Massacre des manifestants algériens le 17 octobre 1961: l’hypocrisie des bourreaux!

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L’anniversaire de la tragédie du 17 octobre 1961, c’est-à-dire celui du massacre de manifestants algériens, dont le nombre de victimes n’a jamais été clairement établi, a été l’occasion pour la bourgeoisie française d’essayer de solder une affaire très embarrassante pour son image démocratique. Il n’est pas étonnant que ces faits aient été occultés depuis plus d’une cinquantaine d’années !

La sauvagerie barbare de la classe dominante

Le gouvernement français, dans un contexte de fin de guerre coloniale, avait décidé d’isoler davantage le FLN (Front de libération national algérien) en le coupant au maximum de ses appuis sur le territoire. Au sommet de l’Etat, le général de Gaulle, quelques mois à peine avant de se présenter auréolé comme “l’homme providentiel de la décolonisation” à partir des accords d’Evian signés avec le FLN consacrant l’indépendance de l’Algérie, le premier ministre Michel Debré, le ministre de l’intérieur Roger Frey et, en bout de chaîne, le préfet de police de la Seine Maurice Papon (1) avaient décidé de durcir la chasse à l’homme contre les Algériens. Pour ce faire, une nouvelle unité spéciale, la “force de police auxiliaire”, pouvait démultiplier les exactions contre les immigrés algériens en toute impunité : arrestations arbitraires, tabassages, tortures, ratonnades et meurtres. Un couvre-feu discriminatoire était même décrété le 5 octobre par la préfecture exclusivement pour les Nord-Africains. Cette sinistre et ignoble pression sur les “musulmans de France”, déjà stigmatisés et méprisés, vivants pour la plupart misérablement dans des bidonvilles, devenait insupportable. En signe de protestation, une manifestation pacifique était décidée par le FLN. L’après-midi du 17 octobre, une foule de 30 000 personnes convergeait alors des banlieues vers le centre de Paris. Brutalement, les policiers chauffés à blanc encerclaient les manifestants. Comme le dira dans son témoignage Mohamed Ouchik : “A ce moment-là, l’étau s’est resserré sur les Algériens. La police prenait les Algériens et les jetaient dans la Seine” (2). Des coups de feux étaient tirés sur la foule, les coups de pieds, les coups de matraques pleuvaient, fracassant et explosant le crâne de civils sans défense. Selon bon nombre de témoignages, les matraques se brisaient sur les crânes tant la hargne et la sauvagerie policière étaient fortes. Les milliers d’arrestations, dignes des rafles les plus terribles de l’histoire, alimentaient des bus chargés conduits vers des stades. Des manifestants entassés dans des fourgons étaient dirigés vers le Palais des Sports de la Porte de Versailles. Parqués dans des conditions inhumaines, les Algériens arrêtés étaient roués de coups, passés à tabac, et parfois même torturés. Selon Joseph Gommenginger, ancien gardien de la Paix et témoin : “Au fur et à mesure que les cars arrivaient, ils (les Algériens, NDLR) étaient déchargés manu militari, projetés à terre, frappés par une double haie de gardiens de la paix qui se disaient comité d’accueil” (2). Plus tard dans la soirée, “plusieurs témoins ont vu un grand tas de corps sans vie, ramassés par la police devant le fameux cinéma le Grand Rex (II° arrrondissement), tandis que d’autres ont aperçu de long morceaux de tissus étendus sur des piles bosselées, le long de trottoirs ensanglantés de l’Opéra (IX° arrondissement) (...) En fait, les seuls objets en mouvement étaient ces cadavres qui, jetés des ponts de la ville, flottaient sur la Seine” (3).

Les estimations les plus fiables des historiens avancent les chiffres de 100 à 300 morts, sans compter les milliers de blessés qui ont résulté également de cette répression. Selon le point de vue des historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master, ces massacres constituent “dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, la répression la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subit une manifestation de rue désarmée”. On comprend mieux pourquoi il fallait absolument faire disparaître des mémoires, au moins tout un temps, ce grand crime d’Etat.

La loi du silence, le mensonge et pour finir, la manipulation

Toute la bourgeoisie, de droite comme de gauche, a su jouer sa partition pour garantir l’omerta et la censure. Quelques mois à peine après le tragique événement, le 8 février 1962, les forces de l’ordre réprimaient encore une nouvelle manifestation. A la bouche de métro de la station Charonne, huit personnes perdaient la vie (étouffées ou le crâne fracassé). Une neuvième victime allait mourir peu après de ses blessures à l’hôpital. Contrairement au quasi silence qui a suivi le massacre du 17 octobre, les partis de gauche et les syndicats, relayés par les journaux (4) allaient cette fois fortement se mobiliser et polariser sur l’événement lui-même, au point d’en occulter les précédents crimes du 17 octobre. Ainsi, par exemple, c’est de façon délibérée que le journal le Monde, alors qu’il nous livre tant de détails aujourd’hui, pouvait se permettre d’écrire mensongèrement le 10 février 1962 à propos de Charonne : “C’est le plus sanglant affrontement entre policiers et manifestants depuis 1934.” Ce qui s’était passé le 17 octobre 1961 ? Probablement un... “détail”, qu’il fallait naturellement minorer !

