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Nous commençons, avec ce numéro, une revue de presse ayant trait uniquement à des journaux d'avant-garde, publiés dans les divers pays du monde. Nous n'entendons pas faire une critique étendue ou une étude approfondie, qui ne cadrerait pas avec l'objet de cette rubrique. Notre but est de relever, autant que possible, le contenu général ainsi que les diverses positions prises sur des sujets importants dans la lutte de classe, de ces journaux.
Battaglia Communista
Ce journal est l'organe du Parti Communiste Internationaliste d'Italie. Ce parti, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois dans notre Revue, peut être considéré, rapport à sa faible influence en Italie, comme un groupe d'avant-garde. La grande erreur qui présida à sa naissance fut de croire que forcément l'après- guerre devait se résoudre dans une crise politique révolutionnaire.
Ainsi, dans son numéro du 16 décembre 1946, dans un article intitulé "Y aura-t-il une situation révolutionnaire dans l'après-guerre ?", il écrit, parlant des pays vaincus :
"La réduction du salaire devra (au futur et non au conditionnel) rencontrer la résistance du prolétariat qui pourra alors démasquer la trahison de certains chefs et devra les écraser pour paralyser leurs actions néfastes."
La réduction du salaire s'est opérée, la trahison de certains chefs s'est révélée mais, à aucun moment, le prolétariat n'a manifesté son détachement des mêmes chefs qui le trahissent. C'est les vieilles phrases de la IIIème Internationale prédisant l'élimination de la IIème Internationale par le démasquage des chefs traitres. Avec une telle argumentation dans la perspective du PCI d'Italie, il était normal qu'il crût un instant que son heure était sonnée.
Mais de parti, le PCI n'a que le nom et en continuant à croire dans la possibilité révolutionnaire des revendications économiques, il oriente son travail vers le syndicat en constituant une minorité active :
- "C'est, en d’autres termes, le caractère réactionnaire de la situation qui nous oblige, sur le plan syndical, au rôle de fraction ; et fraction ne signifie pas collaboration avec les dirigeants syndicaux actuels, ni nouveaux syndicats opposés à celui existant, mais organisation autonome avec une physionomie politique de classe bien précise, liée au prolétariat au-dedans et au dehors des syndicats-prisons, avec un objectif à atteindre : le syndicat de classe." (Battaglia du 15 avril 1947)
Ainsi, la fraction syndicale n'est pas un syndicat ; son action est politique. On se demande alors à quoi sert le parti puisque cette fraction demeure autonome des syndicats. C'est encore, nous pensons, une erreur fondamentale de croire que la constitution, pour chaque branche d'activité de classe, d'un organisme propre et autonome est utile, transformant le parti en un superviseur de tous ces organismes. La tactique, ici, devient aussi ridicule sinon plus que celle des différents partis staliniens. On forme des organismes multiples, pour des défenses multiples, pouvant attirer de multiples sympathisants. Le résultat le plus tangible est que ces organismes ne renferment aucun sympathisant et rien que des militants. Ces militants se transforment alors en Maître-Jacques comme dans "L'avare" de Molière.
Mais entrons dans le détail des fractions syndicales :
- "Les camarades organisent, où cela existe et où cela est possible, des comités de fabrique, d'usine etc…, propagent nos positions politiques…, dénoncent le rôle contre-révolutionnaire des partis de masse…, sélectionnent les sympathisants en les tenant près de la fraction syndicale communiste, laquelle aura comme tâche la défense constante des intérêts de classe des ouvriers." (Battaglia du 15 avril 1947).
"Cette gymnastique quotidienne", et ce n'est pas qui le disons, n'a pas, à notre connaissance et jusqu'à ce jour, porté les fruits que le PCI d'Italie espérait. Va-t-il croire à une erreur d'appréciation ou en un manque d'ardeur des militants pour cette gymnastique ? Eh bien, c'est à la deuxième cause qu'il semble se raccrocher.
Dans les thèses syndicales parues dans "Battaglia Communista" du 18 février 1948, le PCI d'Italie réaffirme :
- "Il ne restait plus au parti du prolétariat (après l'encasernement des syndicats) qu'à œuvrer - dans les masses organisées dans le syndicat et non organisés - à un organisme permanent à autonomie idéologique, politique et organisationnelle caractéristique ; cet organisme s'agitera dans l'ambiance-même du syndicat et sur les lieux-mêmes du travail…"
Prémisse de soviet ou fraction dans le syndicat ? Ni chèvre ni choux. Le PCI d'Italie demeure dans le brouillard. Voulant percer à tout prix, il ne se demande pas si cet après-guerre n'infirme pas sa perspective. Alors, il ne lui reste plus qu'à multiplier les organismes extra-parti où personne n'ira.
