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Le capitalisme a rendu des régions entières du globe inhospitalières et invivables, de véritables enfers pour des populations martyrisées obligées de fuir. Après le pic de la “crise migratoire” en 2014/2015, les États les plus puissants ont décidé de réagir fermement pour tenter de dissuader les candidats à l’immigration devenus “trop nombreux”. Durcissant leur arsenal policier et répressif, ils ont en grande partie “externalisé” le contrôle des frontières en sous-traitant la gestion des migrants à des acteurs très peu regardants sur les “méthodes” utilisées et les “conditions d’accueil”. L’Union européenne (UE), par exemple, a sollicité la Turquie en 2016, moyennant quatre milliards d’euros, afin de freiner les migrants en les parquant à distance. Bon nombre d’entre eux croupissent encore aujourd’hui dans ces centres de rétention. Le “succès” de cette nouvelle politique migratoire s’est étendu plus récemment à d’autres États, notamment ceux d’Afrique du Nord. En Libye, les migrants sont victimes de conditions de détentions proprement inhumaines. Lorsque l’ONU a visité le centre de Zintan : “654 migrants et réfugiés étaient alors détenus dans des conditions “équivalentes à des peines ou des traitements inhumains et dégradants” assimilables à “la torture”, selon Rupert Colville (ONU), qui décrit en détail la sous-alimentation, les privations d’eau, les gens “enfermés dans des entrepôts surpeuplés empestant les ordures et les latrines bouchées””. (1) Aujourd’hui, dans l’attente d’un éventuel transfert en Turquie, des milliers de réfugiés sont également internés dans les îles grecques, dans des centres où les conditions d’internement sont effroyables : “Les installations ne sont pas capables d’accueillir tous les réfugiés dans les îles. “Dans le camp de Moria, il y a une salle de bain pour 100 personnes et une douche pour 300 personnes. Certains sont arrivés ici quelques jours après la mise en œuvre de l’accord, pouvez-vous vous imaginer vivre dans de telles conditions pendant deux ans ? Ces personnes ont perdu tout contrôle de leur vie”, dénonce Luca Fontana, coordinateur de Médecins Sans Frontières à Lesbos”. (2)
Autre témoignage : “Le camp de Moria n’est pas fait pour les humains, estime le docteur Alessandro Barberio, psychiatre chez Médecins sans frontière. Même les personnes les plus équilibrées peuvent sombrer dans la folie. J’ai vu ici, souligne-t-il, les cas les plus graves et les plus nombreux de ma carrière. L’absence de réponses pour leur futur finit par les détruire. Traverser les procédures de demande d’asile des mois durant, tout en vivant dans ce cloaque empêche de dormir, pousse au désespoir ou au suicide”. De concert avec la surveillance maritime et des moyens policiers renforcés, c’est au prix de telles souffrances que la bourgeoisie peut cyniquement vanter les “succès” de ce qu’on pourrait qualifier de véritable forteresse. Sur les îles grecques que nous venons d’évoquer, le nombre d’arrivées aurait officiellement diminué de 97 % ! (3)
La barbarie déployée contre les migrants
Lorsqu’en 2014, au plus fort des combats en Syrie et en Irak, la “crise migratoire” a explosé, les grands pays démocratiques n’ont pas hésité à faire de grandes déclarations “humanistes”, assurant qu’ils prendraient leur responsabilité pour venir en aide à ces millions de personnes fuyant leur pays au nom du sacro-saint “droit d’asile”. L’Allemagne, la première puissance économique d’Europe, se présentait comme un véritable refuge en ouvrant les portes à quelques milliers de demandeurs d’asile arrivant d’Europe de l’Est. Bien que moins enthousiastes, toutes les autres grandes puissances européennes lui emboîtaient timidement le pas. Si pour préserver sa crédibilité, l’appareil politique bourgeois est contraint de faire mine de se soucier du sort des migrants par de beaux discours humanistes, sa pratique barbare démontre le peu de valeur que représente la vie humaine à ses yeux. Les gouvernements verrouillent les frontières, restreignent la circulation en instrumentalisant des peurs qu’ils alimentent, construisent des murs physiques et “administratifs” pour se protéger de la “peste” migratoire et de l’ “invasion”. C’est pour cette raison que le “progressiste” président français, Emmanuel Macron, pour qui l’accueil des migrants relève de “la dignité de l’ensemble de nos pays, notamment de la France” (4) fait patrouiller la marine nationale en Méditerranée pour repousser brutalement les migrants vers les côtes africaines. C’est aussi pour les mêmes raisons que les États européens, champions autoproclamés des “Droits de l’homme”, financent des milices privées armées jusqu’aux dents aux frontières des pays africains. Alors que chaque pays accuse son voisin de ne pas en faire assez, tous mènent une politique ouvertement anti-migrants !
