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Après les hostilités oratoires des grandes puissances du monde capitaliste, il était normal d'assister, sur le plan intérieur de certains secteurs nationaux, à une répercussion des antagonismes impérialistes s'exacerbant.
Mais, tandis que les secteurs capitalistes directement absorbés par les 2 grands blocs impérialistes ne présentent que de simples opérations de nettoyage politique et policier dans certains autres, la bataille d'influence revêt des caractères qui s'apparentent à une guerre civile larvaire.
La fissure entre les Américains et les Russes s'accentue parallèlement à une fissure, dans certaines limites nationales, entre les fractions bourgeoises qui allient leurs intérêts à l'un ou l'autre des 2 grands blocs impérialistes.
Récapitulons brièvement : la dernière session générale de l'ONU revêt un caractère de véritable provocation à la guerre. Vyszinski et Marshall ne se gênent pas pour faire comprendre clairement que le dénouement d'une situation issue de la guerre 1939/45 ne peut être qu'une nouvelle guerre.
Quelle que soit la politique internationale ou nationale d'un bloc, celle-ci est présentée par l'autre bloc comme une atteinte à "la paix démocratique" du monde. L'opposition des impérialistes va jusqu'à s'exprimer dans des questions de procédure : nous laissons aux journalistes bourgeois tirer des conclusions, dignes du "café du commerce", de la résolution ou non de certaines querelles de procédure.
Pour nous, cette opposition manifeste, dans les moindres détails, prouve :
- une confusion dans l'interprétation réciproque des intentions immédiates de l'un ou l'autre bloc impérialiste, parce que les intentions non immédiates des grands ne laissent aucune ombre d'accord pacifique ;
- le déroulement d'une situation qui repose sur un tonneau de poudre se joue tant sur le plan intérieur de chaque impérialiste que sur le plan international du marché mondial.
Il y a à peine dix à quinze ans, les pays européens se moquaient des résolutions quotidiennes des pays de l'Amérique du sud. On y voyait uniquement la concrétisation des intrigues impérialistes. Aujourd'hui, ces résolutions ont déplacé leur épicentre jusqu'en Europe ; et, parce que plus diplomates, les divers pays qui sont les théâtres de ces "résolutions" ne peuvent concevoir qu'ils sont ramenés, dans leurs manifestations, à jouer le rôle de l'Amérique du sud.
Nous savons parfaitement qu'il est difficile de comparer un Blum, un De Gaulle ou un Thorez à un quelconque général d'opérette d'une république d'Amérique du sud. Mais si cette comparaison fort juste est difficile à concevoir, c'est non en raison de la "haute valeur" des personnages pré-cités mais uniquement en raison de l'entrée en scène, sur un thème impérialiste, de grandes masses ouvrières à vieille tradition révolutionnaire. La classe ouvrière française, italienne, allemande, qui sert de troupes à nos nouveaux "généraux sud-américains" permettent, par leur histoire passée, de présenter les conflits entre ces généraux comme des expressions les plus conscientes et les plus graves d'une situation pré-belliqueuse.
Si un sénateur américain peut dire que les frontières des USA passent par une partie de l'Allemagne, par l'Italie et la France, c'est tout simplement que la doctrine de Monroe a élargi son champ d'action. Nous sommes l'espace vital de l'impérialisme américain, tout comme l'Europe orientale et centrale l'est pour la Russie.
En termes cinématographiques, nous pourrions nous comparer à la figuration nécessaire au déroulement des intrigues des grands personnages américains et russes : nous sommes les mouvements de foule, les bruits divers qui relèvent l'action et le dialogue des premiers plans. On pouvait en dire de même il y a dix à quinze ans des États sud-américains. Mais, heureusement que notre figuration peut porter l'épithète "intelligente" tant nous savons épouser les intrigues des vedettes.
Hier des péons pouvaient se montrer indifférents aux querelles des généraux sauteurs ; aujourd'hui la classe ouvrière semble jouer "intelligemment" le rôle que les bourgeoisies américaine et russe lui ont assigné.
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La conférence de Londres se tient actuellement au milieu de préparatifs intenses de guerre tant sur les plans idéologique et psychologique que sur le plan économico-militaire.
