L'approfondissement et l'extension des conflits guerriers traduisent l'impasse croissante du capitalisme

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Devant l'impasse totale où se trouve le capitalisme et la faillite de tous les "remèdes" économiques, la bourgeoisie n'a d'autre choix que la fuite en avant avec des moyens qui ne peuvent être que militaires. L'aggravation des tensions guerrières en Ukraine, au Moyen-Orient et en Afrique comme les menaces croissantes en Asie (Philippines, Taïwan…) constituent le principal vecteur d'une situation mondiale où guerre, crise économique et désastre écologique s’aggravent et se renforcent mutuellement. Le prolétariat mondial en paie les conséquences sur les lignes de front en Russie et en Ukraine, en Israël et à Gaza, au Yémen, au Sahel, etc. Face à la multiplication des cures d’austérité pour financer la guerre, partout la misère, la précarité, la peur du lendemain s’approfondissent. Si le prolétariat réagit de plus en plus par la lutte à des attaques économiques insupportables, le chemin est encore long avant que le développement et la politisation de ses luttes permettent de mettre en question la domination capitaliste.

Bien que la polarisation des tensions entre les États-Unis et la Chine constitue l'axe central des tensions impérialistes dans le monde et que les différents conflits guerriers se trouvent directement ou indirectement liés à cette confrontation majeure, la dynamique impérialiste n'est pas celle d'alliances stables conduisant à la formation de blocs impérialistes en vue d'une Troisième Guerre mondiale. Cela ne signifie pas pour autant que l'humanité peut dormir sur ses deux oreilles : la tendance actuelle au chaos impérialiste incontrôlé constitue également une menace pour sa survie.

Depuis l'effondrement des blocs, la détermination des États-Unis à se maintenir au rang de première puissance mondiale, et à imposer leur ordre impérialiste, est une contribution majeure au désordre impérialiste actuel. Depuis l'administration Obama, la bourgeoisie américaine a mis en œuvre une politique de "pivot" vers l'Asie, tissant un réseau d'alliances économiques et militaires (AUKUS, Quad) pour isoler la Chine, sur le modèle de l'encerclement de l'URSS[1] qui a contribué à l'effondrement du bloc de l'Est. Saper l'alliance entre la Russie et la Chine est un objectif important de cette politique, c'est pourquoi les États-Unis ont contribué à provoquer la guerre d'Ukraine pour "saigner" la Russie.[2] Un autre volet de la stratégie de l'impérialisme américain était la Pax Americana au Moyen-Orient, avec les accords d'Abraham (2020), qui visaient à neutraliser l'Iran et ses milices supplétives dans la région et à bloquer la présence de la Chine et ses "routes de la soie". Le chaos qui s'est emparé de la région suite à l'attaque sanglante du Hamas et la réponse génocidaire d'Israël, en risquant de mettre le feu à la région s'inscrivent en contre des intérêts des États-Unis qui ont dû mobiliser des moyens militaires considérables pour évider une déstabilisation venant menacer la stabilité "garantie" par les accords d'Abraham.

Pour ajouter à la confusion, les factions populistes et démocrates de la bourgeoisie américaine défendent des orientations impérialistes différentes, ce qui rend les perspectives encore plus imprévisibles en cas de victoire de Trump aux prochaines élections présidentielles : "Trump oscille entre le désir de projeter la puissance américaine à l'étranger et l'isolationnisme ; récemment, il a promis de se retirer de l'OTAN, de mettre fin aux importations de produits chinois, de déployer l'armée américaine dans les rues américaines pour lutter contre la criminalité et expulser les immigrants, et d'"évincer" les "bellicistes" et les "mondialistes" du gouvernement américain. D'autres dirigeants conservateurs, tels que le gouverneur de Floride Ron de Santis et l'homme d'affaires Vivek Ramaswamy, expriment une franche hostilité à l'égard du respect des engagements internationaux des États-Unis. La plupart des candidats à la présidence du Parti républicain ont offert un soutien inconditionnel à Israël à la suite de l'attaque du Hamas [...] En ce qui concerne l'Ukraine, les politiciens du parti sont divisés : un peu plus de la moitié des républicains de la Chambre des représentants ont voté en septembre 2023 pour mettre fin à l'aide américaine à la défense de Kiev contre l'invasion russe"[3].

