera pas. La lutte des "antibessistes" sauce 3e force, celle des pacifistes du "barrage à la guerre" sont nécessairement vouées à l’échec. Plus, tendre à faire croire que la paix est possible au sein du régime capitaliste renforce-ce régime et contribue ainsi objectivement à la propagande belliciste.
L'avant-garde ouvrière, consciente de cette situation, doit, dès maintenant, se préoccuper de la transformation de la troisième guerre mondiale impérialiste en guerre civile de classe, sans bluff ni utopie.
COUSIN
Quelles sont les conceptions fondamentales de Marx sur les rapports économiques et sociaux essentiels (suite)1 ?
Voici, d'autre part, différents textes de Marx-Engels, où ceux-ci définissent le plus clairement leur conception dialectique de la transformation de caractère de la propriété privée, et sur lesquels nous nous appuierons pour la suite de notre mise au point critique :
Cette page est une des plus belles du CAPITAL. En même temps, elle exprime une vue des phénomènes historico-économiques remarquable. Marx, il y a un siècle, exprimait d'une façon claire la notion de propriété privée individuelle et de propriété privée sociale du CAPITAL. Quand Bettelheim et les trotskistes2 parlent de "la disparition de la propriété privée sur les moyens de production en URSS", ont-ils en vue le fait, certes sans précédent dans l’histoire, d'une expropriation de certaines individualités capitalistes, plus rapidement et plus immédiatement que partout ailleurs, au profit de l'État ?
Mais qui est derrière cet État ?
Et vis-à-vis de la classe ouvrière de toutes les Russies, les moyens de production ne sont-ils pas propriété d'État ? C'est-à-dire la propriété sociale qui les contraint à livrer leur force de travail à vil prix, à peine de quoi l'entretenir ?
Qu'est-ce que la différence entre la propriété privée antérieure au capitalisme et la propriété privée capitaliste ?
C'est un non-sens de dire qu'un quelconque capitaliste possède des moyens de production INDIVIDUELLEMENT. Il les possède dans un sens de classe parce que sa situation sociale lui permet de recevoir une partie des fruits de l'exploitation de la classe ouvrière, cela soit au prorata d'un capital action, soit selon une fonction sociale d'administration ou de direction de la production du CAPITAL.
"Dès que ce procès de transformation a suffisamment décomposé, pour le fond aussi bien que pour la forme, la vieille société ; dès que les ouvriers ont été changés en prolétaires et leurs conditions de travail en CAPITAL…"
La propriété individuelle pré-capitaliste est détruite par le capitalisme montant. La grande masse du peuple est expropriée de ses moyens de travail individuels et est transformée en prolétariat qui, de par l'évolution de sa situation sociale et de par l'évolution du capitalisme, devient travail exploité socialement. C'est la propriété privée capitaliste qui oppose le CAPITAL au TRAVAIL. La propriété privée capitaliste est donc la première négation de la propriété privée individuelle sur les moyens de production. Elle devient une propriété sociale d'un ensemble d'individus et, plus généralement, d'une classe sociale détenant l'ensemble des moyens de production et lui permettant d'avoir à sa merci une autre classe sociale qui se livre obligatoirement, comme travail salarié, à l’exploitation de la classe qui possède l'ensemble des moyens de production.
Mais le procès de production capitaliste produit lui-même les conditions de sa propre disparition : la révolution politique du prolétariat qui lui permet de s'emparer des moyens de production qui sont déjà, sous la forme de propriété privée sociale capitaliste, une propriété commune et collective d'une classe. La révolution socialiste constitue la double négation de la propriété privée individuelle sur les moyens de production. Négation de la propriété privée individuelle = propriété privée sociale d'une classe.
Négation de la propriété privée capitaliste = négation de toute propriété sur les moyens de production = négation de toutes contradictions économiques entre classes sociales.
La tendance historique du socialisme est donc à la réduction révolutionnaire des contradictions économiques entre privilégiés et exploités, exactement le contraire du "socialisme d'État" de Monsieur Charles Bettelheim. Lui voit ces contradictions se renforcer et l'État "dépérir au fur à mesure qu'"ils" (les exploités - "la couche la moins privilégiée du prolétariat") prennent l'habitude de leur exploitation" ! Un tel phénomène est unique dans l'histoire et n'existe qu'a l'état d'abstraction formelle dans les "couches" hautement socialisées de l'éminentissime cerveau qu'est Mr Ch. Bettelheim, économiste–sociologue distingué.
Si Marx emploie souvent, (dans le long texte cité plus haut) - (La fin de la première partie du capital, partie rédigée entièrement par Marx lui-même et publiée de son vivant, et où il renvoie intentionnellement au “Manifeste des communistes”, le tout adapté au nouveau de la lutte de classe avant 1870) -, des phrases telles que : "chaque capitaliste en tue beaucoup d'autres" ou "l'expropriation de beaucoup de capitalistes par quelques-uns", c'est parce que c'est effectivement le caractère dominant du capitalisme libéral et de la libre concurrence qui fleurissait du temps où Marx écrivait son capital et auquel la lutte de classe de l'époque devait s'adapter. C'est ce qui fait que ce passage du "Capital" renvoie au "Manifeste communiste", l'un et l'autre sont adaptés à l'un et à l'autre. Cela n'empêche pas Marx de voir beaucoup plus loin théoriquement, comme nous l’avons vu pour des écrits antérieurs même au Manifeste, comme Economie Poltique. Et Phil., et comme nous le verrons plus loin dans d'autres passages du CAPITAL.
