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Après des années d’atonie, le mouvement social contre la réforme des retraites montre un réveil de la combativité du prolétariat en France. Malgré toutes ses difficultés, la classe ouvrière a commencé à relever la tête. Alors qu’il y a un an, tout le terrain social était occupé par le mouvement inter-classiste des Gilets jaunes, aujourd’hui, les exploités de tous les secteurs et de toutes les générations ont profité des journées d’action organisées par les syndicats pour descendre dans la rue, déterminés à lutter sur leur propre terrain de classe contre cette attaque frontale et massive du gouvernement qui frappe l’ensemble des exploités.
Alors que depuis près de dix ans, les salariés demeuraient paralysés, totalement isolés chacun dans leur coin sur leur lieu de travail, ils sont parvenus ces dernières semaines à retrouver le chemin de la lutte collective.
Les aspirations à l’unité et à la solidarité dans la lutte montrent que les travailleurs en France commencent à se reconnaître de nouveau comme faisant partie d’une seule et même classe ayant les mêmes intérêts à défendre. Ainsi, dans plusieurs cortèges, et notamment à Marseille, on a pu entendre : “La classe ouvrière existe !” À Paris, des groupes de manifestants qui ne défilaient pas derrière les banderoles syndicales, chantaient : “On est là, on est là pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur”. Dans la manifestation du 9 janvier, même des badauds qui se promenaient sur les trottoirs, en marge du cortège syndical, ont entonné ce vieux chant du mouvement ouvrier : “L’Internationale”, tandis qu’étudiants et lycéens scandaient, derrière leurs propres banderoles : “Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère !”
Il est clair qu’en refusant de continuer à courber l’échine, la classe ouvrière en France est en train de retrouver sa dignité.
Un autre élément, très significatif d’un changement dans la situation sociale, a été l’attitude et l’état d’esprit des “usagers” dans la grève des transports. C’est la première fois, depuis le mouvement de décembre 1995, qu’une grève des transports n’est pas “impopulaire” malgré toutes les campagnes orchestrées par les médias sur la “galère” des “usagers” pour se rendre à leur travail, rentrer chez eux ou partir en vacances lors des fêtes de fin d’année. Nulle part, excepté dans les médias aux ordres, on n’a pu entendre que les cheminots de la SNCF ou de la RATP prenaient les usagers “en otage”. Sur les quais ou dans les trains et RER bondés, on attendait patiemment. Pour se déplacer dans la capitale, on se débrouillait sans râler contre les cheminots en grève ; covoiturages, vélos, trottinettes… Mais, plus encore, le soutien et l’estime envers les cheminots se sont concrétisés par les nombreux dons aux caisses de solidarité pour les grévistes qui ont fait le sacrifice de plus d’un mois de salaire (plus de trois millions d’euros ont été récoltés en quelques semaines !) en luttant non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour les autres.
Cependant, après un mois et demi de grève, après des manifestations hebdomadaires rassemblant des centaines de milliers de personnes, ce mouvement n’est pas parvenu à faire reculer le gouvernement.
Depuis le début, la bourgeoisie, son gouvernement et ses “partenaires sociaux” avait orchestré une stratégie pour faire passer l’attaque sur les retraites. La question de l’ “âge pivot” était une carte qu’ils avaient gardée dans leur manche pour saboter la riposte de la classe ouvrière et faire passer la “réforme” grâce à la stratégie classique de division du “front syndical”.
De plus, la bourgeoisie blinde son État policier, au nom du maintien de l’ “ordre républicain”. Le gouvernement déploie, de façon hallucinante, ses forces de répression afin de nous intimider. Les flics ne cessent de gazer et tabasser aveuglément des travailleurs (y compris des femmes et des retraités) appuyés par les médias qui font l’amalgame entre la classe exploitée, les black blocs et autres “casseurs”. Afin d’empêcher les travailleurs de se regrouper à la fin des manifs pour discuter, les cohortes de CRS les dispersent, sur ordre de la Préfecture, à coups de grenades de “désencerclement”. Les violences policières ne sont nullement le fruit de simples “bavures” individuelles de quelques CRS excités et incontrôlables. Elles annoncent la répression impitoyable et féroce que la classe dominante n’hésitera pas à déchaîner contre les prolétaires, dans le futur (comme elle l’a fait dans le passé, par exemple, lors la “semaine sanglante” de la Commune de Paris en 1871).
Pour pouvoir s’affronter à la classe dominante et faire reculer le gouvernement, les travailleurs doivent prendre eux-mêmes leur lutte en main. Ils ne doivent pas la confier aux syndicats, à ces “partenaires sociaux” qui ont toujours négocié dans leur dos et dans le secret des cabinets ministériels.
Si nous continuons à demander aux syndicats de nous “représenter”, si nous continuons à attendre qu’ils organisent la lutte à notre place, alors oui, nous sommes “foutus” !
Pour pouvoir prendre notre lutte en main, pour l’élargir et l’unifier, il faut organiser nous-mêmes des assemblées générales massives, souveraines, et ouvertes à toute la classe ouvrière. C’est dans ces AG que nous pouvons discuter tous ensemble, décider collectivement des actions à mener, former des comités de grève avec des délégués élus et révocables à tout moment.
Les jeunes travailleurs qui ont participé au mouvement contre le “Contrat Première Embauche” au printemps 2006, lorsqu’ils étaient encore étudiants ou lycéens, doivent se souvenir et transmettre cette expérience à leurs camarades de travail, les plus jeunes ou les plus vieux. Comment ont-ils pu faire reculer le gouvernement Villepin en l’obligeant à retirer son “CPE” ? Grâce à leur capacité à organiser eux-mêmes leur lutte dans leurs assemblées générales massives dans toutes les universités, et sans aucun syndicat. Ces AG n’étaient pas verrouillées. Au contraire : les étudiants avaient appelé tous les travailleurs, actifs et retraités, à venir discuter avec eux dans leurs AG et à participer au mouvement en solidarité avec les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Le gouvernement Villepin a dû retirer le CPE sans qu’il y ait aucune “négociation”. Les étudiants, jeunes travailleurs précaires et futurs chômeurs n’étaient pas représentés par des “partenaires sociaux” et ils ont gagné.
Les cheminots qui ont été le fer de lance de cette mobilisation, ne peuvent pas poursuivre leur grève seuls sans que les autres secteurs n’engagent eux-mêmes la lutte avec eux. Malgré leur courage et leur détermination, ils ne peuvent pas lutter “à la place” de toute la classe ouvrière. Ce n’est pas la “grève par procuration” qui peut faire reculer le gouvernement, aussi déterminée soit-elle.