Si la situation est près-révolutionnaire, la permanence de ces organismes l'est en fonction de la situation, mais cette même permanence ne peut créer nullement une possibilité révolutionnaire :
- "La fraction syndicale affirme l'incompatibilité, pour chacun de ses membres, d'appartenir à un quelconque organisme syndical… mais la fraction doit agir activement dans toutes les batailles qui se déroulent dans l'ambiance du syndicat ou de l'usine. En de telles batailles - élection des organismes de direction syndical ou de commissions internes -, la fraction procèdera à la présentation de liste propre, en se battant sur un programme politique de classe qui tende à créer, dans le prolétariat, la conscience d'un dépassement révolutionnaire de l'actuel syndicat."
On se demande si le sens du mot autonomie a une autre signification en Italie. D'une part non-appartenance au syndicat, d'autre part participation aux élections syndicales. Il y a contradiction. Le PCI d'Italie n'en a cure, puisqu'il doit participer à toutes les batailles ouvrières dont les élections syndicales en sont un aspect important.
Ainsi dans "Battaglia Communista", si le ton des articles est plutôt sérieux il n'en cache pas moins un activisme forcené qui, sur le plan tactique, le rapproche de la "Vérité" trotskiste en France.
IV° Internazionale
La dénomination de parti est aussi le propre d'un minuscule groupe de trotskistes en Italie, lequel édite un journal "IVº Internazionale". Bien que l'influence de ce groupe soit nulle, cela n'empêche pas le journal de mettre des titres flambants et explosifs, à croire que la révolution est aux portes. Quelques titres :
- "Au plan Marshall et au plan Molotov, le prolétariat mondial oppose le plan MARX : LA REVOLUTION SOCIALE".
- "Grève générale à outrance contre la hausse des prix".
- "ACTION DIRECTE".
Quelques chroniques internationales bien enfantines : Au parlement du dominion bengalais (Ceylan), les députés trotskistes sabotent la cérémonie d'entrée du Parlement, en se réunissant à part dans une salle du Parlement.
Mais, brusquement, dans quelques minuscules réduites de journal, une voix révolutionnaire sensée se fait entendre, tantôt pour critiquer la tendance trop directoriale du Comité Centrale du PCI d'Italie, tantôt pour répliquer aux anarchistes qui déforment certaines pensées de Bordiga, tantôt pour demander à ce que l'aventurisme et les ridicules appréciations de la situation de la IVº Internationale fassent place à une étude sérieuse et objective :
- "Le congrès du PCI, section française de la IV° Internationale, a caractérisé la période dans laquelle nous vivons comme révolutionnaire. Il est évident que les camarades français n'ont pas compris la portée de l'agitation prolétarienne en France et ont vu, dans les grèves, le reflet d'une situation objectivement révolutionnaire."
Plus loin :
- "Il serait trop commode de voir dans la tactique stalinienne (la défaite des grèves) quand cela est, au contraire, une résultante d'une situation qui objectivement n'est même pas pré-révolutionnaire." (IVº Internazionale du 25/12/47).
Cette auto-critique sérieuse détonne d'avec le reste du journal. Un accident ?
L'Internationaliste belge
Le PCI d'Italie a un groupement frère en Belgique (FBGCI) qui éditait, hier encore, le journal "L'Internationaliste" mais qui, aujourd’hui, devant une situation de plus en plus précaire de la classe ouvrière, devant son manque total d'influence sur le prolétariat belge, en rapport avec la situation actuelle tendant vers la troisième guerre impérialiste mondiale, n'édite plus, et d'une manière irrégulière, qu'un bulletin ronéotypé comme le nôtre.
À côté d'un article anodin sur le cas du roi Léopold, le bulletin du 20 janvier 1948 traitant des grèves en France, n'y voit pas du tout une expression aiguë de l'antagonisme Amérique-Russie. Ce n'est, pour lui, qu'un simple partage tacite de zones d'influence. Ainsi, suite aux événements de l'Europe orientale, Lucain écrit :
- "Bien loin d'y voir un pas de clerc des staliniens - qui par leur action s'isolaient des autres partis -, nous pensions y voir la conclusion organique de la délimitation de zones d’influence.
Cette opinion semblait recevoir un démenti lorsque les staliniens lancèrent, en France, les mots d’ordre de grève huit jours avant la réunion des quatre à Londres.
Cependant, la suite des évènements devait prouver que nous avions eu raison, dans le sens où un accord était intervenu au sujet des zones d’influence."
Plus loin :
- "Le mot d'ordre des staliniens de cesser les grèves a précédé, de quelques heures à peine, l'annonce de la rupture des pourparlers économiques entre la Russie et la France, ce qui signifie que la Russie accepte l'entrée de la France dans la zone d’influence américaine."
Il est à espérer que les évènements actuels permettront à Lucain de se rendre compte que tous les évènements politiques, actuellement, militent en faveur non d'un partage tacite de zones d’influence mais d'une préparation active et propagandiste de guerre, à moins que l'opposition des staliniens, présentement en France, ne soit une comédie orchestrée par Washington et Moscou en toute fraternité. Au demeurant, félicitons Lucain pour la façon dont il interprète la dénonciation du traité commercial franco-russe.
