À la fin de l’année 1945 s’est tenu le premier Congrès du jeune Parti Communiste Internationaliste d’Italie récemment constitué.
Ce nouveau Parti du prolétariat n’a pas surgi spontanément du néant. Il est le fruit d’un processus qui commence avec la dégénérescence de l’ancien Parti Communiste et de l’Internationale Communiste. Cette dégénérescence opportuniste a fait surgir à l’intérieur même de l’ancien parti la réponse historique de la classe : la Fraction de gauche.
Comme tous les partis communistes constitués au lendemain de la première guerre mondiale, le Parti Communiste d’Italie contenait au moment de sa formation des courants opportunistes et des courants révolutionnaires.
La victoire révolutionnaire du prolétariat russe et du Parti bolchevique de Lénine en octobre 1917, par l’influence décisive qu’elle exerçait sur le mouvement ouvrier international, achevait d’accélérer et de précipiter la différenciation et la délimitation organisationnelle et politique entre les révolutionnaires et les opportunistes qui cohabitaient dans les anciens partis socialistes de la IIème Internationale. La guerre de 1914 a brisé cette unité impossible dans les vieux partis.
La Révolution d’Octobre devait hâter la constitution des nouveaux partis du prolétariat. Mais cette influence positive de la Révolution d’Octobre contenait en même temps des éléments négatifs.
En brusquant la formation de nouveaux partis, elle empêchait la construction de se faire sur la base d’une netteté de principes et de programme révolutionnaire. Ceux-ci ne peuvent être élaborés qu’à la suite d’une lutte politique franche et intransigeante éliminant les courants opportunistes et les résidus de l’idéologie bourgeoise.
Faute d’achèvement d’un programme de la révolution, les anciens Partis Communistes, construits trop hâtivement sur la base d’un attachement sentimental à la révolution d’Octobre, offraient par trop de fissures pour la pénétration de l’opportunisme, dans les nouveaux partis du Prolétariat.
Aussi, l’IC et les Partis Communistes des divers pays verront, dès leur fondation, rebondir la lutte entre les révolutionnaires et les opportunistes. La lutte idéologique - qui devait se faire préalablement et être la condition de la construction du parti, qui ne peut se protéger de la gangrène opportuniste que par l’énonciation des principes et la construction du programme -, n’a eu lieu qu’après la constitution des Partis. Ce de fait, non seulement les anciens partis communistes de par leur constitution introduisaient en leur sein le germe de l’opportunisme, mais encore devaient rendre plus difficile la lutte des courants révolutionnaires contre l’opportunisme survivant et se camouflant à l’intérieur même du nouveau Parti. Chaque défaite du prolétariat, modifiant le rapport des forces de classe en défaveur du prolétariat, produisait inévitablement le renforcement des positions de l’opportunisme dans le Parti, qui à son tour devenait un facteur supplémentaire pour les défaites ultérieures du Prolétariat.
Si le développement de la lutte entre les courants dans le Parti atteignit rapidement une acuité si grande, cela est dû à la période historique présente. La Révolution prolétarienne est sortie des sphères de la spéculation théorique. D’un idéal lointain qu’elle était hier, elle est devenue un problème d’activité pratique, immédiate.
L’opportunisme ne se manifeste plus dans des élucubrations théoriques livresques agissant comme un poison lent sur les cerveaux des prolétaires. À l’époque présente de lutte de classes aiguë, il a sa répercussion immédiate et se paie par des millions de vies de prolétaires et de défaites sanglantes de la Révolution. À l’opportunisme surgissant et se renforçant dans l’IC et ses Partis, à l’opportunisme principal atout et auxiliaire du capitalisme contre la révolution, parce qu’il est le prolongement de l’ennemi de classe au sein même de l’organe décisif du prolétariat. Le Parti, les révolutionnaires ne pouvaient s’opposer qu’en constituant leur Fraction, en proclament la lutte ouverte et à mort contre lui. La constitution de la Fraction signifie que le Parti est devenu le théâtre où s’affrontent les expressions de classes opposées et antagoniques.
Elle signifie le cri de guerre des révolutionnaires pour sauvegarder le Parti à la classe, contre le capitalisme et ses agents opportunistes et centristes, tendant à s’emparer du Parti et à en faire un instrument contre le Prolétariat.
La lutte entre la Fraction communiste de gauche et les fractions centristes et droitières pour le Parti n’est pas une lutte pour la « direction » de l’appareil, mais essentiellement programmatique; c’est un aspect de la lutte générale entre la révolution et la contre-révolution, entre le capitalisme et le prolétariat.
Cette lutte suit le cours objectif des situations, les modifications des rapports de force entre les classes et est conditionnée par ces derniers.
L’issue ne peut être que le triomphe du programme de la Fraction de gauche et l’élimination de l’opportunisme, ou la trahison ouverte du Parti, passant au service du capitalisme. Mais quelle que soit l’issue de cette alternative, l’apparition de la Fraction signifie que la continuité historique et politique de la classe est passée définitivement du Parti à la fraction et que c’est elle seule qui exprime et représente désormais la classe.
Et de même que l’ancien Parti ne peut être sauvegardé que par le triomphe de la Fraction, de même dans l’alternative de la trahison de l’ancien Parti, achevant ainsi son cours inéluctable sous la direction du centrisme, le nouveau parti de classe ne peut se former que sur les bases programmatiques données par la Fraction.
La continuité historique de la classe, le processus de cette continuité se faisant par la succession Parti-fraction-Parti, est une des notions fondamentales de la Gauche Communiste Internationale. Cette position fut longtemps un postulat théorique. La formation du P.C.I. d’Italie et son Ier Congrès apportent la confirmation historique de la justesse de ce postulat.
La Fraction de gauche italienne, après une lutte de 20 ans contre le centrisme, achève sa fonction historique en se transformant et en donnant naissance au nouveau Parti du Prolétariat.
Une deuxième confirmation historique nous est donnée par la constitution du PCI, à savoir sur le moment historique de la formation du nouveau Parti.
Les trotskistes, méconnaissant tous les critères marxistes, abordaient le problème de la formation du Parti comme une question ne relevant d’aucune condition objective. Pour eux, le problème de la formation du Parti ne relève que du volontarisme subjectif, du « savoir-faire », de la manœuvre astucieuse et du noyautage.
Aussi passent-ils de leur position « d’opposition », se déclarant prêts à dissoudre leur organisation propre contre la liberté d’expression démocratique dans le Parti stalinien, à la proclamation du nouveau Parti et d’une nouvelle Internationale. Avec la même désinvolture ils peuvent, quelques mois après, dissoudre leur nouveau Parti et leur nouvelle Internationale pour retourner dans les Partis socialistes de la IIème Internationale qui, depuis 1914, sont devenus des partis de la bourgeoisie. Leur acrobatie dans le domaine du Parti -où, tour à tour, ils sont l’opposition du parti stalinien prêts à se dissoudre, POI, « opposition » dans le parti socialiste, de nouveau PCI pour redevenir opposition dans le PSOP et de nouveau POI- n’a de comparable que l’ensemble de leur inconsistance politique, leur défense de l’URSS, leur participation à la guerre impérialiste, leur participation à la libération nationale et à la résistance.
La Gauche Communiste Internationale a toujours condamné énergiquement cette espèce particulièrement dangereuse d’aventurisme et d’irresponsabilité qui consiste à proclamer, dans n’importe quelle situation, la formation du nouveau Parti.
La dégénérescence et la trahison de l’ancien Parti ne sont pas un produit de la volonté démoniaque ou de l'intrigue de quelques chefs qui se sont vendus à la bourgeoisie mais sont le reflet, la résultante de l'insuffisance du programme initial qui a permis d'abord la pénétration de l'idéologie bourgeoise de se faire et de se cristalliser en un courant opportuniste et d'un cours objectif de défaites et de reculs du prolétariat qui permet à la bourgeoisie de s'emparer du Parti, sans que le prolétariat puisse se défendre. Les mêmes conditions historiques ne permettent pas au prolétariat de sauvegarder son ancien Parti et lui interdisent la formation du nouveau Parti. Seuls un cours nouveau, un changement favorable au prolétariat dans les rapports de force, une reprise générale de la lutte offensive du prolétariat créent les conditions permettant la reconstitution du nouveau Parti. Cette situation n'existait pas entre 1933 et 1939 qui était justement la période du cours vers la guerre impérialiste.
Le RKD qui nous reprochait pendant toute une période, notre soi-disant centrisme, parce que nous restions et agissions en tant que Fraction et en repoussant la phraséologie révolutionnaire sur la formation du Parti quand le moment de cette formation n'était pas encore venu, ne faisait qu'exprimer leur propre incompréhension aussi bien sur la notion fondamentale du Parti et du moment de sa construction que sur la place historique qu'occupe la Fraction.
La formation du PCI d'Italie prouve que le Parti ne se forme pas par la volonté de militants à n'importe quel moment de l'histoire. La succession de la Fraction en Parti reste soumise à certaines conditions objectives comme c'est le cas pour la 1ère partie du processus dans la succession du Parti en Fraction.
La formation du Parti en Italie clôt pratiquement un débat passionné qui a surgi au sein de la GCI et de la Fraction Italienne. Une tendance dans la Fraction Italienne - la tendance Vercesi et en partie aussi la Fraction belge - niait, et cela jusqu'à la fin des hostilités, l'apparition du prolétariat italien sur la scène politique. Pour cette tendance, les événements de 1943 n'étaient qu'une manifestation de la crise économique dite « crise de l'économie de guerre », ou bien une Révolution de Palais, une chamaillerie dans les hautes sphères dirigeantes du capitalisme italien et rien de plus.
Le prolétariat italien, pour cette tendance, était et continuait d'être absent aussi bien politiquement que socialement. Cela devait cadrer avec toute une théorie, échafaudée par cette tendance sur "l'inexistence sociale du prolétariat pendant la guerre et pendant toute la période de l'«économie de guerre»".
Aussi, après 1943 comme avant, ils préconisaient la passivité absolue allant jusqu'à la dissolution organisationnelle de la Fraction. Avec la Fraction italienne, nous avons combattu pied à pied cette tendance liquidationniste dans la GCI[1].
Avec la Fraction italienne, nous avons analysé les événements de 1943 en Italie comme une manifestation avancée de la lutte sociale et de l'ouverture du cours vers la Révolution et préconisé l'orientation de la transformation de la Fraction en Parti.
On ne peut décemment se proclamer solidaire avec l'existence du PCI en Italie sans reconnaître la justesse de notre analyse en 1943. L'un implique l'autre ; la formation du nouveau Parti en Italie, son développement, sont la réponse la plus catégorique concluant un débat qui fut acharné entre nous et la tendance opportuniste de Vercesi.
Comment en effet peut-on concevoir qu'on approuve d'une part la formation du Parti en prétendant par ailleurs que le cours historique n'a pas subi de changement profond ?
Ceux qui, comme la tendance révisionniste, nient qu'en 1943 il y a eu une première rupture du cours de la guerre impérialiste, qu'en 1943 il y a eu une première manifestation d'opposition de la classe à la guerre, devraient - s'ils restaient logiques et s'ils restaient toujours convaincus de la formulation théorique de la Fraction de l'impossibilité de construction du Parti en période de reflux - condamner la formation du PCI comme un acte d'aventurisme volontariste. Il n'en est cependant rien, puisque ceux-là même qui n'avaient pas assez de sarcasmes contre notre analyse "optimiste" sont aujourd'hui les partisans les plus acharnés, les enthousiastes les plus bruyants aujourd'hui. C'est en vain qu'on cherchera dans leurs écrits récents une explication quelconque de leur contradiction flagrante. La facilité avec laquelle on change d'attitude et de position, on accumule des contradictions les plus criantes, est vraiment ahurissante. Les années de politique de zigzag de l'IC ont accoutumé et perverti les esprits au point que, même dans le milieu des groupes de la Gauche, les contradictions les plus évidentes ne provoquent pas toujours des réactions immédiates.
Mais qu'on la reconnaisse, qu'on la justifie ou non, une contradiction reste une contradiction. Devant chaque militant pensant, la question reste posée et aucun subterfuge ne peut en venir à bout. Ou bien le Parti peut être construit dans n'importe quelle période, aussi bien dans la période de flux que de reflux révolutionnaire, et alors ce sont les trotskistes qui avaient raison contre la Gauche communiste internationale, ou bien le Parti peut être construit en Italie et dans les autres pays parce qu'il s'y est ouvert un nouveau cours historique de flux révolutionnaire.
Mais si on accepte la deuxième formulation, cette question se pose immédiatement : "à quels événements doit-on attribuer la signification manifeste d'un nouveau cours historique opposé au précédent, et à quel moment se situe ce nouveau cours".
La chute du régime de Mussolini en Italie comme l'arrêt de la guerre, par eux-mêmes, ne déterminent pas un cours historique nouveau car, s'il en était ainsi, on ne comprendrait pas pourquoi la GCI déclarait impossible et s'opposait violemment à la fabrication de Partis dans la période précédant la guerre, c'est-à-dire la période où la guerre n'existait pas et cela aussi bien dans les pays à régime "démocratique". Non seulement la chute de Mussolini et l'arrêt de la guerre ne déterminent pas le cours montant et n'expliquent pas par eux-mêmes le nouveau cours, mais en se référant à ces événements on ne fait que renvoyer l'explication à des événements qui, précisément, doivent être eux-mêmes expliqués.
On ne fait ainsi que tourner dans un cercle vicieux et on va de difficulté en difficulté.
On connaît la théorie de Vercesi de la "crise de l'économie de guerre", appendice de sa théorie de "l'économie de guerre". Selon cette théorie, la guerre, qui est le point culminant de l'ère de plus grande prospérité et d'essor économique[2], ne s'arrête que par une crise due à l'épuisement économique. Passons sur le paradoxe que la plus grande prospérité qui est la guerre débouche justement dans une crise d'épuisement, cette idée est non moins absurde que la première et en découle directement, ce qui consiste à présenter et à définir la guerre et l'économie de guerre, qui se caractérisent par une politique économique de destruction, comme l'ère de la plus grande prospérité. Nous retiendrons ici seulement cette proposition selon laquelle la guerre s'arrête par une crise d'épuisement économique et c'est cette crise qui, après avoir déterminé l'arrêt de la guerre, conditionne ensuite, dans l'après-guerre, l'apparition du prolétariat et la reprise des luttes sociales.
Si nous admettions un instant ce schéma comme la reproduction exacte de la réalité, une chose reste toujours non démontrée, à savoir pourquoi cette crise "économique" déterminera par sa seule vertu une crise sociale et ouvrira le cours offensif de la révolution en dehors duquel ne peut se fonder le nouveau Parti ? Nous avons connu dans l'histoire bien des crises économiques qui loin d'être un point de départ d'un cours offensif du prolétariat ont, au contraire, coïncidé avec l'accentuation du cours de reflux. Nous prendrons pour exemple les années 1929 à 1934, période du plus bas de la crise permanente du capitalisme décadent. Cette période se caractérise par des défaites du prolétariat international et des défaites d'autant plus grandes qu'elles sont infligées à un prolétariat qui ne combat point et qui subit. C'est la période du passage ouvert des partis de l'IC au service de l' État capitaliste national, réapprenant aux ouvriers la défense de la Patrie. La "crise économique" de Vercesi est absolument impuissante à expliquer le cours historique nouveau.
Mais voyons la vérification de cette théorie dans la réalité concrète ? D'après elle, il fallait attendre patiemment la fin de la guerre impérialiste pour qu'on puisse voir resurgir le prolétariat et s'ouvrir un cours nouveau posant les conditions de la formation du Parti. Tout cela demandait un certain temps. Et en attendant la fin de la guerre, on ne pouvait rien faire du point de vue révolutionnaire. Tout au plus, pouvait-on utiliser cette "morte-saison" du prolétariat pour catéchiser la bourgeoisie, comme le faisait Vercesi dans le Comité antifasciste de l'émigration italienne à Bruxelles. Et que voyons-nous ?
Pendant que Vercesi préside aux destinées de la Coalition antifasciste et fait figure de rédacteur du journal de cette coalition où s'étaient les exhortations les plus chauvines pour la participation à la guerre impérialiste, pendant ce temps en pleine guerre, les militants révolutionnaires en Italie et, en premier lieu, ceux de la Fraction de gauche, font des efforts de rassemblement et s'orientent vers la formation du Parti. Même chronologiquement le Parti naît avant la fin de la guerre.
Le point de départ de la formation du nouveau Parti n'est pas la crise économique de l'après-guerre, mais directement la crise de la guerre, la rupture du cours de la guerre survenue et jaillissant dans le cours même de la guerre, et dont sa manifestation ouverte porte un nom et une date : les événements de Juillet 1943 en Italie.
Aujourd'hui, tout le monde s'est rallié au nouveau Parti et, bien plus, ceux-là mêmes qui ont été les adversaires les plus acharnés de la construction du Parti sont ceux qui poussent le plus de clameurs en sa faveur. Ces cris enthousiastes sont probablement moins des hommages à l'adresse du Parti que le besoin d'oublier et de faire oublier les positions antérieures. Cependant, nous ne croyons pas obéir à on ne sait quel ressentiment, ni à de l'amour-propre, en rappelant les positions respectives de chacun. L'histoire nous a appris à nous méfier doublement des brusques conversions. Nous préférons l'hostilité d'un Martov à l'amitié pernicieuse d'un Martinov converti au bolchevisme. Ce n'est pas que nous considérons qu'une erreur, sur le plan individuel, soit fatale à celui qui la commet. Une correction des fautes, mêmes les plus graves, reste toujours possible. Mais pour qu'il y ait correction il faut qu'il y ait eu auparavant prise de conscience et examen critique.
L'"oubli" n'est que du refoulement. Une maladie blanchie n'est qu'une apparence de guérison et conduit en perspective à des accidents et rechutes fatales. La question est d'autant plus importante qu'il ne s'agit pas ici d'une individualité, d'un cas isolé, mais d'une maladie qui s'est développée au sein de l'organisme de la classe, dans la Fraction. Le fait que la Fraction a été "dépassée" par la fondation du Parti, ne signifie pas le dépassement automatique des maladies qui ont surgi dans la Fraction. Il y a continuité politique entre la Fraction et le Parti, comme il y a continuité physiologique entre l'adolescent et l'adulte.
Et parce qu'existe cette continuité, il n'y a pas d'effacement mais il doit y avoir dépassement. Quitte donc à paraître des trouble-fête et des empêcheurs de danser en rond, nous estimons indispensable de voir dans le déroulement des événements et d'en faire la preuve, l'examen, au travers desquels se vérifient, se confirment ou s'infirment les positions politiques fondamentales d'hier, et afin de permettre, au travers de cette vérification, de dégager la nature politique intime de tel ou tel courant.
Nous avons vu la Fraction italienne et la GCI se diviser en deux courants dont l'opposition ira en se creusant et en s'approfondissant davantage à chaque événement. L'analyse diamétralement opposée des événements de juillet 1943 devait faire sortir les divergences du domaine de la spéculation théorique et les matérialiser dans le domaine de la pratique immédiate. La résolution sur les "Tâches immédiates", votée par la Conférence d'août 1943, formulera notre orientation générale vers l'accentuation de la reprise d'activité sur le plan international et vers la construction du Parti en Italie. Mais tandis que la majorité de la Fraction italienne et de notre Fraction s'inspirèrent de cette résolution, de cette orientation dans leur activité politique, la tendance Vercesi combattra violemment cette orientation et toute l'activité. Partant de "l'inexistence sociale du prolétariat" durant la période de l'économie de guerre, niant son apparition politique dans les remous sociaux en 1943, la tendance Vercesi proclamera la nécessité de la passivité absolue jusqu'à ce que les nouvelles conditions aient mûri. Nous savons, depuis, en quoi consistaient les nouvelles conditions. Vercesi s'est expliqué publiquement à ce sujet. Elles consistaient dans la victoire du bloc anglo-saxon, "victoire que nous devons souhaiter".
Et puisque le défaitisme révolutionnaire de Lénine s'est transformé en défaitisme du fascisme tout court, et puisque cette défaite du fascisme est la condition (jusqu'à présent nous croyions que c'était non la condition mais le produit) de la reprise de la lutte de classes. Vercesi et sa tendance, afin de hâter la maturation de cette condition, proclameront la nécessité de la coalition avec la bourgeoisie "démocratique" et antifasciste. Avec la relève du gendarme nazi par le gendarme "démocratique", avec le changement de l'occupant, la substitution de l'occupation impérialiste allemande par l'occupation non moins impérialiste anglo-saxonne, qu'on a appelée la "libération", Vercesi et sa tendance trouveront la pleine liberté d'action, de la parole, de la presse[3]. En prenant l'initiative de la formation du Comité de coalition antifasciste avec tous les partis "démocratiques" de la bourgeoisie, cette tendance traduit à son tour, dans l'activité pratique, ses vues théoriques.
On saluera l'action des "partisans" en qui on verra une force de classe. On enseignera que l'antifascisme aurait cessé d'être l'arme capitale entre les mains du capitalisme pour dévoyer le prolétariat et détruire sa conscience de classe, pour devenir l'arme de l'émancipation du prolétariat ; on découvrira que la coalition avec la bourgeoisie ne serait plus la trahison du prolétariat, mais serait de la "tactique indirecte" ; on appellera les ouvriers à participer à la farce bouffonne et trompeuse de "l'épuration" ; on fera comprendre aux ouvriers que leurs intérêts de classe leur dictent de se faire les auxiliaires bénévoles de la police et à pratiquer la "dénonciation" à la police des "fascistes" ; on réapprendra aux ouvriers que l'assistance et la culture sont des choses qui sont au-dessus des luttes des partis, c'est-à-dire des classes ; on fera passer les chefs socialistes, traîtres en 1914, pour des amis et protecteurs des ouvriers immigrés ; enfin on se servira de la phraséologie marxiste comme hors-d'oeuvre dans le journal de la coalition où les plats de consistance seront les appels pour le recrutement des volontaires, pour la participation à la guerre impérialiste, pour la victoire des alliés, la libération de la mère-patrie et la reconstruction de la nouvelle Italie "républicaine et démocratique".
La négation de l'existence sociale et politique du prolétariat devait conduire cette tendance à abandonner les positions politiques de la classe et à se rattacher directement à la bourgeoisie. Il n'y a pas de voie mixte ou intermédiaire. Ou contre le capitalisme par la formation du Parti de classe ou pour l'antifascisme avec la bourgeoisie. La Fraction a choisi la première voie, la tendance opportuniste de Vercesi la seconde. Sa banqueroute fut totale.
Mais il ne suffit pas de changer géographiquement de lieu pour effacer derrière soi les traces d'une pratique et d'une politique de trahison. La conversion et le rattachement au Parti, quoique contenant la condamnation de cette politique, n'offre en soi aucune garantie. Cependant, nous ne préconisons pas comme absolument inévitable l'exclusion individuelle. La question est bien plus grave pour pouvoir se régler par de simples meures organisationnelles. Elle ne peut trouver sa solution que dans cette alternative : ou la tendance Vercesi exécute publiquement, devant le Parti et le prolétariat, sa politique de coalition antifasciste et toute sa théorie opportuniste qui l'ont conduit à cette politique, ou bien c'est au Parti, après une discussion critique ouverte, d'exécuter théoriquement, politiquement et organisationnellement, la tendance opportuniste de Vercesi.
Dans la dernière période de son existence, la Fraction Italienne a accompli, en dépit des terribles conditions du fait de la guerre et de sa faiblesse numérique, un travail fécond. Il suffirait de rappeler les documents et résolutions sur la nature de la guerre impérialiste, sur la nature capitaliste de l' État russe, les essais sur le problème de l' État après la victoire de la révolution, les documents contre la théorie révisionniste de l'économe de guerre pour ne citer que les points les plus importants, pour mesurer tout l'acquis positif de son travail pendant la guerre, et qui a dégagé la Fraction de l'impasse où elle s'est trouvée fourvoyée à la veille de la guerre. L'existence de notre Fraction Française de la GC, qui est due en grande partie à l'influence et à la participation directe des camarades de la Fraction Italienne, fait également partie de l'acquis positif de son travail pendant les années de la guerre.
Mais il serait faux de croire qu'il n'y a que de l'actif au bilan. Il y a aussi toute de nombreuses questions que la Fraction Italienne a laissées inachevées, sur lesquelles elle a hésité ou encore qu'elle a mal résolues. Ses erreurs et hésitations portent plus particulièrement sur la période transitoire s'ouvrant avec l'arrêt de la guerre mondiale, sur les objectifs et le programme d'action susceptibles de mobiliser les masses dans la nouvelle situation en vue de la révolution ; sur la question des organismes unitaires de la classe, les Conseils ouvriers ou les syndicats prétendus à tort comme représentant toujours, par leur structure et dans leur nature, l'organisation par excellence de la classe, comme un « État dans l' État ». Elles portaient aussi sur l'illusion d'une possibilité de retour du capitalisme à une « économie de paix » et, le renvoi à une perspective lointaine de la menace d'une troisième guerre impérialiste ; et, dans le domaine concret, une série de fautes à caractère sectaire furent accumulées dans les rapports avec les autres groupes, dans la voie du regroupement international de l'avant-garde.
Nous n'entendons pas faire ici l'histoire de la Fraction Italienne, ni examiner tout son travail. Nous ne voulons nous arrêter que sur les points liés directement à la formation du Parti en Italie, sur les erreurs, à notre avis, qui ont eu une répercussion directe et néfaste sur cette constitution.
Si l'analyse donnée par la Fraction sur les événements de juillet 1943 a été juste, si 1943 marquait une brisure de la guerre impérialiste et ouvrait l'ère de la formation du Parti, il résultait que le devoir de la Fraction consistait dans son retour immédiat en Italie. En réalité la Fraction, qui avait théoriquement entrevu la probabilité des événements, fut pratiquement surprise lors de leur éclatement. Cela se traduit par l'incapacité où elle se trouva de dégager une ligne de conduite d'ensemble, par aucune vision cohérente de ses tâches immédiates, par des hésitations. Durant des mois, la Fraction se trouve dans la position de spectateur, au lieu de jouer un rôle actif d'acteur dans les événements. Pendant toute la période de juillet à septembre, c'est-à-dire jusqu'au moment où le capitalisme parvient à dominer et à canaliser les premiers mouvements spontanés du prolétariat, la Fraction est totalement absente en Italie. Il est évident que la Fraction paye ses fautes politiques et organisationnelles du passé puisqu'elle se trouve ne pas être à même de remplir sa fonction. Ainsi se manifeste une sorte de paralysie, de pétrification dont est atteinte la Fraction et bien que la vie dans l'émigration pendant 20 ans ne soit pas la cause capitale, elle a cependant contribué dans une large mesure. La non-rentrée immédiate de la Fraction en Italie ne doit pas être expliquée par des difficultés d'ordre extérieur certes réelles, mais relève essentiellement de l'état interne propre de la Fraction. Désormais, avec les nouvelles conditions de lutte du prolétariat italien, le maintien de la Fraction Italienne hors d'Italie est un anachronisme qui ne peut se solder que par sa liquidation totale ; et il est juste de dire, comme l'écrivait un camarade, qu'une seconde surprise de la Fraction de cet ordre signifierait sa faillite. En Italie même, les vieux militants de la gauche, les membres de la Fraction qui s'y trouvent, éprouvent le besoin de se regrouper. La pression des événements s'exerce sur eux et les pousse à donner à leur activité une forme organisée et organisationnelle.
La tendance à la construction du Parti en correspondance avec la situation objective s'impose chaque jour davantage. Mais, dans ce programme de construction du Parti qui va de 1943 à 1945, la Fraction, en tant qu'organisation, en tant que corps idéologique homogène, est absente. L'absence de la Fraction, dans cette période critique de formation, se fera terriblement sentir et aura des conséquences graves que nous retrouvons aussi bien dans le mode de regroupement que dans les bases programmatiques du nouveau Parti.
Au lieu de remédier résolument au manquement de la Fraction à ses tâches fondamentales en préparant son retour en Italie, et cela dans le désir de minimiser sa propre défaillance, une partie de la Fraction a trouvé la formule de " la Fraction à l’étranger".
Par cette trouvaille on tendait à diminuer la gravité de sa responsabilité. Elle signifiait : "Toute la critique émise est peut-être juste mais n’a pas de caractère de gravité puisqu'elle ne s’applique en somme qu’à une partie de la Fraction, à la partie, à la section qui est à l’étranger tandis que le gros de l’organisation vit et agit sur place en Italie." Et de là à railler "les paniquards" et "leurs prétentions" de vouloir "dicter" au prolétariat et aux militants se trouvant en Italie.
Il est vrai que la Fraction est parvenue à rejeter cette théorie mais il est néanmoins vrai qu’elle n’est jamais parvenue à éliminer cet état d’esprit qui restait dominant.
La formule de "la Fraction à l’étranger" était doublement fausse et dangereuse. Premièrement, parce qu’elle entretenait consciemment cette contre-vérité de l’existence d’une solide organisation de la Fraction en Italie et, deuxièmement, parce qu’au lieu de chercher à surmonter sa défaillance elle la justifiait dans le passé et dans l’avenir en dégageant l’organisation qui existait de toute responsabilité politique.
Loin de nous de sous-estimer la valeur des camarades qui restaient en Italie. Il est certain que la plus grande partie de la gauche est restée en Italie. Il est probable aussi que cela s'applique aussi bien à la qualité des militants qu'à leur quantité. Le fait que la plupart, se retrouvant aujourd'hui, après 20 ans de fascisme, à leur poste, à la pointe du combat, témoigne hautement de leur trempe et de leur valeur. Mais il ne s'agit pas des valeurs individuelles. L'organisation n'est pas une somme de volontés individuelles, comme la conscience de classe n'est pas une somme des consciences individuelles. L'organisation est une entité. C'est le lieu où se produit et se continue la fermentation idéologique de la classe.
Or, c'est justement la possibilité de maintenir l'organisation qui manquait aux camarades en Italie ; et, quelle que puisse être leur valeur individuelle, elle ne peut tenir lieu d'une vie politique organisée. L'organisme politique de classe du prolétariat italien fut, durant le fascisme, la Fraction Italienne telle qu'elle a vécu, agi et évolué. Les positions politiques de la Fraction ne sont pas des contributions d'une section mais l'expression de la vie et de la conscience de la classe. Ce n'est pas une société à responsabilité limitée, une filiale à l'étranger mais la délégation de la classe.
Les militants de la gauche en Italie sont restés, dans des conditions historiques extrêmement difficiles, fidèles au programme de la révolution, et c'est leur grand mérite. Mais c'est la Fraction telle qu'elle a existé, avec son organisation, sa presse hors d'Italie, qui a assuré la continuité historique du prolétariat. C'est elle qui, au nom de la classe, a eu à combattre le centrisme, à faire le bilan de la lutte passée et, sur la base de l'expérience, corriger et compléter le programme de la révolution.
Les illusions sur l'organisation en Italie, les légendes infantiles sur les nouveaux cadres préparés dans le secret, à la barbe de Mussolini, par Bordiga en personne, n'étaient que de l'opium qu'on octroyait à soi-même et aux autres pour oublier, dans l'extase artificielle et mensongère, la réalité de ses propres misères et défaillances.
Pendant toute la période critique de la formation de 1943 à 1945, le Parti a énormément manqué de cadres. Et ces cadres formés par 15 ans de vie de la Fraction, couvraient leurs manquements, leur défaillance, leur absence du manteau de la fausse modestie et se consolaient avec la théorie d'une "section à l'étranger".
En entretenant cet état d'esprit, la Fraction détruisait son propre travail durant 15 ans ; ce travail théorique de la Fraction, qui devait être l'axe du nouveau programme du Parti, devenait "une simple contribution des camarades à l'étranger".
Si aujourd'hui nous trouvons des lacunes et des insuffisances dans la base programmatique du Parti, si nous trouvons une méthode de regroupement surprenant à première vue, la faute incombe avant tout et directement à la Fraction.
Les erreurs s'enchaînent avec une logique implacable. De l'absence physique et politique aux moments décisifs par la justification de cette absence par la théorie de "la Fraction à l'étranger", on devait aboutir à la dissolution pure et simple de la Fraction. Ce dernier pas fut également franchi.
Nous savons très bien que les camarades de l'ancienne Fraction prétendent que nous sommes victimes d'un malentendu ou d'une fausse interprétation. Quelques-uns nous ont même accusé de mauvaise foi. Nous ne pouvons qu'exprimer une fois de plus notre regret et notre étonnement qu'après huit mois la résolution contenant la dissolution, et adoptée à la dernière conférence de la Fraction Italienne, soit toujours restée cachée. Il y a huit mois, on pouvait se perdre dans des finesses juridiques sur le terme équivoque de "rendre le mandat". Aujourd'hui, plus de subtilité possible. Depuis mai 1945, la Fraction Italienne est dissoute. Les camarades rentrés en Italie se sont intégrés en tant qu'individualités dans le Parti. Et nous assistons à ce spectacle paradoxal qui pourrait être comique s'il ne comportait pas un sens politique d'une extrême gravité.
En 1936, le mouvement ouvrier international est soumis à une épreuve historique décisive, c'est la guerre impérialiste en Espagne. Pour la première fois, l'antifascisme se traduit concrètement par l'adhésion à la guerre impérialiste. C'est le nouveau 2 août 1914. Chaque militant ouvrier, chaque groupe est mis à l'épreuve : POUR ou CONTRE la participation à la guerre. La cohabitation de ces deux positions est impossible. La délimitation politique doit aboutir à la délimitation organisationnelle.
En Belgique, une minorité rompt avec la Ligue Communiste Internationaliste pour donner naissance à la Fraction belge de la Gauche Communiste. Dans la Fraction Italienne, une minorité se sépare ou est exclue, et ira rejoindre l'Union Communiste alliée du POUM.
Cette minorité - qui, de 1936 à 1945, est restée hors de la Fraction, contre qui s'est formée la Gauche Communiste Internationale, qui garde et se réclame toujours de ses positions - se trouve aujourd'hui faisant partie du nouveau Parti en Italie.
En 1945, après 6 ans de lutte contre la ligne marxiste et révolutionnaire de la Fraction, la tendance Vercesi crée le Comité de Coalition Antifasciste où elle collabore, dans une union sacrée originale, avec tous les partis de la bourgeoisie.
De ce fait, précipitant la discussion politique, théorique la Fraction est amenée à exclure cette tendance de son sein. Aujourd'hui, cette tendance, sans avoir rien renié de ses positions et de sa pratique, se trouve être partie intégrante du nouveau Parti en Italie et occupe même une place importance dans la direction.
Ainsi, la Fraction - qui a exclu la minorité en 1936-1937 et la tendance Vercesi au début 1945 - se trouve dissoute elle-même fin 1945 mais unie à ceux-là même qu'elle avait exclus ; et cette union c'est... le Parti.
À croire que ce qui était une question de principe pour la Fraction ne l'est pas pour le Parti. Ou bien que ce qui était une question de principe "à l'étranger" ne l'est pas dans "le pays". Ou encore que tout ce qui s'est passé à "l'étranger", toute l'histoire de 15 ans de la Fraction, ses luttes, ses scissions ne sont que des "histoires de fous". C'est à croire que les eaux du Pô possèdent des qualités miraculeuses de laver de toute souillure, de purifier de tout pêché et, par-dessus tout, celle de réconcilier tout le monde. Nous ne savons pas si c'est "l'air du pays" qui possède ce don de transformer un homme du Comité de Coalition Antifasciste en membre du Comité Central d'un parti révolutionnaire, mais nous sommes convaincus que c'est là le résultat de la dissolution hâtive et prématurée, politique et organisationnelle de la Fraction.
La rentrée politique de la Fraction en Italie aurait servi de barrage pour la construction du Parti révolutionnaire du prolétariat.
La dissolution de la Fraction signifie l'ouverture des écluses par où s'infiltrent librement les courants opportunistes. Demain, ces courants risquent d'inonder entièrement le Parti. Telle est la conséquence d'une faute, la plus grave, commise par la Fraction Italienne.
S'il est exact que la constitution du Parti est déterminée par des conditions objectives et ne peut être l'émanation de la volonté individuelle, la méthode employée pour cette constitution est plus directement soumise à un "subjectivisme" des groupes et militants qui y participent. Ce sont eux qui ressentent la nécessité de la constitution du Parti et la traduisent par leurs actes. L'élément subjectif devient aussi un facteur déterminant de ce processus et le suit ; il imprime toute une orientation pour le développement ultérieur du Parti. Sans tomber dans un fatalisme impuissant, il serait extrêmement dangereux de méconnaître les conséquences graves résultant de la façon avec laquelle les hommes s'acquittent et réalisent les tâches dont ils ont pris conscience de leur nécessité objective.
L'expérience nous enseigne l'importance décisive qu'acquiert le problème de la méthode pour la constitution du Parti. Seuls les ignorants ou les écervelés, ceux pour qui l'histoire ne commence qu'avec leur propre activité, peuvent se payer le luxe d'ignorer toute l'expérience riche et douloureuse de la 3ème Internationale. Et ce n'est pas le moins grave que de voir de tous jeunes militants, à peine venus dans le mouvement ouvrier et à la Gauche communiste, non seulement se contenter et s'accommoder de leur ignorance mais en faire la base de leur arrogance prétentieuse.
Le mouvement ouvrier au lendemain de la première guerre impérialiste mondiale se trouve dans un état d'extrême division. La guerre impérialiste a brisé l'unité formelle des organisations politiques se réclamant du prolétariat. La crise du mouvement ouvrier, déjà existante avant, atteint, du fait de la guerre mondiale et des positions à prendre face à cette guerre, son point culminant. Tous les partis et organisations anarchistes, syndicales et marxistes sont violemment secoués. Les scissions se multiplient. De nouveaux groupes surgissent. Une délimitation politique se produit. La minorité révolutionnaire de la 2ème Internationale représentée par les bolcheviks, la gauche allemande de Luxemburg et les Tribunistes hollandais, déjà elle-même pas très homogène, ne se trouve plus face à un bloc opportuniste. Entre elle et les opportunistes tout un arc-en-ciel de groupes et de tendances politiques plus ou moins confus, plus ou moins centristes, plus ou moins révolutionnaires, représentant un déplacement général des masses rompant avec la guerre, avec l'union sacrée, avec la trahison des anciens partis de la social-démocratie. Nous assistons ici au processus de liquidation des anciens partis dont l'écroulement donne naissance à une multitude de groupes. Ces groupes expriment moins le processus de constitution du nouveau Parti que celui de la dislocation, la liquidation, la mort de l'ancien Parti. Ces groupes contiennent certes des éléments pour la constitution du nouveau Parti mais ne présentent aucunement la base de cette constitution. Ces courants expriment essentiellement la négation du passé et non l'affirmation positive de l'avenir. La base du nouveau Parti de classe ne se trouve que dans l'ancienne gauche, dans l'œuvre critique et constructive, dans les positions théoriques, dans les principes programmatiques que cette gauche a élaborés durant les 20 ans de SON EXISTENCE ET DE SA LUTTE FRACTIONNELLE au sein de l'ancien Parti.
La révolution d'octobre 1917 en Russie provoque un enthousiasme dans les masses et accélère le processus de liquidation des anciens partis, de la trahison. En même temps, elle pose, d'une façon brûlante, le problème de la constitution du nouveau Parti et de la nouvelle Internationale. L'ancienne gauche, les bolcheviks, les spartakistes se trouvent particulièrement submergés par le développement rapide de la situation objective, par la poussée révolutionnaire des masses. Leur précipitation dans la construction du nouveau Parti correspond et est le produit de la précipitation des événements révolutionnaires dans le monde. Il est indéniable qu'une des causes historiques de la victoire de la révolution en Russie et sa défaite en Allemagne, Hongrie, Italie réside dans l'existence du Parti révolutionnaire au moment décisif dans ce premier pays et son absence ou son inachèvement dans les autres pays. Aussi les révolutionnaires tentent de combler le décalage existant entre la maturité de la situation objective et l'immaturité du facteur subjectif (l'absence du Parti) par un large rassemblement des groupes et courants, politiquement hétérogènes, et proclament ce rassemblement comme le nouveau Parti.
Autant la méthode "étroite" de la sélection sur des bases principielles les plus précises, sans tenir compte des succès numériques immédiats, a permis aux bolcheviks l'édification du Parti qui, au moment décisif, a pu intégrer dans son sein et assimiler toutes les énergies et les militants révolutionnaires des autres courants et conduire finalement le prolétariat à la victoire, autant la méthode "large", soucieuse avant tout de rassembler immédiatement le plus grand nombre au dépens de la précision programmatique et principielle, devait conduire à la constitution de Partis de masses, véritables colosses aux pieds d'argile qui devaient retomber à la première défaite sous la domination de l'opportunisme. La formation du Parti de classe s'avère infiniment plus difficile dans les pays capitalistes avancés - où la bourgeoisie possède mille moyens de corruption de la conscience du prolétariat - qu'elle ne le fut en Russie.
De ce fait, l'IC croyait pouvoir tourner les difficultés en recourant à d'autres méthodes qu'à celle qui a triomphé en Russie. La construction du Parti n'est pas un problème d'habileté et de savoir-faire mais essentiellement un problème e solidité programmatique.
A la plus grande force corruptive idéologique du capitalisme et de ses agents, le prolétariat ne peut opposer qu'une plus grande sévérité et intransigeance principielles de son programme de classe. Aussi lente que puisse sembler cette voie de la construction du Parti, les révolutionnaires ne peuvent en emprunter une autre que l'expérience a démontré comme conduisant à la faillite.
L'expérience du Spartakusbund est à ce sujet édifiante. La fusion de ce dernier avec les Indépendants n'a pas conduit, comme ils l'espéraient, à la création d'un Parti de classe fort mais à noyer le Spartakusbund par les Indépendants et à affaiblir le prolétariat allemand. Rosa Luxemburg, avant d'être assassinée, et d'autres chefs du Spartakusbund semblaient s'être rendu compte de leur erreur de fusion avec les Indépendants et tendaient à la corriger. Mais cette erreur n'a pas seulement été maintenue par l'IC en Allemagne, elle devait devenir la méthode pratiquée, imposée par l'IC dans tous les pays pour la formation des Partis Communistes.
En France, l'IC "fera" un Parti Communiste par l'amalgame et l'unification imposée des groupes des syndicalistes révolutionnaires, des groupes internationalistes du Parti Socialiste et la tendance centriste, corrompue et pourrie des parlementaires, dirigée par Frossard et Cachin.
En Italie, l'IC imposera également à la Fraction abstentionniste de Bordiga de fonder une seule et même organisation avec les tendances centristes et opportunistes d'Ordino Nuovo et de Serrati.
En Angleterre, l'IC imposera aux groupes communistes d'adhérer à l'Independant Labour Party pour former, à l'intérieur de ce parti réformiste, une opposition révolutionnaire massive.
En somme, la méthode qui servira à l'IC pour "la construction" des Partis Communistes sera partout à l'opposé de la méthode qui a servi et qui a fait ses preuves dans l'édification du Parti bolchevique. Ce n'est plus la lutte idéologique autour du programme, l'élimination progressive des positions opportunistes qui, par le triomphe de la Fraction révolutionnaire conséquente, servira de base à la construction du Parti mais c'est l'addition de différentes tendances, leur amalgame autour d'un programme volontairement laissé inachevé qui serviront de base. La sélection sera abandonnée pour l'addition, les principes sacrifiés pour la masse numérique.
Comment les bolcheviks et Lénine pouvaient-ils emprunter cette voie qu'ils avaient condamnée et combattue pendant 20 ans en Russie ? Comment s'explique le changement de méthode de la formation du Parti, pour les bolcheviks, avant et après 1917 ? Lénine ne nourrissait aucune illusion sur les chefs opportunistes et centristes, sur la conversion des Frossard, des Ledebour à la révolution, sur la valeur des révolutionnaires de la 13ème heure. Lénine ne pouvait méconnaître le danger que représentait l'admission de toute cette racaille dans les Partis Communistes. S'il se décide à les admettre, c'est qu'il subit la pression de la précipitation des événements, parce qu'il croit que ces éléments seront, par le déroulement même des événements, progressivement et définitivement éliminés du sein du Parti. Ce qui permet à Lénine d'inaugurer la nouvelle méthode, c'est qu'il se base sur deux faits nouveaux qui, à ses yeux, offrent une garantie suffisante : la prépondérance politique du Parti bolchevique dans l'IC et le développent objectif du cours révolutionnaire. L'expérience a montré depuis que Lénine a commis une erreur colossale de sous-estimer le danger d'une dégénérescence opportuniste, toujours possible d'un parti révolutionnaire, et d'autant plus favorisée que la formation du Parti ne se fait pas sur la base de l'élimination des tendances opportunistes mais sur leur camouflage, leur addition, leur incorporation en tant qu'éléments constitutifs du nouveau Parti.
Contre la méthode "large" d'addition qui triomphait dans l'IC, la gauche rappelait avec vigueur la méthode de sélection : la méthode de Lénine d'avant la révolution d'Octobre. Et c'est un des plus grands mérites de Bordiga et de sa fraction d'avoir le plus énergiquement combattu la méthode de l'IC et mis en évidence l'erreur de la méthode de formation du Parti et les conséquences graves qu'elle comportait pour le développement ultérieur des partis communistes. Si la fraction de Bordiga a finalement accepté de former le Parti Communiste d'Italie avec la fraction de "l'Ordino Nuovo", elle le fit en se soumettant à la décision de l'IC, après avoir formulé les plus sévères critiques et en maintenant ses positions qu'elle se réservait de faire triompher à travers les crises inévitables au sein du Parti et à la suite même de l'expérience historique vivante, concrète.
On peut aujourd'hui affirmer que de même que l'absence des partis communistes lors de la première vague de la révolution de 1918-20 fut une des causes de son échec, de même la méthode de formation des Partis de 1920-21 fut une des causes principales de la dégénérescence des PC et de l'IC.
Il n'est pas le moins étonnant que nous assistions aujourd'hui, 23 ans après la discussion Bordiga-Lénine lors de la formation du PC d'Italie (sur cette formation du Parti), à la répétition de la même erreur. La méthode de l'IC, qui fut si violemment combattue par la Fraction de gauche (de Bordiga) et dont les conséquences furent catastrophiques pour le prolétariat, est aujourd'hui reprise par la Fraction elle-même pour la construction du PCI d'Italie.
Beaucoup de camarades de la Gauche Communiste Internationale semblent être frappés d'amnésie politique. Et, dans la mesure où ils se rappellent les positions critiques de la gauche sur la constitution du Parti, ils croient aujourd'hui pouvoir passer outre. Ils pensent que le danger de cette méthode se trouve circonscrit sinon complètement écarté du fait que c'est la Fraction de gauche qui l'applique, c'est-à-dire l'organisme qui a su résister pendant 25 ans à la dégénérescence opportuniste de l'IC. Nous retombons ainsi dans les arguments des bolcheviks. Lénine et les bolcheviks croyaient aussi que, du fait que c'étaient eux qui appliquaient cette méthode, la garantie était donnée. L'histoire nous prouve qu'il n'y a pas d'infaillibilité. Aucun parti, quel que soit son passé révolutionnaire, n'est immunisé contre une dégénérescence opportuniste. Les bolcheviks avaient au moins autant de titres révolutionnaires à faire valoir que la Fraction Italienne de la Gauche Communiste. Ils avaient non seulement résisté à l'opportunisme de la 2ème Internationale, à la trahison de la guerre impérialiste, ils avaient non seulement formé le Parti mais avaient aussi conduit le prolétariat à la victoire. Mais tout ce passé glorieux - qu'aucune autre fraction n'a encore à son actif - n'a pas immunisé le Parti bolchevik. Chaque erreur, chaque faute est une brèche dans l'armature du Parti par où s'infiltre l'influence de l'ennemi de classe. Les erreurs portent leurs conséquences logiques.
Le Parti Communiste Internationaliste d'Italie se "construit" par la fusion, l'adhésion de groupes et tendances qui ne sont pas moins opposés politiquement entre eux que le furent la Fraction abstentionniste de Bordiga et "l'Ordino Nuovo" lors de la fondation du PC en 1921. Dans le nouveau Parti viennent prendre place, à titre égal, la Fraction Italienne et la Fraction Vercesi exclue pour sa participation au Comité de Coalition Antifasciste. C'est non seulement une répétition de l'erreur de méthode d'il y a 25 ans mais une répétition aggravée.
En formulant notre critique sur la méthode de constitution du PCI d'Italie nous ne faisons que reprendre la position qui fut celle de la Fraction Italienne et qu'elle abandonne aujourd'hui. Et tout comme Bordiga continuait Lénine contre l'erreur de Lénine lui-même, nous ne faisons que continuer la politique de Lénine et de Bordiga face à l'abandon de ses positions par la Fraction Italienne.
Le nouveau Parti n'est pas une unité politique mais un conglomérat, une addition de courants et de tendances qui ne manqueront pas de se manifester et de se heurter. L'armistice actuel ne peut être que très provisoire. L'élimination de l'un ou de l'autre courant est inévitable. Tôt ou tard la délimitation politique et organisationnelle s'imposera. A nouveau, comme il y a 25 ans, le problème qui se pose est: QUI L'EMPORTERA ?
Nous venons d'examiner longuement la place qu'occupe la constitution du PCI d'Italie dans l'histoire du mouvement ouvrier. Nous venons de voir jusqu'à quel point le nouveau Parti peut être considéré comme un pas en avant, un acquis positif du prolétariat ; mais nous avons également souligné les insuffisances et les côtés négatifs qui s'y trouvent.
Notre critique, aussi sévère fût-elle, ne nous conduit pas cependant à la position des RKD qui condamne à priori et définitivement le PCI. La critique que nous avons formulée contre la méthode de constitution du PCI, contre son insuffisance programmatique, conduit certains camarades et groupes à poser la question : faut-il adhérer à ce Parti ? Faut-il participer à cette expérience ?
Les "gauches communistes de la 13ème heure" -la "claque" de Vercesi- rougissent d'indignation à la seule formulation d'une telle question. Il est navrant de voir s'instituer ce genre de fétichisme dans la Gauche Communiste Internationale qui consiste à absoudre d'avance toute erreur que peut commettre à un moment donné, sur une question donnée, un groupe ou l'ensemble de la Gauche Communiste Internationale.
Ce système politique que nous avons trop connu chez les staliniens et les trotskistes -qui se passe de la nécessité d'apporter une démonstration, qui remplace la démonstration par l'affirmation : "Nous avons eu raison, nous avons raison et nous aurons toujours raison parce que nous sommes Nous!", qui ne connaît que l'approbation aveugle ou l'excommunication - est un système qui tue toute vie politique dans une organisation, anéantit toute fermentation intellectuelle, arrête tout développement des militants et transforme le mouvement en une misérable chapelle bureaucratique.
Celui qui en politique croit sur parole - disait Lénine - est un incurable idiot. Et toute organisation politique transformée en une église cesse d'être une école de militants pour devenir une machine à fabriquer, d'une part, une petite clique de bureaucrates infaillibles et, d'autre part, une masse de crétins béni-oui-oui.
Dégagés de tout amour-propre chatouilleux, nous entendons discuter toute objection qui peut être soulevée contre nos positions et celles de la Gauche Communiste Internationale. C'est dans cet esprit que nous saisissons l'occasion pour réfuter la position des RKD concernant le PCI d'Italie. Le RKD reprend partiellement notre critique sur l'insuffisance programmatique du PCI, sur la méthode erronée qui a présidée à la constitution du Parti et plus particulièrement notre critique contre le courant révisionniste de Vercesi, et le droit de citer qui lui a été fait dans le nouveau Parti dont il est un élément constitutif. De ce fait, le RKD définit, apparemment avec logique, le PCI d'Italie comme un Parti centriste. Et le RKD de tirer la conclusion que ce Parti est condamné dès maintenant à évoluer fatalement vers les positions opportunistes et contre-révolutionnaires. Aucune possibilité historique n'est donnée, selon les RKD, à un parti centriste de retrouver la voie de la révolution. Aussi proclament-ils la nécessité pour les révolutionnaires en Italie d'abandonner le PCI et de constituer un groupe indépendant.
Contre tout schéma, nous avons ici une suite de déductions logiques. À examiner de plus près la question, nous nous apercevons que c'est là un raisonnement logique dans l'abstrait, une vue schématique n'englobant pas la réalité de la situation concrète.
Quelle est la situation en Italie ? Après 20 ans de domination du fascisme, le prolétariat surgit sur l'arène politique et sociale dans les remous des événements de juillet 1943. Un cours nouveau de reprise de la lutte offensive s'ouvre, qui exige la constitution du Parti de classe. Évidemment si on perd de vue cette situation nouvelle, si on la méconnaît, on s'interdit de comprendre le problème de la constitution du Parti qui, dès lors, n'apparaît que comme un nouvel échantillon de la série des partis fabriqués par les trotskistes.
Contrairement à ces fabrications artificielles, artificielles parce que se faisant dans une situation de recul du prolétariat, ce qui caractérise la constitution du Parti en Italie c'est plutôt le décalage existant entre la reprise spontanée de la lutte classes et le retard accusé dans l'organisation de la conscience de classe : le Parti.
Qu'est-ce que l'acte de la constitution du Parti ? C'est la convergence historique entre une situation objective de reprise offensive de la lutte de classe et l'achèvement maximum du programme par l'organisme de la classe qu'est la Fraction. Cette convergence est rarement parfaite. L'histoire nous enseigne que c'est souvent sous le feu des événements que le Parti modifie, complète son programme. L'exemple le plus frappant nous est donné par le Parti bolchevik qui, entre février et octobre, en plein bouillonnement de la révolution, est appelé à rectifier profondément son programme. De même Spartakusbund travaille fiévreusement son programme au feu de la révolution de novembre 1918.
On peut évidemment se lamenter sur le retard de l'avant-garde mais cela n'avance à rien. Ce qui importe c'est d'avoir conscience de la tâche historique qui incombe aux révolutionnaires dans la période de recul, avec l'examen critique du passé et l'effort théorique, l'élaboration des positions programmatiques où pourra se situer la classe dans sa lutte révolutionnaire.
Cette conscience, la Fraction Italienne l'avait à un très haut degré ; cet effort, elle l'a fourni quasiment seule pendant 20 ans. Et si nous ne la trouvons pas entièrement prête au moment précis, en 1943 par exemple, les raisons sont multiples. Elles doivent être recherchées dans les conditions générales dans lesquelles a dû vivre la Fraction, dans son éloignement du pays, dans son isolement quasi-total, dans le recul le plus grand qu'ait jamais connu la lutte du prolétariat et aussi dans ses propres erreurs et propres faiblesses.
Mais la situation en Italie se bouleverse. 1943 fait jaillir le mouvement de classe comprimé durant 20 ans. La situation ne tient pas compte de la préparation ou non de l'organisme de la classe, de son état. Elle oblige l'avant-garde d'intervenir, de prendre sa responsabilité d'agir. C'est sous le fouet de la situation que l'avant-garde doit accélérer son regroupement, achever son programme.
Le PCI d'Italie, avec toutes ses insuffisances, traduit cet état de décalage de l'avant-garde en rapport avec la situation objective. On peut constater avec regret cet état. On doit accélérer la maturation programmatique mais on ne peut pas "condamner" un état. Voilà un premier point à établir.
La seconde erreur des RKD consiste à coller l'étiquette "centriste" au PCI. Qu'est-ce que le centrisme ? C'est un ensemble de positions politiques se situant entre la révolution et la contre-révolution, entre le prolétariat et la bourgeoisie. Une organisation politique qui ne présentera pas un programme achevé, qui comportera même des erreurs sur un certain nombre de questions importantes mais secondaires, ne peut encore être taxée de "centrisme". Tout au plus peut-on parler de positions erronées, confuses ou inachevées de cette organisation. Mais pour y porter un jugement définitif, il faut tenir compte de l'orientation générale, du sens de l'évolution de cette organisation. Le Parti bolchevik, par exemple, ayant dans son programme une position erronée sur la révolution en Russie, conçue comme "une dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat et de la paysannerie", ne s'est débarrassé de cette erreur qu'après des luttes et des crises internes sous le feu même de la révolution en 1917. La position des RKD mène directement à considérer et à qualifier le Parti bolchevik de parti centriste, donc à l'absurde. Mais arguent les RKD, le PCI contient en son sein des tendances centristes. Ceci est exact. Nous dirons même qu'il contient des courants opportunistes. Cela ne fait pas encore du PCI une organisation centriste mais cela en fait seulement une organisation où va surgir la lutte entre les courants révolutionnaires et les courants opportunistes. Ce qui caractérise la plate-forme du PCI c'est d'être "un moyen terme" et de ne pas être explicitement et politiquement la condamnation des positions centristes. C'est là une tout autre chose que d'être un Parti centriste.
La position des RKD n'est qu'une application au PCI de leur "axiome" infantile qui consiste à proclamer la nécessité de quitter immédiatement toute organisation où se manifeste un courant opportuniste. C'est en partant de cet "axiome" qu'ils croient être "la quintessence révolutionnaire" qu'ils blâment Luxemburg et la Gauche allemande de n'avoir pas rompu organisationnellement avec la social-démocratie allemande bien avant 1914. Pour la même raison, ils blâment les bolcheviks d'être restés dans la 2ème Internationale. Et c'est en partant de ce point de vue qu'ils condamnent la gauche communiste de n'avoir pas quitté l'IC et les Partis Communistes en... 1920-21.
Le RKD s'appuie sur l'expérience historique. Il n'existe pas d'exemple, dit-il, qu'un parti dans lequel s'est manifesté la maladie opportuniste ait pu être redressé ; aussi, les révolutionnaires ne font que servir l'opportunisme en restant dans ces partis. Un tel raisonnement est non seulement faux mais conduit à l'absurde. Suivez ce raisonnement et vous arriverez à la conclusion qu'il n'a jamais existé de parti du prolétariat. La 2ème Internationale contenait de l'opportunisme à sa fondation. La 3ème de même. Pour être logique le RKD devrait blâmer les révolutionnaires non pas de n'être pas sortis mais d'être entrés dans ces partis. Et cela serait valable également pour Marx et Engels dans la 1ère Internationale. Il est archi-connu que Marx a, en quelque sorte, composé dans la 1ère Internationale et que l'Adresse inaugurale qu'il a écrit pour elle est infiniment plus vague que le Manifeste Communiste qu'il a rédigé 15 ans avant pour la Ligue Communiste. La position des RKD est en somme une condamnation de toute l'histoire du mouvement ouvrier international. Rien d'étonnant à ce qu'ils n'aient jamais compris la notion de Fraction.
Cette position est d'ailleurs historiquement fausse. La 1ère Internationale où les marxistes ne sont qu'une petite minorité parvient progressivement à éliminer de son sein les positions petites-bourgeoises des Mazzinistes, des Garibaldiens, des Babouninistes etc.
La social-démocratie allemande également élimine les positions des Lassaliens, de Dühring et, pendant un temps, présente un rempart contre le Bernsteinisme et le Millerandisme. Les bolcheviks, comme nous l'avons déjà vu, surmontent leurs propres positions erronées et se redressent - sous l'attaque violente de Lénine et de ses Thèses d'avril - du marasme opportuniste où ils se trouvaient en février-mars 1917. Jusqu'au RKD qui nous offre l'exemple d'une organisation sortie du trotskisme et abandonnant, après des années, des positions opportunistes du Front unique et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Le Parti révolutionnaire "à l'état pur" que désire le RKD est un rêve magnifique et puéril. Tant qu'existent des classes et des luttes de classes, le Parti du prolétariat ne peut être absolument soustrait et garantit par rapport à la pénétration de l'influence de la classe ennemie. C'est en opposant consciemment une lutte constante et opiniâtre contre l'opportunisme que le Parti tend vers sa position idéale de pureté révolutionnaire. Mais aussi, au moment d'atteindre cet état, c'est-à-dire au moment où l'influence de la classe ennemie cesse de s'exercer sur lui, ce qui n'est le cas que par la disparition de cette classe, le Parti lui-même cessera d'exister comme tel et subira une transformation que personne n'est encore à même d'entrevoir.
Pour les uns, le PCI, quoi qu'il fasse, quelles que soient ses erreurs de constitution et insuffisances programmatiques, de par la seule vertu qu'il est italien et qu'il s'intitule et se réclame de la Gauche Communiste Internationale, est hors de toute critique et restera toujours le Parti du prolétariat.
Pour les autres, comme le RKD, qui voient partiellement les insuffisances, les erreurs du PCI et l'existence en son sein d'une tendance opportuniste, le PCI est d'ores et déjà condamné à une dégénérescence fatale. C'est là une conception fataliste, stérile et désespérante.
Les marxistes révolutionnaires sont aussi loin de la conception fataliste qu'ils répugnent au mysticisme fétichiste.
C'est parce qu'ils ont conscience que l'évolution du PCI est conditionnée, d'une part, par le développement de la situation et, d'autre part, par la capacité du Parti d'éliminer les germes de l'opportunisme, qu'ils sont convaincus que le devoir de chaque révolutionnaire est de prendre place dans ce Parti, d'agir de toutes ses forces contre la gangrène opportuniste et de faire du PCI le guide et l'artisan de la victoire de la révolution communiste.
M
[1] La Conférence de la Fraction italienne de mai 1944 a, dans une déclaration politique, condamné l'ensemble des positions théoriques et politiques de la tendance Vercesi qualifiée justement de révisionniste et opportuniste, et a envisagé comme inévitable la séparation organique d'avec cette tendance. Par la suite, la tendance Vercesi devait simplement justifier cette appréciation en prenant l'initiative d'un comité de coalition antifasciste italien à Bruxelles où elle a pratiqué la plus honteuse collaboration de classe avec les représentants de tous les partis politiques du capitalisme italien. Pour ce fait, la tendance Vercesi fut exclue de la Fraction italienne en 1945.
[2] Nous ne nous arrêterons pas ici sur tout ce qu'il y a d'erroné, de fantaisiste dans cette théorie de l'économie de guerre
[3] Ce fait est hautement significatif. Alors que le gouvernement belge interdit la parution du journal trotskiste se rattachant pourtant à la guerre impérialiste au travers de la "défense de l'URSS", il laisse toute liberté et encourage même la parution d'un journal politique d'"étrangers". On sait à quel contrôle sévère ont été soumis les ressortissants des pays étrangers pendant la guerre, et plus particulièrement quand il s'agissait de ressortissants d'un pays ennemi comme l'ont été les italiens. Il fallait que le journal donne plus que des garanties, mais rende des services pour qu'une telle largesse soit pratiquée à son égard.
[4] Pour éviter tout malentendu nous spécifions qu'en parlant de la Fraction Italienne nous n'entendons en aucun cas la tendance Vercesi. Cette tendance a pu être autrefois à la direction de la Fraction ; mais, depuis la guerre, elle est non seulement une minorité mais de par sa position sur l'impossibilité de toute activité et même du maintien de l'organisation pendant la guerre elle s'est placée pratiquement et volontairement hors de l'organisation. Elle n'a participé à aucune des conférences de la Fraction pendant la guerre et elle fut finalement exclue officiellement de l'organisation en janvier 1945 à la suite de sa participation au Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles.
L'état actuel de l'organisation est la suite, la continuation d'une crise qui a surgi dans le sein de la Fraction avant la guerre, dès 1937.
Elle est inaugurée par l'abandon des positions politiques contenues dans le rapport sur la situation internationale adopté au congrès de la Fraction en 1935 et par la révision fondamentale de l'analyse de l'époque historique qui s'est ouverte en 1914 dans la phase décadente du régime capitaliste.
A l'analyse marxiste de cette phase, fondement programmatique de la 3ème Internationale et de la Fraction italienne de la gauche communiste, on a substitué tout un corps théorique d'une nouvelle doctrine :
1°- Négation de l'exacerbation des antagonismes inter-impérialistes, allant par moment jusqu' à la négation même de l'existence de ces antagonismes, aboutissant ainsi à la négation de l'inévitabilité de la guerre impérialiste et à l'affirmation de l'exclusion de la guerre impérialiste généralisée dans la phase décadente du système capitaliste.
2°- Substitution à la guerre impérialiste généralisée de la théorie des "guerres localisées", à la notion impérialiste de la guerre celle de "guerre civile de la bourgeoisie contre le prolétariat".
3°- A la défaite du prolétariat, condition préalable concourant à l'ouverture du cours de la guerre, on a substitué la théorie de la guerre localisée destinée à enrayer la maturation révolutionnaire du prolétariat.
4°- A l'affirmation communiste de l'impossibilité d'amélioration des conditions de vie du prolétariat dans la phase décadente, on a substitué la théorie de l'amélioration des conditions de vie du prolétariat rendue possible par le développement de la technique (...).
5°- La rupture d'avec la réalité, la marche en sens inverse au déroulement des situations reflète la rupture avec la méthode d'investigation marxiste et projettera le travail idéologique de la Fraction dans les sphères libres de l'abstraction pure et de la spéculation stérile.
Ne tenant nul compte du cours réel, le centre de la Fraction tentera de greffer et de faire jaillir du cours vers la guerre le cours vers la révolution ; il œuvrera à la formation artificielle de la Fraction en France et altèrera les principes programmatiques dans une tentative de front unique avec les maximalistes, les anarchistes, fait à l'initiative de la Fraction.
Cette ligne politique ôtera à la Fraction toute possibilité d'assurer une vie politique et organisationnelle de la Fraction dans la tourmente qui est annoncée.
À l'éclatement de la guerre, la Fraction se trouvera déjà profondément démoralisée et désarçonnée et à ce point surprise et désarmée que ce sera la seule organisation qui ne trouvera pas la force de faire le moindre manifeste du prolétariat. L'éclatement de la guerre frappera de paralysie totale la Fraction qui entrainera avec elle, dans le néant, le Bureau International.
6° - Il est naturel que la tendance "orthodoxe" a constamment combattu, dès son apparition en bloc, cette nouvelle doctrine révisionniste. Elle se retrouvera seule à reprendre le travail de regroupement de la Fraction. Inlassablement et méthodiquement, forte de la confirmation par les événements de sa position politique, elle poursuivra le travail entrepris, dès 1940, à travers d'innombrables difficultés et parviendra à regrouper la Fraction, assistera à la formation du noyau français, réveillera à la vie idéologique internationale la Fraction belge, renouera des liens internationaux à l'intérieur de la GC et, à l'extérieur, avec le groupe des Communistes Révolutionnaires d'Allemagne.
Mais la guerre, interrompant l'épanouissement du courant révisionniste, ne l'a pas liquidé politiquement ; elle n'a fait qu'accentuer son évolution vers l'opportunisme, réapparaissant avec la reprise de l'activité de l'organisation. Il est dans la nature de l'opportunisme de se débattre dans la phraséologie révolutionnaire au moment du reflux révolutionnaire, quand il s'agit de travailler à la cimentation idéologique et organisationnelle pour rendre l'organisation apte à soutenir le rouleau compresseur de la réaction. L'opportunisme se manifeste alors par sa non-compréhension de la situation, par son impatience. A ce moment, il pousse en avant, il exalte, il trépigne d'impatience mais, dès qu'apparait la maturation des événements, dès que le mouvement révolutionnaire reprend un cours ascendant, il s'assoit, il tire en arrière, il découvre toutes sortes de fantômes qui lui font peur et pour faire peur à l'organisation. Il s'effraie des difficultés, il met en garde contre l'activisme, il découvre "les conditions objectives". "En avant, doucement, à petits pas", telle est sa devise.
7° - Et nous assistons à ce plein épanouissement de la théorie et de la pratique opportuniste. La phase décadente ne serait plus la phase de la destruction, de la reproduction rétrécie, mais elle sera (...), grâce à l'économie de guerre, comme la phase "de plein épanouissement des forces productives" ; l'économie de guerre ne sera plus en fonction de la guerre mais on jettera par-dessus bord ses propres théories de la guerre civile de la bourgeoisie contre le prolétariat et ce sera la guerre qui deviendra le marché où se changent les produits de l'économie de guerre. On inventera la théorie selon laquelle, puisqu’en économie de guerre le capitalisme peut réaliser sa plus-value, l'antagonisme salaire-capital ne peut plus contenir dans l'explosion révolutionnaire et on oubliera que, dans l'économie de guerre, la production de la plus-value est conditionnée par une réduction extrême des conditions de vie du prolétariat amenant l'antagonisme salaire-capital à une intensité telle qu'il explose en une bourrasque révolutionnaire.
8° - L'économie de guerre ne sera plus une manifestation de la crise permanente du régime, un moment de convulsion de l'agonie du capitalisme (R. Luxemburg) mais deviendra le moment de "la plus grande production de valeur (Vercesi) ; et puisque l'économie de guerre sera représentée par une nouvelle ère de prospérité, on bafouera la position communiste selon laquelle les conditions objectives de la révolution sont données par la phase historique dans laquelle nous vivons et on reviendra à la position social-démocrate de "l'immaturité des conditions objectives".