La presse soviétique, parce qu'exprimant une situation de "rat pris au piège", donne une idée très juste des débats quand elle déclare que, à cette conférence, l'Amérique, l'Angleterre et la France présentent une similitude de positions qui semble découler d'accords préalables. Ce à quoi la presse américaine répond que cette situation découle plutôt du fait que Molotov persiste à jouer les cavaliers seuls.
Ce tennis diplomatique n'a rien d'original ; seulement, à la longue, on pouvait espérer que cette démagogie, qui consiste à rejeter sur d'autres la responsabilité d'événements et d'échecs, aurait été usée. Le seul fait marquant de cette conférence de Londres est la proposition Molotov de préparer séparément les traités de paix Allemagne et Autriche. Si on s'émerveille de la réponse de Bidault déclarant qu'une telle proposition tendait à ajourner la conférence, il est plus que certain qu'aujourd'hui la situation est tellement confuse que le fait, en diplomatie, de dire un axiome relève plus du hasard que de la science.
La conférence est donc considérée comme ajournée parce qu'il n'y a plus de place pour des querelles diplomatiques et l'on passe ainsi du plan oratoire à la préparation du terrain stratégique et politico-militaire.
Qui est responsable ? Molotov ? Marshall ? Laissons aux Sartre et Pivert le plaisir de trouver où situer la responsabilité "pour ne pas payer la paix à n'importe quel prix".
Pour nous, cette attitude équivaut à payer la guerre à n'importe quel prix. Nous pensons que la responsabilité n'est personnifiée ni par Marshall ni par Molotov ; elle est supportée par le régime capitaliste décadent qui ne peut vivre hors de la guerre.
Que Molotov et Marshall en soient des représentants hors pair, cela ne fait aucun doute ; mais ils n'en ont pas l'exclusivité car il se trouve sur terre quantité d'intellectuels en veine de prophéties pour rejeter la guerre par la porte tout en laissant la fenêtre ouverte.
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En contraste avec la conférence de Londres - dont le calme ne présage rien de bon et dont les compromis ne peuvent se faire que sur le dos de cette pauvre paix -, une situation tendue règne en France et en Italie.
Ramadier, après un an de fuite et de dérobade devant les revendications ouvrières, devait céder la place à un gouvernement qui, par son autorité et sa majorité plus étendue, puisse prendre des décisions sur le problème salaire-prix et, d'autre part, puisse faire échec aux démagogiques propagandes et actions des staliniens.
L'axe central de la politique gouvernemental en France ne devait pas pour autant changer de sens ; la solution salaire-prix, non qu'elle soit de l'incompétence d'un Ramadier, était accessoire devant les grèves "spontanées" et la possibilité de grève général ; une haute figure politique pouvait, seule, retarder ce mouvement de grève ou, au moins, en diminuer l'acuité.
Blum devait succéder à Ramadier. La majorité devait en décider autrement. Blum, après avoir tracé vaguement un essai de politique économique dont aucun point ne présentait d'originalité (De Gaulle et Thorez auraient pu faire leur ce programme), est mis en disponibilité par l'Assemblée. Gaullistes et Staliniens constituent une minorité constitutionnelle qui permet de repousser la candidature de Blum.
À une politique démagogique et tout en souplesse d'un Blum mais aussi à une politique à longue échéance se basant plus sur un travail d'influence, l'Assemblée, des gaullistes aux staliniens, lui a préféré une politique de force.
De son côté, la fraction bourgeoise française russophile, comprenant l'irréductibilité des intérêts impérialistes américano-russes, cherche la situation trouble qui empêcherait de transformer la France en une terrain solide pour les É-U et, encore une fois, seule une politique de force pouvait créer cette situation trouble.
Les staliniens devaient, à notre avis, retirer plus de profits de cette politique de force. C'est ce qui semble ressortir des débats actuels à l'Assemblée.
Schumann est préféré à Blum ; c'est lui qui se chargera d'empoigner le taureau par les cornes. Non content de disposer d'un arsenal judiciaire qui lui permette d'imposer la force constitutionnellement, il propose à l'Assemblée deux lois nouvelles qui aggravent et facilitent la pénalisation des actes de grève.
La majorité des députés, à la présentation de ces lois, devant l'exploitation politique par les staliniens de ces mesures anti-ouvrières, se rend compte de l'erreur commise et, par des amendements, tache moins de diminuer l'effet judiciaire des lois que de couper, aux staliniens, la possibilité d'exploiter politiquement ces lois anti-grévistes.