Impasse de la guerre en Ukraine

Après deux ans et demi, la guerre semble être dans une impasse. L'offensive ukrainienne a été un échec et la Russie peine à avancer au-delà de ses positions. Les deux parties sont confrontées à la nécessité d'une plus grande mobilisation de la population et des ressources sur les lignes de front, tandis que les ruines des villes, les pertes et les privations de la population s'accumulent.

La cause de cette impasse n'est pas qu'aient été sous-estimées la résistance de la Russie à la "saignée", sa capacité à rester une puissance mondiale. Elles ont plutôt été surestimées.  À l'origine de l'impasse actuelle se trouve la spirale du chaos déclenchée par la guerre en Ukraine.

D'abord en Russie même où la croissance économique est en réalité le résultat de l'économie de guerre, qui engloutit toutes les ressources et annonce "du pain aujourd'hui et la faim pour demain" : "Plus d'un tiers de la croissance de la Russie est due à la guerre, les industries liées à la défense affichant des taux de croissance à deux chiffres [...] Le secteur militaire bénéficie d'un montant disproportionné de dépenses publiques et siphonne également la main-d'œuvre civile, ce qui se traduit par un taux de chômage anormalement bas de 2,9% [...] L'interaction entre les dépenses militaires, les pénuries de main-d'œuvre et la hausse des salaires a créé une illusion de prospérité qui ne durera probablement pas [...] Poutine est confronté à un trilemme impossible. Ses défis sont triples : il doit financer sa guerre contre l'Ukraine, maintenir le niveau de vie de sa population et préserver la stabilité macroéconomique. Pour atteindre les deux premiers objectifs, il faudra dépenser davantage, ce qui alimentera l'inflation et empêchera d'atteindre le troisième objectif"[4] Ce scénario d'inflation, de détérioration des services de l’État (santé, éducation…) et d'endettement des familles changera sans doute la façon dont les principales concentrations ouvrières de Russie ont vécu la guerre jusqu'à présent[5].

En outre, la productivité de l'économie russe et son niveau technologique sont si bas[6] que ce pays doit acheter des armes à la Corée du Nord[7]. À cela s'ajoutent un problème démographique et une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, exacerbés par la fuite des jeunes travailleurs du secteur technologique.

Mais les problèmes économiques ne sont pas les seuls auxquels Poutine est confronté. La Fédération de Russie compte 24 républiques (en comptant les territoires occupés de l'Ukraine) auxquelles le gouvernement de Poutine a retiré (à l'exception de la Tchétchénie) leurs prérogatives d'autonomie, non sans résistance de leur part (en Tchétchénie, en Ingouchie, en Daghestan, en Asie centrale, comme en témoigne le récent attentat de Khorasan à Moscou). La répartition inégale de l'effort de guerre, avec l'enrôlement sélectif dans les régions périphériques, le retrait des ressources pour les concentrer à Moscou, tout cela accroît les tensions et, en cas d'effondrement de l’armée russe, créerait une situation de possible éclatement de la Fédération et l’émergence de multiples chefs de guerre armés d'ogives nucléaires, vision cauchemardesque que les autres puissances, y compris les États-Unis, veulent éviter absolument... tout en contribuant, de fait, à la provoquer. Un autre élément qui met à rude épreuve la cohésion de la bourgeoisie en Russie est la lutte entre ses différentes factions. Malgré la dictature de fer de Poutine, il est clair que la rébellion de Wagner et la mort "accidentelle" de Prigojine, et celle de Navalny, ainsi que les changements successifs au sein du haut commandement militaire, illustrent la réalité de durs conflits au sein de l’État.