9° - La guerre impérialiste ne fera plus jaillir les possibilités et la nécessité inéluctable de la reprise des mouvements de classe du prolétariat mais seulement une crise de l'économie de guerre. En inventant la théorie selon laquelle la crise économique de l'économie de guerre est préliminaire à la crise sociale, on s'en servira pour ne pas faire son devoir révolutionnaire et on reprendra la thèse, qui a servie à Kautsky contre Lénine en 1914, selon laquelle en temps de guerre il n'y a pas de place pour l'organisation révolutionnaire du prolétariat. Et puisque la révolution ne jaillit pas de la guerre, on rejettera la position de Lénine et des communistes de "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" pour prendre comme drapeau ce chiffon de tous les opportunistes, centristes et pacifistes de la "cessation de la guerre".
On joindra ainsi une position qui, parce qu'elle ne contient pas la notion de classe ouvrière, seule opposition possible à la guerre, se remplit par là-même d'un autre contenu de classe, celui de la bourgeoisie.
10° - On inventera, pour justifier sa propre défaillance et sa propre disparition, la théorie de la disparition sociale du prolétariat depuis 1929 et on décrètera que toute activité révolutionnaire de l'avant-garde, loin d'exprimer le prolétariat qui n'est plus, ne fait qu'exprimer la classe qui seule existe : la classe capitaliste. On portera ainsi le discrédit et on réduira au néant tout le travail idéologique et toute l'activité politique de la Fraction pendant ces 10 dernières années.
11° - Dans l'aversion (et pour annuler tout effort en direction) d'un travail révolutionnaire de l'avant-garde, on clamera cette vérité banale : les situations ne sont pas déterminées par la volonté propre du Parti et on escamotera la thèse marxiste d'après laquelle, selon la conscience qu'ont les révolutionnaires d'un cours historique et en intervenant dans le déroulement de ce cours, ceux-ci la révolutionnent et l'accélèrent. Ainsi, l'apparence marxiste ne fait que cacher l'inclination commune à toute thèse opportuniste devant la spontanéité. On révisera la fonction du Parti actif qui, d'injecteur de la conscience dans les luttes du prolétariat, deviendra une machine d'enregistrement positif. De sa fonction de cerveau on ramène le Parti à un simple appendice de la classe.
12° - L'apparition révolutionnaire du prolétariat italien, faisant sauter l'édifice fasciste de domination de l'ennemi, ébranlant la situation internationale et ouvrant le cours vers la révolution, exigeant une accentuation et un élargissement du travail politique de la Fraction en Italie comme sur le terrain international, trouvera son expression dans la position centrale de "la dissolution de la Fraction". On jettera l'anathème et l'accusation de la rupture avec les principes programmatiques contre la position de rentrée en Italie en tant qu'organisation politique, à laquelle on opposera la rentrée individuelle des militants.
Après plusieurs mois de silence, nous aurons tout une gamme d'exploitations et d'interprétations des événements de juillet 1945 dont toutes se ramènent à une idée centrale : la négation du caractère prolétarien des événements de juillet, la négation du rôle du prolétariat déterminant le bouleversement des situations. On cherchera la crise de l'industrie de guerre, ne pouvant satisfaire la demande des besoins des fronts militaires ; on cherchera "le fruit pourri qui tombe" par lui-même et on trouvera la niaise explication des conflits entre Mussolini et les grands conseils fascistes. Tout servira d'argent comptant pour éclipser et nier le mouvement du prolétariat. Tout cela dans le but évident de justifier sa propre inexistence et sa myopie politique. La maladie inoculée dans la fraction, depuis des années, l'a rendu absolument incapable de s'acquitter de ses tâches révolutionnaires. Après 25 ans de préparation et d'existence, la fraction se trouvait non pas physiquement mais politiquement hors de la situation. Tel est le fait terrible et unique dans l'histoire du mouvement ouvrier. Telle est l'ampleur du ravage à l'intérieur de la fraction. Si on est obligé de reconnaître les faits de grèves et de manifestations qui ont suivi la chute du régime, là aussi on s'emploiera à minimiser leur ampleur et leur importance.
13° - Et ce sera dans les rangs de la fraction que se trouveront des hommes pour donner le coup de pied au prolétariat défait et massacré, en parlant de l'incapacité du prolétariat de décrocher le cours de la révolution. On cherchera des démonstrations scientifiques ou des boucs-émissaires, l'immaturité des conditions objectives, l'incapacité du prolétariat international, oubliant et cherchant à cacher que c'est surtout la fraction qui n'est pas mûre. Comme tendance opportuniste, on se cherchera dès lors des formules seyantes et subjectives qui serviront à remettre sur les autres ses propres fautes commises et on ira jusqu'à ériger l'absence (...) de principe pour interdire à l'organisation de se ressaisir, d'assimiler, de corriger en les dépassant les fautes d'hier et qui, faute de toute autocritique révolutionnaire salutaire, "impuissantera" la fraction dans l'avenir.
14° - Du fait que l'organisation se trouve à l'étranger, physiquement séparée de la classe, on conclura à l'impossibilité pour elle de représenter la classe et, rompant avec tout le passé où la fraction s'est représentée comme un organisme politique du prolétariat italien, agissant et intervenant dans la lutte du prolétariat mondial, on érigeait la frontière géographique en frontière politique et on ramènera l'organisation d'un organisme politique au rôle de savants marxistes contribuant à l'élaboration théorique.
15° - Dans le domaine de l'organisation, on réalisera une unanimité des éléments politiquement hétérogènes pour annuler la fonction politique d'un centre en le réduisant à un simple organisme de liaison.
16° - Nous considérons que l'ensemble de ces positions politiques présentent une rupture nette avec les principes politiques du communisme et ne peuvent avoir une place dans la fraction, ce qui nécessite une solution politique rapide. Toutefois, l'état actuel d'anémie de l'organisation ne nous permet pas, dans l'immédiat, de donner cette solution politique qui s'impose. Dans cette situation contradictoire, nous estimons ne plus pouvoir continuer d'assumer la responsabilité politique de l'organisation.
Pour permettre à l'organisation de surmonter sa crise, par la poursuite de la discussion, en vue d'une solution politique et pour ne pas aggraver la situation intérieure, nous estimons nécessaire de démissionner de notre fonction de CE.
En reprenant notre liberté et responsabilité de tendance, nous poursuivons la lutte idéologique et politique intransigeante pour l'élimination de la politique révisionniste et de la pratique révisionniste. Cette lutte, nous la poursuivrons inlassablement à l'intérieur de la fraction dans la Gauche Communiste Internationale et devant le prolétariat jusqu'à la victoire complète de la position communiste, condition préalable qui permettra à la fraction de s'acquitter de sa tâche historique dans le cours présent de maturation de l'explosion révolutionnaire.
Au hasard d'une conversation entre un de nos camarades et l'ancien député socialiste italien Rafrani qui a eu lieu à Paris le 16 janvier 1945, celui-ci lui a fait savoir que le camarade Vercesi faisait partie, à Bruxelles, d'un Comité italien antifasciste de gauche, regroupant les maximalistes, les anarchistes et une tendance de gauche du Parti Socialiste, et que ce Comité publie un organe : Prométée. La CE de la fraction, prenant connaissance de cette information et quoique cette information nous provienne d'une seule source non encore confirmée par ailleurs, estime cependant nécessaire de lui accorder toute l'attention qu'elle mérite par sa gravité et fait la déclaration suivante :
1° - L'ensemble des positions politiques de Vercesi a été considéré comme révisionniste lors de la conférence de notre fraction en mai 1944 et consigné dans un document connu sous le titre de "Déclaration politique". Depuis les difficultés dues à la situation de la guerre et malgré nos tentatives répétées, Vercei nous a laissé dans l'ignorance la plus absolue sur son évolution politique et sur son activité.
2° - Les comités antifascistes de gauche ne sont que des tentatives de freiner les masses qui, mécontentes, rompent avec le chauvinisme hystérique des staliniens et évoluent vers des positions de classe révolutionnaires. Dans la période qui s'ouvre d'effervescence révolutionnaire, ces formations centristes de gauche sont des tentatives, des barrières ultimes du capitalisme, d'autant plus dangereuses qu'elles se couvrent du masque de la phraséologie révolutionnaire pour arrêter la prise de conscience et la volonté révolutionnaire du prolétariat.
3° - Dans tous les pays, comme en 1917, surgiront de tels groupements. En Italie, Bordiga semble prendre la tête d'un tel mouvement. Dans d'autres pays, ce seront les éléments trotskistes, poumistes et autres centristes qui rempliront la même fonction. Au nom d'une plus grande unité, d'un plus grand rassemblement, ils exprimeront en fait les énergies révolutionnaires du prolétariat sous la domination idéologique des courants au service de la bourgeoisie. La force révolutionnaire du prolétariat ne réside pas dans une unité formelle mais dans l'unité autour du programme révolutionnaire de son Parti, contre la guerre impérialiste, contre le capitalisme sous toutes ses formes : fasciste, démocratique ou soviétique, pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, pour la prise révolutionnaire du pouvoir par le prolétariat.
4° - La fraction appelle le prolétariat à rompre avec les mouvements de rassemblement de gauche où l'antifascisme n'est que le masque pour soumettre le prolétariat à la bourgeoisie "démocratique". Elle dénonce tous les éléments qui font cette politique comme ces confusionnistes et auxiliaires du capitalisme.
5° - A l'intérieur de l'organisation, la fraction ne saurait tolérer un seul instant la présence de tels éléments. Dans l'éventualité de la confirmation de l'information en ce qui concerne le camarade Vercesi, la CE déclare son exclusion immédiate de la fraction. La CE appelle l'ensemble de l'organisation à veiller à combattre les manifestations de telles tendances et de prendre immédiatement des mesures qui s'imposent.
En plus la CE estime cette tâche, urgente pour l'organisation, d'intensifier auprès des ouvriers son programme de dénonciation du caractère contre-révolutionnaire de ces comités antifascistes de gauche et autres mouvements centristes.
La CE de la FI
(le 30/01/1945)
Un vieux problème revient depuis plus de 50 ans sur le tapis. Jadis rejeté de sous-commission en sous-commission, il allait se reposer dans les vieilles archives, véritables boites magiques de la bourgeoisie, jusqu'au jour où le capitalisme le ressortit, trouvant en lui une possibilité, bien aléatoire, de survie.
Avant 1914, le libéralisme vieillissant avait trouvé un marché étendu et inexploré dans les pays qui devaient devenir plus tard des colonies.
Au nom de "la civilisation européenne" contre la sauvagerie inadmissible des peuples non-européens, de véritables guerres furent déchaînées.
Les conquêtes coloniales n'apportaient rien aux peuples "arriérés" si ce n'est l'asservissement total, les maladies civilisées telle la syphilis ; mais, en revanche, elles rapportaient au capitalisme des métropoles, des bénéfices et la possibilité de faire durer le régime d'exploitation.
La guerre de 1914 qui clôt l'ère des conquêtes coloniales -car il n'y avait plus de conquête à faire- met en avant une autre grande réforme devant assurer le bien-être de l'humanité.
Face à la concentration du capital s'effectuant au travers des trusts privés, le capitalisme avait besoin de rationaliser le travail. Faire produire le plus, payer des salaires de famine, c'est l'époque fordienne avec tout le système de gendarmisation de l'usine.
On reproche à l'ouvrier de perdre de la force de travail dans des gestes inutiles. Au nom de l'économie indispensable au relèvement de l'humanité diminuée par la guerre de 1914-18, on rationalise tout depuis le réveil de l'ouvrier jusqu'à son coucher.
Taylorisation et Stakanovisation prennent des visages attrayants, une simplicité simple pour cacher l'abêtissement vers lequel on conduit l'ouvrier par la rationalisation.
L'Amérique, l'Allemagne et la Russie sont les pays où cette expérience "philanthropique" s'effectue, permettant aux USA une exportation de capitaux, ne trouvant pas à s'employer dans leur pays d'origine.
Mais la crise de 1929 vient renverser ces rêves humanitaires. L'ère de la rationalisation, comme l'a été l'ère du colonialisme, est dépassée. La guerre se repose comme seule solution pour le capitalisme.
Alors, ces deux remèdes pour l'humanité perdent leur masque fantaisiste et idyllique pour montrer leur vrai visage, leur vraie utilité d'exploitation accrue pour la survie d'un régime moribond.
Après la guerre 1939-45 -qui bouleverse de fond en comble toutes les vieilles rengaines du capitalisme où le nationalisme tombe, jeté à bas par le régime qui l'a glorifié-, la société a besoin de nouvelles formes économiques, sociales et politiques.
Les révolutionnaires conscients posent la seule solution viable qui est le renversement violent du régime pour l'instauration de la société socialiste.
Les partis pseudo-ouvriers, qui vont à la rescousse d'un régime croulant et qui veulent redorer le blason de la "patrie", proposent des solutions hybrides qui ne changent rien au caractère d'exploitation du système capitaliste.
Et ce sont les Nationalisations "par le peuple et pour le peuple". L' État perd sa caractéristique d'instrument aux mains de la classe exploiteuse pour devenir le lieu des embrassades collectives et de l'union sacrée.
Au nom du peuple, l'État prend en mains les industries-clés dans l'intérêt général.
Aux gaspillages particuliers dus à l'anarchie du mode d'échange du capitalisme, les nationalisations vont mettre un frein et de l'ordre. Du travail pour tout le monde puisque les usines appartiennent à "la Nation" qui a chargé l'État de gérer la production.
Ce caractère démagogique d'une mesure essentiellement bourgeoise est, d'après ses meilleurs défenseurs et bénéficiaires, l'anse par laquelle la société se transformera.
La morale colonialiste camouflait le besoin d'élargissement du marché mondial. L'utilitarisme social de la rationalisation cachait une tentative d'éviter la crise cyclique du régime et cherchait la possibilité au mode de production capitaliste de vivre par lui-même et en lui-même.
La portée démagogique des Nationalisations consiste en une politique "socialiste" du capitalisme -le loup prenant figure de mouton- pour masquer le besoin qu'a la bourgeoisie, à la fin de sa vie historique, d'instaurer une répression accrue de l' État et une exploitation aggravée de la classe ouvrière pour se maintenir coute que coute au pouvoir.
À chaque époque, la bourgeoisie trouve des remèdes qui, malheureusement pour elle, agissent plus par suggestion que thérapeutiquement.
Il est préférable, pour la compréhension du procès des nationalisations, de bien saisir à la base les caractéristiques du régime capitaliste ainsi que celles du régime socialiste.
La production capitaliste est directement sujette à l'incorporation du travail humain dans une matière œuvrable. Cette incorporation de travail social ne lui confère pas encore la qualité de marchandise qui est l'essence même du régime bourgeois. Pour que l'objet travail devienne une marchandise, encore faut-il qu'il trouve acquéreur, c'est-à-dire un consommateur capable d'échanger "l'objet travaillé" contre de l'argent représentant une même quantité de travail social.
La pierre angulaire du capitalisme réside donc, dans sa majeure partie, dans le procès de l'échange de marchandise. Ce procès, s'effectuant sur des quantités égales de force de travail dépensé, se complique du fait que la force de travail, si elle est payée à sa valeur marchande, à la propriété de produire plus que sa valeur (le salaire donne la possibilité de reproduire le travail de la veille pour un ouvrier et constitue ainsi sa valeur marchande). Cet excédent de valeur fourni par l'ouvrier s'appelle la PLUS-VALUE.
Une marchandise sera donc représentée dans son ensemble par la force de travail dépensée :
Si la plus-value était intégralement consommée par les capitalistes, nous n'aurions pas de déséquilibre permanent dans l'échange (offre par rapport à une demande solvable) ; l'élément perturbateur réside dans le fait que la plus-value n'est pas consommée dans son ensemble mais est reversée dans le circuit de production sous forme de capital constant et capital variable.
Ce cycle infernal du capitalisme, réalisant la plus-value en vue de l'introduire dans une production, s'appelle l'ACCUMULATION ÉLARGIE. Et c'est dans la fonction de l'accumulation élargie, d'accumulation de la plus-value pour une production élargie, que le capitalisme prend son sens et trouve sa faillite au bout.
On ne produit pas pour consommer mais pour accumuler et investir de la plus-value dans le capital social. La consommation solvable se rétrécit du fait que cette accumulation sans but social réduit de plus en plus le pouvoir d'achat de la société. Des quantités énormes de marchandises resteront sans acheteurs et les masses verront leur pouvoir de consommation se réduire au fur et à mesure pour permettre une économie pour le capital variable en vue de l'accumulation élargie.
Le procès de production socialiste, tout en conservant encore un principe bourgeois dans son échange (à chacun selon son travail), renverse la vapeur EN RÉDUISANT DE PLUS EN PLUS LA PART DE PLUS-VALUE ALLANT À L'ACCUMULATION, POUR AUGMENTER EN PROPORTION LE POUVOIR D'ACHAT SOCIAL, EN D'AUTRES TERMES LE CAPITAL VARIABLE.
Ces deux processus inverses de l'accumulation tiennent pour négligeable l'existence ou non des capitalistes privés ; (...) sur le capital et non sur la personne détentrice du capital.
Dans la période présente, l' État bourgeois, de par la concentration capitaliste, tend de plus en plus à se substituer au capitaliste individuel. La nécessité, causée par la crise du régime, exige ce transfert de la libre disposition des moyens de production. Ce transfert, par lui-même, ne change en rien la nature du système capitaliste puisque l'accumulation toujours croissante de la plus-value en résulte.
La loi de l'accumulation élargie -en vue d'une production plus grande de plus-value, devant être accumulée à son tour- jouant pleinement, l'État possesseur des industries-clés, en totalité ou en partie, ne fait que continuer le procès capitaliste ; nous arrivons à cette fin probable d'une élimination du capitaliste individuel par le capitalisme d'État. Sur le marché mondial, les États se présenteront à la place des anciens capitalistes privés.
La plus-value n'allant pas augmenter la consommation solvable mais, au contraire, s'économisant et s'accumulant, l'État bourgeois ne pourra en aucun cas représenter l'intérêt général mais servira plutôt à distribuer des prébendes à ses serviteurs, ses laquais et ses parasites, tels les haut-fonctionnaires, les artistes, les intellectuels et les savants à sa solde.
Et les nationalisations s'opèrent sans rien changer au procès du capital, sans rien changer à la nature du régime capitaliste, sans résoudre d'aucune façon la crise du régime découlant du décalage toujours plus grand entre la production croissante et la consommation décroissante.
La nationalisation devient donc un procédé TECHNIQUE ayant ses avantages et ses inconvénients, et non une REFONTE DE STRUCTURE.
Ce remplacement de tous les capitalistes individuels par le capitalisme d'État devient une nécessité urgente, de nos jours, pour les pays appauvris ou ruinés par la guerre.
La reconstruction de tout un appareil industriel demande tout d'abord une mise de fond, un investissement de capitaux que chaque capitaliste privé est dans l'impossibilité de trouver ou de garantir.
De plus, l'expérience allemande de 1924 à 1929 a prouvé pertinemment que l'exportation de capitaux était une mauvaise expérience pour le régime car, si elle retardait la crise, elle ne l'en accusait que plus gravement.
Aujourd'hui, ce que les capitalistes privés ne peuvent pas trouver sur le marché mondial, l'État le peut car il est capable de donner comme garantie l'ensemble de la richesse de la nation.
Le prêt étranger consenti à l'État est toujours accompagné d'avantages commerciaux, soit sur le marché intérieur soit dans ses colonies.
C'est donc devant l'ampleur de la tâche que le capitalisme individuel est obligé de céder le pas à l'État capitaliste. Cette mesure de concentration du capital entraîne infailliblement d'autres conséquences, telle la réduction des frais de production, des liaisons plus étroites entre toutes les industries, mais aussi une irresponsabilité plus grande dans la direction et à certains gaspillages bureaucratiques. Mais si le problème de l'investissement de capital exige la nationalisation, un problème non moins important et surtout plus aigu pose cette nécessité d'une façon urgente.
Le redémarrage de la vie économique, du point zéro où l'a amené la guerre, exige de sérieuses économies dans le pouvoir d'achat des masses que l' État seul a les moyens de faire au nom de "la nation" et "du peuple souverain".
Par une série d'impôts directes et indirectes, par la réglementation des salaires et des prix, par des dévaluations successives, l'État peut rogner de plus en plus sur le capital variable national et sur l'épargne.
Par une réglementation du ravitaillement général, il peut réduire la production de consommation au profit de la production des moyens de production et permettre de masquer les diminutions constantes de salaire et l'état de famine qui s'ensuit. On voit ainsi très bien les avantages économiques et politiques des nationalisations pour le capitalisme en général.
Du côté économique, la tendance vers la concentration capitaliste, caractéristique de l'impérialisme, peut se faire d'une manière accélérée.
Du côté politique, cette concentration du capital, accompagnée d'une misère toujours grandissante pour les masses, peut revêtir l'allure d'une mesure collective en vue de l'intérêt général, du "peuple" et de la "nation".
Oser comparer les nationalisations aux collectivisations, les staliniens, dans leur démagogie, n'ont pu aller jusque-là, sauf pour la Russie ; et pour cette dernière, en raison de l'État dit "ouvrier".
Oser dire, comme certains théoriciens fumeux de la non moins fumeuse et acrobatique théorie de l'économie de guerre, que les nationalisations en régime capitaliste sont irréalisables et illusoires sans avancer un seul argument solide, est un reste de facilité idéologique dans laquelle les trotskistes sont tombés et qui est très dangereuse pour l'avant-garde.
LES NATIONALISATIONS DEMEURENT ACTUELLEMENT LA SEULE POSSIBILITÉ POUR LE CAPITALISME DE RECONSTRUIRE SON APPAREIL INDUSTRIEL DÉTRUIT EN VUE DE LA PRÉPARATION DE LA TROISIÈME GUERRE MONDIALE.
Chers camarades,
Nous avons bien reçu votre lettre du début janvier. Elle n'est pas tout à fait une réponse à la nôtre envoyée au mois d'août. Peut-être que le fait que vous ayez attendu quatre mois pour nous répondre explique l'absence de réponse au contenu de notre lettre. Nous vous signalons également que nous n'avons jamais reçu votre lettre que vous nous dites-nous avoir envoyée par l'intermédiaire de Fr, ni vos publications qui passaient par le même canal. Sans vouloir nous appesantir autrement sur ces faits, nous vous prierons à l'avenir d'éviter ces intermédiaires inutiles et de nous écrire directement. Nous avons enfin reçu vos publications que nous étudions avec intérêt et les faisons circuler.
Nous ne méconnaissons pas votre effort qui est très méritoire, mais nous ne sommes pas toujours d'accord sur vos appréciations et vos positions politiques. Ainsi relevons-nous de temps à autre des relents de la fameuse théorie dite "de l'économie de guerre" de Vercesi qui sont par ailleurs en contradiction avec d'autres affirmations dans le journal. La même chose sur la nature de la guerre impérialiste où, par moments, vous reprenez la fameuse théorie en faillite de Vercesi sur la négation des antagonismes inter-impérialistes qui ne voit dans la guerre impérialiste, dès son éclatement, que la guerre civile du capitalisme mondial contre le prolétariat.
Vous ignorez, ou voulez ignorer, tout le travail fait par la Fraction Italienne et nous-même depuis 1943. Passer sous silence nos positions au lieu de s'expliquer publiquement et les réfuter politiquement en cas de divergence n'avance à rien. Ne serait-ce que des malentendus ou des mauvaises interprétations, on ne peut les éliminer que par la confrontation et la discussion. Nous avons toujours été étrangers à la chicane mesquine et à l'obsession maladive qui voulait voir dans toute divergence secondaire une question fondamentale et gonflait artificiellement tout malentendu, le hissant à la hauteur d'une opposition de principe. Cette méthode qu'on voulait présenter comme le dernier cri du "purisme révolutionnaire" et qui n'était en fait que la manifestation d'une constipation sectaire, stérilisant tout effort théorique, rendant impossible toute discussion et confrontation politique et obscurcissant les divergences réelles, nous ne l'avons que trop bien connue dans la période de Fr-Al.
Rappellerons-nous que nous avons été opposés, de la façon la plus intransigeante, à la tendance Vercesi, que nous nous sommes catégoriquement opposés à son exclusion qu'on voulait préalable à toute discussion. Cela parce que nous sommes convaincus qu'une divergence politique ne peut être tranchée par des mesures organisationnelles avant que le débat politique ait permis à la pleine clarté de se faire et ait rendu nécessaires les mesures organisationnelles. Le même souci nous guidait quand nous nous refusions à suivre ceux qui, dans la question des rapports avec les CR et RKD, préconisaient la rupture de tout contact et de toute discussion politique avec ces groupes sous le prétexte fallacieux que ces groupes sont confusionnistes et ne se réclament pas de la GCI.
Mais si nous ne connaissons que trop, pour en avoir fait l'expérience, cette maladie funeste qui consiste à fabriquer de toute pièce des "divergences de principe", nous ne saurons pas davantage admettre qu'on minimise des divergences réelles, qu'on réduise les divergences graves à des bagatelles, ou bien pis qu'on les passe sous silence.
La crise, qui existe dans la GCI depuis l'avant-guerre et qui s'est développée et aggravée au cours de la guerre, ne repose pas sur des "malentendus" comme vous semblez le croire, ni sur le fait de la présence de "pontifes" comme voulait le prétendre Vercesi dans sa polémique contre nous. Le seul fait qu'elle dure depuis 1938, qu'elle porte sur un ensemble de questions théoriques et politiques de première importance, sur des analyses diamétralement opposées de la situation, qu'elle s'est concrétisée par l'exclusion de la tendance de Vercesi qui participait et dirigeait le Comité de coalition antifasciste italien de Bruxelles en étroite collaboration avec tous les représentants des organisations politiques de la bourgeoisie, tous ces faits prouvent qu'il ne s'agit pas de bagatelles mais de divergences politiques réelles et très graves qu'on n'a le droit ni de minimiser ni de passer sous silence.
Notre Fraction Française a fait preuve du sens des responsabilités politiques et a agi de l'unique façon communiste en portant le débat publiquement. Aux documents que nous avons publiés seuls ou avec la Fraction Italienne, et plus particulièrement les brochures "Notre réponse", "La déclaration politique" et "Quand l'opportunisme divague", aucune réponse n'a jamais été faite. On a préféré à un débat politique, à une confrontation loyale, la méthode de la petite polémique de dénigrement personnel, les chicanes organisationnelles, les intrigues aboutissant à des scissions dans l'obscurité.
Nous regrettons que la Fraction belge n'ait jamais répondu ni publiquement ni par un document intérieur pour réfuter nos positions ou y souscrire. Elle porte ainsi une responsabilité indéniable pour l'état dans lequel se trouve l'ensemble de la GCI.
La collaboration honteuse dans le Comité de Coalition Antifasciste de la fraction Vercesi, qui a duré de longs mois, s'est faite à Bruxelles, là même où vit et agit la Fraction belge ; quelle a été votre position à ce sujet ? Pourquoi, dans votre organe L'Internationaliste, n'avez-vous pas pris position ? Il fallait oser dire si vous approuvez cette collaboration qui est en fait une trahison ; il fallait que vous preniez la responsabilité politique de dire en français aux ouvriers belges ce que Vercesi dans le meeting de la coalition, en italien aux ouvriers italiens que De Brouckere, ce laquais socialiste de la bourgeoisie belge, était "l'ami des ouvriers italiens immigrés" ! On ne peut combattre le capitalisme et ses agents socialistes ou staliniens en belge, et collaborer en italien. Ou bien considérez-vous peut-être que le Comité de Coalition Antifasciste était une affaire nationale des ouvriers italiens dont vous n'avez pas à vous mêler ?
Mais si vous n'approuviez pas cette collaboration de classe, il fallait aussi le dire ouvertement et dénoncer publiquement, comme nous l'avons fait, et cette politique et ceux qui la pratiquent.
Aujourd'hui on essaie de minimiser, d'en faire une petite question, d'importance secondaire, on essaie de cacher à la connaissance des militants révolutionnaires ce honteux journal de la Coalition Antifasciste, "L'Italia di Domani", à la rédaction duquel Vercesi prenait une part prépondérante et où s'étalait la plus honteuse exaltation à la participation à la guerre impérialiste. Nous même n'avons pu avoir connaissance de ce journal qu'incidemment et avec un retard d'un an.
On étouffe, on tente de faire oublier cet "incident de Bruxelles" comme on s'exprime à Turin. On veut bien reconnaître dans des conversations personnelles que c'était une erreur, ou mieux encore "une erreur de perspective" (?), mais dès qu'il s'agit de s'expliquer en public, on a un bœuf sur la langue et sur la plume. Rien ne sort. Sourds et muets !
Quelle est la situation présente de la Fraction de la Gauche Communiste en France ? La scission provoquée par la minorité Fr-Al, en mai 1945, avait comme prétexte notre soi-disant manque d'intransigeance de principe. On représente notre action -comme au 1er mai avec les CR et RKD contre la guerre impérialiste et notre volonté de discussion, de confrontation et de clarification politique avec ces groupes qui, tout en n'étant pas de la Gauche Communiste Internationale, sont néanmoins des groupes révolutionnaires- comme on ne sait quelle volonté de procéder à une unification organique à brève échéance. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons effectivement procédé à une série de réunions de discussion et de confrontation politiques avec les CR et RKD auxquelles nous avons invité des militants d'autres groupes révolutionnaires. Nous avons débattu et défendu publiquement les positions de la GCI sur les problèmes fondamentaux : l'expérience russe, la question de l'État, la notion de Parti et de Fraction, le problème du regroupement de l'avant-garde, la question italienne et la formation du parti de classe en Italie. Aucune unification organique précipitée ne s'est produite. Mais le but a été partiellement atteint, à savoir l'effort de clarification. Et pendant le même temps, de l'autre côté, nous assistons à des conciliabules secrets, à des conversations mystérieuses, à des tractations personnelles, la pire pratique de noyautage où se fait jour la grosse caisse de l'influence personnelle de Vercesi qui se multiplie à travers des voyages diplomatiques, pour qu'enfin, sous le haut-arbitrage de Vercesi, surgisse un rassemblement hétéroclite qui s'intitule également "Fraction Française".
Non seulement, en pratique, la méthode de racolage personnel en dehors de tout débat politique, dans le plus grand secret vis-à-vis des autres groupes, est indigne mais encore cet enfant est porté sur les fonts baptismaux de la GC par Vercesi en personne, que les hauts faits dans le Comité de Coalition Antifasciste ont particulièrement désigné à cet honneur. Et sur quelle base s'est fait ce rassemblement ? Sur la base politique des éléments constituants, c'est-à-dire de l'ancienne Union Communiste, de l'ancienne Minorité Italienne qui a rompu avec la Fraction sur la question espagnole, sur les Thèses de Rome. La déclaration de principe qui fut le document de base à la formation de la Fraction Française est évidemment écartée et abandonnée par les ex-camarades Fr et Al, de même que nos Statuts, Thèses et Résolutions adoptés à l'unanimité de notre conférence constitutive. Comble de l'ironie, ce sont ces mêmes documents de base de la Fraction, qu'on nous reprochait de transgresser, que nos champions de l'intransigeance abandonnent totalement aujourd'hui.
Quelle est la nature politique de ce nouvel amalgame ? Un camarade responsable de ce groupe a dit qu'il repose sur "un compromis", sur "des concessions réciproques". Charmante formule ! On pourrait plus exactement dire qu'il repose sur "une amnistie politique tacite entre ceux qui se sont retrouvés à participer à la guerre impérialiste en Espagne (n'est-ce pas sur ce point crucial que vous avez rompu avec la Ligue Internationaliste et formé la Fraction Belge ?) et celui qui, au travers du Comité Antifasciste de Bruxelles, a participé à la guerre impérialiste mondiale.
C'est maintenant qu'apparaît en pleine lumière la nature profonde de la scission provoquée dans la Fraction Française au mois de mai. Nous pouvons dire que la façon dont cette scission a été faite -brusquement, après le retour de Fr de Bruxelles (convertie, pour la troisième fois en un an, au Vercesisme), sans que l'on puisse saisir les causes politiques principielles cachées adroitement par une pluie d'accusations d'ordre personnel et de chicanes organisationnelles- a été un chef-d’œuvre de manœuvre diplomatique. On ne peut qu'admirer Vercesi qui, en véritable maestro et avec un art inégalable, a conduit de loin cette opération. C'était sa façon de répondre à notre "Quand l'opportunisme divague". On peut évidemment reprocher que ce n'est pas très honnête politiquement ni très loyal. Mais, n'est-ce pas que l'honnêteté et la loyauté en politique sont, pour certains, synonymes d'imbécillité. Par tous les moyens, par la manœuvre et l'intrigue, pour arriver à ses fins, voilà le dernier cri de Vercesi. Et nous savons, par l'expérience douloureuse de la 3ème Internationale, où mène une telle morale et qui s'en sert.
Vous nous avez écrit, quelque temps après la scission, que vous ne pouviez pas vous prononcer sur le fond de la scission, que vous attendiez des éclaircissements ultérieurs. En même temps, vous ajoutiez : "C'est plutôt les autres qui nous semblent représenter 'l'héritage' de la famille". Que reste-t-il aujourd'hui de cet "héritage" ??? Les documents de base de la Fraction Française sont abandonnés. La résolution de constitution du Bureau International est elle-même abandonnée. On donne droit de citer aux positions politiques de la Minorité italienne et de l'Union Communiste contre qui, justement, s'est formée la Gauche Communiste Internationale. Est-ce cela "l'héritage de la famille" dont vous parlez ? La Gauche Communiste, ses positions politiques, ses traditions, c'est autre chose que ce rassemblement opportuniste sans principe. Et nous comptons le défendre, cet héritage, envers et contre tous, avec des (...) politiques et la méthode de la loyauté communiste.
L'opportunisme peut évidemment obtenir quelques succès numériques (les trotskistes en sont un exemple) mais il est frappé de stérilité théorique. Et ce n'est pas un hasard alors que cet amalgame n'a pas publié, de toute son existence, un seul document, même pas une résolution politique sur sa constitution ; nous avons, nous, avec nos faibles forces numériques, avec nos moyens matériels misérables, publié, en plus de 4 numéros de "L'Etincelle", des tracts et affiches pendant les élections (ne nous a-t-on pas accusé "d'activisme"), 4 numéros de notre revue théorique "Internationalisme" et 4 fascicules de rapports et résolutions de notre conférence du mois de juillet.
Nous sommes décidés à intensifier ce travail et à le compléter par une série de brochures. Quelques-unes sont prêtes, seules nos difficultés techniques et matérielles sont cause de retard. Parmi nos brochures se trouvent notamment une sur l'État, une sur la nature de la guerre impérialiste et une troisième sur Fraction, Parti et classe.
Fin janvier, sortiront "L'Etincelle" et "Internationalisme". Ce dernier contient des articles sur l'expérience russe, les nationalisations, sur le problème du regroupement et le premier congrès du PCI.
Nous n'avons pas pu nous rendre à ce congrès mais nous avons reçu indirectement la plate-forme politique et nous avons eu des échos sur le travail du congrès. Nous traiterons cette question, comme à notre habitude, publiquement dans les prochains "Étincelle" et "Internationalisme". Nous soulignons les côtés positifs acquis, mais nous ne poussons pas de panégyriques béats. Répugnant à l'idolâtrie, nous soulignons ce qui nous apparaît comme négatif dans le PCI et dans la plate-forme ; et nous les soumettons à notre critique.
Le fait que ce soit précisément Vercesi qui fut chargé d'assurer les relations internationales nous paraît d'une indication politique extrêmement grave. Nous sommes en outre en droit de craindre que la méthode de regroupement, dont il nous a donné récemment un échantillon à Paris, devienne, sous le poids de l'autorité du PCI, la méthode par excellence dans les relations internationales et dans la GCI en particulier.
"Comment en sortir ? Que proposez-vous ?", nous demandez-vous. Avant tout par la volonté ferme de revenir à des méthodes saines de loyauté communiste. Bannir la manœuvre et l'intrigue. Seules la confrontation des idées, la lutte idéologique et la clarification des divergences réelles peuvent permettre un travail fécond. La discussion internationale par des écrits, par des conférences. Il fait éviter la fabrication d'un Bureau International de la Gauche Communiste à l'image de l'amalgame parisien. Des conférences politiques internationales des fractions avant toute solution organisationnelle. Mais cela n'est qu'un premier pas. Il faut inviter d'autres groupes, faisant partie du courant historique de la gauche qui va de la 3ème à la 4ème Internationales, à une discussion générale et organisée. Éventuellement et pour plus tard, envisager avec eux des conférences internationales. Une première délimitation s'impose, non sur la base de sympathies personnelles mais sur des critères politiques.
Nous avons exprimé notre pensée clairement là-dessus dans la résolution de notre conférence de juillet (voir résolution sur les relations internationales, fascicule n° 3 du bulletin spécial).
Nous soutiendrons tout effort qui va dans le sens de l'élimination des malentendus et de déformation consciente ou inconsciente, de rétablissement des rapports et des contacts entre les divers groupes, et plus particulièrement entre les fractions de la Gauche Communiste, sur la base d'une discussion et d'une confrontation politique loyales et saines. Dans ce but et estimant qu'il serait très important d'avoir un échange de vue plus directe, nous proposons qu'un camarade qualifié de la Fraction belge vienne nous voir et discuter ici.
Nous terminons cette lettre avec l'espoir de vous être faits comprendre et que votre effort, comme le nôtre, de dégager le mouvement révolutionnaire de l'état de confusion où il est plongé triomphera des innombrables obstacles auxquels il se heurte.
Recevez, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.
LA GAUCHE COMMUNISTE DE FRANCE
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A LA FRACTION BELGE
2 février 1946
Chers camarades,
Nous venons de prendre connaissance de votre résolution du 19 janvier concernant les relations internationales. Nous partageons entièrement votre appréciation sur le malaise et le manque de précision théorique qui règnent, non seulement dans les relations entre les différents groupes de la GCI mais aussi entre LES DIFFÉRENTS GROUPES D'AVANT-GARDE QUI S'EFFORCENT DE REPRÉSENTER LES INTÉRÊTS HISTORIQUES DU PROLÉTARIAT.
Nous sommes heureux de vous voir vous élever et reprendre cette critique, qui est notre depuis un an, contre la négligence absolue dans les relations internationales entre les divers groupes d'avant-garde. Il est urgent de remédier à cet état de fait. Votre appel pour l'échange des documents entre les divers groupes ne peut être qu'un premier pas. Nous croyons que cet échange peut et doit être organisé.
En réalité, il s'agit :
Un simple échange de documents ne répond pas complètement à ces objectifs et éparpille l'effort. Il faut plus qu'un échange ; il faut un échange GÉNÉRALISÉ, ORGANISÉ ET CONCENTRÉ. A notre avis, un bulletin de DOCUMENTATION et de DISCUSSIONS internationales s'impose. Un bulletin qui aura pour unique but de centraliser et de faire connaître les documents fondamentaux des différents groupes révolutionnaires. Sans être l'organe d'une tendance, afin de répondre à son objectif de documentation internationale, ce bulletin doit cependant être basé sur une première délimitation politique. Nous rappelons les 4 points que nous avons proposés comme base d'un tel bulletin.
En ce qui concerne la position de la Fraction Belge sur l'économie de guerre et sur l'État prolétarien (en Russie), nous devons faire remarquer que c'est LA PREMIÈRE FOIS qu'une résolution de la Fraction se prononce contre les positions émises antérieurement.
Il est indispensable, et afin d'en finir avec la confusion, que la Fraction Belge fasse publiquement la critique des théories de l'économie de guerre et de l'État ouvrier dégénéré.
Salutations communistes!
LA GAUCHE COMMUNISTE DE FRANCE
Les contre-révolutionnaires staliniens à court d'argumentation emploient, contre les groupes révolutionnaires de la Gauche, toutes armes traditionnelles de la bourgeoisie : calomnie, délation, pogrome...
La faiblesse politique des organisations centristes trotskistes les oblige à ignorer ceux qu'ils nomment "les ultra-gauchistes", qualificatif qui remplace pour eux toute critique.
On désigne "les ultra-gauchistes" comme le croquemitaine pour les petits enfants, et l'affaire est classée.
Il est malheureux de remarquer que les jeunes organisations révolutionnaires ont du mal à se défaire des méthodes traditionnelles du stalinisme et du trotskisme par lesquels la plupart des militants sont passés.
La résolution du RK en est un exemple frappant. On préfère de beaucoup employer des phrases pompeuses, des mots sonnants et vides de sens pour se donner à soi-même l'illusion de la critique, plutôt que d'approfondir les questions.
Le RK a préféré, à un document politique de critique des groupes cités et de leur forme organisationnelle, une déclaration définissant en quelques phrases le caractère politique "non marxiste conséquent" des groupes cités.
Notre rôle n'est pas de défendre les autres groupes inculpés ; il n'est pas non plus de nous défendre mais de demander aux RK de cesser ses méthodes grandiloquentes et donquichottesques de résolutions chargées de détruire des moulins à vent ! Le RK ferait mieux de s'attacher sérieusement (...) [à l’]auto-critique des documents qui sortent régulièrement de notre organisation.
Nous voulons profiter pour poser au Comité responsable des RK quelques questions qui ont trait au caractère de la GCF et qu'il serait bien intéressant de voir éclaircir un jour :
Et enfin, où sont les documents des RK sur les questions sus-dites portant des principes politiques "conséquentes" dans lesdites questions ou portant critique aux organisations citées ?
Nous sommes d'accord sur les points 6 et 7 avec "le comité responsable" du RK et nous portons en même temps une suggestion pour l'organisation de cercle où seront abordées les questions de marxisme et de matérialisme dialectique appliquées à l'histoire, l'économie et la philosophie.
Salutations révolutionnaires.
LA GAUCHE COMMUNISTE DE FRANCE
Nous reproduisons la déclaration de principe du PS de GB (qui n'a rien à voir avec le Parti travailliste) que nous avons reçue.
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La création d'une forme de société dans laquelle les moyens de production et de distribution sont la propriété commune et dans laquelle ses moyens sont administrés démocratiquement dans l'intérêt du peuple entier.
1. que la base de la forme actuelle de la société est le fait que les moyens d'existence (la terre, les fabriques, les chemins de fer etc.) sont la propriété privée d'une classe capitaliste et qu'il s'en suit un asservissement des producteurs ou travailleurs qui, seuls, produisent tout ce qui a de la valeur ;
2. et qu'il s'en suit que, dans la société actuelle, un conflit d'intérêt se produit sous la forme d'une lutte des classes entre les propriétaires non producteurs d'une part et les producteurs non propriétaires d'autre part ;
3. que le seul moyen d'abolir ce conflit est que le moyen de production et de distribution soit transformé en propriété commune du peuple entier, et qu'il soit administré démocratiquement ; ce n'est que de cette façon que les producteurs (la classe salariée) pourront s'affranchir de la domination de la classe capitaliste.
4. Étant donné que, dans l'ordre de l'évolution des classes, celle des salariés est la dernière à s'émanciper, cette émancipation entraînera l'affranchissement de toute l'humanité sans distinction de race ou de sexe ;
5. que cette émancipation ne peut être que l'œuvre du prolétariat lui-même ;
6. étant donné que le seul but de l'appareil administratif, y compris les forces armées, est de conserver entre les mains de la classe capitaliste le monopole des valeurs prises à la classe salariée, celle-ci doit s'organiser, en pleine connaissance de cause, sur le plan politique, dans le but d'entrer en possession des pouvoirs administratifs, tant nationaux que locaux, afin que l'appareil administratif, y compris les forces armées, soit transformé d'un moyen d'oppression en un moyen d'affranchissement et d'abolition de tout privilège aristocratique ou ploutocratique.
7. Étant donné que tout parti politique n'est que l'expression des intérêts de classe et étant donné que l'intérêt du prolétariat se trouve nettement opposé à celui de n'importe quel groupe de la classe des maîtres, le parti qui a pour but l'affranchissement du prolétariat doit nécessairement s'opposer à tout autre parti politique.
8. Donc le Socialist Parti of Great Britain entre dans l'arène politique avec une détermination inébranlable de lutter résolument contre tout autre parti politique s'il est franchement capitaliste ou s'il prétend être un parti des travailleurs ; il demande au prolétariat de ce pays de s'unir sous son drapeau afin que soit terminé, dans le plus bref délai, le système qui leur vole les fruits de son travail et afin que la pauvreté soit remplacée par le confort, les privilèges par l'égalité et l'esclavage par la liberté.
Cher camarade,
Nous venons de recevoir à l'instant votre lettre ainsi que votre déclaration de principes
Nous sommes très heureux d'être en relation avec vous car, ainsi, se reforme la trame internationale de ceux qui pensent encore à la révolution socialiste.
D'après votre document sur vos principes, nous constatons une certaine identité de vue sur les principes généraux. Mais cette déclaration reste pourtant fort vague. Manifestement prolétarienne, nous aimerions avoir des précisions :
1. sur votre analyse de la guerre 1939-45 et votre position. Pour nous, cette guerre contient la même nature que celle de 1914-18, encore plus aggravée du fait de la présence de l'URSS. Comme telle, notre mot-d'ordre était "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" sur tous les fronts et dans tous les secteurs sans exception ;
2. sur votre appréciation du fascisme et de l'antifascisme, que nous considérons comme deux formes d'un même contenu bourgeois et capitaliste, et ayant servi, d'un côté comme de l'autre, à enchaîner le prolétariat à la guerre et au char de la bourgeoisie. C'est pour cela que nous rejetons tous les CLN comme étant des organismes de collaboration de classe au service du capitalisme, ainsi que toute forme de nationalisme ;
3. sur votre appréciation de l'État russe qui, pour nous, est totalement intégré dans le système capitaliste mondial et, de ce fait, n'a plus aucune caractéristique prolétarienne.
4. Si vous reconnaissez la révolution d'Octobre comme une révolution prolétarienne dont les enseignements sont riches pour la classe ouvrière.
5. Est-ce une confusion ou une erreur de langage quand vous posez la prise du pouvoir politique "nationalement et localement" (point 6) ? Le problème de la direction internationale révolutionnaire semble être en suspens. Nous aimerions des explications plus approfondies.
6. Votre notion du parti est juste mais vague. Dans la période transitoire, en laissant toute liberté à l'intérieur des soviets et syndicats, avec indépendance des syndicats par rapport à l'appareil étatique, avec liberté de fraction dans les organismes unitaires de la classe ouvrière et dans le Parti, avec l'interdiction de toute violence envers un secteur retardataire du prolétariat, identifiez-vous la dictature du prolétariat avec la dictature du Parti révolutionnaire qui demeure toujours une minorité, bien que la plus consciente de la classe ? Concevez-vous l'indépendance totale entre l'appareil étatique ouvrier, le Parti et les Soviets ?
Ces questions, qui sont du plus haut intérêt pour la classe ouvrière, doivent être débattues internationalement et la discussion doit être la plus large possible entre les groupes d'avant-garde ayant accepté les 4 premiers points de notre lettre...
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Nous publions ci-dessous une lettre que le "Socialist Party of Canada" vient de nous envoyer. Cette lettre a tout son intérêt, plus particulièrement pour la position prise face à la guerre impérialiste.
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Chers camarades,
J'ai bien reçu votre lettre avec beaucoup de plaisir. Nous nous rendons compte combien avancée est votre éducation prolétarienne comparée à la nôtre. Vous faites aussi marque d'une expression facile et aisée en des discussions sur des sujets complexes.
En réponse à votre demande sur notre position par rapport à la guerre 1939-45, nous pouvons dire que notre journal a été mis hors-la-loi pour ses dénonciations des causes de la guerre qui est la nature même du capitalisme. Pour nous, cette guerre n'a servi que les intérêts des groupes de capitalistes qui se sont enrichis davantage au prix d'une destruction colossale de vies humaines. Un groupe de capitalistes s'est servi de la masse prolétarienne pour empêcher l'expansion d'un autre groupe ennemi de capitalistes qui menaçait leurs intérêts, et ce fut une très bonne occasion pour eux de trouver un marché idéal pour leur commodité. Comme on s'en rend compte, nous ne fumes dans tout cela que des instruments servant les intérêts de nos maîtres capitalistes. Vous jugerez mieux notre position, à ce sujet, par la littérature du parti.
La déclaration de votre 2ème article est très logique et notre position est très semblable à la vôtre sur ce rapport quoique, à mon avis, notre littérature ne précise pas, comme vous et aussi bien, le parti ; et je suis d'accord avec vous que le prolétariat doit rejeter toute forme de nationalisme, qui ne peut conduire qu'à l'antagonisme.
En ce qui concerne votre 3ème article, je puis vous affirmer positivement que notre Parti juge l'État actuel de la Russie comme ayant toutes les caractéristiques du capitalisme, avec la différence qu'il est à la base d'entreprises d'État, ce qui ne change rien en ce qui concerne le sort de l'ouvrier à propos de l'exploitation sinon que son sort est pire que notre forme de capitalisme existant ici et ailleurs.
Sur votre 4ème article, évidemment nous reconnaissons la révolution d'Octobre comme une révolution prolétarienne ayant des enseignements riches pour les révolutionnaires actuels et futurs.
En ce qui a trait à votre très important article 5, je ne puis vous répondre d'une manière précise. Quoi que j'ai des opinions personnelles à ce sujet, je crois comme vous que le Parti laisse le problème de la direction internationale révolutionnaire en suspens ou, mieux, semble l'ignorer. Pour plus de précision, il m'est agréable de vous transmettre l'adresse du SP of GB.
Votre article 6 semble être le plus complexe tout en étant le plus intéressant. Pour vous dire franchement, le sujet de ce dernier article est à peu près ignoré de notre littérature. Cela est dû au fait que notre Parti est sous l'impression que les capitalistes règnent avec le consentement de la grosse majorité de leurs sujets et que ce règne cesserait dès que ce consentement leur serait retiré. Pour moi, je crois en la révolution que sur le plan international et, pour la période transitoire, je crois en la dictature de la minorité la plus consciente de la classe et l'interdiction, le plus possible, de violence vis-à-vis des secteurs retardataires du prolétariat.
Je ne peux identifier la dictature du prolétariat avec la dictature du Parti révolutionnaire pour la raison que la révolution n'est possible que par le support du prolétariat. Je ne conçois qu'une coopération la plus complète entre l'appareil de l'État ouvrier, le Parti et les conseils ou les syndicats.
Je suis d'avis que le meilleur moyen de réorganiser la nouvelle Internationale, semblable à la 1ère, serait l'élaboration et la propagande d'un objectif, une déclaration de principes qui serait une sorte de Manifeste abrégé et qui pourrait être mis à la portée et à la compréhension du prolétariat. Ce serait là la vraie semence de la révolution qui éventuellement se répandrait de par le monde et serait l'appel au prolétariat international pour le renversement du capitalisme.
Demeurant fraternellement votre pour le socialisme.
Montréal le 25 février 1946
Cher camarade,
Nous venons de recevoir votre lettre que nous nous permettons de publier dans notre revue théorique, en regard de la nôtre.
D'après ce que vous nous avez écrit, il existe une grande identité de vue entre vous et nous ; mais nous serions très heureux de continuer la discussion sur certains points, tels la prise du pouvoir, l'État et le Parti.
Nous serions heureux de publier des articles de votre parti sur une question intéressant le mouvement ouvrier ; nous vous autorisons à publier des articles ou des documents que vous recevrez sous peu.
Sur la prise du pouvoir, il y a un point obscur que nous relevons. Vous dites : "Les capitalistes règnent avec le consentement de la grosse majorité de leurs sujets ; ce règne cesserait dès que ce consentement leur serait retiré."
Entendez-vous par là qu'au travers du jeu démocratique et parlementaire, si le prolétariat retirait son consentement à la bourgeoisie, la prise du pouvoir pourrait s'effectuer calmement et simplement ?
Nous ne vous attribuons pas ces pensées ; nous vous disons seulement ce que cette phrase semble indiquer.
Pour nous, le jeu démocratique et parlementaire, que nous dénonçons, est une démagogie et une voie de garage à tout mouvement de révolte de la classe ouvrière.
La prise du pouvoir n'est pas un consentement que l'on retire à la bourgeoisie mais une guerre civile et ouverte contre cette dernière au moment le plus aigu de sa crise interne de régime.
La dictature du prolétariat s'impose à la bourgeoisie avec une violence égale à la résistance du capitalisme qui ne veut pas abandonner le pouvoir.
Nous savons par l'expérience du fascisme que, sitôt que le jeu démocratique devient une gêne sérieuse, la bourgeoisie son masque libéral pour laisser libre jeu à sa répression féroce de la classe. Le prolétariat ne peut, devant ces faits, réclamer le pouvoir démocratiquement car, face à une armée blanche et réactionnaire, un parlement à majorité révolutionnaire est une farce ridicule. Octobre 1917 nous a prouvé la justesse de la position révolutionnaire qui réside dans la destruction violente de l'État bourgeois par le prolétariat en armes.
Même si on participe au jeu parlementaire et bourgeois, le parti révolutionnaire doit dénoncer l'illusion parlementariste et démocratique, comme l'a fait le 1er congrès de l'IC, et doit déclarer bien haut qu'il y participe non en vue de réformes de la structure bourgeoise mais pour se servir de la tribune parlementaire comme moyen de propagande et de dénonciation des traficotages capitalistes.
Pour ce qui a trait à notre position sur le Parti, vous recevrez sous peu des documents à ce sujet. Nous préciserons pourtant un certain point : l'État ouvrier ne vit pas grâce à la démocratie en elle-même ; il vit parce qu'il est soumis à une idéologie révolutionnaire.
Cette idéologie n'est pas le fait du jeu démocratique mais du travail patient et quotidien des militants organisé dans le Parti. L'État ouvrier ne se confond jamais, mais cette dernière se retrouve dans son idéologie et dans ses intérêts que dans le parti révolutionnaire.
Dictature du prolétariat ne peut jamais être la dictature de l'État ouvrier qui doit dépérir en vue de l'organisation d'une société sans classe.
Dictature du prolétariat signifie dictature des intérêts de classe d'une classe, d'une classe (la seule capable de mener la société vers un monde sans classe) contre toutes les autres classes qui tentent de perpétuer la division en classes.
Ce parti exprime le plus hautement cette conception ainsi que les moyens idéologiques pour amener le prolétariat du stade insurrectionnel au stade d'organisateur de la société. L'État ouvrier ne peut être qu'un instrument pour cette œuvre révolutionnaire ; mais cet instrument que nous lègue la bourgeoisie est dangereux si on ne s'assure pas, dès le début, de son dépérissement en vue du socialisme, en faisant attention de ne jamais le confondre avec le prolétariat en armes qui ne trouve sa raison d'être, en arme et en lutte, que dans l'idéologie qu'exprime le parti de classe.
Une fois ceci admis, la violence ne peut jamais s'effectuer sur un quelconque secteur retardataire du prolétariat, ce dernier ayant pleine liberté d'expression à l'intérieur des soviets, des syndicats et du Parti (liberté de fractions organisées en son sein).
De plus, les syndicats ne seront jamais rattachés à l'État ouvrier car ce serait étouffer les réactions spontanées de la classe face à une dégénérescence toujours possible de l'État ouvrier. Nous allons plus loin et consacrons le droit de grève dans l'État ouvrier.
Pour ce qui est de votre idée sur l'utilité d'une nouvelle Internationale, nous pensons qu'elle ne peut surgir qu'au feu du combat décisif de classe, comme en 1917-18.
Mais il est très utile de resserrer les liens internationaux de l'avant-garde par une discussion très serrée et très vaste sur les points importants du programme de classe, en vue d'une conférence internationale de confrontation de l'avant-garde, une fois admis les quatre premiers points de notre lettre précédente.
Nous avons écrit au PS d'Angleterre. Dites-nous si vous avez reçu notre matériel et combien d'exemplaires désirez-vous ?
Fraternellement, avec nos salutations communistes.
La Gauche Communiste de France
les Textes de ce bulletin sont republiés dans notre brochure [12] "la période de transition"
Nous publions ci–dessous une lettre que nous avons adressée le 15 mars dernier à tous les groupes se réclamant de la Gauche Communiste.
Nous constatons avec regret que, jusqu'à ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse. La politique du silence est la pire qui puisse exister.
Nous rendons cette lettre publique – 1 afin de permettre à tout militant révolutionnaire ayant à cœur le problème du regroupement international de l'avant–garde, de mieux connaître la situation de celle–ci à l'heure actuelle, –2 parce que nous considérons qu'il faut en finir avec la voie de "la diplomatie secrète". Le prolétariat ne peut forger son Parti qu'au travers de la discussion et de la controverse publique sur tous les problèmes.
Dans le prochain Internationalisme nous répondrons à des critiques que divers camarades nous ont objectées individuellement.
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Au Parti communiste Internationaliste d'Italie
A la Fraction belge
Au Groupe 2 de la Fraction française de la Gauche Communiste
Chers camarades,
Sans vouloir reproduire l'ensemble des critiques que nous avons formulées dans nos documents nous nous proposons, dans cette lettre, de préciser quelques points que nous estimons indispensables pour la compréhension de nos positions et de la situation générale dans laquelle se trouve la Gauche Communiste Internationale.
Ce serait une grave erreur de prétendre que la Gauche Communiste Internationale présente l'unique courant de gauche issu de la 3ème Internationale après la dégénérescence et la trahison de cette dernière. Une telle affirmation ne relève que d'une prétention suffisante digne d'une chapelle ou d'une secte et présente le plus grand handicap dans la voie du regroupement national et international des forces de la révolution.
La Gauche Communiste Internationale présente, à notre avis, la tendance la plus conséquente aux principes programmatiques les plus achevées du courant de la Gauche dont historiquement et politiquement elle n'est qu'une partie.
À côté de la Gauche Communiste Internationale existent, dans de nombreux pays, des groupes et des militants révolutionnaires qui font partie intégrante du courant de la Gauche –qui va de la 3ème Internationale à la future Internationale–, tout comme les fractions de Trotsky, des spartakistes, des abstentionnistes en Italie et les tribunistes hollandais faisaient partie du même courant de la Gauche –qui allaient de la 2ème à la 3ème Internationale et qui trouvaient en la Fraction bolchévique son expression historique la plus conséquente.
Évidemment il ne peut être question, dans ce courant de Gauche, de comprendre les diverses formations politiques qui, à l'instar du Trotskisme, ont été happées dans l'engrenage de l'idéologie bourgeoise et ont cessé depuis longtemps de présenter des moments du processus de reconstitution de l'organisation politique de la classe. Aucun de ces groupes n'a résisté aux épreuves historiques décisives. Par leur retour dans les rangs de la 2ème Internationale ou par leur adhésion à l'idéologie antifasciste et la participation, d'une façon directe ou indirecte, à la guerre impérialiste mondiale, soit au nom de la défense de l'URSS, soit au nom de la "libération nationale" et des "droits des peuples à disposer d'eux–mêmes", soit au nom de la lutte contre le "fascisme", ces groupes se sont définitivement liquidés politiquement en tant qu'expression du prolétariat.
En parlant des groupes révolutionnaires qui sont dans le camp prolétarien et qui font partie du courant historique de la Gauche, nous entendons exclusivement les groupes qui, à aucun moment, n'ont trempé dans la guerre et qui ont résisté à l'idéologie capitaliste de l'antifascisme. Tels sont les groupes des Communistes Révolutionnaires en France, le RKD, les Communistes des Conseils en Hollande etc.
La Gauche Communiste Internationale ne peut s'acquitter de sa tâche de formation des cadres et de base programmatique des futurs partis qu'en s'orientant résolument vers une discussion internationale, vers une confrontation politique publique et fraternelle avec tous ces groupes révolutionnaires. Cette discussion et confrontation internationale ne peut être laissée au hasard des circonstances mais doit être recherchée, organisée et, dans la mesure où l'intérêt de la discussion rendra possible et nécessaire, on devrait s'orienter vers l'organisation de contacts, de discussion et de publication de Bulletins internationaux de discussion et documentation, et de conférences internationales.
Il est nécessaire de reconnaître que la GCI, si elle présente une ligne politique générale, ne présente pas toutefois une homogénéité politique. Il ne s'agit pas de monolithisme, impossible dans une organisation et qui ne peut être qu'un étouffement bureaucratique détruisant toute possibilité de vie politique idéologique. En parlant d'homogénéité nous parlons d'une base de principes fondamentaux indispensables pour que l'organisation ne se transforme pas en un rassemblement éclectique. La guerre a révélé des divergences et oppositions au sein de la GCI et portant sur des questions de principes.
Ces divergences ont eu pour résultat la brisure de l'unité organisationnelle de la GCI, des scissions et exclusions et la formation de divers groupes qui défendaient publiquement des positions politiques diamétralement opposées. Il serait indigne de la part de révolutionnaires honnêtes de vouloir fermer les yeux ou de jeter un voile pudique sur cette réalité.
On peut réussir pendant un temps à tromper soi–même et le prolétariat mais on ne peut construire par cette méthode un véritable parti de classe capable de s'acquitter de sa tâche. Le mensonge de l'homogénéité, basé sur l'écartement de toute question en divergence, ne peut avoir finalement que le même résultat : celui du monolithisme bureaucratique, l'étouffement de toute possibilité de vie idéologique de l'organisation.
Nous ne citerons que les points les plus importants où se sont manifestées des divergences dans la GCI :
Questions subsidiaires :
Mais il ne suffit pas d'énumérer les questions en divergences. Nous devons encore constater et déplorer que, depuis un certain temps, il se manifeste une tendance, dans la GCI, à abandonner toute discussion politique et théorique et à vouloir créer une fiction d'une homogénéité à l'extérieur en escamotant et en esquivant le débat sur les problèmes les plus fondamentaux à l'intérieur.
Le PCI présente cette particularité d'être le reflet d'une situation qui a imposé la formation du Parti mais sans que le Parti reflète suffisamment, par une prise de conscience claire, la situation…
L'exemple le plus frappant de cet état contradictoire est donné par l'énonciation, d'une part, de cette règle principielle juste que la construction du Parti n'est possible que dans une situation montante de reprise, de lutte offensive du prolétariat et l'affirmation, d'autre part, que les événements de 1943 en Italie (moment où fut fondé le Parti) ne signifiaient pas une manifestation de reprise de lutte du prolétariat italien. Ainsi on aboutit à une série de contradictions inextricables.
Ou la règle principielle est valable pour tous les pays sauf l'Italie ou bien la règle reste valable aussi pour l'Italie et c'est le PCI qui devient alors une création artificielle ; ou bien encore la fondation du Parti correspondait à la règle principielle et alors c'est l'analyse des événements de 1943 qui est erronée.
Le plus surprenant c'est que le PCI affirme simultanément les trois choses à la fois et à tour de rôle sans même se douter de la contradiction.
L'insuffisance des travaux de la Conférence n'apparaît pas tellement dans les débats qui ont eu lieu mais surtout dans le fait d'avoir laissé de côté et passé outre les problèmes fondamentaux de l'heure. Le problème du capitalisme d' État et les caractères de la phase décadente du capitalisme n'ont même pas été effleurés. Pas plus d'ailleurs que la question de la nature de classe de la société russe.
Mais le plus grave est que la Conférence de Turin a, par-dessus tout, évité de toucher aux questions qui ont déchiré la Fraction italienne en trois groupes: la minorité qui a participé et a préconisé la participation à la guerre impérialiste en Espagne, le groupe Vercesi qui a révisé les notions fondamentales de la Fraction par ses théories de l'«Économie de guerre» et sa participation dans le Comité de Coalition Antifasciste à Bruxelles, et le groupe de Marseille qui seul a maintenu la position communiste de la Fraction durant la guerre.
Il est inconcevable pour tout militant révolutionnaire honnête que ces trois groupes, la minorité exclue en 1937, le groupe Vercesi exclu au début de 1945 et le groupe de M. se retrouvent, fin juillet 1945, dans une même organisation en maintenant chacun sa position mais en évitant, d'un commun accord, de porter le débat publiquement ni de donner d'explication au prolétariat.
Il est plus particulièrement inadmissible que les camarades comme Butta et Tullio qui ont signé "la déclaration politique votée à la Conférence de la Fraction italienne en mai 1944 qui dénonçait le révisionnisme et l'opportunisme du groupe Vercesi, que ces camarades qui ont voté et signé la résolution d'exclusion de Vercesi en janvier 1945 pour son activité "antifasciste" aient pu se retrouver avec Vercesi à la Conférence de Turin sans porter le débat publiquement.
Ces documents politiques – que ces camarades ont voté mais qui, pour des raisons inexplicables (pudeur ou sentimentalité) ont été tenu cachés jusqu'à ce jour – sont publiés dans Internationalisme n° 7. Si aujourd'hui ils renient ces documents, ces camarades sont tenus de donner de donner une explication politique publique de leur nouvelle position. Le silence est inadmissible. Les documents politiques dans le mouvement ouvrier ne sont pas des chiffons de papier de la diplomatie bourgeoise. On ne peut pas sans inconvénient bafouer avec cette désinvolture ses propres positions. Une telle attitude de légèreté ne peut que déconsidérer ces camarades, porter le discrédit sur toute l'organisation et inciter avec raison les ouvriers à la plus grande méfiance à l'égard du Parti quant à sa sincérité et à son sens de responsabilité.
Et qu'on ne vienne pas invoquer la résolution contenant la condamnation de la politique "antifasciste". Cette condamnation vague et générale – incluse en passant dans une résolution traitant de contacts à prendre avec des groupes dans les autres pays –, de par les conditions dans lesquelles elle fut faite, de par l'unanimité sans débat avec laquelle elle fut votée, ne nous rassure nullement.
N'oublions pas que cette résolution fut apportée et présentée à la Conférence par… Vercesi ! On ne peut s'empêcher de penser aux belles résolutions pompeuses votées par la 2ème Internationale contre la guerre au moment même où les chefs se préparaient consciemment à pratiquer les plus infâmes trahisons. On ne peut pas ne pas évoquer la récente Conférence de la SFIO maintenant les articles du programme sur la lutte de classe contre l' État capitaliste au moment même où le Parti Socialiste est à la tête de l' État.
Ce ne sont pas les affirmations verbales qui comptent. C'est uniquement l'accord qui existe entre le verbe et l'action qui peut nous garantir sur la sincérité de la parole.
Dans le cas concret de Vercesi, il ne s'agit pas seulement de ses théories révisionnistes mais de son activité concrète pendant la guerre. Il faut en finir avec le silence pudique et la déformation de la vérité. Le Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles – dans lequel Vercesi au nom de la Fraction jouait un rôle prépondérant – était comme son nom l'indique une coalition de tous les partis politiques "antifascistes" de la bourgeoisie italienne. Quelle a été l'activité de ce Comité ? Il suffit d'ouvrir l'organe du Comité, l'Italia di Domani, paru en pleine guerre, pour s'en apercevoir. Dans ce journal, où Vercesi était l'éditorialiste "marxiste", s'étale la plus infecte propagande pour la guerre des démocraties contre l'Allemagne fasciste, le souhait que le bloc démocratique saura reconnaître les sacrifices du "peuple" italien participant dans la guerre contre l'Allemagne, pour laisser à l'Italie son "indépendance", sa "grandeur" et ses colonies. Vous trouverez, dans ce journal infâme, la glorification d'un héros "antifasciste" qui a fait sauter tant de trains et occasionné la mort de tant de "boches". Vous trouverez aussi des appels pour s'engager dans l'Armée pour la Libération nationale.
"L'ITALIA DI DOMANI" EST UNE EDITION 1944–45 DU "POPOLO D'ITALIA" DE MUSSOLINI DE 1915. Il poursuit en effet les mêmes buts, la participation à la guerre impérialiste aux côtés des "démocraties". Que la sympathie des gouvernements "démocratiques" alliés lui était acquise, tout le prouve.
La sauce marxiste de Vercesi trouvait sa raison d'être, comme on le comprend bien, pour mieux faire avaler toute cette infâme nourriture aux ouvriers italiens.
Le PCI d'Italie doit se rendre compte de la gravité des faits. Il n'aura d'autorité pour condamner les staliniens et autres qu'après avoir, sans aucune réticence et publiquement, fait le procès politique de l'activité de Vercesi et du Comité de Coalition Antifasciste de Bruxelles. Sinon tout ouvrier paraît en droit de COMPRENDRE LE SILENCE DU PCI COMME UNE SOLIDARISATION AVEC CETTE ACTIVITÉ.
Dans un article, "une déléguée française" à la Conférence de Turin caractérise celle–ci comme le nouveau "Livourne". Livourne c'est le Congrès de fondation du PC d'Italie en 1921. Quoi qu'on ait pu dire de "la rupture à gauche" de Livourne, ce ne fut qu'une traduction atténuée du Congrès de la Halle (unification avec les Indépendants allemands) et du Congrès de Tous (unification avec Frossard, Cachin et tutti quanti). Livourne c'est l'amalgame avec "Ordino Nuovo", les Serrati, les Pombacci et les Grazideï. C'est la corde au cou passée par l'IC à la Gauche abstentionniste de Bordiga. Ce n'est pas Livourne que la Fraction s'est proposée de refaire mais une sélection révolutionnaire plus sévère sur des bases programmatiques ne laissant pas de place à l'opportunisme.