Aujourd’hui, la classe ouvrière n’est pas encore prête à s’engager massivement dans la lutte. Même si de nombreux travailleurs de tous les secteurs, de toutes les catégories professionnelles (essentiellement de la fonction publique), de toutes les générations étaient présents à battre le pavé dans les manifestations organisées par les syndicats depuis le 5 décembre. Ce dont nous avons besoin pour freiner les attaques de la bourgeoisie, c’est de développer la solidarité active dans la lutte et pas seulement en remplissant les caisses de solidarité pour permettre aux grévistes de “tenir”.
La reprise du travail qui a déjà commencé dans le secteur des transports (notamment à la SNCF) n’est pas une capitulation ! Faire une “pause” dans la lutte est aussi un moyen de ne pas s’épuiser dans une grève longue et isolée, qui ne peut déboucher que sur un sentiment d’impuissance et d’amertume.
La grande majorité des travailleurs mobilisés ont le sentiment que si on perd cette bataille, si on ne parvient pas à obliger le gouvernement à retirer sa réforme, nous sommes “foutus”. Ce n’est pas vrai ! La mobilisation actuelle,et le rejet massif de cette attaque ne sont qu’un début, une première bataille qui en annonce d’autres demain. Car la bourgeoisie, son gouvernement et son patronat vont continuer à nous exploiter, à attaquer notre pouvoir d’achat, à nous plonger dans une pauvreté et une misère croissantes. La colère ne peut que s’amplifier jusqu’à déboucher sur de nouvelles explosions, de nouveaux mouvements de lutte.
Même si la classe ouvrière perd cette première bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Elle ne doit pas céder à la démoralisation !
La “guerre de classe” est faite d’avancées et de reculs, de moments de mobilisation et de pause pour pouvoir repartir de nouveau encore plus fort. Ce n’est jamais un combat en “ligne droite” où on gagne immédiatement du premier coup. Toute l’histoire du mouvement ouvrier a démontré que la lutte de la classe exploitée contre la bourgeoisie ne peut aboutir à la victoire qu’à la suite de toute une série de défaites.
Le seul moyen de renforcer la lutte, c’est de profiter des périodes de repli en bon ordre pour réfléchir et discuter ensemble, en se regroupant partout, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers et tous les lieux publics.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés, qu’ils soient actifs ou chômeurs, retraités ou étudiants, doivent essayer de former des “comités de lutte” interprofessionnels ouverts à toutes les générations pour préparer les luttes futures. Il faudra tirer les leçons de ce mouvement, comprendre quelles ont été ses difficultés pour pouvoir les surmonter dans les prochains combats.
Ce mouvement social, malgré toutes ses limites, ses faiblesses et difficultés, est déjà une première victoire. Après des années de paralysie, de désarroi et d’atomisation, il a permis à des centaines de milliers de travailleurs de sortir dans la rue pour exprimer leur volonté de lutter contre les attaques du Capital. Cette mobilisation leur a permis d’exprimer leur besoin de solidarité et d’unité. Elle leur a permis aussi de faire l’expérience des manœuvres de la bourgeoisie pour faire passer cette attaque.
Ce n’est que par la lutte et dans la lutte que le prolétariat pourra prendre conscience qu’il est la seule force de la société capable d’abolir l’exploitation capitaliste pour construire un monde nouveau. Le chemin qui mène à la révolution prolétarienne mondiale, au renversement du capitalisme, sera long et difficile. Il sera parsemé d’embûches et de défaites, mais il n’y en a pas d’autre.
Plus que jamais, l’avenir appartient à la classe ouvrière !
Courant Communiste International, 13 janvier 2020
Depuis début décembre, venant de tous les secteurs et issus de toutes les générations, des centaines de milliers de manifestants descendent dans la rue contre la “réforme” des retraites. Dans les cortèges, la colère et la combativité sont évidentes. Depuis les luttes de 2003 et 2010 contre les précédentes “réformes” des retraites, nous n’avions pas vu en France un tel enthousiasme d’être aussi nombreux à se mobiliser tous ensemble contre cette attaque qui touche toute la classe des exploités : salariés du public et du privé, actifs et retraités, chômeurs, travailleurs précaires, étudiants. La solidarité dans la lutte se manifeste par une volonté de se battre non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les autres secteurs et pour les générations futures.
Néanmoins, ce mouvement connaît aussi d’importantes limites et difficultés en particulier dans la prise en main et l’organisation de la lutte par les prolétaires eux-mêmes. Il n’y a que très peu, ou pas, de réelles assemblées générales dans lesquelles les travailleurs peuvent débattre, prendre ensemble les décisions et la conduite de leur lutte. Contrairement, par exemple, à Mai 68.
Quelles leçons tirer du mouvement en cours ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Comment préparer au mieux les luttes futures ? Quel rôle jouent réellement les syndicats et les partis de “gauche” ? Ce sont de toutes ces questions, et bien d’autres encore, que nous proposons de discuter lors des réunions publiques à :
– Paris [3], le samedi 18 janvier 2020 à 15:00.
– Marseille [4], le samedi 18 janvier 2020 à 15:00.
– Toulouse [5], le samedi 18 janvier 2020 à 15:00.
– Lille [6], le samedi 8 février 2020 à 15:00.
– Nantes [7], le samedi 8 février 2020 à 15:00.
– Lyon [8], le samedi 8 février 2020 à 15:00.
Sur les réseaux sociaux, dans les partis de gauche et d’extrême-gauche, dans les médias, on cherche à nous effrayer en criant au loup fasciste ! Il est évident que le fascisme est l’une des expressions les plus brutales de la barbarie capitaliste, (1) il est clair également que Vox est un parti répugnant, qui affiche une attitude provocatrice et agressive, qui alimente la xénophobie contre les immigrés et défend le nationalisme espagnol le plus rance.
Cependant, ce serait tomber dans un piège très dangereux pour le prolétariat que de céder à la propagande qui présente Vox comme le Mal Absolu face à ses rivaux bourgeois de gauche (PSOE et Podemos) ou de droite (PP, Ciudadanos) qui représenteraient un moindre mal auquel il faudrait s’agripper coûte que coûte. L’histoire nous a montré que le piège qui consiste à choisir dans le menu empoisonné des fractions capitalistes a provoqué de terribles bains de sang : la boucherie de la Seconde Guerre mondiale (choisir entre le camp nazi et le camp démocratique), la Guerre d’Espagne de 1936 (choisir entre Franco et la République) ou le coup d’État de Pinochet (choisir entre l’ “Unité Populaire” d’Allende et les militaires).
Le prolétariat doit combattre le capitalisme et son État comme un tout et non de deux maux choisir le soi-disant moindre. Sous la domination du capitalisme, le prolétariat a seulement de faux amis et des ennemis déclarés. Entre les partis capitalistes, il n’y a pas de “meilleurs” ou de “pires” : tous représentent la pire alternative. Comme le disait Blanqui, un révolutionnaire du XIXe siècle, “pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de Liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin, de la mitraille, de la misère toujours”.
