Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le samedi 18 décembre 2021 à partir de 14h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [1]) ou dans la rubrique “nous contacter” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats.
Enfin pour la facilité du débat et si tu souhaites y participer indique nous sous quel nom ou pseudonyme tu te connecteras lors de cette permanence.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Récemment paru, le livre d’entretiens entre le sociologue Bernard Friot (1) et la syndicaliste enseignante (encartée à SUD-Éducation), également présentatrice d’émissions de télévision, Judith Bernard, s’intitule : Un désir de communisme. Ce livre et ses auteurs entendent poser la question du communisme sous un jour particulier, celui du « salaire à la qualification personnelle », indépendant de l’ancienneté et de la loi du marché, et garanti à vie. Ce salaire serait payé par des cotisations sur le principe de la Sécurité sociale : il s’agirait de reprendre le principe « révolutionnaire », selon Friot, de la Sécurité sociale et de l’étendre en versant à tous un salaire sur la base des qualifications que chacun possède individuellement, validées par un « jury » composé de syndicalistes, sur le modèle des négociateurs des conventions collectives. Le principe de cette rémunération serait indépendant même de la réalité d’un travail, il existerait de droit. Les salaires seraient versés par une « caisse de salaires », et l’investissement serait réalisé par des « caisses d’investissement », également financées par des cotisations, « instances où de la monnaie est disponible pour financer les investissements dans les entreprises » en les subventionnant, sans crédit.
Tout au long de l’ouvrage, les auteurs n’envisagent de développer leur programme « communiste » qu’à l’échelle de la France, sous l’angle strictement national. L’internationalisme prolétarien n’est pourtant pas une option pour les communistes : il est, au-delà des divisions nationales que lui impose la bourgeoisie, l’affirmation du caractère unitaire du prolétariat, la base de ce qui constitue la grande force de la classe ouvrière : son unité. Dans ses Principes du communisme (1847), à la question : « Cette révolution se fera-t-elle dans un seul pays ? », Engels répondait : « Non. […] Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel ». Ce que Friot et Bernard nous proposent n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec le communisme. C’en est une falsification pure et simple et une négation : les frontières nationales sont un héritage politique, économique et social de la bourgeoisie, les nations sont nées quand la bourgeoisie est devenue la classe dominante, le rôle de la révolution prolétarienne est donc de les détruire !
On peut constater ainsi qu’ils s’opposent complètement à la vision développée par le mouvement ouvrier de la société communiste, et dans ce cadre, ce qu’ils appellent « communisme » n’est rien d’autre qu’une actualisation de la mystification et du verbiage staliniens, qui proclamait « la construction du socialisme dans un seul pays ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est, dans cet ouvrage, très loin de ce qu’est le communisme : une société sans classe où l’économie et la loi de la valeur laissent la place à la « libre administration des choses » (Marx). Friot et Bernard se disent, d’ailleurs, résolument opposés à une société future sans classes, qualifiée « d’illusion magique », de la même façon qu’ils s’affirment contre une société « sans valeur économique, sans monnaie, dans laquelle il y aurait une transparence des valeurs d’usage ».
Le système que Friot nous décrit est un système salarial à visée égalitaire, même si c’est en fonction des « qualifications personnelles » ; des « jurys » détermineraient le niveau de qualification des salariés, leur offrant un revenu à vie en fonction de ce qu’ils savent faire pour se rendre utiles à la société, y compris en cas de non-activité. Nous sommes au regret d’apprendre à M. Friot que le Capital fait très bien la même chose : les DRH sont là pour ça !
Mais attention !, nous dit M. Friot : la logique n’est pas celle du profit que l’on peut tirer d’un salarié, mais de son utilité pour le bien commun. Ce que cela change n’est d’aucun intérêt pour la classe ouvrière : que la logique de l’exploitation salariale soit une « qualification » pour le bien de la société toute entière ou pour le plus grand profit de l’économie nationale, l’exploitation par le salariat est ce qui définit le caractère de classe exploitée du prolétariat ! Lorsque les exploits de Stakhanov étaient mis en scène par le capital national « soviétique », c’était aussi soi-disant « pour le bien commun » du « paradis des travailleurs » ; mais dans la réalité, ça n’a jamais, à aucun moment, amélioré la condition du prolétariat russe. Au contraire ! La seule qui a profité de cette mise en scène de la surexploitation ouvrière, c’est la bourgeoisie « soviétique », qui a utilisé Stakhanov pour augmenter drastiquement les normes de productivité en URSS !
