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Les 4 et 5 novembre, impatient de rompre le statu
quo imposé par la France qui limite son autorité sur
le Sud du pays depuis janvier 2003 à travers les accords de
Marcoussis, le président ivoirien Gbagbo a fait bombarder
les deux villes du Nord (Bouaké et Korhogo) contrôlées
par les forces rebelles. Le président ivoirien pensait
bénéficier de la complicité du gouvernement
français qui avait pendant des mois délibérément
fermé les yeux sur l’accélération de ses
préparatifs guerriers. Puis, voyant que Paris hésitait
à le suivre, le pouvoir ivoirien a voulu lui forcer la main
en bombardant la position des forces françaises à
Bouaké, faisant neuf morts (plus un civil américain)
et 22 blessés dans ses rangs. La réplique de Chirac
a été immédiate : il a ordonné
aussitôt en représailles la destruction au sol de
« l’aviation ivoirienne » composée
en tout et pour tout ... de deux avions et de cinq hélicoptères
de combat.
Gbagbo a alors déchaîné une vaste « chasse
aux Blancs », de véritables pogroms
anti-français en poussant une masse surexcitée de
miséreux lumpénisés, les « patriotes »,
à assiéger les maisons, les écoles, les
bâtiments abritant des ressortissants français et à
se livrer à des viols, des pillages, des saccages et des
incendies, tandis que des témoins ont rapporté que
l’armée française n’a pas hésité,
elle, à tirer sur la foule hostile. Tout cela est venu
renforcer encore le climat de chaos, de violence et de terreur qui
a régné plusieurs jours sur la capitale, Abidjan. Le
bilan actuel mais encore très flou de ces tueries se
solderait par des centaines d’autres victimes civiles
ivoiriennes.
Le véritable rôle et les objectifs de la France
La France se retrouve désormais ouvertement en première
ligne dans le bourbier ivoirien.
Avec plus de 5200 hommes de troupe du dispositif Licorne et
avec le renfort depuis juillet 2004 de 6200 « casques
bleus » dépêchés par l’ONU, la
France contrôlait déjà militairement le pays
comme force d’interposition et « de maintien de la
paix » entre les forces gouvernementales du Sud et les
troupes rebelles au Nord. Alors que jusqu’ici, la France
prétendait être sur le terrain pour «instaurer
la paix» sous mandat de la légalité onusienne,
ce masque est en train de tomber, révélant que son
seul objectif réel, c’est le maintien stratégique
de sa présence militaire en Côte d’Ivoire, c’est
la sauvegarde de ses sordides intérêts impérialistes
en Afrique. Comme il a déjà été
évoqué, un fort contingent de « casques
bleus » était présent en Côte
d’Ivoire, censé assurer la protection des populations.
Qu’a-t-il fait ? Rien. Il n’est nullement intervenu. Cela
montre que le véritable rôle de l’ONU, ce n’est
pas d’assurer la « protection des populations
civiles » comme elle le proclame, mais bien de servir
en toute hypocrisie de couverture légale aux crimes et aux
agissements des grandes puissances impérialistes. Cela
n’est pas nouveau. Les « forces de l’ONU »
étaient présentes pour les mêmes raisons lors
des tueries du Rwanda en 1994, encore au profit de la France.
C’était toujours la même fonction qu’assumait
l’ONU plus récemment, en mai 2003, lorsque 60 000
personnes ont été massacrées dans la province
d’Ituri, au Nord-Est de la République Démocratique
de Congo. Les 5000 « casques bleus »
présents en RDC s’étaient tenus à l’écart
des lieux de ces massacres interethniques téléguidés
par plusieurs grandes puissances alors que l’ONU était
parfaitement au courant de leurs préparatifs.
Depuis l’ère gaullienne, la France avait maintenu sa domination impérialiste héritée de son empire colonial en apportant un appui indéfectible au dictateur Houphouët Boigny de 1960 jusqu’à sa mort en 1993. Enfin, face aux nouvelles luttes de cliques et de factions au sein de l’armée, elle a fini par s’appuyer sur une couverture électorale et démocratique, portant Gbagbo à la tête de l’Etat après une série de règlements de compte sanglants entre plusieurs factions. Depuis son investiture, ce dernier a jalonné son pouvoir de campagnes xénophobes en faveur de « l’ivoirité », pour éliminer ses principaux rivaux. Il l’a surtout ponctué de plusieurs charniers et de massacres faisant plusieurs centaines des morts dont le plus connu s’est déroulé en mars 2004 où, sous prétexte de repousser de manifestation de l’opposition qu’il avait interdite, Gbagbo a envoyé ses chars et ses « escadrons de la mort » dans les quartiers d’Abidjan pour assassiner une partie de la population supposées appartenir aux forces rebelles. Ces tueries se sont déroulées avec la complicité directe de la France et sous les yeux de plus de 4000 militaires français qui n’ont pas levé le petit doigt pour venir porter secours aux victimes essentiellement civiles.
