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Le 7 avril 2010 a vu la chute du président kirghize Kourmanbek Bakiev, après deux jours d’émeutes. Provoquée par l’annonce d’augmentation du tarif des services publics, la colère a éclaté : de nombreux bâtiments symboles du pouvoir ont été attaqués, comme le Parlement, et même brûlés, comme la Maison Blanche présidentielle. Suite à cette explosion de violence, l’opposition dirigée par Rosa Otounbaïeva prenait les rênes du pays. Bakiev, en fuite avec son trésor de guerre de 200 millions de dollars, continue malgré tout aujourd’hui encore à revendiquer sa “légitimité” comme chef d’État, depuis le sud du pays qu’il contrôle, ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir.
Le ras-le-bol de la population
Avec près de 20 % de chômage, 40 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté et une corruption généralisée, le régime de Bakïev n’a pas réussi longtemps à illusionner la population après l’ère Akaïev. Près d’un million de gens sont contraints de travailler dans d’autres pays (essentiellement en Russie), et la vie de la plupart des Kirghizes dépend des ressources envoyées de l’étranger. Nul doute que cette misère croissante et cette corruption de l’Etat sont les causes essentielles du soulèvement.
Par-dessus le marché, le gouvernement, afin d’enrayer les expressions de révolte populaire, a développé des méthodes répressives de plus en plus violentes. Ces méthodes n’ont fait évidemment qu’alimenter encore davantage le mécontentement populaire, qui a débouché sur ces émeutes des 6 et 7 avril. Tous les commentaires (1) ont montré que cette révolte était bien plus furieuse qu’il y a cinq ans, ce qui démontre l’exaspération de la population. Ainsi, des dizaines de gens ont été tués par des snipers cachés sur les toits, mais cela n’a arrêté personne. Les chefs de l’opposition ont essayé de les arrêter, mais se sont eux-mêmes trouvés en danger de subir des actions radicales. La Maison du Parlement et d’autres bâtiments officiels ont ainsi été pris d’assaut. Ceux qui y arrivèrent saisirent les armes, frappèrent les flics, prirent et étrillèrent par exemple le chef du MVD ou un ancien ministre de l’Intérieur.
Les médias ont essayé de focaliser sur les pillages de magasins qui ont eu lieu. Mais ces “pillages” se sont concentrés sur les supermarchés et les biens essentiellement volés consistaient en vêtements, tapis, appareils électroménagers, couvertures, etc., c’est-à-dire en produits de première nécessité. En revanche, la presse a été une fois encore beaucoup moins prolixe sur les pillages effectués par la mafia kirghize et ses agissements dans les supermarchés (2), où c’est de façon bien plus vaste et organisée que ces derniers ont été vidés puis brûlés.
Le Kirghizistan, enjeu impérialiste
Il y a cinq ans, lorsque le premier président kirghize Askar Akaïev avait été déchu à la suite d’élections truquées et d‘émeutes, les médias occidentaux nous avaient abreuvés de la “révolution des tulipes”, “révolution” qui venait en droite ligne de celle des “roses” de Géorgie et de la “révolution orange” ukrainienne, “signes” prétendus de la poussée en avant des forces démocratiques dans les pays de l’ex-URSS. Cette fois-ci, rien de tel, et c’est plutôt l’inquiétude qui a prévalu dans les commentaires des chefs d’État. Pour les États-Unis, Barack Obama, en déplacement à Prague pour la signature du nouveau traité américano-russe de non-prolifération START, a réprouvé l’usage de la force et a appelé au calme, du fait de la présence d’une base militaire américaine sur le territoire kirghize, maillon important de leurs opérations en Afghanistan. La Chine, pays voisin du Kirghizistan, s’est déclarée très préoccupée par les événements du pays et appelait au calme le plus rapidement possible, “pour la sécurité régionale”. L’Europe se fendait d’une aide humanitaire au gouvernement provisoire de 3 milliards d’euros et l’Inde espérait que la paix et la stabilité reviendraient au plus vite dans la république kirghize. La Russie, suspectée par la presse d’être à l’origine du soulèvement ou de vouloir en tirer partie, a immédiatement proposé une aide au gouvernement provisoire et a déployé 150 parachutistes en renfort, avec 150 millions de dollars. Cette inquiétude des puissances limitrophes ou qui interviennent dans ce pays n’est pas feinte. Selon le président russe Medvedev : “Le risque de voir le Kirghizistan se scinder en deux parties, le Nord et le Sud, existe réellement (...). Le Kirghizistan se trouve actuellement au seuil d’une guerre civile. Ainsi, toutes les forces existantes dans ce pays doivent prendre conscience de leur responsabilité devant la nation, le peuple et les destinées de l’État kirghizes.”
Le problème majeur que représente un pays comme le Kirghizistan est justement qu’il doit y régner une certaine stabilité. Car autant les Russes que les Américains ou les Chinois ont intérêt à ce que les troubles que connaît le pays soient enrayés pour qu’un État fort et pérenne puisse se maintenir. L’ex-république soviétique abrite une base russe mais également, pour les États-Unis, la base de ravitaillement des troupes de Manas, base créée en 2001 dans l’aéroport international de la capitale kirghize dans le cadre de l’opération antiterroriste “Liberté immuable” en Afghanistan, où sont présentes des troupes françaises et espagnoles, et qui risque d’être affectée. Quant à la Chine, qui connaît des difficultés avec ses minorités musulmanes, il ne serait pas bon que la population kirghize montre un mauvais exemple sur ses frontières. Madame Otounbaïeva a bien sûr rassuré tout ce beau monde qui l’exhortait comme le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, à “assurer l’ordre constitutionnel”.
Cependant, la nature de l’impérialisme est telle que, même si ces hypocrites appellent à calmer le jeu, c’est parce qu’ils ont face à eux des populations misérables qui demandent une vie décente. D’ailleurs, c’est avec le soutien plein et entier de la “communauté internationale” que Rosa Otounbaïeva, ex-dirigeante du PC russe, n’a pas hésité à menacer la population de répression si les troubles perduraient, et pas seulement face aux troubles alimentés par Bakïev, mais contre “ceux qui en veulent plus”, c’est-à-dire les pauvres.
En même temps, les divergences d’intérêts de ces charognards ne pourront pas faire qu’un semblant d’ordre puisse s’instaurer. Leur présence ne pourra qu’alimenter un désordre social sans perspective.
Mulan (28 avril)
1) Beaucoup d’éléments rapportés ici sont empruntés à des articles publiés récemment par des camarades de Russie, soit par l’ARS (Alliance of the Revolutionary Socialists), groupe influencé par la Gauche communiste) soit par le KRAS, de tendance anarcho-syndicaliste. Voici les liens sur leur site en anglais :
– revsoc.org pour l’ARS :
– https://aitrus.info pour le KRAS.
2) Voir sur le sujet notre article dans RI no 411 sur le rôle de la mafia dans les pillages au Chili.