La Conférence de Turin, comme nous venons de le voir, se situe, sur un certain nombre de points, sur une ligne qui n'est même pas celle de Livourne mais celle de Serrati, celle de l'unité de tout le monde.
C'est précisément ce que cette "singulière déléguée" glorifie sous le nom de Livourne que nous critiquons et condamnons dans la Conférence de Turin et dans le PCI d'Italie.
Depuis la reprise de son activité, la Fraction belge a accompli un travail extrêmement précieux. Son effort continu dans la publication régulière de L'Internationaliste est une preuve réconfortante de sa vitalité. Mais il est regrettable que nous n'assistions pas à une correspondance dans le travail théorique et dans la netteté de ses positions politiques.
Aucun des problèmes en divergences dans la GCI n'a été abordé ouvertement et directement. Aussi trouvons–nous dans L'Internationaliste des positions contradictoires sur un même problème. Sur l'analyse des événements de 1943 par exemple, la Fraction belge s'est niée au moins trois fois dans l'intervalle de quelques mois. Et cela sans le moindre trouble comme si c'était tout naturel. Dans la question de l' État, les contradictions les plus frappantes sont présentées tout naïvement comme des "errata". Dans les autres questions brûlantes comme "la nature de l' État russe", les nationalisations, la nature de la guerre, l'économie de guerre, on remarque un manque de précision qui permet au lecteur averti de saisir des appréciations fort différentes et opposées.
Mais ce qui, dans l'activité de la Fraction belge, nous paraît le plus critiquable c'est son attitude envers la crise dans les Fractions italienne et française.
Dans la crise de la GCI, la Fraction belge semblait vouloir occuper la position de la Suisse entre les blocs belligérants, avec un préjugé favorable pour la tendance Vercesi. S'efforçant d'amoindrir les conclusions les plus absurdes et les plus choquantes de la théorie de Vercesi, elle manifestait sa méfiance envers "l'intransigeance «exagérée»" et croyait pouvoir attribuer cela au malentendu et aux mauvaises interprétations. Au lieu de participer activement dans la discussion, prendre carrément et ouvertement position, elle n'a fait que minimiser le débat et garder le silence. Ainsi s'explique cette situation paradoxale où la Fraction belge persiste, malgré notre insistance et celle de la FI avant sa dissolution, à se taire sur le Comité de Coalition Antifasciste, qui pourtant agissait en Belgique, et à réussir à ne souffler mot, ni pour, ni contre.
Dans la crise de la Fraction française la FB, qui déplore le malentendu et la scission survenue en mai, commence par déclarer ne pouvoir se prononcer sur le fond. Mais cette réserve politique ne l'empêche pas de nous traiter, un beau jour dans une lettre aux CR, de dissidents de la GC et cela sans qu'aucune discussion et clarification politique n'aient eu lieu.
On pourrait demander peut–être à la FB quels sont les critères politiques qui lui ont servi pour distinguer entre la Gauche Communiste et la "dissidence" ? Croit–elle que pour être de la GCI il faut faire partie de la Fraction Internationale de Vercesi ? Ne confond–elle pas un peu trop hâtivement l'une avec l'autre ? La fraction belge a proposé au mois de mai une conférence internationale de tous les groupes de la GCI avec un ordre du jour portant sur toutes les questions en divergence et la constitution d'un Bureau International.
La Fraction française, alors encore unie, a accepté cette proposition en soumettant la question d'un Bureau International et sa fonction au résultat des débats. Après la scission, nous avons maintenu net renouvelé notre accord avec la proposition. Mais entre-temps c'est la FB, sans explication, qui a renoncé à sa proposition. Peut–on savoir la raison exacte ?
Nous ne pouvons que déplorer cette attitude quelque peu trouble de la FB correspondant d'ailleurs à son attitude politique. Décidément la "neutralité" ne vaut rien en politique. Sans mettre en doute les bonnes intentions de la FB, son attitude n'a pas éliminé les "malentendus" mais n'a fait qu'entretenir l'état dans lequel se trouve la GCI. La FB porte ainsi sa part de responsabilité.
Deux groupes existent actuellement en France qui se réclament de la GCI et prétendent chacun représenter la Fraction en France.
Cette situation, à première vue paradoxale, n'est en réalité qu'une manifestation particulière de ce qui est l'état "normal" dans l'ensemble de la GCI. Deux courants fondamentaux se heurtent dans la GCI. En France, ces deux courants apparaissent sous la forme d'organisations séparées, indépendantes et opposées.
Nous répétons ici, une fois de plus, ce que nous avons déclaré maintes fois, que NOUS ETIONS CONTRE LA SCISSION parce que
1. les divergences qui nous séparaient n'étaient pas exclusives à la Fraction française et, en conséquence, ne pouvaient être résolues sur le plan étroit de la Fraction française mais uniquement sur le plan international de la GCI ;
2. la solution des divergences ne peut réellement présenter un moment de dépassement qu'après maturation et clarification politiques suffisantes ;
3. nous répudions le système qui consiste à provoquer des divergences imaginaires sur des points secondaires pour camoufler des divergences réelles et qui substitue à la confrontation politique loyale l'arme empoisonnée des intrigues organisationnelles et les cancans de concierge.
C'est brusquement, après le retour de S de B et avant même qu'elle ait pu rendre compte de son mandat, que se déclenche une campagne faisant feu de tout bois. Cette campagne aboutit avec une rapidité extraordinaire (4 semaines) au départ de trois camarades quittant l'organisation (nous avouons avoir été surpris par ce blitzkrieg).
Pour entretenir la confusion à l'extérieur, ces trois camarades, constitués en organisation, continuaient à s'intituler "Fraction française" et publiaient un journal avec le même titre que celui de la majorité de l'organisation. Ces procédés, qu'il est préférable de s'abstenir de qualifier, sont devenus des faits courants dans le mouvement ouvrier depuis l'avènement du stalinisme. Nous ne pouvons que protester contre de tels procédés et constater que le prolétariat n'a pas encore la force de les extirper et d'imposer un minimum de probité intellectuelle et une morale révolutionnaire. Après des mois, ce groupe fusionne avec des camarades de l'ancienne minorité exclus de la Fraction Italienne en 1937 et des éléments dirigeants de l'ancienne UC (Union Communiste).
Nous n'allons pas faire ici la critique des positions de l'ancienne minorité de la FI. Ce sont de vieux militants incontestablement dévoués à la cause du prolétariat, absolument intègre qui, tôt ou tard, peuvent et doivent trouver leur place dans les rangs de l'organisation révolutionnaire. Mais il n'en reste pas moins que les positions prises par ces camarades lors de la guerre impérialiste en Espagne sont des positions anti–prolétariennes et que, de ce fait, ces camarades ne pourraient reprendre place dans la GCI (qui s'est constituée contre eux) que dans la mesure où ils auraient abandonné leur position en la dépassant critiquement.
Mais il n'en est rien. Dans une déclaration faite dans une réunion publique, un camarade de la minorité pouvait affirmer que l'entrée de la minorité dans un groupe de la Fraction n'impliquait pas de leur part l'abandon de leur position sur la guerre espagnole qu'ils maintenaient intégralement.
Ce qui est le cas pour la minorité s'applique également aux camarades de l'UC, organisation à laquelle la minorité adhérait depuis 1937.
Il est possible, pour des raisons historiques, que la construction de l'organisme de classe ne se fasse pas toujours et partout par le développement régulier de la Fraction. Il est possible que la construction du Parti nécessitera d'emprunter un chemin plus tortueux que celui théoriquement et idéalement entrevu (le chemin de la fraction) et se réalisera au travers d'un regroupement avec des militants d'autres groupes. Mais, dans cette éventualité, la condition fondamentale restera la discussion franche et honnête entre les divers groupes aboutissant à un accord sur une base principielle.
C'est exactement le contraire qui s'est produit à Paris. Au lieu de convier à une discussion politique générale entre les divers groupes, on a intentionnellement écarté les groupes existants, comme les RKD, les CR, les CR dissidents et nous–mêmes, pour se livrer à des tractations avec des individualités dans le plus grand secret. Cette méthode de racolage individuel, employée naguère par Trotsky et combattue par la Fraction Italienne, a l'avantage de substituer l'attachement sentimental à des personnalités à la confrontation politique. Mais aussi, ce n'est pas une organisation qu'on crée mais simplement un amalgame politique.
La nouvelle "Fraction" non seulement a fait place en son sein aux positions de la minorité italienne et de l'UC sur la guerre espagnole mais encore elle a rejeté la "Déclaration de principes" qui fut le document de base à la constitution de la Fraction en France. On peut se demander, après cela, ce qui reste encore de Gauche Communiste, hormis le nom susurré, dans cet amalgame.
La "Déclaration de principes" (document de base de la FF) abandonnée sans explication, les thèses et résolutions de la Conférence constitutive de la FF rejetées sans débats, les statuts de l'organisation oubliées, sur quoi donc, sur quelles bases s'est faite cette singulière unification ? A ce jour, aucune résolution, aucune déclaration politique n'a encore été faite, et pour cause ! ON NE PEUT PARLER DE CE QUI N'EXISTE PAS.
Cependant ce groupe – qui fuit lamentablement toute discussion et confrontation politiques avec les autres groupes – semble jouir d'une certaine faveur auprès de certaines tendances dans la GCI. Ce fait, surprenant à première vue, s'explique cependant quand on constate que ce groupe s'est transformé en une "claque" applaudissant et justifiant tout ce qui se fait, toute politique portant formellement le nom de GCI.
Il serait trop long d'énumérer toutes les contradictions et tournants opérés par ce groupe depuis un an. Mais au travers de tous ces zigzags, une tendance générale se dégage : le retour aux positions révisionnistes de la tendance Vercesi. On a ravalé la résolution votée condamnant le révisionnisme de la théorie de l'Économie de guerre, on a ravalé la condamnation de la participation au Comité Antifasciste et le vote d'exclusion pour ce fait de la tendance Vercesi. Rien ne traduit mieux la désorientation et la crainte de se trahir ou de "déplaire" que l'incapacité absolue où se trouve ce groupe de publier un seul numéro de la revue de discussion théorique.
Quant à nous, nous ne prétendrons pas n'avoir pas commis de fautes ou d'avoir résolu tous les problèmes. Il est possible que nous ayons commis des erreurs. Mais en publiant, en plus du journal, une dizaine de numéros de notre revue Internationalisme, nous avons fait preuve de notre effort d'aborder les problèmes, de chercher à donner une réponse communiste sans nous occuper de plaire ou de déplaire.
Le prestige de tel ou tel individu voulant jouer le rôle de "chef" nous occupe fort peu. Les individus, quels qu'ils soient, ne nous intéressent pas. Ce sont des positions politiques que nous défendons ou combattons et la passion avec laquelle nous le faisons n'a d'autre justification que la conviction profonde de servir la classe et de contribuer à l'armement idéologique de l'avant–garde.
Le Bureau International de la GCI
La Conférence du PCI a à nouveau posé le problème de la reconstitution du BI de la GCI. Rappelons que, durant toute la guerre, nous avons œuvré pour cette reconstitution contre tous ceux qui ne voyaient pas de possibilité d'existence de l'organisation pendant la guerre et faisaient tout pour qu'elle n'existe pas. Ainsi, se trouvait ressuscitée en 1939–45 la vieille théorie de Kautsky de 1914–18 de l'Internationale organisation dans la période de paix et non dans la période de guerre.
L'expérience nous a montré que la reconstruction du BI ne pourra avoir lieu qu'après une Conférence internationale des Fractions, après une discussion approfondie sur les divergences. Nous avons souscrit aux propositions d'une telle conférence faite par la Fraction belge en mai 1945.
Or, en ce moment, nous assistons à des tentatives de précipiter la formation d'un BI en dehors de toute conférence et de toute confrontation politique internationale. On manigance, on se dépense en voyages, en tractations individuelles, en diplomatie secrète. Il paraîtrait que le BI est déjà un fait ou sur le point de le devenir et la lutte se fait autour du nombre de "sièges" réservés à chacun de ces groupes.
Notre Fraction est évidemment tenue à l'écart. Dans tout ceci, nous ne voyons simplement qu'une volonté d'éliminer organisationnellement notre Fraction.
Il existe, camarades, deux méthodes de regroupement : il y a celle qui a servi au 1er Congrès de l'IC qui a invité tous les groupes et partis se réclamant du Communisme pour participer à la confrontation de leur position ; il y a celle de Trotsky qui, en 1931, "réorganisait" l'Opposition internationale et son secrétariat en prenant bien soin d'éliminer, préalablement et sans explication, la Fraction italienne et d'autres groupes qui auparavant en faisaient partie. Les vieux camarades se souviendront d'une lettre de protestation, envoyée par la Fraction italienne à toutes les sections de l'Opposition internationale, stigmatisant cet acte arbitraire et bureaucratique de Trotsky.
Vercesi et ses amis reprennent aujourd'hui la vieille méthode de Trotsky. Même le procédé de la formation d'une deuxième, d'une nouvelle fraction en France n'est pas une trouvaille originale ? C'est la copie du procédé de Trotsky constituant une nouvelle Opposition italienne (KOI) en 1931 pour faire pièce à la fraction "bordiguiste". Même procédé pour cacher une même intention. On n'ose pas exclure politiquement la tendance de Gauche intransigeante de crainte de révéler sa propre couleur opportuniste. On a recours à de savantes "réorganisations" en prenant soin d'éliminer préalablement la tendance de gauche. C'est plus habile et moins gênant.
Camarades, il faut prendre garde. Si un tel procédé, si une telle méthode triomphait dans la GCI, cela ne manquerait pas d'avoir des conséquences graves. Cela signifierait non seulement que l'opportunisme a triomphé dans la GCI mais qu'il étouffe déjà la vie politique à l'intérieur, qu'il est déjà assez fort pour passer à l'exclusion bureaucratique des éléments de gauche.
Nous nous adressons à tous les groupes, à tous les militants qui se réclament de la GCI. Nous élevons notre protestation contre la volonté et l'intrigue de nous éliminer de l'organisation internationale. Aucun critère politique, aucun statut organisationnel ne peut être invoqué pour justifier notre élimination. D'avance nous dénonçons la manœuvre qui consistera demain à nous présenter comme des "dissidents" qui se sont retirés de la GCI par leur propre volonté.
Nous reprenons la proposition de la Fraction belge d'une Conférence internationale de tous les groupes de la GCI avec l'ordre du jour tel qu'il a été accepté. Nous nous proposons en outre d'inviter à assister, à titre consultatif, à cette conférence tous les groupes communistes qui, sans être de la GCI, ont eu toutefois une attitude révolutionnaire internationaliste pendant la guerre et n'ont, à aucun moment, trempé dans des coalitions et idéologiques antifascistes. Ceci peut se rapporter aux spartakistes de Hollande, les CR et RK en France et peut–être d'autres encore.
La situation intérieure de la GCI et du mouvement ouvrier en général nous paraît être très grave. Le devoir de chaque fraction est de prendre nettement position. En formulant ici nos propositions et en les soumettant à tous les groupes de la GCI, nous espérons qu'elles seront examinées attentivement. Nous sommes prêts à examiner et discuter toute proposition ou suggestion opposée.
Dans l'attente d'une rapide réponse, veuillez recevoir, chers camarades, nos salutations révolutionnaires.
La Fraction Française de la Gauche Communiste Internationale, (GCF),
Paris le 15 mars 1946
Il est bien aisé en 1946 de discuter sur le moment où il fallait quitter la 3ème Internationale. Chaque date -celle de 1921, de 1924, de 1927- est assez riche en événements pour déterminer les causes de rupture d'avec l'IC. Ce qui semble guider la majorité des camarades de l'avant-garde, tels les RKD ou les CR, est plus un canevas, une espèce de critère statique que l'examen d'une situation mouvante mais qui, à notre avis, garde son sens jusqu'en 29 (??? Chiffre illisible).
Notre interprétation du phénomène russe et de sa répercussion sur le terrain international s'appuie sur 2 facteurs décisifs:
1. Une situation de crise politique de la bourgeoisie mondiale qui, après la rupture de la guerre impérialiste par la Révolution russe, cherche sa voie, aspire à la paix et s'aperçoit de son impossibilité à adapter l'essor de son économie à l'économie de paix. Cette crise politique désarticule tout le système de police et de coercition, donnant au prolétariat la possibilité de l'opposer face à l' État, contre l' État pour la révolution.
2. L'existence d'une idéologie révolutionnaire et d'une avant-garde qui s'organise assez rapidement sur le terrain international. Si nos camarades RKD et CR acceptent nos 2 points -à l'exception de la tendance H-, pourtant leurs conclusions ne sont pas identiques aux nôtres.
À quoi cela tient ?
Tout d'abord à leur notion d'Internationale. Au lieu de voir cet organisme comme une manifestation d'un immense mouvement ouvrier en opposition franche et active contre l' État bourgeois, ils ont par trop tendance à séparer le mouvement lui-même avec ses spontanéités et son impréparation idéologique d'avec l'Internationale.
En haut le parti communiste international qui traficote, en bas la classe ouvrière qui génériquement trouve le chemin de la révolution et se heurte à l'Internationale dans sa lutte.
C'est toute la notion de parti qu'ils admettent sur le plan national et qu'ils rejettent, en la camouflant sur le plan mondial.
Si organiquement le parti ne se confond pas avec la classe, tel un état-major et une armée, pour ce qui est de l'idéologie de la lutte il y a identité, parti et classe.
L'impréparation des luttes, les erreurs, l'opportunisme tactique ne sont pas le fait du traficotage d'une clique mais bien la preuve de la faiblesse idéologique d'une avant-garde qui tâtonne devant les problèmes nouveaux et immenses.
Et comme c'est uniquement dans le creuset de l'Internationale que s'élabore toute l'idéologie révolutionnaire -parce que l'Internationale c'est le mouvement mondial vers la révolution et, par-là, la preuve que le cours est toujours montant- c'est là aussi que les batailles décisives entre la gauche révolutionnaire et la droite opportuniste se livrent.
Dans la période montante, hors du mouvement, hors de l'Internationale, la gauche n'a aucune possibilité de contrebalancer et d'annihiler la politique opportuniste de la droite.
Parler de l'Internationale opportuniste c'est parler d'un cours de reflux révolutionnaire et indiquer par-là que l'organisme mondial s'est vidé de son contenu conscient de classe. Parler d'Internationale dégénérée est un non–sens politique car ce corps ne peut que présenter une faiblesse, une impréparation ou bien une faillite.
Le problème en jeu n'est pas une régénérescence mais un renforcement de son potentiel révolutionnaire par le renforcement de son idéologie et l'élimination des causes d'erreur et de faiblesse idéologique.
Le mouvement révolutionnaire, quoique affaibli, se poursuit au travers de l'Internationale. Parler de changement de nature de cet organisme c'est nier le cours montant de la révolution. Et il n'y a qu'un esprit prélogique qui peut commettre l'erreur de séparer la révolution chinoise d'avec l'Internationale Communiste. Cette unité passait, pour les révolutionnaires, par la nécessité de renforcer les pointes avancées de la lutte révolutionnaire, non du dehors tels des cathéchisants du haut de leur chaire mais dans le corps même de la lutte.
Quelles que soient les erreurs de principes commises, telle la thèse du "socialisme dans un seul pays", quels que soient les désirs des individualités, tel Trotsky, Staline, Bordiga, la lutte ne posait pas la scission mais l'examen des erreurs et des failles. La prédominance de l'opportunisme dans l'Internationale ne résultait pas de traficotages internes mais du rejaillissement des défaites de la classe dans son organisme le plus conscient.
L'Internationale balbutiait sous le coup des défaites, l'opportunisme trouvait son terrain pour s'épanouir, la Gauche devait-elle déserter le poste ou se faire évincer sans coup férir ? Ne devait-elle pas combattre ces balbutiements en présentant et défendant une ligne politique juste et conséquente des erreurs commises ?
La pureté révolutionnaire est un mythe et signifiait, à cette époque, une trahison envers la classe. La Gauche n'a pas agi en médecin pendant la période qui va jusqu'à 1933 mais comme fraction saine d'un organisme faible. Et si, en 1933, nous avons proclamé la mort de l'Internationale et avons invité le prolétariat à quitter l'organisme de pourriture idéologique qui s'était installé à sa place, ceci résultait de ce que le cours de la situation avait changé de sens, donnant au mouvement de classe une nature anti-prolétarienne.
La montée de Hitler en Allemagne au lendemain de la crise de 1929 indiquait que le prolétariat avait subi la plus dure défaite et n'était plus capable idéologiquement de s'opposer au cours de la guerre qui s'annonçait.
Ce qui continuait à porter le nom d'Internationale ne représentait plus qu'un tour de passe-passe de la bourgeoisie lui permettant de briser, s'ils se présentaient, les derniers soubresauts de classe contre la guerre.
SADI
La théorie vercesienne de l'économie de guerre et sa réponse dans les bulletins de la Fraction italienne :
– "Notre réponse" du mois de mai 1945 (N° 5) avait pour but de se délimiter d'avec le courant politique qui s'y rattachait[1].
– "La critique de l'économie de guerre" de Sadi a également été publiée dans le bulletin (N°? de ?).
Deux courants politiques existent donc dans la GCI et cela depuis déjà avant la guerre. La victoire momentanée du courant vercesien n'a été permise que grâce au boycott de toute discussion politique permettant d'affronter les deux courants et de leur donner par la suite une solution organisationnelle. Incapable de lutter sur le plan politique, on a préféré le jeu d'influences personnelles, le traficotage et la mise devant le fait accompli. On a savamment organisé et orchestré des querelles de ménages pour défigurer le vrai caractère des divergences.
Il n'y a pas chez les vercesiens "une" ligne politique ; ce qui les caractérise au contraire c'est de ne pas en avoir. Il y a une théorie érigée en système, une boite trop étroite pour contenir la réalité vivante. À l'aide de cette découverte magique, on justifie toutes ses fautes politiques en les érigeant en principes.
Ce système extrêmement pratique permet de faire de la situation italienne une situation où doit être créer le Parti pendant qu'en Belgique la situation n'y est pas.
Quand nous affirmons aujourd'hui que les vercesiens ont fait une théorie qui justifiait leur non–activité pendant la guerre, on nous traite de calomniateurs. Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec ces fourberies. Les documents sont là où le contrôle peut être opéré et les discussions en cours vérifiées.
Un morceau de choix est constitué par les prêches de Lucain du haut de la chaire de L'Internationaliste. Dans l'Internationaliste 8° année – N° I–I/I/45 –, Lucain, sous le titre "Le schéma de Lénine en 1917 et EN 1945", dit (1ère col. 2ème ligne) :
"Nous avons certainement été le seul courant dans la classe ouvrière internationale à affirmer que (dans les conditions de fonctionnement de l'économie de guerre qui existait jusqu'ici) le prolétariat ne pouvait paraître en tant que classe luttant pour ses intérêts propres que lorsque l'économie de guerre ne pouvait plus matériellement fonctionner. Nous avons opposé pendant la guerre cette opinion à tous les aventuriers qui voulaient nous entraîner dans des actions inconsidérées."
La suite de l'article de Lucain n'est qu'un vaste tiraillement du "schéma de Lénine" destiné à faire avaler "ça".
Lucain, du haut de sa chaire, prend évidemment le ton qui convient pour débiter de tels "raisonnements". Il ne sait même pas se servir adroitement de son "système" et toute sa "théorie de l'absence" n'est qu'un tissu de contradictions. Il poursuit (2ème col.) :
"Et les événements nous ont donné absolument raison. C'est seulement (en Italie) lorsqu'en 1943 l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités que le prolétariat y apparaît."
Ne cherchez pas pourquoi "l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités". C'est parce qu'on est obligé momentanément de reconnaître que "le prolétariat réapparaît". Quant à l'affirmation elle–même que "l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités", elle n'a ni queue ni tête. En Italie c'est l'impérialisme allemand qui se heurte à l'impérialisme anglo–américain et "l'économie de guerre avait" si peu "épuisé ses possibilités" que la guerre s'est prolongée encore pendant plusieurs mois.
Mais tout cela n'a pas d'importance. Il ne s'agit pas pour Lucain de défendre une position politique mais de se justifier. On a besoin pour l'instant de justifier une non–activité et on traite les "activistes" "d'aventuriers". Puis on leur dit : si "… le prolétariat réapparaît en Italie en 1943…", c'est parce que "… l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités…", ce qui n'empêchera pas O d'écrire et d'affirmer plus tard le postulat suivant :
"… 1943 vit la chute du fascisme alors que la guerre impérialiste battait encore son plein…" (Internationaliste N° 3 – 15/2/46 – "La situation italienne" – 1ère col. En bas)
"… le fascisme est tombé comme un fruit pourri…" (2ème col. 39ème ligne)
Ou bien "… l'économie de guerre… 'n'avait pas'… épuisé ses possibilités…" et le prolétariat ne "réapparaît pas" ou bien, si le prolétariat "réapparaît", il le fait en faisant une sale blague à Lucain.
Lucain poursuit : "C'est seulement (en Amérique et en Angleterre) lorsque l'économie de guerre bat de l'aile que le prolétariat apparaît sur scène."
De 1940 en Angleterre, et de 1941 en Amérique, jusqu'en 1944, l'indice de production pour les armées a monté dans des proportions de 360% environ. Ce qui "bat de l'aile" depuis la cessation des hostilités c'est la "RECONVERSION" ! ! !
Ainsi, de deux choses l'une, ou bien les prolétariats anglais et américains sont "absents" encore aujourd'hui ou ils étaient PRESENTS aussi pendant la guerre. Mais du fait que Lucain était à la pêche, il ne peut pas savoir qu'il y a eu des grèves aux EU et en GB et des désertions dans les armées de ces pays. Lucain continue : "Et, par contre (!), dans aucun pays le prolétariat n'a fait ce que le prolétariat a fait en Russie en 1917, lutter d'abord pour la défaite de sa propre bourgeoisie."
En 1943 ? "Le prolétariat réapparaît…", "… l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités."
En 1943 ? Lucain vient de vous le dire : "Nous avons opposé pendant la guerre cette opinion à tous les aventuriers qui voulaient nous entraîner dans des actions inconsidérées…" Qui étaient les "aventuriers" ? La FI à Marseille ! Quelles étaient les "actions inconsidérées" ? Poursuivre pendant la guerre le travail politique de la Fraction en axant l'activité sur le mot d'ordre "Transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" et de "défaitisme révolutionnaire" dans tous les pays, y compris la Russie ; et aussitôt que se présente une situation révolutionnaire, tenter de reconstituer le parti de classe (au cours du développement du cours révolutionnaire en tentant de prendre de l'influence dans les masses).
En 1943 ? Lucain est à la pêche ! Et si le prolétariat "réapparaît" d'une façon ou d'une autre, il manque sinon "ce que le prolétariat a fait en 1917" mais… ce que les bolcheviks ont fait en 1917 (! !), qu'il y ait la Fraction de Gauche !
Cela est tellement vrai que les camarades de la Gauche revenus d'Italie nous disent que, depuis 1943, les anciens camarades de la Gauche restés en Italie cherchaient à se regrouper. Au feu de l'action, le processus de formation du parti se fait ; les cellules cherchent un corps mais la tête n'est pas là. La tête, la FI, est séparée en deux tendances dont l'une prêchant "l'absence" traître, l'autre "l'aventurisme".
Il y a eu effectivement ouverture d'un cours révolutionnaire en 1943 ; et si ce cours n'a duré qu'un feu de paille et que, depuis, s'est progressivement rouvert le cours vers la 3ème guerre impérialiste, ce n'est pas parce que "l'économie de guerre joue à cache–cache avec le prolétariat mais pour les deux raisons suivantes :
1. la trahison de la 4ème Internationale et l'absence d'une avant–garde ;
2. la bourgeoisie, qui a fait l'expérience de 1917, organise (principalement en Allemagne) la destruction systématique du prolétariat.
Et Lucain de poursuivre : "Il faut replacer le problème sur son véritable terrain (! ! !." "Il faut écarter la confusion généralement répandue entre le côté schéma «transformation de la guerre impérialiste en guerre civile» et le mot d'ordre de «défaitisme révolutionnaire».
En réalité ce n'est pas la "confusion" qu'il s'agit "d'écarter" mais de défigurer l'idée fondamentale de Lénine pour la mettre à la sauce vercesienne. Lucain, le jongleur avec les phrases, le prestidigitateur, continue ses manipulations avec une souplesse verbale qui n'a pas son égal. Il s'empare du "schéma". Qui va–t–il en faire ?
"Le «schéma» découle de la perception (qui est apparue en premier lieu chez Lénine) qu'après la crise de 1912–13 le capitalisme est entré dans sa phase de décadence." [et Rosa Luxemburg ?] "Dans cette époque (il s'agit de l'autre époque), le besoin d'expansion du capitalisme, qui demeure constant malgré la décadence, ne peut se manifester dans la prise de possession d'un monde vierge. Au contraire, le monde entier, étant sous mandat colonial, ce besoin d'extension amènera fatalement une collision violente des impérialismes rivaux pour un nouveau partage du monde. Et comme, d'autre part, la décadence contient la possibilité d'apparition d'un nouveau type de société, une société dirigée par le prolétariat (? ? ?), la guerre impérialiste, le choc des impérialismes rivaux, dégénérera en une lutte où le prolétariat interviendra avec ses revendications propres, en transformant la guerre impérialiste pour un nouveau partage du monde en guerre civile du prolétariat."
C'est, d'une manière "schématique", l'idée de Lénine. Mais croyez–vous que Lucain l'ait comprise ? C'est plutôt entre ses mains un objet embarrassant !
"De ce schéma, Lénine concluait à la nécessité de lancer le mot d'ordre du «défaitisme révolutionnaire», c'est–à–dire d'appeler les ouvriers de l'arrière et les soldats des fronts militaires à lutter pour la défaite de leur propre bourgeoisie, pour transformer cette défaite en lutte révolutionnaire pour le pouvoir."
Voilà donc Lucain qui tourne schéma et mot d'ordre entre ses mains avant de poursuivre. Il convient de dire que, pendant que Lucain théorisait sur "l'absence du prolétariat", la FI à Marseille défendait le "mot d'ordre" qui découlait du "schéma" et le "schéma" lui–même. Ce qui n'empêche pas Lucain, par un tour de passe–passe oratoire remarquable, de traîner dans la boue, au début de cet "article", "tous ces aventuriers qui voulaient nous entraîner dans des actions inconsidérées."
"Il est visible du premier coup d'œil…" Lucain emploie souvent de telles formules : "Il saute aux yeux que…", "Donc…", "Il apparaît très clairement que…" Ce sont des formules magiques qui lui servent à escamoter. Quand il dit : "Il est visible du premier coup d'œil que…" ou "Cela saute aux yeux que…", c'est qu'il passe du monde réel, concret , au rêve éveillé et tente d'endormir son lecteur. C'est somme toute le signe qui doit nous mettre en éveil. Donc :
"Il est visible du premier coup d'œil que…(attention !) si le mot d'ordre de défaitisme révolutionnaire ne peut jouer que lorsque les armes s'affrontent sur les fronts militaires, qu'il ne peut plus jouer lorsque les opérations militaires sont terminées…"
En effet, "il est visible du premier coup d'œil que…" quand Lucain était à la pêche et la FI à Marseille en train de faire de "l'aventurisme" et d'essayer de l'entraîner, lui et les vercesistes, "dans des actions inconsidérées" ; "il est visible du premier coup d'œil que…" lorsque "l'économie de guerre" eut "disparue", que le prolétariat eut "réapparu" et que le fascisme fut "tombé comme un fruit pourri" ; "il est visible du premier coup d'œil que…" Lucain, en retard de plusieurs mois sur la situation et sur son mûrissement, trouve le mot d'ordre de Lénine du "défaitisme révolutionnaire" inutilisable et le rejette comme un fruit pourri. Il ne se contente pas de théoriser son absence par l'absence du prolétariat mais il porte le cynisme jusqu'à jeter l'anathème sur ceux qui étaient restés dans la voie du "schéma" et du mot d'ordre de Lénine – qu'ils considéraient comme seuls justes dans cette guerre comme dans la précédente.
Lucain essaie alors de neutraliser son retard et poursuit : "… le schéma, par contre (! !), a une portée beaucoup plus vaste…"
De l'art de déformer en jonglant avec la signification d'une phrase, sa signification réelle et l'idée qu'elle exprime. Mais Lénine est mort. Et Lucain n'est pas le premier à interpréter ses œuvres et ses pensées : Lénine repose dans un cercueil de verre en face du Kremlin d'où Staline et Molotov, se couvrant de son nom et déforment ses œuvres, poursuivent sans merci, depuis plus de 10 ans, la contre–révolution en Russie et dans le monde entier.
Comment Lucain va–t–il "arranger" Lénine ?
"La période de l'impérialisme est une lutte permanente entre les impérialismes rivaux. Cette lutte prend parfois des formes militaires, parfois des formes de guerre de tarif, de guerre de crédit."
C'est également notre avis que "la guerre militaire" n'est qu'expression des rivalités inhérentes au système capitaliste, "guerre militaire" qui correspond en réalité à l'exacerbation d'une longue et violente lutte économique entre les différentes expressions anarchiques de la société capitaliste.
Mais, dans ce cas–là, Lucain prend sa théorie dite de "l'économie de guerre" et la fait disparaître après avoir fait disparaître, en son nom, le prolétariat ; et, après avoir mis la clé sous la porte, il part à la pêche en attendant que "tout ça finisse" et que l'on puisse faire paisiblement de la politique, construire des partis, crier "Vive la Révolution", "Les usines aux ouvriers", chanter avec allégresse des "Internationales" aux prolétaires affamés et, au besoin, les rudoyer et les traiter "d'imbéciles" s'ils ne lisent pas assez vite : le Capital, l'Hist. des Doc. Ec., les Œuvres Phil., les Œuvres Pol., l'Hist. des Doc. Ec., (illisible), l'Anti–Dühring, Herr Vogt, les Œuvres complètes de Vlad. Ill., de Trotsky, de Boukharine, de Victor Serge, de Souvarine, de Rosa, de Labriola, de Bordiga, BILAN, les Œuvres complètes de Vercesi (philosophiques, politiques, économiques, JOURNALISTIQUES… Demandez, lisez "L'Italie de Demain", demandez "l'oxygène" culturel du Vercesi du Comité Antifasciste de Bruxelles ! ! !).
Mais reprenons avec Lucain qui, revenu de la campagne, reste là indécis avec son "économie de guerre" momentanément :
"La lutte entre les impérialismes pour un nouveau partage du monde durera autant que le capitalisme lui–même."
Et oui ! Lucain, pour quelques secondes, s'est souvenu qu'il avait lu les Œuvres prolétariennes et ce qui a été affirmé il y a 30 ans par des peuples entiers soulevés l'a effleuré tout de même. Malheureusement, chez Lucain, ces "éclairs" n'ont aucune signification que de montrer que de montrer un peu plus leurs contrastes avec la somme imposante de ses élucubrations et contradictions. Nous reviendrons avec Lucain, plus tard, sur la période de "Décadence du capitalisme" où celui–ci se laisse aller à un économisme galopant et sautillant, vague brouet vercesien jeté aux visages de Marx–Engels.
Et voici une fois de plus "l'arrangeur" à l'œuvre ; il était normal que l'enfoncement de quelques portes ouvertes, la défense de quelques positions que personne ne met en contradiction, prépare un "repli sur des positions préparées à l'avance" :
"Mais… (que ce "mais" est insidieux !) … même si l'on ne veut pas reporter le schéma sur l'ensemble de la période décadente…"
Et pourquoi il "ne" veut pas reporter le schéma sur l'ensemble de la période décadente ? "Mais…" parce que, pendant la guerre, "on" fait des petits bateaux avec le schéma de Lénine pour aller à la pêche. Pendant ce temps–là, des "aventuriers"… voulaient nous entraîner dans des actions inconsidérées… pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et pour le défaitisme révolutionnaire. Mais même si l'on ne veut pas reporter le schéma sur l'ensemble de la période décadente "… même si l'on ne veut considérer que la période d'opérations militaires elle–même comme guerre impérialiste…"
Lucain nous permet d'appeler les choses par leur nom, il nous permet d'appeler "la période d'opérations militaires" d'exacerbation des rivalités impérialistes : guerre impérialiste ! Lucain prend effectivement ses lecteurs pour des imbéciles ; il vient de nous dire :
"La période de l'impérialisme est une lutte permanente entre les impérialismes rivaux. Cette lutte prend parfois des formes militaires, parfois des formes de guerre de tarif, de guerre de crédit…" et quelques lignes plus loin "… même si l'on ne veut considérer que la période d'opérations militaires elle–même comme guerre impérialiste…"
Lucain ne peut appeler une chose par son nom, une guerre impérialiste :"guerre impérialiste!" ; les différents phénomènes qui amènent les fluctuations et agissent sur le cours de la valeur, sur le marché des marchandises : "guerre des tarifs!". La circulation fiduciaire et l'accaparement du marché du crédit par un capital financier puissant créancier – sur ce marché du crédit où, comme dans la mer, le plus gros mange le petit et est lui–même dévoré par un plus gros – , Lucain appelle cela "la guerre du crédit !
Un fait "qui saute aux yeux", qui "est visible du premier coup d'œil" "même si «on» (Lucain) ne veut pas…", c'est que Lucain est un sophiste éclectique à l'esprit fumeux et à l'expression tortueuse. De ce fait, il y a toujours place pour "un recul stratégique", pour le "on n'a pas compris, on a déformé ma pensée", pour le "j'ai dit ça «mais» je voulais dire ça !" "Mais (!) même si l'on ne veut pas reporter le schéma sur l'ensemble de la période décadente, même si l'on (Lucain) ne veut considérer que la période d'opérations militaires elle–même comme guerre impérialiste (un Lucain est un Lucain) et rentrant par conséquent (!!!) dans le cadre du schéma de Lénine de la transformation…"
Quand la guerre n'est pas militaire mais se fait par le dumping ou par l'inféodation des petits pays ruinés aux grands impérialismes créanciers, Lucain ne voit pas la nécessité d'appliquer le schéma de Lénine. En temps de paix, Lucain ne voit pas la nécessité de proclamer "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" ! Il ne la voit pas non plus pendant la guerre? Alors quand peut–il la voir ?
"… il est néanmoins évident… (que Lucain se moque de ses lecteurs) …qu'il faut considérer non seulement la période même des opérations militaires mais aussi (!!!) la période qui lui succède et qui subit (!) le déséquilibre apporté dans la domination traditionnelle (!) du capital par le changement du rapport de forces consécutifs à la guerre."
Tout cela pour dire qu'immédiatement après la guerre il y a une période d'instabilité, que tout ne redevient pas normal du fait de la cessation des hostilités. Qui le conteste ? Mais il ne suffit pas d'affirmer une chose "en soi".
En réalité, pendant "l'absence" des Lucain, le prolétariat qui, selon le Lucain, "… ne pouvait apparaître en tant que classe luttant pour ses intérêts propres que lorsque l'économie de guerre ne pouvait plus matériellement fonctionner…" est opprimé, surexploité, (illisible) comme soldat, sacrifié comme civil et c'est du fait de l'exacerbation des contrastes sociaux produite par la guerre et poussée au paroxysme par la prolongation de la guerre, la généralisation de la guerre et l'acharnement croissant des antagonistes à se détruire pousse le prolétariat à donner de force une réponse quelconque à la guerre : d'abord ce sont les désertions dans les armées malgré les fusillades pour l'exemple allant en se multipliant et en se généralisant ; les officiers sont tués d'une balle derrière la tête ; le nombre des prisonniers croît malgré la propagande qui fait croire à la répression des adversaires "barbares" ; dans les villes, les ouvriers font la grève perlée, sabotent leurs machines, se mutilent volontairement pour ne pas aller au front.
"Le prolétariat ne pouvait apparaître en tant que classe luttant pour ses propres intérêts…" que lorsque les Lucain proclament que "… le fascisme est tombé comme un fruit pourri…", "…l'économie de guerre a épuisé ses possibilités…", "l'économie de guerre bat de l'aile…"
En effet, pendant que Lucain "hivernait", tout un processus a eu lieu, une immense tragédie, la plus sanglante de l'histoire de l'humanité.
1943 ! Les mesures d'exception, l'année terrible dans les camps de concentration, des millions d'hommes sont massacrés : juifs, prisonniers politiques, prisonniers de guerre…
1943 ! Les désertions dans les armées, les bombardements des agglomérations ouvrières…
1943 ! Le réveil du prolétariat italien, le front qui "stationne" pendant plusieurs mois pour laisser le nord de l'Italie sous l'occupation nazie et pour permettre la neutralisation d'un secteur particulièrement effervescent…
1943 ! Le prolétariat n'était pas absent et sa tentative insurrectionnelle, sa réaction contre la guerre, il l'a payé par un bain de sang. La répression préventive des bourgeoisies a été d'autant plus féroce qu'elles avaient encore présent à l'esprit les expériences de 1917 et d'après l'autre guerre. C'était pour elle une question vitale.
Mais où étiez–vous en 1943 Mr Lucain ? Nonchalamment vous attendiez que "l'économie de guerre batte de l'aile" sans jamais vous demander quel pouvait être le seul facteur déterminant la fin de la guerre.
Si le capitalisme, au lieu d'avoir des hommes de chair, avait disposé d'armées de robots et d'armées industrielles de robots, professeur Lucain, la guerre– qui a pris fin en Allemagne en 1944 et au Japon en 1945 – ne se serait pas arrêtée avec l'élimination des impérialismes allemand et japonais mais (et c'est là où Lucain ne comprend rien au "capitalisme décadent") les contrastes nés chez les "alliés" – et qui n'ont cessé de se développer depuis – se seraient réglés immédiatement et la guerre n'aurait cessé que le jour où plus aucune mécanique ne serait restée utilisable. Les hommes, professeur Lucain, ne sont pas des mécaniques et c'est pour cela qu'une fois la guerre terminée vous avez pu vous présenter et dire : "L'économie de guerre a épuisé ses possibilités…"
Alors que de 1943 à 1944 il y a eu l'écrasement du cours révolutionnaire, depuis on assiste à la mobilisation du prolétariat dans le cadre idéologique de la 3ème guerre impérialiste. En somme, un cours révolutionnaire – qui s'était développé sur une grande échelle de 1917 à 1923 et qu'il a fallu presque 20 ans pour détruire idéologiquement – a été détruit en 1943–44 et quelques années à peine suffisent à le détruire idéologiquement. Certes, la plus grande part de responsabilité repose sur la trahison des partis "ouvriers" de la 2ème et de la 3ème Internationales ainsi que sur le trotskisme mais, à nos yeux, les "théoriciens de l'attente" en porte une également lourde. Leur absence qu'ils justifient à l'aide de théories et de phrases creuses, tortueuses, vides de sens, le retard causé par leur "poids" dans le travail politique dans la GCI, la trahison ouverte d'un des "grands théoriciens" de ce courant dans le Comité Antifasciste de Bruxelles, les yeux trop nombreux qui se sont volontairement fermés sur cette affaire, la résistance passive devant la protestation énergique de camarades sincèrement et justement révoltés, sont autant de faits qui préparent les pires aventurismes et promet à cette tendance, si elle est victorieuse, d'avoir la gloire de porter en terre les restes du travail de la Gauche pendant 20 ans.
Mais revenons aux élucubrations de Lucain : "… il faut considérer non seulement la période même des opérations militaires mais aussi la période qui lui succède…"
Cela peut être vrai mais ne peut l'être "en soi". Il faut que cela soit appliqué à une période historique donnée et démontré "de façon claire et convaincante… (Lucain dixit)".
Voyons plutôt Lucain à l'oeuvre, armé de "sa vérité" :
"Il est, par exemple, absolument normal de considérer la révolution allemande de 1918–23, les luttes révolutionnaires en Italie en 1920–21, la grève d'Angleterre en 1926 et la révolution chinoise de 1927, comme des conséquences de la guerre 1914–18…" (de l'art de déformer les faits pour servir de justification à ses propres trahisons) "… ces événements relèvent en conséquence du schéma de Lénine au même titre que la Révolution d'octobre 1917, bien que dans plusieurs cas il n'y ait pas eu de défaitisme révolutionnaires pendant les opérations militaires."
Décidément ou bien Lucain n'a rien compris ou bien c'est dans le but unique de se justifier qu'il cherche à tirailler le "schéma" à hue et à dia, Lénine ne pouvant remettre à sa place ce triste Lucain–là, et pour cause "… ces événements relèvent en conséquence du schéma de Lénine au même titre que la révolution russe de 1917…"
Après avoir fait le prestidigitateur et le jongleur avec les phrases, Lucain fait de l'exhibitionnisme : il fait les pieds au mur et voit les événements historiques et le monde à l'envers.
Non Lucain, "…ces événements…" ne "relèvent" pas "du schéma de Lénine au même titre que la révolution russe de 1917…", car ce que ce lecteur à l'envers de l'histoire ne voit pas c'est que si le prolétariat russe et la Révolution d'octobre avaient été écrasés en Russie en 1917, "… ces événements" qui "relèvent…" d'une fausse analyse de Lucain n'auraient pas eu lieu, ou du moins auraient été atténués très sensiblement, "… et de ce fait…" "… il apparaît clairement que…" la guerre impérialiste de 1939–45 aurait eu lieu plus tôt.
"Il faut donc ( ? ? ) établir le schéma de la transformation non dans les limites trop étroites (pour Lucain) des opérations militaires mais dans le sens plus large qui englobe aussi les changements de rapports de forces impérialistes consécutifs à la guerre."
"Donc" se rapporte à la marche sur les mains que Lucain a pratiqué plus haut ; de ce fait, sa dialectique renversée lui retombe sur le nez et prouve exactement le contraire de ce qu'il voulait essayer de faire avaler au public, à savoir : "Il faut donc établir le schéma de la transformation non dans les limites trop étroites…" pour Lucain, celui–ci se réveillant "après la bataille" "mais dans le sens le plus large…" lui permettant de justifier son absence de l'arène politique pendant la guerre par la théorie que le prolétariat n'existait pas et de dire ensuite ce qui suit : "Et alors…", comme Lucain a "élargi" pour lui le schéma de Lénine et "donc…", comme la période révolutionnaire de l'après–guerre et de la Révolution d'octobre 1917 en Russie sont toutes deux "des produits directs…" du schéma de Lénine (! ! !), Lucain peut maintenant jouer à pile ou face avec Lénine et son schéma.
"Et alors nous verrons que, bien qu'aucun prolétariat n'ait pratiqué le défaitisme révolutionnaire pendant cette guerre, nous assistons (nous Lucain) aujourd'hui au début de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile (? ? ? ! ! !)."
Le Roi est mort ! Vive le Roi ! La guerre impérialiste est finie. Vive sa transformation en guerre civile ! ! ! Ou le processus d'escamotage du schéma de Lénine par les tours de passe–passe de l'Internationaliste.
Si la lutte de l'après–guerre de 1918 a soulevé comme une vague de fond dans le monde entier et ébranlé un moment le capitalisme c'est parce que le cours de la guerre est rompu ouvertement par les soldats et ouvriers russes en 1917 et les soldats et ouvriers allemands en 1918, et que la bourgeoisie est tenue effectivement en échec pendant plusieurs années. C'est grâce à l'escamotage pur et simple de certains faits historiques que Lucain se paie de luxe de "proclamer", "après la bataille", la nécessité de "la transformation de la guerre" qui vient de se terminer "en guerre civile" ; mieux, il affirme : "… nous assistons à cette transformation…".
Nous avons déjà défini plus haut notre position sur cette guerre et sur les situations en 1943 et présente. Il convient tout de même de dénoncer cette jonglerie, ces sauts périlleux qui permettent à un Lucain de s'abriter derrière le schéma de Lénine :
1. Lucain rejette le mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" alors que, pour Lénine, les deux choses, schéma et mot d'ordre, sont absolument inséparables.
2. Ils sont applicables non après la fin de la guerre mais en plein cours pour "transformer" celui–ci (comment
Lucain peut–il en effet affirmer que "l'économie de guerre bat de l'aile…" et que c'est quand elle a "épuisé ses possibilités" que le prolétariat apparaît "en tant que classe luttant pour ses intérêts propres…", et concilier ce galimatias avec la position conséquente de Lénine ?). Que veut en effet "transformer" Lucain une fois la guerre terminée ? Il veut en réalité faire prendre des vessies pour des lanternes, des Lucain pour des marxistes.
"Les événements d'Italie en 1943–45, les grèves aux USA et en Angleterre, les luttes en Indochine, en Indonésie, en Iran, en Palestine, en Syrie, au Maroc démontrent la justesse du schéma de Lénine."
Lucain dit "les événements d'Italie en 1943–45…" mais il les a déjà dénaturés en affirmant l'inverse de ce qui s'y est présenté, à savoir que "… l'économie de guerre y avait épuisé ses possibilités" alors que c'est le prolétariat qui est entré violemment sur l'arène historique. Cela n'empêchera pas le courant vercesien d'affirmer plus tard qu'il n'y a jamais rien eu en Italie en 1943, que tout ce qu'on a dit est le simple produit de l'imagination de certains camarades, que "le fascisme est tombé comme un fruit pourri…" ; tout cela pour justifier au moment opportun 1 – "l'absence" pendant la guerre, 2 – la formation, à notre avis prématurée, du Parti en Italie.
"… les luttes en Indochine, en Indonésie, en Iran, en Palestine, en Syrie (…) démontrent la justesse du schéma de Lénine." Les grèves et les luttes ne "démontrent" rien du tout ; mais toute cette phraséologie, toutes ces jongleries, toutes ces entourloupettes, tous ces tours de passe–passe "démontrent" catégoriquement que Lucain prend ses lecteurs pour des imbéciles. Il prend "les événements d'Italie en 1943/'45 (…), les grèves aux EU et en Angleterre (…)" et les luttes de partout, il les met dans un sac sans en examiner seulement les tenants et les aboutissants, la nature de chacun. Il prend ce sac d'une main, de l'autre le schéma de Lénine et il dit : "Ceci démontre cela !"
Lucain est un impressionniste, il veut endormir son lecteur avec des phrases labyrinthes. C'est une tactique comme une autre.
Il n'y a qu'un seul fait qui démontre la justesse du schéma de Lénine : ce sont les événements d'Italie en 1943 et d'Allemagne en 1944. Eux ont une signification et peuvent démontrer que Lénine avait raison contre les Lucain qui, en 1917, attendaient la fin de la guerre pour reprendre l'activité "révolutionnaire". Les grèves aux EU n'ont pas une très grande signification encore :
Les grèves en Angleterre ont une plus grande signification. Elles sont faites en rupture directe d'avec les organisations syndicales inféodées au gouvernement travailliste.
Quant à ce que Lucain appelle "les luttes" en Indochine, en Indonésie, en Iran, en Palestine, en Syrie, au Maroc (on peut ajouter en Chine pendant qu'on y est), là Lucain laisse à son lecteur la liberté d'interprétation. Il faut bien que cet "imbécile" de lecteur ait un petit travail aussi à faire : la somme des devinettes que contient un article de Lucain en fait un morceau de choix, une sorte de "mots croisés".
De quelles natures sont les luttes dont il parle ? Il ne le dit pas. Mais comme il ajoute plus loin : "La guerre impérialiste de 1939–45 pour un nouveau partage du monde entre les trusts est en train de se transformer en guerre civile.", dans ce cas–là, il doit considérer les luttes dont il parle plus haut comme des manifestations du phénomène qu'il découvre, à savoir que la guerre se transforme en guerre civile.
La fausse analyse de la situation a conduit Lucain à l'inactivité pendant la guerre, sa fausse analyse actuelle le fait assister au schéma de Lénine d'un cours vers la guerre civile. Ainsi, lorsque apparaîtront les premiers bruits de guerre impérialistes, il pourra la prendre effectivement pour la révolution et y participer activement.
Pour l'instant, et bien qu'il vienne d'affirmer : "… la guerre impérialiste est en train de se transformer en guerre civile…", Lucain poursuit : "Dans celle–ci, la revendication prolétarienne se posant comme protagoniste de lutte pour le socialisme, n'apparaît pas encore avec la netteté qu'elle avait en 1917–23."
Lucain – qui se souvient après la bataille qu'il existait quelque part un schéma de Lénine et après avoir dit : "Après tout, puisque nous n'y avons pas appliqué le schéma 'pendant' la guerre, appliquons le 'après'…" – est tout étonné qu'un de ses tours ne réussisse pas.
"L'économie de guerre bat de l'aile…", "… l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités…", "… le prolétariat apparaît…" Mais tout à coup un ressort est cassé dans la magie oratoire de Lucain. Il dit "le prolétariat réapparaît" mais c'est juste au moment où celui–ci se cache à ses yeux et est en train de disparaître. Alors le camelot, jamais embarrassé et qui a plus d'un tour dans sa valise, dit simplement : "Il ne réapparaît pas avec la netteté…" de son apparition… de 1917–23.
Lucain joue à cache–cache avec le prolétariat. Quand celui–ci "apparaît", il est à la pêche et ne le voit pas. Quand il revient, le prolétariat, lui, s'en va. De quoi faire pâlir un prestidigitateur. Mais cela ne trouble pas un Lucain, il en a vu d'autres !
Pour nous qui avons vu effectivement le prolétariat présent, pour nous qui, à ce moment–là, voulions tenter l'ultime acte que tout vrai révolutionnaire devait tenter, c'est–à–dire "être" avec le prolétariat, pour nous qui étions les "aventuriers qui voulaient entraîner" les Lucain "dans des actions inconsidérées…", pour nous qui avons suivi pas à pas les défaites du prolétariat, pour nous qui avons lancé aux Lucain tous les avertissements dus au tragique de la situation, pour nous le "1917–23" a été écrasé en 1943–45 impitoyablement par les bourgeoisies.
Le cours ouvert est vers la guerre impérialiste et s'accentue. Il est donc normal que Lucain, bien qu'il écarquille les yeux de toutes ses forces, ne puisse pas voir le prolétariat "réapparaître" avec "netteté".
"Et elle ne pourra apparaître avec netteté (sans doute la revendication ?), le prolétariat ne pourra faire naître (de l'anarchie qu'envahit lentement et sûrement la société) une lutte cohérente dirigée vers la destruction de la société pourrie que s'il parvient (au feu des luttes) à forger son parti de classe qui pose la question du pouvoir."
Fin de chapitre. Lucain, après avoir "… replacé le problème sur son véritable terrain (…) et écarté la confusion…", conclue cette partie de son article en disant : "La revendication prolétarienne se posant comme protagoniste de la lutte pour le socialisme (…) ne pourra apparaître avec netteté (…) le prolétariat ne pourra faire naître une lutte cohérente dirigée vers la destruction de la société pourrie que s'il parvient à forger un parti de classe…"
Heureusement il ajoute : "…(au feu des luttes)". Mais… au feu de quelles luttes ? De celles de la nature de 1943 en Italie ? Des "événements de Grèce en 1944–45…" ? Ou bien des "luttes en Indonésie, en Iran, en Palestine, en Syrie, au Maroc, en Indochine…" ?
Au feu de quelles luttes forme–t–on le parti ? Au feu des luttes sociales ? 1943 en Italie ! Ou au feu des luttes inter–impérialistes ? Indonésie, Iran ! ! ! Palestine ! Syrie ! Maroc ! Indochine ! Grèce ! ! ! Lucain oublie tout simplement de nous en parler.
"Comment se fait–il que non seulement un petit groupe de militants a été capable de lancer le mot d'ordre du défaitisme révolutionnaire mais que des masses, des millions d'hommes en Russie et en Allemagne ont pratiqué le défaitisme révolutionnaire en 1914–18 alors que le prolétariat n'a pu le pratiquer en 1939–45 ?"
Mais cela voulait–il dire que les révolutionnaires devaient "aller aux fraises" ? Les vrais révolutionnaires devaient tout tenter ! Le faible poids qu'ils étaient dans la balance, ils devaient l'y mettre. Dans l'histoire, il suffit parfois de si peu pour changer tout un cours. La VOLONTÉ humaine a tant de force créatrice quand elle agit sur un terrain aussi fécond que celui de la lutte de classe. Mais à quoi bon ! Une telle "aventure" demandait des hommes et non des Lucain !
Alors les Lucain ont le cynisme de dire : "Il faut bien retenir ceci de 1914-18, c'est qu'en 1939-45 il était possible (tout autant que pendant l'autre guerre) que quelques militants lancent le mot-d'ordre."
"Mais…", mais Lucain, qui n'était pas là, dit : nous n'étions pas là parce que le prolétariat n'y était pas. Il dit :
"Il nous était impossible pendant cette guerre de lancer le mot–d'ordre, MAIS les conditions historiques (…) n'étaient pas réunies."
Les "conditions historiques" qui mettent fin à une guerre, Lucain les découvre dans la magique boite de "l'économie de guerre" ; et "de ce fait", "il saute aux yeux que… " Lucain ne peut pas voir ce que le prolétariat vient faire là–dedans.
"Quelles sont donc ces conditions historiques qui ont empêché le prolétariat de rompre l'Union sacrée tant que l'économie de guerre pouvait fonctionner ?
Et quelles sont "ces conditions" qui permettaient à l'économie de guerre de fonctionner ? Et celles qui pouvaient l'empêcher de fonctionner sinon le prolétariat lui–même en tant que facteur déterminant du "fonctionnement" économique du capitalisme ?
"En 1914–18, la guerre avait éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les prolétaires opposèrent pendant quelques jours des manifestations de rue à la guerre. Dans le Reichstag allemand, Liebknecht sauva l'honneur du prolétariat allemand en votant contre les crédits de guerre. Tout au long de la guerre, Luxemburg et Liebknecht menèrent la lutte. Des grèves éclatèrent en 1917 en Allemagne. En Russie existait un Parti bolchevik cohérent et révolutionnaire. Dans cette guerre, rien de pareil. La guerre ne s'est déclenchée que lorsque, au travers d'une lutte de 20 ans, la bourgeoisie était parvenue à désarmer complètement le prolétariat, à le détourner complètement de son chemin de classe, à lui faire partager à l'avance l'idée de la guerre."
"En 1914–18 la guerre avait éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein." ? C'est Lucain qui est un serein ! En 1914, comme en 1939, c'est grâce à l'embrigadement idéologique du prolétariat que la bourgeoisie a pu faire la guerre. En 1914 c'est la trahison de la 2ème Internationale qui permit aux bourgeoisies de mobiliser les ouvriers pour la défense de la patrie – les partis sociaux–démocrates étant pour la défense des patries et l'arrêt de la lutte de classe pendant la guerre.
"Dans cette guerre, rien de tout cela" ? En 1939, c'est effectivement au bout d'une lutte de 20 ans que le prolétariat est mobilisé dans la guerre. Mais alors qu'en 1914 les recrues partent au front avec "la fleur au fusil", "faire la guerre en dentelles", dans un délire d'enthousiasme, sûres que "ça ne durera pas plus de 15 jours", en 1939 les hommes qui partent savent quelle signification a la guerre ; et français et italiens ne font pas de "bons soldats". En 1940 les soldats français ne se battent pas ; quant aux italiens il fallait toujours plus de divisions "alliées" pour les soutenir que de divisions ennemies pour les faire battre en retraite. Dès 1943 apparaissent dans les armées russes, allemandes et américaines les premières grandes désertions. Dès 1943 les ouvriers ne travaillent plus qu'à un rendement qui diminue sans cesse.
Mais la bourgeoisie sait que la transformation de la guerre en guerre civile en Europe à cette époque, avec la force qu'aurait représenté un tel mouvement et la dynamique révolutionnaire qu'il était capable de transmettre à tous les peuples opprimés voisins, la bourgeoisie sait que le seul moyen qui peut la sauver est l'écrasement complet et rapide avant même qu'il n'ait le temps de s'étendre et surtout de se révéler en tant que mouvement conscient et organisé.
"Dans cette guerre, rien de pareil" (qu'en 1914–18), affirme Lucain.
Au contraire, dans cette guerre –ci, les grandes lignes du processus qui avait eu lieu pendant l'autre se sont reproduites à peu près. Les seules différences c'est qu'en 1917 ce processus a duré 6 ans, et cette fois–ci environ 1 an et demi, c'est que cette fois–ci il y avait beaucoup plus de Lucain que de Lénine, de Liebknecht et de Luxemburg. Enfin tout ce processus a eu lieu pendant que Lucain étudiait le "vercesisme".
Et voilà Lucain content de lui ! Après avoir débité de telles sornettes et mandé tout cru de "l'aventurier", il se retourne fulminant contre les trotskistes auxquels il envoie ses dernières cartouches.
"Le cheval de bataille de la guerre impérialiste de 1939–45 a été le front unique politique.
Celui–ci a été accepté par les ouvriers au nom de la défense de l'URSS… (…) Et le parti «le plus à gauche», les trotskistes, était précisément pour le front unique et pour la défense de la Russie."
Lucain passe sous silence les fronts uniques que la FB a fait elle–même et ceux sur lesquels elle est en grande partie responsable (le moins qu'on puisse en dire) : la proposition d'un journal en commun faite par la FB aux mêmes trotskistes et le Comité Antifasciste de Bruxelles dont Vercesi (dont Lucain est un sous–produit) était le président et rédacteur du journal antifasciste "L'Italie de Demain". Ce qui n'empêche pas Lucain de dire sans ambiguïté :
"La guerre n s'est déclenchée que lorsque, au travers de 20 ans de lutte, la bourgeoisie est parvenue à désarmer complètement le prolétariat, à le détourner complètement de son chemin de classe, à le faire partager à l'avance l'idée de la guerre."
"En Allemagne et en Italie cela se fit par le massacre physique dans les camps de concentration, par la suppression des syndicats et des partis. Ailleurs cela se fit par l'antifascisme, par la politique du front unique politique."
D'un côté (pour "la masse des imbéciles"), on affirme des positions politiques et on accuse les autres, tels les trotskistes, d'avoir aidé idéologiquement la bourgeoisie à embrigader le prolétariat dans la guerre et, de l'autre, on pratique cette même politique ! Inutile de dire que les critiques venant de telles sauterelles doivent faire trembler les trotskistes de Belgique. Il est vrai que ces derniers sont eux–mêmes incapables de répondre à des Lucain.
Au royaume des Lucain les girouettes sont reines !
"Ainsi, conscients de la justesse du schéma de Lénine qui est en train de se réaliser sous nos yeux…" et sortant de son "chez moi", Lucain invite les ouvriers belges à former le Parti de classe du prolétariat !
(Il s'agit de la "Décadence du capitalisme" de l'Internationaliste – 8ème année, N° 2, février 1946)
"D'une façon générale, on s'en réfère aux chiffres de production de 1913 comme base de comparaison. Ce n'est pas par hasard. Dès 1910, l'impérialisme avait réduit le monde en esclavage. La crise de 1912–13 est le signal de la décadence du capitalisme.
Depuis ce moment, le monde entier est soumis au rapport capital–travail. Depuis ce moment, dans le monde entier, c'est la masse des salaires des ouvriers qui constitue le pouvoir d'achat global.
Or, comme l'ouvrier produit une valeur supérieure à son salaire, la masse des produits représente le double ou le triple du pouvoir d'achat. Depuis ce moment, le capitalisme est en état de crise permanente."
Pauvre Lucain ! Tout ça danse, danse dans sa tête et voilà le résultat : "Depuis ce moment (depuis la crise de 1912–13), le monde entier est soumis au rapport capital–travail. Depuis ce moment, dans le monde entier, c'est la masse des salaires des ouvriers qui constitue le pouvoir d'achat global."
Sur quoi repose la crise permanente du capitalisme ? Sur le fait, d'après Lucain, que les ouvriers produisent deux ou trois fois la valeur de leur pouvoir d'achat et que le pouvoir d'achat, "le pouvoir d'achat global…", est constitué par la masse des salaires des ouvriers. C'est pourquoi, "… d'accord entre eux…", les capitalistes se font la guerre.
En effet, "… les ouvriers produisant deux ou trois fois plus que leur pouvoir d'achat…", le surplus ne pouvait être accumulé sans cesse ; il fallait bien en faire quelque chose. Alors Lucain nous montre comment d'abord le capitalisme "brûle le café et le blé, arrache des centaines de milliers de plans de cotonniers pendant qu'on tuait des centaines de milliers de têtes de bétail pour les laisser pourrir sur place…" (les têtes !) et c'est sans doute parce que le procédé n'est pas assez violent que la capitalisme "d'un commun accord s'est décidé à armer «les ennemis héréditaires» (…) pour qu'on en finisse une fois pour toute avec ce surplus de travail produit par les ouvriers et qu'ils ne peuvent consommer avec leur pouvoir d'achat.
C'est pour cela, c'est parce que l'économie de guerre était le seul moyen de sauver le capitalisme après 1929 que tous les pays ont armé l'Allemagne et le Japon. Malgré qu'il y a des rivalités inter–impérialistes entre eux, les capitalistes ont été d'accord pour armer les «ennemis héréditaires»."
Comme le dit Lucain : "Un système qui aboutit à de telles abominations doit disparaître de la surface de la terre…"
Malheureusement toute cette lucanerie ne tient pas debout. Où Lucain a–t–il vu que :
1. Les capitalistes qui font produire les ouvriers n'ont d'autre possibilité que de détruire tout ce qui n'est pas consommé par la "masse des salaires des ouvriers" ?
2. En réalité, les capitalistes ne détruisent pas pour le plaisir de détruire. La destruction est un produit du capitalisme et on peut dire la contradiction la plus grande qu'il contienne ; le capitalisme étant à l'origine créateur de richesses.
3. Enfin, l'affirmation : "c'est la masse des salaires des ouvriers qui constitue le pouvoir d'achat global" est la négation même des enseignements du "Capital". C'est la non compréhension de l'alpha–béta du Marxisme.
Il est absolument nécessaire, pour nous, de nous arrêter encore une fois sur ce problème fondamental et cela aussi longtemps que des Lucain enseigneront à la classe ouvrière un Marxisme "arrangé", "interprété" et "mis en cause". Tout d'abord Lucain fait une découverte formidable qui bouleverse le Marxisme et Lucain lui–même : "Depuis ce moment, le monde entier est soumis au rapport capital–travail (depuis 1912–13)."
Les phrases éthérées et vaporeuses de Lucain prêtent à confusion :
1. Veut–il dire par là que, depuis la crise de 1912–13, le monde est conquis par le système de production capitaliste et que plus un pouce de terrain, de sol ne reste vierge de la domination du capital ? Dans ce cas–là, pourquoi ne le dit–il pas plus clairement ?
2. Lucain ne voit en réalité rien du tout ; il ne voit que des vapeurs, que de l'éther et il le couche sur le papier. Cela donne, pour le début de sa "Décadence du Capitalisme", une indication aussi précise que celle qui dirait : depuis l'autre guerre, les rapports humains sont essentiellement soumis aux rapports sexuels.
Marx a dit il y a un siècle : "Considéré comme une partie d'un tout, le procès de production capitaliste, en tant que procès de production, ne produit donc pas seulement des marchandises ni de la plus–value, IL PRODUIT ET REPRODUIT LE RAPPORT CAPITALISTE LUI MEME, TEL QU'IL EXISTE ENTRE LE CAPITALISTE ET LE SALARIÉ."(Le Capital – Tome IV, p. 28 –) ; et cela, pas seulement depuis la crise de 1912–13 ou la crise d'économisme de Lucain mais depuis que le système bourgeois capitaliste a remplacé effectivement le système féodal. Mais Lucain, bien qu'il ait mis 3 ans à lire "Le Capital", n'a rien vu de tout cela.
"Depuis ce moment (toujours depuis 1912–13), dans le monde entier, c'est la masse des salaires des ouvriers qui constitue le pouvoir d'achat global.
Or, comme l'ouvrier produit une valeur supérieure à son salaire, la masse des produits représente le double ou le triple du pouvoir d'achat. Depuis ce moment, le capitalisme est en état de crise permanente."
Que vient faire ici "le pouvoir d'achat" dont il parle ? Et pourquoi est–il constitué par "la masse des salaires" ? Ne cherchez pas ! Cela "découle" de "l'économie de guerre", la machine à hacher le Capital, l'éther de Lucain.
Dans la réalité des faits, "la masse des salaires des ouvriers" est une chose et "le pouvoir d'achat global (? ? ?)" dont parle Lucain est une autre. L'un ne "constitue" pas l'autre et ne "produit" ni "la décadence du capitalisme" ni rien du tout de ce que Lucain nous jette à la figure.
