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On connaît la vieille et éternelle discussion sur la fin et les moyens. On a pas mal abusé de cette soi-disant opposition. Toute une littérature ennuyeusement moralisante -où les écrivains bien-pensants à la Koestler étalent leur vertu offensée- s'emploie à embrouiller encore davantage les données de ce problème. En réalité, il n'y a pas et il n'y a jamais eu d'opposition de nature entre fin et moyens. Les moyens ne sont et ne peuvent être que des moments, des étapes d'une fin, tout comme une fin détermine, comporte et implique des moyens appropriés. La fin n'est pas un point placé au bout de la ligne, existant "en soi", indépendant et isolé mais elle est une orientation que se donnent les hommes et les classes. Ce que l'on nomme les buts ne sont que des points de repère fixés par les hommes, échelonnés sur la route du développement social que les hommes parcourent. Il est arrivé souvent dans l'Histoire que les hommes aboutissent à des résultats contraires à ceux qu'ils s'étaient fixés ou croyaient atteindre. Cela n'était cependant pas le fait des moyens employés mais un fait inhérent à une réalité mal comprise ou mal connue par les hommes qui s'imposait à eux, et dans laquelle ils évoluaient tout en croyant aller dans un autre sens.
Le problème est donc de savoir si la fin, le sens dans lequel un groupe social ou les classes croient se diriger correspond bien au sens vers lequel ils évoluent réellement ; tandis que l'opposition supposée entre la fin et les moyens, comme deux entités séparées attribuant au mauvais choix des moyens l'échec de la fin, est en réalité un faux problème.
En posant le point d'interrogation sur les méthodes pratiquées par un courant politique, nous n'entendons pas examiner si ces méthodes sont bonnes ou mauvaises d'un point de vue de morale abstraite, "en soi". De tels critères n'existent pas. Mais, connaissant la corrélation étroite existant entre les buts réels et les méthodes, nous sommes en droit de déceler dans ces dernières -qui sont une réalité tangible et directement vérifiable- les buts réels dont elles sont la manifestation concrète.
Il se peut que l'examen attentif de ces méthodes nous révèle que le groupe en question est en train de réaliser des buts dont il n'a pas conscience et qui sont en contradiction avec les buts qu'il affiche. Nous rejetons ou acceptons alors les méthodes, non "en soi", mais en fonction du programme et du but dont elles émanent et qu'elles réalisent.
LES CONDITIONS DE LA RÉALISATION DU SOCIALISME
Le socialisme est avant tout un système social rendu possible et nécessaire par l'évolution historique. En cela, le socialisme est, comme tous les autres systèmes sociaux par lesquels est passée l'Humanité, un fait déterminé par le degré de développement des forces productives. Mais, ce qui a fait la différence fondamentale entre le socialisme et les autres systèmes sociaux dans leur réalisation, c'est qu'en plus de sa nature déterminée qui le rend possible et nécessaire, le socialisme ne peut devenir réalité qu'en tant qu'acte conscient. Quand on étudie l'Histoire sociale de l'humanité, on constate que le passage d'un système à un autre a été essentiellement le produit des forces économiques se développant, se heurtant, s'éliminant et se dépassant. Et s'il est exact que l'Histoire a été faite par les hommes, il n'en est pas moins exact que les hommes n'avaient pas conscience de l'Histoire qu'ils faisaient et vers quoi ils s'acheminaient. Cela ne signifie pas que l'Histoire a suivi on ne sait quel fatalisme, indépendamment de l'action des hommes, mais seulement que les hommes, dans leur action et leur lutte et notamment la lutte de classes, ont été aveuglément dominés par le développement contradictoire de leur propre production.
Ce qui suffisait pour passer de l'esclavage au féodalisme et de ce dernier au capitalisme ne suffit pas pour l'instauration de la société socialiste. Car, contrairement aux autres systèmes -tous basées sur la propriété privée, le privilège de classe et l'exploitation de l'homme- qui trouvent leur fondement dans l'ancienne société et se développent en son sein jusqu'à la résorber et se substituer à elle, le socialisme -qui est la négation de tout privilège et de toute exploitation- ne peut trouver, lui, aucune possibilité économique au sein du capitalisme. Le capitalisme ne fait que rendre possible et nécessaire le socialisme. Possible par le développement de forces productives qu'il a assuré. Nécessaire par les contradictions qu'il a développées.