Depuis 1999, la Côte d’Ivoire, jadis présentée comme « vitrine » de la stabilité économique et politique de l’Afrique francophone se retrouve au cœur des turbulences et de la décomposition sociale qui secouent le continent africain depuis la disparition des blocs. En fait, depuis 15 ans, la France a perdu beaucoup de son influence, de son prestige et de ses positions stratégiques essuyant d’importants revers notamment à travers la mise en évidence de sa responsabilité et de ses crimes dans les massacres au Burundi et au Rwanda en 1993/1994 et la perte du Zaïre en 1997. Elle se heurte d’ailleurs à la rivalité croissante de l’impérialisme américain, malgré les difficultés de ce dernier à opérer des percées significatives et durables.
Malgré l’implosion de son pré carré ivoirien en décembre 1999 et surtout depuis la réorganisation stratégique de ses bases militaires en Afrique, la France avait décidé de renforcer son dispositif militaire en Côte d’Ivoire et de s’y maintenir coûte que coûte. Avec le Sénégal, la Côte d’Ivoire est l’un des deux pays clés de son dispositif militaire qui permet de maintenir sa présence sur le sol africain. Les affrontements entre forces rebelles et gouvernementales et la tentative de coup d’État de 2002 lui ont fourni l’occasion pour justifier sa présence militaire massive et de tenter de reprendre les choses en mains au niveau diplomatique avec les accords de Marcoussis en janvier 2003. Depuis lors, la France a tenté de jouer sur la division et les rivalités entre les forces gouvernementales et les forces rebelles pour jouer les arbitres en se posant comme garant de la paix. Cela l’arrangeait de ne pas choisir et de ne pas favoriser trop un camp contre l’autre. Mais aujourd’hui le climat d’instabilité est tel que cette stratégie qui tendait à la faire apparaître dans un rôle « pacificateur » au dessus de la mêlée s’est avérée intenable et qu’elle a constitué au contraire un puissant facteur de perte de contrôle. Sur ces deux plans, militaire et diplomatique, l’impérialisme français n’a jamais pu imposer ses orientations. Au contraire, il n’a aucun allié déclaré parmi les forces qui s’affrontent sur le terrain ivoirien. Son attitude qui consiste à prétendre être «neutre» par rapport aux divers belligérants, ne l’a d’ailleurs pas empêché de soutenir en sous-main alternativement telle ou telle clique et d’être impliquée à plusieurs reprises dans des tueries, sans jamais l’assumer publiquement. C’est dans ce cadre que les « accords de Marcoussis » ont été réactualisés à plusieurs reprises sans aucun succès et sans aucun effet sur le terrain à Accra au Ghana (baptisées accords Accra I, II et III) afin de relancer le « processus de paix » en passant par la réforme des institutions politiques, parallèlement au désarmement des forces rebelles. Mais en réalité toute cette période a été mise à profit par tout le monde pour s’armer massivement en vue d’en découdre pour de bon dès que possible. C’est cette ligne politique totalement incohérente et intenable qui a plongé la France dans l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, où elle est acculée à la fuite en avant dans la confrontation militaire directe pour défendre ses intérêts.
Une bataille de charognards impérialistes
La bourgeoisie française est dans l’impasse. Elle est isolée, encerclée par une multitude d’ennemis en Côte d’Ivoire, sans compter la menace de pogrom qui pèse sur ses ressortissants (otages potentiels des «forces patriotes» des partisans de Gbagbo).
Ce qui est clair, c’est que sa présence militaire ne saurait, elle, être mise en question. Si la situation a contraint la France à évacuer en toute hâte une bonne partie de ses ressortissants civils vivant dans le pays, elle lui a aussi permis de renforcer ses effectifs militaires. Alors que le masque humanitaire de la France est déjà mis à mal en Afrique depuis sa responsabilité avérée dans les massacres et le génocide rwandais en 1994, l’évacuation de ses ressortissants civils va pousser l’impérialisme français à s’enfoncer dans une nouvelle escalade militaire avec son armée de professionnels. Celui-ci va se donner les coudées plus franches pour des opérations de « nettoyage » et pour se livrer à de nouveaux massacres guerriers. Toutes proportions gardées, la France est condamnée à la même fuite en avant que les États-Unis, à se dépouiller de plus en plus de ses hypocrites alibis de force de maintien de la paix pour se montrer sous son vrai jour impérialiste en imposant brutalement un rapport de forces sur le terrain militaire. La bourgeoisie française ne peut pas se permettre d’abandonner la Côte d’Ivoire à ses adversaires impérialistes sous peine de se retrouver rapidement éjectée du continent africain tout entier.