Marx perd son temps, pendant plusieurs livres du Capital, à démontrer que "la masse des salaires des ouvriers" est uniquement destinée à faire reproduire la force de travail de ces ouvriers, comme le fourrage qu'on donne aux vaches leur sert à se nourrir pour donner leur lait, faire leur veau et avoir, si besoin est, la force de traîner la charrue ; et cela jusqu'au jour de leur transformation en viande de boucherie. Marx insiste là–dessus avec force. De même qu'il dit que ce qui primitivement est un échange entre le capital et le travail (d'une force de travail avec sa valeur comme moyen de reproduction) devient une fiction par la suite. La valeur réelle de la force de travail devenant elle–même une fiction, le salaire devient uniquement un entretien de la force de travail par la classe capitaliste.
"A l'origine il ne s'agissait que d'un échange d'équivalents. Actuellement cet échange n'est plus qu'apparent : la partie du capital échangée contre la force de travail n'est qu'une simple partie du produit fini par le travail d'autrui et approprié sans remise d'équivalent ; en outre, l'ouvrier, le producteur de cette partie du capital, doit la remplacer par un nouveau surplus de travail. Le rapport d'échange entre le capitaliste et l'ouvrier n'est donc qu'une simple apparence faisant partie du procès de circulation ; ce n'est plus qu'une forme absolument étrangère au fond et constituée par l'achat et la vente sans cesse renouvelés de la force de travail." (Le Capital, tome IV)
Le capital variable, part de capital investie dans l'entretien et la reproduction de la force de travail, perd tout caractère d'échange d'une valeur à une autre pour devenir uniquement l'entretien et la reproduction de la machine humaine : force humaine de travail.
Dans le procès de reproduction, les capitaux réinvestis, la plus–value capitalisée se grossissent d'une manière de plus en plus rapide du fait de la multiplication par eux–mêmes de ces capitaux dans leur réinvestissement ininterrompus, pendant que le capital variable n'augmente d'abord que d'une façon très peu sensible et finit par rester à peu près identique à lui–même. Pendant ce temps–là, c'est le cours ininterrompu de l'accumulation et de la reproduction capitaliste qui produit un écart grandissant entre d'une part le capital variable et d'autre part la plus–value.
Le travail produit par l'ouvrier est approprié entièrement par le capitalisme, le capital variable étant extirpé aux ouvriers au cours d'un cycle de production donné en vue de servir à l'entretien et à la reproduction de la force de travail au cours du cycle suivant. Dans ces conditions, le capitalisme n'attend pas après le pouvoir d'achat constitué par la partie de capital variable qu'il paie en salaire aux ouvriers pour subsister en tant que système.
[Une autre partie du capital variable, qui tend à augmenter dans la période présente, étant investie en dispensaires, terrains de sport, etc. Cela ne change rien à la chose en soi. Au contraire, elle permet sous ce prétexte de réduire plus que de mesure l'autre partie versée sous forme de salaires.]
Le capitalisme n'attend pas après "la masse globale des salaires" pour vendre ses marchandises sur le marché et cela pas plus depuis "la crise de 1912–13" qu'avant. NON Lucain ! Le marché du capitalisme n'est pas conditionné par la présence "d'une masse globale des salaires". La "masse des salaires" est, grâce au marché, au contraire, récupérée en partie. En effet, l'ouvrier touche un salaire en monnaie dévaluée. Quand il achète sur le marché les produits nécessaires à l'entretien et à la reproduction de sa force de travail, il fait une opération qui permet au capitalisme de récupérer une partie de ce salaire à l'aide d'impôts directs ou indirects, de taxes, etc. Il faut donc chercher ailleurs "le pouvoir d'achat global".
Des Lucain, tenant un raisonnement inverse et cherchant également d'où vient "le pouvoir d'achat global", le trouvent constitué par la plus–value consommée par la classe bourgeoise capitaliste. Ce raisonnement ne tient pas plus debout que le précédent et perd de vue un tout pour une de ses innombrables parties. "La masse globale des salaires" en système capitaliste est une partie, une infime partie de ce tout ; la plus–value dépensée par les capitalistes et la classe bourgeoise, pour ses plaisirs et ses fastes, une autre partie. Mais ces parties sont encore tout à fait insuffisantes à la constitution de ce tout, de ce "pouvoir d'achat global". Ce terme même de "pouvoir d'achat global" est impropre et doit être de suite rejeté comme il sera démontré par la suite.
Ce schéma est une abstraction mais est nécessaire à la compréhension du procès de reproduction et de reproduction élargie. La production capitaliste se divise en deux secteurs :
Dans les deux secteurs il y a le même processus capitaliste de la production :
Dans le procès de reproduction, et dès que l'on fait mettre ce schéma abstrait en mouvement, qu'on fait vivre les différentes branches du système capitaliste, on s'aperçoit que :
1– les deux secteurs de la production sont complémentaires et vivent l'un de l'autre. Les capitalistes et les ouvriers du secteur moyen de production achètent dans le secteur moyen de consommation ce dont ils ont besoin. Les capitalistes du secteur moyen de consommation achètent dans le secteur moyen de production ce qui est nécessaire à l'entretien de leur capital constant.
2– Dans chaque secteur :
La reproduction capitaliste consiste à faire vivre et se compléter les différents secteurs de la production.
"Considérée au point de vue concret, l'accumulation n'est que la reproduction du capital sur une échelle progressive. Le cercle de la reproduction simple se modifie et, suivant l'expression de Sismondi, se change en spirale." (Le Capital, tome IV)
Tout le secret de la crise permanente du capitalisme est contenu dans cette spirale. Cette spirale qui a tendance à se développer à l'infini et qui rencontre un jour les limites de la surface de notre globe terrestre.
Le système capitaliste c'est la recherche sans cesse accrue de profits et de sources de profits. C'est, partant de cette recherche de profit par tous les moyens, (ce qui fait) que la société bourgeoise a pu être, pendant un temps, un facteur progressif. Mais elle a été un progrès d'une façon indépendante de sa volonté, parce qu'elle n'a pas recherché le progrès pour le progrès mais pour s'enrichir avec une rapidité sans cesse accrue. Cela a permis à la société de s'enrichir indépendamment de la volonté de la bourgeoisie, comme cela amène aujourd'hui la destruction de la société de la bourgeoisie indépendamment de sa volonté, mais comme produit de sa course folle vers l'enrichissement anarchiste des capitalistes. Aujourd'hui cette course effrénée vers l'enrichissement n'est plus tellement la volonté de capitalistes individuels que les besoins pléthoriques crées par une classe capitaliste pléthorique. Dans la période décadente, les bénéficiaires du régime ne sont plus tant quelques individus mais une masse d'individus parasites qui vivent du maintien du régime lui–même. Quoi qu'il en soit, rien de changé à la nature capitaliste de la société et à la recherche sans cesse accrue de profits.
Primitivement l'élargissement de la reproduction n'a été possible que grâce à cette course infinie vers la réalisation de profits. Le Capital Social Total (considéré avec ses secteurs dépendants) produit une partie de plus–value qui ne sert pas à l'entretien de la classe capitaliste. Cette part de plus–value grandit au fur et à mesure de l'élargissement de la (production) reproduction, comme la spirale s'élargit sans cesse vers l'infini. Cette part de plus–value est accumulée et réinvestie dans la production. Mais, (c'est là que commence la course illimité) à chaque réinvestissement d'une part accrue de plus–value accumulée il faut de nouvelles machines, de nouvelles usines, il faut un élargissement équivalent de capital constant et de capital variable des deux secteurs de la production capitaliste.
Tant que le capitalisme est à la conquête du monde, qu'il est pionnier et trouve de nouvelles possibilités d'élargissement de sa production, il sert la société parce qu'il défriche des secteurs encore incultes. Mais du jour où la spirale du Capital Social Total, défrichant et envahissant toutes les parties du monde, rencontre ses limites, il cesse d'être constructif et devient destructif. La construction s'est faite pendant le premier stade grâce à la force de travail non payée extirpée à des couches de travailleurs sans cesse grandissantes.
Voyons la deuxième période ! Si la société capitaliste était une société organisée non pour la recherche exclusive de profits mais pour le bien de l'humanité et pour la civilisation, elle aurait compris que cette course devait se ralentir puis s'arrêter au profit de la société toute entière.
Mais le Capital Social Total n'est qu'une abstraction, la totalité d'efforts anarchiques complémentaires (dans une certaine période) dans une certaine mesure, tant que le tout ne se heurte pas dans sa course vers l'infini à une limite d'une surface fermée. Dès ce moment, les efforts qui ont pu paraître complémentaires continuent tous, se redoublent du fait des difficultés naissantes. Dès ce moment, le heurt se produit entre les différentes individualités qui constituent ce monde anarchique. Ce qui n'était primitivement qu'une spirale, ce qui paraissait n'agir que comme un tout explose en des centaines de petites spirales qui essaient de se développer l'une au détriment de l'autre, qui se mangent entre elles mais qui poursuivent jusqu'au bout et malgré leur tendance à l'élargissement sans cesse accru. Les blocs se forment, les rivalités inter–impérialistes (qui s'étaient déjà produites dans cette course à l'enrichissement) se heurtent ce coup–là avec une violence décuplée. La vie des une est conditionnée par la disparition des autres. Le plus fort mange le plus faible. Quand celui–ci se laisse faire, il est happé sans bruit ; quand il pense avoir la force de résister, quand il refuse, c'est la guerre.
Du fait que Lucain n'a rien compris au procès d'accumulation et de reproduction élargie, il en vient à prêter au capitalisme des intentions que seul un être organisé et conscient pourrait avoir : "Le capitalisme n'a pu sortir de la crise de 1913 et plus tard de 1929 qu'en instaurant l'économie de guerre."
L'économie de guerre n'est "instaurée" par personne. Le militarisme et la production de guerre ne sont que des effets de l'exacerbation de plus en plus grande et de plus en plus aiguë des contrastes inhérents au capitalisme : des contrastes inter–impérialistes et de contrastes sociaux. L'accroissement des contrastes produit l'accroissement des appareils militaires. La puissance des blocs produit la violence des chocs. La destruction est le produit de l'anarchie des volontés qui subsistent de perpétrer un système d'exploitation d'une classe pour l'enrichissement d'une autre.
"Le capitalisme n'a pu sortir de la crise de 1913 et plus tard de 1929 qu'en instaurant l'économie de guerre." Le capitalisme, quand il est entré dans la crise permanente, n'a pu sortir d'une crise que pour retomber dans une plus grave et plus profonde. La production de matériel de guerre n'est pas une tentative du capitalisme pour résoudre sa crise mais un effet de sa crise et ne correspond à aucune volonté du capitalisme, qui n'est pas un individu "en soi" possédant une volonté.
"Dans celle–ci (l'économie de guerre de Lucain), le manque de pouvoir d'achat est supplée par l'intervention de l' État. Celui–ci crée du crédit et de la monnaie papier pour remettre l'économie en marche." Somme toute, si nous devons croire Lucain, "le pouvoir d'achat global étant insuffisant, l' État capitaliste fait de la monnaie papier pour acheter le produit du travail des ouvriers. Curieuse façon d'envisager, en le regardant à l'envers, un phénomène qui porte nom : inflation !
"Quand l' État capitaliste achète, il ne peut acheter n'importe quoi." "Il doit acheter du matériel industriel. Ce n'est pas en plantant des choux que le capital fait des bénéfices. C'est en faisant tourner ses machines. L' État ne peut acheter n'importe quel matériel industriel : il doit acheter du matériel qu'il puisse employer, du matériel de guerre. "Pourquoi "doit"–"il" ? Lucain ne nous en souffle mot. Il se contente de dire : "… ce n'est pas en plantant des choux que le capital fait du bénéfice…" N'en déplaise à Lucain, certains capitalistes réalisent des profits en faisant planter des choux. Et si l' État pousse à fond la fabrication de matériel de guerre, ce n'es pas "pour faire tourner ses machines", qui pourraient aussi bien faire des clous, des ustensiles de ménage ou des boites de lait condensé, mais parce que l'exacerbation des contrastes, des rivalités inter–impérialistes obligent l' État capitaliste à la production presque exclusive de matériel de guerre au dépend de toute autre production. L' État capitaliste qui achète du matériel de guerre pour le jeter dans la guerre impérialiste, c'est–à–dire dans la destruction, pourrait aussi bien, n'en déplaise à Lucain, acheter des choux et les laisser pourrir. Ce dont Lucain ne parle pas trop c'est que l' État capitaliste, qui achète du matériel de guerre, a un mobil dans cet acte : c'est dans le but d'imposer sur le marché sa production ; c'est pour vendre sa production de choux, de boites de conserves, de clous, de canons, de machines–outils, de pièces de tissu, de tanks, que l' État capitaliste entretient un appareil militaire. C'est pour défendre le placement sur le marché de cette production qu'il engage la guerre impérialiste avec un autre bloc qui, lui–même, veut y imposer la sienne.
"C'est pour cela, c'est parce que l'économie de guerre était le seul moyen de sauver le capitalisme après 1929 que tous les pays ont armé l'Allemagne et le Japon. Malgré qu'il y a des rivalités impérialistes entre eux, tous les capitalistes ont été d'accord pour armer les «ennemis héréditaires»."
Que penseriez–vous de l'image suivante ? Trois bandes de gangsters se disputent dans une ville le marché de la contrebande. Leur concurrence devient intolérable. Ils ont respectivement des stocks qu'ils ne peuvent écouler et qui ne cessent de s'accumuler. La lutte devient chaque jour plus âpre entre eux et prend un caractère violent. Des coups de feu partent.
Lucain, l'humoriste incompris, verrait le conflit se développer autrement. Il verrait les chefs des 3 bandes se réunir et se dire : "Il n'y a qu'une méthode de nous sauver, c'est de nous vendre mutuellement des armes et de nous faire la guerre. De cette manière nous atteindrons deux buts (les principaux que nous cherchons à atteindre) : réaliser des bénéfices et nous détruire réciproquement «d'un commun accord»."
Les faits en réalité se passent autrement entre nos 3 bandes. Si des armes sont vendues et des bénéfices réalisés avec, ce n'est pas d'un "commun accord". Mais il peut très bien arriver que l'une des 3 bandes, dans le but de réaliser des bénéfices, fasse de la contrebande d'armes et en vende également aux "ennemis héréditaires", non "d'un commun accord" mais dans le but principal de faire se détruire entre elles les deux autres bandes. Dans ce cas–là, le but à atteindre a toujours été : réaliser des bénéfices sur la vente des armes et la destruction d'un adversaire ; mais au lieu de se réaliser "d'un commun accord" des 3 bandes entre elles, le "commun accord" momentané et apparent de deux des bandes entre elles ne fait que cacher le jeu de leurs rivalités et leurs calculs tendent toujours vers les deux buts : réaliser des bénéfices et éliminer ses adversaires du marché.
Passons du domaine de l'image au domaine concret ; Lucain, l'humoriste es-économie, voit :
C'est pour cela, c'est parce que l'économie de guerre était le seul moyen de sauver le capitalisme après 1929 que tous les pays ont armé l'Allemagne et le Japon."
"Malgré qu'il y a des rivalités impérialistes entre eux, tous les capitalistes ont été d'accord pour armer les «ennemis héréditaires»…".
La sauterelle humoriste saute l'histoire compliquée de 20 ans de rivalités inter-impérialistes et, se moquant de toute vérité, déclare : "tous les capitalistes ont été d'accord".
Lucain ne se moque pas que de l'histoire et de la vérité, il se moque aussi et surtout de ses lecteurs. L'analyse de l'histoire "lui donne des vapeurs" (Lucain dixit – voir "Lucain et les «imbéciles»") ; trancher et dire que "tous les capitalistes ont été d'accord" simplifient énormément le travail de son cerveau et empêchent ainsi les "bouillonnements" de se produire.
Après la guerre de 1914-18, l'Allemagne est secouée par les spasmes d'une crise économique et sociale. Le prolétariat allemand victorieux signifierait pour la bourgeoisie une défaite peut-être irrémédiable. La bourgeoisie -qui n'a pas réussi, malgré tous ses efforts, à empêcher la victoire du prolétariat russe- comprend l'ampleur du désastre qui pourrait résulter pour elle d'une victoire du prolétariat allemand. Mais là n'est pas une raison suffisante. Si la bourgeoisie a contribué au relèvement économique de l'Allemagne (de la puissance industrielle allemande et, par-là, de la bourgeoisie allemande), il y a de multiples raisons ; et le but d'écraser le prolétariat allemand n'en est qu'un parmi tant d'autres. Ce but n'était d'ailleurs pas le fruit d'un "commun accord" entre les bourgeoisies mais le produit de l'instinct de conservation d'une classe qui est capable de tout quand elle sent inconsciemment sa puissance en danger.
Quelles étaient ces raisons multiples ?
1. L'Angleterre ne veut pas avoir sur le continent un impérialisme français fort. Elle le veut à sa merci. Après 1918 l'impérialisme français redresse la tête et, malgré ses pertes colossales, devient d'une arrogance dangereuse. "Diviser pour régner" est la devise des grands impérialismes. Une Allemagne forte était nécessaire en Europe pour contrebalancer la puissance française qui redressait la tête. Avec cela, l'Angleterre espérait pouvoir contrôler la vassalité d'une Allemagne social-démocratique. (Quand nous disons Angleterre nous sous-entendons que l'Angleterre est la succursale en Europe du bloc financier anglo-américain.)
2. Le jeu du capitalisme financier a permis le relèvement de l'Allemagne parce que celui-ci y voyait une "bonne affaire". La "bonne affaire" s'est ensuite retournée contre lui : le capital financier, par ses investissements en Allemagne, permet le relèvement de son capital industriel qui se libère violemment de son contrôle par l'arrivée de Hitler au pouvoir. Le capitalisme financier a contribué au relèvement de l'Allemagne mais l'Allemagne s'est relevée plus qu'il ne l'aurait voulu, au point de devenir un réel danger pour lui.
3. Le capitalisme industriel allemand avait à lutter contre les "ploutocraties" d'une part et de l'autre contre le "géant de l'Est", "le rouleau compresseur russe". Dans cette lutte il rencontrait en Europe des communautés d'intérêts avec tous les capitalistes industriels. Le capitalisme financier au contraire avait à s'inquiéter et de la puissance du "rouleau compresseur russe" et de celle du "fascisme allemand" allié spirituellement aux autres fascismes européens. Dans ce cas-là, il n'y a pour lui qu'une solution : amener les deux antagonismes à leur autodestruction.
4. L'Allemagne commence alors à mettre la main sur l'Autriche et la Tchécoslovaquie. Elle rencontre dans tous les pays de la part d'une certaine partie de la bourgeoisie "un complet accord" et même un soutien. Il s'agit du capital industriel européen qui étouffe et qui voit dans une victoire de l'Allemagne une possibilité d'écoulement de sa production. Le danger allemand se précise. La collision entre la Russie et l'Allemagne va-t-elle se produire ? L'accord germano-soviétique sur le partage de la Pologne vient encore une fois bouleverser les plans établis. Wall-Street est obligé d'avancer deux pions. L'Angleterre et la France déclarent la guerre à l'Allemagne. La situation prend alors pour le capital financier une tournure tragique. La Belgique et la France sont envahies sans coup férir après un hiver de "drôle de guerre". Une partie de la bourgeoisie grosse-industrielle française avait effectivement "préparé" l'arrivée des "barbares teutons".
5. L'Angleterre mal armée court en 1941 un danger de mort. L'Amérique comprend qu'elle doit s'armer rapidement pour faire face à toute éventualité. En Angleterre, succursale de Wall-Street, pas de "trahison" ; au contraire, résistance opiniâtre, acharnée. Il ne s'en faut que de très peu pour que les SS débarquent à Londres et y défilent en chantant le "It's a long way to Tipperary…"
6. Hitler - qui avait d'abord compté sur l'accord des anglais pour écraser la Russie, puis qui est obligé de composer avec elle contre les anglais – compte faire comme il a fait jusqu'à présent : il compte sur la surprise et sur la rapidité de ses panzer-division en pour envahir la Russie et se servir contre les anglo-américains des ressources de son sol, ressources qui lui font défaut.
7. Hitler dans les bassins du Donetz, dans ceux du Caucase, Hitler maître des pétroles du Caucase et de la route des Indes, voilà ce que le capital anglo-américain ne peut accepter au risque de mourir. Les soldats russes ont montré qu'ils savaient mourir en défendant la patrie russe et le Kremlin puisqu'ils ne demandent que du matériel pour mourir pour Wall-Street ; il ne s'agit que de leur en fournir pour se servir d'eux contre l'ennemi public n° 1 : Hitler, champion de "l'Europe nouvelle", lire du capital industriel européen.
Un double but est atteint : l'usure d'un ennemi et la victoire sur un autre.
Hitler abattu, Lucain à la pêche, SEULS le défaitisme dans les armées et le réveil du prolétariat empêcheront les rivalités anglo-américaines/russes ; et la non-préparation de la Russie, fatiguée par la guerre, empêchera les antagonismes de se liquider immédiatement.
Quant au Japon, il vient là comme un cheveu sur la soupe. L'impérialisme japonais est en lutte contre l'impérialisme anglo-américain depuis que sa puissance industrielle lutte pour le marché asiatique contre le bloc anglo-saxon. La guerre sino-japonaise est la première étape de cette lutte et dure depuis 1932. La victoire momentanée de Hitler en Europe donne au Japon l'espoir de s'établir en maître incontesté de l'Asie, du Pacifique et de l'Océanie. Aujourd'hui nous voyons les américains faire du Japon, contre la Russie en Asie et dans le Pacifique, ce qu'ils ont fait en 1918 de l'Allemagne.
C'est ce que Lucain appelle "Malgré que…" (devant l'évidence des faits, il ne peut tout à fait les nier mais leur donner seulement un caractère secondaire) : Malgré qu'il y a des rivalités impérialistes entre eux, tous les capitalistes ont été d'accord pour armer les «ennemis héréditaires»." Nous ne savions pas que les sauterelles voyaient le monde à l'envers !
La soupe économique que Lucain nous sert et où il coupe en morceaux rivalités inter-impérialistes, rivalités entre les différentes formes de capital et la lutte de classes, il l'appelle "Economie de guerre" et il nous dit : "C'est pour cela, c'est parce que «l'Économie de guerre» était le seul moyen de sauver le capitalisme après 1929…"Ce qui amène l'autodestruction de la société, la sauterelle avec son système y voit le moyen de sauver le capitalisme "après 1929".
1929 ! Pourquoi 1929 ?
Parce que la guerre de 1914-18 - qui pour nous et pour les gens sérieux n'a été que le premier acte d'une tragédie dont cette guerre-ci n'a été qu'un deuxième acte et dont le troisième est en préparation – est pour Lucain autre chose.
En 1914-18 et en 1939-45, rien de commun pour Lucain ; en effet en 1914-18, c'est le "schéma de Lénine" qui est valable, tandis que grâce à la soupe "économie de guerre" qui ne commence, pour les besoins de sa cause, qu'en 1929 à "envahir le monde", c'est pour la guerre de 1939-45 le "chez moi de Lucain qui est seul raisonnable.
"Si, demain, les luttes que les ouvriers ont entamées aux quatre coins du monde peuvent être écrasées, il est peut-être possible que l'on connaisse une nouvelle période de prospérité artificielle comparable à celle de 1923-29. Mais elle se solderait beaucoup plus vite qu'alors par une nouvelle crise beaucoup plus grave et, à bref délai, par une nouvelle «économie de guerre»."
"Si demain…", quand ? – "les luttes…", quelles luttes ? – "que les ouvriers…", quels ouvriers ? – "ont entamées aux quatre coins du monde…", dans quels "quatre coins" de la sphère terrestre voit-il ces luttes et ces ouvriers ? Ces "quatre coins", ce sont Milan, Turin, Gènes et Venise ; le "monde , c'est l'Italie !
"… il est peut-être possible…" Les "si" et les "il est peut-être possible" sont les attributs du charlatanisme politique et sur lesquels on trébuche à chaque pas chez Lucain. C'est la "sortie de secours". "Si", par hasard, "je" m'étais trompé ; après tout, "il est peut-être possible que" même la sortie de secours de Lucain ne "sauve pas la face" de ses élucubrations.
Nous sommes en train de vivre non un 1923-29 mais un 1923-39 ; ce n'est pas la "Blitzkrieg", c'est la "Blitz-Paix". C'est parce qu'il y a une prospérité relative en Belgique que Lucain ne voit pas la famine qui règne en Europe et qui va en s'aggravant ; et qu'il croit à une prospérité comme celle de 1923-29. Il croit la famine d'Europe résorbable en régime capitaliste, en période de "décadence du capitalisme". Somme toute, les enfants croient bien au Père Noël, les vieilles femmes au "petit Jésus" et à la "Sainte vierge", les Lucain peuvent bien croire à la "PROSPÉRITÉ".
Les sauts acrobatiques précédents ne sont que des "raisonnements qui découlent…" de "l'erreur fondamentale" de Lucain. Ici nous en arrivons à "la porte de secours" qui donne sur un précipice. Lucain – qui a vu en 1943 "l'économie de guerre disparaître" en Italie, et en 1944-45 "l'économie de guerre battre de l'aile" en Angleterre et aux E.-U. – dit le 1er février 1946 sans transition : "…si demain… mais elle se solderait beaucoup plus vite qu'alors par une nouvelle crise beaucoup plus grave et à bref délai par une nouvelle économie de guerre?"
Lucain nous dit : "C'est seulement (en Italie) lorsqu'en 1943 l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités que le prolétariat réapparaît…" (Inter. N° 1 – "Le schéma de Lénine") ; mais il ne nous dit pas plus pourquoi "l'économie de guerre avait épuisé ses possibilités", ni pourquoi ni comment "le prolétariat réapparaît", pas plus que plus tard il ne nous dit dans le N° 6 (1/4/1946 – "Les syndicats à l'époque impérialiste" – 64ème ligne) pourquoi et comment "… en réalité les conditions historiques pour de grands développements révolutionnaires existent aujourd'hui…" et (76ème ligne) pourquoi il y a "nécessité pour le capitalisme de recourir à l'économie de guerre et impossibilité d'y recourir dans les circonstances actuelles…"
Pourquoi ? C'est parce que Lucain pose des postulats qui "découlent" de sa "machine à hacher" le Marxisme. Les "pourquoi" et les "comment" sont des questions qui sont inconnues à "l'économie de guerre". Molière a ridiculisé la médecine de son temps dans "Le malade imaginaire", surtout dans la scène où Toinette, faux médecin, vient "soigner" Argan (scène X, acte 3). Lucain semble vouloir faire sur ce modèle de l'économie humoristique. Il applique à tous les phénomènes le nom de "économie de guerre", à peu près avec autant d'opportunité que Toinette médecin s'écrie "le poumon" à chaque symptôme décrit par Argan. Un Lucain se contente de postuler. S'abaisser à la fastidieuse analyse et à la démonstration lui "donne des vapeurs" (Lucain dixit).
Nous avons essayé de faire entendre raison à tous ces Lucain depuis l'Etincelle N° 5 nous en sommes au N° 12). Depuis la Conférence de juillet 1945, dans nos bulletins théoriques, nous avons essayé de définir le plus clairement notre position sur ce cours qui va à la guerre. Notre position a été affirmée avec continuité.
Aujourd'hui 1er mai, des millions de travailleurs – mobilisés derrière les syndicats bourgeois et derrière les partis traîtres à la classe ouvrière – disent OUI à la politique bourgeoise, OUI à l'asservissement de l' État bourgeois, OUI À LA GUERRE.
Nous sommes en 1936 ! A la veille de Munich ! Les 4 représentants des impérialismes sont arrêtés déjà sur TRIESTE !
Alors Lucain dit d'avance (Inter. N° 5 du 15/3/46 – "La formation du parti de classe en Italie est-elle prématurée ?") dans un article indigne d'un militant révolutionnaire : "Si le Parti se crée et que les luttes des classes ne se produisent pas sur une grande échelle, sa formation aura été prématurée. Si les luttes des classes se produisent, elle aura été faite à bon escient…"
Il finit par avouer qu'il n'a aucune position que celle d'une sauterelle qui, après avoir gambadé dans les plates-bandes de l'Économie et de l'Histoire matérialiste et après avoir regardé à l'envers les faits économiques et historiques, finit lamentablement par : "Où allons-nous ? Guerre ou Révolution ? Stabilisation du capitalisme actionnant une économie de paix ? Stabilisation du capitalisme actionnant une économie de guerre ? La situation est remplie d'inconnues." Toute la phraséologie de Lucain, son ton élevé et doctoral, ses sauteries économiques et historiques ne sont que les produits "bâtards de la fantaisie historique et logique" du fond même de sa position qui est pour une fois exprimée avec clarté ! Lucain ne voit rien. Lucain ne sait rien.
Pour lui une seule chose compte ; tout ce qui a été fait a été bien fait : le "chez moi" pendant la guerre, la construction prématurée du Parti en Italie, la fausse analyse du caractère de la guerre de 1939-45, de la période de "décadence du capitalisme", du 1943 en Italie, du 1943-44 en Allemagne, de la situation actuelle, du cours vers la guerre impérialiste. Toutes ses "connaissances" en "littérature prolétarienne" et vercesienne ne lui servent qu'à démontrer qu'il a eu raison de raisonner faux.
Dans la fin de sa "Décadence", Lucain proclame au prolétariat : "Le seul moyen de sortir l'humanité de la barbarie actuelle est de réaliser la révolution prolétarienne axée sur les deux mots d'ordre centraux : Les usines aux ouvriers ! Suppression des frontières !"
Ces mots d'ordre sont les mots d'ordre de l'anarchisme, de l'anarcho-syndicalisme et surtout du CONFUSIONNISME dont le lucanisme est un produit élevé.
Mais quoi qu'en pensent le ou les Lucain, nous sommes encore loin de la période révolutionnaire. La période révolutionnaire complique extraordinairement le travail fractionne de discussion et de formation des cadres militants. Que les Lucain traitent un peu moins les autres groupes, quels qu'ils soient, de "trotskistes" ou de leurs "sous-produits" et qu'ils abandonnent eux-mêmes leur politique de bluff, de manque de loyauté politique et qu'ils reviennent, pendant qu'il est encore temps, à l'élargissement de la discussion et à la participation réelle à un travail de construction pour le "Programme de la Révolution".
Les Lucain doivent, de leur chaire, descendre dans le prolétariat.
Nous n'avons aucune prétention, ni individuelle ni d'imposer une "boutique". Mais nous sommes décidés à lutter jusqu'au bout quand nous pensons avoir des positions justes, non pour les imposer mais pour imposer qu'on les entende et qu'on nous y réponde. C'est le droit de chaque ouvrier et militant pour la révolution future et nous sommes en droit de mettre en doute l'honnêteté politique de ceux qui cherchent à étouffer, par tous les moyens et surtout par la calomnie et l'esprit de conciergerie, la voix de qui que ce soit, même s'il s'agit d'un soi-disant "fou" ou d'un "maniaque".
MARAT
[1] L'introduction à "Notre réponse" commence ainsi : "Une crise politique et idéologique a éclaté au sein de notre fraction ; une délimitation des responsabilités s'imposait sur le champ face à la tendance qui, à notre avis, a rompu avec les principes et la méthode d'analyse marxiste de la situation…
Dans le N° 11 de l'Etincelle, nous avons tenté de marquer l'orientation du cours actuel (Préparatifs en vue de la 3ème guerre impérialiste). Ce court article était plutôt un résumé des positions de la Fraction sur différentes questions historiques et périodes (notamment du 1943 italien à la période actuelle). La plus grande place tenue dans cet article l'était par une chronologie ennuyeuse mais nécessaire des événements depuis la conférence de Londres.
On ne peut malheureusement avoir la prétention de traiter à fond toutes les questions qui se posent ni même d'analyser profondément d'abord la situation internationale, ensuite la situation politique dans différents secteurs et pays et enfin la question à l'ordre du jour : les petites nations et les pays coloniaux. Il faudrait pour faire une étude complète plusieurs volumes étudiant la situation politique, ses rapports avec la situation économique, et enfin pour essayer de dégager une esquisse des tâches de l'avant-garde.
Un peu étourdis par les luttes électorales, par des phénomènes assez factices et voulant être bruyants, on a plutôt tendance à ne pas donner toute leur signification à des faits qui, bien qu'ils n'aient pas des manifestations aussi extériorisées que les premières, n'en sont pas moins d'une beaucoup plus grande importance.
En pleine période électorale nous apprenions que les accords de Postdam concernant la position des Alliés en Allemagne étaient dénoncés. Ainsi, même l'apparence d'un accord entre les Anglo-américains et les Russes sur la question la plus importante, sur la clé, sur le nœud des discordes qu'est l'Allemagne n'a plus besoin d'être. Ainsi le mince voile des soi-disant accords entre les deux blocs, nécessaire à tromper momentanément l'opinion publique (les gogos), n'a plus besoin d'être conservé. La situation est telle que l'on peut déchirer le voile qui estompait les désaccords devant une opinion publique déjà habituée et empoisonnée par le spectacle.
Avant c'était sous le voile : le sourire au cigare de Churchill, le sourire à la moustache de Staline et le sourire froid de Truman posant devant photographes et cinéastes ; avant c'étaient les discours pleins de bonhomie des dirigeants des gouvernements assurant les peuples de la paix éternelle et de progrès dans leur situation sociale. Maintenant il n'est plus question de tout cela ; maintenant le voile est déchiré totalement et l'on voit sur la scène internationale une partie acharnée où chacun, après avoir jeté les petites cartes, fait rentrer en jeu les grosses et abat ses atouts. Les joueurs en viennent aux menaces et les masses se groupent autour d'eux, prennent part et discutent sur le jeu et y participent.
Ce sont les croisières des grandes flottes de guerre, les "expériences" de Bikini, le raidissement de l'attitude de la diplomatie russe, marchant de pair avec le haussement de ton dans les journaux russes ou assimilés, déclarant qu'ils sont prêts à tout pour préserver le monde de la guerre, c'est-à-dire qu'ils sont prêts à faire la guerre.
Ainsi le jeu frénétique se poursuit ; tantôt ce sont les remous en Mandchourie, en Indonésie, aux Indes, en Iran, dans les pays arabes qui servent aux deux blocs pour se mesurer et abattre leurs cartes et qui déchirent peu à peu le voile, tantôt c'est la situation en Grèce, la question du Danube, de Trieste, de l'Espagne, de l'internationalisation de la Ruhr, des Détroits et enfin c'est le problème allemand, "le plus gros de conséquences pour la paix mondiale", qui se trouve mis en jeu.
Maintenant on se permet de poser l'ultimatum à la Russie : il faut signer la paix tout de suite, plus de reculade ou sinon…! Et qui pose le premier la question ? Georges Bidault quelques jours avant la campagne électorale en France ! Mais Bidault n'innove en rien ; Bidault n'agit pas de son propre chef, il ne fait que confirmer une orientation, que dire aux foules ce qui est déjà décidé à l'avance.
Les deux blocs sont en présence ; les deux mastodontes qui s'affrontent ont une puissance considérable l'un et l'autre ; le bloc anglo-américain a pour lui la suprématie technique et industrielle incontestable mais le système politique qui le régit ne lui permet pas d'engager la guerre d'une façon brutale même si la situation pour la guerre est là. Dès 1936, il y avait une situation pour la guerre mais il a fallu que les États "démocratiques" poussent les États "agresseurs" jusqu'au bout de leurs agressions (et même très loin) pour s'engager à fond dans la guerre. Ils n'y sont entrés que peu à peu et en montrant aux peuples que leurs libertés étaient en danger (au risque même de prolonger la guerre et de lui donner une tournure encore plus tragique que celle qu'elle a eu).
Mais si la puissance des EU et du bloc Anglo-américain (Canada, Chine, Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud, GB, France, Italie, etc.) est spectaculaire au point de vue militaire, est incontestable au point de vue technique et industriel, le bloc russe n'en est pas moins un morceau dur à avaler. Inférieur au point de vue industriel et technique, il constitue une masse formidable et a aussi des atouts importants dans son jeu :
1. Malgré la bombe atomique, la partie eurasienne sous le contrôle des Russes n'en reste pas moins une des plus grandes réserves d'hommes du monde et c'est, dans toute guerre, un facteur énorme (armée industrielle de réserve et armée tout court) jouant encore un rôle immense.
2. Le système politique qui régit ce bloc lui permet de disposer des masses d'hommes qui tombent sous son influence directe d'une façon totale et absolue, organisant le travail, les migrations humaines, disposant des peuples en faisant sur une grande échelle ce que Hitler et les nazis avaient ébauché.
3. Enfin, en menant une politique extérieure en faveur des "peuples opprimés" pouvant troubler les cartes de son adversaire, en se ménageant les frontières les plus névralgiques des atouts sérieux : aux Indes dont la frontière nord-est est commune avec celle du bloc Russe, dans les pays arabes et en Mandchourie.
La Russie n'est pas prête certes à faire cette guerre mais chaque jour qui passe lui permet d'accélérer ses mesures défensives et sont autant de victoires pour elle puisqu'ils lui permettront demain de tenir plus longtemps.
Mais la situation n'en est pas moins pour cela tracée dans l'avenir d'une façon absolue et immuable. Nous ne faisons que montrer l'orientation présente d'un cours. Depuis 1945 (ceux qui voudront bien se reporter à nos publications de puis un an pourront le constater) nous avons d'abord dit : Le cours vers la guerre est ouvert" ; puis nous avons constaté : "Le cours se précise et s'accentue" ; aujourd'hui nous disons : "Le mouvement du cours s'accélère…"
Nous ne ferons pas comme les trotskistes qui constatent d'une part un cours vers la révolution prolétarienne : "une longue perspective révolutionnaire" :
"Ainsi on ne saurait conclure sur le dynamisme véritable de la montée révolutionnaire en se limitant à l'échelle européenne et en notant simplement l'absence temporaire de la révolution allemande, si importante que puisse être cette absence.
Il s'agit actuellement d'une crise mondiale jamais atteinte dans le passé, d'une montée révolutionnaire mondiale qui, tout en mûrissant inégalement dans les différentes parties du monde, ne cesse d'exercer une influence réciproque d'un foyer à l'autre et détermine une longue perspective révolutionnaire." (publication de la 4ème Internationale – avril-mai 1946 – La Conférence Internationale d'avril 1946. La nouvelle paix impérialiste – Résolution).
Ce qui ne les empêche pas de dire dans le Manifeste de la même conférence :
"Seuls les États socialistes unis dans une Fédération Mondiale de Républiques Socialistes peuvent bannir la guerre pour toujours, organiser la production pour les besoins de l'humanité. (…) Seule une Fédération Socialiste Mondiale peut transformer l'énergie atomique qui menace à présent d'annihiler le genre humain en un bienfait…"
Autrement dit, pour les trotskistes comme pour les Lucain, comme pour les RKD, c'est une question, entre la Révolution et la guerre, de course contre la montre.
Pour les trotskistes c'est assez compréhensible et tient debout (bien que sur la tête) parce que se rattachant à toute une suite de positions fausses mais conséquentes ; nous voulons parler de leur programme transitoire qui est en train de se réaliser : gouvernement PS-PC-CGT, à la porte le MRP, et l'échelle mobile des salaires sur la base de 1943 (mot-d'ordre que la CGT est en train de prendre à son compte).
Sur le plan international, le "c'est la défense de l'URSS qui doit entraîner le prolétariat vers la Révolution" montre clairement qu'en réalité, pour les trotskistes, ce n'est pas une course contre la montre mais une interaction entre différentes positions réformistes et bourgeoises qui les conduisent vers la position centrale, la confusion ou la synthèse de la Révolution et de la guerre impérialiste. Cette position conséquente des trotskistes les "place" politiquement dans le camp de la bourgeoisie.
Mais pour les Lucain et pour le RKD c'est le manque de position réelle qui les fait envisager réellement la course contre la montre entre le cours révolutionnaire et le cours vers la guerre impérialistes (ces tendances étant contre la défense de l'URSS). Pour les Lucain et pour le RKD il n'y a aucune conscience réelle de ce que peut être un "cours historique". Un cours ne peut être à la fois un cours vers la guerre et vers la révolution.
Si le cours est vers la guerre, les phénomènes, les luttes que l'on peut constater sont ou bien des manifestations phénoménologiques du cours lui-même ou bien des sursauts du prolétariat vaincu. Si le cours est vers la Révolution, il faudra faire, dans les phénomènes politiques et sociaux de ce cours, une distinction entre les assauts du prolétariat et la réponse de la bourgeoisie. Mais il est absolument ridicule de vouloir voir les deux cours ensemble.
Il faut donc de nouveau affirmer qu'il y a une différence fondamentale entre les individus ou groupes qui misent sur tous les tableaux (manquant de positions politiques bien assises pour pouvoir dire finalement "nous avions raison", pour être sûr de ne pas se tromper) ; il y a une différence fondamentale entre les "ânes de Buridan" et nous qui, depuis un an, avons une position claire, définie, défendue mais qui affirmons : "Tout ce qui est rationnel n'est pas immuable…"
Demain un phénomène peut surgir absolument imprévisible, une grande épidémie, une grande sécheresse, une grande famine, un cataclysme géologique ou physique qui détermine dans une partie du prolétariat un soubresaut qui peut venir interrompre ce cours actuel, le retarder, le ralentir momentanément, en changer l'orientation actuelle. Il n'est pas question pour nous de nous ménager une porte de secours mais de montrer qu'il faut avoir une position (et la nôtre est suffisamment claire) ; il ne faut pas considérer l'histoire comme une mécanique que l'on remonte et qui marche (tic, tac, tic, tac…) son petit bonhomme de chemin mais comme quelque chose de vivant, de complexe dont le mouvement n'est pas ça mais l'interaction de mouvements dont le mouvement même de la lutte de classe n'est ni un départ ni un aboutissant. Considérer l'histoire comme un schéma, comme une mécanique marchant toute seule indépendamment du reste du monde et des mondes consisterait à avoir l'esprit obtus, borné et obnubilé, l'humanité comme un départ de tout, comme les premiers hommes qui voyaient le soleil tourner autour de la terre.
Pour le moment présent nous ne pouvons constater que l'apathie et l'apolitisme complet de la classe ouvrière dans le domaine conscient de sa lutte.
Pour le moment ce sont des couches retardataires, des couches petites-bourgeoises qui se laissent entraîner dans des actions politiques violentes derrière diverses formations politiques d'extrême droite, par exemple en Italie derrière les monarchistes, en France derrière les monômes du PRL. Ces manifestations n'ont d'ailleurs pas un caractère organisé ni profond mais sporadique et quelque peu burlesque, bouffon comme des expressions donquichottesques de tendances conservatrices bourgeoises qui s'agitent toujours dans les périodes et en l'absence d'un prolétariat révolutionnaire tendant à organiser sa lutte contre la classe bourgeoise en général et son État.
Il existe deux conceptions sur la formation du Parti, deux conceptions qui se sont heurtées depuis l'apparition historique du prolétariat, c'est-à-dire non son existence en tant que catégorie économique mais dans sa tendance à se poser en tant que classe indépendante ayant une fonction et une mission propre à assumer dans l'histoire.
Ces deux conceptions peuvent être résumées brièvement de la manière suivante :
La première conception, essentiellement subjective et volontariste, se rattache d'une façon plus ou moins consciente à une conception idéaliste de l'histoire ; le Parti cesse d'être déterminé, il devient un phénomène indépendant, libre, se déterminant lui-même et, de ce fait, le moteur déterminant de la lutte de classe, de l'évolution de la lutte de classe.
Nous trouvons des défenseurs acharnés de cette conception dans le mouvement ouvrier depuis sa naissance, tout au long de son long développement jusqu'à nos jours. Weitling et Blanqui furent les figures les plus représentatives de cette tendance à l'aube du mouvement ouvrier. Quelle que puisse être la grandeur de leur erreur et la critique sévère et méritée qu'en fit Marx, nous devons les considérer, eux et leurs erreurs, comme des produits historiques ; ce qui ne nous empêche pas de reconnaître, comme le fit Marx lui-même, leur immense apport dans le mouvement par leur valeur révolutionnaire incontestable, leur dévouement à la cause de l'émancipation et leur mérite de pionniers, insufflant partout et toujours dans les masses l'ardente volonté de destruction de la société capitaliste.
Mais ce qui fut un défaut chez Weitling et chez Blanqui, leur méconnaissance des lois objectives du développement de la lutte de classes, devait devenir chez les continuateurs de cette conception la base de leur activité. Le volontarisme se transformait chez ces derniers en un aventurisme caractérisé. Les représentants typiques sont incontestablement aujourd'hui le trotskisme et tout ce qui s'y rattache. Leurs actions et agitations ne connaissent pas d'autres limites que celles de leurs imaginations et caprices. On construit et on dissout des "partis" et des "internationales" à volonté ; on lance des mots d'ordre, on agite et on s'agite tout comme un malade pris de convulsions. Plus près de nous, nous trouvons les RKD et les CR qui, ayant séjourné trop longtemps dans le trotskisme d'où ils ne se sont dégagés que trop tard, reproduisent encore cette agitation pour l'agitation, c'est-à-dire l'agitation dans le vide, faisant en cela le fondement de leur existence en tant que groupe.
La deuxième conception peut être définie comme objectiviste et déterministe. Non seulement elle considère le Parti déterminé historiquement mais encore elle considère son existence et sa constitution déterminées aussi immédiatement, contingentement, présentement. Pour que le Parti puisse exister effectivement, il ne suffit pas de démontrer sa nécessité en général mais il faut qu'il repose sur des conditions présentes, immédiates telles qui rendent son existence possible et nécessaire.
Le Parti, c'est l'organisme politique que se donne le prolétariat, au travers de l'activité duquel le prolétariat unifie ses luttes et les oriente vers une lutte frontale en vue de la destruction de l'État et de la société capitaliste et en vue de l'édification de la société communiste.
En l'absence d'un cours de développement réel de la lutte de classe – qui a ses racines non dans la volonté des militants révolutionnaires mais dans la situation objective -, en l'absence des luttes de classe ayant atteint un degré avancé de crise sociale, le Parti ne peut exister, son existence est inconcevable[1].
Le parti ne peut se construire dans une période de stagnation de la lutte de classe. Il n'existe aucun exemple de constitution de parti révolutionnaire dans ces conditions dans toute l'histoire du mouvement ouvrier. Par contre l'histoire nous apporte une série d'exemples où les partis construits dans des périodes de stagnation ne parviennent jamais à influencer et à diriger effectivement les mouvements de masse de la classe. Restent des formations qui n'ont de parti que le nom et leur nature artificielle fait qu'au lieu d'être un élément du futur parti ils deviennent un handicap à sa construction. De telles formations sont condamnées à n'être que des petites sectes dans tout le sens du terme et qui ne sortent de leur état de secte que pour tomber ou dans l'aventurisme et le donquichottisme ou à évoluer dans le plus crasseux opportunisme. La plupart du temps, elles tombent dans les deux à la fois (voir le trotskisme).
II- La possibilité du maintien du Parti dans une période de reflux
Ce que nous venons de dire plus haut pour la constitution du Parti est également vrai pour le maintien d'un parti après des défaites décisives, dans une période de reflux révolutionnaires prolongée. C'est à tort qu'on citerait l'exemple du Parti bolchevik comme un démenti à notre affirmation, c'est là une vue formelle. Le Parti bolchevik qui se maintient après 1905 ne peut être considéré comme un PARTI mais comme une FRACTION du PARTI social-démocrate russe, lui-même disloqué en plusieurs fractions et tendances. C'est à cette condition que la fraction bolchevik pouvait subsister et servir de noyau central à la constitution du Parti communiste en 1917. Tel est le sens réel de l'histoire du Parti bolchevik.
La dissolution de la première Internationale nous montre que Marx et Engels ont eu une conscience aiguë de l'impossibilité du maintien de l'organisation internationale révolutionnaire de la classe dans une période prolongée de reflux. Il est vrai que les esprits bornés et formalistes voient dans la dissolution de la première Internationale l'effet d'une manœuvre de Marx contre Bakounine. Nous n'entendons pas entrer ici dans la question de procédure ni de justifier en tous points la manière dont Marx s'y est pris. Que Marx ait vu dans les bakouninistes un danger menaçant l'Internationale et avait entrepris une lutte pour l'écarter est absolument exact (et nous sommes de ceux qui estimons que Marx avait absolument raison sur le fond ; l'anarchisme a depuis eu l'occasion de révéler plus d'une fois sa nature idéologique foncièrement petite-bourgeoise). Mais ce ne fut pas ce danger qui le convainquit de la nécessité de la dissolution de l'organisation. A maintes reprises, au moment de la dissolution et par la suite, Marx s'est expliqué à ce sujet. C'est à la fois lui faire injure gratuite et lui attribuer une force démoniaque que de voir dans la dissolution de la première Internationale le simple effet d'une manoeuvre, d'une intrigue personnelle. Il faut vraiment être aussi borné qu'un James Guillaume pour voir dans les événements d'une importance historique le simple produit de la volonté des individus. Au delà de la légende anarchiste, il faut voir et saisir la signification de la dissolution de la première Internationale.
Et on saisit cette signification en rapprochant ce fait à d'autres, de disparition et dissolution des organisations politiques dans l'histoire du mouvement ouvrier. Ainsi, le profond changement de la situation sociale et politique survenu, qui se produit en Angleterre au milieu du 19ème siècle, entraîne la dislocation et la disparition du mouvement chartiste.
Un autre exemple est celui de la dissolution de la Ligue Communiste après les années orageuses de la Révolution de 1848-50. Tant que Marx croit que la période révolutionnaire n'est pas encore passée, en dépit des lourdes défaites et des échecs subits, il tend à maintenir la Ligue, à regrouper les cadres dispersés, à renforcer l'organisation. Mais dès qu'il s'est convaincu de la fin de la période révolutionnaire, de l'ouverture d'un long cours historique réactionnaire, il proclame l'impossibilité du maintien du Parti, il se prononce pour un repli de l'organisation vers des tâches plus modestes, moins spectaculaires et plus réellement fécondes : l'élaboration théorique et la formation des cadres. Il n'y a vraiment pas eu nécessité de l'existence de Bakounine ni besoin de "manœuvres urgentes" pour que Marx, 20 ans avant, comprenne l'impossibilité de l'existence d'un parti et d'une internationale dans une période réactionnaire.
25 ans après, Marx, rappelant la situation de 1850-51 et les luttes de tendances qui se produisirent au sein de la Ligue Communiste, écrit : "Le répression violente d'une révolution laisse dans les esprits des acteurs de cette révolution, de ceux en particulier qui ont été chassés de leur patrie et jetés dans l'exil, une commotion telle que même les personnalités de valeur deviennent, pour un temps plus ou moins long, en quelque sorte irresponsables. Ils ne peuvent s'accommoder de la marche qu'a prise l'histoire et ils ne veulent pas comprendre que la forme du mouvement s'est modifié…" (Epilogue aux révélations sur le Procès des Communistes de Cologne – 8 janvier 1875)
Dans ce passage nous trouvons la pensée fondamentale de Marx s'élevant contre ceux qui ne veulent comprendre que la forme du mouvement, de l'organisation politique de la classe, les tâches de l'organisation ne restent pas toujours identiques ; elles suivent la situation et se transforment, se modifient avec les changements survenus dans la situation objective. Pour réfuter ceux qui voudraient voir dans ces lignes une justification à posteriori, il serait non sans intérêt de citer les arguments de Marx tels qu'il les a formulés au moment même de la lutte contre la Fraction Willich-Shapper. Dans l'exposé des motifs de sa proposition de scission, qu'il a présenté au Conseil Central de la Ligue le 15 septembre 1830, Marx disait entre autre : "A la place de la conception critique, la minorité met une conception dogmatique et, à la place de la conception matérialiste, une conception idéaliste. Au lieu de la situation réelle, c'est la simple volonté qui devient la force motrice de la révolution…(…) Vous leur dites (aux ouvriers) «il nous faut immédiatement arriver au pouvoir» ou bien nous n'avons qu'à dormir sur nos deux oreilles. (…) De même que les démocrates ont fait du mot peuple une entité sacrée, vous faites, vous, une entité sacrée du mot prolétariat. Tout comme les démocrates, vous substituez à l'évolution révolutionnaire la phraséologie révolutionnaire."
Nous dédions ces lignes tout particulièrement aux camarades tels que RKD et CR qui longtemps nous reprochaient de ne pas vouloir "construire" le parti nouveau.
Dans la lutte contre l'aventurisme du Trotskisme que nous avons soutenu depuis 1938, dans la question de formation du nouveau parti et de la IV° Internationale, le RKD voyait surtout on ne sait quelle "hésitation" subjective. Le RKD n'a jamais compris la notion de "Fraction", c'est-à-dire une organisation particulière avec des tâches particulières correspondant à une situation particulière dans laquelle ne peut exister ni être constitué la parti. Cette notion de "Fraction", le RKD n'a jamais fait d'effort pour la comprendre ; il préférait se livrer à la traduction simpliste étymologique du mot "fraction" pour voir dans le "bordiguisme" des 'redresseurs " de l'ancien parti. Ils appliquaient à la Gauche Communiste la mesure de leur nature propre, la mesure trotskiste par excellence : "On est pour le redressement de l'ancien parti ou on est pour la proclamation du nouveau parti."
La situation objective et les tâches des révolutionnaires, en correspondance avec la situation, cela est bien trop prosaïque et trop compliqué pour ceux qui se plaisent dans la facilité de la phraséologie révolutionnaire. La lamentable expérience de l'organisation CR ne semble guère avoir profité à ces camarades. Dans l'échec de l'OCR, ils ne voient pas la rançon de la formation précipitée d'une organisation qu'ils voulaient achevée et qui fut en réalité artificielle, hétérogène, groupant des militants sur un vague programme d'action, imprécis et inconsistant. Ils attribuent leur échec à une mauvaise qualité de l'élément humain, ne voyant surtout pas l'échec en corrélation avec l'évolution de la situation objective.
Il peut paraître étrange à première vue que des groupes se réclamant de la Gauche Communiste Internationale et qui, pendant des années, ont combattu avec nous l'aventurisme trotskiste de la création artificielle de nouveaux partis, aient enfourché aujourd'hui ces mêmes dadas et soient devenus les champions de cette construction à un rythme accéléré.
On sait qu'en Italie existe déjà le Parti Communiste Internationaliste qui, quoique très faible numériquement, tend néanmoins à jouer le rôle de parti. Les récentes élections à la Constituante auxquelles participait le PCI d'Italie ont révélé l'extrême faiblesse de son influence réelle sur les masses, ce qui nous montre que ce parti n'a guère dépassé les cadres restreints d'une fraction. La Fraction belge, de son côté, lance des appels pour la construction du nouveau parti. La FFGC, récente formation sans base de principe bien définie, emboîte le pas et se donne pour tâche pratique la construction du nouveau parti en France.
Comment expliquer ce fait, cette nouvelle orientation ? Qu'un certain nombre d'individualités qui ont rejoint ce groupe récemment ne font qu'exprimer leur incompréhension, leur non-assimilation de la notion de "fraction" qu'ils continuent à exprimer dans les divers groupes de la GCI, les conceptions trotskistes qu'ils ont eu hier et qu'ils continuent à professer sur le Parti, aucun doute à cela.
D'autre part, il est également exact de voir dans la contradiction existante entre l'énonciation théorique abstraite et la politique pratique, concrète dans la question de la construction du Parti, une contradiction supplémentaire dans le lot des contradictions dont se sont rendus coutumiers ces groupes. Cependant tout cela n'explique pas encore la conversion de l'ensemble de ces groupes. Cette explication doit être recherchée dans l'analyse qu'ils font de la situation présente et les perspectives qu'ils entrevoient.
On connaît la théorie sur "l'économie de guerre" professée avant et pendant la guerre par la tendance Vercesi dans la GCI. D'après cette théorie l'économie de guerre et la guerre sont des périodes de "plus grand développement de la production", de l'essor économique. Il en résultait qu'aucune crise sociale ne peut surgir pendant cette période de "prospérité". Il fallait attendre "la crise économique de l'économie de guerre", c'est-à-dire le moment où la production de guerre ne parviendrait plus à répondre au besoin de la consommation de la guerre, la pénurie des moyens matériels à la poursuite de la guerre pour que cette crise nouvelle manière ouvre la crise sociale et la perspective révolutionnaire.
Il était logique d'après cette théorie de nier toute possibilité d'éclosion de convulsions sociales pendant la guerre. De là aussi la négation absolue et obstinée de toute signification sociale dans les événements de juillet 1943 en Italie. De là également l'incompréhension totale de la signification de l'occupation de l'Europe par les forces armées des Alliés et Russes, et plus particulièrement l'importance qu'acquérait la destruction systématique de l'Allemagne, la disparition du prolétariat allemand transformé en prisonnier de guerre, exilé, disloqué, rendu momentanément inoffensif et incapable de tout mouvement indépendant.
Pour ces camarades, la reprise de la lutte de classe - et encore plus précisément l'ouverture d'un cours ascendant de la révolution - ne pouvait se faire qu'après la fin de la guerre, non pas parce que le prolétariat était imprégné d'une idéologie nationaliste, patriotique mais parce que les conditions objectives d'une telle lutte ne pouvaient exister dans la période guerre. Cette erreur démentie par l'histoire (la Commune de Paris et la Révolution d'Octobre) et partiellement dans cette guerre-ci (se rappeler les convulsions sociales des événements de 1943 en Italie et certaines manifestations de l'esprit défaitiste dans l'armée allemande au début de 1945) devaient être fatalement doublée par une erreur non moins grande que la période de l'après-guerre ouvre automatiquement un cours de reprise de luttes de classe et de convulsions sociales.
La formulation théorique la plus achevée de cette erreur a été donnée par la Fraction belge dans l'article de Lucain publié dans L'Internationaliste. D'après son schéma, dont il veut de force faire endosser à Lénine la paternité, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile reste vraie à condition que l'on élargisse cette position à la période de l'après-guerre. En d'autres termes, c'est dans la période d'après-guerre que se réalise la transformation en guerre civile.
Un fois cette théorie systématisée et postulée, tout deviendra simple et il ne restera plus qu'à examiner l'évolution de la situation et des événements au travers d'elle et partant d'elle. Ainsi l'analyse de la situation présente serait celle d'une transformation en guerre civile. Partant de cette analyse centrale, on proclamera la situation en Italie particulièrement avancée justifiant la constitution immédiate du Parti ; on verra dans les troubles aux Indes et en Indonésie ou dans d'autres colonies, dont les ficelles sont étroitement tenues par les divers impérialismes en compétition et par la bourgeoisie indigène, la manifestation du commencement de la guerre civile anti-capitaliste. Le massacre impérialiste en Grèce fera aussi partie de la révolution en marche. Inutile de dire que l'idée ne leur viendra pas de mettre un seul instant en doute le caractère "révolutionnaire" des grèves en Amérique et en Angleterre, et même celle de France. Récemment L'Internationaliste a salué la formation de cette petite chapelle qu'est la CNT en France comme un indice "entre autres" de l'évolution révolutionnaire de la situation en France. La FFGC ira jusqu'à prétendre que la reconduction du tripartisme gouvernemental s'est fait en fonction de la menace de classe du prolétariat et insistera sur la haute signification objective qu'acquiert l'adhésion de quelque cinq camarades du groupe Contre le Courant à leur groupe.
Une telle analyse de la situation avec la perspective de décisives batailles de classe dans le proche avenir conduit tout naturellement ces groupes à l'idée de la nécessité urgente de construire le plus rapidement possible le Parti. Cela devient la tâche présente, la tâche du jour sinon de l'heure.
Le fait que le capitalisme international ne semble nullement inquiet de cette menace de lutte du prolétariat qui pèserait sur lui et se livre tranquillement à ses affaires, à ses intrigues diplomatiques, à ses rivalités internes, à ses conférences de paix dans lesquelles il étale publiquement ses préparatifs de guerre prochaine, tout cela ne pèse pas lourd dans l'analyse de ces groupes.
On n'exclut pas complètement l'éventualité d'une nouvelle guerre d'abord parce que cela peut servir de thème de propagande et ensuite, parce que se souvenant de l'aventure de 1937-39 où également on niait la perspective de la guerre mondiale, on préfère être plus prudent cette fois-ci et se laisser une porte de sortie pour le cas échéant. De temps à autre on dira, à la suite du PCI d'Italie, que la situation en Italie est réactionnaire mais cela ne portera pas à conséquence et restera une phrase épisodique sans rapport avec l'analyse fondamentale de la situation qui mûrit "lentement mais sûrement" vers des explosions révolutionnaires décisives.
Cette analyse est également partagée par d'autre groupe comme CR qui oppose à la perspective objective de la troisième guerre impérialiste celle de la révolution inévitable, ou encore du RKD qui, plus prudent, se réfugie dans la théorie du double cours, de la croissance parallèle et simultanée du cours de la révolution et du cours de la guerre. Le RKD n'a évidemment pas encore compris que la croissance du cours vers la guerre est en premier lieu conditionnée par l'affaiblissement du prolétariat et l'éloignement de la menace de la révolution, à moins d'épouser la théorie de la tendance Vercesi avant 1939 pour qui la guerre impérialiste n'est pas une lutte d'intérêt entre les divers impérialistes mais un acte de plus haute solidarité impérialiste en vue du massacre du prolétariat, une guerre de classe directe du capitalisme contre la menace révolutionnaire du prolétariat. Les trotskistes qui donnent également la même analyse paraissent infiniment plus logique avec eux-mêmes car, pour eux, il n'y a pas nécessité de nier les tendances vers la 3ème guerre, la prochaine guerre n'étant pour eux que la lutte armée généralisée entre le capitalisme d'une part et le prolétariat groupé autour de "l'Etat ouvrier" russe de l'autre.
En fin de compte, ou on confond, d'une façon ou d'une autre, la prochaine guerre impérialiste avec la guerre de classe ou on minimise la menace de la guerre en la faisant précéder d'une indispensable période de grandes luttes sociales et révolutionnaires. Dans le deuxième cas l'aggravation des antagonismes inter-impérialistes, l'accélération des préparatifs de guerre auxquels nous assistons, est expliquée par une myopie, une inconscience dans laquelle se trouve le capitalisme mondial et ses chefs d'Etat.
On peut rester bien sceptique sur une analyse basée sur nulle autre démonstration que son propre désir, s'accordant le bénéfice d'une clairvoyance tandis qu'on attribue généreusement à l'ennemi de classe un aveuglement total. Le capitalisme mondial a plutôt donné des preuves d'une conscience autrement plus aiguë des réalités que le prolétariat. Sa conduite en 1943 en Italie et en 1945 en Allemagne prouve qu'il diablement bien assimilé les enseignements de la période révolutionnaire de 1917, bien mieux que ne le fit le prolétariat et son avant-garde. Le capitalisme a appris non seulement à mater le prolétariat par la force mais à écarter le danger, en utilisant le mécontentement même des ouvriers et en dirigeant ce mécontentement vers un sens capitaliste. Il a su faire avec les armes d'hier du prolétariat des chaînes contre lui. Il suffit de constater que le capitalisme se sert volontiers aujourd'hui des syndicats, marxisme, de la Révolution d'Octobre, du socialisme, communisme, anarchisme, du drapeau rouge, du premier mai comme moyens les plus efficaces pour duper le prolétariat. La guerre de 1939-45 fut menée au nom de "l'antifascisme" qui a déjà été expérimenté dans la guerre espagnole. Demain, c'est sous le drapeau de la lutte contre le fascisme russe ou au nom de la défense de la Révolution d'Octobre que les ouvriers seront une fois de plus jetés sur le champ de bataille.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, libération nationale, reconstruction, revendications "économiques", participation ouvrière à la gestion, contrôle ouvrier et autres slogans de même acabit sont devenus les moyens les plus efficaces du capitalisme pour la destruction de la conscience de classe du prolétariat. C'est avec ces slogans qu'on mobilise les ouvriers dans tous les pays. Les troubles qui éclatent ici et là et les grèves restent dans ce cadre et ont pour résultat un plus grand enchaînement des ouvriers à l'Etat capitaliste.
Dans les colonies, les masses se font massacrer dans une lutte, non pour la destruction de l'Etat mais pour sa consolidation, son indépendance à l'égard de la domination d'un impérialisme au bénéfice d'un autre impérialisme. Aucun doute possible sur la signification du massacre en Grèce quand nous voyons l'attitude protectrice que prend la Russie, quand nous voyons Jouhaux devenir l'avocat de la CGT grecque en conflit avec le gouvernement. En Italie les ouvriers "luttent" contre la monarchie au nom de la république ou se font massacrer mutuellement pour la question de Trieste. En France les ouvriers donnent le spectacle écoeurant de défiler en bleu de travail, au pas cadencé, dans le défilé militaire du 14 juillet. Telle est la réalité prosaïque de la situation présente.
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Il n'est pas vrai que les conditions pour la reprise de la lutte de classe se présentent dans l'après-guerre. QUAND LE CAPITALISME A "TERMINÉ" UNE GUERRE UNE GUERRE IMPÉRIALISTE MONDIALE QUI A DURÉ SIX ANS SANS VOIR L'EMBRASEMENT DE LA RÉVOLUTION, CELA SIGNIFIE LA DÉFAITE DU PROLÉTARIAT. NOUS NE SOMMES PAS À LA VEILLE DE GRANDES LUTTES RÉVOLUTIONNAIRES MAIS AU LENDEMAIN D'UNE DÉFAITE. Cette défaite a eu lieu en 1945 dans la destruction physique du centre de la révolution que représentait le prolétariat allemand et elle fut d'autant plus décisive que le prolétariat mondial n'avait même pas pris conscience de la défaite qu'il venait de subir.
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Le cours vers la 3ème guerre impérialiste mondiale est ouvert. Il faut cesser de jouer à l'autruche et chercher à se consoler en ne voulant pas voir la gravité de ce danger. Dans les conditions présentes nous ne voyons pas la force susceptible d'arrêter ou de modifier ce cours. Le pire que peuvent faire les faibles forces des groupes révolutionnaires, c'est de lever le pieds dans un cours de marche descendant. Fatalement ils aboutiront à se briser le cou.
La Fraction belge croit être quitte en disant que, si la guerre éclate, cela prouverait que la formation du Parti aurait été prématurée. Quelle naïveté ! Cela ne se fera pas impunément, il faudra payer cher l'erreur.
En se jetant dans l'aventurisme de la construction prématurée et artificielle de partis, on commet non seulement une erreur d'analyse de la situation mais on tourne le dos à la tâche présente des révolutionnaires, on néglige l'élaboration critique du programme de la Révolution, on abandonne l'oeuvre positive de formation des cadres.
Mais il y a encore pire et les premières expériences du Parti en Italie sont là pour nous le confirmer. Voulant à tout prix jouer au parti dans une période réactionnaire, voulant à tout prix faire du travail de masse, on descend au niveau de la masse, on lui emboîte le pas, on participe au travail syndical, on participe aux élections parlementaires, on fait de l'opportunisme. A l'heure présente, l'orientation de l'activité vers la construction du Parti ne peut être qu'une orientation opportuniste.
Que l’on ne vienne pas nous reprocher d'abandonner la lutte quotidienne des ouvriers, de nous extraire de la classe. On ne reste pas avec la classe parce qu'on s'y trouve physiquement et encore moins en voulant garder à tout prix la liaison avec les masses, liaison qui en période réactionnaire ne peut être maintenue qu'au prix d'une politique opportuniste. Que l'on ne vienne pas nous reprocher de vouloir nous isoler dans notre tour d'ivoire, nous accuser de tendre vers des sectes de doctrinaires qui renoncent à toute activité, après nous avoir accusé d'activisme dans les années 1943-45.
Le sectarisme n'est pas l'intransigeance de principes, ni la volonté d'études critiques, ni même le renoncement momentané à un large travail extérieur. Le vrai caractère du sectarisme est sa transformation du programme vivant en un système mort, les principes guidant l'action en dogmes, que cela soit braillé ou chuchoté.
Ce que nous proclamons nécessaire dans la période réactionnaire présente, c'est le besoin de faire des études objectives, de comprendre la marche des événements, leurs causes et oeuvrer pour les faire comprendre à un cercle d'ouvriers, forcément restreint dans une période de réaction.
La prise de contact entre les groupes révolutionnaires de divers pays, la confrontation de leurs idées, la discussion internationale organisée en vue de la recherche d'une réponse aux problèmes brûlants soulevés par l'évolution, un tel travail est autrement plus fécond et se rattache autrement à la classe que la vaine agitation creuse dans le vide. La tâche de l'heure des groupes révolutionnaires est la formation des cadres, tâche moins tapageuse, moins portée à des succès faciles, immédiats et éphémères, et infiniment plus sérieuse car la formation des cadres aujourd'hui est la condition et la garantie du FUTUR PARTI DE LA RÉVOLUTION.
