Guerre impérialiste, austérité, menace de guerre civile

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Lors d'un discours aux Nations Unies en septembre 2025, le président des États-Unis, Donald Trump, a affirmé qu'au cours des sept premiers mois de son second mandat, il avait déjà mis fin à sept guerres « interminables » : celles du Cambodge et de la Thaïlande, du Kosovo et de la Serbie, du Congo et du Rwanda, du Pakistan et de l'Inde, d'Israël et de l'Iran, de l'Égypte et de l'Éthiopie, de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan.

Tout au plus ces conflits ont-ils connu des cessez-le-feu (pas tous orchestrés par Trump), mais ils n'ont jamais été résolus pacifiquement et sont prêts à reprendre à tout moment. De plus, les grandes guerres héritées du président Biden, entre la Russie et l'Ukraine, et entre Israël et Gaza, se sont globalement aggravées, malgré l'intention de Trump d'y mettre fin dès le premier jour de sa présidence. Le cessez-le-feu actuel à Gaza (10/10/2025), permettant aux survivants du massacre de retourner dans les décombres de leurs maisons, apportera au mieux une pause dans l'horreur de l’interminable guerre au Moyen-Orient.

La BBC, entre autres médias, s'est délectée à tourner en dérision le mensonge flagrant de ces affirmations de Trump. Mais derrière le bluff de Trump se cachait un message intentionnel : l'ONU (instaurée par les États-Unis en 1945) a été incapable d'assurer la paix qu'elle était censée maintenir (ce qui est vrai), et désormais, seul lui et sa politique unilatérale de « l'Amérique d'abord », aussi connue sous le nom de « Make America Great Again », sont capables d'instaurer la paix mondiale.

La réalité derrière cet épisode ne fait que démontrer que, partout dans le monde, les conflits impérialistes, petits et grands, se multiplient sans cesse, et que non seulement les institutions transnationales de la démocratie libérale, comme l'ONU, ont été incapables d'y mettre fin, mais que le nationalisme populiste n'a pas non plus réussi à les arrêter. Une paix capitaliste, sous quelque forme que ce soit, est aujourd'hui impossible et seule une classe aux intérêts internationalistes, la classe ouvrière, est capable d'instaurer la paix par le renversement des États nationaux à l'échelle mondiale.

Cette perspective intransigeante, nécessaire et possible, seule politique réaliste sur le long terme, a constitué la différence fondamentale entre la Gauche communiste et toutes les autres tendances politiques prétendument révolutionnaires, comme les trotskistes ou les anarchistes qui, au cœur du carnage, revendiquent toujours leur soutien aux impérialismes du « moindre mal », qu'il s'agisse de la Palestine aujourd'hui, du Nord-Vietnam dans les années 1960 ou de l'impérialisme démocratique allié pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'hégémonie géopolitique américaine depuis 1945 : Dans le broyeur à bois

Si nous voulons dresser un bilan précis des sept premiers mois de la présidence de Trump, il faut aller au-delà de l'affirmation selon laquelle son administration a poursuivi les guerres, l'austérité et la répression de tous les gouvernements capitalistes précédents. Il est essentiel d'expliquer en quoi sa présidence diffère radicalement des précédentes, même de son premier mandat (2016-2020), afin de comprendre les dangers particulièrement graves que la situation américaine fait peser sur la classe ouvrière.

Aucun autre groupe de la Gauche communiste n'a été capable de réaliser cette analyse et de mettre en garde contre les menaces et les pièges qui s’annoncent, car ils ne voient dans les premiers mois de la présidence de Trump que la continuité avec avant[1].

Dans de précédents articles sur l'arrivée au pouvoir de Trump au début de l'année, nous avons souligné que sa politique de l'Amérique d'abord n'aurait pas l'effet escompté, à savoir restaurer la grandeur des États-Unis sur la scène internationale[2].