Dans l’appareil politique du Capital il y a toute une mosaïque qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, passant par tous types de nationalismes, régionalismes jusqu’à des candidatures citoyennes du style Teruel Existe, un parti défendant les “intérêts” de la province de Teruel en Aragon (dans l’actuelle législature parlementaire espagnole, il y a 19 groupes différents !). Il y a entre eux des divergences, des nuances et surtout des intérêts opposés de fraction, de clique ou purement régionalistes ou localistes. Cependant, au-delà de leurs conflits d’intérêts et des querelles interminables auxquelles ils se livrent, ils sont tous unis pour :
– la défense du capital comme mode de production basé sur l’exploitation du prolétariat ;
– la défense de la nation (que celle-ci soit espagnole ou catalane) ;
– la défense de l’État ;
– la volonté de contrôler, diviser et écraser le prolétariat.
Ceci constitue une réalité qui s’applique à tous les pays du monde et qui, pour se limiter au cas de l’Espagne, peut se vérifier si nous analysons l’histoire de la Seconde République (1931-39) et de la restauration de la démocratie (depuis 1975).
Le premier gouvernement de la Seconde République (produit de la coalition entre républicains et socialistes de 1931 à 1933) assassina 1500 ouvriers lors de la brutale répression des grèves et des protestations des ouvriers agricoles. Il faut particulièrement souligner le massacre de Casas Viejas durant lequel le démocrate Azaña donna l’ordre de “tirer au ventre !”
Le gouvernement suivant, présidé par la droite (la CEDA), massacra l’insurrection ouvrière des Asturies (1934) qui fut suivie par l’emprisonnement de dizaines de milliers d’ouvriers et les tortures les plus sadiques. La répression se fit avec la collaboration de Esquerra Republicana de Cataluña (ERC ou Gauche républicaine de Catalogne, au pouvoir en Catalogne avec le parti indépendantiste de Puigdemont) et son corps d’Escamots qui se chargeaient de torturer les ouvriers combatifs, particulièrement les membres de la CNT.
En 1937, le parti “communiste” fut le principal artisan de la répression sauvage de l’insurrection ouvrière de Barcelone, avec, à nouveau, sa montagne de cadavres et son cortège de tortures et d’emprisonnements. (2)
Franco, avec son régime de terreur (1939-1975), acheva la besogne commencée par ses acolytes de gauche et de droite.
Le baptême du feu fut la répression de la grève de Vitoria (mars 1976, cinq morts). (3) L’UCD (1977-1981) imposa avec l’accord de tous les partis (depuis la droite de Alianza Popular jusqu’à la gauche du PCE), le Pacte de la Moncloa qui marqua les premiers pas dans la chute des conditions de vie des travailleurs. Le gouvernement du PSOE (1982-1996) détruisit un million d’emplois et entacha ses mains du sang des trois ouvriers tués pendant la répression des grèves (Gijón, Bilbao et Reinosa). Le gouvernement du PP (1996-2004) entreprit des attaques de grande envergure qui ont généralisé la précarité et ont rendu impossible l’accès au logement. Le gouvernement du PSOE (2004-2011) ouvrit la voie à des coupes brutales dans les prestations sociales, la santé, etc., que généralisera ensuite le gouvernement du PP (2011-2018) avec la complicité du gouvernement régional d’Artur Mas qui fera des travailleurs catalans, les cobayes d’un plan de coupes budgétaires qui s’étendra à toute l’Espagne.
Vox n’a pas eu l’occasion d’exercer le pouvoir (à peine a-t-il fait quelques timides premiers pas dans des coalitions pour des gouvernements autonomes) mais dans la pratique comme sur le fond, il coïncide pleinement avec ses rivaux du duo PP-PSOE. Vox est un autre ennemi des travailleurs
Pour comprendre pourquoi surgit Vox, nous devons partir de deux faits. Le premier, de nature espagnole, réside dans la dénommée “transition démocratique” des années 1970. Le second est lié à ce que nous appelons : la phase de décomposition capitaliste, de dimension mondiale et historique.
Un des accords les plus importants de la transition espagnole fut celui de charger l’ancien ministre de Franco, Manuel Fraga, et son parti, d’abord appelé Alianza Popular et rebaptisé ensuite Partido Popular, d’intégrer en son sein l’important secteur franquiste de la bourgeoisie. Ce dispositif fit du PP “le grand parti de la droite” qui englobait des tendances politiques allant de l’extrême-droite jusqu’aux factions libérales, voire avec certaines ayant des accents sociaux-démocrates. Avec cet assemblage, ils purent neutraliser durant quatre décennies des secteurs issus de l’ancien régime qui étaient devenus inadaptés pour affronter les nouvelles nécessités du capital espagnol, particulièrement face à la classe ouvrière qui, d’abord avec les grandes grèves des Asturies en 1962, puis avec les luttes importantes de la période 1971-1976 s’inscrivaient pleinement dans la réémergence générale du prolétariat mondial débutée avec Mai 68.
Cependant, le processus de décomposition capitaliste, un phénomène mondial que nous avons identifié, vint bouleverser ce dispositif bien huilé. Dans les “Thèses sur la décomposition [9]” (Thèse 9), nous signalions : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. À la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. L’impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l’endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l’économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d’imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la “discipline” et l’adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergies vers la guerre mondiale, seule “réponse” historique que la bourgeoisie puisse offrir. L’absence d’une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut”.
Cette tendance à l’indiscipline des différents secteurs de la bourgeoisie qui ne veulent pas être “les premiers à se sacrifier”, ni ne souhaitent être les derniers à “partager la part de gâteau” du pouvoir, et mettent en avant toutes sortes d’intérêts particuliers, localistes, régionaux, etc., amenant le secteur franquiste, qui durant des années était resté silencieux, à sortir à nouveau du bois.