Sur le plan géostratégique, la Russie a déjà perdu son pari d'empêcher l'extension de l'OTAN vers l'Est en intégrant la Pologne et les trois pays baltes. Suite à la guerre en Ukraine, la Finlande et la Suède ont déjà présenté leur candidature. Par ailleurs, l'isolement international de la Russie la pousse à une plus grande dépendance vis-à-vis de la Chine.

Rien ne garantit que, dans ce chaos, Poutine (ou qui que ce soit d'autre) ne recourra pas, dans une situation désespérée, à l'utilisation d'armes de destruction massive.

Impasse aux États-Unis

Les États-Unis ont consciemment poussé la Russie dans une nouvelle offensive en Ukraine, mais la prolongation de la guerre et l'impasse dans laquelle se trouve le conflit vont désormais à l'encontre de leurs propres intérêts. La guerre draine, tout d’abord, des ressources économiques, militaires et diplomatiques qui pourraient être utilisées pour renforcer la présence américaine en Asie.

Elle renforce aussi les profondes divisions au sein de la bourgeoisie américaine. Les Républicains ont bloqué un paquet de soutien de 60 milliards de dollars pour l'Ukraine. Pour sa part, Trump a déclaré que s'il remportait les élections, il ne continuerait pas à soutenir l’Ukraine. Dans sa ligne provocatrice, il est allé jusqu'à affirmer qu’il laisserait la Russie "faire ce qu'elle veut" pour mettre à exécution ses menaces contre l'Europe, si les pays européens ne se conformaient pas à l'augmentation de leurs dépenses militaires, menaçant même de retirer les États-Unis de l'OTAN.

La guerre est également une source de tension avec les alliés européens, auxquels les États-Unis ont imposé une politique de sanctions à l'égard de la Russie et une augmentation des dépenses d'armement.

Cependant, l'abandon du soutien à l'Ukraine ne peut être une option raisonnable pour la bourgeoisie américaine. Tout d'abord parce que cela affaiblirait sa crédibilité en tant que parrain impérialiste et force de dissuasion[8]. Comme l'a rappelé le ministre taïwanais des affaires étrangères : "le soutien à l'Ukraine est essentiel pour dissuader Xi d'envahir l'île".

Comme la Russie, la Chine mais aussi l'Inde et l'UE observent ce que les États-Unis vont faire et ce qu'une nouvelle administration Trump pourrait impliquer. L'Ukraine en est particulièrement inquiète. Face au risque d'un retrait du soutien militaire et financier à l'Ukraine, la diplomatie de l'administration Biden a été intensément active ces derniers mois[9]. À commencer par le projet de pacte de sécurité avec l'Ukraine qui devrait être approuvé lors du prochain sommet de l'OTAN à Washington "qui ne serait pas du genre à lier les membres de l'OTAN à une défense mutuelle, mais qui réaffirmerait probablement un soutien à long terme à l'Ukraine"[10]. Ce projet fait suite à la décision prise lors du sommet du 75e anniversaire de l'OTAN en avril dernier d'accélérer l'augmentation des dépenses militaires et d'intégrer la Finlande et la Suède[11]. Blinken, le secrétaire d'État des États-Unis, a également insisté auprès de l'UE, à Paris le 2 avril, pour qu'elle "augmente sa production d'armes et de munitions afin de produire plus, plus vite et de soutenir l'Ukraine contre la Russie  [...] les défis auxquels l'Ukraine est confrontée ne disparaîtront pas demain". La Chambre des représentants présidée par Mike Johnson (un républicain trumpiste) a fini par accepter de voter le déblocage des fonds d'aide à l'Ukraine, cédant ainsi à la pression de l'administration Biden.