Au contraire, les premiers mois de Trump ont accéléré à toute vitesse l’affaiblissement de l’hégémonie géopolitique américaine – connue sous le nom de Pax Americana – au profit d’un chacun pour soi croissant de ses anciens alliés comme de ses ennemis.

L'impérialisme américain a dominé le monde de 1945 à 1989 parce qu’il était le gendarme du bloc impérialiste le plus puissant. Mais sa victoire après l'effondrement du bloc de l'Est, son rival plus faible, s'est avérée être une victoire à la Pyrrhus. L'élimination de la menace de l'impérialisme russe a desserré les chaînes qui maintenaient les nations du bloc occidental unies dans leur soumission aux États-Unis. La période 1989-2025 a donc vu les États-Unis tenter en vain de maintenir leur hégémonie antérieure, malgré la démonstration massivement destructrice et sanglante de leur supériorité militaire.

La contribution radicale de Trump a consisté à transformer un vice en vertu. Au lieu de tenter de restaurer la domination américaine, comme l'ont fait les présidences américaines précédentes, il a tenté de la faire complètement éclater, la qualifiant « d'escroquerie » perpétrée par ses alliés pour « escroquer » les États Unis. Au lieu de tenter d'enrayer la tendance au « chacun pour soi » dans les relations impérialistes qui affaiblit la puissance américaine depuis 1989, la deuxième administration Trump est devenue son principal défenseur sur la scène internationale.

La mise à la poubelle de tous les éléments de la Pax Americana a été l'exploit le plus historique de la présidence Trump. Les premiers jours de sa seconde administration ont été marqués par un appétit d'annexion du Groenland, du Panama et du Canada, tous des alliés des États-Unis. Mais son revirement le plus radical par rapport à la politique américaine antérieure s’est exprimé dans la remise en question de l'engagement des États-Unis envers l'OTAN, l'alliance militaire qui a toujours été la pièce maîtresse du bloc occidental et servi de modèle aux alliances américaines sur d'autres théâtres géopolitiques. Les États-Unis étaient désormais ambigus quant à leur reconnaissance de l'article crucial de la charte de l'OTAN, qui prévoit de facto leur soutien à tout membre européen menacé par la Russie. La diplomatie américaine, désormais confuse par rapport au soutien à l'Ukraine, a encouragé le Kremlin à intensifier son invasion militaire de ce pays et à proférer des menaces à l'encontre des pays d'Europe de l'Est membres de l'OTAN, à savoir la Pologne, la Lettonie, la Roumanie et l'Estonie.

Sachant que leur ultime soutien les a abandonnées, les principales puissances d'Europe occidentale sont désormais contraintes de tenter de s'autonomiser militairement des États-Unis et d'accroître radicalement leurs dépenses d'armement, avec toutes les conséquences que cela implique : l'extension de la guerre à l'Europe, la faillite accrue de leurs économies et la paupérisation d'une classe ouvrière rétive.

Trump a présenté ce divorce avec l'Europe comme une victoire, mais il représente en réalité, à long terme, un affaiblissement de l'emprise des États-Unis sur l'un des plus importants centres industriels du monde.

Le même essoufflement de l'hégémonie américaine s'est produit au Moyen-Orient, où la politique étrangère sous Trump est devenue un auxiliaire des ambitions impérialistes régionales d'Israël, au détriment des intérêts américains de maintenir l'équilibre des forces et de ses autres alliances dans la région. En Extrême-Orient, le mépris des États-Unis pour leur engagement envers leurs anciens alliés – le Japon, l'Australie et l'Inde – remet en question la politique d'endiguement de leur principal rival impérialiste, la Chine, qui a bénéficié de la plus grande marge de manœuvre ainsi accordée.

Au moins, Trump, dans son mépris affiché pour l'ancien leadership américain du bloc occidental, a-t-il enfin dissipé l'illusion d'une immuabilité des paramètres de la Guerre froide – la polarisation de l'impérialisme mondial autour de deux axes majeurs – et confirmé la réalité : nous sommes désormais pleinement entrés dans une époque multipolaire, où la formation de blocs est de moins en moins probable. Ce qui rend la prolifération des conflits impérialistes partout dans le monde la norme.