La concentration capitaliste en cartels, monopoles et trusts, puis, à notre époque, le contrôle permanent de l'État et même la possession par l'État des principaux moyens de production sont les phénomènes qui ont surgi dans la société, depuis.
Ce qui est étonnant, c'est cette discussion autour de la bureaucratie "nouvelle classe", - (discussion avec variantes et du reste pas nouvelle, car ce n’est pas une invention burnhamienne mais trotskiste, mais qui a surtout aujourd’hui acquis les faveurs de ceux qui suivent "la mode littéraire" : un monde hétéroclite de lecteurs assidus de "digests", bourgeois américanophiles, certains "héros" de la gauche socialiste – tout penauds que le révérend-père Blum et consorts du MRP leur aient pris leur "3e force" – , certains trotskistes qui se doivent "d’être présent" partout et, enfin "en bloc", le dernier congrès anarchiste qui, comme tout congrès anarchiste, ne représente rien puisque tout le monde est d'accord pour dire qu'il est en désaccord…).
Ce phénomène (la bureaucratisation de la classe capitaliste) est un phénomène historique naturel et normal d'une classe et d'un mode de production qui contiennent en eux-mêmes des contradictions dont la principale est qu'ils se maintiennent contre l'état même de développement des forces productives.
Dans une mesure moindre - en faisant une comparaison historique et non absolue - la bureaucratisation de la noblesse, la concentration du pouvoir en monarchie absolue, tout en étant encore typiquement du féodalisme, sa forme la plus achevée présupposaient déjà une forme d'État bourgeois, c'est-à-dire la disparition du féodalisme. De même, l'État bourgeois-capitaliste, au point de bureaucratisation où il en est aujourd'hui, présuppose sa disparition. La bureaucratie n'est pas un phénomène historique unique, c'est une excroissance et une hypertrophie de la classe qui se maintient contre les lois historiques et économiques de son propre système et présuppose un bouleversement social proche ou en train de s'accomplir, et non une nouvelle classe. C'est la même classe atteinte d'une maladie chronique et incurable.
Jamais un seul instant, ni pour Marx ni pour Engels, le phénomène représenté par les différentes phases successives d'évolution de la centralisation de la propriété capitaliste, des mains de plusieurs dans les mains de quelques-uns, des mains de quelques-uns dans les associations de capitalistes, les cartels sous forme de monopoles ou de trusts, et enfin des cartels au capitalisme d'État, jamais ces phénomènes n'ont changé, pour eux, le caractère fondamental, prédominant, du mode de production capitaliste : opposer le CAPITAL et le TRAVAIL, être un mode de production qui produit et reproduit du capital par la reproduction et l'accumulation, et dont le but essentiel est de produire de la plus-value.
Dans le passage suivant du Capital, il est particulièrement caractéristique que, pour Marx et pour Engels, l'évolution du capitalisme pouvait très bien changer la forme organique de la classe capitaliste et de la concentration de la propriété industrielle entre les mains de grandes sociétés par actions ou de l'État, sans changer pour cela la structure économique fondamentale de la société ; cela prouve également que le capitalisme d'État n'est ni une "nouveauté" ni une invention de turbulents "gauchistes", si ce n'est une découverte de nombreux socialistes et dont les marxistes Marx et Engels ont fourni de nombreuses fois des tentatives d'interprétation scientifique.
Voici quelques grands passages de l'évolution et de la transformation du capitalisme chez Marx et Engels :
Cette belle époque des escroqueries boursières (qui marque surtout la fin du XIXème siècle et dont le début de ce siècle a vu encore de grands "scandales") est aujourd'hui devenue de l'histoire, sans que cela en ait fondamentalement modifié la structure et le fond de l’analyse de Marx.
La note de Engels ajoute, pour donner encore plus de force a l'idée fondamentale de la différence entre la forme et la structure du Capital :
Dans cette note, Engels explique clairement :
Dans l'Anti-Dühring, Engels est encore plus précis et plus net. Dans cette partie, il entend bien montrer le rôle réel des "socialisations", il entend bien pousser jusqu'au bout les possibilités et les nécessités de l'intervention de l'État dans les affaires de la bourgeoisie et il montre très bien, et cela à la fin du XIXème siècle, la signification du réformisme, qu'il se manifeste aujourd’hui sous l'étiquette trotskiste du "Programme" ou sous celle selon laquelle la "bureaucratie" est nécessaire à la "construction du socialisme" de Bettelheim.