Marco
[1] Il faut absolument se garder contre une erreur couramment commise qui consiste à identifier le Parti avec l'activité toujours possible et nécessaire des groupes révolutionnaires et le déterminisme avec un fatalisme impuissant et désespéré. La tendance Vercesi de la GCI est tombée dans cette erreur pendant la guerre. Considérant que les conditions du moment ne permettaient ni l'existence d'un Parti ni l'entreprise d'une large agitation dans les masses, elle a conclu à la condamnation de tout travail révolutionnaire et a nié la possibilité de l'existence même des groupes révolutionnaires. Elle a oublié que les hommes ne sont pas simplement des produits de l'histoire mais que "les hommes font leur propre histoire…" (Marx) L'action des révolutionnaires est forcément limitée par les conditions objectives. Mais cela n'a rien à voir avec les cris désespérés du fatalisme : quoi que tu fasses, tu n'arriveras à rien. [voir suite de cette note à la page suivante]
Après s'être violemment opposée pendant un an à toute lutte revendicative, à toute demande de réajustement des salaires, la CGT brusquement a lancé la campagne pour les 25%. Cela s'est fait en pleine période électorale.
On se rappellera qu'au Comité National de la CGT qui s'est réuni avant les élections et le Référendum, la majorité de la direction syndicale, servilement soumise aux directives du Parti Communiste Français, a énergiquement combattu les timides interventions des anciens chefs réformistes en faveur d'une augmentation des salaires.
"Dans les conditions présentes de l'économie nationale ruinée", disaient les chefs staliniens, l'amélioration des conditions de vie des ouvriers ne peut se faire qu'à travers l'augmentation de la production. Il faut d'abord restaurer l'économie nationale, reconstruire le potentiel industriel du pays, amener la production à un niveau supérieur et pour cela il faut que les ouvriers travaillent toujours plus, augmentent leur rendement horaire et journalier ; il faut qu'ils consentent des sacrifices.
Les revendications ouvrières ne pouvant que troubler la production, il fallait les empêcher de s'exprimer. Ils expliquaient en long et en large que l'augmentation des salaires aurait des répercussions graves sur les prix de revient et que cela pousserait finalement à l'inflation.
C'est la belle époque où Croizat, à la fois Secrétaire de la Fédération des Métaux et Ministre du Travail, se fait l'insulteur des ouvriers du Livre et brise leur grève. Cette politique est d'ailleurs partagée par toute la bourgeoisie et plus précisément par le Parti Socialiste qui, par la bouche de Gouin, chef du gouvernement, et Philip, Ministre des Finances, préconise une politique sévère de compression, de déflation qui comporte "malheureusement" des sacrifices pour les ouvriers et les fonctionnaires.
Mais voilà qu'au Référendum les Partis "ouvriers" subissent un échec, eux qui croyaient s'installer à la direction du gouvernement pour de longues années. Il devient clair que la future Chambre sera encore une Chambre provisoire. Le MRP s'annonce être le grand parti vainqueur. Les staliniens se décident alors, sans que cela puisse présenter aucun danger pour la bourgeoisie, de jouer un peu à l'opposition, d'une part pour se faire une nouvelle virginité, d'autre part pour créer des difficultés au MRP et finalement pour préparer leur future campagne électorale.
Ainsi, après avoir dénoncé comme "provocateur", comme "hitléro-trotskiste", comme "agent des trusts" quiconque osait réclamer le relèvement des conditions de vie des ouvriers, après avoir dénoncé la grève comme moyen de provocation du patronat intéressé à saboter le redressement économique de la France, la CGT et sa clique dirigeante stalinienne découvrent subitement, entre le Référendum et les élections à la Constituante, la baisse du pouvoir d'achat des salaires et l'augmentation du coût de la vie. Manœuvres électorale évidente et moyen de chantage pour la répartition des portefeuilles ministériels, le PCF faisant de la revendication des 25% de la CGT la condition de leur participation ministérielle.
Tout l'appareil stalinien, si merveilleusement huilé, est mis en branle. Meetings, manifestations, parades se multiplient. Un langage de combat, que nous avons de puis longtemps perdu l'habitude d'entendre de la part des staliniens, est à nouveau repris par eux. Henaff, Secrétaire de l'Union des Syndicats de la Région Parisienne, jette la consternation en prononçant un discours virulent, menaçant le Gouvernement et le Patronat de l'action directe des masses et de grèves de luttes de classe.
Mais le ton baisse rapidement après l'arrangement survenu entre Bidault et le PCF, ce dernier acceptant la proposition de Bidault de limiter l'augmentation des salaires de base à 15%. La CGT, il est vrai, continue à maintenir sa revendication de 25% mais estime qu'un grand pas vers une entente avec le gouvernement était fait. Les staliniens ont eu "leur" victoire et peuvent se poser en défenseurs de la classe ouvrière.
L'année 1945 fut l'année de dévaluations successives. Cela se soldait par une augmentation en flèche des prix et la baisse du pouvoir d'achat des ouvriers.
L'année 1946 fut inaugurée sous le signe de la politique de stabilisation. Gouin-Philip criaient à la catastrophe imminente qui menaçait l'économie française. Il fallait pratiquer les plus sévères compressions dans les dépenses. Ce fut la politique de déflation. Il va de soi que ce programme fut exécuté à 100% en ce qui concerne la compression du ventre de l'ouvrier : blocage complet des salaires, restriction des rations alimentaires, débauchage massif des fonctionnaires et des employés des services publics. Quant aux autres mesures, comme la réduction des dépenses militaires, elles ne restent que des battages démagogiques et les prix des marchandises continuaient à grimper.
Bidault-Schuman abandonnent aujourd'hui la politique brutale de déflation pour celle plus commode de l'inflation. A quelques mois des nouvelles élections qu'ils espéraient législatives, c'est-à-dire pour plusieurs (…???), aucun parti ne veut prendre sur lui la responsabilité des mesures impopulaires. Les socialistes ont payé cher aux dernières élections leur témérité. Ils ont si bien compris la leçon qu'à aucun prix ils n'ont voulu reprendre le portefeuille des finances qui leur a été offert. D'autre part le patronat n'y perd rien, une augmentation partielle et limitée des salaires devant servir de justification à une hausse massive des prix. On gagne ainsi à chaque coup.
Les mesures terribles contre le marché noir annoncées par le jacobin fanfaron Farge, Ministre du Ravitaillement, n'ont rien donné d'autre que la législation du marché noir. Le consommateur bourgeois n'aura plus le souci de se procurer son ravitaillement en douce ; il l'aura désormais à la portée de la main. La vente de certains articles devient libre mais au prix du marché noir.
Il faut constater que la revendication du réajustement des salaires de la CGT a rencontré un accueil plutôt favorable dans toute la presse capitaliste. Pendant qu'on tergiversait sur le pourcentage d'augmentation des salaires à accorder, pendant qu'on se réunissait dans des conférences économiques, des représentants qualifiés "ouvriers" du patronat et du gouvernement, se déchaînait une course générale à la hausse des prix des marchandises.
Le gouvernement est enfin tombé d'accord avec la CGT sur une augmentation moyenne de 17% des salaires de base et du relèvement de l'abattement de base pour l'impôt passant de 40 à 60.000. Cette double augmentation pouvait d'autant plus être accordée d'avance qu'elle se trouvait annulée par la hausse des prix, qui dépasse largement ce misérable pourcentage.
Toute la campagne des 25% menée par la CGT s'avère finalement une vaste fumisterie destinée à duper les ouvriers. L'augmentation des salaires n'est que nominale et reste fictive mais elle a permis de créer un climat politique favorable pour la prochaine campagne électorale.
La condition des fonctionnaires et des travailleurs des services publics est sans conteste bien inférieure à celle des travailleurs dans l'industrie privée. Sous divers prétextes, de classement et de calcul de retraite, d'indemnité, d'équilibre du budget etc., l'État exerce sur ses employés une pression et un contrôle bien plus lourds qui paralysent leur moyen de défense. Si les ouvriers de l'industrie privée parviennent partiellement et individuellement à contourner les rigueurs d'une politique de déflation et de blocage des salaires, les travailleurs de la fonction publique les subissent intégralement car, face à ces travailleurs, l'État patron possède toujours de redoutables moyens d'intimidation.
Le gouvernement Gouin-Philip a maintenu la tradition. Des salaires de 3800 Frs étaient chose courante pour les petits fonctionnaires. Les plus défavorisés parmi les fonctionnaires étaient les travailleurs des PTT qui n'avaient même pas la parité d'indemnité avec les travailleurs des autres administrations. Il était naturel que la politique de compression de Philip ait été la plus impopulaire parmi les fonctionnaires qui, à maintes occasions, manifestèrent leur impatience.
Une telle situation ne pouvait que favoriser les manœuvres des partis en vue de la préparation des prochaines élections. Schuman, Ministre des Finances MRP, présente un projet de loi pour la "revalorisation" des traitements des fonctionnaires ; Thorez, vice-Président du Conseil, présente un contre-projet. La discussion s'engage. Le "fond" du débat, la "revalorisation" des traitements des fonctionnaires, des gros ou des petits, les 40% qui ne sont que 25% ou les 25% qui font plus de 40%, tout cela n'a évidemment aucune importance ; les deux projets reviennent pratiquement au même. Mais le PCF essaie au moyen d'une demi-crise du Tripartisme et de beaucoup de considérations arithmétiques compliquées de se poser en seul défenseur des petits fonctionnaires. Pour soutenir cette manœuvres la Fédération des PTT (adhérente à la CGT), à direction stalinienne, décide pour le mercredi 31 juillet une "grève d'avertissement" d'une demi-journée.
C'est ici que l'affaire se corse par l'intervention, semble-t-il, d'un troisième larron. Lequel ? C'est ce que nous verrons plus loin. Commençons par rappeler les faits. La demi-journée "d'avertissement" passée, on apprend que dans divers endroits la grève continue. Le mouvement part, semble-t-il, de Lille, s'étend immédiatement à Clermont-Ferrand, Bordeaux, Marseille…, puis a différents bureaux de poste de Paris. La revendication essentielle que les grévistes mettent en avant n'est plus maintenant la revalorisation générale des traitements des fonctionnaires ; il s'agit du "reclassement" de la profession, c'est-à-dire d'obtenir pour les postiers les mêmes conditions de rémunération que pour les autres travailleurs de la fonction publique.
A partir de ce moment-là les événements se précipitent sous les yeux des staliniens éberlués. Le soir même du mercredi, un "Comité de grève National" est formé qui lance un appel à la grève générale des PTT et annonce son intention de poursuivre la grève jusqu'à l'obtention des revendications. Schuman se met en relation direct avec le Comité de grève, semblant ignorer l'existence de la Fédération des PTT.
Samedi, à la Constituante, la député socialiste Dagain soutient les revendications des postiers et défend le Comité de grève ("nouveaux chefs du mouvement syndical"… "C'est dans l'action que se montrent véritablement les chefs…") ; cela sous les applaudissements des socialistes et les interruptions des staliniens.
Le PCF tente de briser la grève, dénonce les "manœuvres politiques", Monmousseau, dans L'Humanité, parle de "hitlero-trotskistes" et de "collaborateurs" mais finalement le PCF est obligé de se rallier, avec toute la Constituante, à la motion Dagain "invitant le Gouvernement à rétablir la parité d'indemnités…"
Le Gouvernement n'avait encore fait que des promesses. Cependant le Comité de grève décide de cesser la grève tout en recommandant aux postiers "la vigilance". L'ordre de reprise du travail est suivi à 100%.
La comédie est finie. Mais ses conséquences continuent à se développer. La presse bourgeoise anti-stalinienne parle, non sans quelque sympathie, d'une lutte entre la "base" et le "sommet" au sein de la CGT, d'une "renaissance du syndicalisme", "tendant à se dégager des tutelles politiques". Léon Blum, dans le "Populaire", parle dans le même sens, allant même jusqu'à mettre directement en garde ses camarades du PS contre la tentation de vouloir imposer au syndicalisme une tutelle socialiste.
Pendant ce temps les comités de grève locaux s'emparent des directions syndicales ; le Comité de grève National convoque un congrès de la Fédération des PTT avec l'espoir justifié de s'installer à la place de la direction stalinienne discréditée. Notons que, dès le premier jour, le Comité de grève avait déclaré ne vouloir en aucun cas sortir du cadre syndical…
Quant aux staliniens, battus et pas contents, il ne leur reste qu'à essayer, sans grand espoir d'y parvenir, de s'attribuer le "succès" de la grève qu'ils ont combattue, en attendant l'occasion de prendre leur revanche.
Nous avons parlé plus haut d'un "troisième larron". Mais quel est-il ? Nous savons que beaucoup de camarades appartenant à la gauche du mouvement ouvrier répondront : le prolétariat ! les uns salueront la vérification de leur conception syndicale "orthodoxe" et inviteront, plus que jamais, les ouvriers à "continuer la lutte" à l'intérieur de la CGT pour lui "rendre sa fonction de classe". Les autres salueront l'initiative des masses entrant en action par elles-mêmes en opposition avec le syndicat, se donnant des formes d'organisation (comités) extra-syndicales, bien que les grévistes n'aient pas eu conscience du caractère anti-syndical de leur action. Les uns et les autres verront dans la grève des postiers un indice du réveil du prolétariat, engageant une action de classe dans le cadre revendicatif et aboutissant, sinon à une victoire, tout au moins à un "pas en avant"…
Mais si l'on envisage les faits de ce point de vue, il se pose un certain nombre de questions embarrassantes :
Considérons d'autre part les résultats effectifs de la grève. Les faits saillants qui en résultent sont, beaucoup plus que la "victoire" revendicative des postiers, :
En considérant tous ces faits, il est difficile d'échapper à l'idée qu'il s'agit d’une manœuvre habilement préparée par le PS avec l'accord du Ministre des finances MRP. Quant aux éléments "syndicalistes" plus ou moins "révolutionnaires" qui ont été portés en apparence à la tête du mouvement, il faut d'abord retenir que leur "syndicalisme révolutionnaire" ne les a pas empêchés de faire, dès le premier jour de la grève, une déclaration de fidélité à la patrie et d'organiser, pendant toute la durée de la grève, un service spécial pour transmettre la correspondance de la Conférence des "21"…
Le sens de ce "syndicalisme" est clairement révélé par l'article de Léon Blum auquel nous avons déjà fait allusion (le "Populaire" du 7 août) : le PS ne pouvant pas, comme le font les staliniens, dominer directement la CGT en la noyautant, il s'appuie sur les "syndicalistes purs" pour faire échec au PCF. C'est leur tactique syndicale traditionnelle.
Pour ce qui est des éléments syndicalistes sincèrement révolutionnaires qui peuvent se trouver dans le Comité de grève, nous sommes obligés de constater qu'ils ont été les dupes de la manœuvre socialiste. Quand ils se trouveront portés à la direction de la Fédération syndicale, ils s'apercevront qu'ils n'ont pas d'autres possibilités que de se faire les agents directs de la bourgeoisie ou de se retirer.
Une telle manœuvres présente-t-elle pour la bourgeoisie un danger d'être dépassée par les masses ouvrières ? Tout arme est à deux tranchants et la possibilité abstraite d'un tel danger existe toujours. Mais il est remarquable que la seule voix de la bourgeoisie qui ait fait allusion à un tel danger soit celle du journal "l'Ordre" dont les attaches staliniennes sont d'ailleurs connues. Il est vrai que, dans certains endroits, des revendications dépassant le "reclassement" de leur fonction ont été agitées par les postiers ; il est un fait que certains travailleurs ont accueilli l'ordre de reprise du travail avec réticence. Mais ces tendances élémentaires ne se sont nulle part manifestées par des actions collectives. La bourgeoisie a estimé qu'elle était suffisamment maîtresse de la situation, que le prolétariat était assez bien soumis aux différentes idéologies de la bourgeoisie, en un mot que le cours vers la guerre impérialiste était assez avancé pour qu'elle puisse organiser sa manœuvre sans danger. Nous ne voyons pas que les événements aient démenti ce calcul de la bourgeoisie. Et cela est le premier enseignement de la grève.
Le deuxième enseignement est que, dans la situation actuelle, les manœuvres des différents clans bourgeois préparant la guerre impérialiste peuvent très bien se présenter sous la forme de mouvements "sociaux" et que des mouvements en apparence purement revendicatifs des travailleurs peuvent être fomentés de cette façon par la bourgeoisie.
Enfin un dernier enseignement est que même des mouvements extra syndicaux, même des formes d'organisation plus ou moins anti-syndicales peuvent être utilisées par les manœuvres de la bourgeoisie. En un mot, rien n'est sauvé, rien n'est à l'abri d'un camouflage de la guerre impérialiste ou de sa préparation sous des aspects "sociaux".
Cela ne saurait surprendre ceux qui ont médité les enseignements de la guerre d'Espagne de 1936-39 où des mouvements encore bien plus radicaux, allant jusqu' à l'expropriation des capitalistes, ont été utilisés par la bourgeoisie "antifasciste" en vue d'engager le prolétariat dans la guerre impérialiste. TOUT DEPEND DU RAPPORT DES FORCES DE CLASSES. Dans la situation actuelle qui recommence sous des formes à peine modifiées les événements de la période 1936-39 – dans une période où le rapport des forces de classes est favorable à la bourgeoisie et où celle-ci utilisera de plus en plus le camouflage "social" de ses conflits internes – il n'est pas inutile de rappeler ces vérités fondamentales aux ouvriers et aux camarades qui, faute de les comprendre, risquent dans un avenir prochain de prendre l'éclatement de la guerre impérialiste pour le début de la Révolution.
M.
La situation économique en France ne fait qu'empirer chaque jour. Les exhortations à "produire, produire, produire" prônées par tous les partis et hommes politiques de la bourgeoisie et, en tout premier lieu, le parti stalinien et la CGT ont eu pour résultat incontestable une aggravation certaine de l'exploitation des ouvriers ; mais, par contre, elles n'ont pas apporté un redressement, tant soit peu substantiel, de la situation économique de la France. À part quelques rares branches de la production, comme les mines de charbon, où une pression particulièrement concentrée sur les ouvriers et l'emploi massif des prisonniers allemands transformés en esclaves ont permis d'élever l'indice de la production et de l'approcher de celui de 1938, l'ensemble de la production se maintient aux environs de la moitié de la production d'avant-guerre.
Toutes les mesures financières de conversion, de dévaluation, de stabilisation, d'inflation, de déflation préconisées et appliquées par Pleven, A. Philip et Schuman, tous les plans et mesures économiques de Mendès-France à Marcel Paul, les nationalisations, les subventions d'État aux industries d'intérêt national et la contrôle des prix n'ont pu insuffler vie à l'industrie nationale fortement ébranlée.
La cause ne réside évidemment pas dans le slogan stalinien sur la mauvaise volonté des "trusts" et patronat "vichyssois" désirant saboter la reconstruction nationale. Il est à peine nécessaire d'insister sur l'ineptie d'un tel argument uniquement destiné à duper les ouvriers, à les inciter à se montrer plus patriotes, plus soucieux des intérêts "nationaux" de la France afin d'accepter chaque jour plus de sacrifices pour la reconstruction, à consentir de travailler et produire davantage pour des salaires de plus en plus réduits.
La cause de la situation critique de l'économie française réside dans la situation générale historique de décadence de l'ensemble du système capitaliste ! Dans l'ébranlement général de l'économie mondiale à la suite de l'entrée du système capitaliste dans la période de décadence et de crise permanente, l'effondrement du capitalisme français a été d'autant plus profond que ses positions économiques et politiques offraient une résistance moindre.
La France, comme la plupart des pays d'Europe, est sortie de la deuxième guerre impérialiste mondiale économiquement ruinée et reléguée au second plan. Son relèvement est donc encore plus étroitement soumis et conditionné par la perspective générale de l'économie mondiale. Cette perspective – loin de présenter des possibilités de reprise de l'activité économique, d'une sortie de la crise – n'accuse que son aggravation. Dans ces conditions aucune tendance d'une réelle reprise économique ne peut exister en France. Tout au plus certaines améliorations, limitées à certaines branches de l'industrie, peuvent se produire en correspondance avec les besoins de la politique extérieure, militaire, stratégique et économique dans la ligne générale de la préparation de la troisième guerre dans des pays impérialistes dominant le monde, et plus précisément les États-Unis.
Tous ceux qui parlent d'un commencement de relèvement économique de la France, dans la mesure où ce ne sont pas des déclarations intéressées destinées à nourrir les masses avec des illusions et des promesses d'un avenir meilleur pour mieux leur faire accepter leur situation présente, font leur démonstration sur la base de la comparaison avec la situation de 1944. Mais une telle comparaison ne peut donner une indication valable sur la tendance réelle de la production française. 1944 ne présente pas un point faible, un moment économiquement bas mais un point mort dans la production bouleversée et totalement arrêtée par la situation militaire et politique particulière. De ce fait, la situation de 1944 ne peut aucunement servir de point de repère. On ne peut sérieusement se faire une idée qu'en se plaçant par rapport à l'année 1938 qui se situe déjà, elle-même, sur une courbe générale de déclin économique. Dans ce laps de temps de 8 années, la puissance économique de la France a été engloutie dans le gouffre de la guerre. A l'encontre des grandes puissances anglo-saxonnes qui ont été amenées par la guerre à renforcer et développer leur puissance productive, la France a vu la sienne pillée à leur profit et, pour la moitié, détruite. Ce qui est resté de l'appareil productif est en grande partie usé et appelé d'urgence à être renouvelé.
Pour retrouver le niveau de la production de 1938 –même en admettant que la France retrouve ses marchés extérieurs et sources de matières premières passés entre les mains de l'Angleterre et de l'Amérique qui ne sont pas prêtes de les abandonner– la France a besoin de reconstituer ses moyens de production et de circulation dans une proportion de 70%. Un tel effort de reconstruction, le capitalisme français n'est pas en mesure de l'accomplir, démuni comme il est de moyens de paiement. Seule l'aide de l'étranger, c'est-à-dire de l'Amérique, par des crédits massifs et à longs termes, peut renflouer l'économie française. La France se trouve ainsi à la merci de la politique extérieure des États-Unis qui, comme on s'en doute, n'a rien d'un philanthrope.
Les accords de Washington, si laborieusement et péniblement obtenus, il y a quelques mois, par Léon Blum, n'avaient rien de très réjouissants pour le capitalisme français, ce qui explique que, malgré le battage du gouvernement Gouin, on n'a pu susciter un grand enthousiasme autour de ces accords. En fait, des centaines de millions consentis par les États-Unis la France ne verra pas grand-chose, ces accords consistant essentiellement à faire passer les dettes de guerre dans la rubrique des crédits. Dans les marchés de ce genre où l'Amérique débourse peu de chose en réalité, la France n'obtient guère de moyens efficaces pouvant lui servir pour reconstruire son appareil de production. Mais telle est la situation en France que, certainement sans enthousiasme, elle doit se considérer encore satisfaite et consentir "de plein gré" à des concessions sur le plan de la politique internationale. Cela se retrouve dans l'attitude de la France dans la Conférence de la Paix et dans les conférences des Quatre où elle appuie plus ou moins ouvertement la politique de l'Amérique.
Le capitalisme français ne se fait pas grande illusion sur les possibilités d'un redressement économique sérieux. Cela ne veut pas dire qu'il abandonne toute lutte pour maintenir et renforcer ses positions et accroître ses sources de profit. Bien au contraire. Il tend à saisir chaque occasion qui se présente pour exercer le chantage et mettre à profit les frictions qui surgissent entre les Grands sur l'échiquier international pour s'emparer de quelques menus profits. C'est ainsi que la France obtient une rectification de frontières aux dépens de l'Italie et s'emploie à piller au maximum dans sa zone d'occupation en Allemagne.
Plus se rétrécit, pour le capitalisme français, le champ d'exploitation et de pillage à l'extérieur, plus férocement il se rabat sur l'exploitation des masses travailleuses à l'intérieur.
Pour rien au monde un capitalisme ne peut renoncer à ses profits. Handicapé sur un plan, il cherche compensation sur un autre. L'exploitation des travailleurs, la diminution de leur standard de vie s'accroissent dans la même mesure que le capitalisme se heurte par ailleurs à des difficultés. La grande "bataille de la production" et toutes les "batailles" particulières, celle du charbon, de l'électricité, du rail, etc., etc., n'ont rien d'autre en vue que de compenser le capitalisme français de perte de profit sur le marché mondial par une surexploitation du prolétariat.
Aucun parti ne pouvait mieux faciliter cette tâche à la bourgeoisie française que le parti stalinien. Ce parti qui, par sa politique extérieure, est un prolongement des intérêts impérialistes de l'État russe et, de ce fait, suscite plutôt la méfiance d'une grande partie de la bourgeoisie française, est non seulement toléré par elle mais on lui laisse volontiers une partie de la direction de l'État, car la bourgeoisie trouve en lui l'élément le plus apte à faire accepter par les ouvriers leur surexploitation sans trop de secousses.
La direction stalinienne de la CGT reproduit, avec le dynamisme et le cynisme dont elle a coutume, les formules et la pratique qui ont fait leur preuve en Russie où ils ont produit des miracles entre les mains de l'État. L'intérêt et le profit du capitalisme français se trouvent fort bien assurés par les formules de "batailles de la production", "l'émulation dans la reconstruction", "prime au rendement", "champion de record de production" et tant d'autres formules du pire stakhanovisme.
Intensification du travail, blocage des salaires, prolongation de la semaine du travail, diminution des rations, augmentation des prix, rien décidément n'a été négligé pour assurer les profits aux capitalistes.
Et tandis que la marge des bénéfices est assurée au patronat, les salaires réels des ouvriers et des fonctionnaires diminuent d'une façon régulière et constante. D'une façon générale les conditions de vie, si elle n'accuse pas une franche aggravation par rapport aux années de guerre, parviennent péniblement à se maintenir à ce niveau. Les rations alimentaires de première nécessité, le pain, la viande, les matières grasses, le vin, les légumes secs, le lait sont exactement les mêmes que dans les pires années de la guerre. Et si certains articles, comme les fruits et les œufs, se trouvent abondamment sur le marché, cela ne signifie pas qu'ils sont à la disposition des ouvriers. Comme sur le plan du marché du travail où l'ouvrier est "librement" contraint de vendre sa force de travail, sur le marché de la consommation, il est absolument libre de… regarder les produits destinés à la consommation de la bourgeoisie, "librement" forcé de ne pas y toucher. La politique de consommation est celle du double marché. D'une part le marché rationné, le marché pour les ouvriers qui doit assurer aux masses le minimum vital et sur la base duquel sont calculés les salaires, d'autre part le marché pour la bourgeoisie, le marché libre. La croisade contre le marché noir que réclament tous les partis n'a pas en vue de répartir plus équitablement les denrées entre tous les habitants mais uniquement de faciliter la vente des marchandises pour les producteurs et l'acquisition pour les consommateurs bourgeois. À ce titre le système du marché noir présente des inconvénients certains et, dans la mesure du possible, la bourgeoisie tend à y remédier en créant le marché libre, c'est-à-dire en contrôlant et en légalisant le marché noir.
La part attribuée aux masses ouvrières dans la consommation générale ne se trouve nullement augmentée. Le syndicat des bouchers en apporte la preuve en constatant que, dans les premières semaines de l'application du système Farge –vente libre de la viande au prix fort, après les 150 gr réglementaires–, 30% des consommateurs dans les quartiers ouvriers de Paris n'avaient même pas acheté leur simple ration. Ce qui est valable pour la viande l'est aussi pour tous les articles du marché dit "libre".
La bourgeoisie parvient à supprimer ainsi en partie les intermédiaires qui s'enrichissaient à ses dépens et à assurer plus normalement son ravitaillement. La lutte contre le marché noir ne représente dans ces conditions aucunement une lutte pouvant intéresser la classe ouvrière. Il ne lui appartient pas d'organiser le marché de la bourgeoisie qui, "noir" ou "libre", n'a pour résultat que la baisse du standard de vie des masses laborieuses.
Le coût de la vie n'a cessé de s'élever depuis la "libération". Après avoir réussi, avec l'aide de la CGT, à assurer, par la politique de blocage des salaires, une forte avance des prix, la bourgeoisie pouvait très tranquillement accepter de prendre en considération la revendication de réajustement des salaires. Toute la bourgeoisie, de droite à gauche, devenait soudainement très compréhensive envers la condition ouvrière et admettait la légitimité d'une augmentation des salaires, d'autant mieux que cette augmentation devait être étudiée pour son application dans le cadre général de la production et des prix. Aucune divergence là-dessus avec la CGT également très compréhensive des intérêts de la production nationale.
Pendant que se réunissaient les délégués du patronat, de la CGT et de l'État pour l'étude du réajustement des salaires, pendant qu'on discutait sur les 15, 16 ou 25%, les prix prenaient un nouvel envol et annulaient d'avance toute valeur à un réajustement des salaires à venir ; cela n'empêche pas, au contraire, une fois les salaires augmentés et sous ce prétexte, une nouvelle hausse des prix. Ainsi les statistiques des prix accusent du 15 août au 15 septembre une hausse de 26% ; et De Menthon propose, après étude en vue de la baisse de certains articles industriels, une nouvelle hausse générale, évidemment justifiée, qui ne serait qu'une première étape, d'autres devant suivre et à un rythme accéléré.
La hausse des prix n'est pas due à la volonté d'un patronat insatiable, voulant s'assurer des surprofits, mais correspond à une nécessité vitale pour le capitalisme français. Handicapé sur le marché international par une concurrence anglo-américaine, le capitalisme français ne peut se défendre par une augmentation de la productivité pour laquelle les moyens techniques lui font complètement défaut. Il ne lui reste d'autre moyen que de diminuer les frais de production, qu'en diminuant le chapitre des salaires. La hausse des prix à l'intérieur signifie la baisse des salaires et la possibilité – par l'office d'import-export – d'assurer la vente de ses marchandises indispensables pour pouvoir payer à l'étranger les matières premières et les machines qui sont indispensables pour le fonctionnement, même au ralenti, de la production nationale. La limitation extrême de ses importations - dont la nature, la masse et le prix de vente font l'objet d'un contrôle sévère de la part de l'État – permet au capitalisme français de s'assurer la domination du marché intérieur.
Dans la hausse des prix, il ne s'agit donc pas tant pour le capitalisme d'obtenir des surprofits mais de garantir ses profits courants. Placé dans des conditions extrêmement défavorables par rapport à ses concurrents sur le marché mondial, il ne lui reste pas d'autre moyen que la poursuite d'une politique de réduction des conditions de vie des masses laborieuses.
Une telle situation ne peut manquer d'alimenter le mécontentement qui est général et forcément plus sensible chez ceux qui vivent de leur salaire et de leur traitement. Mais on doit constater que le mécontentement, loin de conduire à un débordement généralisé, ne s'est exprimé jusqu'à présent que dans des manifestations isolées et sporadiques et très souvent confuses.
Pour que les masses puissent entreprendre une action positive de classe, il ne suffit pas qu'elles éprouvent un sentiment d'insatisfaction mais elles doivent prendre conscience des causes profondes, historiques de l'état de choses actuel. Elles doivent passer du plan étroit de la revendication économique à celui de la lutte sociale et politique. Or ce n'est justement pas le cas ; et le mécontentement des masses peut, dans ces conditions, devenir précisément un moyen de manœuvres politiques entre les mains des divers partis du capitalisme contre les intérêts des ouvriers.
Nous avons vu plusieurs grèves, ou autres mouvements, éclater et apparemment, si on juge par les masses numériques, on serait tenté de conclure à leur développement. En réalité nous assistons à une édulcoration très nette de leur nature de classe. Les premiers mouvements, tels ceux des mineurs du Nord, des manifestations ouvrières de Nantes et de Lyon, furent des réactions spontanées de classe. A ce type, se rattachent la grève récente des cheminots de Dijon et les manifestations de Brest et de Cherbourg.
Ces mouvements sont caractérisés d'abord par le fait que, tout en présentant des revendications purement économiques d'augmentation des salaires et parfois même des revendications confuses et réactionnaires comme une meilleure épuration, ils posent cependant, avant tout, des revendications sociales comme le ravitaillement, une meilleure répartition des denrées alimentaires, revendications dirigées directement contre l'appareil gouvernemental. En second lieu, ces mouvements sont des explosions spontanées, des grèves sauvages en dehors des cadres syndicaux. Elles se produisent sur le plan local, effaçant toute barrière professionnelle et groupant tous les ouvriers sans distinction, y compris les ouvriers chômeurs, dans une action commune. En troisième lieu, elles sont animées par une plus haute combativité, passant à l'action directe pour s'emparer des vivres et du charbon.
Tout autre apparaissent les larges mouvements de grèves récentes. Elles ont perdu leur caractère spontané, sauvage. Ces grèves sont ordonnées, dirigées, bien encadrées. Elles sont déclenchées et surtout arrêtées avec discipline. Elles sont exclusivement économiques, corporatives, tenues dans le cadre syndical et conduites par des dirigeants syndicaux connus et respectés par les autorités gouvernementales. Elles touchent surtout l'employé, fonctionnaire, ceux rétribués au mois dans des fonctions qui leur garantissent une stabilité et une retraite. Même, comme c'est souvent le cas, ces travailleurs ont des salaires inférieurs à ceux des ouvriers de l'industrie, ils ne présentent cependant pas la masse combative du prolétariat mais bien plutôt une couche sociale périphérique avec des fortes tendances idéologiques petites-bourgeoises.
Il est absolument impossible de présenter ces mouvements comme le signe d'une radicalisation des masses, comme une prise de conscience plus avancée. Le fait que ce soit justement des couches de travailleurs et de fonctionnaires qui déclenchent des mouvements, alors que la grande masse des ouvriers d'usine reste passive, est déjà en soi très significatif. Dans le meilleur des cas nous avons à faire à des mouvements typiquement réformistes. Mais il y a encore autre chose dans ces mouvements : c'est leur exploitation par des partis politiques bourgeois, leur canalisation vers des objectifs qui n'ont rien à faire avec la lutte ouvrière et dans le but duquel ils furent en grande partie fomentés.
Nous avons, dans le dernier numéro de "Internationalisme", mis en lumière cet aspect de la grève des postiers, là où tous les groupes révolutionnaires ne voulaient voir qu'une action de classe anti-syndicale, révolutionnaire et tout et tout. C'est son caractère anti-stalinien qui aveuglait les militants et c'est justement son caractère essentiellement anti-stalinien qui aurait dû les rendre plus méfiants et ouvrir leurs yeux sur le fond de la manœuvre socialiste. Aujourd'hui la grève des fonctionnaires fait apparaître encore plus nettement cet aspect des grandes grèves actuelles en France.
Cela n'enlève rien au fait que l'attitude des staliniens et de la CGT est celle des briseurs de grève. Mais cela ne fait pas des socialistes, pris soudain d'un amour pour les ouvriers et pour les grèves, des défenseurs des intérêts des ouvriers. Cela doit surtout nous inciter à voir que le mécontentement des masses peut très bien être un élément d'exploitation dans l'intérêt du capitalisme.
Les positions occupées respectivement par les staliniens et les socialistes, les premiers contre les grèves et les seconds pour, ne relève pas d'une attitude générale par rapport aux luttes ouvrières mais de leurs positions particulières contingentes qu'ils occupent dans la situation politique présente en France.
En Belgique par exemple, nous avons pu voir une situation renversée où les socialistes, à la tête du gouvernement, brisaient implacablement les grèves tandis que les staliniens soutenaient les grèves et même en étaient les initiateurs. En Amérique nous voyons également les staliniens dans la CIO pousser à la grève. En Angleterre ils prennent l'initiative d'un mouvement "squatter", celui de faire occuper par les sans-abris et les chômeurs des locaux libres. Un renversement de la situation en France verra probablement les staliniens reprendre une allure "révolutionnaire" à la tête des mouvements de grève.
Dans la lutte fondamentale entre le prolétariat et le capitalisme, les staliniens et les socialistes sont également du côté du dernier, contre le premier ; mais dans une situation contingente, en l'absence d'une menace directe pour le régime, leur comportement est dicté d'après les intérêts fondamentaux des deux grands blocs impérialistes luttant pour l'hégémonie mondiale.
Les révolutionnaires qui ne tiennent pas compte de cela et se contentent de dénoncer le stalinisme dans son comportement du moment, sans expliquer plus à fond les raisons de ce comportement, font une double erreur. D'une part leurs attaques sont concentrées forcément uniquement contre le stalinisme sans pouvoir atteindre les socialistes, et d'autre part toutes leurs dénonciations contre le stalinisme se trouveraient sans aucune portée quand, pour des raisons de politique internationale, le stalinisme se trouverait dans l'opposition et reprendrait la tête des "luttes" ouvrières. Il est à craindre que non seulement les ouvriers accorderont alors plus que jamais leur confiance au stalinisme mais encore que les militants révolutionnaires soient profondément surpris. Dans les deux temps, on aura toujours facilité la démagogie d'un des deux partis et permis le renforcement de son influence sur les ouvriers.
Il est hors de doute que le mécontentement des masses puisse encore s'approfondir mais il es peu certain qu'il donne naissance à une issue révolutionnaire. Dans l'état actuel d'absence de conscience de classe et du cours vers la guerre, il est le plus probable que le mécontentement soit habilement utilisé en faveur d'un des deux blocs antagonistes et en vue de la préparation de la prochaine guerre, sous la forme immédiate de luttes d'influence entre le parti stalinien et le parti socialiste. Cette manœuvre s'est déjà largement faite jour dans les récents mouvements de grève en France.
La vie politique française est on ne peut plus confuse. Une suite d'élections, de référendums, de coups de théâtre, de partis qui dénoncent comme la pire des catastrophes ce qu'eux-mêmes ont proposé ou préparé pendant des mois, des volte-face ahurissantes, des sorties et des discours surprenants, des claquements de portes retentissants. Un gouvernement des Trois grands partis dont les ministres passent le meilleur de leur temps à faire des crocs en jambe à leurs collègues et à faire chaque dimanche des discours contre la politique gouvernementale des deux autres partis.
En apparence il semblerait que toute la vie politique est dominée par le souci d'élaborer la nouvelle constitution qui doit servir de fondement à la IV° République. Il n'en est rien. Les débats autour de la malheureuse constitution, les propositions, les amendements et tractations sont tellement obscurs que personne, même parmi les constituants, ne comprend quoi que ce soit ; et la très grande majorité de la population se désintéresse complètement.
On a pu voir les MRP introduire en fait une seconde chambre, ce contre quoi ils luttaient avec acharnement il y a quelques mois, et les radicaux d'expliquer qu'ils ont entendu leur position sur l'école laïque (leur cheval de bataille) dans le sens de la pleine liberté de l'enseignement et de rappeler que le Parti Radical socialiste est avant tout un parti de gouvernement, à comprendre que le Parti Radical est prêt à prendre sa place dans une future combinaison ministérielle.
Au fond, toute cette confusion ne fait que traduire la situation chaotique réelle dans laquelle se trouve la France au sortir de la guerre, avec son économie bouleversée, déséquilibrée, à laquelle le capitalisme ne voit aucun remède durable et à laquelle il s'adapte tant bien que mal avec une politique de palliatifs à la courte semaine. On peut évidemment distinguer entre les éléments plus conservateurs, plus attachés à la forme périmée du capitalisme privé, qui sont représentés par les partis de "droite" PRL et Radicaux, et les partis qui présentent la tendance nouvelle du capitalisme d'État, qui sont le "gauche", les staliniens, socialistes et le MRP. Cependant, ce n'est qu'une délimitation secondaire ; celle qui prédomine est le choix entre les deux blocs impérialistes au sein de qui la France est forcée de s'incorporer.
La période d'indépendance nationale, tout comme le libéralisme économique, est désormais dépassée. Avec elle, est passée également la possibilité d'une politique étroite de l'intérêt nationale. La nation capitaliste a fait place au système du bloc impérialiste groupant plusieurs pays sous la direction d'une grande puissance luttant pour l'hégémonie mondiale. Le capitalisme national s'aliène nécessairement une partie de sa liberté et de ses intérêts ; mais ses intérêts fondamentaux ne peuvent être sauvegardés que dans le cadre du bloc. Le patriotisme national s'élargit pour se fondre dans un patriotisme de bloc dans lequel la nation s'englobe.
La défaite du bloc germano-japonais ne laisse subsister que deux grands blocs, le russe et l'américain, dont l'antagonisme va en s'exacerbant pour une lutte à mort et la destruction de l'un par l'autre. Aucun pays n'est libre de rester à l'écart, leur liberté ne consiste que dans leur intégration volontaire ou forcée dans l'un des blocs. La France de De Gaulle croyait un moment pouvoir jouer entre les deux. Ce fut le romantisme de la "Grandeur traditionnelle de la France" que tout le monde a fini par rejeter pour son manque de réalisme et de sérieux.
Ce qui domine le fond de la vie politique en France n'est pas la lutte entre la "droite" et la "gauche", sur telle réforme ou tel paragraphe de la Constitution mais essentiellement l'orientation de la politique de la France.
La campagne du référendum pour la nouvelle constitution parrainée par les trois grands brouillera peut-être momentanément la vision de l'opposition fondamentale en la couvrant par une division artificielle et secondaire opposant le bloc gouvernemental à celui de l'opposition. La lutte contre la dictature des partis d'un côté, et la lutte contre l'aspiration à la dictature personnelle de l'autre, est une vaste fumisterie propice à la bataille électorale. De Gaulle s'est expliqué clairement en réclamant la possibilité, pour le chef de l'État, de constituer un gouvernement souverain hors de la France au cas où cela serait rendu nécessaire par une nouvelle occupation du pays. De Gaulle voit venir la guerre, il redoute une nouvelle invasion de la France et il n'a pas hésité à indiquer le nouvel envahisseur probable dans cette multitude d'esclaves sous la domination d'un gouvernement tout puissant. De Gaulle prend position contre le bloc russe moins souple, plus brutal ; il reproche violemment aux partis anti-russes, MRP et socialiste, de continuer, pour des raisons de "tactique", à composer avec les partisans du bloc russe, les staliniens. Qu'il ait raison ou tort dans sa politique brutale et cassante, il a situé la vraie ligne de démarcation, celle qui passe entre les staliniens et tous les autres partis, et qui n'est que le prolongement en France de la ligne de démarcation internationale entre les deux blocs impérialistes.
Des trois partis du bloc gouvernemental, le parti stalinien est indiscutablement le plus attaqué, le plus redouté, non seulement par l'opposition mais également par ses partenaires au gouvernement. En même temps, dans les conditions présentes, aucune combinaison gouvernementale n'est possible sans sa participation active, d'où la nécessité de concession et de compromission à son égard de la part des autres partis. Cette situation ambivalente est due au fait que le parti stalinien représente à lui seul la tendance du bloc russe en opposition à tous les autres partis.
Dans la mesure où les intérêts du capitalisme français se trouvaient en conflit avec la domination anglo-américaine – affaire de la Syrie, en Indochine et même en Afrique du Nord -, une tendance pro-russe ne pouvait manquer de se développer en France. Le parti stalinien apparaissait comme le meilleur défenseur des intérêts nationaux contre la convoitise impérialiste anglo-américaine. On doit cependant constater que, depuis le pacte De Gaulle-Staline, les penchants pro-russes sont devenus plus tièdes et la gratitude envers "la grande nation amie" n'est plus de mode, même chez Herriot. La bourgeoisie française est trop réaliste pour comprendre la nécessité pour elle de se soumettre aux États-Unis. Le soutien moral et les promesses russes ne pèsent pas lourd devant la puissance économique des États-Unis. Et la majorité du capitalisme français hésite de moins en moins dans le choix à faire. De là l'isolement du parti stalinien représentant, dans une France anglo-américaine, la cinquième colonne russe.
Mais le parti stalinien, en plus de toute la fraction pro-russe de la bourgeoisie, groupe des centaines de mille d'ouvriers. Il domine la grande organisation syndicale où sont emprisonnés près de 5 millions d'ouvriers. Ce parti exerce indiscutablement une influence prépondérante sur les masses travailleuses. C'est sa force avec laquelle les autres partis doivent compter et sont obligés de composer.
Pour le moment, tant que la situation internationale le permet, il est préférable que le parti stalinien participe au pouvoir d'autant plus qu'aucune concession de fond sur la politique extérieure ne lui est faite ; et cela encore malgré l'incapacité et l'incompétence évidentes de ses représentants à la gestion des affaires de l'État dans le clan anti-russe, c'est-à-dire la majorité de la bourgeoisie, des divergences s'élèvent sur l'opportunité des compromissions. La majorité de ce clan, plus souple et plus manœuvrière, les socialistes et le MRP optent pour cette tactique.
De son côté, le parti stalinien, dans l'intérêt général du capitalisme et dans l'intérêt particulier du bloc russe, trouve aussi son avantage, pour le moment tout au moins, de participer au gouvernement. Il ne faut pas négliger non plus d'autre part que le parti stalinien a tout une clique de bureaucrates, qui ont vite pris le goût des fauteuils ministériels, qu'il doit satisfaire.
Quelle que soit l'évolution ultérieure et la lutte violente de "guerre civile" entre les divers partis de la bourgeoisie, les contingences de la situation présente permettent et nécessitent la présence du parti stalinien au gouvernement et son utilisation dans la politique intérieure face aux masses travailleuses.
Cela ne signifie pas que la confiance des masses dans le parti stalinien exprimerait une radicalisation inconsciente de ces masses et qu'en se servant du parti stalinien la bourgeoisie use ses derniers atouts. La confiance des masses dans le parti stalinien n'exprime que le degré de la destruction de leur conscience de classe, le ravage fait par l'idéologie nationaliste dont elles sont imprégnées. C'est cela la base de leur confiance dans le parti stalinien en qui elles voient le champion de l'intérêt national. Le parti stalinien ne présente pas un dernier atout mais le moyen pour le moment le plus efficace de domination des masses au même titre que le Labour Party l'est en Angleterre et les socialistes en Italie.
En le disant nous ne voulons pas diminuer l'importance que présente le parti stalinien en tant qu'arme de la bourgeoisie pour mieux dominer les masses. Cela est absolument vrai mais cela ne permet nullement d'en déduire que la bourgeoisie a recours aux staliniens parce qu'il y a radicalisation des masses. Ce schéma banal et vulgaire se base sur un raisonnement absurde : la radicalisation des masses est démontrée par le recours au stalinisme et le recours au stalinisme est expliqué par la radicalisation des masses. Une démonstration de l'un par l'autre, en cercle fermé, peut se continuer ainsi à l'infini sans apporter aucun élément d'analyse sérieux. Si ce schéma de recours au stalinisme - se produisant parce qu'il y a radicalisation des masses et en vue de la contenir - était vrai, il s'en suivrait que tout débordement, par les masses, des cadres staliniens ou tout dégagement des masses de l'emprise stalinienne signifierait automatiquement une orientation des masses vers la révolution. Or, cela n'est nullement prouvé puisque nous assistons à des manifestations de masse d'ouvriers se dégageant du stalinisme mais continuant à évoluer sur un plan capitaliste au bénéfice d'autres formations idéologiques et politiques de la bourgeoisie comme les socialistes et les syndicalistes réformistes.
Le parti stalinien se trouve dans une situation assez particulière. En opposition avec l'orientation générale de la majorité de la bourgeoisie, il ne peut être utilisé ni dans la direction de la politique extérieure ni dans la direction militaire (quoique l'intérêt militaire d'un pays satellite perde énormément de son importance) ni dans la police intérieure (ministère de l'Intérieur) et des colonies (ministère des colonies). D'autre part, son incompétence flagrante empêche de lui confier la direction des finances et de l'économie nationale. Aussi, il est placé là où il peut le mieux être utilisé : à la production industrielle, au travail, à tous les postes où il s'agit d'obtenir des ouvriers le maximum de rendement, et de leur faire accepter le maximum de sacrifices.
Ces postes occupés par les hommes du parti stalinien le rendent particulièrement vulnérable. Dans les conflits du travail c'est au stalinisme qu'incombe la tâche ingrate de s'opposer aux ouvriers et, dans l'accomplissement de cette tâche, ils se discréditent. Cette situation difficile est largement mise à profit par les autres partis et en premier lieu par le parti "frère" socialiste.
Le parti socialiste est le grand parti de la bourgeoisie, le pivot de sa stabilité et son représentant le plus solide sur le plan international.
Blum se plaignait de l'ingratitude de la bourgeoisie, cela n'est que partiellement vrai. Dans les heures difficiles et décisives, c'est encore au parti socialiste qu'il faudra avoir recours et sa position, quelque peu ébranlée à l'intérieur par les staliniens, est d'autant plus forte sur le plan international.
Seuls les chefs politiques de second ordre, les Daniel Mayer, pouvaient être effrayés par la défaite relative aux élections de mai 1946. Pour des hommes comme Blum cette défaite fut salutaire car elle a permis au parti socialiste de se retirer sur des positions moins avancées tout en assurant le triomphe de l'essentiel de sa politique.
Avant mai 1946, les socialistes assumaient la plus lourde charge, s'exposant sans cesse à l'impopularité comme l'a fait un peu trop bêtement Félix Gouin. Continuellement bousculé par les campagnes de démagogie stalinienne et la pression du MRP, il n'a su résister ni à l'un ni à l'autre et se traînait à la remorque des deux. Les élections de mai l'ont fort heureusement libéré. Et même s'il n'a pas encore remonté le courant, même si cela ne se traduit pas encore aux prochaines élections, dans l'ensemble sa position est bien plus solide aujourd'hui qu'elle n'a été il y a quelques mois.
C'est contre le PCF que le" PS a à livrer la plus dure bataille. D'abord parce que le PCF présente, pour des raisons internationales, l'antagoniste principal et deuxièmement parce qu'il est le concurrent le plus direct (au niveau) de sa clientèle électorale.
On a fait beaucoup de bruit autour du dernier Congrès socialiste où tout le monde voulait voir des failles dans l'unité de ce parti et peut-être même des scissions éventuelles. Pourtant les divergences qui se sont faites jour n'étaient pas de nature à faire éclater ce parti. On voulait voir dans la tendance Guy Mollet une opposition communisante, voire une nouvelle tendance Zyromsky en quelque sorte. Rien de plus faux. La tendance Guy Mollet, qui a triomphé au Congrès et qui dirige actuellement le PS, s'est chargée de dissiper immédiatement tout soupçon de ce genre. Son premier acte au nom du nouveau comité directeur fut de dissoudre le Comité permanent d'entente social(ist)e et communiste. Dans sa lettre au PCF, Guy Mollet justifie cette décision en déclarant que, désormais, seul le comité directeur sera habilité pour traiter des ententes sur des actions communes, qui d'ailleurs ne peuvent être que des exceptions et non une pratique permanente. Sur le problème de l'unité organisationnelle tant agité par les staliniens, la lettre précise qu'une telle unité n'est pas à envisager pour le moment vu les divergences graves qui opposent les deux partis.
Nous ne nous trouvons donc pas devant une tendance au rapprochement mais, au contraire, devant un raidissement du PS contre le stalinisme. Les interventions de Capocci, secrétaire de la Fédération des syndicats des employés, son élection pour la première fois au comité directeur sont un indice qui ne peut tromper. On sait que Capocci mène une lutte violente dans la CGT contre la majorité stalinienne. Il est devenu le centre de la résistance anti-stalinienne. Les récentes grèves des postiers, des fonctionnaires lui ont donné l'occasion de porter des accusations les plus violentes contre eux. Son élection au Comité directeur ainsi que l'orientation donnée par le congrès vers un travail dans les usines (formation du groupe socialiste d'usine) prouvent que le PS est décidé à disputer âprement aux staliniens leur clientèle ouvrière.
On commettra encore une erreur en attribuant la victoire de la "gauche" à une pression de la base ouvrière. Il est à peine nécessaire de dire que la dispute doctrinale entre les "marxistes" et l'humaniste Blum était d'une pauvreté telle qu'elle ne présentait aucun intérêt et personne ne l'a prise au sérieux. Ce n'est certainement pas à cette dispute qu'on doit le vote contre le rapport moral.
Blum était dans le vrai quand il expliquait cette révolte par un mécontentement des militants contre la politique zigzagante, pleine d'hésitations du Comité directeur sortant. Ce que les militants socialistes demandaient, ce n'était pas une politique plus à gauche mais une politique plus indépendante, moins ballotante, plus virile en un mot. Et effectivement il semble que, dans la mesure du possible, le PS a déjà commencé à appliquer cette nouvelle politique. Les grèves des postiers, des fonctionnaires ont été amplement exploitées par le PS contre l'attitude particulièrement écœurante des staliniens, en attendant une autre occasion pour pouvoir se délimiter sur sa droite, du MRP.
Le monolithisme qui réussit si bien aux staliniens n'a jamais existé dans le PS. Le pluralisme des tendances est peut-être une faiblesse et lui enlève du dynamisme mais, par ailleurs, ce pluralisme fait la force du PS, le rend plus stable et plus solide. Les diverses tendances, aussi bien celles de "masses", de "libertés" que celle de droite, jouent le rôle de rabatteurs postés à des points différents. Pas plus que la droite, la "gauche" ne présente une expression une expression de la "base ouvrière", car au fond il n'y a pas de différence entre l'une et l'autre. la résolution finale sur la politique générale adoptée à l'unanimité du congrès en est la meilleure preuve.
Signalons à titre de curiosité le nombre de plus en plus grand d'anciens communistes et trotskistes qui jouent maintenant un rôle de premier plan dans la SFIO. Nous connaissions, avant la guerre, le cas de M. Paz, ancien membre du CC du PC et leader d'un groupe trotskiste pendant les premières années de l'Opposition de gauche. Cette fois nous avons (à faire) à Ferrat, Rimbert, Barré (député), à Rous qui était quelque chose comme secrétaire de l'Internationale trotskiste, et bien d'autres encore.
Enfin, M. Pivert – qui avait quelques velléités, avant la guerre, à jouer au chef révolutionnaire – a été réintégré au PS. Vraiment le congrès ne pouvait faire moins en donnant un certificat de bonne conduite nationale et socialiste à celui qui écrivit la fameuse lettre à De Gaulle. Ainsi, M. Pivert reprend une place qu'il n'aurait jamais dû quitter, et c'est justice.
Ainsi le PS sort non pas affaibli mais renforcé de son dernier congrès ; et si nous devions le caractériser dans une formule brève, nous dirions que le Parti Socialiste reste plus que jamais l'axe de la vie politique française et le pivot des futurs gouvernements.
Marco
Le Parti Communiste Internationaliste (trotskiste) vient de finir son 3ème Congrès auquel nous avons pu assister en partie, certaines séances ayant été publiques et ouvertes aux représentants de la presse[1].
Nous n'insisterons pas sur l'aspect extérieur des débats. Les trotskistes nous ont invités à plusieurs reprises à admirer la démocratie de leur congrès et cette démocratie était en effet irréprochable. Mais quelle que soit l'importance de la démocratie interne dans une organisation ouvrière, en définitive ce n'est pas cela qui détermine son caractère prolétarien ou non. Ce qui est essentiel c'est l'idéologie et le programme. Or sur ce point le présent congrès apporte peu de nouveau malgré le renversement de majorité qui s'y est produit. On peut résumer ce congrès en cinq mots : le trotskisme reste le trotskisme.
Cinq tendances se présentaient dans ce Congrès. On peut les examiner ainsi, en allant de ce qui est traditionnellement nommé la "droite" à ce qui est traditionnellement nommé la "gauche" (et en faisant les plus expresses réserves sur l'emploi de ces termes dans le cas présent ; nous y reviendrons) :
Les trois premières tendances étaient sur les positions traditionnelles de "la défense de l'URSS", les deux autres "antidéfensistes". La lutte principale se portait entre les deux tendances numériquement les plus fortes (de beaucoup) : la "majorité" et la "minorité". Cette lutte se terminait, après deux jours de débats sur "la politique générale", par la victoire (par 52 voix contre 46) de l'ancienne minorité sur un bloc hétéroclite composé de l'ancienne majorité, de la tendance Marcoux et de la tendance Montal. La tendance Guérin, qui avait refusé de faire bloc avec l'une ou l'autre des tendances défensistes, recevait 4 voix…
Examinons maintenant de plus près les positions politiques des différentes tendances et le sens de leur opposition.
Pour comprendre le sens d'un débat entre trotskistes, il faut avoir présent à l'esprit qu'aucun principe du trotskisme n'y est mis en cause (à l'exception de "la défense de l'URSS"). Les 4 premiers Congrès de l'IC sont considérés comme intangibles par toutes les tendances. Sur la question syndicale, la participation aux élections parlementaires, la question coloniale, le front unique, etc., aucune opposition de principe entre les diverses tendances. Aucune opposition non plus sur l'idée issue de "La maladie infantile du Communisme" de Lénine et qui peut être le centre et la clef de toute la politique trotskiste : l'idée que le rôle du parti révolutionnaire consiste essentiellement à "faire faire leur expérience aux MASSES" en lançant des "mots d'ordre transitoires". Aucune opposition non plus sur plusieurs de ces "mots d'ordre transitoires" confusionnistes et réactionnaires : échelle mobile des salaires, contrôle ouvrier, nationalisations[3]. Aucune opposition non plus sur cette idée essentielle que le rôle des révolutionnaires consiste, en tout temps, à rassembler "les masses autour d'un programme dont les principes n'ont pas à être discutés puisque le «bolchévisme-léninisme» apporte une réponse définitive à tous les problèmes théoriques fondamentaux." Unanimité également pour le principe des mots d'ordre démocratiques et pour "la lutte contre le fascisme".
Cette unanimité dans l'erreur est bien touchante et elle explique bien des choses. Elle explique en particulier ce caractère des discussions et des disputes trotskistes d'être bien éloigné de cette pauvre réalité qui a le tort de ne pas être "bolchévik-léniniste"…
En effet, sur la base de l'idéologie trotskiste telle que nous venons de la définir dans ses traits fondamentaux, il n'est pas possible de comprendre la situation actuelle ni d'ailleurs aucune situation. Ainsi, à travers les lunettes trotskistes, les luttes impérialistes en Grèce deviennent "la lutte du prolétariat grec", en Indochine elles deviennent "la révolution indochinoise" (unanimité de toutes les tendances sur ces deux points) ; etc.
Sur la question des perspectives, deux positions étaient représentées au Congrès. L'ancienne majorité soutenait que nous nous trouvons dans une période de crise révolutionnaire montante où la moindre lutte revendicative pose "des problèmes politiques" ; "ça explose de partout !" disait un délégué (lui qui, pourtant, ne paraissait pas particulièrement explosif). Cette position était partagée par les deux tendances qui se sont détachées de l'ancienne majorité, les tendances Marcoux et Montal.
En face nous trouvons la position de l'ancienne majorité partagée partiellement par la tendance Guérin : devant les échecs répétés des prévisions de la majorité (chute de Staline, révolution inévitable en Allemagne, etc.), ces militants voient la nécessité d'une attitude moins naïvement "optimiste". Mais de là ils déduisent une perspective de… stabilisation économique du capitalisme ouvrant une longue période de luttes revendicatives !
Personne – sauf quelques mots isolés de camarades de la tendance Guérin – n'a avancé la seule appréciation juste de la situation : cours vers la 3ème guerre mondiale. Personne n'a même parlé de la perspective de guerre, même pas pour dire que celle-ci ne menace pas… Et finalement l'unanimité s'est faite pour saluer la grève des postiers comme une manifestation éclatante du réveil du prolétariat[4] !
Il est d'ailleurs significatif que le Congrès n'ait prévu aucune discussion spéciale sur la situation économique et politique internationale (la tendance Guérin était la seule à le regretter). C'est que, pour les trotskistes, la "politique générale" c'est essentiellement la discussion de la "tactique" à adopter en face de la situation concrète du pays même.
Passons donc à ces questions "tactiques". Nous entrons là dans les (…) mêmes du trotskisme, pleines de mystères pour le profane qui n'est pas au courant des subtilités du "bolchévisme-léninisme". En effet, sur la base de l'idéologie "bolchévik-léniniste", les principes étant hors de discussion, les seules questions qui se posent sont la recherche de la meilleure façon de les appliquer. Quelle est la meilleure façon de "faire faire leur expérience aux masses" ? Voilà le thème essentiel des discussions trotskistes.
Et comme les principes sont faux, comme en particulier il n'est pas possible pour un parti – je ne dis pas un parti révolutionnaire ; mais même pour un parti trotskiste – d'acquérir une importance suffisante dans la période actuelle pour influencer les "masses" en quoi que ce soit, cela aboutit à des résultats quelques fois amusants.
C'est ainsi que nous voyons les membres du PCI – "parti" dont nous n'avons pas à donner une évaluation numérique mais dont chacun sait qu'il compte strictement pour zéro à côté des grands partis qui font la politique française – nous voyons les membres de cette organisation, dis-je, discuter gravement de savoir s'ils doivent ou non pousser le PCF au pouvoir (!) ou s'ils devaient voter OUI, NON ou s'abstenir au dernier référendum… L'ancienne majorité était pour le boycott, la minorité pour le vote OUI ; la décision de voter OUI avait été obtenue par le fait que la tendance Marcoux s'était détachée de la majorité sur cette question et avait bloqué avec la minorité, mais tout en justifiant leur position par des arguments "théoriques" tout à fait différents de ceux de la minorité, arguments impossibles à résumer et d'ailleurs sans intérêts.
Si nous ajoutons que certaines tendances ne sont guère autre chose que des cliques qui cherchent surtout à obtenir des places au CC et pour lesquelles les divergences "politiques" et "théoriques" sont surtout un moyen de justifier leur existence, on comprendra que les discussions deviennent tout à fait inextricables. C'est ainsi qu'il existe régulièrement dans les organisations trotskistes une question sur laquelle s'engage un débat interminable et de plus en plus confus jusqu'au jour où une autre question surgit pour "délimiter les tendances" et où tout l'ancien débat tombe dans l'oubli.
Il y a 3 ans la question était le "bonapartisme", il y a 2 ans la "barbarie". Au Congrès présent la plus grande partie du débat de "politique générale" a été occupé, en plus des discussions sur les perspectives et sur le référendum, par la question du mot-d'ordre de "gouvernement PC-PS-CGT" : "PC-PS-CGT" ou "PC-PS soutenu par la CGT" ; "gouvernement PC-PS-CGT" ou "gouvernement ouvrier et paysan", les deux étant différents ou identiques, etc. Nous renonçons à résumer ce débat auquel, de l'aveu de plusieurs délégués, les trotskistes eux-mêmes ne comprennent plus rien[5]. Signalons simplement que la tendance Guérin est la seule à rejeter toutes les variantes de ce mot-d'ordre. Et encore elle pourrait peut-être l'admettre s'il s'agissait de pousser au pouvoir (!) le Labour Party par exemple et non les staliniens qui sont prêts à massacrer l'avant-garde révolutionnaire.
Finalement quel est le sens de l'opposition des deux principales tendances ? L'ancienne majorité traitait l'ancienne minorité de "tendance opportuniste", cependant que la minorité s'opposait au "sectarisme de la majorité". Ce sont là des mots traditionnels. Quelle réalité se trouve derrière ces mots ?
Dans la question de l'attitude à prendre envers le stalinisme, des représentants de la minorité déclaraient à plusieurs reprises : "Notre ennemi est la bourgeoisie et non le stalinisme ; le stalinisme n'est qu'un obstacle entre nous et le prolétariat.
À quoi la "majorité répondait : "La lutte contre la bourgeoisie passe par la lutte contre le stalinisme."
Si l'on y réfléchit d'une façon rationnelle, on ne voit pas de contradiction entre ces deux thèses. Mais alors où est l'opposition?
Elle apparaîtra plus clairement si, anticipant un peu, nous envisageons les positions de ces deux tendances sur la question russe. Sur ce plan, aucune divergence essentielle ne sépare l'ancienne minorité de l'ancienne majorité (ni de la tendance Marcoux).
Les uns et les autres étaient également partisans de "la défense de l'URSS", de la défense de l'État russe, y compris dans la guerre, surtout dans la guerre. Ainsi, c'est la "majorité" qui a écrit la lettre publiée dans "La Vérité" proposant l'unité d'action au CC du PCF (!) pour la défense de la pauvre Russie menacée par le grand méchant loup anglo-américain en Iran et ailleurs.
Mais, tandis que la "majorité" s'en tient strictement aux anciennes justifications subtiles de "la défense de l'URSS", le rapporteur de la "minorité" déclarait en substance : "Il faut en finir avec le bavardage sur le «…bastion de la révolution…» ; il faut reconnaître que nous défendons la Russie telle qu'elle est, uniquement son économie est collectivisée et planifiée, et en ayant conscience de tous ses côtés réactionnaires."
Et telle est, en définitive, le véritable sens de l'opposition entre "minorité" et "majorité" : une opposition qui ne porte pas sur les principes politiques (qui sont les mêmes de part et d'autre) mais sur la phraséologie qui justifie ces principes. La "majorité" essaie de conserver d'anciens bavardages "théoriques" cent fois démentis par les faits ; la "minorité" sent la nécessité de se débarrasser de ce fardeau et c'est pourquoi elle est capable dans une certaine mesure – dans la mesure où les principes trotskistes le permettent – d'avoir une vue plus lucide des événements et une politique plus cohérente. Les positions de la "minorité" représentent une adaptation de la "théorie" trotskiste aux réalités de l'heure présente. C'est pourquoi cette tendance est en progression, arrivant à conquérir la majorité de l'organisation trotskiste française après qu'une tendance analogue ait déjà conquis la majorité de l'organisation trotskiste anglaise, tandis que l'ancienne majorité se disloque en de multiples tendances et sous-tendances.
Cela nous permet de comprendre la vanité qu'il y aurait à opposer ces tendances comme "droite" et "gauche". La "théorie" trotskiste traditionnelle se prétend révolutionnaire ; mais cette "théorie" est en contradiction avec les faits et avec la pratique trotskiste de toutes les tendances.
Sur la base de "la défense de l'URSS" et du "bolchévisme-léninisme" il n'est pas possible de mener une politique révolutionnaire.
Maintenant que cette contradiction devient trop criante, dans la mesure où une tendance voit la nécessité de mettre sa "théorie" un peu mieux en accord avec sa pratique, elle est amenée à rejeter certaines phrases "révolutionnaires" et à apparaître à "droite". Seulement ce qui compte ce ne sont pas les phrases justificatives, ce sont les positions effectives prises en face des événements, et sur ce plan nous ne constatons pas une opposition entre une "droite" et une "gauche" mais une identité profonde entre les deux tendances[6].
A plusieurs reprises les délégués de la "majorité" ont reproché à la politique de la minorité de n'être que du "stalinisme de gauche". C'est juste ! Mais c'est vrai pour le trotskisme tout entier.
En définitive, ce renversement de majorité n'aura que des conséquences minimes sur la politique effective du PCI (et de la 4ème Internationale) : le trotskisme reste le trotskisme.
La dernière journée des séances publiques était occupée par la discussion sur la "question de L'URSS", question soulevée par les deux tendances "anti-défensistes", les tendances Montal et Guérin.
Si le débat sur "la politique générale" nous avait fait assister à la lutte acharnée de la "majorité" et de "la minorité", cette dernière journée nous montrait surtout la lutte commune des trois tendances "défensistes" contre les deux tendances "anti-défensistes". Mais la lutte n'était plus acharnée, le cœur n'y était plus, la grande lutte – celle qui décidait des places au CC – était terminée. Et finalement le Congrès, dans une motion votée à l'unanimité, décidait… de ne rien décider. La question de l'URSS, disait en substance la motion d'unanimité, est une question nouvelle non encore discutée, on verra plus tard ; jusque-là le parti continuera à défendre la Russie.
Cela a quelque chose d'amusant. Depuis 30 ans qu'il existe un trotskisme, "la question de l'URSS" – de la caractérisation sociale de l'URSS, de la défense de la Russie… - revient périodiquement sur le tapis. Ainsi, le nouveau secrétaire du PCI, Craipeau, a été dans sa jeunesse le représentant d'une tendance "anti-défensiste" contre laquelle Trotsky a polémiqué durement.
Plus près de nous, en 1944, deux groupes de militants se sont détachés du PCI sur la base du défaitisme révolutionnaire en Russie (l'auteur de ces lignes faisait partie d'un de ces groupes) pour constituer, avec les RKD, l'Organisation Communiste Révolutionnaire. Depuis lors, le camarade Magneux[7], qui avait refusé de nous suivre dans la scission, n'a pas cessé de soutenir les positions "anti-défensistes" dans le PCI. Question non encore discutée ? !
Tel est le cadre dans lequel se déroule cette discussion, cadre qu'il faut avoir présent pour apprécier à leur juste valeur les tendances "anti-défensistes" et leurs perspectives d'avenir.
Sur le fond, beaucoup de bonnes choses ont été dites par les représentants des tendances Montal et Guérin. Il ne nous est pas possible de les résumer ni de faire une critique détaillée des points faibles de leurs argumentations.