Étonnamment, certains, au sein de la Gauche communiste, vivent encore avec nostalgie de la Guerre froide et croient que les conflits impérialistes qui se multiplient aujourd'hui sont les signes avant-coureurs de la Troisième Guerre mondiale. Cela signifierait que la classe ouvrière mondiale est déjà vaincue. Pourtant, c'est précisément la non-défaite de la classe ouvrière actuelle qui contribue à définir la période actuelle et l'improbabilité de la formation de nouveaux blocs impérialistes.

Ces vieux groupes de la Gauche communiste ressemblent au soldat japonais Hiroo Onoda qui, jusqu'en 1974, refusa d'admettre que la Seconde Guerre mondiale s’était terminée 29 ans plus tôt. En réalité, ces groupes sont encore plus obtus, car 36 ans après la chute du mur de Berlin, ils continuent de considérer le monde à travers le prisme de la guerre froide, ce qui n’est pas le cas de porte-paroles avisés de la bourgeoisie comme l’illustre la citation suivante : « Alors que la démocratie libérale se corrode chez nous, l'internationalisme libéral s'effrite à l'étranger. Dans un monde sans puissances émergentes, les États-Unis deviennent une superpuissance voyou, sans grand sens des obligations envers les autres. Pendant la guerre froide, le leadership américain était en partie vertueux et en partie égoïste : protéger ses alliés, transférer des technologies et ouvrir les marchés américains était le prix à payer pour contenir un rival en pleine ascension. Les alliés acceptaient publiquement la primauté des États-Unis parce que l'Armée rouge se profilait à proximité et que le communisme comptait des centaines de millions d'adeptes. Mais lorsque l'Union soviétique s'est effondrée, la demande de leadership américain s'est effondrée avec elle. Aujourd'hui, sans menace rouge à combattre et avec seulement un ordre libéral amorphe à défendre, l'expression « leader du monde libre » sonne creux, même aux oreilles des Américains. » (« The Stagnant Order, and the end of rising powers » ; Michael Beckley, Foreign Affairs, October 2025)

Adieu au soft power américain

La présidence de Trump n'a pas seulement fragilisé le leadership mondial des États-Unis au niveau diplomatique et militaire. Toutes les institutions « transnationales » et « douces » qui donnaient au bloc américain une image humaniste, internationale et pluraliste –économique, commerciale, financière, sociale, environnementale et sanitaire– que les États-Unis dominaient et soutenaient financièrement depuis 1945 : l'Organisation mondiale du commerce, le G7 des pays industrialisés, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale de la santé, ont toutes perdu le soutien de la nouvelle administration. L'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) était, jusqu'à sa suppression effective par Trump en février 2025, la plus grande agence mondiale d'aide étrangère, avec un budget annuel moyen de 23 milliards de dollars.

L'imposition par Trump de droits de douane massifs au reste du monde, alliés comme ennemis, a été l'illustration la plus spectaculaire d'un changement économique brutal dans la politique américaine de mondialisation et de (quasi) libre-échange. Les autres pays, selon la justification trumpienne de cette politique, ont trompé les États-Unis, notamment l'UE, alors qu'en réalité, cette dernière et ses prédécesseurs ont servi de vecteur à l'intégration économique de l'Europe occidentale sous l'égide des États-Unis. L'illusion trumpienne est que les États-Unis peuvent utiliser leur supériorité militaire et économique pour faire payer la crise au reste du monde. Mais une telle politique se retournera inévitablement contre eux sur le plan économique également, comme le montre déjà l'offensive tarifaire, déstabilisant le dollar, pilier de l'économie mondiale.

Que ce soit sur le plan idéologique, économique ou militaire, les États-Unis, sous Trump, ont abandonné toute ambition hégémonique au profit des avantages douteux d'une perturbation de l'ordre établi. L'« American First » et l'imprévisibilité ne constituent ni une perspective ni une méthode unificatrices. Tout le contraire est vrai.