D’abord, il fait ressortir que les contradictions et les crises du système capitaliste le poussent sans cesse à concentrer les moyens de production…
Engels ne parle pas ici des différentes façons dont ces étatisations ont été opérées, avec ou sans indemnités, mais cela ne semble pas le tracasser beaucoup ; en effet, ces étatisations sont, certes, un progrès (au XIXème siècle) mais il s'engage malgré cela, sur le chemin de la critique du réformisme. Aujourd’hui, l'étatisation et les "socialisations" sont devenues les mots d'ordre de guerre des partis représentants du capitalisme d'État, c'est-à-dire de l'aspect actuel de conservation de la société de classes, représentants dont le trotskisme est une petite "aile gauche" (si ce terme peut encore garder une signification aujourd’hui). Voulant faire de la tactique valable il y a un siècle la tactique "de lutte de classe révolutionnaire" d'aujourd’hui, ils ne font qu'aboutir dans la pratique journalière de leurs mots d’ordre revendicatifs, quand leur formulation a par un hasard extraordinaire un écho quelconque, au capitalisme d'État :
Pour Engels, il ne s'agit pas de questions secondaires ; et, si les forces extérieures des moyens de production changent, s'il y a évolution (et c'est normal qu'une société ne soit pas un schéma inflexible), ce qui compte pour déterminer si ces différentes phases de l'évolution restent dans le cadre général du mode de production capitaliste, c'est avant tout que les forces productives suivent le procès de production, d'accumulation et de répartition capitalistes, au sens le plus général que ces termes peuvent exprimer ; et que le "capital" soit toujours opposé sous cette forme au "travail". Toutes ces conditions sont indispensables à la poursuite du procès de production capitaliste.
Et qu'importe si cette propriété capitaliste est entre les mains de petits capitalistes, de grandes capitalistes, de sociétés par actions ou de l'État. Qu'importe du point, de vue "purement économique", du schéma de la reproduction capitaliste, mais non de la lutte de classe qui varie sensiblement et doit s'adapter à la nouvelle évolution de la société.
Mais revenons au développement de Engels :
Et que l'on ne vienne pas nous dire que c'est là une boutade de Engels. Dans la note qu'il ajoute, Engels explique pourquoi il emploie le terme "est obligé" quand il dit :
Ce qui revient à définir la dialectique du développement de la crise du capitalisme, qui crée lui-même les conditions favorables à sa propre disparition.
De Bismarck à Staline, ce sont toujours les mêmes "socialistes" ; les temps ont seulement changé, dans ce sens que ce sont eux qui sont chargés, un peu partout, de "faire" la politique "réactionnaire" que des Bismarck pratiquaient hier avec l'appui de certains. On comprend qu'il y ait des Bettelheim et des Martinet qui voient dans l'État stalinien une "étape constructive vers le socialisme (transitoire)", si hier des "socialistes" ont pu appeler "socialistes" les nationalisations de Bismarck ou de la IIIème République française. Des "socialistes" expansionnistes prussiens ou français, aux "communistes" impérialistes staliniens, la route est la même ; il s'agit de faire des ouvriers, avec une certaine démagogie, du bétail électoral et du bétail pour la boucherie impérialiste.
(1er chapitre, à suivre)
Philippe
Il y a trois façons de considérer la révolution russe :
a) la première est celle des "socialistes" de tout poil, droite, centre et gauche, révolutionnaires et (...) en Russie, indépendants et tutti quanti, ailleurs.
Avant la révolution, leur perspective était : la révolution russe sera une révolution bourgeoise démocratique, au sein de laquelle -démocratie bourgeoise- la classe ouvrière pourra lutter "démocratiquement" pour "ses droits et ses libertés".
Tous ces messieurs étaient, naturellement, en plus de "révolutionnaires démocrates sincères", de fervents défenseurs du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", et arrivaient à la défense de la nation par le détour d'un internationalisme à sens unique, partant du pacifisme et aboutissant à la lutte contre les agresseurs et les oppresseurs. Ces gens-là étaient des "moralistes" dans le plus pur sens du terme, défendant le "droit" et la "liberté" - avec un grand D et un grand L - des pauvres et des opprimés.
Bien entendu, quand la première révolution, celle de février, éclata, ce fut un torrent de larmes de joie et d'allégresse, la confirmation de la sainte perspective, enfin la sainte révolution tant attendue.
Ils avaient seulement oublié que le coup de pouce donné par l'insurrection générale de février ne faisait qu'ouvrir les portes à la vraie lutte des classes en présence.
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[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/yvan-craipeau
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/jules-fourrier
[16] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/539/trotsky
[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/pierre-frank
[18] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/leconomie
[19] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/capitalisme-detat
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/soi-disant-partis-ouvriers
[21] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-communiste-france
[22] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/truman
[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/roosevelt
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/alcide-gasperi
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/dupont-nemours
[26] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/montecatini
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[37] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/blum
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[40] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/metternich
[41] https://fr.internationalism.org/en/tag/30/369/staline
[42] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/marxisme-et-guerre-imperialiste
[43] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/guerre
[44] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/decadence-du-capitalisme
[45] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/communisme-conseil