Fondé en 2013, Vox fut durant les premières années un parti d’appoint. Cependant, le contentieux catalan lui a donné une forte impulsion. Le défi irrationnel et suicidaire de la fraction indépendantiste catalane a donné des ailes au nationalisme espagnol le plus extrémiste. Pour des raisons historiques, le capitalisme espagnol n’a jamais pu s’appuyer sur un nationalisme “démocratique”, capable d’unir toutes ses fractions et particulièrement les partis régionalistes. Au contraire, “la nation espagnole dût s’affirmer, depuis le XVIe siècle, à partir de la prédominance brutale de la féodalité avec ses prétentions impériales, son extrémisme catholique et sa pureté de sang, acquise à travers les expulsions massives de Maures et de Juifs ainsi que le sadisme de la “Sainte Inquisition”. Au XIXe siècle, durant l’apogée du capitalisme, le capital espagnol fut soumis à une succession interminable de convulsions (la perte des colonies, les guerres carlistes, l’instabilité gouvernementale chronique) qui l’obligèrent à s’affirmer comme Nation, pieds et poings liés à ses secteurs les plus réactionnaires. Le développement déséquilibré de l’industrie (principalement en Catalogne) et la mauvaise soudure du marché national, donna un pouvoir disproportionné aux militaires castillans qui, avec leurs violentes actions contre les luttes ouvrières, assuraient aux bourgeois catalans la “loi et l’ordre” et maintenaient d’une main de fer la cohésion nationale. Le résultat fut un nationalisme arrogant, excluant, répugnant pour les classes “populaires” et qui connut son apogée avec le régime franquiste. La transition démocratique de 1975 fut obligée de mettre de côté toute référence au nationalisme espagnol, cédant du terrain aux “Autonomies” et aux illusions d’une “Espagne pour tous”, chose que l’expérience de ces quarante dernières années a radicalement démentie. Désormais, face au défi de ses rivaux catalanistes, le capital espagnol se trouve privé d’un nationalisme “présentable” et doit recourir à “l’espagnolisme”, le nationalisme espagnol de toujours qui donne des ailes à un parti comme Vox”. (4)
Mais Vox possède une seconde composante, non moins importante que la première et qui le rapproche des partis populistes qui prolifèrent aujourd’hui dans les pays centraux (avec les Trump, Salvini, Le Pen ou Orban). Son fond de commerce émane également de la décomposition et spécifiquement de la décomposition idéologique du capitalisme.
La thèse 8 des “Thèses sur la décomposition” mentionnées précédemment, rappelle que les “manifestations de la putréfaction sociale qui aujourd’hui, à une échelle inconnue dans l’histoire, envahissent tous les pores de la société humaine, ne savent exprimer qu’une chose : non seulement la dislocation de la société bourgeoise, mais encore l’anéantissement de tout principe de vie collective au sein d’une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective, même à court terme, même la plus illusoire”. Cela provoque des tendances destructrices : “l’accroissement permanent de la criminalité, de l’insécurité, de la violence urbaine (…), le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir (…), de la haine et de la xénophobie (…) ; La profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, du spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres qui prend dans les médias une place prépondérante (…) ; le “chacun pour soi”, la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité et son remplacement par la pornographie, le sport commercialisé et médiatisé”.
De ces matériaux pourris, Vox fait surgir ses mantras. Parmi ces derniers, il y a la nostalgie irrationnelle d’un “passé glorieux” qui, en réalité, n’a jamais existé ; comme le disait un présentateur de journal télévisé [10] : “La nostalgie franquiste de Vox n’éloigne pas pour autant ce parti du radicalisme anti-européen britannique : les deux mouvements expriment la nostalgie d’un paysage humain sans immigrés, uniforme (et hiérarchisé). Le regret d’un temps passé durant lequel leurs pays respectifs régnaient de manière effective (pour l’empire britannique) ou fantasmée (“l’unité de destin dans l’universel” de l’Espagne franquiste)”.
Si cette obstination peut sembler ridicule, il y a d’autres “thèmes” sinistres qui sèment la division dans les rangs ouvriers. L’un d’entre eux est la haine de Vox envers les immigrés, qu’il rend responsables de la pauvreté, des services de santé désastreux, du chômage, faisant d’eux des boucs émissaires que l’on accuse de tous les maux imaginables. Dans la même veine, se trouve son négationnisme réactionnaire du machisme envers les femmes, du désastre climatique, etc.
Dans un premier temps, le PSOE a gonflé Vox avec deux objectifs : d’un côté, diviser le vote de droite et, de l’autre, susciter un vote aveugle pour le “moindre mal” afin de “barrer la route au fascisme”. Cette ruse lui a plutôt souri lors des élections d’avril. Pour celles de novembre, il a voulu user du même stratagème, ce qui déboucha sur la mascarade du transfert des restes de Franco afin de mendier à nouveau des voix à gauche et d’alimenter autant que possible la “peur de Vox”.
Mais, cette fois-ci, la manœuvre n’a pas fonctionné. Les violents incidents de Barcelone, fomentés en coulisses par des fractions tant catalanistes qu’espagnolistes, ont propulsé Vox de façon spectaculaire sur le devant de la scène politique. D’un autre côté, les deux partis de la droite “civilisée”, le PP et Ciudadanos, ont payé cher leur stratégie de battre Vox dans la surenchère à l’espagnolisme et à la “loi et l’ordre”. Le résultat a été le naufrage de Ciudadanos.
Globalement, les deux partis fondamentaux de l’État espagnol (PP et PSOE) en sont sortis très affaiblis. Le PSOE a perdu des électeurs par rapport à avril et les gains du PP ont été faibles. La présence importante de Vox, que tous se sont chargés d’alimenter, a profondément altéré le jeu politique, le rendant très difficile à gérer. Le PP ne peut pas cautionner le PSOE en le rejoignant dans un gouvernement de “grande coalition” ou simplement s’abstenir comme le fit le PSOE en octobre 2016. Cela risquerait de renforcer encore plus Vox. Et le PSOE a besoin de “regarder à gauche” s’il ne veut pas ruiner une des armes idéologiques les plus importantes de la bourgeoisie espagnole contre la classe ouvrière : l’antifascisme.
Aussi bien l’ascension de Vox que l’irresponsabilité et les contradictions des “grands partis”, mettent clairement en évidence ce que nous disions au début de l’article : la perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie de son jeu politique et particulièrement de son mécanisme électoral avec lequel elle dissimule sous les traits de la “volonté populaire” ses options politiques de gouvernement. Vox représente un facteur d’aggravation de cette crise, pas tant par l’ “intelligence tactique” de ses “leaders politiques”, mais essentiellement du fait de la déstabilisation et des contradictions croissantes de l’appareil politique dans les pays centraux.
Comme nous l’avons vu plus haut, la bourgeoisie a infligé au prolétariat les pires défaites et a entraîné l’humanité dans la guerre impérialiste, la faisant choisir entre fractions de la bourgeoisie, le fascisme ou l’antifascisme, la démocratie ou la dictature, etc. À travers cela, le prolétariat a perdu son identité de classe et son autonomie politique, se convertissant en chair à canon pour les intérêts du Capital, de ses plans de misères, de chômage et de guerre.