Le récent sommet du Bürgenstock en Suisse (15-16 juin) « pour la paix en Ukraine » mérite une mention spéciale. Zelensky a réuni cent délégations, mais depuis le printemps, les délégations française, allemande, britannique et américaine avaient élaboré un projet Zéro qui réduisait les 10 points initialement proposés par l'Ukraine à quatre, et excluait notamment ceux faisant référence au retrait des troupes et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, se limitant à signaler le risque nucléaire et la nécessité de ne pas bloquer le commerce des denrées alimentaires. Le Monde Diplomatique a publié en juillet un article basé sur un rapport de Foreign Affairs, selon lequel, alors que la guerre vient de commencer en mars 2022, les pays occidentaux auraient empêché la conclusion d'un accord de paix en poussant l'Ukraine à poursuivre la guerre jusqu'à ce que la Russie soit vaincue. Selon l'article, Poutine aurait déclaré que Boris Johnson (alors Premier ministre britannique) aurait appelé les Ukrainiens "à se battre jusqu'à ce que la victoire soit remportée et que la Russie subisse une défaite stratégique"[12].

Impasse en Europe

Washington a imposé sa discipline aux puissances européennes en appliquant des sanctions contre la Russie, en finançant la guerre en Ukraine et en augmentant les dépenses militaires de l'OTAN ; mais les pays de l'UE tentent de résister, et la livraison d'armes et le soutien à l'Ukraine sont lents et limités, ce qui n'empêche pas un effort significatif d'armement pour accroître la puissance militaire de chacun. La première puissance de l'UE, l'Allemagne, est un concentré explosif de toutes les contradictions de la situation inédite ouverte avec la Guerre en Ukraine. Menacée par le chaos à l'est, la fin du multilatéralisme affecte sa puissance économique dépendante des exportations, lui impose un effort des dépenses militaires en vue de son réarmement et enfin, les sanctions contre la Russie ayant porté un coup majeur à ses approvisionnements en gaz russe, elle est contrainte de rechercher de sources d'énergie alternatives. Dans la situation actuelle l'Allemagne se trouve donc contrainte de subir la tutelle militaire américaine, c'est pourquoi elle constitue, pour l'instant, l'un des principaux soutiens des orientations impérialistes américaines.

La guerre a provoqué des divisions au sein de l'UE et de l'OTAN, entre ceux qui défendent une politique ouvertement pro-Poutine, comme la Hongrie et la Slovaquie, et ceux qui, comme la France, souhaitent une plus grande indépendance vis-à-vis des États-Unis. Les récentes élections européennes ont également montré que dans différentes capitales nationales, des factions populistes défendent des orientations contraires aux intérêts de la bourgeoisie nationale dans son ensemble, comme dans le cas du RN de Le Pen en France, qui favorise une plus grande entente avec Moscou, et de La Lega de Salvini en Italie.

L'impérialisme chinois tente de creuser ce fossé en offrant son soutien aux dissidents américains, et Xi Jing Pin a organisé des voyages sélectifs pour diviser l’Europe, évitant certaines capitales comme Berlin, mais se rendant à Paris.

Quoi qu'il en soit, la guerre en Ukraine impose aux puissances européennes une politique de réarmement, d'austérité et de sacrifices pour la classe ouvrière. Dans l'UE, c'est l'économie de guerre qui se met en place, la bourgeoisie la justifiant par la menace russe. Von der Leyen, la présidente nouvellement réélue de la Commission européenne, a ainsi déclaré que "bien que la menace de guerre ne soit pas imminente, nous devons nous y préparer".

Mais la classe ouvrière des pays du noyau dur de l'Europe occidentale a montré qu'elle n'était pas prête à accepter de nouveaux sacrifices sans se battre. Comme l'a montré "l'été de la colère" de 2022 en Grande-Bretagne, avec le slogan "trop c'est trop", ou la lutte contre l'allongement de l'âge de départ à la retraite en France, nous assistons à un regain de combativité qui se développera face aux attaques contre nos conditions de vie.