Ces derniers temps, la bourgeoisie pérore en affirmant, encore une fois, que la masse des migrants voulant venir sur le continent européen a fortement diminué. La classe dominante peut se féliciter : elle a mobilisé jusqu’aux douaniers (pourtant chargés du contrôle des flux de marchandises) pour effectuer ses plus sinistres tâches contre les migrants, notamment la surveillance des côtes et le flicage. Une telle situation, criminelle, ne fait que pousser les migrants à prendre toujours plus de risques, transformant la mer en cimetière où périssent atrocement chaque année des milliers de désespérés contraints de tenter leur chance sur des flottilles de fortune.
L’Agence européenne Frontex avait pourtant été officiellement créée pour “secourir les migrants en détresse en Méditerranée”. C’est avec des formules hypocrites de ce genre que la bourgeoisie de l’UE, comme nous l’avons déjà souligné, finance la Turquie d’Erdogan pour retenir dans les camps d’internement les migrants aux frontières syrienne et irakienne.
En septembre 2015, la commission européenne demandait aux États membres d’accueillir près de 100 000 personnes (ce qui n’est presque rien comparé à la masse des migrants). En mai 2018, à peine le 1/3 avait été accueilli. La France, “patrie des droits de l’homme”, n’a atteint que 25 % de son objectif. Ce constat montre bien que les discours grandiloquents des principaux chefs politiques de la bourgeoisie, appelant à “l’esprit de responsabilité” et à la “solidarité”, s’effacent derrière le calcul froid de chaque gouvernement visant à réguler le nombre de réfugiés en fonction des intérêts de chaque capital national et de la charge que cela peut faire peser sur l’État. De là, découle en partie les frictions et les divisions au sein de la bourgeoisie sur la question.
Un durcissement des mesures anti-migration
Tous les gouvernements durcissent jour après jour la politique déjà draconienne envers les migrants. En France, Macron mène une politique encore plus brutale que ses prédécesseurs, y compris Sarkozy et son discours anti-migrants nauséabond, comme en témoigne la loi “immigration et asile” adoptée en 2018 : accélération des procédures d’expulsion de plus en plus arbitraires, allongement des mesures de rétention, “vidéo-audience”… Le Ministre français de l’Intérieur a également fait passer une circulaire qui prévoit de recenser les migrants dans les centres d’hébergements. Cette circulaire est présentée comme le moyen de connaître les “publics” hébergés et de les orienter en fonction de leur situation. En réalité, cette politique, comme celles de tous les autres pays “civilisés” et “démocratiques”, assimile les migrants à des troupeaux humains qu’il faut trier, parquer et refouler au maximum dans leur pays d’origine pour les exposer à nouveau aux ravages de la guerre, à la famine et aux maladies.
En Italie, la chambre des députés a adopté un décret-loi controversé, exigé par Matteo Salvini, Ministre de l’intérieur et chef de la Ligue (extrême-droite) durcissant sa politique d’immigration. Concrètement, le gouvernement italien réunira désormais les centaines de milliers de demandeurs d’asile dans de grands camps de concentration par mesure d’économie et généralise l’utilisation du pistolet électrique ! Toute expression de solidarité envers les migrants est présumée relever de l’ “aide à l’immigration clandestine” et systématiquement punie par loi.
En Espagne, dès son arrivée au pouvoir en juin 2018, le gouvernement Sanchez avait accueilli “à bras ouverts” les 630 migrants de l’Aquarius et annonçait son intention de faciliter l’accès des sans-papiers aux soins. Près d’un an plus tard, le décret adopté en septembre 2018 n’est toujours pas appliqué dans l’enclave de Melilla. Pire, après l’annonce de ces mesures de pacotille, le gouvernement socialiste, sous prétexte de “garantir la sécurité” le long des clôtures de Ceuta et Melilla, “sans blesser” les migrants, prévoit de remplacer les barbelés par un nouvel “élément”… qui élèvera la clôture de 30 %, la faisant atteindre 10 mètres de haut par endroits. C’est ce que le gouvernement qualifie de “frontière plus sûre mais aussi plus humaine” ! Par ailleurs, la présence de la Guardia Civil a été renforcée dans de nombreux points stratégiques, et ces derniers sont désormais équipés de détecteurs de rythme cardiaques mobiles afin de pouvoir “localiser et neutraliser” les migrants. Bien sûr, les autorités prétendent que ces mesures visent à “assurer la sécurité des personnes, des installations et du public”.(5) En réalité, elles ne font que perfectionner la gestion policière et répressive. À Melilla, depuis février, près de 2 500 migrants ont été interceptés après la mise en place d’un dispositif permettant d’empêcher l’accès à la zone portuaire et l’installation de concertinas (des barbelés munis de lames de rasoir !).