Les États-Unis ne sont plus un bastion de gouvernement stable

 Jusqu'à présent, l'un des piliers majeurs de la puissance mondiale américaine résidait dans son fonctionnement interne comme un bastion stable de la démocratie libérale ; un exemple moral et politique pour ses alliés et un cri de ralliement contre le despotisme du bloc de l'Est et, plus récemment, contre les puissances « révisionnistes » comme la Russie, la Chine et l'Iran.

À la fin de son premier mandat présidentiel, Trump avait déjà délibérément ciblé les textes et les lieux saints de la démocratie libérale américaine en encourageant l'assaut armé de ses partisans contre le Capitole de Washington en janvier 2020 pour tenter d'annuler le vote légal en faveur de Joe Biden. Il a ainsi donné à la nation américaine l'apparence d'une « république bananière » aux yeux du reste du monde, selon l'ancien président George W. Bush. Trump a poursuivi sur cette lancée lors de son second mandat, brisant les conventions des normes démocratiques libérales. Il a manipulé le pouvoir judiciaire – prétendument indépendant de toute ingérence politique – en forçant la destitution ou l'inculpation de ses ennemis au sein de l'appareil d'État, et leur possible incarcération, notamment James Comey, ancien directeur du FBI. Il tente de faire pression sur le Comité directeur de la Réserve fédérale – et son directeur, Jay Powell, lui aussi soi-disant indépendant par rapport aux besoins à court terme du gouvernement en place – pour qu'ils baissent les taux d'intérêt. Ou même pour qu'on limoge la directrice des statistiques lorsqu'elle a annoncé des statistiques « erronées » concernant le taux d’emploi.

Trump a récemment inventé des prétextes pour utiliser l'armée afin d'intervenir lors de troubles civils, tels que les manifestations contre l'expulsion d'immigrants à Los Angeles, ou de crimes comme à Washington, Portland ou Chicago, compromettant ainsi l'indépendance des forces armées face aux ingérences politiques et les utilisant pour discréditer et usurper l'autorité des administrations élues du Parti démocrate dans ces villes. La militarisation des opérations de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) constitue un autre mépris populiste pour les procédures de la démocratie bourgeoise.

Autrefois, la norme libérale et bipartite voulait que les chefs des ministères américains – santé, défense, environnement, etc. – soient compétents dans leur domaine ou respectueux des experts permanents qui y travaillent. Cette idée a également subi une transformation populiste. De manière grotesque, Robert F. Kennedy Jr., opposant à la vaccination et convaincu que la circoncision est susceptible de provoquer l'autisme, a été nommé secrétaire à la Santé, tandis que Pete Hegseth, ancien animateur de talk-show sur Fox News, est nommé à la tête du ministère de la Défense (aujourd'hui « de la Guerre »). Il a récemment ordonné à des généraux américains du monde entier de venir à Washington pour une conférence sur la nécessité d'être en forme et de se raser la barbe !

Lorsque le président déclare que le changement climatique est une « arnaque », il est évident que l'Agence de protection de l'environnement (EPA) ne se pliera pas aux avis scientifiques. Le nouveau directeur de l'EPA, Lee Zeldin, a déclaré : « Nous enfonçons un poignard dans le cœur de la religion du changement climatique. »

Trump n'a retenu qu'un seul critère pour la nomination des dirigeants des bureaucraties d'État : la loyauté envers lui-même.

Les sept mois de Trump ont donc été une attaque en règle contre tous les piliers de la puissance américaine depuis 1945, qu'ils soient militaires, stratégiques, économiques, politiques ou idéologiques. Ces fondements avaient déjà été minés par la perte d’orientation et de perspective apparue après l'effondrement du bloc de l'Est ; l'échec de ses tentatives militaires pour préserver son hégémonie et les conséquences de la Grande Récession de 2008.