De la Pax Americana à la politique de la terre brûlée

"Les efforts de M. Biden pour parvenir à un accord de normalisation israélo-saoudien constituent l'élément le plus récent d'une campagne américaine de longue haleine visant à renforcer la coopération entre les acteurs régionaux qui se qualifient eux-mêmes de modérés. Les pourparlers de normalisation se sont appuyés sur le succès des accords d'Abraham de 2020, qui ont ouvert la voie à l'établissement de relations diplomatiques entre Israël et Bahreïn, le Maroc, le Soudan et les Émirats arabes unis, et ont ouvert des perspectives sans précédent pour le commerce bilatéral, la coopération militaire et l'engagement entre les peuples. L'ouverture avec Riyad aurait renforcé cette tendance, plaçant l'Iran dans une position désavantageuse alors même qu'il s'efforçait d'assurer son propre rapprochement avec Riyad"[13].

Cette Pax Americana visait à immobiliser l'Iran et ses milices supplétives[14], ainsi qu'à mettre en place une route commerciale à partir de l'Inde qui empêcherait le déploiement du projet chinois des Routes de la Soie dans la région ; elle permettrait par la même occasion de réorienter les ressources militaires vers l'Asie et les mers de Chine, centre de toutes les tensions impérialistes. Ce plan a été élaboré sur la base de la reconnaissance de l'État palestinien, qui était jusqu'à présent une condition pour que les pays arabes, et l'Arabie saoudite en particulier, établissent des relations avec Israël. En effet, l'Autorité palestinienne a perdu toute crédibilité à Gaza au profit du Hamas, et en Cisjordanie, elle est impuissante face à l'occupation des colons israéliens poussés par le gouvernement d'extrême droite et soutenus par l'armée. Cette stratégie a permis d'éviter la présence de toute force palestinienne dans la région et de neutraliser les intérêts de l'Iran. En effet, la précédente administration Trump n'a eu aucun scrupule à reconnaître l'annexion du Golan, ni à déplacer l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, ce qui ne pouvait être perçu que comme une provocation. Tout cela ne laissait de place qu'à une réaction désespérée.

L'attaque du 7 octobre par le Hamas, préparée et soutenue par l'Iran, était une attaque contre cette stratégie, qui a bouleversé toute la région. "Plusieurs présidents américains avaient espéré minimiser le rôle de l'Amérique au Moyen-Orient sans trop de frais - dans le cas de Biden, pour se concentrer sur le défi de la Chine et la menace croissante de la Russie. Mais le Hamas et l'Iran ont fait revenir les États-Unis"[15].

En effet, d'importants porte-avions américains sont revenus sur les côtes de la région et plusieurs opérations spéciales ont puni de manière sélective les milices pro-iraniennes : "Le déploiement rapide par Joe Biden des moyens militaires américains dans la région, ainsi que ses efforts diplomatiques auprès du Liban et d'autres acteurs régionaux clés, ont permis d'éviter la guerre généralisée que le Hamas aurait pu espérer précipiter. Une série de frappes américaines contre les milices soutenues par l'Iran en Irak, en Syrie et au Yémen a dégradé les capacités de ces groupes et signalé aux partenaires de Téhéran qu'ils paieraient le prix de leur agression continue contre les Américains. Toutefois, le risque d'erreur de calcul et de complaisance de la part des Américains augmentera avec le temps"[16].

Mais ce que Washington n'a pas pu arrêter, c'est le tourbillon de vengeance d'Israël. Le Hamas a allumé la mèche d'une politique de la terre brûlée dans la région, mais c'est Israël qui la met en œuvre. L'État sioniste a depuis longtemps cessé de se contenter d'obéir aux ordres des États-Unis. Son gouvernement d'extrême droite n'a fait que renforcer cette tendance à la riposte.

