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Le jour même de l’investiture du nouveau président du Mexique et alors que se déroulaient des manifestations contre lui, de violents affrontements avec la police ont eu lieu en plein centre de Mexico, quadrillé par un service d’ordre impressionnant, sous l’impulsion de provocateurs infiltrés dans des groupes de jeunes manifestants, et notamment en excitant de petits groupes anarchistes. Les charges policières très violentes se sont soldées par un mort, plusieurs dizaines de blessés et près d’une centaine d’arrestations arbitraires. Aujourd’hui, encore une quinzaine d’inculpés victimes de cette répression restent en prison dans l’attente de leur procès. Notre section au Mexique a rapidement publié un article que nous reprenons ici pour tenter de tirer les principales leçons de ces événements pour notre classe.
Le 1er décembre, alors que Peña Nieto était investi comme nouveau président du Mexique1, des manifestations hostiles à son arrivée au pouvoir se déroulaient dans les rues. La pesante campagne électorale de la bourgeoisie avait réussi à ce que de larges masses d’exploités nourrissent l’espoir de voir les partis de la bourgeoisie, la démocratie et les élections, comme des instruments encore utiles pour s’opposer aux malheurs qu’impose le capitalisme. Cette confusion, qui empêche de voir le fond du problème et de désigner le capitalisme comme le véritable ennemi, a en même temps engendré un sentiment d’impuissance. Ce dernier se transforme parfois en bouillon de culture et se traduit par des actes de désespoir ouvrant ainsi la porte à toutes sortes de provocations.
Il est certain que le mécontentement et le ras-le-bol face à l’action des gouvernements se poursuivent et continuent à croître. Mais ceci, d’une manière qui ne favorise pas (du moins dans l’immédiat) une prise de conscience et une dynamique d’unité. D’un côté existe l’idée permanente qu’une force sociale alternative pourrait émerger sous la forme d’un “mouvement citoyen”, de l’autre, celle consistant à orienter cette rage exclusivement à travers des actions aveugles et désespérées. Ces dernières, même si elles se prétendent radicales, n’expriment rien d’autre qu’un volontarisme propre aux classes sans perspective historique. Ni l’une ni l’autre de ces deux formes d’expression ne conduisent à stimuler l’unité de la lutte. Au contraire, ces phénomènes sont les produits d'une perte d’identité politique et de l’infiltration d’idéologies étrangères au prolétariat, renforçant la confusion, l’impuissance et la division. C’est pour cela que le capital lui-même assure en maintes occasions la promotion de ces deux formes de manifestations.
Confusion et division, une ambiance propice à la provocation
Dans ce contexte, les manifestations du 1er décembre expriment un véritable mécontentement et un rejet ouvert de la politique qui prépare des coups plus forts contre les conditions de vie des exploités, mais ne trouvent pas les chemins qu’il faudrait emprunter pour y répondre. La bourgeoisie a donc su profiter de cette confusion de manière à ce que les forces de police du nouveau gouvernement fédéral, en lien avec celles du gouvernement de gauche de la capitale, se partagent les tâches pour monter une véritable provocation. Ils ont travaillé de manière coordonnée : d’abord, une de ces forces policières a préparé un scénario d’intimidation une semaine auparavant, en dressant des barrières métalliques pour fermer les avenues et les stations de métro. Après, les deux corps de police sont intervenus, profitant des actions confuses des manifestants, pour donner en réponse un assaut plus violent utilisant massivement des gaz éternuant et des balles en caoutchouc, causant des blessés, suscitant aussi l’indignation et la peur. Ils ont ensuite profité de la situation pour encercler et emprisonner de façon arbitraire les manifestants (y compris de simples passants). Parmi tout ce désordre, on notait la présence importante de groupes d’agents provocateurs en civil armés de chaînes (comme l’ont mis en évidence les photos diffusées par les réseaux d’Internet), qui se sont consacrés non seulement à repérer et ficher les manifestants mais de plus à les exciter à casser des vitres.
Ce qui s’est passé le 1er décembre a donc été un piège très bien planifié par la bourgeoisie. Il a été rendu possible par la confusion et le désespoir engendrés par la campagne électorale. Le stratagème cherchait non seulement à discréditer les protestations de jeunes qui continuent à rejeter le président élu (même si ces protestations restent très confuses) mais, surtout, à envoyer un avertissement intimidant à tous les travailleurs. L’intention est de les prévenir qu’au moment des attaques plus brutales envers leurs conditions de vie et de travail en général, les mobilisations ne seront pas tolérées. Elles devront s’attendre à être très mal reçues par un appareil répressif qui a déjà sorti ostensiblement les crocs ; appareil répressif provenant à la fois du gouvernement fédéral et du gouverneur de la capitale2, montrant une fois de plus que les partis se différencient seulement par la couleur qu’ils arborent et le verbiage qu’ils utilisent, mais se retrouvent unis dans leur chair pour défendre les intérêts du capital. Effectivement, le PRI ne doit pas revenir au pouvoir sans que tous les partis, comme toujours, n’activent leur union sacrée pour protéger la gouvernance qui convient à leurs petites affaires capitalistes.
Les affrontements et les dégâts qui se sont déroulés comme réponse au retour du PRI au gouvernement, ont pu faire les titres de première page des quotidiens, capter l’attention des porte-paroles officiels et mettre sans doute en évidence l’attitude bestiale de ceux qui nous gouvernent, que ce soit le PRI ou le PRD. En quoi ces moyens ont-ils permis de faire avancer la prise de conscience ? Quel rôle peuvent jouer les exploités et en particulier la classe ouvrière dans ce type d’expressions ? Quelle différence existe t-il entre les appels à suivre un genre de messie comme López Obrador et suivre une minorité jetant des pierres et des cocktails Molotov ?
