Une « terre promise » aux confrontations impérialistes

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Depuis le 7 octobre 2023, Le Moyen-Orient s’est engagé une fois de plus dans une escalade de violence barbare qui dépasse tout entendement.  Après le raid de centaines de terroristes du Hamas qui ont massacré et enlevé autant de personnes que possibles sur le territoire israélien et les salves de milliers de missiles tirés depuis Gaza, la riposte de l'armée israélienne a été dévastatrice, avec un bombardement et une destruction systématique des agglomérations, des dizaines de milliers de morts, surtout des femmes et des enfants et un nouveau déplacement de l'ensemble de la population de la bande de Gaza, des familles entières étant contraintes de dormir dans les rues. La population palestinienne est prise en otage à la fois par le Hamas et par l'armée israélienne, les États arabes environnants (Égypte, Jordanie) faisant tout ce qu'ils peuvent pour empêcher les Palestiniens déplacés de fuir vers leurs territoires. Et du Hezbollah au nord jusqu’aux Houthis en Mer Rouge, une extension rampante de la guerre menace toute la région.

Face à tout ce carnage, l'indignation et la colère ne suffisent pas. Il faut avant tout analyser et comprendre le contexte historique qui a engendré ces massacres. Derrière les affirmations des démocrates prosionistes parlant du « droit sacré des Juifs de fonder et de défendre leur État » ou les slogans de la gauche propalestinienne prônant une « Palestine libre, du fleuve à la mer », se cachent une mobilisation de la population de la région, et en particulier la classe ouvrière, en vue d’une multiplication des carnages au profit de sinistres manœuvres et confrontations impérialistes qui perdurent depuis plus d’un siècle  : « Le paysage géopolitique du Moyen-Orient contemporain est incompréhensible si l'on ne connaît pas les cent dernières années de manœuvres impérialistes » (W. Auerbach, 2018).

En effet, avec l’entrée en décadence du capitalisme, mise en évidence par l’éclatement de la Première guerre mondiale, la formation de nouveaux États-nations a perdu toute fonction progressiste et n’a servi qu’à justifier le nettoyage ethnique brutal, l’exode massif de populations et la discrimination systématique à l'encontre des minorités. Il suffit de rappeler comment pratiquement simultanément à la formation de l'État sioniste à la fin des années 1940 – et également comme conséquence du double jeu de l'impérialisme britannique -, il y a eu un exode massif forcé des musulmans de l'Inde et des hindous du Pakistan, provoqué par d'horribles pogroms de part et d'autre. Et plus récemment, l’éclatement de la Yougoslavie a suscité de sanglantes guerres civiles et des massacres de population. Ainsi, le conflit israélo-palestinien avec ses tueries et ses réfugiés, s’il a des aspects spécifiques, n'est pas un mal exceptionnel, mais un produit classique de la décadence du capitalisme. Dans ce cadre, la position internationaliste, défendue par la Gauche Communiste, rejette tout soutien à un État ou à un proto-État capitaliste et aux forces impérialistes qui les soutiennent. Aujourd’hui, la destruction de tous les États capitalistes est à l’ordre du jour par un seul moyen : la révolution prolétarienne internationale. Tout autre objectif « stratégique » ou « tactique » est un soutien à la logique meurtrière de la guerre impérialiste.

L’histoire de la confrontation entre bourgeoisies Juives et Arabes en Palestine illustre comment les mouvements "nationaux", tant celui des juifs que celui des arabes, tout en étant engendrés par l'épreuve de l'oppression et de la persécution, s'entremêlent inextricablement avec la confrontation des impérialismes rivaux, et comment ces mouvements ont tous deux été utilisés pour éclipser les intérêts de classe communs des prolétaires arabes et juifs, les amenant à se massacrer mutuellement pour les intérêts de leurs exploiteurs.

La Palestine : ambitions nationales étriquées et champ de manœuvre impérialiste  

Dès la fin du 19ème/ début du 20ème siècle, une fois que le globe était partagé entre les principales puissances européennes, la nature des conflits impérialistes a pris un caractère qualitativement nouveau avec un affrontement de plus en plus ouvert et violent entre ces puissances dans différentes parties du monde : entre la France et l'Italie en Afrique du Nord, entre la France et l'Angleterre en Égypte et au Soudan, entre l'Angleterre et la Russie en Asie centrale, entre la Russie et le Japon en Extrême-Orient, entre le Japon et l'Angleterre en Chine, entre les Etats-Unis et le Japon dans le Pacifique, entre l'Allemagne et la France au sujet du Maroc, etc. Dès cette époque, diverses puissances, telles l’Allemagne, la Russie ou l’Angleterre, lorgnaient vers des parties de l’Empire ottoman en déclin[1].

Aussi, l'effondrement de l'Empire ottoman après la Première guerre mondiale n'offrit pas d'opportunité́ pour la création d'une grande nation industrielle, ni dans les Balkans, ni au Moyen-Orient, nation qui aurait été́ capable d’engager la compétition sur le marché mondial. Au contraire, la pression de la confrontation entre impérialismes conduisit à sa fragmentation et au surgissement d'États embryonnaires. Tout comme les mini-États dans les Balkans sont restés l'objet de manigances entre impérialismes jusqu'à nos jours, la partie asiatique des ruines de l'Empire ottoman, le Moyen-Orient, a été et reste le théâtre de conflits impérialistes permanents. Au cours de la Première guerre mondiale déjà, profitant de la défaite de l’Allemagne et de l’éviction de la scène impérialiste de la Russie (confrontée au mouvement révolutionnaire), la France et la Grande-Bretagne se sont réparti la supervision des territoires arabes « abandonnés » (accord Sykes-Picot de 1916). En conséquence, l'An­gleterre a reçu en avril 1920 de la Société des Nations un « mandat » sur la Palestine, la Transjor­danie, l'Iran, l'Irak, tandis que la France en reçut un sur la Syrie et le Liban. Pratiquement tous les conflits ethnoreligieux persistants dont on entend parler aujourd’hui dans la région – entre juifs et arabes en Israël/Palestine, sunnites et chiites au Yémen, en Irak, chrétiens et musulmans au Liban, chrétiens, sunnites et chiites en Syrie, les Kurdes au Kurdistan turc, Iranien, irakien et syrien – remontent à la façon dont le Moyen-Orient a été découpé vers 1920. En ce qui concerne la Palestine, tant qu'existait l'Empire ottoman, elle avait toujours été considérée comme faisant partie de la Syrie. Mais dorénavant, avec le mandat britannique sur la Palestine, les puissan­ces impérialistes créaient une nou­velle « entité » séparée de la Syrie. Comme toutes ces nouvel­les « entités » créées au cours de la déca­dence du capitalisme, elle était destinée à devenir un théâtre permanent de con­flits et d’intrigues entre puissances impérialistes.

Dans aucun des pays ou des protectorats arabes, la bourgeoisie locale n'avait en réalité les moyens d'installer des États économiquement et politiquement solides, libérés de l'emprise des puissances "protectri­ces", et la revendication de « libération natio­nale » n'était plus rien d'autre en réalité qu'une demande réactionnaire. Alors que Marx et Engels au 19ième siècle avaient pu soutenir certains mouvements nationaux, à la seule condition que la formation d'État-nations pût accélérer la croissance de la classe ouvrière et la renforcer, celle-ci pouvant agir comme fossoyeur du capitalisme, la réalité économique et impérialiste au Moyen-Orient montrait qu'il n'y avait pas de place pour la formation d'une nouvelle nation arabe ni palestinienne. Comme partout ailleurs dans le monde, une fois le capitalisme entré dans sa phase de déclin, plus aucune fraction nationale du capital ne pouvait jouer de rôle progressiste, confirmant ainsi l'analyse faite par Rosa Luxemburg au cours de la Première Guerre mondiale déjà : "L'État national, l'unité et l'indépendance nationales, tels étaient les dra­peaux idéologiques sous lesquels se sont constitués les grands États bourgeois du cœur de l'Europe au siècle dernier. […] Avant d'étendre son réseau sur le globe tout entier, l’économie capitaliste a cherché à se créer un territoire d’un seul tenant dans les limites nationales d’un État […]. Aujourd'hui, (la phrase nationale) ne sert qu'à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu'elle ne soit utilisées comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’attention des masses populaires et de leur faire jouer le rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes" (Brochure de Junius).