Les États-Unis ont soutenu la réponse meurtrière d'Israël à Gaza (plus de 38.000 morts à ce jour), tout en essayant de contenir l'escalade de la guerre ouverte contre l'Iran. Mais cette situation sape leur discours en Ukraine, où ils soutiennent un pays envahi par l'agression de son voisin (la Russie) ; tandis qu'à Gaza, ils soutiennent en pratique l'invasion et l'extermination de Palestiniens par Israël. Elle sape également leur propagande en tant que leader de la démocratie mondiale. En outre, la poursuite de la guerre et son extension au Moyen-Orient réduisent à néant la voie empruntée par les États-Unis dans la région. C'est pourquoi, "la tâche la plus urgente de Washington est de mettre fin à la guerre à Gaza"[17]. La question de savoir si les États-Unis sont capables d'imposer leur autorité dans la région, et en particulier de contenir le déchaînement belliqueux d'Israël, est une autre question.

Le chef de la diplomatie américaine, Blinken, a déjà effectué huit tournées dans la région depuis le début de la guerre, dans le but de s'appuyer sur l'alliance avec l'Arabie Saoudite. Pour la première fois depuis le 7 octobre, les États-Unis n'ont pas opposé leur veto à une résolution de cessez-le-feu à l'ONU en mars, la laissant passer, bien qu'au motif qu'elle était "non contraignante". D'autre part, ils ont négocié avec le Qatar et l'Arabie saoudite un plan de libération des prisonniers du Hamas, qui a été approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies en juin. Netanyahou a déjà ignoré d'autres appels au cessez-le-feu, ce qui a conduit en avril à la démission de Benny Gantz du cabinet de guerre, forçant de fait sa dissolution, et à son appel à la tenue d'élections anticipées en septembre.

Face aux initiatives américaines visant à contenir les aspirations impérialistes d'Israël et à le soumettre à sa discipline, le gouvernement israélien ouvre de nouveaux fronts de guerre par des provocations telles que l'attaque du consulat iranien à Damas qui a tué sept commandants de la Garde révolutionnaire iranienne, les attaques contre le Hezbollah au Sud-Liban, ou récemment l'attaque contre le Yémen, en essayant de forcer Washington à assumer son rôle de gendarme de la région ; mais au prix d'un embrasement de la région par le déclenchement d'une guerre avec l'Iran. En effet, pour la première fois, le régime des Mollahs a lancé une attaque directe contre Israël en avril.

Le gouvernement Netanyahou tente également de gagner du temps en prévision de la victoire de Trump aux prochaines élections américaines, qui a annoncé son soutien indéfectible à une guerre israélienne contre l'Iran. Pour Netanyahou lui-même, au-delà des intérêts impérialistes avec les États-Unis, la poursuite de la guerre est aussi une affaire personnelle, pour sauver sa peau face à la menace d'être jugé pour corruption et aux protestations de la population contre lui.

La victime de ces manœuvres impérialistes est la population de toute la région, exterminée sous le feu de la lutte entre les camps impérialistes, à Gaza entre Israël et le Hamas, au Yémen entre l'Iran et l'Arabie Saoudite (et maintenant Israël), au Liban entre le Hezbollah et Israël.

L'Afrique : maillon faible de l'impérialisme américain[18]

Le chaos impérialiste mondial se concrétise en Afrique par l'intensification de conflits impérialistes faisant des dizaines de milliers de morts, des millions de réfugiés et par une famine sans précédent. Les conflits impliquent 31 pays et 295 affrontements entre milices et guérillas[19] Washington et les puissances occidentales ont de plus en plus de mal à contrer l'influence économique et militaire croissante de la Chine et de la Russie sur le continent. L'exemple le plus paradigmatique est la perte de positions de la France.

L'Afrique est cruciale pour l'économie chinoise en termes d'approvisionnement en matières premières de base pour le développement technologique et en pétrole ; mais surtout, à travers le projet de Routes de la soie, la Chine a renforcé sa présence militaire et géostratégique en Afrique du Nord et dans la Corne de l'Afrique, même si elle ne dispose pour l'instant que d'une base militaire à Djibouti.