Guidé par cette expérience historique, le prolétariat doit rejeter les deux pôles qui, à travers une apparente opposition, renforcent et consolident la domination capitaliste :
– l’antifascisme de la gauche face au fascisme de Vox et la connivence du duo PP/Ciudadanos ;
– les politiques “civilisées et démocratiques” des PP, PSOE, Podemos, face à l’autoritarisme arrogant de Vox ;
– le paternalisme cynique et hypocrite du PSOE et de Podemos avec les immigrés, face à la xénophobie et le racisme de Vox ;
– la supposée “politique sociale” et le féminisme du couple PSOE/Podemos face au machisme et au traditionalisme aberrant de Vox ;
– l’étatisme et l’augmentation des impôts “pour les riches” du couple PSOE-Podemos face aux mesures “libérales” de réduction des impôts du trio de la droite (Vox, PP et Ciudadanos).
Face à ces élections qui le livrent pieds et poings liés à l’enfoncement inéluctable du capitalisme dans la misère, la destruction, la guerre et la barbarie, le prolétariat doit défendre :
– autochtone ou immigrée : une même classe ouvrière ;
– la réponse massive, unie et auto-organisée contre les mesures de licenciements, les baisses de salaires, la précarité, etc., que tous les gouvernements pratiquent ;
– la perspective de son unité internationale et la lutte pour une société sans exploitation, sans frontières, sans États, sans divisions en classes, la communauté humaine mondiale, le communisme.
S, 16 décembre 2019
1Voir : “Les Causes économiques, sociales et politiques du fascisme [11]”.
2Voir notre article en espagnol : “Franco y la República masacran al proletariado [12]”.
3Voir : “Il y a 40 ans, la démocratie espagnole naissante débutait avec des assassinats d’ouvriers à Vitoria [13]”.
4Voir notre article en espagnol : “Contra la campaña de Vox en medios obreros : ¡Los obreros no tenemos patria ! [14]”
Le capitalisme a de plus en plus de mal à gérer sa propre crise économique et cela se répercute dans tous les secteurs de l’économie mondiale : l’endettement s’accroît, le travail précaire est de plus en plus massif, les délocalisations d’usines vers des pays avec des coûts de production moindre augmentent, etc. En outre, la crise oblige la bourgeoisie à prendre de nouvelles mesures pour restructurer la production, mesures dont les ouvriers sont systématiquement les principales victimes.
La restructuration et la grève de General Motors (GM) ne peuvent à ce titre être comprises que dans le cadre de l’analyse de la crise mondiale et historique du capitalisme. Le 15 septembre 2019, après deux mois de négociations infructueuses entre l’entreprise automobile et les syndicats, 850 ouvriers de la zone de maintenance de cinq usines de GM aux États-Unis se mirent spontanément en grève. Le jour suivant, face à cette situation qui menaçait de devenir incontrôlable et à la pression émanant du reste de ses adhérents, le syndicat United Auto Workers (UAW) déclara la grève de près de 50 000 ouvriers. Bien que GM n’ait pas connu de grève aussi massive depuis 2007, les attaques contre les conditions de vie et de travail des ouvriers de cette entreprise ne sont pas sorties de nulle part et elles ont également eu lieu dans d’autres pays.
Auparavant, GM avait dû fermer une usine de moteurs au Mexique, une autre d’assemblage au Canada et autre dans l’Ohio. Dans ces deux dernières, fin septembre 2018, respectivement 3 200 et 500 ouvriers furent “temporairement” licenciés (ce que les patrons appellent “mise au chômage technique”) et en octobre, la société proposa à quelque 18 000 travailleurs des départs volontaires. En outre, le 26 novembre 2018, GM annonça un plan de “grande restructuration”, comprenant notamment le licenciement de 14 000 ouvriers, la fermeture de trois usines aux États-Unis en 2019, à Oshawa au Canada, et celle de Gunsan en Corée du Sud d’ici fin 2019-début 2020, entraînant le licenciement de plus de 6 000 ouvriers.
Les revendications des ouvriers du GM se situaient clairement sur le terrain de la classe ouvrière : la sécurité de l’emploi, empêcher la baisse des salaires, l’amélioration de la couverture médicale et des primes. Il est important de noter l’existence de revendications qui démontrent la solidarité et l’esprit d’unité des ouvriers : ils ont exigé des contrats fixes pour les intérimaires, la réouverture des usines inactives et le refus de nouvelles fermetures d’usines avec la perte d’emplois qui en résulte. Toutefois, le syndicat ne s’est pas focalisé sur la défense de ces revendications.
Selon les médias, le gouvernement et le patronat, les défenseurs des intérêts des travailleurs sont les syndicats. Pourtant, les ouvriers eux-mêmes, de par leur expérience quotidienne, ont compris que la réalité est différente. Cela s’est vérifié une fois de plus lors de la grève chez GM. Cette réalité est présente depuis déjà plus d’un siècle : “Le syndicalisme est apparu au XIXe siècle. Leur approche n’est pas de détruire le capitalisme mais d’obtenir, dans le cadre des rapports de production, les meilleures conditions de vie possible pour les travailleurs.
Lorsque le capitalisme ne s’était pas encore implanté dans tous les pays et toutes les sphères économiques (XIXe et début du XXe siècle), le syndicalisme pouvait encore jouer un rôle favorable pour les travailleurs. Mais avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, le syndicat ne peut plus obtenir que de rares miettes et tombe dans les filets de l’État et dans la défense du capitalisme.
Le syndicalisme ne peut pas remettre en question les infrastructures de production de l’économie capitaliste que sont l’entreprise, l’industrie et la nation. Au contraire (à l’instar des partis de la gauche du capital), il figure parmi ses défenseurs les plus fidèles. D’après les syndicats, le développement de la nation serait bénéfique à l’ensemble de la population, puisque tout le monde aurait une plus grande part du gâteau. Marx, dans “Salaires, prix et profits”, a combattu ces fantaisies des syndicalistes anglais en prenant comme exemple une soupière : les syndicalistes disaient que si la soupière était plus grande, il y aurait plus de soupe à distribuer, Marx leur a réfuté que le problème n’était pas la taille de la soupière mais la taille de la cuillère avec laquelle les travailleurs mangeaient et que celle-ci avait tendance, historiquement, à devenir de plus en plus petite”. (1)
Le syndicat a mené les négociations avec l’entreprise à huis clos (2). Ceci est une nécessité pour les syndicats, car, dans ce type de négociation, ils examinent avec l’entreprise la façon dont préserver les profits qu’elle réalise au détriment des conditions de vie des ouvriers, en délaissant les revendications les plus importantes de ces derniers, en mesurant la capacité de réaction et la force que ceux-ci opposent, tout en convenant de la manière dont les épuiser. L’intérêt pour l’avenir de l’entreprise au détriment de l’avenir des travailleurs est à 100 % partagé par les syndicats. “Les dirigeants du syndicat UAW allèguent un manque d’intérêt des patrons pour le sort de leurs ouvriers, malgré le fait que l’année passée, l’entreprise a gagné plus de 8 000 millions de dollars” (3). Ainsi, d’après les syndicats, si l’entreprise réalise des bénéfices, elle devrait en laisser quelques miettes pour les ouvriers. Mais, que se passera-t-il si l’entreprise ne fait pas de bénéfices ? Pour les syndicats, les ouvriers doivent se sacrifier, renoncer à nourrir leurs familles pour sauver l’entreprise, comme il y a douze ans lors de la crise de 2008 pendant laquelle tous les syndicats de GM, dans divers pays, avaient demandé l’appui inconditionnel des travailleurs afin de pouvoir sauver l’entreprise : “L’UAW s’est plaint que les ouvriers, après avoir aidé General Motors des années durant à réaliser des millions de bénéfices, n’avaient pas reçu quoi que ce soit de plus pour subvenir au besoin de leurs familles. Terry Dittes, vice-président de l’UAW, a mis cette question au premier plan : il y a dix ans, pendant la crise financière, les dirigeants syndicaux ont accepté une diminution des avantages sociaux et un gel des salaires… Nous avons défendu GM quand elle avait le plus besoin de nous, maintenant nous sommes solidaires et unis pour nos membres, leurs familles et les communautés dans lesquelles nous vivons et travaillons”. (4) L’hypocrisie du syndicat s’est à nouveau révélée lors des nouveaux accords conclus avec l’entreprise où les revendications des ouvriers ont été tout simplement abandonnées.