Des bourgeoisies faibles, manipulées par l’impérialisme britannique

Lors de la 1e guerre mondiale, les deux puissances mandataires avaient fait des promesses aux peuples assujettis alors sous la coupe du Sultan d’Istanbul. La Grande-Bretagne plus particulièrement avait laissé entrevoir des espoirs d’indépendance pour les Arabes, voire la formation d’une grande nation arabe (voir la correspondance McMahon-Hussein de 1915-1916), et avait réussi à fomenter une révolte des tribus arabes contre les Ottomans (co-dirigée par T.E. Lawrence, « Lawrence d’Arabie »). Mais d’autre part, pour l'Angleterre, la Palestine repré­sentait une position stratégique entre le Canal de Suez et la future Mésopotamie britannique, vitale pour défendre son empire colonial, convoité par d'autres puissan­ces. Dans cette perspective, la puissance britannique ne voyait pas d’un mauvais œil une colonisation « importée » d’europe constituant en quelque sorte une force de contrôle de la région, à l’instar des Boers en Afrique du Sud ou des protestants en Irlande. D’où la déclaration Balfour de 1917 qui exprimait l’engagement du gouvernement britannique en faveur d’un foyer national juif en Palestine (« the establishment in Palestine of a national home for the Jewish people »).  D’ailleurs, une légion juive, le Zion Mule Corps, s’est battue au sein de l’armée anglaise pendant la Première guerre mondiale au Moyen-Orient. Bref, la « perfide Albion » jouait sur les deux tableaux.

A la fin de la guerre, la situation de la classe dirigeante palestinienne était fort précaire. Séparée de ses liens historiques avec la Syrie, elle était en­core plus faible que les bourgeoisies arabes des autres régions. Ne disposant ni de base industrielle significative ni de capitaux financiers, à cause de son retard économique, elle ne pouvait compter que sur une mobilisation politico-militaire pour défendre ses intérêts. Dès 1919, lors d’un premier con­grès national palestinien à Jérusalem. Les nationalistes palestiniens appelaient à l'inclusion de la Palestine comme « partie intégrante… du gouvernement arabe indépendant de Syrie au sein d'une Union arabe, libre de toute influence ou protection étrangère »[2]. La Palestine était envisagée comme faisant partie d’un État syrien indépendant, gouverné par Faysal, nommé par le conseil national syrien en mars 1920 roi constitutionnel de Syrie-Palestine : « Nous considérons la Palestine comme faisant partie de la Syrie arabe et elle n'en a jamais été séparée à aucun moment. Nous y sommes liés par des frontières nationales, religieuses, linguistiques, morales, économiques et géographiques"[3]. Des manifestations sont organisées dans toute la Palestine dès 1919 et en avril 1920, des émeutes font une dizaine de morts et près de 250 blessés à Jérusalem. Cependant le mouvement nationaliste fut rapidement réprimé par l’armée britannique en Palestine, tandis que les forces françaises écrasaient les forces du royaume arabe de Syrie en juillet 1920, n’hésitant pas à utiliser leur aviation pour bombarder les nationalistes. Déjà en Égypte en mars 1918, des manifestations des natio­nalistes égyptiens, mais aussi d’ouvriers et de paysans réclamant des réformes so­ciales, furent réprimées à la fois par l'armée britannique et par l'armée Égyptienne, tuant plus de 3000 manifes­tants. En 1920, l'Angleterre écrasa dans le sang un mouvement de protestation à Mossoul en Irak.

En même temps la classe dirigeante pales­tinienne, méprisée par ses consœurs syrienne, égyptienne ou libanaise et proclamant son autonomie dans un monde où il n'y avait plus de place pour un nouvel État-nation, était confrontée à une nouvelle « rivale » venue de l'extérieur. Comme conséquence du soutien de l'Angleterre à l’instauration d'un foyer juif en Palestine, le nombre d'im­migrants juifs augmentait fortement et l'Angleterre utilise d’ailleurs dans un premier temps les na­tionalistes juifs à la fois contre son rival principal, la France et contre les natio­nalistes arabes. Ainsi, elle incita les sionistes à proclamer à la Société des Nations qu'ils ne désiraient en Palestine ni protection française (dans le cadre de la « Grande Syrie »), ni protection internationale, mais la pro­tection britannique. En Palestine même, le financement de la bourgeoisie juive européenne et américaine permit d’étendre rapidement les colonies, ce qui amena des heurts de plus en plus violents avec les populations palestiniennes originelles sur le terrain. En 1922, au début du mandat britannique sur la Palestine, 85 000 habitants étaient juifs sur un total de 650 000 habitants recensés en Palestine, soit 12% de la population, contre 560 000 musulmans ou chrétiens. Suite à une immigration massive liée à un antisémitisme croissant en Europe centrale et en Russie, - une conséquence de la défaite de la vague révolutionnaire mondiale dans ces régions -, la population juive avait plus que doublé en 1931 (175 000). Elle va encore croître de près de 250.000 entre 1931 et 1936, de sorte qu’elle représente 30% de la population en 1939.

L’accroissement considérable de l’immigration juive en Palestine et la multiplication d’implantations rachetant des terres arabes et de quartiers juifs dans les villes sont exploités par les deux nationalismes pour aviver les tensions et pousser aux confrontations entre communautés. Les paysans et les ouvriers palestiniens, aussi bien que les ouvriers juifs, sont placés devant la fausse alternative de prendre position pour une fraction ou une autre de la bourgeoisie (palestinienne ou juive). C’était déjà clairement mis en évidence en 1931 dans la revue « Bilan », l’organe de la Fraction italienne de la Gauche communiste : « L'expropriation des terres, à des prix dérisoires a plongé́ les prolétaires arabes dans la misère la plus noire et les a poussés dans les bras des nationalistes arabes et des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie naissante. Cette dernière en profite, évidemment, pour étendre ses visées d'exploitation des masses et dirige le mécontentement des fellahs et prolétaires contre les ouvriers juifs de la même façon que les capitalistes sionistes ont dirigé́ le mécontentement des ouvriers juifs contre les Arabes. De ce contraste entre exploités juifs et arabes, l'impérialisme britannique et les classes dirigeantes arabes et juives ne peuvent que sortir renforcées »[4]. De fait, cette fausse alternative signifiait l'enrôlement des ouvriers sur le terrain des confrontations armées intercommunautaires uniquement dans l'intérêt de la bourgeoisie. Tout au long des années ’20 et ’30 des émeutes antijuives éclatent un peu partout en Palestine, causant de nombreux morts et blessés : en 1921 à Jaffa, puis lors les « massacres de 1929 » à Jérusalem, Hébron et Safed, avec des pillages et des incendies de villages juifs isolés, souvent entièrement détruits, et des attaques en représailles de quartiers arabes, causant la mort de 133 Juifs et de 116 Arabes.