Quant à la Russie, ses troupes mercenaires (Wagner) ont été impliquées dans des coups d'État au Mali, au Burkina Faso, au Niger et récemment dans le conflit entre le Congo et le Rwanda.

Mais le point névralgique des tensions impérialistes est aujourd'hui la région de la Corne de l'Afrique, qui est directement liée au conflit du Moyen-Orient et où le contrôle de la mer Rouge, par laquelle transitent environ 15 % du commerce mondial, est en jeu. L'Iran tente de contrôler la région par l'intermédiaire des Houthis, la Chine par sa présence à Djibouti et la Russie par son intervention au Soudan. La famine au Soudan (troisième pays d'Afrique), où 25 millions de personnes (15 % de la population) ont besoin d'une aide humanitaire et où l'on a assisté à l'exode de plus de 7 millions de personnes, confirme l'interaction entre la guerre, la crise et le désastre écologique au niveau mondial.

Les implications pour le prolétariat

Aux États-Unis, les divisions de la bourgeoisie fournissent à la fois un faux terrain de réflexion et d'opposition à la guerre pour les travailleurs. Trump se présente comme le partisan des travailleurs qui ne veulent pas s'impliquer dans des guerres qui ne les concernent pas et où leurs enfants meurent, sur un terrain étranger où le rejet de la guerre se mêle à la défense de la patrie, aux sacrifices économiques pour reconstruire l'économie et au rejet de l'immigration et de la xénophobie. Biden et les Démocrates, quant à eux, se présentent comme les défenseurs de la Paix et de la "Solidarité internationale" alors que leur gouvernement est le premier responsable du chaos actuel.

Ce faux choix conduit le prolétariat américain sur le terrain bourgeois de l’anti-racisme, de l’anti-populisme et de la défense de la démocratie, comme nous l'avons vu lors du Black Live Matters ou dans les mobilisations en opposition à l'assaut du Capitole.

Ce n'est que sur le terrain de la lutte pour leurs conditions de vie, pour leurs revendications, comme dans la grève des Big Three (secteur automobile) ou les luttes pour l'éducation et la santé en Californie, que le prolétariat est capable de se battre en dehors des fausses alternatives proposées par la bourgeoisie.

De même, au Moyen-Orient, la guerre empêche l'expression d'une lutte prolétarienne internationaliste contre les deux camps, détournant la solidarité avec les victimes sur le terrain du soutien à la partie palestinienne, voire iranienne.

Quant au prolétariat d'Europe, dans la région du conflit entre la Russie et l’Ukraine, il ne faut pas s'attendre à une réponse massive de sa part sur son terrain de classe.

Y compris en Russie, même si la poursuite de la guerre signifie une plus grande implication des bataillons centraux de cette partie du prolétariat. À l'avenir l'aggravation de la crise économique et financière poseront, plus en Russie qu'en Ukraine, les conditions d'une mobilisation du prolétariat pour défendre ses conditions de vie.

La lutte des travailleurs en Grande-Bretagne avec le slogan "enough is enough" et dans d'autres pays comme aux États-Unis et en France, etc. montre que le prolétariat n'est pas prêt à se sacrifier pour la guerre, stimulant une réflexion qui lie crise et guerre et concerne l'avenir désastreux que le capitalisme nous réserve.

L'impact de la guerre au Moyen-Orient est cependant un obstacle momentané au développement de la lutte de classe. Il favorise les démarches consistant à choisir l'un des camps impérialistes, à prendre parti dans la guerre, ce que le prolétariat se doit de refuser et de combattre avec la plus grande énergie.

H.R. (23 juillet 2024)


[2] Au début de la guerre, en mars 2022, le ministre français des finances, Bruno Le Maire, avait résumé les déclarations de Biden et Von der Leyen en ces termes : "nous allons provoquer l'effondrement économique de la Russie".