Du reste, Friot n’est aucunement opposé aux « gains de productivité », qu’il considère comme « [n’ayant] pas d’effet négatif sur la qualification et le salaire des personnes », puisque le salaire qu’il envisage serait garanti à vie. Ce que cette affirmation contient n’est rien d’autre qu’une falsification de ce qu’est le salaire, puisque la bourgeoisie peut tout à fait, elle aussi, augmenter la productivité sans baisser les salaires : l’augmentation de la charge de travail, le chronométrage, les heures supplémentaires obligatoires et l’accélération des cadences sont des moyens que la bourgeoisie utilise constamment pour augmenter la productivité de la classe ouvrière sans toucher formellement aux salaires. Là encore, l’exemple de Stakhanov et son utilisation par la bourgeoisie russe pour intensifier la productivité du prolétariat en URSS et ailleurs montre qu’il est totalement mensonger d’affirmer que c’est sans « effet négatif » sur les conditions de vie et de travail des prolétaires !
Tout le système relooké par Friot évoque irrésistiblement ce qui existait en URSS et dans les Pays de l’Est jusqu’à l’effondrement de ce capitalisme d’État caricatural : salaire à vie, dont le montant était basé sur des critères étrangers au marché (ce qui aboutissait au fait qu’un ouvrier était mieux payé qu’un ingénieur), prise en charge de tous les aspects sociaux de la vie par les instances étatiques en grande partie gérées par les syndicats, les salariés ayant la propriété théorique du capital (comme dans les kolkhozes et les coopératives « soviétiques »). La seule différence est que Friot nous affirme qu’il est pour la disparition de l’État ; mais vu qu’il nous assène à côté de ça, « qu’il n’y a, effectivement, aucune possibilité de faire une société sans une violence concernant ce qui vaut », et qu’« il y a forcément des conflits aussi entre l’entreprise et les caisses d’investissement, entre l’entreprise et les caisses de salaire, il y aura tout une série de conflits » dans sa société « communiste », nous pouvons être sûrs d’une chose, c’est que dans le capitalisme stalino-syndical que nous vante Friot, il y aura nécessairement un État ! Qu’il nous affirme en même temps et de façon totalement contradictoire qu’ « il faut qu’une puissance publique impose qu’on ne fasse pas telle ou telle chose, ou au contraire promeuve telle ou telle chose » (sans nous dire qu’il s’agit d’une définition de l’État) et « je suis pour le dépérissement de l’État », n’est qu’une démonstration de plus du maquillage et de la falsification qu’il nous propose !
Se revendiquant du « Programme du Conseil National de la Résistance » porté notamment par le PCF, Friot considère que la Sécurité sociale est l’outil d’émancipation de la classe ouvrière. (2) Pour les révolutionnaires, la création de la Sécurité sociale n’a jamais rien eu de prolétarien, et 1945 est une année noire, de défaite idéologique totale, pour la classe ouvrière mondiale, et pas seulement française : le prolétariat est alors partout embrigadé dans la défense nationale, derrière l’État capitaliste et la bannière de l’antifascisme. La création de la Sécurité sociale a permis de réaliser un vieux rêve de la bourgeoisie française, contre lequel la classe ouvrière s’est longtemps battue, comme lors des grandes grèves du Creusot en janvier et mars 1870 : la mainmise de la bourgeoisie sur les caisses de secours ouvrier, la récupération par le Capital de la solidarité ouvrière à ses propres fins d’exploitation. (3)
C’est de cette période noire pour les exploités que Bernard Friot et Judith Bernard sont en fait nostalgiques, lorsque la classe ouvrière devait « retrousser ses manches », sous le talon de fer de la bourgeoisie et notamment du tandem PCF/CGT, trimait sans fin pour reconstruire l’économie nationale, pour le plus grand profit de la bourgeoisie toute entière et de l’impérialisme français, lequel allait donner sa mesure en Indochine, en Algérie et ailleurs(4). Tout leur livre n’est qu’une apologie du stalinisme, du totalitarisme étatique contre la classe ouvrière, une défense d’un capitalisme prétendu « social » contre la lutte de la classe ouvrière pour son émancipation de l’esclavage salarié et de la tutelle de l’État.