Nous assistons alors à un mouvement de grève débutant par les fédérations syndicales les plus staliniennes, comme la fédération de la métallurgie. Les grèves sont imposées à la classe ouvrière par des assemblées syndicales qui ne regroupent que les militants staliniens. Vote à main levée, unanimité à coups de trique. Qu'importe puisque le mouvement part, avec frénésie, en étendue et en profondeur.
Les grèves se succèdent, fléchissent, se transforment en bagarres entre grévistes, non-grévistes et police. Un mouvement généralisé aurait pu permettre à Thorez de dire que les travailleurs font montre de discipline et de force.
À défaut de la discipline et de la force, les grèves se transforment en "commandos", en raid de minorités agissantes sachant qu'il suffit d'immobiliser des points névralgiques pour que la production tombe à zéro.
Les sabotages revêtent aussi moins un souci de propagande qu'une manifestation de prélude social à la 3ème guerre impérialiste.
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Ce qui présente un aspect de véritable tragédie, ce n'est pas tant l'antagonisme inter-impérialiste. Que la bourgeoisie française soutienne la matraque et les lois anti-ouvrières de Schumann ou bien la politique de la terre brulée des staliniens, entrainant par là une chute et de la production et de la puissance déjà négligeable de l'impérialisme français, ceci ne peut offrir qu'une constatation de plus, que le capitalisme ne peut vivre que dans la guerre.
Un grand drame de cette lutte impérialiste antagonique, c'est la place qu'occupe la classe ouvrière.
Affaiblie, démoralisée, lassée par les grèves par paquet du printemps dernier, la classe ouvrière se voit jetée à nouveau dans une lutte de revendications économiques dont elle connait déjà l'issue ; issue qui ne peut en aucun cas arrêter la chute tendancielle du pouvoir d'achat des masses. Les réactions ouvrières - qui, consultées de quelque façon - s'expriment pour une reprise du travail, ne laissent pas dans l'ombre le côté purement politique que les staliniens ont donné à cette grève.
Si, pour les staliniens, cette grève doit permettre la réalisation de leur projet d'échec du plan Marshall, pour les soutiens du gouvernement - comme "Force ouvrière", tendance cégétiste minoritaire - il s'agit de dégouter les masses du stalinisme pour les amener à une complète obédience au gouvernement et, de classe ouvrière, les transformer en vulgaire couche économique dans la nation.
Les staliniens ont, les premiers, attaqué sur le plan social, car ils tentent de saboter un plan qui souderait la France au bloc américain. Le gouvernement et "Force ouvrière" contre-attaquent pour appliquer ce plan.
La classe ouvrière ne sert là que de masse pour l'exécution ou non d'un plan impérialiste. Comme dans la guerre, la classe ouvrière n'est appelée que pour se faire matraquer et tuer. Encore une fois, nous rejetons avec force et volonté. Il n'y a pas de salut pour la classe ouvrière dans une lutte pour la grève ou contre la grève. Cette arme est devenue principalement une arme d'une bourgeoisie contre une autre.
Thorez et Schumann parlent français, c'est-à-dire intérêts de la bourgeoisie ; la classe ouvrière doit leur répondre par le refus de se laisser prendre dans un quelconque dilemme bourgeois.
Ce n'est donc pas la grève que l'on doit accepter ou refuser. Toutes les manifestations de l'État bourgeois doivent être rejetées comme une volonté ennemie de la classe qui s'impose. Schumann profite de l'activité stalinienne pour appliquer des lois anti-ouvrières et réactionnaires sur une classe ouvrière affaiblie et désemparée par l'aventurisme du PCF. Le PCF est pour la grève, Force ouvrière et le gouvernement contre la grève. La classe ouvrière se refuse à épouser la cause des uns ou des autres.
C'est la seule attitude et elle semble négative ; mais elle serait positive et dangereuse pour la bourgeoisie si la classe ouvrière l'exprimait violemment dans toutes les aventures où on veut l'entrainer.
La guerre sociale a débuté en France, prélude de la guerre impérialiste. Les ouvriers doivent répondre par la révolution socialiste et la destruction de l'État bourgeois et de ses organismes de démagogie : parlement et syndicats.