Après ces émeutes, les Britanniques jouent au début des années ’30 la carte de la pacification envers les Arabes en limitant les forces d’auto-défense juives, mais les tensions et provocations persistantes entre communautés débouchent fin 1936 sur une large révolte des nationalistes palestiniens contre les forces britanniques et les communautés juives, qui durera plus de trois ans (jusqu’à la fin de l’hiver 1939). Face à cette explosion de la révolte arabe, les autorités communautaires juives imposent au début à la Haganah, la milice d’auto-défense juive, une politique de non-représailles et de retenue pour empêcher une flambée de violence. Mais au sein de ces forces d’auto-défense, l’appel grandit pour mener des représailles à la suite des attaques arabes qui se multiplient. En conséquence, l’Irgoun, une organisation armée liée à la droite sioniste, le « parti révisionniste » de V. Jabotinsky, décide de se lancer dans des attaques de représailles aveugles contre les Arabes, qui se transforment en fin de compte en une campagne de terreur contre terreur qui fera des centaines de morts dans la population arabe. Par ailleurs, la révolte arabe amène les Anglais à renforcer les forces paramilitaires sionistes (développement d’une police juive et d’unités spéciales juives – les « Special Night Squads » de la Haganah et le Commando Fosh).

En 1939 l'Irgoun se scinde en deux groupes et sa frange la plus radicale fonde le Lehi (aussi appelé « groupe Stern » ou « Stern gang »), qui lance une vague d'attentats qui visent aussi les Britanniques. De leur côté, à partir des années 1930, les insurgés arabes utilisent plutôt des méthodes de guérilla dans les zones rurales et des méthodes terroristes, telles des attentats à la bombe et des assassinats, plutôt dans les zones urbaines. Des groupes souvent de type jihadiste détruisent les lignes téléphoniques et télégraphiques puis sabotent l'oléoduc Kirkuk-Haïfa, assassinent des militaires et des membres de l’administration britannique et des juifs. Les Britanniques réagissent violemment surtout envers les actes de terrorisme arabes et entreprennent des actions de contre-terrorisme, comme le fait de raser des villages ou des quartiers arabes (comme à Jaffa en août 1936).

Finalement, la révolte arabe est un échec militaire et aboutit au démantèlement des forces paramilitaires arabes et à l'arrestation ou à l'exil de ses dirigeants (dont le grand mufti de Jérusalem Amin al-Hus­seini). Le bilan des affrontements est de plus de 5000 morts arabes, 300 juifs et 262 britanniques. La révolte mène aussi à des confrontations internes entre fractions de la bourgeoisie palestinienne, celle d’Amin al-Husseini attaquant les factions plus modérées, considérées comme des « traîtres » parce qu’elles ne sont pas assez nationalistes au goût des rebelles et parce qu’elles vendent des terres aux Juifs, assassinant les policiers arabes qui restent fidèles aux Britanniques. Ces actions ouvrent à leur tour un cycle de vengeance, menant à la création de milices villageoises arabes de contre-terrorisme et faisant à leur tour au moins un millier de morts. Début 1939, un climat de terreur intra-clanique et généralisée règne dans la population arabe et perdurera après la fin de la révolte.

Cependant, bien que vaincus militairement, les Arabes palestiniens obtiennent des concessions politiques majeures de la part des Britanniques (« Livre Blanc » de 1939), qui craignent le soutien de ceux-ci par les Allemands. L’Angleterre impose une limitation de l'immigration juive et du transfert de terres arabes à des Juifs, et promet la création d'un État unitaire dans les dix ans, dans lequel Juifs et Arabes partageront le gouvernement. Cette proposition est rejetée par la communauté juive et ses forces paramilitaires, qui se lancent à leur tour dans une révolte générale, temporairement gelée par l’éclatement de la 2e guerre mondiale.

Recherche d’appui et implication des puissances impérialistes.

Trop faibles pour agir autonomement pour fonder leur propre État-nation, la bourgeoisie sioniste juive tout comme la bourgeoisie arabe palestinienne ont dû rechercher l’appui de parrains impérialistes, qui, par leur ingérence, n’ont fait qu’attiser les flammes des confrontations.

Les factions dirigeantes palestiniennes, confrontées à l’écrasement par les Britanniques (et les Français) du mouvement nationaliste pour une grande Syrie et à l’afflux des colons juifs d’Europe, ne pouvaient que se tourner vers d’autres puissances impérialistes pour chercher un soutien contre leur rival sioniste. Ainsi, le mufti de Jérusalem a d’abord cherché un soutien auprès de l’Italie de Mussolini pour se tourner ensuite dans les année1930 vers l'Allemagne nazie, la grande rivale de la Grande-Bretagne. Dès Mars 1933 les responsables allemands en Turquie faisaient part aux autorités nazies du soutien du mufti à leur « politique juive ». Après l’échec de la révolte arabe de 1936-39 et la scission au sein de la bourgeoise arabe avec les plus modérées, les dirigeants nationalistes les plus radicaux, dont le grand mufti de Jérusalem, partent en exil et choisissent le camp de l’Allemagne nazie à la veille de l’éclatement de la Deuxième guerre mondiale. Après sa participation au soulèvement irakien contre les Britanniques en 1941, fomenté par les Allemands, le mufti finit par se réfugier en Italie et en Allemagne nazie dans l'espoir d'obtenir auprès d'elles l'indépendance des États arabes.

Dans le cas des factions dirigeantes juives, la situation est plus complexe, dans la mesure où des différences de politique apparaissent entre les factions de gauche et du centre d’une part et de la droite « révisionniste » de l’autre. L’Organisation Sioniste Mondiale, dominée par la gauche en alliance avec les centristes, fait le choix d’entretenir d’assez bonnes relations avec les Britanniques (au moins jusqu’en 1939) et de cautionner officiellement l’objectif d’un « Foyer national juif » sans se prononcer sur la question de l’indépendance ou de l’autonomie sous mandat britannique[5]. La droite irrédentiste, représentée par le Parti Révisionniste et l’Irgoun, au contraire, revendique immédiatement l’indépendance et prend donc ses distances par rapport aux Britanniques.

Dans cette logique, le leader charismatique de la droite ultranationaliste, Vladimir Jabotinsky, a d’ailleurs, dans la seconde moitié des années 1930, des relations cordiales avec des régimes dictatoriaux voire antisémites, comme les régimes polonais ou fasciste italien pour faire pression sur les Anglais. Ainsi, en 1936, le gouvernement polonais lance une campagne anti-juive de grande ampleur et pousse à l’émigration juive. Lorsqu’il indique officiellement en 1938 qu’il souhaite « une réduction substantielle du nombre des Juifs en Pologne »[6], Vladimir Jabotinsky décide alors d’engager le Parti Révisionniste dans un soutien au gouvernement polonais autoritaire qui ne cache pas son antisémitisme virulent. Son but est d’essayer de convaincre celui-ci de canaliser vers la Palestine les Juifs expulsés de Pologne. Par ailleurs, la collaboration des révisionnistes avec la Pologne a aussi un volet militaire : des armes et de l’argent sont versés à l’Irgoun et des officiers de l’Irgoun reçoivent en Pologne un stage d’entraînement militaire et de sabotage. La faction révisionniste compte d’ailleurs une aile ouvertement fascisante, d’abord incarnée dans le groupe des Birionim (un groupe fasciste sioniste fondé en 1931  par des radicaux du parti révisionniste) qui sympathise ouvertement avec Mussolini, et après la disparition de ceux-ci en 1943, elle a continué à exister à travers certains militants, comme Avraham Stern, cadre de l’Irgoun de la seconde moitié des années trente et fondateur du Lehi, qui est sympathisant des régimes fascistes européens et prendra contact avec l’Allemagne nazie. Pour cette aile fascisante du révisionnisme, l’Allemagne est sans doute un « adversaire », alors que l’occupant anglais est le véritable « ennemi » qui empêche l’instauration d’un État juif !