Toute l’histoire du mouvement ouvrier est une lutte constante pour une société sans classes ni exploitation, pour la disparition de l’économie de pénurie, de la loi de la valeur et pour la satisfaction des besoins humains. Ce que les auteurs nous proposent, c’est de remettre au goût du jour l’économie capitaliste étatisée telle que le stalinisme nous l’a toujours vantée. C’est non seulement la nostalgie de la pire période de la contre-révolution, mais aussi une falsification éhontée de ce qu’est le communisme : l’émancipation de la classe exploitée, la fin des frontières, des nations, des États, de l’économie de marché, de la loi de la valeur et du travail salarié, sous toutes leurs formes.
HD, 22 novembre 2021
1 Bernard Friot est membre du PCF et de la CGT se revendiquant également chrétien.
2 Sur la nature du Conseil National de la Résistance, lire : « Quelle est la véritable nature du conseil national de la résistance », Révolution internationale n°431, (avril 2012) [3].
3 Voir notre article « La bourgeoisie « fête » 60 ans de sécurité sociale en Belgique Belgique Belgique », Internationalisme n°319 [4].
4 Sur la politique menée par le tandem PCF/CGT à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lire dans notre brochure Comment le PCF est passé au service du Capital : « Le PCF au gouvernement défend le capital national contre la classe ouvrière (1944-1947) » [5].
Une pandémie globale qui a tué des millions de personnes et qui est loin d’être terminée, une spirale de catastrophes climatiques (incendies, sécheresses, inondations) avec le dernier rapport du GIEC prédisant que le monde fait face à la véritable menace d’une accélération exponentielle du réchauffement climatique, des guerres depuis l’Afghanistan jusqu’à l’Afrique impliquant trois, quatre, voire cinq camps adverses et une aggravation des tensions impérialistes entre les deux plus grandes puissances impérialistes, les États-Unis et la Chine, une économie mondiale qui était déjà plongée dans une crise quasi permanente depuis la fin des années 1960 et qui subit désormais des convulsions encore plus sévères à cause de la pandémie et du confinement, entraînant l’augmentation de l’inflation ainsi qu’une combinaison apparemment paradoxale de chômage et de pénurie de main-d’œuvre. Rien d’étonnant à ce que les visions apocalyptiques se développent toujours plus, qu’elles s’expriment ouvertement dans des termes religieux à travers la montée des fondamentalismes : islamiques, chrétiens ou autres ; ou bien à travers un panel de visions dystopiques de science-fiction sur le futur de la Terre. À un certain niveau, de telles visions font partie de la montée en puissance du nihilisme et du désespoir ou bien expriment la vaine espérance de surmonter le découragement en retournant à un passé qui n’a jamais existé ou en s’échappant vers « un nouveau Ciel et une nouvelle Terre » (Révélation 21 :1), donnés aux croyants par des puissances extérieures à eux et à la nature. Mais ces idéologies sont également un miroir déformant reflétant ce qui est réellement en train de se passer dans la civilisation actuelle.
Dans le passé, les prophéties sur la « fin des temps » se répandaient avant tout dans les périodes de déclin d’un mode de production dans son ensemble comme durant la décadence de Rome ou le déclin du féodalisme au Moyen Âge. Le Livre de la Révélation, le dernier livre du Nouveau Testament, avec sa symbolique des quatre cavaliers de l’Apocalypse pointe en effet les caractéristiques essentielles d’une société en phase terminale : dirigés par la Mort, les trois autres cavaliers sont la Guerre, la Pestilence et la Famine (cette dernière portant une balance indiquant que le prix du pain est devenu prohibitif pour les pauvres). Durant leur longue agonie, la société antique esclavagiste et le féodalisme étaient en effet dévastés par d’incessantes guerres entre fractions de la classe dominante, par des épidémies comme la Peste Noire, la famine et (même si ces sociétés n’étaient pas marchandisées comme le capitalisme) par l’inflation et la dévaluation des monnaies . (1)
Il n’est pas difficile de voir que les quatre Cavaliers sont de retour en combinant leurs effets destructeurs. La guerre donne naissance à la famine comme au Yémen et en Éthiopie. La destruction de la nature fait surgir de nouvelles maladies comme la Covid et fait planer la menace de famine terribles et de guerres à cause de la raréfaction des ressources. Tous ces spectres sont une conséquence des contradictions sous-jacentes de l’accumulation capitaliste, intensifiant la crise économique globale jusqu’à un degré jamais atteint depuis les années 1930.