De la même façon, le syndicat change les revendications des travailleurs par d’autres qui vont impacter certains d’entre eux : “Le syndicat réclame des augmentations de salaire par heure travaillée, ce que l’entreprise n’accepte pas. En outre, ils exigent une garantie que de nouveaux modèles [de véhicule] seront attribués aux usines américaines”. (5) L’exigence de “nouveaux modèles attribués aux usines américaines” est-elle une revendication de la classe ouvrière ? NON ! Cette approche est la même que celle de l’America First de Trump. De fait, Trump, dans le cadre de sa guerre commerciale, avait demandé à la présidente de GM, Mary Barra, de transférer la production du Mexique et celle de la Chine à Detroit. Les syndicats, fidèles serviteurs de la bourgeoisie nationale, ne cherchent qu’à détruire la solidarité entre les travailleurs de différents pays en leur inoculant le poison du nationalisme, en exigeant une production uniquement destinée aux Américains du Nord ; semant la division, ils veulent que les travailleurs se considèrent comme des citoyens américains avant tout et non comme des membres de la classe ouvrière internationale, les obligeant à se dissocier de ce qui arrive à leurs frères et sœurs de classe au Canada, en Chine, en Corée du Sud ou au Mexique, qui sont touchés par les mêmes licenciements, les mêmes conditions de vie. La solidarité et l’unité que les syndicats encouragent sont uniquement celles de l’entreprise et de la nation.
Certains grévistes ont dit qu’ils étaient prêts à se battre jusqu’au bout. Ils ont estimé que le moment était approprié pour défendre leurs revendications. Cependant, une des manœuvres des syndicats pour empêcher la victoire des mobilisations a été la prolongation de la grève, en maintenant les ouvriers enfermés sur eux-mêmes, dans leur secteur, afin que la grève ne prenne pas plus d’ampleur et que les travailleurs soient épuisés économiquement, physiquement, moralement et cèdent plus facilement. Ainsi, Jason Watson, leader de l’UAW, a par exemple déclaré : “J’ai environ 500 jeunes gens, avec une faible ancienneté salariale qui ont très, très peur”. (6) Leur objectif était non pas l’extension de la lutte mais la prolongation d’une grève isolée jusqu’à Noël : “En ce qui me concerne, la compagnie a fait marche arrière sur son offre et moi et mes membres sommes prêts à rester ici aussi longtemps que nécessaire”. (7)
Enfermés dans cet isolement total, les travailleurs ont été soumis à la pression morale de la bourgeoisie et des syndicats, qui les ont tenus pour responsables de tout ce qui était possible : de la défense de leurs “privilèges”, du retard de la sortie de la Corvette 2020, des pertes par millions des “pauvres employeurs” (près de deux milliards de dollars, soit 25 % de leurs juteux bénéfices, alors que les travailleurs en grève ont cessé de percevoir, pendant la grève, jusqu’à 75 % de leur salaire), de la fermeture d’usines dans d’autres branches et pays, de l’aggravation de la pollution pour éviter la reconversion vers la production de voitures électriques, du ralentissement de l’économie du Michigan, et même d’accélérer la récession dans le pays ! Il a s’agit de culpabiliser et de démoraliser d’une façon infâme. En effet, ces visions font croire aux ouvriers qu’ils sont des “citoyens de la nation”, occultant ce qu’ils sont en réalité : une classe sociale historique qui se bat pour ses intérêts et pour l’avenir de l’humanité. Lorsque les travailleurs luttent pour améliorer leurs salaires ou éviter les licenciements, cette lutte doit les amener à la conclusion qu’une société différente de celle que nous avons aujourd’hui peut exister. Dans la société actuelle, le profit, l’accumulation du capital et la guerre impérialiste sont primordiaux. Une société où les besoins de l’humanité toute entière sont satisfaits en premier lieu, voilà ce à quoi il faut aspirer. “(…) ils se doivent de protester contre la baisse de salaire et même contre la nécessité de la baisse, parce qu’ils doivent expliquer qu’eux, en tant qu’hommes, n’ont pas à se plier aux circonstances, mais que bien au contraire, les circonstances doivent se plier à eux, qui sont des êtres humains ; parce que leur silence équivaudrait à une acceptation de ces conditions de vie, une acceptation du droit de la bourgeoisie à les exploiter pendant les périodes économiques favorables et à les laisser mourir de faim dans les mauvaises périodes”. (8)
Les manœuvres du syndicat ne se limitent pas à entraver et à éroder les revendications des travailleurs. Leur principale préoccupation est d’isoler les ouvriers et de semer la division dans leurs rangs : par entreprise, par secteur, par région et par nation. Ainsi, par exemple, lorsque dans l’usine de Villa de Reyes (dans la municipalité de San Luis Potosi au Mexique) une des trois équipes de travail a été supprimée, un des leaders du syndicat canadien a déclaré : “c’est une bonne nouvelle pour nous, parce nous ne sommes pas les seuls à perdre cette fois-ci… puisque les ventes commençaient à baisser”. Autrement dit, pour les syndicats, il faut qu’il y ait de la concurrence entre les travailleurs, pas de la solidarité.