La situation tend désormais à s’enfoncer dans une spirale meurtrière de plus en plus irrationnelle et de plus en plus difficilement contrôlable.
Cette perspective, avec tous les dangers de dérapage qu’elle comporte, est d’autant plus ouverte que la situation évolue au milieu d’un véritable panier de crabes impérialistes.
La rupture est désormais profonde entre Gbagbo et la France, symbolisée par la destruction de l’aviation ivoirienne par l’armée française. Plus généralement, depuis le début des hostilités, on entend nombre de dirigeants proches du pouvoir ivoirien, comme le président de l’Assemblée nationale, Koulibaly prononcer ouvertement des déclarations de guerre incendiaires contre la France.
Depuis 2002 Gbagbo n’a cessé d’entraîner une partie de la population vers de pires déchaînements de l’hystérie nationaliste et xénophobe armant des milices de « patriotes » au nom de « l’ivoirité » contre l’occupant français comme contre les autres ethnies africaines « étrangères » comme les Burkinabe.
La bourgeoisie française a entrepris de se serrer les coudes pour défendre ses intérêts. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le soutien sans réserve que le PS a apporté à la «fermeté» de Chirac et du gouvernement français dans la crise ivoirienne actuelle en allant jusqu’à décider de rompre publiquement avec leur «camarade» de l’Internationale socialiste, Laurent Gbagbo.
Ce dernier a cependant d’autres alliés de circonstance dans la région à travers sa récente alliance avec la Mauritanie, la Guinée et le Togo, pays qui cherchent en découdre avec le Burkina, accusé de déstabiliser leurs régimes.
Le président ivoirien peut compter sur d’autres soutiens plus discrets comme le Ghana, mais aussi il dispose d’un fort capital financier qui lui permet de se payer un très grand nombre de tueurs professionnels, comme les mercenaires qui pilotaient ses avions.
De leur côté, bien qu’affaiblis par des luttes intestines et de règlements de comptes sanglants, les groupes rebelles multiplient les manœuvres et les déclarations va-t-en guerre d’où leur refus d’être désarmés comme le préconisait l’ONU.
Par ailleurs, les rebelles peuvent compter sur le Burkina-Faso réputé être leur soutien le plus sûr dans la région, sans compter la Libye.
Certains secteurs de la bourgeoisie française ne se sont pas privés de souligner que l’offensive de Gbagbo au lendemain de la réélection de Bush, n’était pas un simple hasard en soulignant l’attirance qu’a Gbagbo pour les États-Unis et la volonté de Washington de renforcer son influence en Afrique alors que l’Oncle Sam a beaucoup de mal à s’y implanter.
En fait, les États-Unis se sont ménagés plusieurs fers au feu puisque, tout en se laissant courtiser par Gbagbo, ils ont armé les rebelles en 2002 et ont continué à les aider discrètement depuis plusieurs mois. Tout en saluant officiellement la réaction de la France, plusieurs journaux américains proches du gouvernement Bush ont redoublé leurs charges anti-française en pointant du doigt les incohérences de la politique française et son incapacité à gérer les « affaires africaines ». Ils ont beau jeu de voir la France s’enliser et attendent de pouvoir lui mettre plus activement d’autres bâtons dans les roues.
Toutes les conditions sont réunies pour que le chaos devienne plus sanglant encore avec la forte probabilité de l’implication militaire plus directe de l’impérialisme français. Cette implication criminelle de l’impérialisme français en Afrique ne peut que mettre à mal le mensonge activement répandu ces derniers temps, en particulier par la bourgeoisie française, qui désigne les États-Unis comme seuls fauteurs de guerre dans le monde.
C’est une dimension encore plus large du conflit ivoirien qui se prépare non seulement avec un risque d’"irakisation" de la Côte d’Ivoire mais aussi avec un danger d’extension du conflit aux États voisins, d’un embrasement généralisé de la guerre civile dans la région et de déstabilisation en Afrique occidentale.
L’enlisement, le pourrissement du conflit est inévitable pour l’impérialisme français comme pour cette partie de l’Afrique dans le contexte du chacun pour soi et de la guerre de tous contre tous.
La Côte d’Ivoire est un nouvelle illustration du sort effroyable que le capitalisme réserve pour le présent et pour l’avenir à tout le continent africain. La population de ce pays est désormais exposée en permanence à la misère et à la guerre, à la famine et aux massacres, subissant en première ligne les effets de la décomposition sur le plan social comme sur le plan économique, au milieu d’une prolifération des charognards impérialistes et d’une multiplicité de cliques bourgeoises locales rivales, défendant chacune ses propres intérêts.
Elle est ainsi l’illustration de la barbarie guerrière dans laquelle le système capitaliste enfonce de plus en plus l’humanité.
W. (14 novembre 2004)