La logique implacable de l'impérialisme dans le capitalisme décadent devait inévitablement pousser les diverses factions bourgeoises en Palestine à rechercher l’appui de puissances étrangères et ne pouvait qu’instiller une multiplication d’intrigues impérialistes. Ainsi, le mouvement sioniste n'est devenu un projet réaliste qu'après avoir reçu le soutien machiavélique de l'impérialisme britannique qui espérait par ce biais mieux contrôler la région. Mais la Grande Bretagne, tout en soutenant le projet sioniste, menait aussi un double jeu : elle devait tenir compte de la très importante composante arabo-musulmane dans son empire colonial et avait donc fait toutes sortes de promesses à la population arabe de Palestine et du reste de la région. Quant au mouvement de « libération arabe », tout en s'opposant au soutien de la Grande Bretagne au sionisme, il n'était en aucune façon antiimpérialiste, pas plus que ne l'étaient les factions sionistes qui étaient prêts à s’attaquer à la Grande Bretagne, dans la mesure où ils ont tous recherché l’appui d’autres puissances impérialistes, telles l’impérialisme américain triomphant, l’Italie fasciste ou l’Allemagne nazie.

Dans un capitalisme historiquement en déclin et dominé par la barbarie croissante des affrontements impérialistes meurtriers, la seule perspective à défendre par les révolutionnaire était celle déjà défendue par Bilan en 1930-1931 : « Pour le vrai révolutionnaire, naturellement, il n'y a pas de question "palestinienne", mais uniquement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, arabes ou juifs y compris, qui fait partie de la lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolte communiste »[7]. Pour les prolétaires arabes et juifs de Palestine, piégés dans les filets de la « libération de la nation », les années 1920 et 1930 sont de sinistres années de terreur, de massacres et de peur permanente sous les émeutes, les attaques, les représailles et contre-représailles des bandes de barbares et de terroristes « nationalistes » des deux bords.

La fondation de l’État d’Israël, produit de la nouvelle donne impérialiste après la Deuxième guerre mondiale

Les organisations sionistes avaient catégoriquement rejeté les orientations du nouveau plan britannique (« Livre Blanc » de 1939), qui impliquait une limitation de l'immigration juive et du transfert de terres arabes à des Juifs, tout comme la création d'un État unitaire dans les dix ans. Cette opposition débouche après la Deuxième guerre mondiale sur une confrontation frontale avec la puissance mandataire. Les anglais instaurent un blocus naval des ports de la Palestine, pour empêcher les nouveaux immigrants juifs d'entrer dans en Palestine "mandataire", espérant ainsi apaiser la bourgeoisie palestinienne arabe. De leur côté, les sionistes utilisent la sympathie et la compassion mondiale envers le sort des milliers de réfugiés qui avaient échappé aux camps de concentration nazis pour faire pression sur les Anglais et forcer les portes de la Palestine pour l’ensemble des immigrants.

Cependant, en 1945, le rapport de force impérialiste, l'équilibre entre puissances impérialistes, avait changé : les Etats-Unis avaient consolidé leurs positions aux dépens d’une Angleterre qui, saignée à blanc par la guerre et au bord de la banqueroute, était devenue débitrice des Américains. Aussi, à partir de 1942, les organisations sionistes se tournèrent vers les Etats-Unis pour obtenir de ceux-ci un soutien à leur projet de création d'une patrie juive en Palestine. En novembre, le Conseil d'Urgence juif, réuni à New-York, rejeta le Livre Blanc britannique de 1936 et formula comme exigence première la transformation de la Palestine en État sioniste indépendant, ce qui allait directement à l'encontre des intérêts de l'Angleterre. Principales bénéficiaires de la chute de l'Empire ottoman après la Première Guerre mondiale, la France et l'Angleterre se retrouvaient dorénavant surpassés par les impérialismes américain et soviétique, qui visaient tous deux à réduire l’influence coloniale des premiers. Ainsi, l’URSS offrait son soutien à tout mouvement enclin à affaiblir la domination anglaise et, en conséquence, a fourni des armes à la guérilla sioniste via la Tchécoslovaquie. Les États-Unis, les principaux vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, s’attachaient eux aussi à réduire l'influence des pays « mandataires » au Moyen-Orient et ont donné des armes et de l'argent aux sionistes, alors que ces derniers combattaient leur alliée de guerre britannique.

Dès le vote d’un plan de partition de la Palestine à l’ONU fin novembre 1947, les affrontements entre organisations sionistes juives et arabes palestiniennes s’intensifient, tandis que les Britanniques, qui sont censés y garantir la sécurité, organisent unilatéralement leur retrait et n'interviennent que ponctuellement. Dans toutes les zones mixtes où vivent les deux communautés, à Jérusalem et Haïfa en particulier, attaques, représailles et contre-représailles de plus en plus violentes se succèdent. Les tirs isolés évoluent en batailles rangées ; les attaques contre le trafic se transforment en embuscades. Des attentats de plus en plus sanglants se produisent, auxquels répondent à leur tour des émeutes, des représailles et d'autres attentats.

Les organisations armées juives lancent une nouvelle campagne intensive d’attentats à la bombe particulièrement meurtrière contre les Anglais et aussi les Arabes. La succession d’attentats de part et d’autre est épouvantable, le 12 décembre 1947, l’Irgun fait exploser une voiture piégée à Jérusalem provoquant la mort de 20 personnes. Le 4 janvier 1948, le Lehi fait exploser un camion devant l’hôtel de ville de Jaffa abritant le quartier général d’une milice paramilitaire arabe, tuant 15 personnes et en blessant 80 dont 20 gravement. Le 18 février, une bombe de l’Irgoun explose dans le marché de Ramalah, provoquant la mort de 7 personnes et en blessant 45. Le 22 février, à Jérusalem, les hommes d’Amin al-Husseini organisent à l'aide de déserteurs britanniques un triple attentat à la voiture piégée qui vise les bureaux du journal The Palestine Post, le marché de la rue Ben Yehuda et l'arrière-cour des bureaux de l'Agence juive, faisant respectivement 22, 53 et 13 morts juifs ainsi que des centaines de blessés. Enfin, le massacre de villageois à Deir Yassin le 9 avril, commis par l'Irgoun et le Lehi fit entre 100 et 120 morts. Le « point d’orgue » de cette campagne a lieu le 17 septembre 1948, à Jérusalem, quand un commando du Lehi assassine le comte Folke Bernadotte, médiateur des Nations unies pour la Palestine ainsi que le chef des observateurs militaires de l'ONU, le colonel français Sérot. Sur les deux mois, décembre 1947 et janvier 1948, on compte près de mille morts et deux mille blessés. Fin mars, un rapport fait état de plus de deux mille morts et quatre mille blessés.

Dès janvier, sous l'œil indifférent des Britanniques, la guerre civile entre les communautés mène à des opérations qui prennent une tournure de plus en plus militaire. Des milices armées arabes entrent en Palestine pour soutenir les milices palestiniennes et attaquer les colonies de peuplement et les villages juifs. De son côté, la Haganah monte de plus en plus d’opérations offensives visant à désenclaver les zones juives en chassant les milices arabes, détruisant les villages arabes, massacrant des habitants et faisant fuir des centaines de milliers d’autres (au total, durant cette période et lors de la guerre israélo-arabe succédant à la déclaration de fondation de l’État d’Israël, près de 750.000 Palestiniens arabes fuiront leurs villages). Les pays arabes s’apprêtent à entrer en Palestine pour soi-disant « défendre leurs frères palestiniens ».