Signalons toutefois un argument caractéristique qu'un délégué "défensiste" opposait à la tendance Guérin : "Si vous pensez, disait-il en substance, que l'URSS n'est plus un État ouvrier parce que l'État opprime le prolétariat, alors il vous faudra également conclure qu'il n'y avait pas d'État ouvrier en 1921 quand l'État massacrait les marins de Cronstadt." Eh oui, camarade Guérin ! C'est là qu'il te faudra en venir si tu as le mauvais goût de continuer à réfléchir ! D'une façon générale, le défaut fondamental des positions trotskistes "anti-défensistes" sur la Russie c'est de penser que "la question de l'URSS" ne se pose objectivement que d'une manière récente, par suite d'une évolution récente de la Russie, c'est de croire qu'il est possible d'y donner une réponse complète sur la base de la théorie léniniste (et marxiste) de "l'État ouvrier".
D'une façon plus générale encore, le défaut des deux tendances Montal et Guérin est de rester trotskiste dans toutes les questions autres que la question russe. Nous avons déjà souligné leur accord avec les autres tendances sur les bases du "bolchévisme-léninisme". Rappelons encore que la tendance Montal (la tendance Guérin a été plus digne) n'a pas craint de mêler ses voix avec celles des auteurs de la lettre au CC du PCF (proposant l'unité d'action pour la défense de la Russie) afin de "faire échec à la minorité", suivant ainsi la pratique trotskiste qui conduit à voter pour le PCF afin de faire échec au MRP, etc.
Nous savons bien qu'il est difficile de se débarrasser des traditions "bolchévistes-léninistes", que cela n'est possible qu'après – souvent longtemps après – la rupture organisationnelle avec les organisations trotskistes (l'exemple personnel de l'auteur de cet article est là pour en témoigner). Malheureusement, on ne peut rompre avec une organisation que si l'on sent la nécessité de cette rupture et les camarades des deux tendances "anti-défensistes" ne sentent visiblement pas cette nécessité.
Ces camarades - qui rompraient immédiatement avec une organisation ayant à son programme la défense de l'impérialisme français par exemple, qui par ailleurs jugent l'État "soviétique" comme un État impérialiste, aussi anti-prolétarien que tout autre – ne sentent pourtant aucune contradiction à rester dans une organisation qui défend l'impérialisme russe ! Sous prétexte que la question n'est pas discutée (!), ils acceptent de se plier à la discipline de la 4ème Internationale et de participer à la propagande trotskiste en faveur de la Russie.
Dans ces conditions, une alternative se présente à ces camarades : ou bien ils finiront par comprendre la vanité de leurs discussions à l'intérieur du PCI, ils rompront individuellement ou en groupes, ils constitueront un groupe autonome ou se rallieront aux groupes "ultra-gauches" déjà existant et alors ils pourront avoir une chance de progresser dans la compréhension de l'idéologie révolutionnaire et d'apporter quelque chose au prolétariat ; ou bien ils resteront dans le PCI et ils participeront par discipline à la préparation de la prochaine guerre impérialiste, ayant droit en compensation à soulager leur cœur dans le Bulletin intérieur et dans les congrès, si même ils ne suivent pas le chemin de Craipeau.
Il est vrai que le camarade Guérin a de grands espoirs : il espère un mouvement de la 4ème Internationale sur la question russe. Il compte sur l'appui des sections grecque, indienne, du groupe espagnol de Mexico, etc., et d'organisations actuellement extérieures à la 4ème Internationale comme le Workers Party de Schachtman.
Un tel espoir est vain. Il y a une place dans la société pour le trotskisme "défensiste". Aucune opposition ne pouvant exister légalement en Russie ni dans les PC, il est inévitable qu'une opposition modérée au stalinisme s'exprime dans une organisation extérieure aux PC. Il n'y a pas de raison pour qu'une opposition modérée, qui est actuellement représentée par la 4ème Internationale, disparaisse tant qu'il existera un stalinisme.
Ce qui est par contre possible c'est que, parallèlement à l'accentuation du contraste Russie-USA, il se produise une accentuation de l'opposition entre les tendances stalinisantes et anti-staliniennes dans le mouvement trotskiste. Il n'est pas exclu que ce processus aboutisse à une scission internationale du trotskisme. Mais les partis trotskistes "anti-défensistes" qui surgiraient n'auraient rien de plus prolétarien que les autres. Dans la guerre qui vient, ils se trouveraient simplement du côté des USA tandis que le trotskisme officiel se trouverait du côté de la Russie. L'idéologie trotskiste peut fournir un arsenal suffisant pour justifier un tel revirement, à travers "la lutte contre le fascisme", "la défense des minorités nationales opprimées", etc. Le Workers Party de Schachtman apparaît déjà comme une préfiguration de cet avenir sombre qui attend les "anti-défensistes" qui ne sauraient pas rompre avec le trotskisme.
L'orientation actuelle du cours des événements vers la 3ème guerre mondiale exclut la possibilité qu'une scission à large échelle du trotskisme soit déterminée par autre chose qu'une prise de position dans la guerre elle-même et pour la guerre. J'ajouterai même que la différence dans l'évolution des tendances trotskistes "anti-défensistes" en 1944 et en 1946 paraît être un résultat de la différence des situations.
Signalons pour terminer que le camarade Guérin, dans son rapport, a proposé d'envisager des pourparlers d'unification avec le PCI d'Italie (bordiguiste). "Les bordiguistes italiens, a-t-il dit en substance, forment une forte organisation et, par suite, ils ont été obligés de faire des progrès ; c'est ainsi qu'ils ont participé aux élections, critiqués en cela par les groupuscules bordiguistes français." Cette appréciation est tout à fait analogue à celle que nous donnions dans "Internationalisme" N° 12, à savoir qu'une "orientation vers les masses" dans la situation actuelle ne peut mener qu'à des fautes opportunistes. Seulement le camarade Guérin appelle "progrès" ce que nous appelons régression. Nous ignorons si les représentants de la Fraction Française "officielle" de la Gauche Communiste, qui se trouvaient dans le public, se sont sentis flattés ou gênés de cet éloge adressé à leur organisation-soeur (ou mère).
Pour le moment d'ailleurs, cette entrée du PCI d'Italie dans la 4ème Internationale, aussi bien que la scission internationale du trotskisme, reste dans le cadre des rêveries concernant l'avenir. Si nous revenons sur le terrain concret des résultats du 3ème Congrès du PCI français, nous pouvons conclure notre analyse du débat sur la question russe par une phrase que nous avons déjà écrite : le trotskisme reste le trotskisme.
BERGERON
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Dans l'article ci-dessus sur le Congrès du PCI trotskiste, le camarade Bergeron a tenu à formuler, en plus des positions qui nous sont communes (sur l'appréciation du trotskisme et sa critique), quelques idées qui lui sont personnelles. Ces idées concernent surtout l'appréciation portée par Bergeron sur les premières années de la Révolution russe. Ne pouvant faire la critique détaillée de cette appréciation dans le présent numéro (voir pour cela la collection d'Internationalisme) et pour éviter tout malentendu, nous avons estimé nécessaire de la spécifier.
La Rédaction.
[1] Signalons en passant l'illogisme des trotskistes qui invitent les représentants de la presse à leur congrès mais qui tiennent cachés dans des bulletins strictement intérieurs les textes discutés dans ce congrès.
[2] Ne pas confondre avec Daniel Guérin.
[3] La tendance Guérin a seulement déclaré que ce mot-d'ordre devait être employé "avec doigté" (sic!).
[4] Voir notre appréciation sur ce point dans Internationalisme N° 12.
[5] "La Vérité", dans son compte-rendu, parle "de nombreuses positions extrêmement nuancées". Qu'en termes galants…
[6] Au référendum, la "minorité" était pour le vote OUI et la "majorité" pour le boycott. Mais à l'égard du parti du peuple algérien, la "minorité" reprochait à la "majorité" de ne pas se délimiter suffisamment d'un parti nationaliste français bourgeois. Où est la droite ? Où est la gauche ?
[7] Aujourd'hui représentant de la tendance Guérin dans le nouveau CC.
Le problème national est lié à la Révolution bourgeoise. L'idée de nation se développe et grandit pendant toute la période de la Révolution bourgeoise qui, commençant à la Réforme, va jusqu'au développement du Grand Capitalisme Monopolisateur. Pendant la première période de la Révolution bourgeoise, la révolution anglaise du XVII° et la révolution française du XVIII°, les mouvements les plus radicaux des couches sociales les plus exploitées ou dont les droits politiques n'étaient pas encore reconnus[1] devaient en réalité pousser la Révolution bourgeoise à un stade où la bourgeoisie seule eut été incapable de s'élever. C'est ainsi que les "diggers" fut le mouvement révolutionnaire des soldats de l'armée de Cromwell, mouvement radical qui, en disparaissant, faisait disparaître avec lui le mouvement des "Niveleurs" de Lilburn. Le mouvement avait permis à la dictature de Cromwell de se consolider en mettant un frein aux tendances révolutionnaires les plus radicales et en consolidant, aux yeux des autres classes de la société, le pouvoir de l'État et la nécessité pour un temps donné de la continuation dudit pouvoir. Il en fut de même pour la Terreur. Poussés malgré eux par les Enragés puis par les Hébertistes, les Jacobins inaugurent celle-ci en supprimant ses plus audacieux partisans. La dictature de Cromwell sur le Parlement Croupion, celle de Robespierre et du Comité de Salut Public disparaîtront pour laisser place à la "réaction" une fois leur mission accomplie. En effet, leur passage aura marqué, en même temps, à l'intérieur une mission centralisatrice, à l'extérieur la lutte pour la reconnaissance par les autres nations des acquis de la Révolution.
Tout le mouvement reste national et patriotique ; aussi radical soit-il, il est voué à ce schéma impitoyable de la révolution bourgeoise, à savoir l'écrasement des couches les plus radicales une fois la révolution accomplie.
Dans la période ascendante du capitalisme, même quand les secousses révolutionnaires constituent un séisme social avec des répercussions à l'échelle internationale, le prolétariat révolutionnaire est voué à l'écrasement. Telles ont été les journées de juin 1848 en France, en Allemagne la campagne constitutionnelle. Telle apparaît également la Commune de Paris de 1871. En effet, c'est sur ses cadavres que s'est édifiée la III° République de triste mémoire. Jusque-là, ils n'apparaissent que comme radicalisation de mouvements dans les différentes couches de la bourgeoisie et finalement ne profitent qu'à elle seule. Cependant ils sont, comme on l'a si souvent dit et écrit, "la locomotive de l'histoire" poussant sans cesse celle-ci vers son stade supérieur.
En effet, si la révolution bourgeoise a économiquement détruit les restes du féodalisme qui était une entrave au développement du capitalisme et si son rôle, à cette époque, a consisté principalement à centraliser à l'échelle nationale et à briser le provincialisme, à bâtir les banques et la monnaie pour favoriser le développement du commerce, à unifier les poids et les mesures, etc., aujourd'hui nous nous trouvons devant un tout autre aspect du problème et, pour la bourgeoisie elle-même, le nationalisme et le patriotisme ne sont plus qu'une façade.
Sous le voile idéologique du patriotisme, elle sert à mobiliser derrière les intérêts de l'État capitaliste les masses d'exploités pour la défense de celle-ci.
C'est au travers de "l'Union sacrée" de "l'Union de tous pour la défense des intérêts de tous", sous l'oripeau tricolore que se fait ce bourrage de crâne populaire.
Cela n'est que l'aspect le plus simple et simpliste du problème national dans la période actuelle. En dehors de cette question nationale traditionnelle, qui sert toujours tant que servent à la bourgeoisie toutes les idéologies contre-révolutionnaires : nationalistes, antisémites, religieuses et laïques, stakhanovistes et autres, il existe un autre aspect du problème beaucoup plus complexe et qui nous plonge au cœur même de la situation présente.
Dans la période présente, la question nationale doit donc être envisagée sous le jour réel des conditions objectivement existantes. Les différentes Nations subsistent en tant qu'appareil de l'État bourgeois parce que la Nation est le milieu social nécessaire pour mobiliser toutes les classes autour des intérêts de la bourgeoisie. En même temps l'appareil étatique de répression de la bourgeoisie nationale s'érige en barrière de fer et de feu aussitôt qu'apparaît dans les classes opprimées un mouvement organisé d'émancipation.
Cependant, dans la période décadente du capitalisme, nous ne nous trouvons plus seulement avec des contradictions d'intérêts de bourgeoisies nationales entre elles mais, en plus, nous trouvons la constitution des blocs impérialistes et l'hégémonie parfois complète des pays impérialistes sur nombre de plus petits.
La constitution des grands blocs impérialistes suppose la complète inféodation des nations satellites. Les contradictions internes du régime capitaliste ne cèdent en rien de leurs droits : les contradictions entre les différentes nations composant le puzzle géographique du monde subsistent et même se trouvent aggravées ; la constitution des blocs impérialistes ne vient qu'en sur-intérêt, qu'en surenchère aux contradictions en en créant une de plus ; ils ne suppriment en rien les premiers, ils se les adjoignent au contraire dans leur entier pour en faire le jeu de leurs puissants intérêts.
De même, il faut ici aussi le souligner, comme faisant partie des contradictions internes de ce régime :
C'est ainsi qu'apparaissent clairement les problèmes posés par le relèvement de l'Allemagne au lendemain de l'autre guerre et de celle-ci.
Après la guerre 1914-18, un gouvernement social-démocrate sert parfaitement les intérêts de la bourgeoisie allemande : contre la révolution prolétarienne à l'intérieur, pour l'afflux des capitaux américains et le paiement des dettes de guerre. Mais la conséquence fatale du relèvement de l'économie allemande devait être sa tendance à se libérer du capitalisme financier anglo-américain en secouant le joug "démocratico-ploutocrate" de celui-ci et d'amener directement le fascisme (capitalisme d'État dans cette période donnée).
Le fascisme a été la forme classique, en même temps, de la contre-révolution dans certains pays à prolétariats avancés et de la révolution nationale populaire appelant les petits-bourgeois (bureaucrates, commerçants et intermédiaires, petits paysans) à soutenir les grands capitalistes industriels et les grands propriétaires fonciers d'un pays à se soulager de la suzeraineté d'un grand impérialisme quelconque. Dans ce cas-là, ou bien le pays est capable de s'ériger lui-même en grand impérialiste, formant lui-même un bloc à part telle l'Allemagne de Hitler, ou bien, trop faible seul, il doit se retourner coûte que coûte vers un bloc impérialiste et, à ce moment-là, le jeu des luttes qui se livrent en son sein est le reflet de ses luttes inter-impérialistes (Espagne 1936).
Le capitalisme, dans sa période présente, tend donc sporadiquement, et sans jamais y réussir parfaitement, à une plus haute concentration et centralisation à l'échelle internationale. Cependant comme il ne s'agit pas pour le capitalisme de gérer d'une façon raisonnée en vue de satisfaire aux intérêts de la société toute entière, comme le capitalisme agit sous la pression de ses intérêts immédiats – ou plutôt sous la pression de ceux des groupes capitalistes -, en vue de leur défense, comme au sein même de ces groupes existent de profondes divergences d'intérêts, ces groupements, ces monopoles, ces blocs impérialistes, en un mot cette tendance à une haute centralisation marque au plus haut point les contradictions dans lesquelles le régime se débat, son instabilité grandissante, ses tentatives de survivre malgré tout, alors que se pose objectivement à l'ordre du jour la révolution socialiste.
Ces formations de blocs, cette centralisation se créent en réalité sous la pression d'antagonismes plus violents et ils éclatent et se dissolvent sitôt que ces antagonismes sont résolus d'une manière ou d'une autre pour se poser de nouveau sur une échelle plus grande. En un mot, cette centralisation apparente cache une anarchie encore jamais égalée, elle marque la décadence et la décomposition du régime capitaliste.
Dans ce cas, des désordres - apparaissant à des yeux non avertis, à l'échelle nationale, dans des petits pays ou dans certaines colonies – ne sont nullement des phénomènes révolutionnaires du prolétariat, même si celui-ci s'y trouve mêlé physiquement, mais sont au contraire des luttes de rivalités inter-impérialistes mettant aux prises les intérêts de différents blocs antagonistes et s'appuyant sur certaines couches sociales de ces pays.
Dans ce cas, différents groupes se forment dans les pays, au sein de la bourgeoisie, selon que leurs intérêts les poussent (ou qu'ils croient agir dans ce sens) vers tel ou tel bloc impérialiste. Certains groupes au contraire peuvent penser qu'il faut être nationaliste avant tout et empêcher l'intrusion d'un impérialisme quelconque dans les affaires du pays.
Dans tous les cas, principalement dans les pays coloniaux, quand une bourgeoisie coloniale tend à s'émanciper de la métropole, même par des voies révolutionnaires et même si elle pense vraiment pouvoir réaliser son autonomie, ne peut que retomber, dans la période présente, devant le fait de la dépendance de tel ou tel bloc impérialiste. Même si l'objectif initial est une lutte émancipatrice et autonome, elle ne peut en aucun le rester et doit retomber sous la coupe d'un grand impérialisme.
Au contraire la révolution prolétarienne surgit comme un phénomène tendant à détruire l'État bourgeois et avec lui l'idée même de Nationalisme. La révolution prolétarienne est, à chaque fois qu'elle se produit dans l'histoire, un profond séisme international qui ne met le monde bourgeois en danger que dans la mesure où il prend conscience de sa force en tant que puissance révolutionnaire internationale ; et qui se trouve défaite et en régression au fur et à mesure que, soit par la force soit idéologiquement, l'État et la Nation reprennent en mains leur prolétariat. En envisageant le problème sous ce jour, toute lutte à caractère nationale n'a aucun caractère progressif, même et surtout dans une période de montée révolutionnaire.
L'IC, en envisageant le problème, alléguait que tout mouvement à tendance séparatiste tendait fatalement à affaiblir la métropole et à y créer des troubles sociaux. Mais c'est là envisager le problème à l'envers et c'est ce qu'a fait l'IC qui constatait les révolutions ou insurrections dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux.
En effet la révolution allemande vaincue et le centrisme maître des PC anglais et français, les prolétariats de ces grands pays capitalistes avaient les mains liées par l'opportunisme ; et si les mouvements de révolte dans les pays coloniaux ont eu des répercussions dans la métropole, cela n'a en rien mis en danger la bourgeoisie de ces pays.
C'est donc dans le sens où le prolétariat des pays les plus avancés feront leurs premières prises d'armes qu'ils pourront avoir un soutien de la part des exploités coloniaux ou des pays moins avancés ; mais là encore le péril nationaliste reste entier ; et c'est seulement dans la mesure où les exploités des pays coloniaux ou des États vassaux s'éloigneront de ce nationalisme qu'ils pourront renforcer sérieusement les mouvements révolutionnaires des pays les plus avancés.
De quelque façon que l'on pose ce problème, il faut le poser pour l'appliquer à une période donnée en fonction de la situation et des perspectives.
Pour nous – nous avons déjà souvent essayé de le démontrer dans les faits -, la situation est une situation de recul, une période réactionnaire et la perspective une perspective de guerre impérialiste entre les deux blocs dont les antagonismes s'accentuent toujours plus gravement : le bloc russe et le bloc américain.
En ce sens, les crises qui ont agité l'Iran à propos du "réveil national" de l'Azerbaïdjan soutenu par les russes dans leur presse et dans les Conférences de "la Paix" et à l'ONU ; le "réveil national" kurde, les "troubles dans les pays arabes, en Palestine et en Égypte - où il s'agit entre autre du stationnement des troupes anglaises et de la prépondérance de l'impérialisme anglo-américain – ont également la faveur et le soutien de l'impérialisme russe. En ce sens également, la guerre civile qui règne en Chine depuis la fin de la guerre en Extrême-Orient est suffisamment significative ; Tchang Kaï-Chek et les nationalistes voudraient faire l'Unité Nationale Chinoise au profit de leurs alliés anglo-américains, tandis que les "communistes" chinois, soutenus matériellement par les russes, veulent garder leur prépondérance dans la Chine du nord. En Corée, aussi bien qu'en Allemagne, le problème national est sous l'influence immédiate des antagonismes des deux grands blocs impérialistes.
En Indochine, la "révolution nationale" vietnamienne a eu comme résultat initial d'amener un compromis entre le Vietnam et la France parce que, pour l'instant, la bourgeoisie annamite a ses intérêts liés à ceux de la France et qu'elle n'a pas intérêt à se retourner vers un autre impérialisme, ou que la question ne peut pas encore se poser pour des questions de situation géographique ou d'opportunité politique, ou tout simplement parce que la bourgeoisie vietnamienne a dans le fond tout de même besoin des troupes françaises pour maintenir l'ordre dans ses affaires, et parce que la France a besoin pour ses intérêts de passer par l'intermédiaire de la bourgeoisie vietnamienne pour mieux opprimer matériellement et idéologiquement le "peuple" annamite.
La situation aux Indes est celle qui, par son actualité, retient le plus l'attention. La question de la constitution indoue n'est pas posée d'aujourd'hui. C'est dès le lendemain de la guerre de 1914-18, après le développement de l'exploitation des Indes par le capitalisme anglais que s'est marqué en même temps un "réveil national" dans différentes couches de la société indoue. Mais là encore, il est très clair aujourd'hui que chaque groupe a une position bien déterminée et en rien révolutionnaire ni progressive.
L'Angleterre s'était auparavant appuyée, en général, sur les musulmans contre les Indous, la caste riche et puissante de l'Inde. Mais pour les anglais il s'agit uniquement de la politique "diviser pour régner". Aujourd'hui, les musulmans mettent à l'ordre du jour le projet de formation d'un État indépendant, le Pakistan, dont la création est vue d'un très bon œil à Moscou, le futur Pakistan étant très proche de l'Asie occidentale russe. C'est pourquoi aujourd'hui, renversant leur politique, les anglais (en l'occurrence Wavell) s'appuient sur les Indous et les autres castes (le pandit Nehru, etc.) contre les Musulmans soutenus par les russes.
Plusieurs milliers de morts à Bombay et à Calcutta ! Grève générale ? Peut-être ! Mais à qui profitent ces troubles ? Qui les dirige ? Et qui paye les pots cassés ?
Ce sont quelques milliers de morts de plus que le prolétariat paie en tribut aux intérêts du capitalisme mais ce n'est en rien un "pas en avant" vers la révolution, tout au plus un pas en avant vers la 3ème guerre impérialiste. Pour les prolétaires de ces pays, dans la période présente, il n'est qu'une politique : ne pas se mêler à un conflit où leurs intérêts immédiats ou lointains ne sont pas en jeu. Et le jour où la force leur sera donnée par l'apport d'une montée révolutionnaire à l'échelle mondiale, une seule politique : le renversement de toutes les barrières nationales et de tous ces petits États.
(Se rappeler la polémique entre Rosa Luxemburg et Lénine sur la question nationale où Rosa défend une thèse encore valable aujourd'hui.)
[1] Tels les mouvements des "Niveleurs" à la tête desquels se trouvait Lilburn, dans la révolution de Cromwell, improprement appelé ainsi mais formant un conglomérat de toutes sortes de tendances petites-bourgeoises, paysannes, de juifs et y compris le mouvement des soldats, "diggers", ainsi que le mouvement des Enragés et des Hébertistes dans la Révolution française.
[2] Il serait plus juste de dire : "s'atténuent" parce qu'ils subsistent, ce qui augmente la supériorité de la classe révolutionnaire.
Il y a quelques temps les colonnes des journaux du monde entier étaient remplies de rapports sur la nouvelle campagne d'épuration qui s'est déclenchée récemment en Russie.
Cela a commencé par la production cinématographique où des scénaristes, des metteurs en scène très connus ont été violemment pris à partie. Leur faute consisterait à mettre trop l'accent sur l'initiative des masses, sans souligner suffisamment les hautes qualités des dirigeants dans la défense de la patrie durant la guerre.
La liberté de la critique, comme tout le monde le sait, n'existait pas en Russie, il fallait comprendre que l'initiative n'appartenait pas aux auteurs des articles accusateurs mais qu'ils avaient agi sur ordre supérieur. En effet, quelques jours après, la presse russe publiait une résolution du CC du Parti Communiste à ce sujet. Ce fut le signal d'un déchaînement de campagne de critiques savamment orchestrée, comme cela est typique en Russie. Les dénonciations des "déviations bourgeoises" et de "l'esprit pourri de l'Occident" battent leur (son) plein. Tout un chacun se sent menacé et personne ne peut se dire à l'abri.
Comme un ouragan déchaîné, la "critique" a déferlé sur toutes les branches de l'activité artistique. Du cinéma au théâtre, à la musique, à la production littéraire, à la presse quotidienne d'information, dans l'enseignement, partout où l'on a soudainement découvert des malfaçons, des déformations de l'esprit pur du bolchévisme et de Staline, partout dans tous les domaines on a trouvé des hérétiques à démasquer dans le pur style de la maison, c'est-à-dire que celui qui a dénoncé la veille l'est lui-même aujourd'hui par celui qui le sera à son tour demain.
La Russie de Staline a des traditions à conserver et tout le monde observe scrupuleusement la règle du jeu. Pour qui connaît tant soit peu la façon d'agir de l'État "socialiste" russe, il ne pouvait y avoir de doute que nous assistions à l'ouverture d'une grande campagne dont la critique de l'activité artistique n'était que le hors-d’œuvre, le préambule.
En 15 jours on a fini par passer du terrain de l'art à celui du social, le vrai objectif de toute cette campagne. Brusquement on a découvert des vols, des mises en vente illégales de terres de l'État appartenant aux kolkhozes. Des dilapidations des avoirs des kolkhozes, machines, semences, bétails, récoltes etc. A la suite de cette campagne, des milliers de fonctionnaires, petits bureaucrates, subalternes, présidents de kolkhozes et secrétaires de cellules ont été déplacés, inculpés, arrêtés.
A quoi vise cette campagne d'épuration ?
Les staliniens, qui ne sont jamais embarrassés quand il s'agit de justifier ce qui se passe en Russie, ne se contentent pas seulement de justifier toutes les mesures les plus draconiennes mais mettent en parallèle l'énergie de la Patrie "socialiste" dans sa lutte contre les défaillants et la mollesse de l'épuration dans les pays capitalistes. On ne saurait douter en toute loyauté de l'énergie dans la répression de la Russie de Staline. Sur ce point, elle peut en montrer beaucoup aux autres pays et même à des régimes d'un Hitler ou d'un Mussolini qui n'ont pas manqué de s'en inspirer.
On sait que la terreur est le fait le plus constant dans la Russie de Staline, on s'explique en conséquence difficilement que, malgré cette terreur "la première du monde", de larges couches de ce peuple le plus policé et le plus surveillé trouve la possibilité de se livrer à des attentats contre l'ordre au point de nécessiter de temps à autre l'organisation de campagne spéciale d'épuration.
Certains journaux socialisants, tel "Combat", se sont efforcés d'expliquer la récente campagne par l'état de mécontentement de la population, mécontentement provoqué par la situation matérielle inhumaine dans laquelle vivent et souffrent les larges masses. Les conditions de vie en Russie - qui étaient déjà, avant la guerre, très inférieures à celles des pays de l'Europe – se sont terriblement aggravées au cours de la guerre. Tout le centre économique de la production des articles de consommation immédiate -l'Ukraine, la Russie blanche, la Crimée et le Donetz- a longtemps été occupé par l'armée allemande et complètement dévasté par des campagnes militaires, par les successives occupations et réoccupations dans les péripéties de la guerre russo-allemande. Il n'y a aucun doute que les articles de consommation directe des masses déjà fortement insuffisants avant, parce qu'ils ne présentaient pas le moindre souci pour les réalisateurs des plans quinquennaux, soient devenus quasi complètement introuvables aujourd'hui à la suite de la guerre et des dévastations. Il n'y aura rien d'étonnant à ce que, dans une situation de disette et de famine, fleurissent d'une part la spéculation, le marché noir et le lucre, d'autre part la tendance des larges masses à se procurer, par tous les moyens possibles et au risque de n'importe quelle répression, le minimum indispensable d'objet de consommation.
Le mécontentement est un fait général en Russie. Il suffit de constater les désertions massives des soldats de l'armée rouge à l'étranger et la résistance de nombreux prisonniers russes au rapatriement dans leur chère "patrie" pour s'en convaincre. La disette dans les villes est à la base de la désertion des ouvriers des usines. Cette désertion a pris de telles proportions que le gouvernement fut obligé de renoncer provisoirement aux simples mesures de contraintes et de promulguer une amnistie générale afin de faire revenir les ouvriers à leur lieu de travail. Il est fort possible dans ces conditions que le gouvernement cherche à dévier le mécontentement, à trouver des boucs émissaires qu'il rend responsables de la pagaille et de la disette. D'autre part il essaie de mettre un terme à un relâchement de la discipline dans le domaine de la production et surtout dans le domaine de la circulation des produits de première nécessité. Des millions d'êtres abandonnés souvent à leur propre sort pendant des mois durant la guerre ont pris l'habitude de se débrouiller comme ils pouvaient et de procurer le nécessaire par le troc direct et par leur propre production individuelle. Il n'y a rien d'étonnant à ce que la population paysanne ait partagé des propriétés d'État ou des kolkhozes : la terre, les moyens de production et le bétail.
Certainement que de telles dislocations de kolkhozes donnaient lieu à des abus nombreux de la part des présidents ou autres fonctionnaires bureaucrates, s'arrogeant le droit de propriétaire et procédant à des mises en vente à leur propre bénéfice.
Les témoignages que nous avons pu recueillir de personnes revenant récemment de ce pays de cocagne concordent tous pour souligner qu'il n'y a peut-être pas un autre pays en Europe où règnerait, comme en Russie, dans tous les actes de la vie, le système de pots de vin au point qu'il constitueraient la source principale et souvent unique des revenus des citoyens.
On comprend que l'État, unique propriétaire en Russie, ne puisse s'accommoder longtemps de cet état de choses où le gaspillage lui apparaît avant tout comme une atteinte à ses intérêts de propriétaire. Sous le prétexte de ramener de l'ordre dans la vie économique, il s'agit uniquement de son ordre à lui, c'est-à-dire de reprendre le contrôle de la vie économique qui lui a particulièrement échappé, et soumettre toute la population à une rigoureuse discipline de travail en vue de leur exploitation maximum dans son intérêt. Il faut se rappeler que la Russie a subi de terribles destructions. Pour tenir sa place de grande puissance antagoniste des États-Unis, l'État russe doit au plus vite rétablir sa puissance économique et industrielle. Son désavantage financier et matériel par rapport aux États-Unis, l'État russe tente de le compenser d'une part par une politique de pillage effréné dans les pays de l'Europe orientale et balkanique occupés par lui et, d'autre part, par la mise en esclavage absolu, par l'exploitation poussée à la limite extrême des grandes masses de sa population à l'intérieur.
Les trotskistes, si jamais ils se décident à en parler (n'oublions pas que cela peut porter atteinte au prestige de "l'État ouvrier" et par suite compromettre "la défense des conquêtes d'Octobre"), verront sans doute dans cette campagne d'épuration l'expression d'un réveil des masses ouvrières russes contre l'appareil stalinien. Cette façon de voir toujours dans la répression sanglante de l'État stalinien un acte préventif face à un réveil sourd mais menaçant des masses ouvrières est une vue schématique qui ne repose absolument sur rien. Déjà en 1934 Trotsky voulait absolument voir dans l'attentat de Kirov et la répression qui a suivi la manifestation d'un esprit anti-stalinien dans la classe ouvrière. Dans le même sens il interprétait les ignobles procès de Moscou. Sur ce point, comme sur bien d'autres, Trotsky s'est absolument trompé. Malheureusement pour le prolétariat international les ouvriers russes se sont trouvés en 1934-36 et se trouvent encore aujourd'hui dans l'impossibilité absolue de manifester la moindre volonté de lutte. La conscience révolutionnaire du prolétariat russe a été brisée et anéantie par l'État stalinien a un degré bien plus grand que n'a pu le faire aucun autre État dans aucun autre pays. Tout laisse craindre que les ouvriers russes ne parviendront à reprendre leur chemin de classe qu'à la suite de tourmentes révolutionnaires dans les autres pays de l'Europe et, en premier lieu, à la suite d'une entrée en lutter du prolétariat allemand. La Russie peut justement jouer son rôle, dans le monde, de bastion du capitalisme et la plus grande force de la contre-révolution que parce qu'elle est parvenue à détruire plus profondément la conscience de classe du prolétariat russe, que parce qu'elle est assurée momentanément de son apathie et de son concours.
Une explication dans le genre trotskiste serait dénuée de tout fondement et reposerait sur une illusion trompeuse. Une telle illusion, s'intercalant dans une appréciation générale erronée de la situation internationale et des rapports de force des classes dans le monde, ne peut qu'obscurcir encore un peu plus la vision de la réalité et des perspectives qui apparaissent extrêmement graves. Les révolutionnaires ne se divisent pas en pessimistes et optimistes. Ils n'ont que faire de ces classifications sentimentales et encore moins d'une recherche de consolation. Ils n'ont que l'examen de la réalité pour guide et la volonté d'intervenir dans cette réalité afin de contribuer, dans la mesure de leur force, à la déterminer dans le sens de la Révolution prolétarienne.
Pour revenir à la Russie, il faudrait abandonner "la façon de voir ce qu'on voudrait" et voir ce qui est. Il y a d'abord un aspect social qui présente un intérêt colossal : la façon originale de la constitution de la classe dirigeante dans un système de capitalisme d'État. À l'encontre du capitalisme classique - où la classe exploiteuse se constitue en tant que classe sur la base de la possession privée des moyens de production, ce qui est valable aussi bien pour les individualités en tant que membres de cette classe, qui restent capitalistes que dans la mesure où ils parviennent à se maintenir dans leur situation sociale -, la formation de la classe exploiteuse dans le régime de capitalisme d'État ne peut se faire sur la base de la possession privée. Si pour la classe dans son ensemble, dans son entité, cela ne représente pas de modifications fondamentales, les moyens de production continuant à fonctionner comme capital en vue de la production de la plus-value au bénéfice collectif de la classe, il n'en est pas de même en ce qui concerne la sélection individuelle. Ici les modifications sont très profondes.
Dans le régime capitaliste classique, chaque capitaliste prélève dans la plus-value générale au prorata de son capital. En régime de capitalisme d'État, cette base fait défaut. On saisit toute la complexité du problème qui jusqu'à aujourd'hui ne permet pas de distinguer très nettement les critères déterminant la position sociale de l'individu susceptible de s'élever de la condition de prolétaire à celle d'un haut bureaucrate, ou de chuter du jour au lendemain d'une position privilégiée d'un chef de l'État à celle de prisonnier esclave. L'absence de lois strictement économiques réglant la position sociale de l'individu crée entre les membres de la classe dirigeante (et de ceux qui tendent à y parvenir) une lutte féroce. D'autant plus que les lois qui conditionnent la position sociale sont plus obscures, plus confuses et plus instables.
Sans vouloir, dans le cadre de cet article, examiner plus à fond cette question dont l'étude est d'un intérêt capital, il faut cependant avoir constamment en vue cet aspect social de la formation de la classe pour comprendre les événements sanglants qui se produisent dans le régime stalinien, comme ils se sont également manifestés en Allemagne. L'épisode de la liquidation physique de toute la clique de Röhm par celle de Hitler ; la liquidation en Russie des Iagoda, des Iejov et de tant d'autres fonctionnaires de l'appareil d'État et de l'armée sont de même nature et ne peuvent avoir d'autre signification.
Mais cette lutte constante, à travers laquelle s'opère d'une façon originale et quelque peu instable la sélection de la classe dirigeante, reste toutefois secondaire par rapport à l'unité profonde de ses intérêts de classe et d'État qui se manifeste, dans une solidarité plus grande que jamais, face aux autres classes qu'elle soumet à une surexploitation économique et à une domination politique absolue et tyrannique.
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La guerre moderne est essentiellement une guerre de matériel, de résistance économique et de capacité de production. L'art de la guerre : la stratégie militaire a été détrônée par la technique et l'organisation de la production des engins de guerre. La guerre a cessé d'être exclusivement militaire pour devenir en quelque sorte "civile" dans la mesure même où toute la vie civile de la société est militarisée et désormais basée entièrement sur la guerre et la destruction. Les tranchées d'autrefois sont remplacées aujourd'hui par les usines et l'ouvrier se substitue au soldat pour devenir le fondement de l'armée moderne[1].
Bien plus importante que la préparation et la formation militaire, s'impose aujourd'hui à tout État appelé à prendre place dans la guerre la mise au point de son appareil industriel où la mobilisation et l'organisation de la main d'œuvre joue le rôle prépondérant. Cette vérité fut hautement comprise par l'Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne. Cette organisation de la main d'œuvre, minutieusement préparée pendant des années, a permis à l'une et à l'autre d'accomplir des miracles de résistance devant les coups les plus durs durant la deuxième guerre mondiale. L'expérience l'a par la suite confirmée. Le point faible de l'Allemagne, le point qui en cédant devait entraîner rapidement la défaite de l'impérialisme allemand fut non pas son infériorité militaire ou les erreurs stratégiques, ni même ses difficultés d'approvisionnement en matières premières nécessaires à sa production de guerre, ni la pénurie de matières alimentaires mais avant tout le manque de main d'œuvre et l'affaiblissement du "bon moral" entraînant le relâchement de la discipline et la défaillance des troupes. Sur ce plan, le système de Staline s'avérait bien plus perfectionné que celui d'Hitler.
La Russie sort très dévastée de la guerre. Elle a beaucoup à reconstruire. Elle a perdu officiellement 17 millions d'hommes. Mais surtout, dans la conjoncture politique immédiate de préparation hâtive du prochain conflit mondial russo-américain, la Russie n'a pas un instant à perdre. Elle doit au plus vite mettre au point son appareil défensif et offensif et, en tout premier lieu, achever et parfaire la mobilisation de sa main d'œuvre.
Nous avons vu quel rôle décisif a joué la mobilisation de la main d'œuvre durant la guerre pour tous les pays mais c'est encore en Russie qu'elle a avait été poussée le plus loin. Ce que Hitler ne pouvait faire qu'à travers la guerre, quand il disposait de millions de prisonniers de guerre qui lui permettait de pratiquer en grand les déportations massives pour transformer cette masse d'hommes en un immense réservoir de main d'œuvre, véritable armée industrielle, Staline l'a accompli avec moins de bruit et plus de méthode bien avant la guerre. En 1939, la Russie comptait le chiffre ahurissant de 20 millions de prisonniers politiques et administratifs, véritable armée d'esclaves sans aucun droit, à la disposition absolue de l'État.
Kravachenko – ce haut fonctionnaire d'État stalinien qui, profitant de son séjour aux États-Unis vers la fin de la guerre pour rompre avec le gouvernement russe – raconte dans son livre l'anecdote suivante : "Pendant les années de la guerre, tous les commissariats étaient amenés à assiéger la GPU par leur réclamation de main d'œuvre dont ils avaient besoin dans leurs secteurs particuliers." La GPU disposait de 20 millions d'hommes qui était le réservoir de la main d'œuvre, nerf principal de la guerre dont dépendait toute la vie économique. Les demandes suivaient un rythme accéléré à tel point que la GPU ne parvenait plus à les satisfaire et un jour un des chefs de la GPU finit par se plaindre en ces termes devant Kravachenko : "Que voulez-vous, il faut reconnaître que nous n'avons pas suffisamment accompli notre plan d'emprisonnement." Aussi invraisemblable que puisse paraître une telle boutade par sa monstruosité, elle exprime parfaitement le véritable sens de toutes les campagnes d'épuration qui ont lieu en Russie. Le demi esclavage de tout le prolétariat russe ne suffit pas. Il faut que le gouvernement puisse disposer de vrais esclaves, absolument hors-la-loi et en nombre de plus en plus grand.
La campagne de dékoulakisation et d'épuration des années 1933-36 ont donné au gouvernement russe 20 millions d'esclaves. La guerre a décimé les rangs qu'il importe de compléter. Pour la prochaine guerre il faudra davantage. C'est sur l'immense masse des paysans que le gouvernement compte prélever les contingents nécessaires d'esclaves. En Russie où les mots n'ont pas leur signification courante, où la tyrannie la plus hideuse s'appelle "la démocratie la plus parfaite du monde", où un assassin s'appelle "le bien aimé père des peuples", la campagne de recrutement d'esclaves indispensables pour la conduite de la prochaine guerre impérialiste s'appelle l'épuration et la vigilance socialiste.
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Toutes les manifestations de la vie politique et diplomatique internationales expriment une exacerbation des antagonismes inter-impérialistes et leur évolution vers le conflit armé.
La récente Conférence des 21, appelée ironiquement la Conférence de la Paix, était une excellente occasion d'étalage de la préparation à la guerre. Nous n'avons aucun mérite en le disant et nous n'avons pas besoin de prendre la peine d'en faire la démonstration. Toute la presse bourgeoise du monde entier n'a rien fait d'autre, pendant des semaines, que de reproduire les déclarations d'hostilité impérialiste que tous les chefs d'État étalent au grand jour, sans même prendre la précaution de les couvrir de l'hypocrisie diplomatique habituelle.
Mieux encore ! Les grandes puissances qui dominent le monde, trouvant le Palais du Luxembourg trop étroit, ont préféré les grandes tribunes pour faire éclater leurs convictions belliqueuses et prêcher la croisade pour la prochaine guerre. Churchill, porte-parole officieux de l'impérialisme anglais, se promène à travers le monde la torche à la main. Son dernier exploit est son discours de Zurich où il convie la France à s'entendre avec l'Allemagne. La deuxième guerre anti-allemande est finie, la troisième entre l'Occident et l'Orient est à l'ordre du jour. Byrnes, s'ennuyant dans les commissions de la Conférence de la Paix, s'adresse de Stuttgart à l'Allemagne et au monde. Pour lui aussi, ce n'est pas vers le passé (la guerre d'hier) qu'il faut se tourner. Le général Smuts rend visite à l'État-major des États-Unis et au président Truman ; Eisenhower, à son tour, avertit le monde. Jusqu'au général De Gaulle, ce grand petit homme, qui se remue et s'agite. Le monde capitaliste est conscient de la marche inévitable vers la 3ème guerre et le manifeste bruyamment.
Dans cette atmosphère générale, il se trouve des hommes politiques qui voudraient non pas arrêter l'inévitable, ce qui n'est pas en leur pouvoir ni dans leur intention, mais préconisent une voie moins brutale qui essaient d'éloigner l'échéance par une diplomatie plus subtile et une politique plus nuancée. C'est surtout en Amérique que nous assistons à de telles manifestations où des hommes d'État de l'impérialisme Yankee ne verraient pas sans déplaisir l'Angleterre subir le poids de la situation internationale, aux dépens de qui on pourrait continuer à se faire engraisser en attendant le règlement de l'antagonisme fondamental russo-américain remis à un peu plus tard. C'est en quelque sorte un néo-Munich que Wallace et ses partisans préconisent. Mais il ne semble pas que la situation internationale soit favorable à cette politique. Le match Byrnes-Wallace s'est terminé par la victoire du premier, c'est-à-dire par la victoire de la politique rigide, brutale, offensive et l'écartement, forme d'épuration dans le style américain, du dernier.
Ce tiraillement de tendance n'est pas un produit uniquement américain. On le trouve dans tous les pays, y compris la Russie, et il se solde, dans tous les pays la Russie compris, par l'avantage et le renforcement des tendances à la politique moins hésitante et plus agressive. En Russie, Wallace s'appelle Litvinov et Byrnes se traduit par Molotov-Vichynski. Cette dernière est la doctrine du gouvernement. L'unique différence avec les États-Unis et l'Europe capitaliste c'est que dans le pays du capitalisme d'État tout échec d'une politique entraîne pour ses protagonistes des conséquences plus fâcheuses. Toukhatchevski et les autres généraux ont payé de leur vie le changement d'orientation de la politique extérieure de l'État russe. Il est fort possible que, dans les sphères dirigeantes qui ont subi l'influence occidentale dans leur contact avec les armées anglo-saxonnes, se trouvent à nouveau des Toukhatchevski. Cela n'aura rien d'étonnant. Dans ce cas l'épuration sera poursuivie sans merci comme elle le fut en 1933. En partie, la campagne actuelle d'épuration en Russie est un pendant des éliminations et démissions aux États-Unis.
Dans l'une comme dans l'autre, elles ont ceci de commun qu'elles présentent un épisode de la préparation à la troisième guerre impérialiste mondiale.
Marco.
[1] Profitons de l'occasion pour dire en passant combien plus surannée encore nous semble l'attitude de l'objecteur de conscience. Le refus individuel n'a jamais pu être pris comme solution à un problème qui est essentiellement social et, partant, ne peut être résolu que par l'action collective de la lutte de classe. Aujourd'hui le refus individuel de répondre à l'appel ne met même pas à l'abri, en tant qu'acte moral, la conscience personnelle. Seule une illusion consolatrice mais absolument trompeuse peut aujourd'hui trouver à faire une distinction entre le fait de fabriquer la bombe et celui de la lancer. Cette distinction existe uniquement en tant que spécialisation dans la division du travail mais n'a pas d'autre valeur économique ni politique surtout en tant que démonstration individuelle.
Péniblement, la deuxième Constituante a achevé son existence. Elle a été élue pour élaborer une constitution susceptible de grouper la grande majorité du corps électoral. Elle a réussi en 7 mois à jeter le discrédit sur la Constitution, la Constituante et les constituants.
La Constitution en elle-même nous intéresse très médiocrement. Si nous pouvions nous adresser aux larges masses, nous ne ferions pas davantage un examen minutieux de ses articles. Tout au plus, prendrions-nous alors quelques passages caractéristiques de la Constitution pour convaincre les ouvriers encore inconscients de son caractère capitaliste. Ce qui importe en définitive pour la classe opprimée, ce n'est pas de disséquer la juridiction de la classe exploiteuse mais de se convaincre que la juridiction est toujours à l'image et au service de la classe au pouvoir. Seuls des charlatans peuvent entretenir l'illusion que la classe opprimée peut entretenir et modifier substantiellement les lois de la classe dominante. L'intervention du prolétariat dans l'édification de la superstructure de la société capitaliste ne peut en rien modifier son caractère mais, par contre, une telle intervention fait du prolétariat un auxiliaire bénévole du régime capitaliste, l'artisan de son propre esclavage, le forgeron de ses propres chaînes.
Nous n'avons donc pas à nous immiscer dans les disputes obscures et confuses que se livrent les porte-parole de la bourgeoisie autour des subtilités rédactionnelles des articles de la Constitution. Le lecteur le plus assidu des débats constitutionnels, malgré sa meilleure bonne volonté, a fini d'ailleurs par en avoir assez et par manifester de l'indifférence. Il était temps d'en finir avec cette comédie constitutionnelle.
Les trotskistes sont les oiseaux qui ont pris au sérieux la lutte autour de la Constitution. On trouvera dans une série de numéros de la "Vérité" une critique détaillée de tel ou tel article de la Constitution auquel les trotskistes opposent tel correctif. Ils dénoncent, par exemple, l'élection des députés pour une durée de 4 ans comme réactionnaire, à laquelle ils opposent l'élection pour un an = réforme démocratique. À suivre leur raisonnement, la première et la deuxième constituantes, qui n'ont duré chacune que 7 mois, paraissent être le summum de la "démocratie".
L'élection ou non d'un président de la République, l'existence de deux chambres au lieu d'une leur semble du plus haut intérêt et leur attitude envers la Constitution est basée non d'après sa fonction bourgeoise mais d'après tel ou tel point particulier. Trouvant que la nouvelle constitution est réactionnaire, les trotskistes n'ont plus voté "oui" comme en mai et, se prenant au sérieux comme il convient à un grand parti de masses, n'ont pas voté non plus "non" pour ne pas faire le jeu de la "réaction" et de De Gaulle. Tactique et stratégie.
On connaît les résultats du référendum : 36% de "oui", 33% de "non" et 31% d'abstentions. Ces chiffres n'ont de sens que si on comprend le fond réel du débat, lequel a été amplement obscurci et déformé par une lutte apparemment constitutionnelle.
Ce qui était en question, ce n'étaient pas les conceptions particulières et divergentes sur les institutions de l'Etat mais l'orientation générale de la politique du capitalisme français et plus particulièrement l'orientation de sa politique extérieure.
La politique de "grandeur", représentée autrefois par De Gaulle, prétendant faire de la France un pays indépendant et qui jouerait par surcroît le rôle d'un arbitre entre les deux grands blocs, américain et russe, cette politique avait fait rapidement une faillite complète.
Le tripartisme était la politique de conciliation entre les deux blocs qui s'exprimait sur le plan gouvernemental par la collaboration du parti stalinien avec les partis SFIO et MRP. C'est cette politique de conciliation qui était en question et dont le référendum a souligné la banqueroute. Il n'y a pas plus de possibilité de conciliation que d'arbitrage et les partis liés à cette politique ont fait les frais du référendum.
Le grand nombre d'abstentions est dû à la fois à la lassitude des électeurs soumis à un régime forcené d'élection, à la situation économique et alimentaire de plus en plus précaire dont souffrent naturellement le plus les masses ouvrières, à la désaffection de la majorité des électeurs du MRP qui n'ont pas voulu suivre la recommandation de leur parti de voter "oui".
Le MRP, étant le principal parti gouvernemental, est considéré comme le principal responsable de tout ce qui ne va pas, de toute la politique incohérente à l'intérieur et hésitante à l'extérieur. Incapable de rallier la sympathie des masses ouvrières qui voient en lui un parti de la bourgeoisie, il mécontente d'autre part par ses compromissions et ses hésitations une partie de sa clientèle bourgeoise. C'est en premier lieu contre lui que parle le résultat du référendum. Mais le MRP, s'il est le principal touché, n'est cependant pas le seul parti pour qui le référendum présente un échec. Le nombre de "oui" d'octobre est inférieur au nombre de voix recueillies en mai dernier par le parti socialiste et le parti communiste. Même si on admet que 80% des voix MRP se soient abstenues, il reste que le bloc socialo-communiste a perdu près d'un million et demi de voix, ce qui fait une perte de 10 à 13%. Il est possible que certains éléments qui ont joué dans le référendum ne jouent pas intégralement dans les prochaines élections législatives et que ces partis parviennent à remonter le courant. Il ne reste pas moins que nous avons assisté à une manifestation du mécontentement qui règne parmi de larges couches ouvrières tournant le dos aux partis "ouvriers".
Le scandale du vin, mis à jour par Mr Farge serviteur des staliniens, a eu pour but de discréditer des ministres socialistes. Cela a du partiellement jouer dans le référendum. Mais il est dangereux de remuer la boue. D'autres scandales n'ont pas manqué d'éclater : scandale du textile, de la production industrielle, de l'alimentation, des finances. Chaque jour en apporte de nouveaux. Ils révèlent cette vérité simple que tout le régime actuel est pourri de haut en bas et jusqu'à la moelle et tous les hommes et partis politiques sont discrédités, éclaboussés par cette boue. Aucun doute que les partis dits ouvriers enregistrent un recul sensible. Il serait intéressant de constater le recul respectif de chacun de ces deux partis.
Dans le dernier numéro de "Internationalisme", examinant la situation politique en France, nous étions amenés à conclure à un redressement du parti SFIO. Cela nous semble vérifié dans le référendum. En effet, en épluchant les chiffres, il ressort que c'est surtout dans les fiefs du PCF qu'on enregistre le plus grand recul du "bloc ouvrier" par rapport à mai. Malgré le système militaire qui le caractérise, ce qui le rend plus résistant aux fluctuations conjoncturelles, le parti stalinien avait atteint son plein aussi nationalement qu'internationalement. Divers indices - élections d'Italie, d'Allemagne, d'Autriche, etc. - portent à croire que l'influence stalinienne est entrée dans sa phase de stagnation sinon de franc recul, et cela au bénéfice de la social-démocratie. Cela correspond d'ailleurs très bien à l'affaiblissement de la position russe sur l'échiquier mondial et au renforcement du bloc anglo-américain. De plus, la politique brutalement anti-ouvrière - que les staliniens ont été amenés à pratiquer en France, leur position de briseurs de grève patentés – semble avoir laissé des traces dans les masses ouvrières, ce qui expliquerait, comme nous l'avons dit plus haut, le recul du nombre de voix "oui" dans les fiefs staliniens (voir attentivement les résultats du référendum dans les secteurs de Paris et de la banlieue) et plus précisément dans les agglomérations industrielles. Les élections du 10 novembre permettent d'une façon plus sure de faire la vérification de cette hypothèse que nous avançons.
Le référendum marque indiscutablement la condamnation du tripartisme, c'est-à-dire de cette politique de conciliation et d'hésitation. Les trotskistes, qui décidément ne comprennent rien et ne veulent rien apprendre, font la leçon aux partis "ouvriers". "Votre échec, leur disent les trotskistes, est le résultat de votre politique de «capitulation»" et de les adjurer de reprendre une politique de lutte de classe. Serait-ce des fois à sa politique prolétarienne que le Labor Party en Angleterre doit son succès ? La même question peut être posée pour les socialistes en Italie ou la social-démocratie en Allemagne, en Autriche et ailleurs. Les succès de ces partis sont déterminés par des contingences politiques internationales et nationales et d'aucune façon par leur politique plus ou moins prolétarienne. Il faut être trotskiste pour reprocher à ces partis essentiellement bourgeois de "capituler" devant la bourgeoisie et pour conjurer, avec des larmes dans la voix, de revenir à une pratique prolétarienne. Il est vrai que le trotskisme, se trouvant sur les mêmes positions de classe que ces partis dont ils représentent l'aile gauche, ne peut raisonner autrement. Ceci explique cela.
Alors, c'est la droite qui a gagné ? Alors, il y a menace de la réaction ? De gouvernement personnel, voire de dictature ? des balivernes que tout cela. Les partis continueront certes à employer ces arguments d'épouvante dans la bataille électorale – il faut bien fabriquer des slogans pour duper les gogos – sans y accorder la moindre signification. Il n'y a pas plus de droite d'un côté que de gauche de l'autre. Thorez, le communiste, a envisagé froidement la réquisition de la main d'œuvre lors des récentes grèves des fonctionnaires, tout comme cela est pratiqué en Belgique par le socialiste Van Acker ou en Amérique par le bourgeois Truman et comme cela a déjà été pratiqué par le radical-Front-populaire Daladier en 1938.
Ce qui est à l'ordre du jour c'est la sortie du provisoire, celui-ci étant compris non dans un sens de durée du parlement ou même comme se rapportant aux mesures économiques (de ce dernier provisoire le capitalisme ne peut pas sortir) mais dans son sens politique général. Il faut en finir avec la politique de bascule, de tergiversation ; il faut que la France opte pour une politique définie sur le plan international si elle ne veut pas, à force d'avoir les fesses entre les deux blocs, se trouver le derrière par terre.
Tel est le véritable enjeu de la bataille politique en France et on doit constater que les tendances réclamant une politique plus catégorique, anti-russe, ont remporté dans le référendum, une victoire qui ne peut que se renforcer encore dans les élections de novembre.
Il est trop tôt pour dire quelle sera exactement la configuration politique de la prochaine assemblée nationale et la composition du prochain gouvernement. Une chose est claire dès maintenant : si l'analyse de l'orientation du capitalisme français est correcte, nous assisterons d'une façon ou d'une autre à un renforcement de la politique anti-russe, à un élargissement de la formule de la coalition gouvernementale de façon à diminuer le poids et l'influence stalinienne. Il est possible que le MRP ne parvienne pas à redresser sa situation électorale à temps comme il a réajusté sa politique (dans un sens ouvertement anti-stalinien). Dans ce cas, c'est probablement le parti socialiste qui sera chargé de réaliser autour de lui cette concentration des forces et de prendre la direction d'une coalition gouvernementale.
Assistons-nous à l'élimination complète des staliniens du gouvernement ? Nous ne le croyons pas car la situation internationale n'a pas encore atteint le degré de combustion nécessaire rendant leur présence absolument impossible. Pour le moment, la participation stalinienne au gouvernement est plus avantageuse que leur opposition. L'avertissement, donné par Racamond dans une récente conférence des cadres syndicaux de la région parisienne où il parlait de la duperie des 25% et de l'échelle mobile des salaires (voilà qui fera tressaillir de joie nos chers trotskistes), rappelle les déclamations d'Henaff sur l'action directe lors de la crise ministérielle en mai-juin dernier. Les autres partis du capitalisme français comprennent bien ce que parler veut dire et ne commettront probablement pas la sottise d'éliminer complètement les staliniens du gouvernement. Et s'il le fallait, les socialistes et Léon Blum seraient là pour empêcher une telle erreur dans la manœuvre politique.
Et le prolétariat dans tout cela ? Le prolétariat dans tout cela est absent et silencieux. Aucune menace de ce côté-là ne pèse sur le déroulement de la lutte dans le camp de la bourgeoisie. Tout au plus, on assiste à un certain désintéressement qui s'exprime par l'abstention passive. Les grandes luttes de classe en France, dont certains ont annoncé la venue avec la grève des postiers, ne se sont pas confirmées, à moins de prendre la grève des fonctionnaires pour un grand mouvement de classe.
Cependant, après les élections, avec la reprise d'une politique de compression et d'économie plus sévère de la part du gouvernement (méditer les déclarations du ministre des finances sur les mesures énergiques à prendre dans le prochain avenir pour sauver le franc), avec l'aggravation de la situation alimentaire et des conditions de vie des masses travailleuses, il n'est pas exclu que nous assistions à des mouvements de revendication d'une certaine ampleur. D'autant plus que les staliniens, devant l'offensive contre eux, ont tenté d'encourager dans une certaine mesure de tels mouvements et de s'en servir comme armes défensives pour conserver leurs postes dans les institutions de l'Etat.
En résumé, la situation présente en France peut être caractérisée comme réactionnaire : renforcement d'un rapport de force défavorable au prolétariat et orientation du capitalisme français vers une politique extérieure plus ferme d'intégration dans un bloc occidental.
M.
Dans l'enchevêtrement de tout idéologie, tant bourgeoise que prolétarienne, la classe ouvrière à juste raison n'arrive plus à reconnaître les formules bourgeoises des formules prolétariennes. Est-ce parce que, la facilité aidant, les hommes politiques ne s'expriment plus que par "mots historiques", ou bien retrouvons-nous la tendance de la bourgeoisie à se couvrir toujours du drapeau le plus adéquat de l'heure ?
Un exemple parmi tant d'autres de cette aisance des "milieux pensants et réfléchissants".
Dans les pays pauvres minés par la guerre, certaines industries, certaines banques marquent un déficit constant devant une concurrence facile des pays riches. Combler ce déficit par des avances de l'État peut énerver un tant soit peu les contribuables. On nationalise les actionnaires qui en sont largement dédommagés. Quant à la classe ouvrière, elle croit se trouver en présence d'un début de "collectivisation". On lui a tellement répété que l'État c'est tout le peuple, que ce qui appartient à l'État appartient donc au peuple. En définitive, l'ouvrier a retrouvé la même servitude et moins de possibilité pour se défendre.
De cet exemple frappant, comme de tout autre qu'on pourrait donner, il ressort toujours la même chose. Dans la société actuelle, les théoriciens de toutes nuances tentent d'effacer les limites rigides des classes pour permettre à la confusion de s'installer confortablement. L'unique gagnant de cette "bonne affaire" : le capitalisme, comme toujours.
Ainsi, voyons-nous un lord Keynes, dès la fin de la 1ère guerre, édifier toute une structure de défense du capitalisme. Il n'opère pas en vue d'élargir et de développer le système en vigueur. Au contraire, sa tâche consiste à retarder l'écroulement du capitalisme en réalisant, sur le plan économique, une plus forte répression de la classe ouvrière. D'autres, sur le plan politique, construisent l'échafaudage nécessaire pour permettre la confusion entre "le Capitalisme d'État" et "le Socialisme".
C'est lord Keynes qui établira, dans les grandes lignes, le plan quadriennale de Hitler, le New Deal de Roosevelt, le programme économique du présent gouvernement travailliste Attlee. Ses leçons trouveront un écho, influent sur les plans quinquennaux staliniens.
Le dirigisme devient alors une nouvelle profession de foi. La Russie parlera de "socialisme", les démocraties se réclameront de leur dirigisme étatique pour profiter elles aussi de la glorieuse Révolution d'Octobre.
Notre travail présent a pour objet d'éliminer de l'idéologie révolutionnaire la confusion née de plus de 20 années de stalinisme et de dirigisme. Nous essaierons en tout cas d'y parvenir.
Tout le monde aujourd'hui s'entend pour condamner le capitalisme, que ce soient les fascistes, les staliniens ou les démocrates. Mais il serait bon de savoir ce que réellement on entend par capitalisme, car la confusion est toujours possible et même certaine. Toute la bourgeoisie est d'accord actuellement pour condamner le libéralisme. Les plans économiques échafaudés par tous les gouvernements le prouvent assez. Mais est-ce là que se confine la condamnation du système ?
Dans certains pays, et l'on perçoit aussi une tendance générale, il semble que l'on ait franchi un grand pas au travers des "national-collectivisations". La propriété privée des moyens de production passe à "l'État représentant l'intérêt général".
Pour tous nos théoriciens réformistes, les caractéristiques du système semblent être concentrées sur 2 points fondamentaux :
1. le libéralisme ou libre concurrence ;
2. la propriété privée des moyens de production.
Les trusts, et nous assistons depuis 50 ans à la démagogique antitrust, ne sont condamnés que s'ils ne sont pas étatiques.
Une fois ces normes définies, nos réformateurs vont vite trouver l'échappatoire :
1. en réduisant au strict minimum la libre concurrence ;
2. en proclamant et instaurant plus ou moins les trusts d'État, éliminant ainsi la deuxième caractéristique du capitalisme.
C'était facile ensuite de déclarer l'ère du socialisme ouverte et de dénommer révolutionnairement toutes les métamorphoses bâtardes apportées au vieux capitalisme primitif.
A ce schéma, qui peut laisser place à toutes les nuances des considérations politiques, viennent se greffer toutes les vieilles rengaines bourgeoises : droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les peuples souverains, le suffrage universel, etc. La structure économico-politique de la construction de ces divers "socialismes nationaux" illusionnent et déroutent la classe ouvrière et bien des révolutionnaires qui n'arrivent pas à séparer le contexte économique de la superstructure politique.
Pour notre part, nous essaierons de discuter ces normes "des socialismes nationaux" et de tirer des conclusions. La question du capitalisme a toujours mal été posée et continue de l'être… Tandis que les économistes bourgeois se sont uniquement livrés à un travail de dissection du système, se cachant ainsi ses possibilités évolutives et ses ascendants historiques ; Marx et, à sa suite, les marxistes ont toujours essayé de trouver la trame d'évolution historique qui conduit d'un système à l'autre.
Ainsi, si l'on analyse la féodalité, on retrouve un marché intérieur réduit à la commune féodale exclusivement et, comme toujours, la propriété privée des moyens de production. Qu'est-ce qui différencie donc la féodalité du capitalisme ? L'élargissement du marché de la commune à la nation et au monde ?
Si c'est seulement ceci, nous pouvons donc dire que les "socialismes nationaux" contiennent en eux les caractéristiques capitalistes, car avoir éliminer le marché national n'a fait qu'augmenter l'importance du marché national où la libre concurrence continue de présider aux transactions. De sorte que les "socialismes nationaux", demeurent des systèmes capitalistes puisque c'est par rapport à un marché international libre que peut s'exprimer la propriété privée des moyens de production. La seule différence c'est que cette propriété, au lieu de s'exprimer sur le plan national, le fait sur le plan mondial. Différence toute quantitative et non qualitative.
De plus, ceci poserait entre la féodalité et le capitalisme une différence toute quantitative. Et c'est le seul moyen de tourner en rond et de jouer au philanthrope. Nous avons déjà dit plus haut que toutes autres sont les normes capitalistes. Étudions-les en fonction de l'opposition du système bourgeois au système féodal.
1. Système féodal, système bourgeois :
La féodalité se présente comme ayant les caractères généraux des sociétés divisées en classes avec le surtravail nécessaire à la propriété privée. Ce surtravail cependant n'intervient jamais dans le processus d'échange. Ce n'est en aucune sorte un élément reversé en cas de la reproduction économique du système.
Qu'est-ce que le surtravail ? Le serf, obligé de travailler pour le seigneur, fait du surtravail, car il vient s'ajouter au travail nécessaire à la subsistance du serf. Ce surtravail n'intervient dans les échanges qu'à titre de troc. Le seigneur échange une quantité de produit contre une quantité égale d'un autre produit dont il a besoin pour sa consommation (ex : troc de blé contre du tissu).
Le produit demeure dans le cadre étroit de la consommation individuelle et n'intervient pas dans le cycle suivant de la production. Même l'artisan qui prélève un surtravail sur ses apprentis (bien que ce surtravail soit concrétisé autrement que pour le féodal) ne le fait pas intervenir dans son cycle à venir de production. Le surtravail féodal demeure donc un produit consommable mais qui n'intervient nullement dans l'échange en vue de la reproduction, but de toutes sociétés.
Et c'est la nature économique de ce surtravail qui va être une des premières caractéristiques du capitalisme. Un serf travaille sa terre pour vivre et celle du seigneur pour le faire vivre. Économiquement, le travail dû au seigneur ou surtravail se différencie, se marque clairement du travail propre au paysan. C'est ce qu'on appelle couramment l'exploitation.
Mais si le paysan possède sa terre pour calculer le travail qui lui revient, le travailleur ne possède rien pour pouvoir apprécier le travail qui lui revient. Le capitaliste, à l'encontre du féodal ne s'approprie pas une partie du travail de l'ouvrier. Il loue tout simplement la force de travail de son ouvrier. Cette force de travail effectue deux valeurs, une servant à la subsistance de l'ouvrier, l'autre revenant au capitaliste. La différence, si elle s'arrêtait là, serait bien petite et de détail. Ce qui crée la véritable différence, c'est l'emploi que le capitaliste fait de ce surtravail. S'il l'employait pour sa propre subsistance, économiquement ce surtravail ne représenterait pas un élément important.
Mais c'est justement parce qu'il sert en grande partie à être versé dans la production en vue de l'agrandir que ce surtravail change de nature et devient un élément important de l'économie. La nature de consommation devient une nature d'échange en vue de la reproduction élargie. De surtravail, il devient plus-value, c'est-à-dire valeur créée en plus par la force de travail. Ce n'est pas un simple changement de nom, c'est uniquement un échange de propriété [?!?!]. En effet, un produit n'acquiert la qualité de valeur qu'au moment où il rentre dans le cas de l'échange, non dans celui de sa consommation directe mais pour élargir la reproduction suivante.
La plus-value donne au produit crée en plus le caractère de marchandise. L'échange cesse d'être un élément de la répartition pour la consommation pour devenir un élément de la répartition pour la reproduction. La marchandise échangeable devient le nœud vital de l'économie capitaliste. Donc le surtravail féodal se différencie nettement du surtravail capitaliste ou plus-value, pas tellement par le moyen dont on l'obtient mais surtout par le but vers lequel on le dirige.
Un fois cette différenciation posée, nous pouvons tirer cette première constatation : dans l'économie capitaliste, le surtravail devient un facteur de l'échange, la plus-value étant son expression sur le marché d'échange.
"Le système capitaliste est un système de production et d'échange de plus-value."
Ce qu'on remarquera ce n'est pas si l'échange existe ou n'existe pas sur un plan économique plus ou moins élargi mais bien ce qu'on échange. Et c'est ceci qui caractérise le capitalisme. Le problème à résoudre dans l'étude du capitalisme n'est pas ses éléments dérivés des autres économies, après certaines réformes, mais uniquement le procès de production et d'échange du système. C'est dans le déroulement et la transformation des forces de reproduction d'un système qu'on décèle ses caractères spécifiques.
2. Nature et processus du système capitaliste :
Nous posons comme premier caractère spécifique du capitalisme sa production et son échange de la plus-value. Le deuxième caractère spécifique sera son processus. Nous avons étudié la nature économique du surtravail capitaliste que nous avons défini par la plus-value. Le capitalisme produit des valeurs uniquement destinées à l'échange. Cet échange va comprendre deux possibilités :
C'est cette disproportion entre les deux échanges avec la tendance à augmenter la deuxième au détriment de la première qui donne le deuxième caractère spécifique du capitalisme. Développons !
Un produit fabriqué est une valeur, c'est-à-dire une somme de force de travail exprimée en heures pouvant être échangée contre un produit de même somme de force de travail. Recomposons cette somme et l'on trouve :
Les deux premières valeurs se retrouvent toujours dans la société, les capitalistes les ayant achetées et ne les perdant pas. Ce sont des valeurs qui se retrouvent. La troisième valeur est créée et ne se trouvait pas antécédemment dans la production.
Le problème capitaliste ne réside pas dans le capital constant et variable indispensable pourtant à la marche de la production mais essentiellement dans l'échange de la valeur créée à chaque nouveau cycle de production. Le système ne trouve son équilibre que dans cet échange de la plus-value. Ses crises seront directement liées à cet échange.