Voici un autre exemple, significatif, de la façon dont le syndicat empêche la solidarité : “Douze travailleurs mexicains de l’usine General Motors à Silao, Guanajuato, ont publié une déclaration en solidarité avec la grève de leurs pairs de l’autre côté de la frontière. (…) Ces douze ouvriers ont été licenciés de la manière la plus crapuleuse qui soit, l’un d’eux a été accusé d’être un toxicomane, bien qu’un test ait été négatif. (…) Ce n’était que le premier parmi les douze, tous ceux qui ont fait front face au syndicat mexicain et ont affiché leur soutien aux ouvriers de l’UAW avaient beaucoup d’ancienneté”. (9).
De la même façon, les syndicats nord-américains se sont plaints que “les pourparlers pour relancer l’emploi seraient entravés par les préoccupations des travailleurs, qui s’inquiètent de la production croissante de GM au Mexique”. Aux États-Unis comme au Canada, le message était le suivant : “les ouvriers mexicains volent notre travail parce qu’ils coûtent moins cher à l’entreprise et qu’ils acceptent de travailler dans de pires conditions”. Au Mexique, le message était à l’opposé : “les ouvriers des États-Unis, dans le but de maintenir leurs acquis, font grève et à cause de cela ils nous portent préjudice”. Autrement dit, les syndicats de part et d’autre de la frontière ont décidé de diviser et de monter les ouvriers les uns contre les autres.
Cette division et cette confrontation s’est étendue jusqu’aux ouvriers fabriquant les pièces pour l’industrie automobile. Les syndicats de GM ont oublié ces collègues dont le travail est indispensable à la production dans les usines de la multinationale. Les syndicats des entreprises sous-traitantes ont déclaré aux ouvriers qu’à cause de la grève, ils étaient moins bien payés, que c’est pour cette raison qu’ils se retrouvaient au chômage technique et qu’ils risquaient de perdre leur emploi. C’était un vil mensonge : aucune grève n’avait eu lieu depuis 2007. Pourtant GM, au Mexique, a décrété de nombreux chômages techniques en raison de la chute des commandes, de la fin d’anciens modèles, de la restructuration en vue de créer de nouveaux modèles, etc. Les ouvriers ne sont pas responsables des chômages techniques, c’est le Capital qui l’est.
Ces manœuvres syndicales visaient à briser la grève, et elles ont réussi. Le 25 octobre, près de dix jours après sa signature, le syndicat a ratifié la nouvelle convention collective de quatre ans avec à peine plus de 50 % des voix de ses membres, et 850 travailleurs d’Aramark qui n’en voulaient pas non plus. La société a accordé une augmentation dérisoire de 3 et 4 % pour les quatre prochaines années, un bonus qui couvre à peine ce que les ouvriers des 33 centres de production et des 22 centres de distribution de GM aux États-Unis ont perdu. Rien, en revanche, pour les milliers d’ouvriers au Canada, au Mexique et dans d’autres pays qui ont participé à quarante et même cinquante jours de grève durant lesquels ils ont été épuisés, trompés, divisés et démoralisés. De plus, il n’y a eu aucune amélioration du système de soins et trois usines aux États-Unis ont été fermées : l’usine d’assemblage de Lordstown, en Ohio, et deux usines au Michigan et au Maryland. Cela signifie la mise a pied immédiate de plus de 2 000 travailleurs, qui subissent des pressions pour prendre leur retraite ou bien démissionner. D’autre part, “le vice-président de l’UAW a remercié les employés de GM pour leur “sacrifice” durant cette grève de 50 jours, qui a fait perdre aux ouvriers des centaines de millions de dollars en salaire non perçu”. (10) De plus, il ajoute que “de nombreux points ont été négligés, notamment en ce qui concerne le système de santé, les salaires, la main-d’œuvre intérimaire, les emplois qualifiés et la sécurité de l’emploi, pour ne citer que ceux-là”. En réalité, toutes les revendications des ouvriers ! Les analystes bourgeois, quant à eux, font peu de cas des conséquences pour les ouvriers : “L’accord définitif n’est pas si catastrophique que ça pour les travailleurs, mais c’est loin d’être une victoire. “Personne ne va se précipiter pour reprendre le travail, enthousiaste à propos de ce qu’il a obtenu. Mais c’est quelque chose avec lequel tu peux vivre”. La grève est survenue après une décennie de frustration des employés envers l’entreprise, qui a sévèrement diminué les avantages sociaux et les salaires pendant la Grande Récession. Les employés se sont sentis abandonnés lorsque le constructeur automobile a commencé à réaliser d’importants bénéfices. Le nouvel accord ne change pas grand-chose à cette dynamique, mais il fait quelques pas dans la bonne direction”. (11)
Bien que la grève chez GM ait échoué, de nombreuses leçons sont à tirer de cette défaite, et c’est le plus important. Cette grève est un exemple récent des terribles coups qu’est en train d’asséner la bourgeoisie du monde entier :
– c’est la grève la plus massive de ces cinquante dernières années, et la première qui a eu lieu aux États-Unis en douze ans, après une période où la classe ouvrière ne s’est guère mobilisée au niveau international.
– Elle montre clairement, contrairement à ce que prétend la bourgeoisie, que la classe prolétarienne existe et qu’elle est prête à répondre sur son terrain de classe, même dans une situation globale de grande faiblesse et de confusion, exploitée par les entreprises et les syndicats.
– Elle montre à nouveau que les syndicats font partie intégrante de l’État capitaliste, avec comme rôle celui de contrôler les ouvriers et d’empêcher leur véritable lutte autonome.
– Elle montre comment les coups portés aux conditions de vie et de travail prennent de plus en plus un caractère international, et que cela augmente les raisons de l’extension de la lutte à d’autres secteurs et à d’autres pays.
Par ailleurs, les travailleurs de GM ont déclaré que la compagnie ne les formait plus et qu’ils ne pouvaient plus apprendre des ouvriers les plus anciens parce qu’ils ont pris leur retraite ou ont été licenciés. Tous les travailleurs devraient se rappeler que les “anciens” ont non seulement une expérience sur le lieu de travail, mais aussi dans la lutte contre l’exploitation capitaliste. En 1965-1967, d’importantes grèves chez GM ont eu lieu, comme dans d’autres entreprises automobiles de Detroit, dont un grand nombre hors des syndicats, où les ouvriers ont lutté de manière unie, faisant tomber les barrières de l’entreprise. À cette occasion, l’entreprise a cédé en quelques jours, contrairement à cette grève-ci, pourtant la plus longue du secteur automobile depuis cinquante ans. Cette expérience, comme celle que les travailleurs de GM ont désormais un demi-siècle plus tard, est précieuse pour la classe ouvrière. Elle est particulièrement utile pour comprendre ce qui s’est réellement passé lors de la grève des travailleurs de GM et pour savoir quoi faire lors des luttes futures, que la classe ouvrière finira sûrement par mener.