Le 15 mai 1948, le mandat britannique sur la Palestine s’achève et l'État d'Israël est proclamé le même jour à Tel Aviv. Moins de 24 heures plus tard, l'Égypte, la Syrie, la Jordanie et l'Irak lancent une invasion. La guerre qui durera jusqu’en mars 1949 coûtera la vie à plus de 6.000 soldats et civils juifs, 10.000 soldats palestiniens arabes et environ 5.000 soldats des différents contingents militaires arabes.

Si la bourgeoisie palestinienne avait été incapable de créer son propre État au moment de la disparition de l'empire ottoman à l'issue de la 1e Guerre mondiale, la proclamation de l'État d'Israël par les sionistes impliquait nécessairement que ce nouvel État ne pourrait survivre qu'en transformant son économie en une machine de guerre permanente, en étranglant ses voisins, en terrorisant et en déplaçant la majorité de la population palestinienne et surtout en cherchant des appuis impérialistes. Face à l'ancienne puissance "protectrice", la Grande-Bretagne, qui s’opposait initialement à la formation d'un État israélien pour ne pas porter atteinte à sa position envers le monde arabes, le nouvel État a pu s’appuyer sur les Etats-Unis, qui ont immédiatement soutenu la création de l'État d'Israël, et sur l’URSS, qui espérait que la formation d'un État israélien affaiblirait l'impérialisme britannique dans la région.

Les nationalistes palestiniens, incapables de faire front seuls contre l'État d'Israël nouvellement fondé, devaient eux aussi chercher des appuis parmi les ennemis de cet État, comme les bourgeoisies des pays voisins, la Jordanie, la Syrie, l'Égypte et l'Irak, qui envoient leurs troupes contre Israël.  Cette guerre, la première d’une demi-douzaine de guerres et de nombreuses opérations militaires contre ses voisins auxquelles Israël a participé depuis 1948, dure de mai 1948 à juin 1949. En raison du mauvais équipement des troupes arabes, les forces israéliennes parviennent à repousser l'offensive et à non seulement conserver mais même élargir les territoires attribués aux sionistes par les Britanniques avant 1947. Au-delà des grandes déclarations de solidarité, les bourgeoisies arabes voisines, « venues au secours de leurs frères palestiniens », ont surtout joué leurs propres cartes impérialistes. Non seulement la Jordanie a occupé la Cisjordanie, et l'Égypte la bande de Gaza après la 1e guerre israélo-arabe de 1948, mais les États arabes tenteront également dans les années suivantes de mettre la main sur les différentes ailes des nationalistes palestiniens. Peu après sa création en 1964, l'Arabie saoudite a commencé à financer l'OLP ; l'Égypte a également essayé de récupérer le Fatah (le mouvement politique de l'OLP) ; la Syrie a créé le groupe As-Saiqa, l'Irak a soutenu le FLA (Front de libération arabe créé en 1969). Malgré tous les beaux discours sur la « nation arabe unie », les bourgeoisies des différents pays arabes sont en concurrence féroce les unes avec les autres et n’hésitent pas à utiliser et si besoin à sacrifier la population palestinienne pour leurs sordides intérêts.

La Palestine à l’avant-plan des affrontements entre les blocs impérialistes

Depuis le jour de sa fondation, l’État d’Israël a non seulement été impliqué dans des conflits bilatéraux permanents avec les Arabes palestiniens et ses voisins arabes, les affrontements qui l’impliquaient se sont toujours inscrits dans les dynamiques de confrontation impérialiste mondiales, dans la mesure où sa position stratégique le place au centre des oppositions régionales au Moyen-Orient mais aussi et surtout au cœur des affrontements planétaires entre grands requins impérialistes. Dans ce sens, l’État d’Israël jouera à partir de la fin des années 1950 le rôle de gendarme du bloc américain dans la région.

Le début de la Guerre froide entre le bloc américain et le bloc soviétique mettra le Moyen- Orient au centre des rivalités impérialistes. Après la Guerre de Corée (1950-53), qui constitua la première des grandes confrontations entre les deux blocs, la guerre froide s'est intensifiée et l'impérialisme russe a tenté d'accroître son influence dans les pays du "tiers monde" et ceci a donné une importance croissante au Moyen-Orient pour les dirigeants des deux blocs. Si au départ, les oppositions dans la région ont surtout permis aux États-Unis de « discipliner » leurs alliés européens, en les empêchant de poursuivre trop intensément leurs propres intérêts impérialistes dans la région (Opération franco-anglaise de 1956 à Suez et guerre israélo-égyptienne), le conflit au Moyen-Orient a évolué ensuite et pendant 35 ans dans le contexte de la confrontation Est-Ouest et la Palestine en a été un théâtre de confrontation central.

La guerre de 1948 n'a été que le début d'un cycle sans fin de conflits militaires. À partir des années 1950, face à l’incapacité des troupes de la Ligue arabe de vaincre leur ennemi nettement plus petit, mais mieux organisé et armé, une course aux armements s’engage, au cours de laquelle Israël reçoit des livraisons massives d'armes des États-Unis, et les rivaux arabes se tournent vers l'impérialisme soviétique qui tentera de manière persistante de s’implanter dans la région en soutenant le nationalisme arabe : l'Égypte, la Syrie et l'Irak qui s’unissent temporairement au sein d’une République Arabe Unie, deviennent pendant un certain temps des alliés du bloc de l’Est, qui appuie également en Palestine les fedayin palestiniens et l’Organisation de Libération de la Palestine. En 1968, les divers mouvements de résistance palestiniens se regroupent sous l'égide d'Arafat. Dans le contexte de la guerre froide, alors qu'Israël est un allié majeur des Etats-Unis, l'OLP doit nécessairement se tourner vers l'URSS et vers ses « frères arabes ». Cependant, derrière les grands discours sur « l’unité du peuple arabe », les États arabes ont tous une fois de plus engagé leurs troupes non seulement contre Israël, mais aussi contre les nationalistes palestiniens, qui agissent souvent comme une force de perturbation à l'intérieur de ces États. Ils n'ont jamais hésité à commettre des massacres similaires à ceux de la bourgeoisie israélienne contre les réfugiés palestiniens. Ainsi, en 1970, lors du "Septembre noir", 30 000 Palestiniens ont été tués en Jordanie par l'armée jordanienne. En septembre 1982, les milices chrétiennes libanaises, avec l'accord tacite d'Israël, ont pénétré dans deux camps palestiniens à Sabra et Chatila et ont massacré 10 000 civils.

Ces tentatives du bloc de l’Est de s’implanter dans la région se sont heurtées à une forte opposition des États-Unis et du bloc occidental, qui ont fait de l’État d’Israël un des fers de lance de leur politique. Le soutien des États-Unis à Israël a été une caractéristique permanente de tous les conflits dans la région, tout comme celui financier de l’Allemagne d’ailleurs[8]. Ce soutien n'est pas pour l’essentiel dû au poids considérable de l'électorat juif aux États-Unis ou à l'influence du "lobby sioniste" sur les dirigeants politiques américains. Si Israël ne dispose pas de ressources pétrolières significatives ni d'autres matières premières importantes, l’État revêt avant tout une importance stratégique majeure pour les États-Unis en raison de sa position géographique. D’autre part, dans sa confrontation avec une série de puissances impérialistes locales, Israël est financièrement et militairement totalement dépendant des États-Unis, de sorte que les intérêts impérialistes d'Israël l'ont contraint à rechercher la protection des États-Unis. Bref, jusqu'en 1989, les États-Unis ont toujours pu compter sur Israël comme bras armé. En outre, dans la série de guerres avec ses rivaux arabes - dont la plupart étaient équipés d'armes russes - l'armée israélienne a testé des armes américaines.