La « fin des temps » prévue dans les apocalypses antiques et médiévales signalaient véritablement la fin d’un mode de production particulier qui devait être remplacé par un nouveau mode de production, une nouvelle forme de domination de classe. Mais le capitalisme est la dernière société de classe et sa plongée tête baissée vers des abysses met l’humanité face à une seule alternative : révolution communiste ou destruction de l’humanité. Le capitalisme est le système le plus dynamique, le plus productif mais aussi le plus destructeur de l’histoire et avec son terrifiant arsenal nucléaire et son incapacité à enrayer la dévastation de l’environnement, il peut véritablement entraîner la fin du monde, de l’espèce humaine et peut-être même de la vie sur Terre.
Certaines parties de la classe dominante se retranchent dans le déni : la Covid est juste une petite grippe (Bolsonaro), le changement climatique est un canular chinois (Trump). Les fractions les plus intelligentes de la bourgeoisie voient cependant le danger : d’où les énormes sommes sacrifiées dans les confinements et injectées dans la course aux vaccins ; d’où les nombreuses conférences internationales sur le changement climatique comme la COP 26 qui doit se dérouler à Glasgow en novembre et durant laquelle peu de participants contesteront ouvertement les funestes scénarios qui leurs seront présentés par le rapport du GIEC.
Au sein de la population en général, il y a une préoccupation croissante pour ces problèmes même si, pour le moment, le danger posé par la guerre et le militarisme a été éclipsé par la menace du Covid et du changement climatique. Mais les protestations effectuées par des organisations comme Extinction Rebellion, Insulate Britain et Youth for Climate sont une impasse, car elles ne vont jamais plus loin que demander aux gouvernements du monde de commencer à agir raisonnablement, de mettre de côté leurs différents et de présenter un plan global sérieux.
Or, les gouvernements, les États et la classe dominante sont eux-mêmes des expressions du système capitaliste et ils ne peuvent pas abolir les lois qui mènent à la guerre et à la destruction écologique. Comme à l’époque des Empereurs romains et des monarchies absolues, la décadence du capitalisme est également marquée par une grotesque hypertrophie de la machine d’État, dont le but est de soumettre les lois de la concurrence capitaliste à un certain niveau de contrôle (et aussi à réprimer tous ceux qui remettent en question sa domination). Finalement le capital ne peut être contrôlé. Par définition c’est un pouvoir qui, bien que créé par des mains humaines, se tient au-dessus des besoins humains et va à leur encontre. Par définition, c’est une relation sociale essentiellement anarchique qui ne peut s’épanouir qu’à travers la concurrence pour le plus haut profit. Les machines d’État que certains voient comme détenant la réponse aux problèmes du monde ont gonflé jusqu’à atteindre leur taille présente avant tout par le besoin de lutter contre les autres États sur le marché mondial, au niveau économique et militaire. Le capitalisme ne pourra jamais devenir une « communauté internationale » et dans la phase terminale de son déclin, la tendance vers la désintégration, le chacun pour soi et le chaos ne peuvent que se renforcer.
En 1919, la plateforme de l’Internationale communiste insistait sur le fait que la Guerre mondiale impérialiste de 1914-18 annonçait l’entrée du capitalisme dans « l’époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat ». Mais elle a également insisté sur le fait que « l’ancien “ordre” capitaliste n’est plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos. Et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productrice, la classe ouvrière. C’est elle qui doit instituer l’ordre véritable, l’ordre communiste ».
L’apocalypse capitaliste n’est pas inévitable. La société bourgeoise a libéré les forces productives qui pourraient être transformées et mises au service de la réalisation du vieux rêve de l’humanité, celui d’une véritable communauté humaine et d’une nouvelle réconciliation avec la nature. Alors que les précédentes sociétés de classe sombraient dans des crises de sous-production, le capitalisme souffre d’une crise de surproduction, une absurdité qui met en évidence la possibilité de dépasser la pénurie et par conséquent d’éliminer une fois pour toutes l’exploitation d’une classe par une autre. En créant le prolétariat, il a créé la « force productive » qui a un intérêt matériel à la création d’une société sans classes.