Nous assisterons dans les passages de plusieurs cycles de production à certains réajustements de la production de la plus-value en fonction des possibilités d'absorption du marché. Le système se verra limité dans l'histoire le jour où des réajustements de la production de la plus-value se solderont définitivement par une décroissance constante de cette production jusqu'à son impossibilité totale à être absorbée par le marché.
En conclusion de cette première partie de notre étude, nous pouvons dire que le capitalisme se caractérise comme UN SYSTEME DE PRODUCTION ET D'ECHANGE DE PLUS-VALUE. Il se donne comme but NON L'ECHANGE EN VUE DE LA CONSOMMATION DIRECTE MAIS L'ECHANGE EN VUE D'UNE REPRODUCTION ELARGIE, C'EST-A-DIRE EN VUE D'UNE PLUS-VALUE ELARGIE.
(à suivre)
SADI
Il existe dans les milieux de gauche une conception qui tend à assimiler le rôle des PC (staliniens) au rôle joué traditionnellement par la social-démocratie depuis 1914 : les PC seraient des partis de la bourgeoisie nationale, des partis "national-communistes", le PCF étant au service de la bourgeoisie française, le PC italien au service de la bourgeoisie italienne, etc. Leur attachement à la Russie ne serait qu'une tradition en voie de disparition, ou tout au plus un reflet de l'attitude pro-russe de leur bourgeoisie nationale. De toute façon, il faudrait s'attendre à voir les PC prendre parti pour leur bourgeoisie nationale si celle-ci entre en conflit avec la bourgeoisie russe. Les faits qui vont dans ce sens (attitude du PCF envers la question de la Ruhr, du PC italien au sujet de Trieste) seraient particulièrement significatifs.
Le présent article a pour but de s'opposer à cette conception qui me paraît manifester une méconnaissance totale de l'orientation bourgeoise à l'époque actuelle. Je prétends, et j'essaie de montrer, que les PC, dans tous les pays, sont essentiellement des agents de l'impérialisme russe, des partis anti-nationaux, ennemis de "leur" bourgeoisie, et que tous les faits qui paraissent aller en sens contraire sont des manifestations superficielles et en grande partie mensongères, dans tous les cas sans importance pour nous aider à prévoir le déroulement des événements.
Je terminerai en mettant les conclusions de cette étude particulière en relation avec diverses questions théoriques plus générales.
La conception que je combats ici s'appuie sur des idées qui ont incontestablement correspondu à la réalité dans une période passée de l'histoire. Il y a eu un temps où l'on pouvait identifier, sur le plan idéologique, bourgeoisie et patriotisme. Ce temps a duré depuis les origines de la bourgeoisie jusque et y compris la première guerre mondiale. En ce temps-là effectivement, il n'existait nulle part de partis bourgeois anti-nationaux. Les quelques "traîtres à leur patrie" qui existaient n'étaient que des individualités isolées, le plus souvent achetées à prix d'or. L'antipatriotisme idéologique était lié indissolublement à l'internationalisme révolutionnaire. Et le premier signe du passage des partis prolétariens au service de la bourgeoisie était l'adoption par ces partis de l'idéologie patriotique. Comme conséquence, il n'existait pas de mouvements "sociaux" de quelque envergure directement fomentés par une bourgeoisie adverse de celle du pays où le mouvement se produisait. Les qualifications souvent portées contre des partis politiques ou des mouvements sociaux – "agents de l'Allemagne", "fomenté par l'Angleterre", etc. -, tout cela n'était effectivement que des calomnies portées par la bourgeoisie cherchant à discréditer l'adversaire et, elle-même, incapable de comprendre tout mouvement qui sort du cadre national.
Il est clair que ces temps sont révolus. La cause en est dans la concentration internationale de l'économie qui ne laisse plus au capitalisme aucune possibilité de vie économique dans le cadre national. Seules les couches arriérées de la bourgeoisie, couches sans grande influence sur le déroulement effectif des événements, peuvent encore croire à "la France seule", à "la doctrine Monroe", etc. Pour les bourgeoisies de première grandeur, le nationalisme signifie l'aspiration à l'hégémonie mondiale. Ainsi la propagande "autarcique" de la bourgeoisie allemande avant la 2ème guerre mondiale recevait son sens réel quand cette "autarcie" devait s'exercer dans un "espace vital" qui aurait fini par englober le monde entier si les ennemis de l'Allemagne n'avaient pas été les plus forts. Quant aux bourgeoisies secondaires, leur nationalisme, résidu d'aspirations anachroniques à une indépendance maintenant impossible, n'a plus aucun sens réel : il ne s'agit plus en fait, en France aussi bien qu'en Tchécoslovaquie ou au Siam, que de mobiliser le peuple au profit d'un quelconque des grands impérialismes qui seuls comptent. Les bourgeoisies nationales elles-mêmes ne sont plus guère que des pantins entre les mains des "grands".
La bourgeoisie elle-même ne croit plus à "la patrie". C'est pourquoi l'idéologie patriotique a cessé même d'être l'idéologie dominante pour entraîner les peuples dans la guerre. Aujourd'hui les guerres sont de plus en plus des guerres "idéologiques", comme disent les journalistes, c'est-à-dire que d'autres mensonges doivent revenir relever le mensonge patriotique trop visiblement anachronique. Par exemple, en France en 1939, les vieilles propagandes essayant de caricaturer la guerre de 1914 ne sont pas arrivées à transformer les français en héros ; il a fallu "la lutte contre le fascisme" pour les mobiliser contre l'occupation allemande.
Il ne s'agit pas seulement de mensonges mais d'une transformation profonde de l'idéologie de la bourgeoisie elle-même. Effectivement, un fasciste français se sent plus près d'un fasciste allemand que d'un communiste français et inversement.
Comparons les faits : en 1914, dans chaque pays, la social-démocratie s'est rangée au côté de son gouvernement. En 1939-45, les partis communistes de tous les pays se sont rangés du côté de la Russie et de ses alliés (d'abord "l'axe", ensuite "les alliés"), montrant qu'ils méritent bien le nom de staliniens. Bien plus, les partis social-démocrates également ne se sont pas divisés mais se sont trouvés tous du côté des anglo-américains contre l'Allemagne – et maintenant contre la Russie. L'Église catholique elle-même, persécutée en Allemagne, a pris en général une attitude favorable aux "alliés".
Je sais bien que ces "idéologies" ne sont que des paravents cachant (ou même ne cachant pas) l'attachement de ces divers partis à l'un des grands blocs impérialistes : Allemagne, Russie, USA. Mais la question n'est pas là. Le fait à retenir c'est que l'attachement des partis à l'un des "grands" ne dépend pas de la nationalité de ces partis : le PC anglais n'est pas moins attaché à la Russise que le PC russe ; le parti social-démocrate allemand a combattu contre l'Allemagne tout autant que le Labour Party.
Alors la question se pose : est-il correct de dire que le PCF est un représentant, un agent de la bourgeoisie française ? Je prétends que la seule façon de comprendre les événements consiste à partir de l'idée contraire, à savoir que le PCF est un représentant de l'impérialisme russe en France.
Il est exact que la relation des partis bourgeois avec la classe bourgeoise n'est pas simple. Si nous considérons par exemple le MRP, le parti radical et le PRL, il n'est guère possible de dire que l'un représente la bourgeoisie française mieux que les autres ; il ne semble même pas qu'on puisse les considérer comme des représentants de couches différentes de la bourgeoisie ; des couches différentes peuvent les appuyer mais ce ne sont pas des couches hétérogènes d'industriels moyens, propriétaires fonciers, etc. qui font la politique de la bourgeoisie ; la couche dirigeante de la bourgeoisie, la seule importante, celle qui détient le capital le plus concentré, est constituée par un petit nombre d'hommes, sans doute beaucoup moins que "les 200 familles" traditionnelles. Les partis présentent différentes possibilités de la politique bourgeoise, possibilités entre lesquelles la bourgeoisie choisit en considérant ses intérêts du moment (la confiance du peuple en tel ou tel parti, telle qu'elle est manifestée par les élections étant un des éléments qui déterminent ce choix).
Cela vaut également pour la politique étrangère. La soumission à tel ou tel bloc est aujourd'hui une nécessité pour les bourgeoisies secondaires. Un parti bourgeois peut préconiser une telle soumission sans être pour cela "traître à sa patrie" du point de vue bourgeois. Ainsi, pendant la guerre, Pétain et De Gaulle présentaient deux alternatives possibles à la bourgeoisie française et il n'est pas plus possible de caractériser Pétain comme "agent allemand" que De Gaulle comme "agent anglais".
Le schéma précédent exprime les rapports établis depuis longtemps entre les partis et la classe capitaliste. Il est possible de l'appliquer aux phénomènes nouveaux de notre époque et en particulier aux PC. On peut dire : les PC proposent, comme tous les partis bourgeois, une politique possible à leur propre bourgeoisie, l'intégration au bloc russe. Pas de différence essentielle ! Le schéma colle toujours en tant que schéma. Le seul malheur est qu'il laisse de côté un certain nombre de faits, justement les faits nouveaux et par suite les plus intéressants si on veut essayer de tracer des perspectives d'avenir.
On comprend bien qu'un parti bourgeois propose à sa bourgeoisie de s'intégrer à tel ou tel bloc quand il s'agit d'un pays d'importance secondaire n'ayant aucune chance d'arriver lui-même à la domination mondiale : la Chine, la Roumanie, la France… Mais comment expliquer la présence de tels partis chez les "grands" eux-mêmes ?
Du parti social-démocrate allemand par exemple, on pourra prétendre qu'il avait vu plus juste et plus loin que Hitler, qu'il prévoyait la défaite de l'Allemagne si celle-ci voulait "défier le monde", qu'il voyait l'avenir dans l'alliance anglo-américaine contre la Russie et qu'en définitive il préparait le relèvement ultérieur de sa patrie.
Mais que penser du PC des USA ? Évidemment il est toujours possible d'arguer. On pourra prétendre que quelques hommes, croyant à tort ou à raison (à tort incontestablement à mon avis) en la victoire définitive de la Russie, disent à la bourgeoisie américaine : il vaut mieux se soumettre plutôt que d'être écrasé. Le schéma colle toujours.
Seulement la question n'est pas là. Qui, dans la bourgeoisie américaine ou même dans la bourgeoisie française, peut penser raisonnablement que la politique de salut de la bourgeoisie nationale consiste à se soumettre à la Russie ? La question est que les intérêts d'une bourgeoisie ne sont pas des thèmes de rêverie ; ils existent objectivement. Or, dans un grand nombre de pays, ces intérêts sont en contradiction flagrante avec ceux de l'impérialisme russe et les PC n'en font pas moins une politique conforme aux intérêts de la Russie et par suite contraire à ceux de leur "propre" bourgeoisie.
Le fait est qu'il est possible de prévoir (à quelques exceptions près sur lesquelles je reviendrai) tous les tournants de la politique des PC si on pense aux intérêts de la bourgeoisie russe et non à ceux de sa "propre" bourgeoisie.
Le fait est que les PC se confondent en grande partie, dans tous les pays, avec les services d'espionnage russe.
Le fait est que la bourgeoisie ne se trompe sur la sincérité du "patriotisme" des PC. L'expérience de 10 ans de "national-communisme" montre qu'il n'y a de "Front national" possible que dans les moments où les intérêts de l'impérialisme russe et ceux de la bourgeoisie française (par exemple) sont parallèles, cette situation amenant à des concessions (et des manœuvres) réciproques.
Si on prend ces faits comme point de départ au lieu de chercher à les "expliquer" par un schéma anachronique, on verra bien des choses s'éclairer.
On comprendra mieux les événements récents et actuels si on part de cette idée que les diverses bourgeoisies tendent à former des partis politiques internationaux, des partis qui dans un pays représentent uniquement les intérêts d'une bourgeoisie étrangère, aussi ennemis de "leur propre" bourgeoisie que la bourgeoisie à laquelle ils se rattachent réellement est ennemie de la prétendue "propre" bourgeoisie.
Dans cette voie, le capitalisme d'État russe a été à l'avant-garde du "progrès" pour des raisons que nous essaierons d'analyser plus loin ; mais les autres bourgeoisies de premier ordre ont suivi le mouvement. C'est ainsi que le capitalisme allemand, au temps de sa splendeur, avait créé une série de partis nationaux-socialistes dans divers pays et jusqu'aux USA.
Même parmi les partis dont les rapports avec "leur" bourgeoisie nationale sont conformes à l'ancien schéma, la tendance actuelle pousse vers leur transformation en organes des grands impérialismes étrangers. La limite entre les uns et les autres n'est pas toujours facile à tracer. Ainsi, tandis que l'on peut considérer Pétain comme un représentant de la bourgeoisie française, la question est déjà moins claire pour Laval qui ressemblait plutôt à un gauleiter ; et si on passe au parti de Doriot par exemple ou à l'équipe de "Je suis partout", il semble clair qu'il s'agissait d'agents directs de la bourgeoisie allemande. D'autre part, les partis socialistes tendent de plus en plus à être des agents exclusifs de l'impérialisme anglais ; par exemple, la réaction violente du "Populaire" après le discours récent de Wallace – plus nettement anti-anglais que pro-russe – est caractéristique.
Des camarades objecteront aux vues qui précèdent qu'il serait incompréhensible qu'une bourgeoisie permette à des partis représentants d'un ennemi – un ennemi bourgeois mais un ennemi quand même – de faire partie de gouvernements, comme le gouvernement français, et ainsi de connaître les secrets de la défense nationale, etc.
À mon avis, même si cela était difficile à expliquer, ça n'autoriserait pas à nier les faits. L'explication ne semble d'ailleurs pas difficile à trouver. Le problème pour la bourgeoisie française, par exemple, est de savoir où le PC sera le moins dangereux pour elle. Or rien ne permet d'affirmer que celui-ci soit moins dangereux dans le gouvernement que dans l'opposition.
Les "secrets de la défense nationale" dans un pays comme la France sont des secrets de polichinelle. Dans les pays dont la bourgeoisie peut tenir effectivement un rôle indépendant dans "le concert mondial" et où par suite il y a de tels "secrets" – en Angleterre et aux USA – les communistes sont tenus autant que possible à l'écart des sphères gouvernementales.
Par ailleurs, en France toujours, le "gouvernement" ne gouverne pas grand chose ; et cela présente peu de danger que ce qui se dit au "conseil des ministres" soit publié (comme le PC l'a fait quelque fois) ou communiqué à l'ambassade russe. Quand la bourgeoisie française décide quelque chose qui a quelque importance pour elle, comme la mission de Léon Blum aux USA, ces décisions sont prises en dehors du gouvernement.
Une telle situation n'est d'ailleurs pas sans précédent. Qu'on se rappelle les déclarations de Daladier : en 1939, il n'était pas possible de discuter "les secrets de la défense nationale" en conseil des ministres car Georges Bonnet les aurait communiqués le lendemain à l'ambassade d'Allemagne. Si la bourgeoisie française a pu admettre un espion allemand dans son "gouvernement", elle peut aussi bien y admettre des espions russes.
Par contre la présence des staliniens dans le gouvernement permet d'utiliser le PC pour calmer le prolétariat quand la bourgeoisie l'estime dangereux ; elle empêche dans une certaine mesure les staliniens d'utiliser démagogiquement le mécontentement populaire et elle use de la popularité du PC en l'opposant aux revendications ouvrières – ce n'est pas un hasard si la plupart des ministères confiés aux staliniens sont ceux qui ont directement affaire avec la situation des ouvriers : travail, production industrielle, etc. La bourgeoisie, elle, a la possibilité d'appliquer la tactique de "démasquage" si chère aux trotskistes !
Du côté stalinien il est également facile de comprendre qu'une telle situation soit acceptée malgré ses désavantages. Vers la fin de la guerre, les PC, comme toute la bourgeoisie internationale, craignaient une explosion prolétarienne qui leur aurait échappé pour s'orienter vers une voie révolutionnaire – à tort ou à raison -, le fait est qu'ils le craignaient. Il était normal qu'ils s'emploient à la prévenir en faisant l'union sacrée avec tous les partis bourgeois. "Union de tous français", "Produire d'abord, revendiquer ensuite" : c'était alors la politique conforme aux intérêts aussi bien de l'impérialisme russe que de la bourgeoisie française. Aujourd'hui, la situation est différente et le PCF pourrait sans danger "se mettre à la tête de la classe ouvrière" contre la bourgeoisie française (voir la fameuse "déclaration Henaff"). Seulement… les staliniens proposent et Staline dispose. La France n'est pas isolée dans le monde et, en définitive, c'est l'intérêt de la Russie qui prime et non celui du PCF. Or, la guerre qui vient n'est pas encore pour aujourd'hui ; passer dans l'opposition dès maintenant signifierait abandonner des positions dans l'Etat (armée, police, administration) dont on espère qu'elles seront utiles lors de l'éclatement de la guerre et qu'il s'agit, pour le moment, de conserver à tout prix le plus longtemps possible.
Telle est la situation : un compromis provisoire où chacun des partenaires essaie de rouler l'autre. L'avenir dira qui, en définitive, en a profité le plus. En attendant il serait aussi ridicule de s'étonner de "l'inconscience" de la bourgeoisie qui admet les agents d'une puissance étrangère dans son gouvernement, que de se lamenter (comme le font les trotskistes) sur le prétendu "opportunisme" des staliniens. Il serait plus lucide de comprendre que toute la politique nationale et internationale de la bourgeoisie est faite d'une succession de tels compromis et que, dans le cas présent, l'un et l'autre des deux adversaires manœuvrent assez habilement.
Il faut maintenant étudier de plus près quelques faits qui vont dans une certaine mesure dans le sens de la thèse du "national-communisme".
Nous avons vu que, dans la plupart des attitudes "patriotiques" des divers PC, il n'y avait rien qui puisse faire penser que ceux-ci ont cessé d'être des agents de l'impérialisme russe pour passer au service de "leurs" bourgeoisies nationales. Il n'en est pas de même quand, au nom du patriotisme, ils prennent des positions en contradiction avec les positions de la Russie. De cela il y a peu d'exemples mais il y en a quelques uns. J'examinerai la dissolution du PC américain, la position prise par le PCF dans la question de la Ruhr et celle prise par le PC italien dans la question de Trieste.
D'une façon générale, après avoir éliminé tout ce qui n'est "national" qu'en apparence dans ces diverses positions, il reste des faits incontestables qui montrent une opposition entre certaines tendances communistes et la bourgeoisie russe. Il s'agit seulement de juger ces faits à leur juste importance, et celle-ci ne me semble pas être celle que lui attribuent les camarades qui s'en tiennent à la théorie du "communisme national". Pour ces camarades, il s'agirait de symptômes montrant que lorsque les intérêts d'une bourgeoisie entrent en conflit avec ceux de la Russie, les PC prennent parti pour leur bourgeoisie et prouvent ainsi la sincérité de leur patriotisme (comme dit Léon Blum). Or ces quelques faits ne peuvent pas avoir ce sens lorsqu'on les met en parallèle avec tous les cas où les PC ont pris position pour la Russie et contre leur propre bourgeoisie (campagne du PC anglais sur la Grèce, soutien du PCF pour le Vietnam et pour Messali Hadj, etc.). Leur sens semble être le suivant : certains PC font (pour de bon, cette fois !) de l'opportunisme, adoptant la position la plus favorable à leur propagande et à leur influence, dans l'espoir que les oscillations de la politique étrangère de la Russie pourra rétablir l'accord. A la faveur de cet opportunisme, il peut se produire un certain "noyautage" des PC par la bourgeoisie nationale, mais celui-ci n'a pas une importance plus grande que, par exemple, la scission de Gitton et Clamamus en 1939.
Dans le cas du PC américain, on se rappelle que celui-ci, en janvier 1944, était allé "un peu loin" en affirmant son loyalisme envers le capitalisme privé des USA et en décidant en conséquence de se dissoudre en tant que parti pour se transformer en simple "association politique", laquelle déclarait soutenir le programme de l'Association Nationale des Industriels.
Pour apprécier cet événement à sa juste valeur, il faut se rappeler l'époque à laquelle il s'est produit, 1943-44, époque où Staline dissolvait l'IC à la suite d'un compromis avec l'impérialisme américain, compromis nécessaire pour la poursuite de la guerre ; époque aussi où la bourgeoisie mondiale craignait, à tort ou à raison, que la fin de la guerre soit marquée par des mouvements révolutionnaires.
A cette occasion, Alexandre Barmine, ancien diplomate russe passé au service des USA, bien au courant des subtilités de la politique stalinienne, écrivait dans "The reader's digest" un article intitulé "La nouvelle conspiration communiste" où il mettait en relation la dissolution du PC avec plusieurs faits : en particulier la conquête par les staliniens de l'American Labor Party de New-York et leur noyautage du Political Action Committee du CIO (Lewis déclarait le 29 février 1944 : "Philip Murray est prisonnier des communistes dans son propre syndicat… Sidney Hillman est exactement aussi mal en point…")
En fait, dans cette politique, le seul défaut du point de vue russe pouvait être de trop engager l'avenir par des déclarations trop nettes de loyalisme envers le capitalisme américain. Celles-ci ont peut-être été elles-mêmes dictées par Moscou. Même si ce n'est pas le cas, même si Browder (chef du PC des USA à l'époque) est allé "un peu loin" de sa propre initiative, il reste qu'il a suffi en 1945 d'un article de Jacques Duclos pour que le PC des USA rentre immédiatement "dans la ligne". Il n'y a même pas eu de scission : Browder a été exclu à peu près seul et a immédiatement montré sa "bonne volonté" en acceptant de se rendre à Moscou après son exclusion.
La position prise par le PCF a mis celui-ci en opposition directe avec la position russe en faveur de l'unité de l'Allemagne. C'est plus grave que la dissolution du PC des USA. Mais il faut tout de même remarquer que non seulement le PCF a fait de grands efforts pour essayer de montrer que sa position concorde avec la thèse russe mais encore que cette position du PCF, en tant que PC, n'a jamais été condamnée par aucune voix autorisée à Moscou ou dans l'ex-IC.
Si Moscou n'exerce aucune pression sur le PCF en vue de l'amener à changer de position sur cette question, on peut penser que la Russie n'est pas tellement gênée par l'attitude du PCF. Et, en effet, la question de la Ruhr en elle-même n'intéresse pas la Russie. Ce qui l'intéresse c'est de pouvoir opposer la France à l'Angleterre. Or la position prise par le PCF à la suite de toute la bourgeoisie française aboutit surtout à ce résultat. Au contraire, si le PCF avait adopté franchement la thèse russe, cela aurait pu, en divisant "l'opinion française", permettre au Parti Socialiste de se rapprocher de la thèse anglaise. Le PCF se trouvait ainsi dans une situation difficile et, si la façon dont il s'en est tiré lui a valu les compliments du PS pour "la sincérité de son patriotisme", il n'est pas exclu que ces compliments comportent une pointe d'ironie (comparer avec la lettre de Guy Mollet au CC de PCF qui reflète les vrais sentiments des socialistes à l'égard du "patriotisme" des staliniens). L'avenir, qui élargira le fossé entre la Russie et la France, dira jusqu'à quel point le patriotisme du PCF était sincère sur cette question.
Dans le cas de la position prise par le PC italien en faveur du rattachement de Trieste à l'Italie, il semble bien qu'on se trouve en présence d'un cas de patriotisme "sincère". Il est d'autant plus intéressant d'examiner le mécanisme de cette prise de position. Or c'est après beaucoup d'hésitations que le PC italien a adopté cette attitude. Au début il a souvent dénoncé le "chauvinisme" au sujet de Trieste, tout en menant une campagne nationaliste acharnée sur tous les points où les intérêts de la bourgeoisie italienne se heurtaient à ceux de l'Angleterre. Aujourd'hui encore, des journalistes bourgeois peuvent constater de temps en temps avec amusement que le PC italien entretient les meilleurs rapports avec "le PC de la Vénétie julienne" (pro-yougoslave)… Il semble bien qu'on se trouve en face d'une manifestation caractérisée d'opportunisme 'du point de vue stalinien) : le sentiment nationaliste est tellement fort dans le peuple italien, y compris dans le prolétariat, que le PC s'est vu dans l'alternative de réclamer "Trieste à l'Italie" ou de perdre toute influence. Comme la Yougoslavie est un des pays où l'impérialisme russe s'est installé le plus solidement, il y a peu de chance pour que la politique étrangère russe soit amenée à abandonner le mot-d'ordre "Trieste à la Yougoslavie" ; et ainsi la politique du PC italien se trouve en contradiction directe avec les intérêts russes. Jusqu'ici cette contradiction a été supportée en silence de part et d'autre, mais cela ne pourra pas durer éternellement. Déjà le PC italien s'est adressé au PCF pour lui demander de prendre position en faveur de "Trieste à l'Italie". La direction du PCF a évité de répondre directement mais a fait condamner "la déviation nationaliste" du PC italien par l'équipe d'«Action»… Moscou finira par être obligé de condamner la position du PC italien et le PC italien devra prendre position par rapport à Moscou. Il n'est pas douteux qu'une fraction du PC prendra le parti de la bourgeoisie italienne ; mais déjà certaines informations nous apprennent qu'une tendance "anti-chauvine" se développerait dans le PC italien. On peut déjà prévoir que cela finira par une scission. Le résultat en sera que la bourgeoisie italienne a pu "noyauter" une partie du PC italien mais qu'il subsistera tout de même en Italie un parti russe, et c'est là le fait significatif.
Qu'on se rappelle ce qui s'est passé dans le PCF en 1939. Le parti avait fait pendant des années une politique super-patriotique ; la plupart des militants étaient sincèrement chauvins. Au moment du Pacte germano-russe, le désarroi a été grand dans le parti : beaucoup de militants récents ont déchiré leur carte ; la direction a bafouillé, invitant Daladier à aller supplier Staline de changer d'avis ("Mr Daladier, l'avion pour Moscou part tous les matins" écrivait Aragon), votant les crédits de guerre, etc. Puis tout s'est tassé. Une minorité de dirigeants (Gitton, Clamamus, Soupé, etc.) ont pris le parti de la France – et encore… en allant dans le parti de Doriot qui, quelques années plus tard, s'est comporté comme un parti plus allemand que français – mais la majorité des militants "éduqués" ont pris nettement le parti de la Russie malgré l'abandon de "la base", malgré les hésitations de la direction, malgré la désorganisation totale des liaisons entre militants par la mobilisation et la répression. C'était alors un étonnement pour "Gringoire" par exemple de voir comment des militants isolés étaient capables de justifier chaque action de l'impérialisme russe avec les mêmes phrases. La bourgeoisie nationaliste se révélait incapable de comprendre l'existence d'un parti – un parti, pas seulement un réseau d'espionnage – russe en France. Les militants révolutionnaires manifesteront-ils la même incompréhension ? C'est pourtant là que se trouvait le fait significatif de l'époque, là et non la volte-face de Gitton ou dans les hésitations de Cachin. Et il n'y a pas de raison de penser que les difficultés actuelles du PCF ou du PC italien se terminent autrement que les difficultés du PCF en 1939.
(à suivre)
Bergeron
En ce mois de novembre, la classe ouvrière est appelée à se souvenir de deux événements importants. D'une part la Révolution prolétarienne russe, d'autre part la fin de la guerre 1914-18.
Deux événements dont la signification aujourd'hui n'échappe pas à la bourgeoisie. Aussi voit-on célébrer le 7 novembre tel une fête folklorique russe sans grand apparat, tandis que le 11 novembre, avec son soldat inconnu, est célébré avec toute la pompe et la propagande nécessaires pour perpétuer le massacre du prolétaire au plus grand profit du capitalisme.
Et ceci même pendant l'occupation où la police nazie savait réprimer violemment les anniversaires des luttes ouvrières (tel le 1er mai, le 7 novembre) et disperser quelques paltoquets qui, le 11 novembre, voulaient ranimer la flamme du soldat inconnu avec l'espoir qu'il y en ait encore beaucoup.
Et de toutes parts, la classe ouvrière ne rencontre que partis et idéologies tendant à lui faire oublier la glorieuse révolution russe et à lui faire sanctifier les massacres impérialistes.
Le PC, malgré son attachement à l'État capitaliste russe, tente de repousser au rang de fête folklorique le 7 novembre pour carillonner à toute volée le 11 novembre. "Tactique, répond-on, simple manœuvre, noyautage jésuitique. Quand nous serons forts, nous déclencherons la révolution". Pourtant 5 millions et demi d'électeurs, les syndicats en mains, toute la classe ouvrière encasernée par le PC, la masse paysanne sympathisante, voilà le bilan des forces staliniennes en France. Attend-on que la bourgeoisie française prenne la tête de la révolution prolétarienne ? Car c'est peut-être par cette alternative que l'on doit comprendre la force prolétarienne.
Si nous dressons ce tableau, si nous posons des questions, si nous recherchons des solutions, c'est que quelque chose a changé entre le 7 novembre 1917 et le 11 novembre 1946. Peut-être l'idéologie du PC, peut-être la classe ouvrière elle-même, peut-être la bourgeoisie devenue révolutionnaire après son passage au maquis, peut-être aussi parce qu'on a tout fait pour effacer l'expérience du 7 novembre, pour en faire une tradition comme la fête des Catherinettes.
Demandez aujourd'hui à un ouvrier ce qu'a été le 7 novembre 1917 pour le prolétariat international, il répondra, parce qu'on l'a forcé à le croire : la fête nationale russe.
Il semble, à la fin de cette guerre, que la phrase célèbre de Marx se vérifie : "L'histoire se répète deux fois, une fois en tragédie. La deuxième fois en comédie."
C'est ce qui nous arrive avec les bouffonneries de révolutions nationales en Yougoslavie, en Bulgarie, Albanie, etc. Hier, le parti révolutionnaire contre le monde capitaliste entier osait lever l'étendard de la révolte internationale des opprimés ; aujourd'hui, les divers PC se réfugient derrière la non-exportation de la révolution pour créer à l'intérieur des frontières nationales des systèmes autarciques proches du fascisme et, à l'extérieur, marchander diplomatiquement les prolétariats des pays démocratiques. Oui, la révolution n'est pas un article d'exportation mais ce n'est pas un article national non plus. La révolution ne s'exporte pas car elle exprime une situation internationale tendue vers la lutte de classe franche et déclarée.
La révolution n'est pas nationale car ce n'est pas une espèce de grâce quoi frappe un prolétariat plutôt qu'un autre. Que de fois on entende des staliniens dire que le prolétariat américain ou anglais trahit.
Enfin, la révolution et les menaces de guerre entre impérialistes ne peuvent cohabiter car la révolution pose la lutte de classe contre classe, et la guerre impérialiste l'antagonisme capitaliste avec le sang indifférencié des ouvriers. En d'autres termes, la révolution recule quand la guerre approche et ce n'est pas du bla-bla comme on en trouve dans la presse, de la gauche stalinienne bourgeoise à la droite PRL.
Le socialisme n'est pas une conception morale ; ce n'est pas non plus une suite de privations ; ce n'est surtout pas un désir réalisable (…) génériquement.
Avant de parler de socialisme, libérons-nous des mots "démocratie", "liberté", "égalité" qui n'expriment qu'un contenu bourgeois. Ne parlons surtout pas d'individu, ni de violence et de brutalité. C'est choquant au premier abord, mais la révolution russe n'a réussi que parce qu'elle s'était libérée de ces mots vides de sens.
La nécessité du socialisme résulte de l'impossibilité qu'a la société bourgeoise de satisfaire les besoins minimum des masses travailleuses et de la société en général.
La possibilité du socialisme ne se fait sentir et ne s'applique qu'une fois que l'ancien état de chose a été détruit, non dans un secteur isolé mais dans l'ensemble des secteurs les plus industrialisés du monde.
C'est-à-dire que le problème du socialisme passe par le stade de la lutte de classe violente ; une classe, les prolétaires, exprime dans sa lutte la volonté farouche d'abattre le capitalisme, d'instaurer sa dictature, non pour créer une nouvelle classe d'opprimés mais pour éliminer les vestiges de classes et permettre le socialisme, une société sans classe en vue de la consommation et non de la destruction.
Toutes ces prémices actives du socialisme, cette lutte ardente et consciente, ne repose pas sur une infrastructure économique déjà existante mais sur une conscience politique de classe et ne se réalise qu'en fonction des conditions objectives de crise aiguë politique du système bourgeois.
Et c'est sous ces signes indiscutablement révolutionnaires que, le 7 novembre, le prolétariat russe a ouvert le cycle de révolutions qui devaient déferler sur le monde jusqu'en 1927.
La guerre de 1914-18 avait ébranlé économiquement et politiquement l'ordre bourgeois. Partout se dessinaient des soubresauts de révoltes, Verdun, Kiel, Février 1917 ; ce n'était que cris désespérés. En Russie le tsar abdique ; en France la bourgeoisie, par la bouche de Caillau, recule, parle de paix, a peur. En Allemagne le Kaiser espère en une paix de compromis.
A cet ordre bourgeois ébranlé, les Kerensky essaient d'apporter des palliatifs qui ne résistent guère à l'épreuve.
En France, en Allemagne, la répression féroce entre en jeu ; l'État est encore fort. En Russie, la bourgeoisie trop jeune succombe à ce qu'elle appelle l'anarchie, qui n'est autre que son impossibilité de répression.
L'insurrection du 7 novembre n'est pas la prise du pouvoir d'une clique de politiciens, c'est la destruction de l'État bourgeois aux cris de : Paix immédiate, le pouvoir aux Soviets, la terre aux paysans. Et ces cris de conscience encore infantile, manifestations politiques d'une volonté de socialisme, devaient se raffermir et s'éclaircir au travers de la lutte qu'entreprennent immédiatement les capitalistes contre la révolution russe. Ce n'est plus le mot-d'ordre de paix qui est claironné mais de "guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie". Et les échos dans les pays en guerre se font entendre de plus en plus.
C'est Liebknecht, Luxemburg en Allemagne, la gauche socialiste en Italie et en France, la Commune hongroise, etc. Le 7 novembre, ce n'est pas seulement les préludes de pouvoir politique du prolétariat en Russie mais surtout les préludes de la révolution internationale. Du stade défensif et syndicaliste, la classe ouvrière passe au stade offensif et politique. Ce n'est pas de constitution socialiste que l'on parle mais de prise de pouvoir de la classe ouvrière dans le monde entier.
Contre nos camarades utopistes qui veulent critiquer le 7 novembre 1917 au travers des mesures économiques et politiques prises par l'État ouvrier en Russie, nous avons toujours affirmé que le problème –vu dans les frontières russes, en dehors de son contenu seul, l'international– devait prêté à toutes les critiques ; mais ces critiques tombaient dans le vide car ils acceptaient tacitement la possibilité d'un pouvoir ouvrier politiquement et économiquement constructif dans les limites nationales. Ils rejoignaient ainsi les droitiers de l'Internationale qui parlaient déjà de construction socialiste en Russie.
Nous nous refusions à subordonner la révolution mondiale au besoin de l'État ouvrier en Russie.
Aux problèmes techniques et d'ordre courant que les détracteurs voulaient nous présenter comme un début de socialisme, nous posions tout d'abord la nécessité de subordonner ces problèmes intérieurs à la résolution et l'aide à la révolution allemande, italienne, hongroise, chinoise, etc.
La NEP et tous les pas en arrière n'étaient pas, pour nous, des échecs du socialisme en Russie mais les échecs de la Révolution dans le monde, car on ne devait ni ne pouvait parler de socialisme en Russie.
Et cette erreur de vouloir réfléchir la révolution mondiale sur la fausse conception de construction socialiste en Russie a provoqué une série d'erreurs de la part de l'Internationale. La consolidation de l'État Ouvrier en Russie était fonction de la victoire prolétarienne internationale. On a agi autrement, on a voulu consolider l'État ouvrier en Russie, même aux dépens de la Révolution Mondiale ; et l'on a réussi qu'à consolider l'État tout court et permettre la bouffonne comédie du "socialisme dans un seul pays" de prendre corps et de l'emporter en 1928, faisant de la Russie le prototype du capitalisme d'État et le monde entier un champ de bataille du prolétariat vaincu.
Et la guerre impérialiste devenait la perspective historique.
Le 7 novembre n'est pas une tradition mais un exemple, un enseignement. Nous ne fêtons pas le 7 novembre tel le 14 juillet, nous appelons le prolétariat à saisir l'aspect international de la Révolution d'Octobre. Si aujourd'hui il se trouve à la remorque de sa bourgeoisie, si –délaissant la voie de l'internationalisme et de la lutte directe de classe contre classe– il voit poindre une nouvelle guerre et naître un capitalisme d'État plus monstrueux, plus exigeant, qu'il se rappelle que le 7 novembre fut une brisure de la guerre impérialiste, une volonté du prolétariat international d'en finir avec les guerres.
L'étincelle partie en Russie enflamme le monde ; les Staline, Tito et autres "petits pères des peuples" n'enflamment plus personne, ils ont fini par faire croire que le 7 novembre est une légende pour petits enfants. Au prolétariat de se réveiller pour continuer le 7 novembre par sa lutte contre la guerre et son rejet et refus de tout État bourgeois démocratique ou dictatoriale.
L'INTERNATIONALISME
Pourquoi sont-ils abstentionnites ?
Ce n'est pas un hasard qui a déterminé la Fraction Française des Lucain – la claque de Vercesi, la Fraction opportuniste de la GCI en France –à prendre pour titre de leur journal le même que celui de leurs camarades de Belgique.
On y retrouve, en mieux, toujours les mêmes méthodes de discussion, toujours les prises de position qui laissent le loisir d'avoir toutes les positions qu'on veut.
A chaque fois qu'un Lucain a à prendre position sur un sujet où la GCI avait des positions bien avant eux et plus nettes, (voir Bilan) par exemple sur la constitution des Partis ou sur le Parlementarisme, il se trouve devant la situation présente :
Aujourd'hui le journal des Lucain français, l'Internationaliste, contient un bon nombre de lucâneries dont l'article de la camarade Frédéric n'est pas des moindres : "Pourquoi sommes-nous Abstentionnistes ?" En effet, quand on a lu cet article, on se demande pourquoi finalement ils sont abstentionnistes, et on se demande aussi qui est abstentionniste chez eux.
Comment se présente la chose exactement ?
Au dernier Référendum et aux élections, en mai 1946, nous avons sorti un numéro de l'Etincelle entièrement axé sur le problème du Parlementarisme (N° 12). La Fraction a voté une résolution sur le Parlementarisme, résolution qui est reproduite dans ce numéro de l'Etincelle. Pour les camarades qui ont eu ou qui peuvent avoir ce journal devant les yeux l'équivoque n'est pas possible sur nos positions.
Quelques temps après, les élections se présentent en Italie (nous savons tout ce que signifie cette grêle d'élections sur le monde : instabilité impitoyable du régime bourgeois et tendance de celui-ci vers une stabilité hypothétique, mobilisation idéologique du prolétariat derrière les différents partis bourgeois, cours réactionnaires, etc.). Le parti italien, la majorité et le CC étant lucanisés, prend position pour la participation aux élections (voir notre critique à cette époque).
Leurs intentions étaient pures, aussi pures que celles des PC à la belle époque de l'IC, aussi pures aussi que celles des trotskistes.
Mais, pour nous, la question n'est pas de savoir si tel ou tel a de bonnes intentions ou s'il est sincère ; notre critique porte sur des positions politiques, sur des principes politiques. Nous voulons espérer que toujours ceux qui ont une position, quelle qu'elle soit, sont sincères mais les sentiments des hommes sont très difficilement contrôlables, tandis que leurs actes et leurs écrits le sont (et dans ce domaine, se rappeler la comédie vercesienne du Comité Antifascistes de Bruxelles et "L'Italie de Demain").
A ce moment-là, la position du PCI d'Italie avait été accueillie chaleureusement par certains Lucain français (exemple Raymond/Gaspard), beaucoup plus fraîchement par d'autres (dont Frédéric).
Mais, de toutes ces conceptions, aucune n'a été affichée, écrite. On s'est contenté de grands palabres justificatifs ou de timides critiques orales.
Aujourd'hui que les Lucain du monde entier tentent de fabriquer une Internationale à eux, ils se trouvent devant la nécessité où tous les fabricants d'Internationales se sont trouvés avant eux : montrer l'unité de vue des Lucain entre eux même si cela n'est pas, et pour cela démontrer que deux positions contradictoires peuvent être en réalité identiques (en y mettant de la bonne volonté).
En l'occurrence, il s'agit non seulement pour Frédéric d'affirmer "Pourquoi elle est abstentionniste" mais, en même temps, de montrer que son abstentionnisme n'est nullement en contradiction avec la position des italiens participant aux élections. C'est ce que Frédéric elle-même eut pu appeler, il n'y a pas si longtemps, de l'abstentionnisme honteux.
Très curieux d'ailleurs son article qui a l'air de sabrer à droite, sabrer à gauche, qui finit par une jolie phrase : "… voilà pourquoi nous sommes abstentionnistes", mais qui, en réalité, permet tous les doutes possibles ; et, après la lecture de cet article, on peut se demander en effet pourquoi Frédéric est abstentionniste en France alors qu'elle ne l'est pas en Italie. Les influences climatiques sur la politique ne nous sont pas expliquées ; Frédéric nous dit simplement : "… nous n'avons aucune honte à concéder aux anarchistes…", en l'occurrence on met notre position sur le même plan que celle des anarchistes (Bordiga en serait très flatté) histoire d'éclaircir la discussion ; "… nous n'avons aucune honte à concéder aux anarchistes…" (et à nous) que, en effet, nous ne faisons pas une question de principe d'UNE PARTICIPATION ELECTORALE AINSI COMPRISE MAIS EXCLUSIVEMENT AINSI.
Après cela, on ne comprend pas du tout pourquoi Frédéric théorise contre "Une tactique périmée : le parlementarisme révolutionnaire". Sa position affirmée est relativement assez voisine de la nôtre, du moins dans ce court passage ; mais comme pour elle ce n'est pas une question de principe et comme c'est en contradiction flagrante avec la position des italiens (justifiée par elle), on finit réellement par se demander pourquoi elle est abstentionniste ? On se demande aussi, quand elle dit "nous", si elle entraîne la responsabilité d'un Gaspard par exemple qui, lui, n'est que la copie conforme de la position du CC italien.
Finalement on se rend compte que le lucanisme n'est pas une plaisanterie mais une maladie typique des nouveaux constructeurs de partis et d'Internationales. On comprend qu'après cela quelqu'un qui vient avec des positions politiques sérieuses et qui parle de principes soit accueilli comme un chien dans un jeu de quilles.
Par contre, il nous apparaît nécessaire de souligner que le mouvement ouvrier n'est pas, malgré tout, complètement pourri. Des militants sérieux se trouvent mêlés aux Lucain. Il est intéressant de noter que ce sont presque toujours de vieux militants. Eux ont au moins la franchise de leurs positions. Ils ne cherchent pas à démontrer qu'ils sont toujours dans "la ligne" en étant complètement à l'opposé.
Ils ont des idées qui, pour nous, sont fausses mais qui, affirmées et développées comme le fait par exemple Chazé dans "La formation du Parti de classe : hier non, aujourd'hui oui", n'es constituent pas moins des (…) possibles de discussion. Nous ne sommes pas d'accord mais nous sommes prêts à discuter sue ce plan franchement et ouvertement.
La seule raison qui fait voisiner ces éléments sérieux – tels Chazé et quelques vieux militants italiens de la minorité avec qui nous sommes en désaccord et avec qui, nous tenons à le faire remarquer, la GCI a toujours été en désaccord pour Chazé et, depuis l'affaire espagnole pour la minorité – avec les Lucain, c'est que ces éléments hétérogènes sont sans bases politiques de principes et n'ont jamais pu assimiler ce que l'on a pour habitude d'appeler le bordiguisme dans le mouvement ouvrier.
Quelle différence entre le crétinisme omnipotent d'un Gaspard alias Raymond Bourt, le lucanisme de Frédéric et la franchise et l'honnêteté politique d'un Chazé ; l'orgueil et la bêtise de jeunes chefaillons en herbes et la discrétion d'un militant.
PHIL
Les révolutionnaires gardent difficilement leur sang-froid dans les périodes réactionnaires. Ils prennent chaque mouvement social pour le PRELUDE à la révolution, chaque grève pour le REVEIL de la conscience de classe du prolétariat. Les journaux du soir n'ont qu'à sortir avec de gros titres : MASSACRES à BOMBAY, GREVE GENERALE aux E.-U., INSURRECTION en Italie, et aussitôt, l'imagination aidant, certains peuvent un instant se donner l'illusion que ça y est ! Heureux ces camarades, dans le fond, puisqu'il leur suffit de si peu pour se contenter.
Les spécialistes de ce genre d'agitation autour de chaque mouvement quel qu'il soit ont toujours été les trotskistes. Pour eux, chaque grève est progressiste et marque un réveil indubitable de la conscience de classe du prolétariat. Les trotskistes – qui ont quelques militants dans la classe ouvrière et qui sortent "La Vérité" – peuvent s'imaginer qu'après avoir appelé à la grève le prolétariat leur obéit ou agit sous leurs directives quand celui-ci se réveille ; nous leur laissons leurs béates illusions.
Plus grotesque nous apparaîtra une équipe de militants révolutionnaires -qui ont scissionné d'avec les trotskistes seulement avant la guerre et qui ont gardé les maladies chroniques de l'agitation pour l'agitation, ce qui peut apparaître ridicule dans la politique trotskiste avec les gros titres de "La Vérité" : LA CLASSE OUVRIERE PASSE À L'ACTION POUR LES 25%, par exemple, nous apparaîtra encore plus ridicule dans le "Prolétaire", feuille à très faible tirage déjà par rapport à "La Vérité" -dont le tirage est déjà loin d'égaler celui des journaux qui dirigent réellement l'opinion.
La valeur du contenu dans le "Prolétaire" passe après les gros titres et les images. Le "Prolétaire" est le journal des grèves qu'il ne dirige pas. Chaque titre et sous-titre sont en rapport avec une grève :
Après de longues années d'Union Sacrée, une nouvelle phase commence : à Dijon, Lille, Bordeaux, Nantes, Cherbourg, etc.
LE PROLETARIAT PASSE A L'ACTION
Savoir faire la GREVE
Syndicat et comité de grève
Du syndicat au comité de GREVE
FILM du mouvement de grève des postiers
La classe ouvrière française entre dans une nouvelle phase de luttes !
Grèves de MASSES !
Grèves à Rotterdam
Grèves en Afrique du Sud
Grèves aux Indes
Grèves en Pologne
Le lecteur qui n'aurait pas lu de journaux depuis plusieurs jours et qui trouverait le "Prolétaire" dans la rue croirait sérieusement que ça y est ! Mais, en effet, l'équipe du "Prolétaire" arrive à se faire croire à elle-même que la révolution est en marche ! Pour le lecteur de septembre, s'il a bien voulu le croire, la grève générale internationale révolutionnaire est proche.
Pour le lecteur d'octobre cela devient beaucoup plus compliqué. En octobre, le "Prolétaire" est divisé en deux parties bien distinctes : Jean qui pleure et Jean qui rit ; le "Prolétaire" annonçant la guerre, la misère et la ruine et le "Prolétaire" annonçant la grève révolutionnaire, le réveil des masses et une aube nouvelle, une phase nouvelle.
Mais sans poursuivre plus loin, lequel des deux devons-nous croire ? Il est bien possible que l'équipe que l'équipe rédactionnelle elle-même soit hésitante entre les deux comme l'âne de Buridan.
Pour les militants objectifs et sérieux, ceux pour qui chaque grève ne correspond pas effectivement avec un réveil de la conscience des "masses", il y a quelques constatations qui s'imposent à propos des grèves en général.
D'abord la grève n'est pas, n'est plus l'arme de classe exclusive de lutte du prolétariat. Nous avons vu les techniciens et les boutiquiers faire la grève, nous avons vu plusieurs grèves des gardiens de la "paix" et du personnel de la police générale, cela ne correspond pas, que je sache, à un réveil révolutionnaire. Demain, peut-être, verrons-nous la grève des députés et des ministres ; la grève est très à la mode. Si l'on veut un tant soit peu approfondir, quelle constatation pouvons-nous faire partant de là et de toutes les combines et tirailleries de tendances politiques de la bourgeoisie autour des grèves ouvrières ?
Nous sommes obligés de constater que la grève en tant qu'arme révolutionnaire du prolétariat est dépréciée. Cela veut-il dire que la grève est dépréciée à jamais ? c'est bien possible. C'est en tout cas une question qui reste posée. Pour l'instant, nous nous bornons à constater que tout le vieil appareil des luttes ouvrières inauguré par la social-démocratie et continué par la 3ème Internationale suit le même sort qu'eux [?!?!?]. Les syndicats sont devenus un instrument nettement réactionnaire au service de l'État capitaliste ; comment, dans ce cas-là, ne pas supposer que tout ce qui accompagne cet appareil usé et réactionnaire du mouvement ouvrier, passé au service de l'État capitaliste, ne suive le même chemin ? [?!?!?]
La vérité c'est que le caractère des luttes a changé, que, dans la mesure où les ouvriers abandonnent la partie réactionnaire du mouvement ouvrier, ils abandonnent également ses méthodes de lutte. La grève, pas plus que les syndicats, n'est loin de là une garantie de la qualité de la lutte ouvrière. Les camarades qui luttent le plus âprement contre le bolchévisme et contre tout le vieux mouvement ouvrier ne se rendent-ils pas compte qu'ils sont encore imbus de toutes les illusions caractéristiques à ce mouvement, surtout pour ce qui est des grèves des syndicats et de la presse.
Sitôt qu'on forme un groupe, on rêve d'avoir un grand journal et de diriger les luttes du prolétariat. Ça c'est de l'ancien mouvement ouvrier, le plus retardataire et le plus opportuniste qui finit dans la peau d'un parti trotskiste. Aujourd'hui, nous avons d'autres conceptions et, si elles font moins de bruit et de tape à l'œil, elles n'en restent pas moins la meilleure et la plus solide arme révolutionnaire.
Le prolétariat, dans ses luttes spontanées, brise totalement le cadre syndical et même très souvent celui de la grève revendicative pour passer à l'action directe, pour manifester pour de meilleures conditions de ravitaillement, manifestations qui se transforment souvent en véritable déchaînement de violence.
La prochaine révolution ne ressemblera en rien à la "vague" de 1917-23 ; elle ne sera probablement pas dirigée et orchestrée par des syndicats ou des partis dans le genre PC, IC, CGT, mais elle aura une autre allure et se placera sur une autre échelle, bien supérieure.
La question se pose pour les révolutionnaires : les syndicats et la grève servaient dans une époque où des réformes étaient susceptibles d'améliorer les conditions sociales des ouvriers ; aujourd'hui le réformisme a vécu et, avec lui, ses méthodes de lutte. Pour la période future, se pose pour le prolétariat directement le rapport des forces et la prise de conscience. Le rapport des forces se trouve dans la violence sans cesse accrue dans les réactions de classe ; et la prise de conscience suit la même courbe dans de la qualité. Les questions qui se rattachent à cela restent à discuter et à créer. Les nouvelles méthodes de lutte appellent de nouveaux organes ; un niveau de conscience supérieur appelle un organe tel le parti et l'Internationale sur un plan supérieur à celui de la période précédente.
PHIL
Après avoir constaté l'existence de partis bourgeois fondamentalement anti-nationaux tels que les PC et après s'être servi de ce fait pour expliquer les événements politiques actuels, il faut essayer d'expliquer le fait lui-même.
Du côté bourgeois la base de l'explication se trouve, comme je l'ai dit plus haut, dans le fait que le patriotisme a cessé de correspondre aux intérêts de la bourgeoisie elle-même dans tous les pays qui ne sont pas des grands, c'est-à-dire dans la plus grande partie du monde : la bourgeoisie ne croyant plus elle-même à la "patrie", cette idéologie finit par être dévaluée aux yeux du prolétariat (à force de se dire entre soi "il faut une religion pour le peuple", le peuple finit par le savoir).Il lui faut alors inventer d'autres prétextes idéologiques pour justifier la guerre, des idéologies dépourvues au moins en partie de caractère national et qui, par suite, peuvent s'étendre dans le monde entier, y compris chez les "grands" ennemis eux-mêmes. Évidemment, ce n'est pas un hasard que le PC des USA soit très faible : au centre du bloc impérialiste opposé à l'impérialisme russe les conditions sont particulièrement défavorables pour le développement d'un parti russe. Il n'en reste pas moins que ce parti existe.
Cependant les conditions précédentes ne sont pas suffisantes. Pour qu'un parti puisse se développer, jouer un rôle dans la vie d'un pays, il faut qu'il trouve une couche de la population sur laquelle il puisse s'appuyer en défendant ou en paraissant défendre ses intérêts. Dans ce but, les partis nazis par exemple se sont le plus souvent appuyés sur des minorités nationales pas toujours allemandes (parti rexiste flamand en Belgique, parti croate en Serbie, etc.). Mais pour avoir une arme efficace dans le but de lutter contre la bourgeoisie nationale, un parti bourgeois anti-national doit s'appuyer sur la principale force qui s'oppose à la "propre" bourgeoisie, à savoir sur le prolétariat – en se disant le "parti du prolétariat" – en se mettant de temps en temps "à la tête de la classe ouvrière pour la défense de ses intérêts" (quand cela ne présente aucun danger pour la domination mondiale de la bourgeoisie). C'est ce que font, mieux que tous autres, les partis staliniens.
Cela appelle une remarque et une question. D'une part nous voyons que les conditions de développement de partis bourgeois anti-nationaux tels que les PC se trouvaient dans l'incapacité du prolétariat à s'imposer en tant que classe à la bourgeoisie mondiale. De tels partis n'auraient pas pu se développer si l'expérience n'avait pas montré à la bourgeoisie qu'il est possible de manœuvrer le prolétariat, de le mener à se battre pour une bourgeoisie – et cela non pas même au nom de la "nation" ou de la "race" dont il fait partie mais au nom de sa classe – en s'opposant à sa "propre" bourgeoisie. Il fallait une longue expérience pour que la bourgeoisie arrive à apercevoir cette possibilité. Dans ce domaine, l'impérialisme russe a joué le rôle d'expérimentateur et d'initiateur, d'avant-garde de la bourgeoisie à la recherche de nouveaux moyens de lutte.
Et alors une question se pose. On comprend bien pourquoi l'impérialisme russe a joué ce rôle d'avant-garde. Issu d'une révolution soi-disant prolétarienne - et dont effectivement le principal moteur était le prolétariat -, se nommant lui-même "dictature du prolétariat", dirigé par un parti, des hommes qui se sont eux-mêmes crus les représentants du prolétariat, cet impérialisme n'avait comme principale force, dans sa lutte contre les autres impérialismes, que l'appui d'une partie importante du prolétariat mondial. Mais ce qui se comprend moins facilement, c'est pourquoi la Russie est restée pratiquement le seul impérialisme à pouvoir créer, dans toutes les parties du monde, de prétendus partis ouvriers entièrement à son service.
Ce fait arrive à égarer beaucoup d'esprit dans ce que l'on appelle le mouvement ouvrier, au sujet de la nature sociale de la Russie actuelle. Puisque la Russie lutte contre la bourgeoisie, disent-ils, c'est qu'elle n'est pas elle-même bourgeoise ! Et si on leur fait remarquer que les bourgeois luttent entre eux, ils répondent que c'est en tant que nations et non avec des partis anti-nationaux tels que les PC… On aura reconnu là un raisonnement trotskiste classique (assez bizarrement allié d'ailleurs avec l'idée que les PC sont des partis "opportunistes", "capitulant" devant "leur" bourgeoisie nationale, analogue aux partis social-démocrates… de 1914 !). Mais, même sans insister sur les trotskistes, on sait que Vercesi, un des dirigeants du PCI d'Italie, continue à justifier l'étiquette d'«État prolétarien» appliquée à la Russie (sans d'ailleurs en tirer les conséquences politiques qu'en tirent les trotskistes : "défense de l'URSS", etc.) par le fait que la Russie peut encore aujourd'hui regrouper autour d'elle une partie importante du prolétariat mondial.
Bien entendu la discussion théorique de telles thèses est inutile. Il suffit de constater qu'elles sont en contradiction avec les faits. Que le capitalisme d'État russe soit – quelles que soient les discussions qui peuvent légitimement s'élever au sujet de sa nature économique – un régime de classe aussi anti-prolétarien que tout autre, c'est un fait. Que ce régime soit capable, et cela bien mieux que tout autre, de manœuvrer le prolétariat dans une grande partie du monde, c'est un autre fait. Si la conjonction de ces deux faits semble à certains camarades "contradictoires", c'est leur théorie qui est en contradiction avec la réalité. Il reste que la conjonction de ces deux faits demande une explication.
Je ne pense pas que ce soit une explication suffisante que d'invoquer le "souvenir" d'Octobre et le mensonge qui consiste à se prétendre socialiste. Car il reste à savoir pourquoi le souvenir ne s'est pas effacé et pourquoi ce mensonge n'a pas aussi bien réussi à d'autres.
L'explication que je propose est la suivante : grâce à sa centralisation étatique, le capitalisme russe possède moins de liens étroits avec les capitalismes étrangers qu'il n'en existait, par exemple, entre le capitalisme américain et le capitalisme allemand (sociétés à capital mixte, liens personnels, etc.). Par suite, la Russie est plus libre pour attaquer les bourgeoisies concurrentes, tandis que par exemple une grève en Allemagne risquait d'affecter immédiatement et directement les rentrées de profit à New-York, Londres et Paris. Cela explique, en passant, l'attitude souvent "radicale" prise par la Russie et les PC envers les bourgeoisies ennemies vaincues ("expropriation des traîtres", exécution des criminels de guerre", etc.). Mais cela explique surtout que les partis russes dans tous les pays soient capables d'une démagogie "ouvrière" et "anticapitaliste" que les autres partis bourgeois n'arrivent pas à égaler.
Je ne crois pas qu'il soit possible de répondre à la question posée si on se refuse à voir que les PC sont effectivement des représentants de la bourgeoisie russe.
Dans tout ce qui précède, je n'ai fait qu'exprimer sous une forme consciente et schématique des idées que la plupart des militants révolutionnaires utilisent en fait quotidiennement dans leur appréciation des événements actuels, même s'ils s'y opposent en théorie. A l'exception des éternels rêveurs qui, tels les trotskistes, sont perdus dans la contemplation nostalgique d'époques révolues, chaque militant raisonne, analyse, prévoit comme s'il pensait que les PC sont des agents de l'impérialisme russe et non des diverses bourgeoisies nationales, quelles que soient par ailleurs leurs conceptions théoriques. Un tel décalage entre la théorie et la pensée vivante est d'ailleurs loin d'être une exception dans le mouvement ouvrier où les anachronismes abondent.
Un tel anachronisme est la conception que la GCF – d'accord sur ce point, semble-t-il, avec les fractions "officielles" de la GCI – se fait de la nature de l'Internationale Communiste, de sa "mort" et de la "trahison" des PC.
On sait que la Fraction Italienne - après avoir proclamé en 1933, après l'arrivée de Hitler au pouvoir, la "mort" de l'IC (pourquoi "mort" ? pourquoi 1933 ?) – dénonçait en 1935 la trahison des PC (pas de l'IC puisqu'elle était "morte"). La raison de cette dernière appréciation ? La déclaration de Staline approuvant "les efforts faits par la France pour mettre sa défense au niveau de sa sécurité", l'entrée de la Russie dans la Société des Nations, la nouvelle ligne des PC qui les amenait à voter les crédits militaires en France, etc.
Tout cela semble bien étrange quand on y réfléchit tant soit peu. La FI a tellement attendu la répétition des événements de 1914 qu'elle a fini par la voir ! En 1914 effectivement, la 2ème Internationale était morte, disloquée par la trahison – effective, quelle que soit sa portée profonde, que je n'ai pas l'intention d'examiner dans le cadre présent – des partis socialistes, chacun reniant ses déclarations antérieures pour se ranger derrière sa bourgeoisie nationale dans la guerre. Rien de pareil ne s'est produit dans la 3ème Internationale. Quand les bordiguistes (et les trotskistes aussi bien) parlent de sa "mort" en 1933, c'est par une image littéraire : "morte" signifie "morte pour le prolétariat". Cette appréciation était basée sur l'idée que, le cours révolutionnaire qui se manifestait (?) en Allemagne étant interrompu par la victoire des nazis, on entrait dans une époque de réaction, de cours vers la guerre impérialiste où il n'y avait plus de place pour un Internationale prolétarienne. Mais l'IC n'était pas pour cela réellement morte, disloquée ; elle subsistait au contraire, en réalité plus centralisée et plus forte que jamais.
En 1935, lorsque les PC se sont rangés du côté de leur "propre" bourgeoisie… dans les pays alliés à la Russie, la FI a proclamé la "trahison" de ces partis en y voyant une justification de ses perspectives antérieures. Mais la FI n'a pas semblé voir combien son schéma de "trahison" à la manière de 1914 était en contradiction avec la réalité puisque, en 1935, le tournant ne dépendait pas d'une dislocation de l'Internationale mais au contraire d'un ordre venu de la direction de l'IC et en rapport évident avec l'orientation de la politique étrangère de la Russie.
Il est clair que dans ce cas la conception traditionnelle de "la trahison des partis ouvriers" – se manifestant essentiellement par le rattachement à la "propre" bourgeoisie – aboutissait à un anachronisme évident. Mais cette idée fausse n'était pas isolée : elle était liée, chaque erreur soutenant l'autre, à l'incompréhension profonde de la nature sociale de la société "soviétique". En effet, même après 1935, après la proclamation de "la trahison" des PC et l'abandon de "la défense de l'URSS", jusqu'en 1942 (jusqu'à aujourd'hui pour la tendance Vercesi), la FI n'a pas compris l'existence en Russie du capitalisme d'État ni, en général, d'une société de classe anti-prolétarienne. L'idée même du capitalisme d'État était absente de toute son idéologie. On parlait de l'État russe comme "État prolétarien" ("dégénéré") ou simplement comme "État russe". On disait simplement que cet État était "intégré dans le système capitaliste mondial" et cela en se fondant seulement sur les actes politiques de cet État (entrée dans la SDN, alliances, etc.). Mais les camarades de la FI ne semblaient pas avoir l'idée que cet État devait être l'organe d'une classe existant physiquement en Russie même ou, dans tous les cas, ils ne semblaient pas très curieux en ce qui concerne les rapports de classes existant économiquement et socialement en Russie. En somme, ils traitaient l'État russe comme s'il avait été un appendice de l'IC alors que le contraire était évidemment la réalité.
Avec de telles lacunes théoriques, on s'explique que le schéma anachronique de "la trahison" ait pu être appliqué avec rigueur par la FI. Cet anachronisme n'était en somme qu'un petit côté d'une théorie qui flottait toute entière dans l'air. Mais nous voyons l'anachronisme parvenir en quelque sorte, au second degré, dans les positions actuelles de la GCF.
Ces camarades comprennent bien que les diverses politiques de l'IC et des PC, avant comme après 1935, étaient déterminées essentiellement par les intérêts de l'État russe ; ils comprennent également que l'État russe actuel est l'organe d'une classe exploiteuse russe qu'ils considèrent d'ailleurs comme identique dans son fond avec la classe bourgeoise. Cependant, ils maintiennent, avec fermeté et quelques fois avec arrogance (voir "Internationalisme" N° 10), la position traditionnelle de la fraction, suivant laquelle les PC auraient "trahi" en 1934-35, le fait essentiel de cette "trahison" étant leur passage du côté des "propres" bourgeoisies nationales.
Alors, il faudrait tout de même s'entendre. Ou bien l'État russe était, dès avant 1934-35, un État de classe anti-prolétarien et, alors, on ne voit pas en quoi l'IC et les PC, dont la politique était essentiellement dirigée vers la défense de cet État, étaient moins "traîtres" que lorsqu'ils se sont mis à soutenir les armements de la France, etc. Ou bien on pense que le capitalisme d'État n'a été instauré en Russie que justement en 1934-35. Mais alors on ne comprend plus. L'instauration d'un régime de classe, d'un régime d'oppression et d'exploitation des travailleurs dans un pays où aurait existé auparavant "la dictature du prolétariat" suppose, semble-t-il, au moins certaines transformations politiques, sociales et économiques profondes dans le pays même dont on devrait trouver quelques traces dans l'histoire de la Russie. Effectivement il y a eu des périodes de grands changements, de crise politique et sociale en Russie en 1921 (Cronstadt, NEP, etc.) et en 1927-28 (liquidation de l'opposition trotskiste, plan quinquennal, etc.) et divers groupes ou camarades ont voulu trouver ici ou là le passage décisif entre "la dictature du prolétariat" et le capitalisme d'État. - Je pense quant à moi qu'ils ont tous tort et qu'il n'a jamais existé en Russie de chose telle que "la dictature du prolétariat" ou "l'État ouvrier" ; mais la question n'est pas là pour le moment -. Mais en 1934-35 ? Il s'agit justement d'une période de calme relatif dans l'histoire interne de la Russie. Si l'ouvrier était exploité et opprimé après, il l'était aussi bien avant. Ou alors faudrait-il dire que le même système économique et social – la même extraction de plus-value, les mêmes prisons – ont subitement changé de caractère de classe parce que l'État qui maintenait ce système a préféré s'allier à la France plutôt qu'à l'Allemagne (raison de l'entrée dans la SDN et cause essentielle du "tournant" du PCF et de divers autres PC).
Il me semble que, si les camarades de la GCF ne veulent pas arriver à une telle idée, ils seront obligés de conclure que leur appréciation de "la trahison" des PC en 1934-35 n'est qu'un anachronisme fondé sur une conception largement périmée des rapports des partis avec la classe bourgeoise. Dans tous les cas, quelle que soit la conclusion à laquelle ils doivent aboutir, ils feront bien de réfléchir de nouveau à ce problème sur la base de leurs conceptions actuelles (et non de celles de la FI il y a 10 ans).
Pour ma part, il me semble clair que la nature de l'IC (qui, en réalité, n'est pas "morte" en 1933, ni même en 1943) n'a pas changé profondément lors du tournant de 1934-35. Avant comme après, elle était une arme qui servait à l'impérialisme russe pour manœuvrer le prolétariat mondial dans les seuls intérêts de la Russie.
Une remarque importante est ici nécessaire. On définit généralement l'évolution politique de l'IC comme un "opportunisme croissant. C'est partiellement exact, mais partiellement seulement ; et cette appréciation, fondée sur la conception classique des rapports des partis avec la classe bourgeoise, laisse échapper justement la caractéristique essentielle de la politique de l'IC.
En effet , d'un point de vue descriptif, l'opportunisme – envers les bourgeoisies non-russes bien entendu – n'est qu'un aspect des "erreurs" de l'IC. Trotsky, par exemple, ne parle pas seulement de l'opportunisme mais de l'alternance (ou de mélange) d'opportunisme et "d'aventurisme". Et, d'un point de vue descriptif, il a raison. L'insurrection de Hambourg (1923), l'insurrection de Canton (1927), certains aspects de la politique de "la troisième période" ne peuvent pas être qualifiés d'"opportunistes". Mais – et c'est là que le point de vue trotskiste se montre grossièrement descriptif et profondément incompréhensif – ces "erreurs" n'étaient pas, en général, déterminées par "un aveuglement bureaucratique" mais par les intérêts de la Russie. La politique de la "3ème période", en particulier, était déterminée essentiellement par la recherche d'un appui sur la bourgeoisie allemande, même nazie ; d'où la lutte à mort contre les social-démocrates ("social-fascistes") anglophiles ; la capitulation de janvier 1933 n'était pas l'envers mais la poursuite de la 3ème période.
Si on remonte plus haut, en Chine (1925-27), en Allemagne (1923), etc., on verra toujours les intérêts de l'État russe – du capitalisme d'État russe – déterminer toute la politique de l'IC.
La Russie est entrée dans la SDN quand elle a recherché l'alliance anglaise et française contre l'Allemagne ; elle avait dénoncé la SDN quand elle recherchait l'alliance allemande contre l'Angleterre.
En 1934 les communistes français ont découvert qu'«ils aimaient leur pays» ; les communistes allemands pensaient dans le même temps à "combattre Hitler". Mais en 1930 et même en 1923, les communistes allemands avaient fait campagne contre "l'opposition nationale" de l'Allemagne. Dans tout cela, où est la différence essentielle ?
Évidemment il n'est pas douteux qu'il y a une évolution de l'IC. En 1919 la plupart des révolutionnaires du monde entier se trouvaient dans l'IC ; en 1946 pas un seul ne peut s'y trouver. Mais cela n'empêche pas que le rôle effectif de l'IC a toujours été le même, depuis sa formation jusqu'à aujourd'hui : celui de "5ème colonne" du nouvel impérialisme russe.