À la fin des années 1970 et au cours des années 1980, le bloc américain s’assure progressivement du contrôle global du Moyen-Orient et réduit progressivement l’influence du bloc soviétique, même si la chute du Shah et la “révolution iranienne” en 1979 privent non seulement le bloc américain d’un bastion important mais annoncent, à travers la venue au pouvoir du régime rétrograde des mollahs, l’expansion de la décomposition du capitalisme. Cette offensive du bloc américain « a pour objectif de parachever l’encerclement de l’URSS, de dépouiller ce pays de toutes les positions qu’il a pu conserver hors de son glacis direct. Cette offensive a pour priorité une expulsion définitive de l’URSS du Moyen-Orient, une mise au pas de l’Iran et la réinsertion de ce pays dans le bloc américain comme pièce importante de son dispositif stratégique »[9]. Dans cette politique offensive du bloc occidental, Israël jouera un rôle essentiel à travers les guerres israélo-arabes de 1967 (« guerre des Six jours ») de 1973 (« guerre du Kippour »), le bombardement et la destruction d’un réacteur nucléaire à Bagdad en 1981 et l’invasion du Liban en 1982. L’action militaire d’Israël conjuguée à la pression économique et militaire du bloc américain mène à une défaite des alliés du bloc de l’Est dans la région, le passage de l’Égypte, puis de l’Irak vers le bloc occidental et la forte réduction du contrôle de la Syrie sur le Liban.

Cependant, renforcée par l'apaisement des tensions avec l'Égypte, la bourgeoisie israélienne réaffirme en juillet 1980 le transfert de sa capitale nationale de Tel-Aviv à Jérusalem et l'incorporation de la vieille ville de Jérusalem (anciennement jordanienne) au territoire israélien. Depuis lors également, le gouvernement israélien a décidé d'accélérer la colonisation juive en Cisjordanie. Cela a exacerbé les tensions entre les bourgeoisies israélienne et palestinienne et depuis 1987 en particulier, la spirale de violence s’est fortement aggravée. Le signal est donné par la première Intifada (ou « soulèvement ») en 1987. En réponse à la répression croissante de l'armée israélienne en Cisjordanie et à Gaza, l'Intifada s'est traduite par une campagne massive de désobéissance civile, de grèves et de manifestations. Saluée par les gauchistes comme un modèle de lutte révolutionnaire, elle s’est toujours entièrement inscrite dans le cadre national et impérialiste du conflit israélo-arabe.

Si la première moitié́ du 20e siècle au Moyen-Orient a montré́ que la libération nationale était devenue impossible et que toutes les fractions des bourgeoisies locales étaient inféodés dans les conflits globaux que se livrent entre eux les grands requins impérialistes, la formation de l'État d'Israël en 1948 a marqué́ près de quarante ans d’une autre période d'affrontements sanglants, inscrits dans la confrontation impitoyable entre les blocs de l’Est et de l’Ouest. Plus de soixante-dix années de conflits au Moyen-Orient ont irréfutablement illustré que le système capitaliste en déclin n'a rien d'autre à offrir que des guerres et des massacres et que le prolétariat n‘avait pas à choisir entre un camp impérialiste ou un autre.

La Palestine au centre de la dynamique irrationnelle de destruction et de massacres au Moyen-Orient

Après l’implosion du bloc soviétique fin 1989, les années 1990 sont marquées par l’expansion spectaculaire des manifestations de la période de pourrissement sur pied du capitalisme et, dans ce cadre, le « rapport sur les tensions impérialistes » du 20e congrès du CCI constatait déjà en 2013 : « Le Moyen-Orient est une terrible confirmation de nos analyses à propos de l’impasse du système et de la fuite dans le “chacun pour soi ». Il les illustre effectivement de manière saisissante à travers les caractéristiques centrales de cette période :

  • L’explosion du « chacun pour soi » impérialiste se manifeste à travers l’expression tous azimuts des appétits hégémoniques d’une multitude d’États. L’Iran a exprimé ses ambitions impérialistes, d’abord en Irak en appuyant les milices chiites qui dominent un appareil étatique fragmenté, puis en Syrie en portant à bout de bras le régime de Bashar al Assad sur le point d’être balayé par la révolte de la majorité sunnite. A travers ses alliés – des Hezbollah libanais aux Houthis yéménites -, Téhéran s’est imposée comme une puissance régionale redoutable. Mais la Turquie, avec ses interventions en Irak ou en Syrie, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, présents au Yémen, en Lybie ou en Égypte, voire le Qatar, base arrière des groupes liés aux Frères Musulmans, ne cachent nullement à leur tour des ambitions impérialistes.
  • Les réactions meurtrières de la superpuissance américaine pour contrer le déclin de sa domination ont engendré deux guerres sanglantes au Moyen-Orient (l’opération Desert Storm par Bush senior en 1991 et l’Operation Iraqi Freedom par Bush junior en 2003), qui n’ont eu finalement comme résultat que d’accroître le chaos et la barbarie.
  • Le chaos terrifiant découlant de guerres civiles sanglantes (Syrie, Yémen, Lybie, Soudan) a provoqué l’effondrement de structures étatiques, des États fragmentés et déliquescents (Irak, Liban), des populations traumatisées et des millions de réfugiés.

Dans cette dynamique de confrontations croissantes au Moyen-Orient, L’État d’Israël a joué un rôle capital. Premier lieutenant des Américains dans la région, Tel-Aviv était appelée à être la clé de voûte d’une région pacifiée à travers les accords d’Oslo et de Jéricho-Gaza de 1993, un des plus beaux succès de la diplomatie américaine dans la région. Ceux-ci accordaient un début d’autonomie aux Palestiniens et les intégraient ainsi dans l’ordre régional conçu par l’Oncle Sam. Au cours de la seconde partie des années 1990 toutefois, après l’échec de l’invasion israélienne du Sud-Liban, la droite israélienne “dure” arrive au pouvoir (premier gouvernement Netanyahou de 1996 à 1999) contre la volonté du gouvernement américain qui soutenait Shimon Peres. La droite fera tout à partir d’alors pour saboter le processus de paix avec les Palestiniens :

  • à travers l’extension des colonies de peuplement en Cisjordanie et le soutien aux colons qui se montraient de plus en plus arrogants et violents : en février 1994 déjà, un terroriste juif, un colon appartenant au mouvement raciste créé par le rabbin Meir Kahane, massacre 29 musulmans dans le Caveau des Patriarches à Hébron ; en novembre 1995, un jeune sioniste religieux assassine le premier ministre Yitzhak Rabin ;
  • à travers un appui en secret au Hamas et ses attentats terroristes afin de miner l’autorité de l’OLP et de mener une politique de ‘diviser pour régner’, justifiant une supervision croissante des territoires palestiniens.