Il existe un fossé immense entre l’état présent de la classe ouvrière qui a largement oublié sa propre existence comme force antagonique au capital et le mouvement de classe révolutionnaire qui a donné naissance à la révolution d’Octobre en 1917 et à l’Internationale communiste, l’expression politique la plus avancée de la vague révolutionnaire de 1917-23. L’unique façon de franchir ce fossé réside dans la capacité de la classe ouvrière de lutter pour la défense de ses propres intérêts matériels. En ce sens, de tous les cavaliers de la ruine capitaliste, c’est la crise économique et les attaques résultantes sur les conditions de vie et de travail des travailleurs qui contient la possibilité d’obliger le prolétariat de s’unir en défense de ses propres revendications de classe et de développer la perspective d’abattre son ennemi.
Amos, 9 octobre 2021
1 Voir la brochure La Décadence du Capitalisme [7], en particulier le chapitre II : « Crise et Décadence » [8].
Des milliers de migrants coincés depuis plusieurs semaines à la frontière polonaise, abandonnés à leur sort dans des forêts humides et gelées, sans eau ni nourriture. Des familles errant au milieu de nulle part, contraintes de boire l’eau des marécages alentours, de dormir à même le sol par des températures négatives. Des exilés épuisés, souvent malades, tabassés par les troufions de l’armée bélarusse qui les ont conduits sciemment aux frontières de l’Union européenne (UE). Des autorités polonaises hystériques qui n’hésitent pas à renvoyer femmes, enfants, handicapés et vieillards dans les bois et à cogner ceux qui cherchent à traverser clandestinement les murs de barbelés déployés tout au long de la frontière. Ce triste spectacle en rappelle malheureusement bien d’autres, tout aussi révoltants. Mais l’instrumentalisation des migrants à des fins ouvertement impérialistes ajoute à cet affligeant tableau, la couleur du cynisme le plus ignoble.
La présence soudaine de migrants dans cette région hostile, route rarement empruntée par les réfugiés, n’a rien de fortuite : le dictateur bélarusse, Alexandre Loukachenko, en conflit ouvert avec l’UE depuis sa réélection contestée d’août 2020, a favorisé, voire organisé l’acheminement de migrants en leur faisant miroiter une illusoire porte de sortie vers l’Europe, et les a jetés sur la frontière polonaise. Des charters seraient même affrétés par Minsk pour transporter les candidats à l’exil.
Pour Loukachenko et sa clique, les migrants ne sont qu’une monnaie d’échange contre les sanctions et les pressions occidentales. D’ailleurs, les négociations à peine débutées avec l’UE et la Russie, le gouvernement bélarusse renvoyait, en guise de « bonne foi », quelques centaines de migrants à la case départ, sur la base du « volontariat » (quel euphémisme !). Tant pis pour les morts ! Tant pis pour les traumatismes ! Tant pis pour les espoirs déçus !
L’utilisation des réfugiés dans le cadre des rivalités impérialistes se développe de façon spectaculaire ces dernières années, profitant d’un contexte où les États les plus riches se sont transformés en véritables forteresses et se vautrent chaque jour davantage dans les discours les plus xénophobes. On a ainsi pu récemment voir la Turquie menacer d’ouvrir les vannes de l’émigration à la frontière grecque, ou encore le Maroc à la frontière espagnole, jouant à chaque fois le « chantage migratoire » au nom de la défense de leurs sordides intérêts nationaux. Même la France, dans le cadre des tensions post-Brexit, suggère, plus ou moins subtilement, qu’elle pourrait laisser le Royaume-Uni se débrouiller seul avec les migrants calaisiens. Il est aussi probable que derrière les réfugiés bélarusse, la Russie de Poutine avance ses pions.
« Les Polonais rendent un service très important à l’ensemble de l’Europe », affirmait Horst Seehofer, le ministre allemand de l’Intérieur. Et quel service ! La Pologne et son gouvernement populiste n’ont pas hésité à déployer des milliers de soldats à la frontière et à menacer explicitement les réfugiés : « Si vous traversez cette frontière, nous emploierons la force. Nous n’hésiterons pas ».(1) Au moins, le message est clair et les intimidations ont été administrées avec zèle : jets de gaz lacrymogène sur des personnes affamées et exténuées, passages à tabac réguliers, aucun soin apporté aux malades…
L’UE, qui se prétend si intransigeante avec le « respect de la dignité humaine », a également fermé les yeux quand la Pologne s’est arrogée, le 14 octobre, au mépris des « conventions internationales », le « droit » de refouler systématiquement les migrants vers la Biélorussie sans vérifier si les demandes d’asile étaient valables, même selon les règles étroites de la légalité bourgeoise. La bourgeoisie s’est ainsi dotée d’un arsenal réglementaire et juridique totalement défavorable aux migrants et elle n’hésite pas à tricher avec ses propres règles quand le besoin s’en fait sentir !