Dans ce sens, les ouvriers doivent se réapproprier les leçons des précédentes luttes pour éviter de nouvelles défaites comme celle-ci. Par exemple, il est à noter que le syndicat UAW comptait frapper sur une partie des ouvriers du secteur automobile pour les empêcher de se joindre à la lutte : “Le syndicat a annoncé qu’il se concentrera désormais sur l’obtention d’une nouvelle convention collective pour les ouvriers de Ford. Le syndicat avait mis en veilleuse les négociations avec Ford et Fiat Chrysler tout en cherchant à obtenir l’accord avec GM. (…) Le syndicat utilisera l’accord avec GM comme base de négociation avec les autres constructeurs automobiles de Detroit”. (12)
Deux leçons essentielles laissées par cette grève, et qui proviennent des grandes luttes de 1905 en Russie et dans d’autres pays (13) sont que :
1) la lutte doit être lancée, organisée et étendue par les ouvriers eux-mêmes, hors du contrôle syndical, au travers d’assemblées générales et des comités mandatés et révocables à tout moment ;
2) la lutte ne pourra aboutir si elle reste prisonnière des murs de l’entreprise, du secteur, ou de la nation. Au contraire, elle doit s’étendre, en abattant toutes les barrières que le capital impose et qui les relient à lui.
Revolución Mundial,
section du CCI au Mexique,
21 novembre 2019.
1 Voir sur notre site en espagnol l’article complet : “Lucha aislada lucha perdida [16]” (7 février 2013).
2 Jason Watson, président de la section 2164 de la UAW, a déclaré, se vantant que ses affiliés étaient impatients de connaître l’issue des négociations : “Étant moi-même quelqu’un qui, depuis quinze ans, a mené des négociations, je sais que c’est comme une partie de poker, et un bon joueur ne dévoile jamais ses cartes. Nos membres se montrent curieux des détails, mais ils comprennent pourquoi ceux-ci doivent rester confidentiels”. Face à des négociations secrètes où deux ou trois éléments du Capital et de son État conspirent contre les travailleurs (Gouvernement, patronat et syndicats), la première chose que la grève de masse de 1980 en Pologne a fait, portée par les assemblées générales, fût d’exiger que toutes les négociations entre les représentants des ouvriers et le gouvernement soient enregistrées et rendues publiques aux assemblées. Voir : “Un an de luttes ouvrières en Pologne [17]” Revue Internationale n° 27 (4e trimestre 1981).
3 Telesur (19 septembre 2019).
4 Idem.
5 Expansión (15 septembre 2019).
6 Detroit Free Press (08 octobre 2019).
7 Idem.
8 Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre [18] (1845).
9 Humberto Juárez, économiste mexicain, dans un’article paru dans Sputnik (17 octobre 2019).
10 EFE (26 octobre 2019)
11 Vox (25 octobre 2019).
12 CNN (25 octobre 2019).
13 Voir sur notre site le premier article de la série : Le communisme n’est pas un bel idéal, il est à l’ordre du jour de l’histoire, intitulé : “1905 : la grève de masse ouvre la voie à la révolution prolétarienne [19]”. Revue Internationale n° 90 (3e trimestre 1997).
75 ans après, les chefs d’État et têtes couronnées du mode entier continuent de célébrer avec la même hypocrisie la libération de quelque 7000 survivants du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, le 27 janvier 1945, par l’armée russe. Le “grand alibi” (pour reprendre les mots de Bordiga) que fût la libération des camps nazis, permit au “camp démocratique” de masquer ses propres crimes, massacres, rapines et bombardements massifs. En cette occasion, tous les médias continuent de repasser en boucle les images insoutenables d’êtres humains réduits à l’état squelettique derrière des barbelés et de rappeler l’horreur de l’extermination impitoyable de millions de Juifs, Tziganes et autres "indésirables". Mais la bourgeoisie continue aussi de passer sous silence le fait avéré que les gouvernements alliés du camp “démocratique” étaient non seulement parfaitement au courant de l’exécution de la “solution finale” dès 1942, mais qu’en toute complicité, ils ont délibérément caché la réalité et laissé perpétrer le massacre, refusant même sciemment de sauver des dizaines, voire des centaines de milliers de vies. Une façon de masquer ou de faire oublier qu’ils restent eux-mêmes un produit du même système criminel qui a pu enfanter les nazis et les staliniens : le capitalisme.
C’est pourquoi nous remettons en avant un article tiré de notre brochure “Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital [21]”, contre l’escroquerie de la propagande invitant toujours les prolétaires à se mobiliser sous la bannière de la défense de la “liberté” et de la “démocratie”, que ce soit au nom de “l’antifascisme” ou de “l’anti-populisme”.
– La coresponsabilité des alliés et des nazis dans l'holocauste [22]
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_13.01.2020.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[3] https://fr.internationalism.org/content/10009/paris
[4] https://fr.internationalism.org/content/10014/marseille
[5] https://fr.internationalism.org/content/10017/toulouse
[6] https://fr.internationalism.org/content/10015/lille
[7] https://fr.internationalism.org/content/10016/nantes
[8] https://fr.internationalism.org/content/10025/lyon
[9] https://fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm
[10] https://www.lavanguardia.com/opinion/20191202/471997488421/abandonarse-a-la-caida.html?utm_source=newsletters&utm_medium=email&utm_campaign=claves-del-dia&utm_term=20191202&utm_content=el-mundo-afronta-la-hora-de-la-verdad-en-la-cumbre-del-clima-de-madrid-lee-aqui-esta-y-las-principales-noticias-de-la-manana
[11] https://fr.internationalism.org/rinte3/fascisme.htm
[12] https://es.internationalism.org/cci/200602/539/espana-1936-franco-y-la-republica-masacran-al-proletariado
[13] https://fr.internationalism.org/content/9383/1976-2016-il-y-a-40-ans-democratie-espagnole-naissante-debutait-des-assassinats
[14] https://es.internationalism.org/content/4370/contra-la-campana-de-vox-en-medios-obreros-los-obreros-no-tenemos-patria
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[16] https://es.internationalism.org/cci-online/201302/3622/lucha-aislada-lucha-perdida
[17] https://fr.internationalism.org/rinte27/pologne.htm
[18] https://www.marxists.org/francais/engels/works/1845/03/fe_18450315_8.htm
[19] https://fr.internationalism.org/rinte90/communisme.htm
[20] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/53/mexique
[21] https://fr.internationalism.org/content/fascisme-democratie-deux-expressions-dictature-du-capital
[22] https://fr.internationalism.org/french/brochures/holocauste.htm
[23] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/35/europe
[24] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/deuxieme-guerre-mondiale
[25] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/guerre