LA NÉCESSITÉ DU SOCIALISME N'EST DONC PAS LA RÉSULTANTE D'UNE COMPÉTITION ENTRE FORCES ÉCONOMIQUES AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ CAPITALISTE ET ABOUTISSANT AU TRIOMPHE DE L'ÉCONOMIE SOCIALISTE, COMME CELA FUT LE CAS DU CAPITALISME AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ FÉODALE.
Le capitalisme ne développe donc que la nécessité de sa propre disparition. Le socialisme, en tant que réalité économique, ne commence qu'après la destruction du capitalisme et ne peut se réaliser qu'en tant qu'acte réfléchi, conscient de sa finalité.
Le passage au socialisme représente, dans l'Histoire humaine, un saut révolutionnaire d'une importance comparable au passage de l'animal à l'homme dans l'Histoire universelle. C'est le saut de la nécessité à la liberté, de l'homme soumis et dominé par les forces aveugles de la nature et de la production à l'homme libéré, dominant et soumettant ces forces à sa volonté et devenu maître de sa destinée, de l'Être à la Conscience.
LA CONSCIENCE SOCIALISTE, CONDITION DE L'ACTION RÉVOLUTIONNAIRE DU PROLÉTARIAT
SI SOCIALISME ET CONSCIENCE SOCIALISTE SONT DES TERMES INSÉPARABLES DANS LEUR CONTENU, LE SOCIALISME NE PEUT ÊTRE APPORTÉ COMME UN GÉNÉREUX DON À "L'HUMANITÉ SOUFFRANTE" NI PAR "LES LOIS DE LA NATURE", NI PAR DES COEURS GÉNÉREUX, NI PAR DES PRECHES RELIGIEUX D'ILLUMINÉS, NI PAR DES MINORITÉS IDÉALISTES AGISSANTES ACCOMPLISSANT LE TRAVAIL RÉVOLUTIONNAIRE À LA PLACE ET POUR LE COMPTE DE LA CLASSE OUVRIÈRE.
L'erreur commune au Blanquisme d'avant la Commune de Paris et à l'anarcho-syndicalisme d'avant la guerre de 1914, qui était à la base de leur idéalisme et de leur action révolutionnaire, consistait dans leur croyance en une prise de pouvoir accomplie par une minorité décidée et agissante, ce qui devait être le fait de l'action consciente de la grande majorité de la classe. C'est pourquoi toute leur action n'a jamais dépassé le niveau du complot ou des actions directes limitées au plan économique, et n'a jamais pu atteindre le niveau d'une révolution sociale comme celle dirigée par les bolcheviks en 1917.
La révolution sociale n'est pas un repas préparé par des cuisiniers spécialistes qui, une fois la cuisson achevée, invitent le prolétariat à mettre les pieds sous la table et à le consommer. La phrase de Marx : "L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes" n'est pas un slogan sentimental. Elle contient cette vérité profonde que l'émancipation des travailleurs, c'est-à-dire l'édification de la société socialiste, ne peut être accomplie que par les masses intéressées elles-mêmes, prenant conscience de la possibilité et de la nécessité de cette émancipation et la réalisant pratiquement. Cette idée, Marx l'a sans cesse répété. Posant la question : "Quelle est la position des communistes par rapport à l'ensemble des prolétaires ?" ("Manifeste communiste"), Marx répond : "Ils ne proclament des principes sectaires sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. (...) Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent du prolétariat en général."
Marx n'a jamais fait cette distinction entre communistes et prolétaires, équivalente à la distinction entre acteurs et spectateurs qu'on voudrait lui attribuer. Les anarchistes l'ont grossièrement calomnié en le présentant comme voulant utiliser l'action des masses pour asseoir l'autorité de "l'élite communiste" aux intérêts distincts de ceux de la classe. Les "trop fidèles" élèves "marxistes" n'ont pas moins déformé sa pensée, en prétendant substituer à l'action consciente des masses l'action d'un groupe, d'une élite, d'un parti agissant "pour le compte" de la classe. La seule distinction qui existe entre les communistes et l'ensemble de la classe ouvrière, Marx la formule ainsi :
- "THÉORIQUEMENT, ILS ONT SUR LE RESTE DU PROLÉTARIAT L'AVANTAGE D'UNE INTELLIGENCE NETTE DES CONDITIONS, DE LA MARCHE ET DES FINS GÉNÉRALES DU MOUVEMENT PROLÉTARIEN",
d'où
- "PRATIQUEMENT, LES COMMUNISTES SONT DONC LA FRACTION LA PLUS RÉSOLUE, LA PLUS AVANCÉE DE CHAQUE PAYS, LA FRACTION QUI ANIME TOUTES LES AUTRES." ("Manifeste communiste").