Dans le même article Lucain écrit, d’une part : "Les ouvriers en France ont un niveau de vie quatre à cinq fois inférieur à ce qu'il était avant-guerre.”
D’autre part : "Le capitalisme a encore, en France comme en Italie, la possibilité d'améliorer progressivement le niveau de vie actuel… Mais, cela signifierait un affaiblissement de son effort pour rétablir ses positions impérialistes."
Si on peut considérer la perte de l'Indochine comme un effort impérialiste couteux pour la France, pour l'Italie ce problème colonial impérialiste n'existe plus pratiquement, à moins qu'une nouvelle campagne coloniale ne se prépare clandestinement. Alors, pourquoi le gouvernement de Gasperi ne s'attache pas les ouvriers en leur rendant leur niveau de vie de 1939. L'erreur grossière consiste à croire qu'en Europe le capitalisme peut encore se développer entrainant par là un accroissement du pouvoir d'achat des ouvriers. Quand on ne veut pas voir, on imagine.
Dans un autre article du bulletin, "Deux actes du capitalisme d'État", nous voyons la déflation russe présentée comme une volonté de concentration capitaliste et une accentuation de la concurrence face aux États-Unis. Et le parallèle est avec le plan Mayer en France. On se demande seulement comment va s'exprimer la concurrence française intégrée dans le bloc américain. Face à la Russie ?
Mais, là encore, on veut voir trop bien et d'après un schéma. C'est pourtant malheureux, pour Lucain, de voir qu'en Russie comme en France ce n'est pas une concentration qui s'est opérée mais un assèchement de la circulation fiduciaire, en regard non de la production mais de la consommation qui, dans les deux pays, devait être réduite à tout prix.
Le dernier article du bulletin traite d'une question théorique que nous jugeons devoir faire l'objet d'une critique plus profonde ne cadrant pas avec cette rubrique.
Pays-Bas
Au mois d'aout, le groupe Spartakusbund se scindait en deux. On sait que ce groupe a été fondé à la fin de la guerre par l'ancienne organisation de Sneevliet (le RSAP) et l'ancienne tendance des Communistes de Conseils, vieux groupe de la gauche qui s’est séparé de la IIIème Internationale en 1921-22 et qui avait pour leaders idéologiques Pannekoek et Gorter.
La scission dans le Spartakusbund avait pour fondement des divergences politiques qui sont restés dans l'obscurité, au moment de la fondation du groupe et n'ont jamais été précisées par une discussion suffisamment claire. Ces divergences portaient notamment sur la question syndicale et la notion du parti de classe. Dans ces conditions et dans une situation générale de recul de la lutte de classe, la scission était non seulement inévitable, mais encore souhaitable permettant, aux deux tendances, de développer pleinement leur pensée et leurs idées propres.
Il nous est difficile de donner une idée précise de l'activité et des écrits du Spartakusbund. Le journal du groupe qui parait deux fois par mois, régulièrement, est en flamand, ce qui, pour nous, est une difficulté quasi insurmontable. Il semble que ce groupe soit malheureusement par trop replié sur lui-même, se contentant d'une activité dans les frontières hollandaises et ne recherchant ni des contacts ni la discussion avec des groupes révolutionnaires sur le plan international.
Tout à l’opposé est le groupe des Communistes de Conseils. C'est sur leur initiative, quoique étant encore eux-mêmes dans le Spartakusbund, que s'est tenue la Conférence internationale de contacts au printemps 1947. Après leur scission, ils ont commencé la publication d'un Bulletin international de discussion en langue française, afin de permettre une plus large diffusion et une plus active collaboration des autres groupes.
Le numéro 1 de ce Bulletin est paru en novembre 1947. Il contient une lettre de la GCF et le début d'une étude sur les "Fondements de l'économie communiste". C'est un effort de recherche théorique de la plus haute importance, portant sur un problème que l'expérience russe a mis en évidence et que les groupes d'avant-garde ont passablement négligé. Nous invitons tous les camarades des groupes révolutionnaires à se procurer ce bulletin.
Le numéro 2 de ce Bulletin doit paraître ces jours-ci, contenant la suite de l'étude sur “Les Fondements de l'économie communiste", ainsi qu'un rapport sur "Le mouvement ouvrier actuel" présenté par la GCF.
Il est regrettable que les quelques groupes révolutionnaires, existant par-ci par-là, n'aient pas encore compris l'intérêt qu'il y a à soutenir cet effort de publication d'un Bulletin d'information et de discussion international qui, à l'heure actuelle, est le meilleur moyen permettant le développement de la pensée et de l'activité révolutionnaires.
Mousso
NDLR – Le manque de place nous empêche de publier la revue de presse de l'avant-garde en Angleterre, en Amérique et en France. Nous publierons la suite de cette revue de presse dans le prochain Internationalisme. Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs. Pour la même raison, nous avons été obligés de reporter, au prochain numéro, la suite de l'article "Le marxisme et la guerre impérialiste".
Par la même occasion, nous annonçons la publication d'une brochure : "Cent ans de Manifeste Communiste".