Il en va de même pour les murs dressés contre les migrants. Quand le Royaume-Uni voulait rétablir une frontière en Irlande du Nord, la bourgeoisie s’est offusquée d’une telle hardiesse « menaçant la paix » et « rappelant les pires heures de la guerre froide ». Quand la Lituanie et la Pologne décident de dresser des murs de barbelés sur des milliers de kilomètres, cela s’appelle « protéger les frontières européennes » et « rendre un service très important »…
Le gouvernement populiste de Pologne, après avoir été copieusement conspué pour ses mesures anti-avortement et ses déclarations eurosceptiques, se trouve tout à coup porté aux nues. Cette crise est une véritable aubaine pour redorer le blason polonais auprès de ses « partenaires européens ». En clair, si l’État polonais rend un si grand « service », c’est parce qu’il fait, sans rechigner, le sale boulot des autres États de l’UE.
Rappelons que les « grandes démocraties » européennes, quand elles ne parquent pas elles-mêmes les demandeurs d’asile dans des camps de concentration abjects, comme celui de Moria en Grèce, sous-traitent la « gestion des flux migratoires » à des régimes bien connus pour leur « respect de la dignité humaine » : la Turquie, le Liban, le Maroc ou la Libye, où sévissent encore les négriers de la pire espèce sous l’œil bienveillant (et le porte-monnaie) de l’Union européenne ! Outre-Atlantique, le Président Biden, qui devait prétendument rompre avec l’immonde politique migratoire de son prédécesseur, se révèle tout aussi brutal : son administration « évacue » depuis le mois de septembre des milliers de migrants vers l’enfer haïtien, près de 14 000 selon les médias américains.
Les États « démocratiques » pourront toujours se présenter comme les garants de la « dignité humaine », la réalité montre bien qu’ils n’attachent pas plus d’importance à cette dernière que les régimes plus « autoritaires ». Pour les uns comme pour les autres, seuls comptent leurs froids intérêts dans l’arène impérialiste.
Il revient aux partis de la gauche du capital, des écologistes aux trotskistes, de brandir tout aussi hypocritement un semblant d’indignation. On a ainsi pu voir en Pologne et dans d’autres pays européens de petites manifestations, encadrées par les gauchistes, réclamer l’application du « droit international » et l’accueil des réfugiés au nom du « droit d’asile ».
Pourtant, le droit bourgeois, avec ses conventions internationales et ses « droits de l’homme », s’accommode très bien des barrières physiques et réglementaires inhumaines dressées contre les migrants : le « droit d’asile » est appliqué au compte-goutte selon des critères ultra-sélectifs et face aux exactions de la Pologne, en effet incompatibles avec la convention de Genève, il suffit aux États européens de détourner pudiquement le regard.
En « luttant pour l’application des droits des réfugiés », les ONG et les associations gauchistes abandonnent, de fait, les migrants aux fourches caudines de l’administration, les exposent au flicage permanent et au mur tout aussi infranchissable de la bureaucratie. Il n’y a rien à espérer du droit bourgeois qui n’exprime que les sinistres intérêts de la classe dominante et sa barbarie. Les « centres de tri », les gardes-côtes repoussants les fragiles embarcations des migrants (comme le fait Frontex), les innombrables murs, les subventions à des pays tortionnaires, tout cela existe dans le strict respect du « droit ».
La seule réponse à apporter aux crimes de la bourgeoisie envers les migrants, c’est la solidarité internationale des prolétaires. C’est la méthode qu’a toujours défendue le mouvement ouvrier : quand l’Association internationale des travailleurs fut fondée en 1864, elle devait déjà s’opposer aux discours accusant les immigrés de faire baisser les salaires. Face à ce réflexe nationaliste, elle affirmait au contraire « que l’émancipation du travail, n’étant un problème ni local ni national, mais social, embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne ». Hier comme aujourd’hui, ce ne sont pas les migrants qui portent les attaques contre nos conditions de vie, mais bien le capital.
EG, 21 novembre 2021
1« Faute de politique d’accueil commune, l’Europe déstabilisée par la Biélorussie », Mediapart (11 novembre 2021).