Il ne faut pas se tromper, les mêmes bourgeois qui “s’indignent” aujourd’hui, sont ceux qui hier ordonnaient et cautionnaient les basses œuvres de la police, assuraient la censure. Aussi, les grandes déclarations et gestes symboliques des politiciens, comme ceux aujourd’hui de Bertrand Delanoë, amateur de plaques commémoratives, ou de François Hollande, filmé et photographié avec ses roses jetées dans la Seine depuis le pont de Clichy, ne sont que pure hypocrisie et propagande. Profitant de l’oubli de ce massacre et du jugement assez récent de Maurice Papon pour crime contre l’humanité, la bourgeoisie tente sinon de blanchir, au moins de dédouaner en partie l’état démocratique, notamment en pointant du doigt la responsabilité exclusive du gouvernement de l’époque, voire du seul Maurice Papon.

Une des tactiques de la bourgeoisie, outre les mensonges (ouverts ou “par omission”), c’est de cacher systématiquement ses propres crimes au moment des faits. Généralement, ce n’est que longtemps après que le public “découvre” les événements par des “révélations” qui sont en fait des informations connues de tous les journalistes depuis le début, mais qu’ils font mine d’exhumer à un moment choisi après les avoir soigneusement cachées. Au début, l’objectif du silence obligatoire est de prévenir toute forme de révolte pour maintenir l’ordre. Bien après, il s’agit de jouer la carte de la “transparence”, de la “démocratie”, pour pervertir et stériliser toute forme de réflexion et de questionnement possible de la part des ouvriers sur le sens politique des événements. C’est d’ailleurs le moment choisi pour graver dans le marbre la version officielle, celle qui figurera dans les manuels d’histoire, c’est-à-dire une version inoffensive pour l’état bourgeois et ses sbires, dédouanant le système d’exploitation barbare qu’est le capitalisme. Aujourd’hui, les révélations ne sont donc pas “neutres”. Elles s’inscrivent dans cette volonté de pourrir les consciences en redorant le blason d’une gauche lancée dans la campagne présidentielle. Cette gauche, héritière des Guy Mollet et Mitterrand (5), celle qui allait donner tous les pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour la “bataille d’Alger”, celle qui a couvert les actes de torture systématiques et les milliers d’exécutions, c’est la même dont celle d’aujourd’hui est la digne héritière. Derrière toute la campagne idéologique et les cérémonies commémoratives se cache donc un objectif partagé, celui que révèle un député dans sa lettre adressée au président de la République : “Ma démarche ne procède pas d’une recherche de repentance de notre pays qui ne serait utile pour personne, mais d’une (...) reconnaissance qui rende la France plus forte et plus unie” (6).

Autrement dit, ce que vise toute cette campagne n’est autre que l’“union sacrée”, l’idéologie nationaliste destinée à empêcher toute véritable démarche critique.

Pourtant, les méthodes sanguinaires de l’Etat bourgeois doivent révéler au grand jour, une fois de plus, la nature barbare et le vrai visage de la bourgeoisie. Il ne s’agit pas simplement d’escrocs qui exploitent notre force de travail et nous réduisent à la misère, de spéculateurs ou de politiciens véreux sans scrupules, il s’agit aussi de véritables assassins prêts à massacrer ceux qui voudront renverser le système, l’ordre des exploiteurs, comme tous ceux qui dérangent leurs desseins.

WH, 22 octobre 2001

 

1) Maurice Papon a été un haut fonctionnaire de l’Etat français condamné en 1998 pour complicité de crime contre l’humanité pour des actes (il a contribué à la déportation des juifs) commis durant le régime de Vichy. Il est mort en 2007.

2) M. Ouchik était membre du FLN. Source : http ://www.ldh-toulon.net/spip.php ?article4638

3) www.nouvelobs.com/rue89

4) Le photographe de presse américain Elie Kagan s’est vu systématiquement refuser ses clichés par toutes les rédactions au motif qu’ils étaient un peu “trop choquants” !

5) “Lors du début de l’insurrection et rébellion nationaliste algérienne, les “socialistes” étaient au pouvoir en France et le gouvernement comprenait alors Guy Mollet, Mendès-France et le jeune F. Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur. Le sang de tous ces “authentiques démocrates” ne fit qu’un tour et les pleins pouvoirs sont confiés à l’armée en 1957 pour rétablir “l’ordre républicain”. Très vite les grands moyens sont employés, en représailles d’un attentat contre des colons ou l’armée, on rase des villages et des douars entiers, l’aviation mitraille systématiquement des caravanes. Deux millions d’Algériens, soit près du quart de la population totale, furent chassés de leurs villages et zones de résidence, pour être parqués à la totale merci de l’armée dans des “camps de re-groupements” où, selon un rapport de M. Rocard, alors inspecteur des Finances : “Les conditions sont déplorables et au moins un enfant meurt par jour. Voir notre article “Les massacres et les crimes des grandes démocraties” voir Revue internationale no 66, 1991.

6) Lettre du député de Seine-Saint-Denis Daniel Golberg, www.elmoudjahid.com/fr/actualites/17989.

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Massacre du 17 octobre 1961