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Nous publions ci-dessous un tract (signé “Fil Rouge”) sur le mouvement des “gilets jaunes”. Rédigé par des camarades issus de la tradition dite “bordiguiste”, ce tract représente une des rares voix de classe qui s’est manifestée au sujet des “gilets jaunes”. Ce mouvement, en dépit de la sympathie qu’il a pu susciter dans la population, reste extrêmement dangereux pour la conscience de classe du prolétariat. Sans lien avec la pratique héritée du mouvement ouvrier, exprimant des idéologies étrangères au prolétariat, nous l’avions dès le départ qualifié de mouvement “interclassiste”. Un certain nombre de prolétaires, parmi les plus fragilisés et marginalisés, ont en effet été entraînés dans le sillage de la révolte de petits patrons indépendants et autres couches petites bourgeoises. Le contenu du tract, à juste titre, fait mention de cette réalité. Bien que nous ne partagions pas tous les points d’analyse du tract (par exemples les notions d’indifferentisme et de classe moyenne, idées que nous critiquons et dont nous sommes prêts à débattre ultérieurement), nous le soutenons pleinement pour le diagnostic politique qu’il établit sur la nature de ce mouvement et pour l’orientation qu’il est capable de donner, celle de la nécessaire autonomie du prolétariat. Comme le disent les camarades, “la tâche des marxistes est donc de réarmer le prolétariat de sa doctrine et préparer la mort historique du capitalisme, réfutant dans le même temps toute l’idéologie des classes moyennes”. Le tract souligne que “notre bataille est celle d’une classe qui s’affronte au capitalisme mondial, à un complexe industriel qui parcourt la planète et met en relation les salariés du monde entier. Ce défi ne peut être affronté que par l’internationalisme et certainement pas par le localisme”. Ceci s’inscrit dans une démarche qui est celle de la tradition de la Gauche communiste, tant par le rejet de l’interclassisme que par la défense de l’autonomie de classe.
RI, 15 février 2018
Gilets jaunes : ni participation, ni indifférence
Les récentes mobilisations des gilets jaunes rendent visibles à la fois un processus de crise et une modification de l’équilibre social et constituent un exemple de l’érosion des “classes moyennes”. C’est un processus international produit de l’impérialisme et de la crise qui traverse le système capitaliste, basé sur les monopoles et la concurrence, et qui présente en France des caractéristiques particulières dues au “retard” historique du capitalisme français.
Dans les nations où la “révolution industrielle” s’est effectuée plus rapidement, comme l’Angleterre et l’Allemagne, le poids politique des classes moyennes a été bien plus marginal. En France, au contraire, ce sont la paysannerie, les artisans et la petite bourgeoisie qui furent les représentants sociaux des classes dirigeantes. De Napoléon jusqu’à nos jours, le pouvoir s’est appuyé sur ces couches sociales pour garantir sa stabilité basée sur le monde agricole et sur un réseau dense de villes de petite et moyenne dimension. Cette situation, ainsi que certaines conditions particulières du colonialisme français, expliquent pourquoi les principales métropoles se sont développées à la périphérie du pays. Le développement de métropoles à l’intérieur aurait détruit les équilibres de cette “France profonde”.
Sous la pression énorme de l’internationalisation de l’industrie et des flux financiers, ce bloc de classes se lézarde et finira par sauter. Les attaques du gouvernement Macron contre ces classes moyennes (en terme électoral, il se tire une balle dans le pied et avantage indirectement le Rassemblement National) est révélateur du processus de prolétarisation des classes moyennes pendant les périodes de turbulence économique du capitalisme.
D’un côté, le prolétariat, à travers l’automatisation de la production, le poids toujours plus grand de la finance, et par conséquent, l’augmentation du chômage, les coupes dans les budgets de la santé, de l’école et des services en général, se voit de plus en plus coupé du capital et de son État, d’un autre côté les classes moyennes doivent absorber le plat indigeste qui a suivi le banquet des soi-disant “Trente Glorieuses”. Et ce n’est pas un hasard si en Europe plusieurs gouvernements pensent réintroduire la conscription pour rétablir un lien entre eux et les citoyens en général et pour affronter les conflits internes et externes qui ne peuvent que se multiplier avec la crise.
Face à cette situation, les classes moyennes qui ont d’abord manifesté contre l’augmentation du prix des carburants en sont venues à la bataille contre la fiscalité et les taxes en général, tout en demandant à l’État français un renforcement du protectionnisme (contre les marchés internationaux). Un programme qui en France est réclamé aussi bien dans l’extrême-droite que dans l’extrême-gauche parlementaire.
La radicalité et la violence des manifestations (même si elles sont exagérées par les médias dans ce cas, notamment quand on fait la comparaison avec le nombre de manifestants comptabilisés lors du mouvement contre la Loi travail) sont des phénomènes endémiques des classes moyennes qui, lorsqu’elles sont attaquées, réagissent de manière schizophrénique, ne pouvant adopter un programme historique propre, et oscillant entre le parti de la bourgeoisie et celui du prolétariat.
Ce n’est pas un hasard si les mots d’ordre avancés sont anti-partis et anti-syndicats. Les bourgeois conséquents se servent eux de la politique (les partis) et utilisent les syndicats comme structure d’intégration de la classe salariée.
Il y a, inévitablement, au sein de ces mouvements “populaires”, des fractions du prolétariat, qui ne sont pas toutes liées à l’aristocratie ouvrière, poussées par les événements à participer à ces manifestations. La question des taxes sur les carburants, du coût des déplacements, sont des questions sociales qui se posent de manière transversale. Le poids politique du prolétariat dans ces mouvements est cependant dérisoire car la demande de défense des “privilèges” du passé est antagoniste avec sa nature qui, en tant que dernière des classes exploitées, a un programme historique d’abolition du système lui-même.