Je sais bien que la plupart des camarades, et en particulier tous ceux de la GCF, s'insurgeront contre cette idée que les révolutionnaires, des groupes révolutionnaires porteurs d'une idéologie révolutionnaire - dont le prolétariat a des enseignements à tirer – aient pu faire partie d'une organisation essentiellement impérialiste et même lui donner en apparence tout son contenu de pensée. Mais la contradiction, si "contradiction" il y a, est dans la réalité et non dans une pensée.
L'explication en est double. D'une part, ce fait s'intègre dans ce caractère général de notre époque que j'ai indiqué plus haut : une bourgeoisie peut manœuvrer le prolétariat, l'utiliser contre les bourgeoisies concurrentes. Entre détruire "la" bourgeoisie (la bourgeoisie ennemie) et composer avec elle, il n' y a qu'une différence de tactique.
La deuxième partie de l'explication explique la première partie elle-même et explique également l'évolution de l'IC. Si la bourgeoisie est ainsi capable de manœuvrer le prolétariat, c'est que celui-ci ne possède pas une idéologie qui lui permette de prendre en mains la direction de la société. Plus précisément, il existait une idéologie qu'on pouvait penser être une idéologie prolétarienne car elle permettait au prolétariat de lutter pour ses intérêts contre la bourgeoisie et, par suite, cette idéologie exerçait une forte influence sur le prolétariat : c'était l'idéologie marxiste telle qu'elle existait dans la 2ème Internationale. Mais dans l'application, quand il s'agit de diriger la société et non plus d'obtenir des avantages immédiats, cette idéologie a montré qu'elle contenait la justification du capitalisme d'État, que sa réalisation était le capitalisme d'État. Plus exactement, on pouvait penser que la doctrine du capitalisme d'État – de l'étatisation des moyens de production par "l'État ouvrier" – était une doctrine du prolétariat tant que l'expérience n'avait pas montré que sa réalisation mène à l'esclavage du prolétariat. Des théories rassurantes, telles que celle de Engels sur "le dépérissement" automatique de "l'État ouvrier", étaient là pour calmer les doutes. Mais le caractère éminemment dialectique de ces théories ne les a pas empêchés de se révéler fausses.
Alors il a fallu que les révolutionnaires prolétariens d'une part et la bourgeoisie d'autre part comprennent que le capitalisme d'État, c'est toujours du capitalisme. Et c'est là la clé de la longue évolution de l'IC.
Il a fallu longtemps au nouvel impérialisme russe pour comprendre, d'une manière générale et pleinement consciente, que son sort est lié à celui de la bourgeoisie mondiale et que, par suite, toute tendance authentiquement révolutionnaire doit être combattue à mort. Quant aux tendances révolutionnaires, la compréhension de ces mêmes faits leur a été également difficile ; exclues successivement de l'IC, elles ont généralement commencé par protester contre leur exclusion et certaines n'ont pas encore compris aujourd'hui…
Le premier congrès de l'IC était dominé par l'idée de rassembler toutes les organisations révolutionnaires pour la défense de la Russie. Au 2ème congrès il ne s'agissait plus seulement des organisations révolutionnaires mais de rassembler les masses par n'importe quel moyen (syndicats, parlements, défense des peuples coloniaux, fusion avec des partis du centre). Au 3ème congrès il s'agissait toujours de rassembler les masses mais plus pour la révolution, seulement pour faire pression sur la bourgeoisie, d'où le Front Unique. Au 4ème congrès il ne s'agissait plus de faire pression sur la bourgeoisie mais de la soutenir quand elle veut marcher avec la Russie : "Gouvernement Ouvrier et Paysan". Et chaque fois, c'était des coups sur la pauvre gauche qui n'y comprenait rien et qui était obligée de s'en aller (Gauche allemande) ou de capituler (Gauche italienne).
Ce sont sans doute les péripéties de la lutte contre l'opposition trotskiste qui ont fait comprendre clairement à la direction de l'État russe le lien qui existe entre toute idée tant soit peu à gauche et le danger interne (ce lien n'étant pas encore clair en 1924 : les propositions faites par la direction de l'IC aux bordiguistes – faire ce qu'ils veulent en Italie à condition de condamner Trotsky – en témoignent). D'où la campagne d'exclusions.
Enfin, en 1934-35, le changement d'orientation de la politique extérieure fournissait une bonne occasion de détruire la racine de toute tendance révolutionnaire possible en abandonnant les phrases révolutionnaires.
On peut résumer cette évolution, d'une manière en quelque sorte philosophique, en disant que le rapport entre Lénine et Staline est analogue au rapport de l'être à la conscience.
Quant au changement survenu en 1934-35, il est réel mais il ne faut pas non plus s'en exagérer l'importance. Jusqu'à cette date, des tendances ont pu se détacher de l'IC pour évoluer vers des positions révolutionnaires, tandis qu'ensuite les tendances de "gauche" qui se sont formées ne sont pas allées plus à gauche que le PSOP (Ferrat). Mais de grandes différences existent entre ces tendances suivant le moment où elles se sont détachées. Je parle du détachement effectif, de l'époque à laquelle elles n'avaient plus leur place dans l'IC et où elles ont été exclues (ou sont sorties) ; je ne parle pas de l'époque où elles ont cessé de se réclamer de l'IC qui est souvent différente.
Ainsi la tendance communiste des conseils-KAPD, qui s'est détachée de l'IC en 1920-23, a pu subsister jusqu'à nos jours sans très grands changements idéologiques et être aujourd'hui encore la plus consciente en général.
La tendance bordiguiste, qui s'était détachée en 1927, a pu conserver en général des positions révolutionnaires mais elle a eu plus de chemin à parcourir. Et il s'agit d'une vieille tendance de gauche qui avait la possibilité de reprendre les positions révolutionnaires qu'elle avait dû abandonner ou adultérer pour rester dans l'IC.
La tendance trotskiste s'est détachée vers la même époque mais elle s'était formée en 1923-27 sur la base de divergences dans la question de savoir comment mieux défendre l'impérialisme russe et comment mieux exploiter le prolétariat russe ; elle n'a jamais pu se détacher de sa base primitive ni du respect intégral des 4 premiers Congrès de l'IC ; et finalement elle est définitivement perdue pour la révolution, à l'exception de quelques groupes qui ont dû justement se détacher d'elle.
Je ne connais pas d'exemple de tendances qui se soient détachées plus tard de l'IC et qui n'ont eu une évolution plus favorable. Le dernier groupe, à ma connaissance, qui se soit détaché de l'IC pour évoluer vers des positions révolutionnaires, était celui du RKD (sorti en 1935). Or ce groupe a dû passer par une évolution lente et difficile, marquée par de multiples scissions qui n'ont pas laissé grand-chose du groupe primitif, pour parvenir finalement à ses positions actuelles.
L'étude de la question particulière concernant la nature du PC m'a ainsi entraîné à discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe. Cela était inévitable dans la mesure où le rôle du PC nous dévoile certaines caractéristiques fondamentales de notre époque alors que cette époque ne peut être comprise qu'en fonction des problèmes posés en général par la révolution russe et l'orientation du mouvement ouvrier.
BERGERON
Le camarade Bergeron, dans l'article "Sur la nature des partis communistes" que nous avons publié, va en fait beaucoup plus loin que ne l'indique le titre.
Du reste, il le constate lui-même dans sa brève conclusion : "L'étude de la question particulière concernant la nature des PC m'a ainsi entraîné à discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe…"
Ainsi, peu nous importe à nous le titre de son article ; et son contenu l'ayant largement dépassé, c'est de celui-ci que nous voulons traiter ici.
Les grandes discussions qui ont lieu dans l'avant-garde dégénèrent toutes sans exception et amènent toutes à "discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe". C'est devenu, depuis qu'existe ce sujet, une telle obsession qu'on a fini par vouloir le bannir de toute discussion, ce qui revient à le retrouver en fait dans chacune, sous le couvert de sujets qui tentent d'apparaître comme différents. Notre habitude n'étant pas au camouflage et cela pour nous-même, c'est une fois de plus ce sujet que nous voulons traiter, sans penser pour cela oser prétendre l'épuiser.
Sous un titre de peu d'apparences, Bergeron attaque sur 4 questions qui sont d'une très grande importance et où nous pensons qu'il commet 4 erreurs fondamentales :
Il est un fait certain que le capitalisme moderne a subi dans son évolution toute une transformation, une mue depuis ce que l'on appelle le capitalisme classique. De toutes ces transformations, il faut dire cependant que le capitalisme, dans tous ses caractères fondamentaux, est resté le même. Dans l'idéologie maîtresse de la classe dominante, si cette classe a subi des modifications de forme, il est également indiscutable que l'idéologie a subi des transformations ainsi que la classe elle-même. Mais si l'on veut bien approfondir, on s'apercevra que, dans le fond et malgré toutes les transformations subies, la classe, le système, l'idéologie sont restés fondamentalement bourgeoises et capitalistes.
Il devient très important aujourd'hui de revenir sur certains faits déjà, à de nombreuses fois, démontrés. En effet, beaucoup de militants, devant les transformations de la société, finissent par prendre ces formes nouvelles comme ne faisant plus partie fondamentalement du capitalisme. Ils bâtissent une autre société qui aurait tout de même certaines caractéristiques du capitalisme mais qui en serait une nouvelle.
C'est aujourd'hui l'idée, qui domine chez de nombreux militants de l'avant-garde, que la société actuelle serait déjà arrivée au degré de transformation supérieur dont avaient rêvé les premiers socialistes (dont Marx et Engels) et que, somme toute, nous serions en ce moment en société bureaucratique socialiste. Cette société actuelle serait la forme réelle de ce que les théoriciens socialistes avaient rêvé. Elle serait, somme toute, une nouvelle société et le "socialisme" de Marx (par exemple) n'aurait été qu'une tendance d'une certaine couche de la société, de cette époque antérieure, pour la réalisation de ce qui existe aujourd'hui (par exemple en Russie).
Ces militants,
Il serait relativement facile de faire, contre ces camarades, une polémique pour les détruire et les ridiculiser. Cependant l'idée a pris tant d'importance ; elle est à la mode depuis la 3ème Internationale et cette mode revient aujourd'hui avec plus de force : elle a ses théoriciens, ses économistes ; des romanciers en font le thème de leurs rêveries ; il n'est pas jusqu'au théâtre peut-être où l'on voit différentes élucubrations sur ce thème ; tous les chansonniers ont le mot à la bouche.
Malheureusement, personne n'a encore établi solidement, dans les faits, une analyse de fond de la nouvelle société, de la société présente qui montre ses caractéristiques propres du point de vue économique, idéologique, etc.
Quand on a examiné un peu attentivement tout le torrent d'écriture qui a envahi ce sujet, on s'aperçoit qu'en fait leurs auteurs se perdent en analyses phénoménologiques, en peintures de la forme de la société présente, mais aucun ne plonge réellement dans la structure fondamentale de la société, aucun ne l'analyse en fonction du passé, etc.
Et pour le répéter une fois de plus : la société présente, malgré une transformation par rapport au capitalisme classique, n'en reste pas moins, en tant que fonction, en tant que fondements, une forme du capitalisme.
L'étude des sociétés, quoique étant une étude scientifique, doit se garder de trop schématiser et systématiser. Ce qui est nécessaire à l'analyse ne doit pas faire perdre de vue que la société humaine est une chose vivante extrêmement complexe ; et l'étude scientifique ne doit jamais faire perdre de vue l'ensemble de ce que l'on étudie. On ne doit jamais perdre de vue, même si l'on est neurologue, psychiatre, chirurgien, dentiste, pédicure ou opticien, que c'est à l'homme vivant que l'on a à faire et non à un œil, un estomac, un cerveau ou des pieds.
Dans ces conditions, il n'est pas permis à un homme sensé d'affirmer que la forme actuelle de la société capitaliste correspond au socialisme dont rêvait Marx et "quelques braves démocrates bourgeois du XIX° siècle…". Dans ces conditions, il n'est pas permis de prendre las bolcheviks pour les réalisateurs du socialisme bureaucratique en URSS. Ces affirmations toutes gratuites relèvent surtout, chez leurs auteurs, d'un manque de sérieux dans l'étude.
En effet, il est possible que Marx soit dépassé, que le rôle du bolchévisme n'ait pas été tout à fait celui que les bolcheviks s'étaient fixés et que nombre de socialistes et de communistes croient encore à une forme de socialisme et de communisme vétuste et imbue de démocratisme petit-bourgeois. Mais à qui en est la faute ? En est-elle à Marx et aux bolcheviks ? Ou est-elle à leurs continuateurs, dont les fameux "nouveaux critiques" étaient, il n'y a pas si longtemps encore, des plus ardents.
On pourrait, si on le voulait, faire l'analyse de la société féodale, la décomposer en plusieurs parties et, en poussant l'analyse de chacune des parties à fond, arriver à la conception que chacune formait une société à part. En effet, en partant de la genèse, en passant par le Moyen Age et en arrivant au féodalisme du XVI° et du XVII° siècles, on peut sans grande difficulté voire une différence de forme telle qu'une telle conception - qui fait des études et ces analyses approfondies de ces époques –arriverait à faire des séparations. Mais une fois le féodalisme divisé et subdivisé, et malgré tout la structure fondamentale en reste, à chaque époque, celle du féodalisme.
Et, cependant, quelles différences entre la constitution des fiefs seigneuriaux, les premiers propriétaires terriens, vrais paysans rudes et batailleurs et les nations, la monarchie absolue et l'aristocratie de robe, véritable bureaucratie !
Si l'on veut faire de même pour le capitalisme, c'est très facile ; quoique la différence soit relativement moins grande entre la société capitaliste de la grande époque colonisatrice, la société capitaliste à l'époque des trusts et des monopoles et la société capitaliste actuelle, le capitalisme bureaucratique étatique, que celle qui existe entre le féodalisme du début et celui de la fin. Tout cela parce qu'il n'y a pas de barrières formelles dans l'histoire et que c'est seulement avec une vue générale que peut être conçue toute analyse.
Après cela, il ne nous vient nullement à l'idée de nier l'évolution de la société capitaliste moderne, ni de nier même certaines modifications dans la classe dirigeante et dans son idéologie. Encore ne faut-il pas considérer cette classe comme une nouvelle classe. En effet, une erreur commise assez communément, et que je relève chez Bergeron, est de donner à une classe sociale une apparence physique, formelle immuable alors qu'elle est simple fonction dans la société et que cette fonction peut être remplie successivement par des êtres ayant physiquement une apparence et une constitution différentes. La fonction sera fondamentalement restée la même, ayant subi certaines modifications physiques, différentes couches sociales ayant pu être appelé à la remplir ou simplement la même classe sociale ayant pu elle-même subir ces transformations.
Le prolétariat d'aujourd'hui est-il comparable au "prolétariat" qui existait déjà sous forme embryonnaire pendant la révolution bourgeoise ?
Cependant, il faut dire encore à ces camarades qui bâtissent de nouvelles théories et voient tant dans les formes nouvelles de la société présente, s'ils regardent un peu plus la réalité, ils verraient que, même dans la forme de la société, il n'y a dans le fond pas tellement de choses de changées.
Dès la révolution de 1989, il y a eu des manufactures d'État. Et déjà il y avait des plaisantins pour affirmer que les socialistes étaient des capitalistes d'État.
Contrairement à ce que ces nouveaux théoriciens du socialisme bureaucratique veulent bien découvrir dans Marx et dans des socialistes comme Lénine et Rosa Luxemburg, ceux-ci ont très bien vu l'évolution de la société capitaliste vers une plus haute concentration pouvant aller jusqu'à une forme de capitalisme d'État très poussée et, que je sache, aucun, même Marx, n'a affirmé que cela devait être égal mathématiquement au socialisme. Engels lui-même parle du capitalisme d'État dans "L'anti-Dühring". Et la bureaucratie n'est pas une nouveauté ; les abus, le gonflement de l'appareil bureaucratique de l'État bourgeois n'est pas né en même temps que tous ces théoriciens, exprès pour eux. L'armée et la bureaucratie ne sont pas nos contemporains immédiats. Nos grands-pères ont déjà connu cela.
Au théâtre, les pièces célèbres de Courteline sont, sinon en théorie du moins dans la vie de notre époque, un signe indubitable de l'existence déjà, à cette époque d'avant la guerre de 1914, de cette tendance au capitalisme d'État et à un appareil bureaucratique hypertrophique.
De même, quand le camarade Bergeron relève une nouvelle idéologie dans la société présente : l'antifascisme, comme une idéologie internationaliste ou du moins supranationaliste de la bourgeoisie, on peut dire qu'il croit faire une découverte parce que né après une guerre qui avait eu comme caractéristique d'être une ligue de "nations libres" et "démocratiques" contre "la barbarie teutonique"(1914-18).
Mais aujourd'hui si ne faisant pas comme le fait Bergeron, si ne voulant pas absolument que les caractères, les sentiments de la classe bourgeoise soient complètement changés, que le nationalisme et le patriotisme ne soient même pas les idéologies maîtresses de la bourgeoisie, si l'on se contente en toute objectivité de voir, dans cette dernière guerre, quelle a été l'idéologie maîtresse qui a gangrené et broyé les cerveaux de l'humanité, on verra que c'est finalement le nationalisme, sous différentes formes certes, qui a été, comme dans toutes guerres de la bourgeoisie, son moteur idéologique.
Il ne faut jamais considérer l'histoire contemporaine du mouvement ouvrier en partant de la Révolution russe, en passant par l'IC et en arrivant au reste du mouvement ouvrier. Il faut au contraire commencer par considérer le mouvement ouvrier dans son ensemble à partir, par exemple, de la social-démocratie (pour l'époque contemporaine). Dans ce sens, et en donnant à chaque courant de gauche issu de la social-démocratie toute son importance, la valeur réelle de l'IC apparaîtra beaucoup plus clairement.
Une chose est certaine cependant, c'est que, pour nous qui jugeons aujourd'hui aussi objectivement que possible et avec le recul du temps, les courants de gauche de la social-démocratie nés dans les pays d'Europe occidentale au capitalisme plus avancé et les courants nés dans les pays d'Europe orientale au capitalisme extrêmement retardataire devaient dès le début avoir de profondes divergences.
La formation d'une Internationale partant d'un seul de ces courants, les autres devant prouver leur loyalisme envers le bolchévisme pour y entrer, a été le début des erreurs ou, si l'on veut, la condition de l'opportunisme de l'IC dès sa naissance. En fait, c'est là le point de départ de tout essai de poser un problème politique et non en partant de la Russie.
Politiquement deux grands courants se forment : la gauche russe et la gauche allemande ; d'autres courants politiques plus faibles hésiteront entre les deux : tels nous apparaîtront le courant appelé plus tard bordiguiste, le courant des syndicalistes révolutionnaires français, etc.
Mais il faut considérer un autre fait, celui de l'existence d'une large partie de l'Europe où la révolution bourgeoise n'avait pas poussé le capitalisme à une haute concentration industrielle et où subsistaient, à côté d'un jeune capitalisme industriel sous la dépendance presque totale du capitalisme financier anglo-américain, une autarcie médiévale, subsistance dernière du féodalisme dans un pays immense en étendue et dont les richesses du sol et du sous-sol, encore inexploitées à cette époque, faisaient la convoitise de tous les grands impérialismes (anglo-américain, japonais, allemand).
En dehors de toutes considérations sur les bolcheviks, la Révolution russe a permis en fait à la Russie de devenir en moins de 20 ans un des plus puissants impérialismes, au point de devenir un rival sérieux aujourd'hui pour le bloc anglo-américain. Cette constatation de fait ne doit pas faire perdre de vue un seul instant qu'une transformation, comme celle que vient de subir la Russie en un temps relativement court, demande une telle accélération du processus historique que seule une classe révolutionnaire était capable de la mener à bien ; les autres classes de la société russe eussent été incapables de conserver à la Russie la grandeur qu'elle a gardé aujourd'hui dans le monde capitaliste.
Cela veut-il dire que les bolcheviks étaient des capitalistes d'État, le parti du capitalisme d'État ? Sûrement pas ! Même si cela facilite la discussion de l'affirmer, il ne s'agit pas pour nous, aussi bien d'ailleurs que pour la classe ouvrière, de se complaire aux simplifications qui n'expliquent rien.
Pour bien comprendre la période historique contemporaine, y compris la Révolution russe, il faut toujours partir du mouvement ouvrier en général.
La guerre de 1914-18 devait précipiter le processus de faillite de la social-démocratie et donner une impulsion à tous les courants de gauche issus d'elle. la préparation à cette guerre puis cette guerre elle-même voyaient naître, dans le prolétariat, d'abord un profond recul, une défaite en même temps que la trahison de la social-démocratie et la scission politique des courants de gauche. La rupture de la guerre correspondait au cours historique inverse, les courants de gauche prenant une forte influence dans la classe ouvrière et la classe ouvrière, dans le monde entier, prenant une volonté de combattre comme jamais encore le mouvement ouvrier n'en avait connu auparavant.
Ce fort courant révolutionnaire correspondait, d'après la thèse des socialistes telle Rosa Luxemburg, à l'ouverture de la crise permanente du capitalisme.
En réalité, quoiqu’en accord avec la théorie de Rosa Luxemburg, je veux ici, une fois de plus, m'élever contre ce schématisme qui veut appliquer une théorie économique ou historique à des dates fixes. Quand on veut appliquer la théorie de Rosa Luxemburg sur la décadence du capitalisme, on peut très bien dire que, dès avant la guerre de 1914-18 en effet, le capitalisme avait déjà de profondes caractéristiques de dégénérescence ; mais il est absolument impossible d'affirmer si effectivement la guerre de 1914-18 est la marque de cette dégénérescence ou si c'est cette guerre-ci qui est cette marque.
Il faut poser la question d'une manière différente et concevoir que la guerre de 1914 était un premier symptôme comme tant d'autres (par exemple le début de la bureaucratisation, de la haute concentration du capitalisme, le début du capitalisme d'État, du grand militarisme comme nous le connaissons aujourd'hui, etc.).
En réalité, dans la crise permanente du capitalisme, la guerre est aussi permanente. On peut parti d'avant 1914 pour ce qui est de la guerre permanente mais nous constaterons que c'est surtout notre époque qui correspond le plus avec cette caractéristique à l'état chronique dans notre société. Donc on peut très bien faire partir la crise permanente du capitalisme d'avant 1914, à la condition qu'on reconnaisse que c'est seulement après la Révolution russe que le capitalisme a envahi le monde entier et que le marché se trouve réellement obstrué.
La guerre de 1914 était un prélude ; le capitalisme sentait que prochainement le marché se trouverait obstrué et chaque grand impérialisme, se précipitant sur le marché pour sa conquête, en venait aux armes. Cependant, pendant les 21 ans qui se sont écoulés entre les deux guerres (celles de 14-18 et de 39-45), le capitalisme a pu d'abord vaincre et disperser le courant révolutionnaire issu de la 1ère guerre et donner l'apparence de résoudre sa crise. C'est seulement après 1929 puis dans cette guerre que la crise permanente est entrée dans sa phase décisive. Ici plus de stabilité, plus même d'apparence de stabilité, guerre permanente. Impossibilité pour le capitalisme de "reconstruire", de donner même l'illusion d'une résorption partielle de sa crise par l'abondance par exemple, etc.
Le mouvement international ouvrier, pour vaincre, doit être absolument indépendant de toute idéologie étrangère à sa classe quelle qu'elle soit. Il doit donner à chaque courant politique la facilité de s'exprimer et la création d'une Internationale sur le modèle de l'IC et de la 4ème trotskiste ne doit plus se faire. Le mouvement ouvrier n'a pas besoin de drapeau, ni de chefs, ni d'une Internationale à l'image de la 3ème ou de la soi-disant 4ème. Il doit tendre vers le but révolutionnaire en même que vers celui de la vraie démocratie ouvrière. La condition de la Révolution socialiste c'est d'abord la création d'un foyer permanent de discussion de plus en plus large et la volonté de lutte de la classe ouvrière pour soutenir ce foyer, le sien.
La 3ème Internationale a été une Internationale factice d'où on a voulu exclure toute une partie des courants de gauche du prolétariat, représentants effectifs de la partie la plus avancée du prolétariat. C'est là la condition première de la défaite de l'IC. L'IC a représenté incontestablement un moment dans la lutte révolutionnaire du prolétariat mais, coupée des éléments les plus avancés, elle devait s'appuyer sur des éléments de plus en plus retardataires et dégénérer rapidement. L'IC est opportuniste dès sa constitution mais on est obligé de la considérer comme faisant partie du mouvement ouvrier tant qu'elle lutte effectivement pour la prise du pouvoir révolutionnaire et tant qu'elle lie cette conception à celle d'une lutte internationale dans ce but. Quand l'IC dégénérescente cesse toute politique prolétarienne pour pratiquer une politique nettement bourgeoise menant à la participation à la guerre, on peut seulement dire qu'elle n'appartient plus au mouvement ouvrier. C'est le cas seulement dans sa prise de position sur la question de l'Antifascisme.
En Russie, la question se présente d'une manière toute différente.
Ce n'est pas parce qu'une équipe de révolutionnaires quelconque prend le pouvoir dans un secteur capitaliste donné (que cette équipe soit marxiste ou anarchiste) que ce secteur cesse d'avoir, du jour au lendemain, une fonction et des caractéristiques capitalistes.
Mais ceci, Lénine (le contre-révolutionnaire au couteau entre les dents), malgré toutes ses erreurs, son opportunisme et ses positions retardataires démocratiques bourgeoise, ne l'a jamais dit. Il a même affirmé le contraire jusqu'à sa mort. Lénine savait très bien que ce que l'équipe bolchévique faisait en Russie n'était rien d'autre que du capitalisme.
La condition de la défaite ou de la victoire de la Révolution russe comme victoire pour le mouvement ouvrier n'est pas placée sur le plan russe mais sur le plan du mouvement ouvrier international. La victoire du mouvement ouvrier international aurait seule permis de juger si l'équipe bolchévique était si profondément opportuniste et retardataire, en permettant aux ouvriers russes de se dégager de son emprise par la suite le cas échéant.
La défaite du mouvement ouvrier international non seulement devait consolider la position opportuniste de la 3ème Internationale et des bolcheviks à la tête de l'État russe mais devait conduire le Parti bolchevik et la 3ème Internationale là où ils sont allés.
Le rapport de Lénine à Staline n'est sûrement pas celui de l'être à la conscience. Chez Lénine lui-même individuellement, il y a toute une évolution. Le Lénine social-démocrate de gauche et le Lénine d'après la prise du pouvoir, d'après la révolution n'est pas le même. On ne peut juger des individus qu'en rapport avec leur époque historique. Or, il est incontestable que, dès qu'il devient un des administrateurs de l'État russe, Lénine subit la pression des conditions extérieures à sa propre volonté et qu'il doit sans cesse leur céder.
Il n'y avait pour les bolcheviks que trois solutions : vaincre avec le prolétariat ou succomber avec lui ; ils ont tenté une troisième solution qui a été l'administration malgré tout de l'État russe. Dans ces conditions, le parti en tant que tel a dû plier aux conditions du pouvoir, éliminer l'un après l'autre les éléments réellement révolutionnaires, soit individuellement soit organisationnellement, au fur et à mesure de la pression de ces conditions extérieures.
Le processus a été le même que dans toutes les révolutions bourgeoises mais, au lieu d'un changement successif d'équipes politiques, l'apparence a voulu que la même reste ; elle a en réalité successivement dû procéder à la même évolution. Les bolcheviks révolutionnaires prolétariens n'ont pas pu faire autre chose que ce que Cromwell et Robespierre avaient fait avant eux (en tenant compte de la différence des conjonctures historiques).
Il est très possible que Lénine, s'il avait vécu, s'il avait voulu rester au pouvoir en Russie aurait dû passer par où Staline est passé ; il est possible qu'il aurait été éliminé.
Là n'est pas l'important ; les individus ne comptent pas, ce sont leurs actes et leur politique qui compte.
Les événements politiques qui se sont déroulés depuis que nous avons écrit notre dernier article sur la "signification politique des élections" ont complètement confirmé notre appréciation et nos pronostics. En même temps, les événements se sont chargés de faire table rase des affirmations sur le réveil de la lutte de classe en France et dont la menace aurait dicté, à la bourgeoisie, la formule gouvernementale du tripartisme (voir "le Prolétaire" et la FFGC), ou cette autre affirmation ridicule de Lasré au meeting de la FFGC : "Le Parti socialiste est une survivance du passé, condamné à disparaître plus ou moins rapidement". L’erreur, aujourd’hui patente, de ces deux groupes est due à leur analyse superficielle et incorrecte de la situation réelle de la France et du monde.
Ceci dit, revenons aux événements.
Après une courte période de tâtonnement, les partis politiques de la nouvelle chambre n’ont pu résoudre la crise ministérielle qu’en faisant appel à la personnalité de Léon Blum.
Il serait trop long d’entrer dans les détails et d’énumérer toutes les péripéties de la crise ministérielle. Chaque parti s'employait à manœuvrer au mieux pour mettre dans l’embarras le parti concurrent et damer le pion à son adversaire.
En tête venait naturellement le "premier parti de France", le PCF. En qualité de "premier", il revendiquait "l'honneur et la responsabilité" de présider le nouveau gouvernement. Ce n’est pas que le PC prenait réellement au sérieux sa revendication. Personne, y compris lui-même, ne s’inquiétait de cette revendication ; mais en la posant, il entendait surtout mettre dans l’embarras le parti socialiste et accroître le désarroi dans ses rangs (que le dernier échec électoral a quelque peu troublés).
Si les socialistes ont finalement vote pour la candidature de principe de Thorez - et ils ne l’ont pas fait sans répugnances -, c'était pour couper court à la manœuvre d’enveloppement des staliniens et pour mettre, une bonne fois pour toutes, fin à leur démagogie, tout en s’assurant que la candidature de Thorez ne restera jamais qu’à l’état de principe. D’autre part, en laissant subsister le doute sur leur attitude finale dans la candidature Thorez et en se refusant à accepter le marché stalinien de partage des présidences (la présidence de l'assemblée aux socialistes à la condition qu’ils votent pour Thorez), les socialistes ont fait apparaître les staliniens comme de vulgaires maquignons. En effet, les staliniens, surpris et déroutés, ont voté contre la présidence Vincent Auriol qui fut élu contre eux. Ainsi les socialistes ont réalisé tous les bénéfices :
La première manche du match PC-PS a donc été gagnée avec brio par les socialistes.
La seconde manche MRP-PS ne fut pas moins brillamment enlevée. En laissant au MRP toute la responsabilité de la charge contre les staliniens, les socialistes se sont réservés tout l’avantage. L’exclusif jeté par le MRP contre une présidence stalinienne devait entraîner la réciproque et rendre impossible une présidence MRP. Dès lors, les socialistes, qui se sont préservés habilement, paraissent les seuls susceptibles de résoudre la crise.-
Après avoir laissé les autres partis tourner en rond et s’épuiser sous la conduite "impartiale" du président Auriol, les socialistes abattent enfin leur carte maitresse : Leon Blum.- Le coup fut frapper juste. Tous les partis l'ont reçu et se sont inclinés car, et ce n’est pas le moins significatif de cette crise, c’est Léon Blum, l’homme extra-parlementaire qui dicte à tous les partis du parlement ses conditions ; et la première qu’il pose est le retrait de toute candidature opposée à "l’accord général".
Dans l’article sur la signification des élections, écrit au lendemain même des élections, nous avions analysé longuement la situation politique en France et la place occupée par le PS. Il va de soi que nous n'avons pas corrigé notre appréciation pleinement confirmée par les récents événements et l’élection de Blum à la présidence.
Toutefois il faut souligner quelques points :
Le vote massif de l’assemblée (575 sur 590), les déclarations de tous les groupes lors du vote et plus particulièrement celle de Paul Raynaud (et il s'y connaît) proclamant Blum comme l’homme de l’heure, comme le meilleur représentant des intérêts français et rappelant opportunément les récents accords Blum-Truman. Mais il est juste, qu’aussi grande que soit l’autorité personnelle de Blum, Le Troquer avait raison de rappeler que Blum c'est aussi et surtout le chef du Parti socialiste qui a un programme et une conception gouvernementale. Ce programme et cette conception, personne ne peut mieux s'en servir que l’homme qui les a fondés et les a, durant les derniers mois, amplement commentés et précisés dans "Le Populaire". Blum n’est pas une personnalité neutre ; c’est l’homme du Parti socialiste, c’est le Parti socialiste personnifié.
Et, si la France peut en ce moment se personnaliser dans cet homme et dans ses conceptions, c’est parce que le Parti socialiste, dont ils font partie, est l’expression politique la meilleure du capitalisme français et les garants les plus qualifiés de son État.
* * *
Ce n'est pas seulement en France que Blum réalise l’unanimité autour de lui ; son élection est saluée chaleureusement à Londres et à Washington. Son choix, dit avec raison la presse anglo-américaine, facilitera grandement le rapprochement de la France avec ces pays et permettra une collaboration des plus efficace. Ceux qui croyaient apercevoir une hostilité de la part de Washington à l'égard du socialisme européen pourront facilement se convaincre du contraire à la lecture de la presse américaine commentant l’élection de Blum.-
Nous ne connaissons pas encore les commentaires russes. Il ne serait pas étonnant qu'ils soient plutôt frais, à moins qu’à mauvaise fortune la Russie ne préfère, pour raison diplomatique, faire bonne figure.
A en juger par les réticences des staliniens en France, nous pouvons supposer les sentiments véritables de la Russie à l’égard du gouvernement Blum et de l’orientation de la France.
Quoi qu'il en soit, les staliniens, défenseurs du bloc russe en France, auront plus de mal à user de leur arme préférée, l’agitation ouvrière, contre le gouvernement Blum. On sait que les staliniens usent assez adroitement de leur position avantageuse dans la classe ouvrière et dans la CGT qu'ils ont domestiquée, pour obliger les autres partis à leur faire constamment des concessions sur le plan gouvernemental.
Lors de la présentation de la candidature de Thorez, l’Union des Syndicats de la Région Parisienne a voté une résolution faisant sien le programme gouvernemental du Parti communiste, exprimant ainsi une menace non déguisée de chantage à l’agitation ouvrière. Mais cette arme stalinienne assez redoutée par les autres partis serait peu efficace contre Blum dont la popularité est trop grande parmi les ouvriers qui font de lui le père des 40 heures, de la semaine des deux dimanches et des congés pays. Pourtant les ouvriers feraient mieux de méditer sur la déclaration de Blum au procès de Riom, justifiant en ces termes sa gestion au gouvernement de "Front populaire" : "J'AI ASSURÉ LA PROPRIÉTÉ AUX PROPRIÉTAIRES, MAINTENU LES OUVRIERS DANS LES USINES ET ASSURÉ LA RUE À LA FORCE PUBLIQUE."
Toute la politique de Blum et du Parti socialiste est dans cette phrase et les ouvriers feront bien de se la rappeler. La pause, l’arbitrage obligatoire, le gouvernement Blum de "Front populaire" furent une étape décisive vers la guerre impérialiste.
Tout comme hier, et plus qu’hier, le capitalisme français se trouve aujourd’hui devant des difficultés d’ordre intérieur et international.
L’avènement de la politique de Blum et du Parti socialiste donne tout son sens à l’inauguration de la quatrième République de la bourgeoisie française.
G. Marco
P.S. Cet article ayant été écrit antérieurement à la formation du gouvernement socialiste homogène sous la direction de Blum, nous commenterons cette situation dans le prochain "Internationalisme" et, surtout, la très intéressante et importante déclaration de Blum à l’occasion de la présentation de son Ministère.-
Pour l’instant nous ne ferons que reproduire un passage de l’article du "Monde" du 18 décembre, commentant la formation du gouvernement Blum :
On ne pouvait pas mieux dire.
On connaît les résultats des dernières élections législatives en France : le PCF obtient 5475 mille voix (gain 273 mille voix) et devient le premier parti de France ; la SFIO, 3474 mille voix (perte de 744 mille voix) ; le MRP, 5066 mille voix (perte de 556 mille voix) et perd sa place de premier parti de France au bénéfice des staliniens ; les radicaux, 1971 mille voix (perte de 208 mille voix). Que signifient ces chiffres ?
Il faut tout d’abord souligner l’augmentation des abstentions qui passent de 4489 mille à 5535 mille. À cela il faut ajouter que, depuis la "libération", aucune campagne électorale n’a été plus terne que celle-ci. Les masses populaires commencent à se lasser de la comédie électorale. Les partis politiques le sentaient si bien qu’ils ne se sont pas ingéniés à faire les promesses électorales habituelles.
Plus de suppression de cartes de pain, comme l’a fait le socialiste Pineau en 1945 ; plus de (...) électorales à la Marcel Paul comme en juin 1946, ces trucs-là ne prenant plus, les masses sachant à quoi s’en tenir. La campagne électorale s’est faite plutôt sous le signe des scandales visant plus à discréditer les adversaires qu’à gagner les électeurs par la vertu de sa propre gestion. Et la SFIO doit certainement beaucoup de son échec à ce truc des scandales par lesquels elle fut plus particulièrement visée et…touchée.-
Le morne de la campagne électorale - qu’aucun parti n’a réussi à animer - et le nombre élevé des abstentions sont le signe certain d’une profonde lassitude des masses.
Cela ne fait que confirmer notre appréciation, contrairement à ceux qui croyaient voir dans les récentes grèves des postiers et des fonctionnaires on ne sait quel réveil de la combativité de la classe ouvrière. Dans l’ensemble, les ouvriers ont voté pour le PCF ou le PS ; une petite fraction s’est abstenue, nullement comme une manifestation de protestation, comme une affirmation d’une volonté d’opposition mais plutôt comme une expression d’indifférence, de lassitude, de résignation. Encore faut-il ajouter que le plus grand nombre d’abstentionnistes se recrute dans les couches moyennes, petits commerçants etc…
Tous les partis ont mené la campagne avant tout contre l’abstention car quel que soit le résultat, les élections restent toujours un des moyens préférés de la domination idéologique du capitalisme. Mais les abstentions en soi n’expriment pas encore une orientation anticapitaliste des masses. Dans leur forme passive, elles expriment, comme c’est le cas maintenant en France, un désarroi, un malaise, une incertitude qui envahit des couches de plus en plus nombreuses de la population.
A part les scandales au travers desquels chaque parti tentait de discréditer les hommes politiques et ministres des partis adverses, aucune divergence profonde ne les opposèrent sur la politique intérieure ; sur ce plan, on peut dire qu’il règne plutôt un accord profond. Aucun parti d’ailleurs ne présentait le moindre projet de reconstruction économique de la France ; cela pour la simple raison qu’il n’existe aucune possibilité pour l’économie française de se renforcer et de sortir du marasme profond où elle se débat. D’autre part tous les partis sont d’accord que le franc est menacé, que l'équilibre budgétaire est irréalisable, que l'inflation est inévitable. Tous sont d’accord sur le nécessité d’une politique sévère de compression financière. Tous prêchent "l’heure de la pénitence", entendons la diminution du standard de vie des masses laborieuses et, en premier lieu, celui des ouvriers. Les partis ne se départageaient réellement que sur la politique extérieure. Bidault ou Thorez signifiait Washington ou Moscou. Voilà quel a été le vrai enjeu de la bataille électorale.
Le tripartisme - qui représentait d’abord la politique du jeu de bascule entre Moscou et Washington et, par la suite, la politique de conciliation "avec Washington et Moscou" - est sorti grand vaincu de la bataille électorale. Socialistes et MRP, pour avoir présidé à cette politique d’hésitation, perdent ensemble 1300 mille voix. Si les défections de leurs voix n’ont pas été encore plus catastrophiques, ils le doivent à leur brusque retournement de veste au lendemain du referendum, à leur abandon de la politique de conciliation pour une politique d’hostilité ouverte contre le camp russophile. Leur prise de position anti-russe, qui s’est traduite dans l’anticommunisme, leur a permis au dernier moment de limiter le désastre et de regrouper leur troupe. Ils allaient aux élections sous le drapeau, non de la défense du tripartisme mais de sa dénonciation, de la rupture avec le PCF et son rejet hors du gouvernement. La loi électorale jouant en faveur du plus fort parti devait faire le reste et achever de convaincre les larges masses du danger de disperser leur voix et de la nécessité de bloquer sur le nom du MRP.
Dans l’évolution du monde capitaliste vers des concentrations de plus en plus accentuées, il reste de moins en moins de place pour des politiques "nationales", indépendantes. La restriction et la disparition des marchés extra-capitalistes exacerbant la rivalité entre les grands pays impérialistes. Cette lutte ne se déroule pas seulement autour de la possession des marches extra-capitalistes comme ce fut le trait caractéristique des luttes impérialistes dans la phase ascendante mais prend un caractère nouveau. Hier le lutte se déroulait autour d’un butin provenant d’un monde extra-capitaliste ; aujourd'hui, en l'absence de ces marches le lutte se déroule dans le cadre du monde capitaliste. La vie économique d’un pays, le maintien de sa production est directement fonction de la non production d’un autre pays. Maintenir sa production signifie déterminer les autres pays à cesser d'être des producteurs pour devenir des consommateurs, les réalisateurs, les marchés d'absorption de sa production. Ce n’est plus la concurrence entre deux capitalistes pour des client mais la lutte pour la destruction de l’autre en tant que capitaliste producteur industriel et pour faire de lui le client forcé de sa production.
Dans cette phase décadente, le capitalisme n’offre plus de possibilité de développement industriel prolongé pour de nouveaux pays, car tout développement industriel dans un pays est une menace de mort pour les autres pays. Le développement parallèle fait place à une nécessité vital pour chaque puissance impérialiste d'éliminer et de détruire les États impérialistes antagonistes. Telle est la loi du capitalisme décadent. Le sort des petits États capitalistes est étroitement lié à la grande puissance impérialiste à qui ils sont économiquement et politiquement soumis et avec qui ils font un bloc opposé à l’autre bloc ayant pour ou contre une ou plusieurs autres grandes puissances impérialistes. Se trouvant dans le camp du vainqueur, les petits pays peuvent compter obtenir quelques miettes en récompense, leur permettant de maintenir une vie économique ; dans le cas opposé, se trouvant dans le camp des vaincus, ces pays sont condamnés à une misère et perdent toute possibilité de relèvement économique.
La France pouvait, pendant de longues années, se donner l’illusion d’être encore une puissance impérialiste de première importance. En réalité ce ne fut qu’un mirage établi sur un passé "glorieux" de brigandage coloniale et de développement d’un capitalisme financier usurier. Le capitalisme français a occupé pendant un siècle la seconde place, après l’Angleterre, sur le plan mondial. Mais, imperceptiblement et régulièrement, s’est développé, à côté de lui, un autre capitalisme plus dynamique qui n’a pas tardé à le supplanter et à lui ravir sa place dans l’économie mondiale. Ce n’est pas notre intention, dans le cadre de cet article, de faire l’étude des raisons historiques qui ont joué en faveur du développement du capitalisme allemand aux dépens du capitalisme français resté conservateur. Le même phénomène historique est a constater pour l’Angleterre qui s’est laissée dépasser et finalement dominer par le développement gigantesque du capitalisme des États-Unis. Mais, contrairement à l’Angleterre qui a lutté avec âpreté pour sa puissance mondiale et n’a cédé finalement que par rapport aux États-Unis, tout en parvenant à conserver la première place du capitalisme européen, le capitalisme français, lui, déclinait régulièrement depuis le début du siècle et s’est laissé dépasser par plusieurs jeunes États capitalistes.
La première guerre mondiale, de 1914-18, fut essentiellement une compétition entre l’Angleterre et l’Allemagne pour la domination du monde ; le France ne jouait alors qu’un rôle nettement secondaire. Et si, au lendemain de 1918, les circonstances particulières qui ont joué, durant et après le traité de Versailles (révolution russe, perturbation révolutionnaire en Europe centrale, antagonisme Anglo-américain et le développement de l'antagonisme prédominant nippo-américain autour du pacifique) ont permis à la France (surtout riche en verbe et en hommes d’États, Clémenceau, Briand, Poincaré) d’apparaître au premier plan de la diplomatie mondiale, cela ne reposait pas sur une réelle consolidation des positions économiques du capitalisme français dans le monde. Longtemps masquée par une conjoncture politique mondiale favorable à la diplomatie française, la réelle faiblesse du capitalisme français devait apparaître à la veille de la guerre 1939-45 au cours de laquelle cette puissance factice et surfaite devait s’effondrer rapidement et complètement.
La deuxième guerre mondiale fut à nouveau une compétition entre l’Angleterre et l’Allemagne, compétition cette fois décisive et se soldant par la dislocation complète et l’élimination définitive du capitalisme Allemand.
Sur le plan mondial, cette compétition s’est conjuguée et a été complétée par la liquidation de cet autre antagonisme qui était celui de l'Amérique-Japon, aboutissant à l'écrasement du japon. La Russie - qui a longtemps hésité entre les deux blocs, spéculant sur l’affaiblissement réciproque des deux rivaux en présence pour tirer des avantages à leur dépens - s’est trouvée rapidement forcée d'abandonner sa position d’observateur, d’une part par les poussées expansionnistes de ses puissants voisins directs, menaçant ses frontières s’est sas intérêts des deux cotés à la fois : l’Allemagne en Europe et le japon en Asie , et d'autre part en se rendant compte de l’issue prévisible et inéluctable de cette formidable compétition armée devant aboutir à l’ effondrement des puissance ces de l’axe et su renforcement des États-Unis. Pour mieux résister et affronter demain la toute-puissance des États-Unis, il fallait, a la Russie, prendre les devants et s’assurer, dans le cours de la deuxième guerre, des positions aussi fortifiées que possible.
À côté de ces grands seigneurs s’affrontant avec des moyens puissants, le France n’a joué et ne pouvait jouer aucun rôle dans la deuxième guerre. L’épopée de Charles de Gaulle, n’avait pas plus d’importance que les "armées" polonaises ou yougoslaves. Quant à "l’armée" des maquis, elle fut surtout un article de propagande pour la participation idéologique à la guerre, un bourrage de crânes destiné aux ouvriers pour les détourner de toute velléité de regroupement et de lutte sur leur propre terrain de classe. Se valeur militaire fut absolument nulle.
La guerre a révélé non seulement la position médiocre, de troisième ordre du capitalisme français, mais encore - et cela est vrai pour tous les capitalismes faibles - un manque d'unité d’intérêts économiques internes de la bourgeoisie française, ce qui a permis et permet toujours à une fraction du capitalisme français de s'accommoder de la domination mondiale allemande éventuellement russe, tandis que l’autre fraction sa trouve en opposition absolue et ses intérêts sont étroitement liés et intégrés dans le système de domination économique anglo-américain. En l’occurrence cette division de la bourgeoisie française se trouve grosso-modo entre le secteur industriel (occupant une place relativement faible dans la production nationale et également dans l’économie nationale)et le capitalisme colonial et financier, prépondérant dans l’économie nationale et indissociablement lié internationalement au système anglo-américain et qui lui est soumis, malgré et tout en se heurtant à ces pays dans le cadre même de leur unité d'intérêt.
À l’arrêt des hostilités, après l’écrasement et l'élimination d’Allemagne et de Japon, la France croyait pouvoir à nouveau reprendre, à la faveur du nouvel antagonisme fondamental de l’époque moderne qui oppose irréductiblement l’Amérique et l’URSS, une figure d'indépendance et, en jouant à l’arbitre ou à l'intermédiaire, mettre à son profit cet antagonisme. Elle croyait, en somme, pouvoir renouveler ce qui lui a si bien réussi au lendemain de la première guerre mondiale. Bien mal lui en a pris. Non seulement sa situation propre est, de beaucoup, plus précaire, mais ses conditions historiques ne sont plus les mêmes qu’en 1918.
Alors, il existait plusieurs centres d’antagonisme, s’intercalant et se recoupant au point que les États-Unis devaient momentanément abandonner leur toute puissance en Europe pour concentrer le plus fort de leur attention sur le Pacifique, tout en ne pouvant interdire au Japon de se renforcer et de s’emparer des possessions Allemagnes dans le Pacifique, de la Corée et de la Mandchourie. Alors, il existait une situation de troubles et de convulsions, révolutionnaires en Europe, obligeant les différents impérialismes à mettre en sourdine leur rivalité et à mettre au premier plan leur solidarité dans la lutte contre la menace du prolétariat. Alors, le capitalisme Allemand n’avait fait que de subir une défaite, grave certainement, mais qui ne le mettait pas encore définitivement hors de toute compétition.
La situation présente est un antagonisme unique de domination mondiale, avec un nombre d’antagonistes réduit au minimum : Amérique-Russie-, l’Angleterre elle-même renonçant à jouer à l'indépendance intégrale et à disputer l'hégémonie américaine, pour tendre à s’incorporer de plus en plus dans une unité économique avec cette dernière (voir les discours de Churchill en accord total avec la politique du gouvernement travailliste, soutenant partout la politique américaine et proclamant, en toute circonstance, son identité de vue avec cette politique).
Le tripartisme gouvernemental sur le plan intérieur indiquait cette folle et intenable politique de vouloir soustraire la France à son intégration dans un bloc et à sa soumission à la domination américaine. Deux ans de cette politique permettent au capitalisme français de faire le bilan. La Belgique a franchement aliéné son indépendance à l’Amérique-Angleterre. Résultat : sa situation économique est de loin meilleure que celle de la France. Cette dernière a certes obtenu quelques satisfactions pour son "prestige" à qui on accordait le titre officiel de 4ème Grand et des sièges honorifiques de membre permanent du Conseil de Sécurité et autres places spéculaires, mais ses revendications ne sont pas plus prises au sérieux (problème allemand, charbon de la Ruhr, problème de la Sarre et de la Rhénanie ), sa liberté d’action et son indépendance n’en s’ont pas moins aliénées, (voir la Syrie, le pétrole de l’Iran, les colonies été.) et sa situation économique n’a fait qu’empirer.
Deux ans de politique extérieure d’hésitation, de tergiversation, de conciliation, ce qui était la base du tripartisme, n’ont fait qu’aggraver la position de la France et c’est cette politique qui vient de s’écrouler. L’échec de cette politique, bien plus que de se manifester simplement dans la perte des voix du MRP et des socialistes dans les dernières élections, s’exprime surtout dans le fait de leur renonciation ouverte à cette politique et leur catégorique dénonciation de la formule de tripartisme qui en a été l'expression.
La presse voit en général dans le succès remporté par les staliniens un succès uniquement sur les socialistes. C’est d’ailleurs la même explication qui est donnée par les intéressés eux-mêmes. Les staliniens crient à la victoire et lui donnent le sens d’une désapprobation par les ouvriers de la politique anti-communiste et anti-unitaire des socialistes. À les entendre, les ouvriers ont signifié, par leur vote, leur désir de voir s’établir une entente socialo-communiste, première étape vers l'unité organique.
Cette thèse est plus démagogique que réelle. Il suffit de se référer aux exemples où, dans certaines circonscriptions, des listes communes socialo-communistes ont été présentées sous l’étiquette du candidat du Parti Ouvrier Français pour constater que, dans l’ensemble, elles n’obtinrent aucunement le succès que veulent lui attribuer les staliniens. Les ouvriers restent assez sceptiques sur les possibilités d’une telle unité et l’idée d’un parti ouvrier unifié ne suscite, en France, pas plus d'enthousiasme que le Parti socialiste communiste unifié en Allemagne. Et ce n’est certainement pas en cela qu’il faut chercher les causes du succès stalinien.
De toute façon on est loin de retrouver dans le succès stalinien les restes de voix socialistes, les socialistes ayant perdu près de 750 mille voix, les staliniens n'en ayant gagné que 275 mille. Et nous sommes très sceptiques encore sur la provenance politique de ces 275 mille voix à qui on attribuerait à tort une origine socialiste.
Il faut accorder une importance plus grande qu’on ne le fait généralement au titre de listes d’"Union républicaine et résistante" sous lequel les communistes se présentaient couramment. Ce titre est plus qu’un simple camouflage. Il représente l’en-tête permettant le rassemblement d’une fraction de la bourgeoisie non spécifiquement stalinienne mais optant pour une politique extérieure axée sur la Russie. C’est ce groupe d’apparentés staliniens, les Pierre Cot, les d’Astier etc., une dizaine de députés à la chambre qui ont incontestablement une certaine valeur politique d’hommes d’États et qui présentent la tendance russophile d’une partie du capitalisme français.
Dans la campagne électorale, le trait fondamental ne fut pas la lutte des partis mais les deux orientations : avec l’Amérique ou avec la Russie, qui s’affrontèrent en deux blocs dont les partis n’étaient que les subdivisions internes. Sous la bannière du stalinisme s’est regroupée toute la fraction pro-russe de la bourgeoisie, et c'est là l’énigme de son succès mais aussi la réalité de sa faiblesse.
Les staliniens ont obtenu une victoire électorale, mais le politique pro-russe a subi une défaite. La bourgeoisie française engage résolument son bateau dans le sillon américain.
Soulignons en passant ce qui ressort par ailleurs du succès stalinien : une idée qui a pris naissance dans le camp de la bourgeoisie tend à enraciner dans certains milieux révolutionnaires. Le camarade Bergeron, à qui nous avons donné la pleine liberté de s’exprimer dans notre bulletin, a amplement développé cette idée dans son étude sur la nature des partis staliniens. D’après cette idée, les partis staliniens ne seraient pas devenus des partis nationaux, mais seraient en quelque sorte des partis nationaux ou a-nationaux, n'étant rien d’autre que les agences d’un État impérialiste étranger, à savoir le Russie.
Il fut un temps où la politique des partis communistes et la politique de la Russie se confondaient en une unité, du fait que la Russie faisait partie du mouvement révolutionnaire international et que ses intérêts ne pouvaient être autres que ceux de prolétariat mondial.
C’est uniquement sur ce plan de la révolution socialiste mondiale qu’existent les conditions du dépassement du cadre national. Sur le plan du capitalisme ne peuvent exister que des alliances, des axes, des blocs, des soumissions, des compétitions et des accommodements internationaux mais dictés toujours par les intérêts partant d’un point de vue national.
Le cerveau du petit bourgeois ou de l’ouvrier dévoyé, qui continue toujours à voir en la Russie quelque chose de fondamentalement opposée au capitalisme, peut très logiquement conclure à l’identité entre l’intérêt national défendu par l’État russe et les buts poursuivis par les partis communistes dans les divers pays capitalistes. Le capitalisme antagonique de la Russie accrédite également cette idée pour autant que cela lui sert de propagande dans sa lutte contre la Russie et contre les tendances d’entente et de conciliation avec la Russie en son propre sein. Mais cela n'en reste pas moins une légende, tout comme la légende accréditée par les nazis sur l’identité entre "la juiverie internationale, la finance mondiale et la démocratie anglo-saxonne".
Il est à peine nécessaire d’insister sur le fait que les Cot, les d’Astier de la Vigerie et les gens du MURF ne sont pas simplement des agents de l’impérialisme russe (Herriot a aussi, pendant un temps, flirté activement avec les communistes). Une cinquième colonne ne peut être qu’une petite clique à la Doriot, mais il est à peine sérieux de présenter un parti groupant autour de lui 30% des électeurs, la plus grande organisation nationale et près de 6 millions d’électeurs, comme une 5ème colonne. C’est bien la première (non pas la cinquième) force, non pas de l’impérialisme étranger, mais de la bourgeoisie nationale défendant à sa façon les intérêts fondamentaux du capitalisme national.-
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Le stalinisme en France, estimons-nous, a fait son plein. Dans ces dernières élections il a regroupé toutes les forces d’orientation pro-russe. Les possibilités d’un nouveau développement ultérieur est conditionné par un renforcement de la position russe sur l'échiquier international. C’est à cette condition que de nouvelles fractions de la bourgeoisie pourraient se rallier a lui, mais cette condition justement n’existe pas. La Russie semble dernièrement céder pas mal de terrain devant les États-Unis. Nous devrions donc assister à un affaiblissement du poids des staliniens dans la vie politique française et à une baisse de leur influence dans la vie publique. Remarquons toutefois que, contrairement aux affirmations des trotskistes, anarchistes et autres groupes de gauches comme le RKD, les CR et la FFGC sur la radicalisation des masses et la perspective de grandes luttes de classe en gestation - dont la grève des postiers aurait été l’annonciatrice -, le PCF a gardé presque intacte son influence sur les ouvriers. Malgré leur assaut, les socialistes n’ont pu entamer sérieusement l’influence dominante des staliniens sur les ouvriers ou sur la CGT où ils règnent toujours en maître. C’est cette force qu’utiliseront les staliniens demain pour ne pas se laisser complètement évincer de la direction gouvernementale et pour obliger le bloc pro-anglo-américain à souffrir leur présence et à leur faire une place réduite mais toujours intéressante et confortable sur les fauteuils ministériels.
Pour si insignifiant que soit le parti trotskiste, il ne serait pas gentil de notre part de parler des derrières élections sans lui exprimer notre "sympathie" pour la série des revers qu’il a subis.
Aux élections de juin 1946, il est allé aux urnes avec le cri de guerre de "à la porte le MRP". Et c’est le MRP qui a gagné des voix et des sièges et a pris la présidence du gouvernement.
Un autre mot d’ordre de la campagne trotskiste était "gouvernement ouvrier PCF-PS au pouvoir" et voilà que le bloc "ouvrier" a perdu la majorité qu’il avait avant dans la chambre provisoire.
Décidément le trotskisme n’est pas seulement un parti malheureux qui n'a pas la main heureuse dans le choix de ses mots d’ordre mais encore il porte malheur aux autres.
Les trotskistes, depuis deux ans, désirent ardemment avoir un député, comme une femme stérile désire un enfant. Et que n’ont-ils pas fait pour cela ? Aux dernières élections, ils sont allés jusqu'à implorer les staliniens et les socialistes en leur proposant d’abandonner toutes leurs voix d’avance si, en échange, ces partis voulaient bien laisser une circonscription libre pour l’élection d’un tout petit député trotskiste, ne serait-il que de la taille de Pierre Frank. Rien n’y fit. Ils se sont beaucoup dépensés, n’ont pas ménagé leurs efforts, ni des masses d’argent et sont finalement revenus, de la bataille, bredouilles, cocus, battus et… évidemment contents. Pourtant il n’y a pas de quoi, vraiment ! Ils se sont présentés dans deux fois plus de circonscriptions que la dernière fois pour récolter 59 mille voix (la dernière fois 49 mille) et la chose la plus surprenante pour eux fut de constater que dans toutes les circonscriptions où ils avaient déjà bataillé aux élections de juin 1946, ils ont enregistré des pertes sensibles de leur voix allant parfois jusqu’à (…).
Pauvres, pauvres trotskistes. Il serait cependant faux d’en conclure que l’influence trotskiste tend à décliner dans la même mesure que leurs voix. Mais la solution de l’énigme, que les trotskistes n’ont pas encore saisie, réside précisément dans le fait que leurs sympathisants ont pris à la lettre ce qu'ils leur disaient. On leur a tant dit et répété qu’il fallait barrer la route à la "réaction", qu’il fallait opposer le bloc ouvrier (PCF-PS) aux formations politiques de la bourgeoisie. Eh bien, il était logique que ces sympathisants votent pour le PCF et le PS - et non pour le PCI - seuls efficacement placés pour battre un candidat MRP ou PRL.
Quand on fait de l’opportunisme il faut le faire avec logique jusqu’au bout. Grands pontifes de la manœuvre trotskiste…
Il peut sembler, à première vue, que toute notre analyse de la situation politique en France, de la force et de la fonction des divers partis la composant soit erronée du fait que les résultats des élections semblent contredire et démentir l’idée que nous avons émise présentant le parti socialiste comme le pivot de la politique et de gouvernement français à venir. En effet dans les études que nous avons consacrées à la situation en France depuis les élections de juin, nous avons constamment rejeté les affirmations sur l’affaiblissement du PS, sur la soi-disant crise de ce parti, sur son déchirement entre la droite et une gauche, sur un prétendu grignotage de la part de PCF et les affirmations fantaisistes sur un rapprochement avec les staliniens. Et pourtant le PS vient d’essuyer la plus grande défection des voix et sort le grand vaincu des élections. Comment pouvons-nous maintenir notre appréciation et ne pêche-t-elle pas à la base ? Eh bien, franchement, et tout en écrivant sous l’effet immédiat des élections, nous croyons devoir maintenir notre appréciation et cela malgré les apparences immédiates.
Comment s’explique l'échec électoral incontestable des socialistes. D’abord il faut constater que leurs voix en moins ne sont pas allées, comme on le croit, aux communistes mais, à notre avis, surtout vers l’abstention. À cela il y a deux raisons : la première est la campagne formidable menée autour des scandales éclaboussant et compromettant essentiellement les ministres socialistes.
D’une façon générale, le Parti communiste s’avère être imbattable dans l’art de manœuvrer des larges masses, d’orchestrer des campagnes de calomnies, d’organiser la propagande, des campagnes spectaculaires et des manifestations de tous ordres ; cela est dû en plus aux illusions des masses en la Russie, à son organisation ultra-centralisée, militarisée dirons-nous, à son dynamisme, à son manque de tout scrupule dans le choix des moyens et à ses origines populaires. Il n'y a qu’une formation politique capable de lui disputer ce savoir-faire, et pour des raisons identiques, c’est le parti fasciste. Dans ce domaine le parti socialiste parait beaucoup plus "mou" en même temps que lourd. Il manœuvre aussi mal dans les masses qu’il sait être subtil et plein de finesse dans les sphères pures de la politique, dans les parlements, commissions, conférences, gouvernements. Les communistes sont les as de la grossière manœuvre spectaculaire, frappant l’esprit de la masse ; les socialistes sont les "aristocrates" de la manœuvre dans les coulisses de la fine diplomatie, dans la pénombre, loin des bruits de la rue. Les socialistes peuvent subir de graves échecs dans les élections, ils ne perdront pas de leur force sur leur propre terrain. Ce qui n’est pas le cas, pour les communistes qui ne peuvent maintenir une place plus haut que s’ils sont soutenus par une base dans la rue doublement et triplement plus forte.
A côté des lourds chevaux de trait que sont les staliniens, les socialistes apparaissent comme des chevaux de course racés.
De tout temps, le mouvement syndical français échappait à la domination socialiste qui, même aux plus beaux jours après la scission politique et syndical, ne pouvait se prévaloir d’une grande influence dans les masses ni dans les organisations syndicales. Malgré la politique anti-ouvrière du ministre du travail, le communiste Croizat, malgré leur manœuvre lors de la grève des postiers et du mouvement des fonctionnaires, mettant adroitement les staliniens en posture de briseurs de grève, les socialistes se sont avérés incapables de mettre suffisamment ces faits à leur avantage et d’entamer sérieusement l’influence stalinienne dans la CGT.
C’est le fait d’avoir servi trop longtemps de couverture en même temps que de marche d’escalier aux staliniens qui fait perdre aux socialistes une partie de sa clientèle désorientée. Cette clientèle n’est pas définitivement perdue pour lui, il la retrouvera demain dès qu’il s’engagera dans une politique plus affirmative, sans crainte de rupture du "juste équilibre".
Et tout indique que le PS tend vers cette nouvelle politique. En définitive, le PS a perdu une bataille mais sa puissance politique n’est pas entamée. Et nous persistons à croire que, dans l’avenir tout proche, se vérifiera notre affirmation que le parti socialiste reste le meilleur représentant, dans la situation actuelle du capitalisme français, et l’axe de sa future combinaison gouvernementale.
* * *
À quelque chose malheur est bon. La diminution du groupe socialiste dans la chambre a fait perdre la majorité numérique au bloc des "parti ouvriers". Cette situation exclue désormais toute possibilité d’un gouvernement PCF-PS. Les socialistes ne doivent pas être fâchés d’être ainsi définitivement libérés de toute démagogie stalinienne sur la participation à un gouvernement bipartite ou sur le soutien d’un gouvernement stalinien. Débarrassés de ce cauchemar, ils se sentiront les coudées franches et plus libres dans leurs mouvements et leur manœuvre et, tout en étant numériquement plus faibles, ils occuperont des positions plus fortes en devenant l’arbitre de toute combinaison gouvernementale.
* * *
Le bloc pro-russe mis de cote, restent deux grands partis pouvant prétendre à la direction de l'État français : le MRP et la SFIO. On ne peut pas encore accorder une place prépondérante au Parti radical, quoique ce parti revienne renforcé et qu’il passera indiscutablement, demain, des bancs de l'opposition, qu’il occupait depuis deux ans, à ceux de la nouvelle majorité.
"Le Parti radical est un parti de gouvernement" a déclaré Herriot au dernier congrès de ce parti et aucun doute qu'il siège demain dans une coalition gouvernementale. Mais il ne peut, sauf un concours de circonstances particulièrement heureux pour lui, prétendre assumer, dès maintenant, la direction de l’État.
Des deux partis, du MRP et de la SFIO, nous croyons que, malgré sa supériorité numérique, le premier doit céder les rênes du futur gouvernement au dernier. Cela pour bien des raisons et, entre autres, pour la raison primordiale de la nécessité de faire une place aux staliniens dans le futur gouvernement, sans quoi les socialistes eux-mêmes se refuseront à y participer. A moins de rejeter les communistes et les socialistes dans l’opposition et de s'appuyer sur tout le restant de la chambre, ce qui parait aléatoire, le MRP doit passer la main aux socialistes ou à une personnalité "neutre".
D’aucuns camarades ont émis l'idée d’une opposition entre le MRP et les socialistes, traduisant sur le plan français une rivalité qui existerait sur le plan international entre les États-Unis et l’Angleterre et qui, toujours d’après ces camarades, est perceptible dans tous les pays non occupés par la Russie, où se livrerait une lutte entre les partis sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens, soutenus les uns et les autres par ces deux puissances impérialistes. Ils appuient en outre leur thèse sur la victoire récente des Républicains aux États-Unis, victoire essentiellement dirigée contre l’Angleterre. C’est cette évolution de la situation internationale qui expliquerait l’échec socialiste en France, qui serait en réalité le commencement du déclin des partis socialistes et du bloc Anglais.
Toute cette idée serait soutenable si réellement il existait un antagonisme fondamental États-Unis-Angleterre. Mais nous l’avons déjà dit, nous ne croyons pas à un tel antagonisme du fait que l'Angleterre a volontairement abdiqué devant la suprématie des États-Unis. Des frictions peuvent surgir et surgiront encore, sans doute, dans l’avenir entre ces deux pays capitalistes mais elles ne peuvent s’orienter vers une opposition permanente et absolue. L'accord ou, si l’on veut, la soumission de l’Angleterre est bien plus grande en définitive que les oppositions existantes. De ce fait, nous ne pensons pas qu’il faut rechercher dans les autres pays des ramifications de ce prétendu conflit. Et le Parti socialiste français nous parait donner autant de garanties au capitalisme américain que le MRP.
Sorti du provisoire sur le plan constitutionnel, la France continuera a végéter dans le provisoire économique et politique.
Sur le plan économique, aucune solution n'est apportée et peut être apportée en dehors des mesures à caractère palliatif, portant à peine remède à la grave situation économique où se débat l’économie français.
Sur le plan financier : l’inflation pourra à peine être enrayée et sera plutôt masquée par d’éventuelles mesures de dévaluation. Au nom du sauvetage du franc, de nouveaux impôts, de nouvelles augmentations de prix, de nouvelles économies réalisées sur le dos des fonctionnaires et des travailleurs de l’État. Une solide équipe gouvernementale, offrant non seulement des garanties morales mais prête à faire des concessions politiques et aussi à céder éventuellement des places stratégiques, pourrait obtenir en échange quelques aménagement économiques et emprunts financiers des États-Unis.
Sur le plan de la politique extérieure, un alignement du franc sur le bloc Anglo-Américain.
Dans la direction gouvernementale : fin du tripartisme, élargissement de la majorité allant vers la "droite", entrée en scène des radicaux, affaiblissement du poids des staliniens, les communistes serviront surtout dans les postes anti-ouvriers (ministre du travail etc.), renforcement des positions des socialistes, ceux-ci demeurant l'axe du gouvernement et de la politique future du capitalisme français.
Le prolétariat français continue à marquer son absence totale de l'arène politique. Ni directement ni indirectement, à aucun instant ne s’est fait sentir une pression quelconque des ouvriers dans les événements.
La classe ouvrière, ou bien suit les partis traditionnels de la bourgeoisie ou bien se réfugie dans un pessimisme noir et dans l'indifférence envers le chose publique.
Les hommes du gouvernement de demain - et tous les partis politiques enfin libérés des soucis électoraux et des craintes de braver l’impopularité - s'engageront résolument dans la voie des mesures extrêmement draconiennes, réduisant encore les conditions de vie des masses travailleuses. La signification finale des élections est une consolidation politique de l'État capitaliste français, marquant un nouveau recul du prolétariat.
La voie vers la troisième guerre mondiale est ainsi un peu plus déblayée.
G. Marco
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