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Au mois de novembre 2012 est sorti le film Après Mai du réalisateur Olivier Assayas. En grande partie autobiographique, Olivier Assayas retrace la vie d’un groupe de jeunes pris dans l'effervescence politique de l’après-Mai 68. Le réalisateur fait ainsi revivre son expérience politique de l’époque : les manifestations, les collages d’affiches, les distributions de tracts, les divisions entre trotskistes, maoïstes et anarchistes... Par petites touches, le film montre les impasses dans lesquelles ces organisations gauchistes vont entraîner cette jeunesse de l’après-Mai. Le féminisme est ainsi montré à travers le refus de la soumission d’une personne vis-à-vis de son compagnon. Le film met en exergue les luttes de libération nationale, notamment à travers une réunion sur une place publique en Italie où un film est projeté par des éléments qui semblent appartenir au mouvement maoïste et où on glorifie la « lutte d’un peuple » (difficile de savoir lequel) qui a « chassé l’impérialisme américain » tant honni. L’anti-fascisme est également très présent à travers la confrontation entre des jeunes et des individus qu’ils stigmatisent comme « fascistes ». La question de l’autogestion, à travers une discussion dans un chalet, est également explorée sans oublier la question du pacifisme, que l’on voit à travers des réunions festives, où le peace and love s'affirme dans le sillage du mouvement étudiant qui avait surgi aux États-Unis « contre la guerre » et pour «la paix au Vietnam ». Le besoin de se réaliser individuellement, de « jouir sans entraves », notamment à travers l’expression artistique, sont soulignés par l'image. Un des jeunes, qui semble être le réalisateur du film, lit en effet le manifeste de l’Internationale situationniste1. Tout ceci constitue un bon tableau de ce qu’a été « l’après-Mai ».
Par contre, est complètement absent dans ce film ce qui a fait peur à la bourgeoisie à l'époque : la lutte massive de la classe ouvrière ! Pas une seule fois dans les discussions qu’ont entre eux les protagonistes du film n’est abordée ce qui fut la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier : neuf millions de grévistes ! Pas une réflexion pour comprendre la signification historique de cette grève ! Certainement que ce manque a du frustrer certains (es) qui sont allés voir ce film, ou en étonner d’autres. Mais doit-t-on être surpris par ce manque ? En réalité, pas vraiment, car les organisations gauchistes faisaient tout pour que la réflexion n’ait pas lieu. S’appuyant sur l’illusion très présente à l’époque au sein de la jeunesse que la révolution était « au coin de la rue », ils arrivaient à entraîner celle-ci dans des impasses, dans l’activisme qui allait mener à la démoralisation, voire au suicide, comme le montre un autre film de Romain Goupil : Mourir à trente ans.
Est-ce pour cela que dans une interview donnée au journal l’humanité datée du 14 novembre Olivier Assayas déclarait : « L’obsession de la politique était partout… Et c’est vrai qu’après un tel événement, elle formait une espèce de surmoi qui pouvait être étouffant. Il y a quelque chose de violent et de triste dans le gauchisme… »
Face à un « oubli » de taille, ce film doit être l’occasion de revenir sur l’après-Mai 68 mais du point de vue des révolutionnaires. Comme dit plus haut, Mai 68 fut la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier. Cette reprise de la lutte ouvrière n’a pas eu lieu qu’en France. Cette dernière était partie intégrante d’un mouvement international en réaction aux premiers effets de la crise économique ouverte : "Dans tous les pays industriels, en Europe et aux Etats-Unis, le chômage se développe et les perspectives économiques s'assombrissent. L'Angleterre, malgré une multiplication de mesures pour sauvegarder l'équilibre, est finalement réduite fin 1967 à une dévaluation de la Livre Sterling, entraînant derrière elle des dévaluations dans toute une série de pays. Le gouvernement Wilson proclame un programme d'austérité exceptionnel : réduction massive des dépenses publiques..., blocage des salaires, réduction de la consommation interne et des importations, effort pour augmenter les exportations. Le premier janvier 1968, c'est au tour de Johnson [Président des États-Unis] de pousser un cri d'alarme et d'annoncer des mesures sévères indispensables pour sauvegarder l'équilibre économique. En mars, éclate la crise financière du dollar. La presse économique chaque jour plus pessimiste, évoque de plus en plus le spectre de la crise de 1929 (...) Mai 1968 apparaît dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant en se détériorant" (Révolution Internationale, ancienne série n° 2, printemps 1969).
C’est ainsi qu’il y aura des luttes en Argentine et en Italie en 1969, en Allemagne et en Pologne en 1970, en Espagne en 1974, en Angleterre dans les années 1970, etc. Ce resurgissement des luttes à l’échelle internationale signifiait la fin de la contre-révolution faisant suite à l'échec de la Révolution en Russie dans les années 1920 et à l’ouverture d’une perspective vers des affrontements de classes qui allaient progressivement tendre à se généraliser.