[3] "Le cas de l'internationalisme conservateur" par Kori Schake, membre du Conseil de sécurité et du département d'État sous Bush Jr, professeur et directeur des études de politique étrangère et de défense à l'American Enterprise Institute.

[4] "Putin's Unsustainable Spending Spree", par Alexandra Prokopenko (ancienne conseillère de la banque centrale russe jusqu'en 2020, travaillant actuellement au think tank Carnegie Russia Eurasia Centre), Foreign Affairs 8 janvier 2024.

[5] "La Russie se situe au dernier rang mondial en ce qui concerne l'ampleur et la rapidité de l'automatisation de la production : sa robotisation ne représente qu'une fraction microscopique de la moyenne mondiale" "The five Futures of Russia", par Stephen Kotkin, (Kleinheinz Senior Fellow à la Hoover Institution de l'Université de Stanford), dans Foreign Affairs mai/juin 2024.

[6] Entre le début du 21e siècle et aujourd'hui, la population en âge de travailler a perdu plus de 10 millions d'individus et la population âgée de 20 à 40 ans (considérée comme le groupe d'âge le plus productif en termes de main-d'œuvre) continuera de diminuer au cours de la prochaine décennie.

[7] "Les limites de la diminution de la main-d'œuvre du pays sont de plus en plus évidentes, même dans le secteur prioritaire - la production de guerre - qui compte quelque cinq millions de travailleurs qualifiés de moins que ce dont il a besoin", "Les cinq avenirs de la Russie".

[8] "If he (Trump) wins", Time vol 203, n°s.17-18.

[9] "Biden is growing boldder on Ukraine", par Ian Bremmer, dans Time vol. 203, nos. 21-22, 2024

[10] "L'OTAN prévoit, selon son porte-parole et secrétaire général, Jens Stoltenberg, de débloquer 10 milliards d'euros sur cinq ans... "Les ministres ont discuté de la meilleure façon d'organiser le soutien de l'OTAN à l'Ukraine pour le rendre plus fort et plus durable", a déclaré un haut responsable de l'OTAN" (Les pays occidentaux envisagent de débloquer 100 milliards d'euros pour soutenir le régime de Kiev ; in Diplomatie International no.5).

[11] Le secrétaire d'État Antony Blinken est actif sur tous les fronts et multiplie les initiatives, Karin Leiffer dans Diplomacy International n°5

[12] "La négociation qui aurait pu mettre fin au conflit en Ukraine", version abrégée d'un article de Foreign Affairs d'avril 2024, par Samuel Charap (politologue) et Sergueï RadchenKo (professeur d'histoire à l'université Johns-Hopkins), dans Le Monde Diplomatique de juillet 2024.

[13] «Iran’s Order of Chaos», by Suzanne Maloney (Vice-présidente de la Brookings Institution et directeur de son programme de politique étrangère, dans Affaires étrangères mai/juin 2024.).

[14] Les milices de l'Iran, comme Hezbollah, les Houtis ou le Hamas lui-même.

[15] Voir note 13

[16] Voir note 13

[17] The war that remades the Middle East, par Maria Fatappie (responsable du programme Méditerranée, Moyen-Orient et Afrique à l'Istituto Affari Internazionali à Rome, et Vali Nasr Majid Khadduri Professeur à International and Middle Eastern Affairs à la John Hopkins University School of International Studies ; a été conseiller principal du représentant spécial des États-Unis pour l'Afghanistan et le Pakistan de 2009 à 2011 ; dans Foreign Affairs janvier/février 2024.

[18] Selon Zhang Hongming, directeur adjoint de l'Institut d'études ouest-asiatiques et africaines de l'Académie chinoise des sciences sociales, l'Afrique est "le maillon faible de la conception stratégique mondiale des États-Unis".

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Ukraine, Moyen-Orient, Philippines, Taïwan, Afrique, ...