L’accusation récurrente faite aux révolutionnaires, à ceux qui défendent le programme communiste, est celle d’être des doctrinaires schématiques et donc d’être incapables de voir la diversité de la réalité, s’obstinant à séparer en deux, à la serpe, la société : d’un côté la bourgeoisie, de l’autre le prolétariat. A l’inverse, les démocrates rejettent les schémas dogmatiques de l’ “archéo-marxisme”, prétendant analyser la société suivant ses expressions multiformes et leur attribuer une valeur démocratique sinon de… progrès. Au sommet, se situeraient les grands propriétaires fonciers et les industriels les plus réactionnaires, partisans d’une réaction pré-bourgeoise. En dessous, la grande bourgeoisie industrielle et financière, conservatrice mais pas réactionnaire. En continuant à descendre l’échelle, on arrive aux classes moyennes qui, écrasées par les classes mentionnées précédemment, réclament la démocratie la plus large. Enfin, au plus bas étage, on trouve le prolétariat qui devrait s’allier, soit à la bourgeoisie en cas de danger ’d’involution autoritaire’, soit avec les classes moyennes lorsque des conquêtes démocratiques sont à réaliser, mais en ne lui reconnaissant jamais des buts propres en opposition à ceux de tout le corps social. Nous nous gardons bien de repousser l’accusation de schématisme doctrinaire, bien au contraire nous le revendiquons. Nous sommes schématiques en tant que nous nions aussi bien aux résidus de la classe des propriétaires fonciers ayant survécu à la révolution bourgeoise, qu’aux classes moyennes, la possibilité d’élaboration de buts historiques et d’un programme propre. Et nous le sommes en affirmant que le développement de la lutte de classe, et donc son issue historique seront déterminés par l’issue du choc entre bourgeoisie et prolétariat. Mais ceci n’empêche pas le parti prolétarien de reconnaître et d’analyser, à la lumière de la doctrine marxiste, l’existence d’autres classes que la bourgeoisie et le prolétariat, en particulier les classes moyennes, et d’élaborer un type d’actions tactiques à leur égard pour les attirer dans le camp de la lutte prolétarienne, sans pour autant concéder quoi que ce soit à leurs “exigences spécifiques” petites-bourgeoises. Et en se gardant tout au contraire du danger que leur idéologie hétéroclite ne s’instille au sein du parti prolétarien au risque de perdre sa physionomie de classe et l’empêcher de développer son rôle autonome. Car ce serait alors transférer ce rôle au grand capital qui est le représentant politique de ces classes moyennes.
La tâche des marxistes est donc de réarmer le prolétariat de sa doctrine et préparer la mort historique du capitalisme, réfutant dans le même temps toute l’idéologie des classes moyennes. La lutte ouverte et déclarée contre la mentalité et les préjugés petits-bourgeois ne veut absolument pas dire que nous donnons pour établi le fait que la petite bourgeoisie dans son ensemble se portera du côté du prolétariat, l’expérience historique nous ayant rendu plutôt pessimistes quant au choix que celle-ci effectuera lors du processus révolutionnaire. L’unique moyen pour attirer les classes moyennes petites bourgeoises du côté de la classe ouvrière est de combattre vaillamment leur idéologie et, sans attendre que notre propagande puisse avoir un large succès, expliquer que le capitalisme, inévitablement, les prolétarisera et qu’en conséquence, leur seule voie de salut est (non comme petits-bourgeois mais comme prolétaires de demain) d’appuyer la lutte pour l’émancipation du prolétariat, laquelle est aussi celle de l’espèce humaine. Ce qui caractérise principalement les classes moyennes, c’est leur indétermination, leur capacité à passer avec la plus grande facilité d’une position à son opposé. La très grande hétérogénéité de ces couches sociales les divise en trois parties du point de vue de leur destinée future : une partie disparaîtra sous le régime de production capitaliste lui-même ; une autre partie, du fait du caractère non homogène du développement capitaliste, survivra, au moins pour une certaine période, au sein du régime bourgeois ; une dernière se fondra dans la nouvelle organisation économique socialisée.
La défense du programme communiste se manifeste également dans le fait de refuser tout localisme, tout protectionnisme archaïque, de céder aux requêtes des classes moyennes et de l’aristocratie ouvrière qui, au nom de la défense des droits des travailleurs, face à la menace de la misère représentée par les travailleurs immigrés, demandent de manière plus ou moins voilée de nouvelles barrières. Notre bataille est celle d’une classe qui s’affronte au capitalisme mondial, à un complexe industriel qui parcourt la planète et met en relation les salariés du monde entier. Ce défi ne peut être affronté que par l’internationalisme et certainement pas par le localisme.
Face au mouvement actuel des gilets jaunes, nous ne sommes ni participants ni indifférents. La prolétarisation de nouvelles couches sociales est une loi du système capitaliste.
Cette prolétarisation ne doit pas pousser les communistes à défendre le “vieux monde” mais signifie au contraire saluer l’augmentation de l’armée prolétarienne dans sa lutte titanesque, bien qu’encore souterraine aujourd’hui, contre le monstre Capital. Ne pas accepter cette position, c’est succomber face à notre ennemi historique, le parti de la bourgeoisie, en donnant de la force, inconsciemment ou non, à de nouveaux mouvements réactionnaires de masse.
POUR L’AUTONOMIE PROLETARIENNE !
POUR LE PARTI DE CLASSE !
Le Fil Rouge