La visite provocatrice du leader de l'opposition Ariel Sharon sur le Mont du Temple en septembre 2000 provoque une seconde Intifada, qui a vu une forte augmentation des attentats suicides contre les Israéliens. Dans cette même logique, le démantèlement unilatéral des colonies à Gaza par le gouvernement Sharon en 2004 n’était en rien un geste de conciliation, comme la propagande israélienne l’a présenté, mais au contraire le produit d’un calcul cynique pour geler ultérieurement les négociations sur le règlement politique du conflit : le retrait de Gaza « signifie le gel du processus politique. Et lorsque vous gelez ce processus, vous empêchez la création d’un État palestinien et toute discussion sur les réfugiés, sur les frontières et sur Jérusalem »[10].  D’ailleurs, les islamistes refusant l’existence d’un État juif en terre d’Islam, tout comme les sionistes messianiques un État palestinien en terre d’Israël, donnée par Dieu aux Juifs, ces deux factions sont donc des alliés objectifs dans le sabotage de la « solution à deux États ». Aussi, les fractions de droite de la bourgeoisie israélienne ont fait tout leur possible pour renforcer l’influence et les moyens du Hamas, dans la mesure où cette organisation était, comme eux, totalement opposée aux accords d’Oslo : les premiers ministres Sharon et Olmert ont interdit en 2006 à l’Autorité palestinienne de déployer à Gaza un bataillon supplémentaire de police pour s’opposer au Hamas et ont autorisé le Hamas à présenter des candidats aux élections en 2006. Lorsqu’en 2007, le Hamas a organisé à Gaza un coup de force pour « éliminer l’autorité palestinienne » et asseoir leur pouvoir absolu, le gouvernement israélien a refusé d’épauler la police palestinienne. Quant aux fonds financiers qataris dont le Hamas avait besoin pour pouvoir gouverner, l’État hébreux a permis leur transfert régulier vers Gaza sous la protection de la police israélienne.

La stratégie israélienne était claire : Gaza offerte au Hamas, l’Autorité palestinienne est affaiblie, avec un pouvoir limité en Cisjordanie. Netanyahou lui-même a ouvertement promu cette politique : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie »[11] . L’État d’Israël et le Hamas, à des moments et avec des moyens différents, s’enfoncent dans une politique totalement irrationnelle du pire, qui accélère inévitablement le cycle de violence et de contre-violence et qui devait déboucher sur les massacres atroces d’aujourd’hui. De fait, l’actuelle boucherie de Gaza s'inscrit dans la continuité de toute une série d'attaques et de contre-attaques menées par le Hamas et l'armée israélienne :

Juin 2006 - Le Hamas capture Gilad Shalit, conscrit de l'armée israélienne, lors d'un raid transfrontalier depuis Gaza, ce qui provoque des raids aériens et des incursions israéliennes.

Décembre 2008 - Israël lance une offensive militaire de 22 jours à Gaza après que des roquettes ont été tirées sur la ville de Sderot, dans le sud d'Israël. Environ 1 400 Palestiniens et 13 Israéliens sont tués avant qu'un cessez-le-feu ne soit conclu.

Novembre 2012 - Israël tue le chef d'état-major du Hamas, Ahmad Jabari, suivi de huit jours de raids aériens israéliens sur Gaza.

Juillet août 2014 - L'enlèvement et le meurtre de trois adolescents israéliens par le Hamas déclenchent une guerre de sept semaines.

Privée d’une structure étatique classique et des moyens financiers permettant la mise sur pied d’une armée structurée capable de rivaliser avec Tsahal, la bourgeoisie palestinienne a toujours dû recourir à des attaques terroristes, comme d’ailleurs l'ont fait les sionistes avant la proclamation de l'État d’Israël. Dès le début, l'OLP a appliqué des tactiques terroristes qui devaient nécessairement faire le plus grand nombre de victimes parmi les civils, tels des enlèvements, des liquidations, des détournements d'avions, des attaques contre des équipes sportives (massacre de l’équipe olympique israélienne aux Jeux olympiques de Munich en 1972). Depuis lors, les attentats suicides se sont multipliés. Commis par de jeunes Palestiniens désespérés, ils ne visent pas des cibles militaires, mais cherchent uniquement à semer la terreur parmi les civils israéliens dans des discothèques, des supermarchés, des autobus. Ils sont l’expression d'une impasse totale, du désespoir et de la haine. Les massacres du 7 octobre 2023 s'inscrivent dans la continuité de cette politique, mais à un niveau plus élevé encore de brutalité et de destruction.

La dérive terrifiante actuelle doit aussi être appréhendée dans la continuité de la politique irresponsable menée par le populiste Trump dans la région. En concordance avec la priorité accordée à l’endiguement de l’Iran, Trump a mené une politique d’appui inconditionnel à cette politique de la droite israélienne, en fournissant à l’État hébreu et à ses dirigeants respectifs des gages de soutien indéfectible sur tous les plans : fourniture d’équipements militaires dernier cri, reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale et de la souveraineté israélienne sur le plateau syrien du Golan. Il a appuyé la politique d’abandon des accords d’Oslo, de la solution des « deux États » (israélien et palestinien) en « terre sainte ». L’arrêt de l’aide américaine aux Palestiniens et à l’OLP et la négociation des « accords d’Abraham », une proposition d’un « big deal » impliquant l’abandon de toute revendication de création d’un État palestinien et l’annexion par Israël de larges parties de la Palestine en échange d’une aide économique américaine « géante », visait essentiellement à faciliter le rapprochement de facto entre les comparses saoudien et israélien : « Pour les monarchies du Golfe, Israël n’est plus l’ennemi. Cette grande alliance a débuté depuis bien longtemps en coulisses, mais n’a pas encore été jouée. Le seul moyen pour les Américains d’avancer dans la direction souhaitée est d’obtenir le feu vert du monde arabe, ou plutôt de ses nouveaux leaders, MBZ (Émirats) et MBS (Arabie) qui partagent la même vision stratégique pour le Golfe, pour qui l’Iran et l’islam politique sont les menaces principales. Dans cette vision, Israël n’est plus un ennemi, mais un potentiel partenaire régional avec qui il sera plus facile de contrecarrer l’expansion iranienne dans la région. […] Pour Israël, qui cherche depuis des années à normaliser ses relations avec les pays arabes sunnites, l’équation est simple : il s’agit de chercher une paix israélo-arabe, sans forcément obtenir la paix avec les Palestiniens. Les pays du Golfe ont de leur côté revu à la baisse leurs exigences sur le dossier palestinien. Ce “plan ultime” […] semble aspirer à établir une nouvelle réalité au Moyen-Orient. Une réalité fondée sur l’acceptation par les Palestiniens de leur défaite, en échange de quelques milliards de dollars, et où Israéliens et pays arabes, principalement du Golfe, pourraient enfin former une nouvelle alliance, soutenue par les États-Unis, pour contrecarrer la menace de l’expansion d’un empire perse moderne »[12]. Cependant, comme nous le soulignions déjà en 2019, ces accords, qui étaient une pure provocation au niveau international (abandon d’accords internationaux et de résolutions de l’ONU) comme régional, ne pouvaient que réactiver à terme la pomme de discorde palestinienne, instrumentalisée par tous les impérialismes régionaux (l’Iran bien sûr, mais aussi la Turquie et même l’Égypte) contre les États-Unis et leurs alliés. De plus, ils ne pouvaient qu’enhardir le comparse israélien dans ses propres appétits annexionnistes et qu’intensifier les confrontations, par exemple avec l’Iran : « Ni Israël, hostile au renforcement du Hezbollah au Liban et en Syrie, ni l’Arabie Saoudite ne peuvent tolérer cette avancée iranienne »[13]. Les accords d’Abraham ont irrémédiablement semé les graines de la tragédie actuelle de Gaza.