Mais pour le populiste Trump, la cause du déclin de l'impérialisme américain résidait dans l'un des facteurs mêmes de son ascension antérieure : son éthique démocratique libérale. En profanant cet esprit directeur, Trump croit pouvoir revitaliser le capitalisme américain et retrouver la dynamique ascendante d'une autre époque.

Il serait toutefois erroné de considérer ce revirement comme le résultat de Trump lui-même, malgré ses affirmations. Trump n'est que l'expression la plus spectaculaire d'une tendance politique populiste universelle qui a gagné du terrain durant la période de décomposition, aux dépens de la démocratie libérale.

Trump, le populisme et le déclin de la démocratie libérale

Francis Fukuyama, éminent politologue américain, a déclaré après la chute du mur de Berlin : « Nous assistons peut-être non seulement à la fin de la Guerre froide, ni à la fin d’une période particulière de l’histoire d’après-guerre, mais à la fin de l’histoire en tant que telle : c’est-à-dire au point final de l’évolution idéologique de l’humanité et à l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme ultime de gouvernement humain ». — Francis Fukuyama, « La fin de l’histoire ? », The National Interest, n° 16 (été 1989).

Depuis, il a dû revoir son opinion sur la victoire de la démocratie libérale et rejeter l’illusion correspondante des néoconservateurs autour du président George W. Bush selon laquelle les États-Unis allaient, après 1989, diriger un monde unipolaire.

L’effondrement du stalinisme n’a été que le signe avant-coureur d’un déclin généralisé des formes politiques du pouvoir capitaliste dans la période de décadence et, plus récemment, de décomposition de l’ordre bourgeois. L'État à parti unique du bloc russe s'est développé notamment pour satisfaire aux besoins militaires impérialistes de la Seconde Guerre mondiale et de ses suites. Mais sa faiblesse économique a progressivement miné sa rigidité face à la longue crise économique mondiale qui a débuté dans les années 1960, conduisant finalement à son effondrement complet.

Cependant, les régimes démocratiques libéraux du bloc occidental ont également commencé à perdre leur raison d'être après la défaite de leur principal adversaire impérialiste après 1989. Les États démocratiques libéraux et leur idéologie s'étaient concentrés sur les perspectives impérialistes du bloc occidental. Mais, de plus en plus, après l'élimination de son principal adversaire, ce respect rigoureux des normes libérales, qui unissait toutes les factions bourgeoises derrière l'État, a disparu, et les régimes démocratiques libéraux ont commencé à reproduire la corruption endémique et le chacun pour soi, typiques du fonctionnement des régimes staliniens.

Cette tendance à la perte de contrôle politique a été exacerbée par l'aggravation inéluctable de la crise économique, notamment par les conséquences de ce qui a été officiellement appelé la Grande Récession de 2008, qui a dû être entièrement payée… par la classe ouvrière. Parallèlement, la multiplication des « guerres éternelles » à travers le monde a directement affecté les régimes démocratiques libéraux occidentaux et leurs budgets. La promesse de paix et de prospérité faite par l'Occident après 1989 a été trahie. La crédibilité entamée des partis traditionnels des démocraties libérales s'est révélée par leur perte constante de pourcentage de votes électoraux.

Ce vide a été comblé par les forces politiques populistes, dont la caractéristique générale était de ne fustiger que les symptômes des échecs du capitalisme et de proposer des panacées irrationnelles : le remplacement de la diplomatie et des alliances impérialistes à long terme par un nationalisme incohérent et nativiste, davantage en phase avec la mêlée générale régnant sur la scène mondiale ; la responsabilité pour la crise économique incombe aux élites –les immenses bureaucraties étatiques parasitaires, Wall Street et les experts grassement rémunérés ; la désignation des immigrés et des autres étrangers comme les boucs émissaires pour le déclin du niveau de vie ; le remplacement de l'idéologie libérale « woke » par les valeurs traditionnelles de bon sens.