Le “droit d’asile” existe bel et bien dans les grandes démocraties, parfaitement défini par les règles de la convention de Genève de 1951. Mais en réalité, l’élasticité de son contenu permet à n’importe quel État de le restreindre au maximum par tout un tas d’artifices juridiques et par une véritable barrière bureaucratique. Dans la pratique, ce droit n’est appliqué qu’au compte-goutte selon des critères ultra-sélectifs. La fonction de ce droit d’asile est avant tout idéologique. Elle sert à diviser les migrants entre, d’une part, une grande majorité “d’indésirables”, taxés de “réfugiés économiques” venant “profiter” de droits coûteux sur le dos des travailleurs autochtones et, d’autre part, une infime minorité qui après avoir franchi une muraille administrative peut espérer l’asile. À travers ces quelques exemples, on voit bien que le droit d’asile n’est qu’une couverture idéologique, une hypocrisie des plus ignobles, permettant non seulement de justifier le flicage et la bunkerisation des États, mais de compléter en plus les murs physiques et les barbelés dressés contre les migrants par tout un arsenal bureaucratique tout autant infranchissable.
Les campagnes anti-migrants contre la classe ouvrière
La bourgeoisie des pays centraux du capitalisme ne se contente pas de repousser les migrants en dehors des frontières, elle instrumentalise le phénomène afin de porter ses attaques contre la conscience de la classe ouvrière à travers une propagande anti-migrants d’ampleur consistant à jeter la suspicion et la méfiance. Au nom de la “sécurité des citoyens”, la classe dominante diffuse la peur de l’autre, de l’étranger, en exploitant le moindre relent xénophobe pour l’amplifier tout en se parant à la fois des vertus du droit et de la démocratie. Des débats télévisés sont consacrés un peu partout à des discussions sans fin sur le coût de chaque migrant ou sur le “droit du sol” de tel ou tel État. Bien souvent, les indemnités misérables accordées aux migrants sont cyniquement comparées aux maigres retraites ou aux bas salaires dévolus aux ouvriers. Un tel discours ne fait qu’attiser les divisions au sein même des exploités, attiser la méfiance et la concurrence sauvage entre les immigrés et les autochtones.
Les populistes ont ainsi beau jeu d’appeler à l’expulsion de tous les migrants et au rétablissement des frontières (les milliers de victimes de noyade dans la Méditerranée seront heureux d’apprendre que les frontières avaient disparues !). C’est le même discours en Italie, derrière les Salivini et consorts, le même discours de l’extrême-droite en Espagne, en Allemagne, en Pologne, en Hongrie et ailleurs.
Les mesures administratives, les “centres de tri”, l’ensemble des mesures toujours plus barbares pour refouler sans ménagement des êtres humains vers les régions qu’ils ont fuies ont un bel avenir sous le règne du capitalisme décadent. Le prolétariat ne doit pas se faire d’illusions, le capitalisme devenu sénile ne peut que générer plus de chaos et d’insécurité. Ce sont des populations toujours plus nombreuses et massives qui devront tenter de fuir des régions toujours plus dévastées et inaptes à la simple survie. Les migrants ne sont pas les “concurrents” des prolétaires des pays “riches” mais des victimes du même système que celui qui les exploite et les précarise à la fois. Dans tous les pays les plus développés de la planète, la bourgeoisie ne cessera pas, d’ailleurs, de développer ses campagnes idéologiques infâmes afin de justifier une politique toujours plus inhumaine aux yeux du prolétariat.
Il est important de comprendre que le prolétariat est seul à pouvoir développer une véritable solidarité avec ceux qui sont en réalité ses frères de classe et non des “ennemis” ou des “menaces”. Ce ne sont pas les migrants qui portent les attaques contre nos conditions de vie, mais bien le capital. Les “droits de l’homme” et le “droit d’asile” ne sont que des mensonges éhontés provenant de la bouche de ceux qui sont responsables de ces mouvements migratoires massifs. Les prolétaires n’ont pas de patrie, ceux exploités dans les pays développés comme ceux fuyant les horreurs du capitalisme. C’est une seule et même classe qui doit combattre ce système en pleine putréfaction.
Martine, 27 juin 2019
1 “En Libye, le tragique bilan de la fermeture des ports italiens”, RFI (15 juin 2019).
2 “Les migrants relégués de l’île grecque de Lesbos”, La Croix (18 décembre 2018)
3 “La crise migratoire persiste dans l’imaginaire européen”, Euractiv (20 féviers 2019)
4 “L’arrivée de réfugiés est une opportunité économique”, Le Figaro (7 septembre 2015).
5 Extrait d’un communiqué de la Guardian Civil daté du 6 avril 2019.