Bien des parties du "Manifeste communiste" (écrit il y a un siècle) ont vieilli, mais cette double idée exprimée par Marx -d'une part que la révolution socialiste ne peut être qu'une lutte de toute la classe et d'autre part que les communistes n'ont d'autre tâche que d'animer cette lutte du prolétariat, en le rendant conscient "des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien"- reste plus que jamais vivante et d'actualité.
CETTE IDÉE EST À LA BASE DE NOTRE CONCEPTION DE LA RÉVOLUTION SOCIALISTE ET DU RAPPORT DE L'ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE AVEC LA CLASSE.
SEULE L'ORGANISATION QUI, PAR SON ACTION ET SES MÉTHODES, ASSURE ET DÉVELOPPE LA PRISE DE CONSCIENCE DU PROLÉTARIAT DE SON RÔLE HISTORIQUE DE CLASSE, SEULE CETTE ORGANISATION EST EN RÉALITÉ UNE ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE. SEULE ELLE OEUVRE, SOUS SES DIFFÉRENTES FORMES, POUR LE DÉCLENCHEMENT DE LA RÉVOLUTION ET POUR L'ÉDIFICATION DE LA SOCIÉTÉ SOCIALISTE.
PAR CONTRE, TOUTE ENTRAVE APPORTÉE PAR UNE ORGANISATION À LA PRISE DE CONSCIENCE DU PROLÉTARIAT, ET CELA QUELLES QUE SOIENT PAR AILLEURS LES AFFIRMATIONS VERBALES DE SES BUTS ET DE SES INTENTIONS, FAIT EN RÉALITÉ DE CELLE-CI, "EN SOI", UNE ENTRAVE À L'ÉMANCIPATION DE LA CLASSE ET UNE FORCE AGISSANTE CONTRE LE SOCIALISME.
L'élévation de la conscience de la classe est le critère fondamental de notre conception du parti, de ses buts et de ses méthodes ; et c'est constamment en fonction de ce critère que nous examinons l'actualité et les méthodes des divers groupes et courants se revendiquant de la classe ouvrière.
Pour revenir à la GCI, en général, et au PCI d'Italie, en particulier, nous préciserons que, pour l'instant, nous ne nous fixons pas pour objectif l'examen de leurs positions politiques (ce que nous avons fait dans d'autres articles et sur lesquelles nous reviendrons à l'avenir) mais uniquement l'examen de leurs méthodes ou, plus généralement, de leurs conceptions de l'organisation révolutionnaire et de ses rapports avec la classe. En faisant ainsi et, d'une manière concrète, sur la base d'exemples précis, nous pourrons faire toucher du doigt le mal profond qui les ronge et qui constitue une des raisons de nos divergences profondes avec eux. Nous parlerons surtout du PCI d'Italie parce que, en tant que colonne dorsale de la GCI par son rayon d'action et par sa force idéologique, il permet de saisir au vif la traduction pratique, la réalisation des conceptions qui sont les siennes.
On pourrait évidemment aussi citer des exemples de la FFGC, mais cela n'apportera pas grand-chose. D'abord parce que celle-ci est plutôt une caricature, copiée sur le modèle du PCI d'Italie, qu'une organisation avec des conceptions propres ; ensuite parce que la FFGC est un conglomérat de diverses tendances, un amalgame éclectique allant de l'opportunisme caractérisé à l'intransigeance verbale et dont les éléments d'union sont la prétention arrogante et l'ignorance grossière, le tout traduit par un sectarisme non tolérant et ultimatiste en matière d'organisation.
(À suivre)
MARCOU