Le mécontentement qui se nourrit de la misère qu’impose le capital et la colère face à l’action prédatrice des gouvernements, réclament des ripostes massives et conscientes dans lesquelles les exploités et les opprimés ne seraient pas de simples pions aveugles ou des victimes de la répression, mais des sujets actifs, capables de prendre en mains leur propre combat et définir leurs buts.
Comment peuvent lutter les exploités
La seule classe qui puisse transformer le monde que le capital est en train de détruire à toute vitesse, maintenant dans l’exploitation et la misère des millions de personnes, c’est le prolétariat. Mais cette classe se voit soumise à un bombardement idéologique incessant qui cherche à éviter que ne se consolident les armes principales sur lesquelles elle peut compter, à savoir : sa conscience et son organisation. La bourgeoisie tente donc de la domestiquer, de la réduire à la condition de citoyenneté, à lui faire espérer tout du vote et du cadre institutionnel comme elle le fait avec les autres classes, telles que la petite-bourgeoise, elle aussi opprimée par la classe dominante mais qui n’a pas de perspective d’avenir. C'est pour cela qu’elle la fait cohabiter dans son schématisme social avec le prolétariat, pour essayer de le contaminer de son désespoir, de son manque de confiance et ainsi encourager des ripostes aveugles et désespérées. Non seulement ces dernières n’aident en rien le processus de prise de conscience et le renforcement de la lutte contre le capital, mais se retournent en terrain propice pour que se glissent les provocations.
C’est pourquoi l’infiltration de l’idéologie bourgeoise ou petite-bourgeoise dans les rangs des prolétaires est un problème avec lequel on doit se confronter, c’est un danger qui nécessite qu’on le prenne en considération et que l’on y réfléchisse de manière ouverte.
Le résultat des charges policières du 1er décembre a eu pour conséquence la capture d’un peu moins d’une centaine de personnes qui se sont vues intenter des procès, qui ont subi des tortures et des vexations. Cela a permis en plus de lancer une campagne contre les anarchistes et contre quiconque ne se laisse pas encadrer dans les normes de leur démocratie, enfonçant davantage le clou de la confusion.
Face aux agressions contre les conditions de vie des travailleurs, comme celle de la “réforme du travail” menaçant d’augmenter les impôts, les prix et la répression, l’unique voie dont disposent les exploités est la lutte. Mais cela, sans tomber ni dans les illusions derrière les partis de gauche de la bourgeoisie (y compris le PRD, le PT, le Morena…)3, ni en menant des actions désespérées prônées par des groupes contaminés par l’idéologie petite-bourgeoise. Le véritable combat prolétarien nécessite des expressions massives et conscientes qui permettent le débat et la réflexion collective ouverte.
Nous ne prétendons défendre ni le pacifisme ni le légalisme. Le marxisme, dans son analyse matérialiste de l’histoire, peut comprendre que le prolétariat est l‘unique classe révolutionnaire capable de détruire le système capitaliste. Pour réussir cela, il devra recourir à la violence, mais pas de manière aveugle et comme produit du désespoir. C’est une violence consciente qui sera utilisée par les masses4. Cette conscience prolétarienne n'émerge pas comme imitation ou produit d’actions individualistes, même si elles se prétendent "héroïques" mais provient de la réflexion et de la compréhension de la condition d’exploité. De cette compréhension, elle tire sa force, son organisation, son unité, sa conscience. Elle possède ses propres méthodes de lutte, tout à fait contraires aux actions stériles que nous avons pu identifier dans les mouvements récents de protestation.
Revolution Mundial (5 décembre 2012)
1 L’investiture d’Enrique Peña Nieto au Mexique signe le retour au pouvoir du PRI- dénommé Parti Révolutionnaire Institutionnel (sic !) depuis 1946, ex-PNR (parti national révolutionnaire) puis PRM (parti de la révolution mexicaine) qui se réclame de l’héritage de la révolution nationale mexicaine de 1910 et a exercé la fonction gouvernementale de façon quasiment ininterrompue depuis 1928, à l’exception de la période entre 2000 et 2012 où c’est le PAN, parti de “droite” plus marqué par une politique d’alliance avec son puissant voisin, les Etats-Unis, qui a pris les rênes du pouvoir sous Fox entre 2000 et 2006 puis Calderon entre 2006 et 2012(NdT).
2 La municipalité de Mexico est, elle, dirigée par le PRD (Parti de la Révolution Démocratique), parti “de gauche” qui provient d’une scission du PRI depuis 1989. Il est d’ailleurs significatif de noter que, lors de l’investiture de Peña Nieto, les trois partis, le PRI, le PAN et le PRD viennent de cosigner un “Pacte social” qui consacre leur volonté de travailler ensemble “pour le bien de la Patrie”, c’est-à-dire pour mener des attaques plus féroces contre les travailleurs… (NdT)
3 Le PT (Parti du Travail) est une des composantes de la gauche de tendance “gauchiste”. Quant au MORENA (Mouvement de Régénération Nationale), animé par l’ex-candidat du PRD, López Obrador, il fait désormais figure de gauche parlementaire plus radicale dans son opposition au gouvernement, à l’instar de Die Linke en Allemagne ou du Front de Gauche de Mélenchon en France (NdT).
4 Voir notre article “Terreur, terrorisme et violence de classe”, in Revue Internationale numéro 14, 3e trim. 1978 et le texte de notre résolution sur le même sujet publié dans le numéro 15 de notre Revue.