Le populisme ne se révèle pas comme un adversaire du capitalisme, de la démocratie et de l'État démocratique. Après tout, c'est le président Abraham Lincoln qui a défini le gouvernement de manière populiste : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Non, l'ennemi du populisme est la pratique libérale traditionnelle de l'État démocratique qui aurait détourné le sens du gouvernement du peuple et exclu celui-ci du pouvoir.

Le populisme n'est pas un phénomène politique nouveau, mais une réaction incohérente, de la part de fractions de la classe dirigeante, aux contradictions et limites inévitables de la forme représentative libérale de l'État bourgeois.

La prétention de cet État à gouverner au nom du peuple est inévitablement démasquée dans la pratique par l'exploitation et la répression de la masse de la population au profit d'une classe dirigeante minoritaire. Le principe représentatif de l'État exclut délibérément la masse de la population de toute participation directe au pouvoir politique. Les formes populaires de démocratie nées des révolutions bourgeoises (anglaise, américaine, française) ont dû être écrasées afin de stabiliser les nouveaux États bourgeois. Les démocraties représentatives libérales du XIXe siècle – à l'exception des États-Unis – excluaient la majorité de la population du droit de vote. Le suffrage universel ne se généralise qu'après la Première Guerre mondiale, lorsque les partis ouvriers trahissent et sont intégrés à l'État bourgeois et que les fonctions législatives passent en grande partie aux mains de l'exécutif Léviathan. Le vote des travailleurs a donc un impact minimal sur l'orientation de la politique capitaliste. D'où l'appel régulier de certaines parties de la bourgeoisie à restaurer l'impossibilité du « pouvoir du peuple ».

La nouveauté aujourd'hui est que le populisme politique de droite est devenu plus qu'une simple soupape de pression pour l'establishment libéral et, en raison des conditions décrites ci-dessus pendant la période de décomposition, a pris le pouvoir politique dans ce qui était auparavant le régime capitaliste le plus stable du monde.

 L'arrivée au pouvoir du populisme est un remède pire que le mal pour les intérêts de toute la bourgeoisie. Premièrement, le populisme n'offre bien sûr aucune solution alternative à la guerre ou à la crise. Il se caractérise essentiellement par des méthodes d'amateurisme, des politiques vandalistes et d’engendrement de chaos et de scandales qui exacerbent les véritables problèmes au lieu de les résoudre. Une fois installés au pouvoir, les dirigeants populistes se révèlent tout aussi corrompus et dépravés que les figures élitistes qu'ils remplacent. Le scandale Jeffrey Epstein a notamment impliqué Trump, tout comme Clinton. Trump lui-même est devenu multimilliardaire. Au lieu de créer des richesses et des emplois pour la classe ouvrière, sa politique douanière s'est révélée être une taxe régressive sur les plus pauvres. Tout comme la loi « One Big Beautiful Bill Act », qui privera des millions de travailleurs de l'accès aux soins de santé. Le protectionnisme ne contribuera guère à développer l'industrie manufacturière américaine comme on prétend qu’il fera[3].

Le populisme au pouvoir devient en réalité un « populisme pour ploutocrates », comme le remarque l’organe astucieux de la bourgeoisie, le Financial Times.

Trump et la classe ouvrière

Trump a été élu en partie grâce au mécontentement face à la baisse du niveau de vie sous Biden. Mais la pauvreté continue d'augmenter sous Trump, l'inflation continue de peser sur les salaires, et le chômage va augmenter, en partie à cause des coupes sombres dans les emplois fédéraux et du mirage de la bulle spéculative de l'intelligence artificielle. Cette dernière attire d'importants investissements aux États-Unis précisément parce qu'elle a la capacité de supprimer massivement davantage d'emplois. Mais la misère supplémentaire que cela infligera à la classe ouvrière ne fera qu'accentuer la crise de surproduction et les krachs financiers qui en sont la conséquence logique.