Mercredi 24 novembre, 27 réfugiés perdaient la vie dans un naufrage au large de Calais. Cette tragédie qui révulse une fois encore le monde n’est malheureusement pas une nouveauté puisque depuis le début des années 2000, plus de 700 personnes ont trouvé la mort rien que dans la Manche !
Partout dans le monde, des populations fuient la pauvreté, la misère, le chaos guerrier, la violence des gangs, le désastre climatique. Des zones entières du globe tendent à devenir totalement exsangues, réduisant l’existence à un véritable calvaire. Si ce phénomène avait connu un pic sans précédent en 2015, il retrouve aujourd’hui une nouvelle ampleur avec la pandémie et ses conséquences économiques et sociale désastreuses. Et ce malgré le blindage renforcé des frontières et la répression farouche à laquelle les migrants doivent faire face, à l’image des réfugiés massés comme des misérables et persécutés à la frontière polonaise depuis plusieurs semaines. Mais ces hécatombes ont lieu partout, sur terre comme sur mer. Après les accords du Touquet, entrés en vigueur le premier février 2004 entre la Grande-Bretagne et la France, les mesures coercitives, avec leur lot de maltraitance, sont devenues de plus en plus brutales et systématiques. Tout le monde à encore en mémoire la sauvagerie dont avait fait preuve la police française lors du démantèlement de la « jungle » à Calais dans la nuit du 24 au 25 octobre 2016. Partout, les seuls « moyens » des États bourgeois pour « régler la question migratoire » se résument aux violences policières, à une répression terrible, et une surveillance orwellienne menant les réfugiés à prendre de plus en plus de risques, voyageant à tombeaux ouverts. À l’indécence de la joute politicienne entre Boris Johnson et Emmanuel Macron suite à l’annonce du tragique naufrage, est venu s’ajouter le cynisme avec des déclarations comme celle du ministre Darmanin qui d’emblée dédouane à bon compte les États de l’UE et sa propre politique répressive visant à militariser les côtes et les frontières. Tout cela, en faisant porter la responsabilité sur le seul dos des passeurs : « les premiers responsables de cette ignoble situation sont les passeurs » nous dit Darmanin. Nous avons eu des mots similaires de la part de Johnson qui a parlé des gangs « qui s'en sortent littéralement avec un meurtre ».
Quel cynisme ! Si les passeurs sont effectivement des crapules sans foi ni loi qui exploitent la misère humaine, les politiciens des grandes démocraties n’en sont pas moins les principaux criminels. Ce sont eux et leurs politiques ignobles qui justement font émerger et prospérer les passeurs du fait des difficultés accrues pour tous les migrants criminalisés. En réalité, la bourgeoisie cherche à trouver des boucs-émissaires pour tenter de dédouaner sa politique inhumaine et barbare. Elle se sert ainsi des passeurs comme « cache-sexe » pour dédouaner le vrai responsable : le système capitaliste ! Alors qu’il y a peu, les feux des médias étaient braqués sur l’ineffable président Biélorusse Lukatchenko (comme s’il était le seul à instrumentaliser et à martyriser les réfugiés !), cette fois ce sont les passeurs qui servent d’alibis bien commodes !
Ce que ne peuvent dire tous les politiciens et leur système capitaliste nécrophage, c’est que leur pratique est dictée par la défense de la propriété privée et les seuls intérêts des exploiteurs, de la nation qu’ils gouvernent pour le compte du capital national. Parmi tous les crèves-la-faim, seule une main d’œuvre rentable, qualifiée et corvéable est acceptable pour le capital. Tous les autres doivent être refoulés par la dissuasion, les barrières administratives ou physiques, et, de plus en plus, par la brutale force des armes. Une implacable loi du capital qui ne peut exercer ses « ouvertures aux frontières » qu’en fonction d’un seul critère : l’exploitation et le profit ! Les cadavres sur les plages sont, à leurs yeux, le simple prix à payer…
WH, 29 novembre 2021
Links
[1] mailto:[email protected]
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[3] https://fr.internationalism.org/ri431/quelle_est_la_veritable_nature_du_conseil_national_de_la_resistance.html
[4] https://fr.internationalism.org/isme/319_secusoc
[5] https://fr.internationalism.org/brochures/pcf-gouv44
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/stalinisme
[7] https://fr.internationalism.org/brochures/decadence
[8] https://fr.internationalism.org/brochures/decadence/part_3
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/migrants
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/immigration
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/37/grande-bretagne
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-migratoire