Dans le même temps, ces premières luttes allaient voir timidement renaître les forces révolutionnaires à l’échelle internationale. Le mouvement massif de la classe ouvrière a remis à l’ordre du jour l’idée de la révolution communiste dans de nombreux pays. Le mensonge du stalinisme qui se présentait comme « communiste » et « révolutionnaire » a commencé à se lézarder. Comme le montre le film, cela allait profiter dans un premier temps aux groupes maoïstes et trotskistes. Et le développement des luttes suivi de l'effondrement du bloc de l'Est, les débuts de la remise en cause de l'emprise des syndicats, de la fonction de la farce électorale et démocratique comme instruments de la domination bourgeoise, allaient amener une petite minorité à se tourner vers les courants politiques qui, par le passé, avaient dénoncé le plus clairement le rôle contre-révolutionnaire des syndicats et la mystification parlementaire. Vers ceux qui avaient le mieux incarné la lutte contre le stalinisme : les groupes issus de la Gauche Communiste. C’est ainsi que va réapparaître sur les étals des librairies politisées qui ouvraient à l’époque, les écrits de Pannekoek, Görter, Rosa Luxembourg… De nouveaux groupes vont apparaître qui vont se pencher sur cette expérience de la Gauche Communiste et ses courants divers : les conseillistes, la Gauche italienne ou allemande... La notion de Parti faisant trop penser au stalinisme, ce sont davantage les positions conseillistes qui auront dans un premier temps un relatif succès. Cette effervescence politique allait voir surgir des groupes conseillistes en plus de ceux déjà présents, avec un certain succès en Europe : par exemple ICO en France, Solidarity en Grande-Bretagne. Une conférence internationale sera même organisée en Scandinavie en septembre 1977. Ce renouveau des positions de la Gauche Communiste allait se manifester aussi par la naissance et le développement de notre organisation, le Courant Communiste International2.
Dans l’interview citée plus haut, Olivier Assayas poursuivait en disant : « Mais, en même temps, la jeunesse avait foi dans le futur, dans la transformation possible de la société. Est-ce dépassé aujourd’hui ? Aux jeunes de se poser la question, de confronter leur jeunesse à la nôtre ».
Vis-à-vis des questions que pose Assayas, la réalité a montré ces dernières années que la jeunesse ne baissait pas les bras, qu’elle ne courbait pas l’échine vis-à-vis des attaques que lui imposait la bourgeoisie. On l’a vu, par exemple, lors de la lutte contre le CPE en 20063. Dernièrement, on a vu encore cette nouvelle génération très présente dans le mouvement des « Indignés », en Tunisie, Egypte, Israël, Etats-Unis, Espagne, Grèce, etc. Outre le fait de résister aux attaques liées à la crise historique du capitalisme, ces luttes ont fait surgir tout un tas de questionnements nourris par l’indignation face au capitalisme. Ceci s’est traduit par des discussions voulant comprendre le pourquoi de cette crise, comprendre qui pouvait changer la société et comment, pour quel futur. Ces questions ne sont pas nouvelles ! On peut les retrouver parmi la jeunesse de mai et de l'après- Mai 68. Mais, aujourd’hui, elles se posent avec encore plus d’acuité dans le contexte de no future que le capitalisme impose à l’ensemble de l’humanité. Se poser ces questions, comme la nouvelle génération se les pose (et pas seulement la nouvelle génération), c’est déjà les prémices permettant de dire qu’une transformation de la société est possible. Il ne s’agit pas, comme le dit Assayas, de confronter une jeunesse à une autre qui a fait mieux que l’autre ou pas.
« Le développement du chômage et des attaques contre toutes les conditions de vie de la classe ouvrière, de même que le déchaînement de la barbarie guerrière dans les pays de la périphérie, ne peuvent que continuer à balayer le mythe d’un capitalisme ‘à visage humain’ et les dernières illusions sur la possibilité de reformer ce système décadent. C’est aux nouvelles générations de la classe ouvrière qu’il revient de reprendre le flambeau des combats menés par leurs aînés en sachant en tirer les principaux enseignements pour que la future vague révolutionnaire mondiale soit victorieuse et permettre l’édification d’une nouvelle société sans classe, sans guerre et sans exploitation : la société communiste mondiale. Ce sont les nouvelles générations qui doivent faire vivre dans la pratique de leurs combats massifs et solidaires le vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : prolétaires de tous les pays, unissez- vous ! » (Citation de la brochure Mai 68 et la perspective révolutionnaire)4.
Anselme (15 janvier)
1 fr.internationalism.org/rinte80/debord.htm
2 fr.internationalism.org/rinte80/20ans.htm et fr.internationalism.org/rint/123_30ans
3 fr.internationalism.org/ri368/cpe.htm
4 fr.internationalism.org/files/fr/mai_68.pdf