Nous assistons donc, comme l'illustre l'exemple américain, non seulement à l'effondrement de l'édifice politique démocratique libéral, mais aussi au dévoilement de son alter ego populiste, face à une classe ouvrière qui n'est pas prête à se soumettre passivement à la poursuite de l'austérité qu'exigeront la crise insoluble du capitalisme et toutes les fractions de la bourgeoisie.

Il pourrait donc sembler que la classe ouvrière puisse, face aux turbulences politiques actuelles de la bourgeoisie, faire valoir ses propres revendications de classe et, in fine, la perspective de son propre pouvoir politique.

Cependant, la bourgeoisie est capable d'utiliser sa propre corruption politique et ses conflits internes contre son principal ennemi de classe pour diviser la classe ouvrière, étouffer son identité de classe et l'entraîner dans de faux combats et objectifs. Le seul avantage pour la bourgeoisie de la montée du populisme politique est de créer un faux débat, un conflit de diversion, qui détourne la classe ouvrière de la compréhension des véritables causes de sa paupérisation et de sa propre solution de classe. Comme le disait le Financial Times à propos de la montée du populisme en Grande-Bretagne en 2016 : « Laissons-les manger du Brexit »[4].

En réalité, cette division de la classe ouvrière est ce qui se produit aujourd'hui aux États-Unis : on lui demande de prendre activement parti soit pour les outrages du populisme, soit pour la démocratie libérale, de choisir entre différents exploiteurs et bourreaux. Les gauchistes s'efforcent particulièrement de mobiliser les travailleurs derrière le « moindre mal » de la gauche du Parti démocrate aux États-Unis.

Malheureusement, une partie de la Gauche communiste, volontairement aveugle à la réalité, cède par opportunisme du terrain aux « mouvements démocratiques » qui s'inscrivent dans les fausses oppositions proposées par la bourgeoisie, dans le faux espoir d'en faire de véritables luttes prolétariennes.

Pour défendre ses intérêts, la classe ouvrière devra combattre toutes les factions de la classe dirigeante et ne pas se laisser entraîner dans une lutte qui n'est pas la sienne. Depuis Marx, le mouvement révolutionnaire rejette la mystification de la démocratie et de l'égalité dans le capitalisme –qu'il soit libéral ou populiste– car l'ordre bourgeois a toujours été conduit par une exploitation de classe, cimentée par l'oppression étatique. Pour Marx, le synonyme de « Liberté, Égalité et Fraternité » était « Infanterie, Cavalerie et Artillerie ».

À la dictature du capital, quelle que soit sa forme –libérale, démocratique, fasciste, populiste ou stalinienne– la classe ouvrière devra finalement opposer sa propre dictature de classe, celle des conseils ouvriers, déployés pour la première fois lors des révolutions de 1905 et 1917.

 En conclusion, les sept mois du second mandat du président Trump ont parfaitement répondu au besoin du capitalisme américain de multiplier les guerres, l'exploitation et la paupérisation de la classe ouvrière, ainsi que la répression. La contribution particulière de Trump a été de détruire irrémédiablement la façade de la démocratie libérale américaine dans tous les domaines, affaiblissant ainsi davantage le leadership impérialiste américain sur la scène mondiale et stimulant massivement le chaos capitaliste, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Le danger présent et futur pour la classe ouvrière est d'être entraînée dans le conflit de plus en plus violent entre les ailes populiste et libérale de la bourgeoisie.

Elle doit rester autonome sur son propre terrain de classe, poursuivant la lutte pour ses propres intérêts de classe, ce qui l'opposera inévitablement à la classe dirigeante dans son ensemble, et non à l'une ou l'autre de ses factions concurrentes.

Como 11.10.2025


[2] « Trump 2.0 : De nouvelles étapes dans le chaos capitaliste. » Revue internationale n° 173

[4] Il s'agit d'un jeu de mots attribué à Marie-Antoinette pendant la Révolution française. Lorsqu'on lui a dit que le peuple n'avait pas de pain, elle aurait répondu : « Qu'ils mangent de la brioche ».

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Bilan de sept mois de présidence Trump