La fuite en avant des fractions de droite de la bourgeoisie israélienne au pouvoir – plus spécifiquement des gouvernements Netanyahou successifs de 2009 à aujourd’hui - dans le suivi de leur propre politique impérialiste s’oppose de plus en plus ouvertement aux intérêts des factions les plus responsables à Washington et constitue une caricature de la gangrène de la décomposition qui ronge l’appareil politique des bourgeoisies. Les oppositions entre les différentes factions politiques en Israël sur la politique à mener, les oppositions entre Netanyahou et son ministre de la défense ou les chefs de Tsahal, l'affrontement ouvert entre Netanyahou et l'actuelle administration américaine sur la conduite de la guerre induisent une dose importante d'incertitude et d’irrationalité sur la suite de la guerre, d’autant plus que l’ombre d’un retour possible de Trump à la présidence américaine plane sur le Moyen-Orient, qui donnerait carte blanche aux politiques de guerre israéliennes et mettrait ainsi fin à tout espoir de voir les États-Unis imposer une certaine forme de stabilité dans la région.

Le nationalisme mène la classe ouvrière du Moyen-Orient à l’abattoir

Une fois de plus, c'est la classe ouvrière qui a le plus souffert des conséquences de la politique impérialiste des classes dirigeantes. Les travailleurs israéliens et palestiniens sont confrontés en permanence à la terreur quotidienne des attaques terroristes palestiniennes et des raids et frappes aériennes de l'armée israélienne. Si la terreur sans fin déclenchée par leurs classes dirigeantes a créé une profonde détresse parmi la plupart des travailleurs, le nationalisme de leurs dirigeants empoisonne également leur esprit. La classe dirigeante des deux côtés fait tout pour attiser le nationalisme et la haine contre l'autre.

Sur le plan matériel, les travailleurs des deux côtés du conflit impérialiste souffrent énormément du poids écrasant de la militarisation. Les travailleurs israéliens sont enrôlés pour 30 mois (hommes) et 24 mois (femmes). Le poids de l'économie de guerre israélienne a accru la misère des travailleurs israéliens. Les travailleurs palestiniens, s'ils ont la chance de trouver un emploi, reçoivent des salaires très bas. Plus de 80% de la population vit dans la plus grande misère. La seule perspective pour la plupart de leurs enfants est d'être victimes des balles et des bulldozers israéliens. Et s'ils protestent contre leur sort, l'Autorité palestinienne et la police du Hamas se tiennent prêtes à exercer leur répression contre eux.

Un siècle de conflit impérialiste autour d'Israël ont montré que ni les travailleurs israéliens ni les travailleurs palestiniens ne peuvent gagner quoi que ce soit en soutenant leur propre bourgeoisie. Alors que l'État israélien n'a survécu que par la terreur et la destruction, la création d'un État palestinien proprement dit ne signifierait qu'un nouveau cimetière pour les travailleurs israéliens et palestiniens. Aussi, cet appel à un État palestinien est un slogan totalement réactionnaire que les communistes doivent rejeter.

Il est absolument vital pour les communistes d'être clairs sur les perspectives de la classe ouvrière. Alors que tous les gauchistes ont présenté l'Intifada de 1987 et les suivantes comme une révolte sociale pouvant mener à la libération, ces luttes n'ont en réalité été que l'expression du désespoir, les flammes étant allumées par les nationalistes. Dans toutes ces confrontations avec l'État israélien, les travailleurs palestiniens ne se battent pas pour leurs intérêts de classe, mais servent uniquement de chair à canon pour leurs dirigeants palestiniens nationalistes.

En revanche, il y a eu quelques réactions combatives occasionnelles de travailleurs palestiniens luttant pour leurs intérêts de classe en 2007 et à nouveau en 2015, les travailleurs du secteur public de Gaza se sont mis en grève contre l'administration du Hamas pour des salaires impayés. Il en va de même en Israël, avec une histoire de grèves contre l'augmentation du coût de la vie, comme celle des dockers en 2018 et celle des travailleurs des crèches en 2021. En 2011, lors des manifestations et assemblées de protestation contre la crise du logement en Israël, il y a même eu de timides signes de rapprochement entre travailleurs israéliens et palestiniens pour discuter de leurs intérêts communs. Mais encore et toujours, le retour au conflit militaire a eu tendance à étouffer ces expressions élémentaires de la lutte des classes.

Les communistes doivent être clairs sur la nature et l'effet du nationalisme dans la violence quotidienne.  Mais en outre, nous avons vu comment les campagnes de soutien à l'un ou l'autre camp dans le récent conflit ont créé de véritables divisions dans la classe ouvrière des centres du capitalisme. Précisément au moment où la classe ouvrière sort d'années de passivité et de résignation, les rues des villes des pays centraux du système ont été occupées par des manifestations pour la Palestine libre ou "contre l'antisémitisme" qui appellent bruyamment les travailleurs à abandonner leurs intérêts de classe et à prendre parti dans une guerre impérialiste.

Si la population juive d'Europe a été l'une des principales victimes du régime génocidaire nazi, la politique de l'État israélien montre pour sa part que ces crimes barbares ne sont pas une question de race ou d'appartenance ethnique et religieuse. Aucune faction de la bourgeoisie n'a le monopole de l'épuration ethnique, du déplacement de populations, de la terreur et de l'anéantissement de groupes ethniques entiers. En réalité, les "mécanismes de défense" de l'État israélien et les méthodes de guerre palestiniennes font partie intégrante de la barbarie sanglante, pratiquée par tous les régimes dans le capitalisme pourrissant.

R. Havanais / 15.07.2024


[1] Cf. Notes sur l’histoire des conflits impérialistes au Moyen-Orient, 1ère partie, Revue internationale 115, 2003.

[2] « From Wars to Nakbeh: Developments in Bethlehem, Palestine, 1917-1949, Adnan A. Musallam » [archive du 19 juillet 2011] (consulté le 29 mai 2012)

[3] Meir Litvak, Palestinian Collective Memory and National Identity, Palgrave Macmillan, 2009

[4] Bilan n° 31 (Juin-juillet 36) ; Cf. « Le conflit Juifs/Arabes: La position des internationalistes dans les années 1930 » (Bilan n°30 et 31), Revue internationale, 110, 2002.

[5] L’indépendance ne sera revendiquée officiellement qu’en mai 1942, à la conférence de Biltmore

[6] Programme politique de l’OZON, le parti au pouvoir en Pologne, mai 1938, rapporté dans Marius Schatner, Histoire de la droite israélienne, Éditions Complexe, 1991, page 140.

[7] Bilan n° 31 (Juin-juillet 36) ; Cf. « Le conflit Juifs/Arabes : La position des internationalistes dans les années 1930 (“Bilan” n°30 et 31), Revue internationale, 110, 2002.

[8] Peu après la création d'Israël, l'Allemagne a commencé à le soutenir financièrement avec un "fonds de compensation" annuel d'un milliard de DM par an.

[9] Résolution sur la situation internationale, 6e congrès du CCI, Revue internationale n° 44, 1986.

[10] Dov Weissglas, conseiller proche du premier ministre Sharon, dans le quotidien Haaretz, le 8 octobre 2004. Cité dans Ch. Enderlin, «Lerreur stratégique dIsraël», Le Monde diplomatique, janvier 2024.

[11] Netanyahou aux députés du Likoud le 11 mars 2019, propos rapportés par le quotidien israélien Haaretz du 9 octobre dernier.

[12] Extrait du quotidien libanais L’Orient-Le Jour, 18 juin 2019.

[13] « 23e congrès international du CCI, Résolution sur la situation internationale », Revue internationale n° 164, 2019.

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Plus d’un siècle d’affrontements israélo-palestiniens