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Dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 novembre, Thomas, 16 ans, a été mortellement touché par un coup de couteau à la suite d’une bagarre causée par un incident mineur (des réflexions au sujet d’une coiffure) qui a mal tourné à la fin d’un bal à Crépol (Drôme). Immédiatement, une réaction incendiaire d’une partie de l’extrême droite (hors RN) et de la droite, accusant des « étrangers » d’avoir commis ce crime.
Quelques jours plus tard, « des dizaines d’individus encagoulés se sont dirigés vers le quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère (Drôme), une ville située à 15 km de Crépol, dans le but d’opérer une expédition punitive, aux cris de “justice pour Thomas”. Les auteurs et complices présumés du meurtre de Thomas seraient, en partie, originaires de cette cité » (Le Monde du 30 novembre).
Face à cela, on ne peut que noter les atermoiements et la cacophonie de la classe dominante. Par exemple, Eric Ciotti (Les Républicains) a d’abord refusé, dimanche, de condamner cette expédition punitive, avant de faire machine arrière, sous la pression du gouvernement, alors même qu’à ce jour, les investigations policières ne sont pas terminées et qu’il existe encore des inconnues quant au déroulement précis de la soirée qui a abouti à ce drame. De son côté, le gouvernement, tout cherchant à se donner une image de fermeté, a tenté d’apaiser la situation : « un proche du président de la République dénonce “la fable insensée” véhiculée par l’extrême-droite sur l’imminence d’une “guerre civile” ».
Ce drame intervient dans un contexte où l’accélération de la décomposition de la société capitaliste génère toujours plus de violence sociale, comme on a pu le mesurer encore récemment lors des émeutes à Dublin. Une violence qui s’est encore exacerbée un peu partout depuis le déclenchement de la guerre au Moyen-Orient, et qui vient gangrener le tissu social. De telles violences ne font à leur tour qu’aggraver le phénomène qui alimente la montée du populisme, les idéologies racistes d’extrême-droite et les théories délirantes sur le « grand remplacement ».
Fondamentalement, la bourgeoisie est impuissante, de plus en plus ballottée par une situation qui menace son ordre et tend à empoisonner sa vie politique. Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle jeté autant d’huile sur le feu, depuis tant d’années à propos de l’Islam et de l’immigration ? Pour diviser la classe ouvrière, naturellement, mais aussi, initialement pour tenter d’instrumentaliser et de diaboliser l’extrême droite en vue de renforcer l’idéologie démocratique.
Or, aujourd’hui, le phénomène tend à échapper aux apprentis sorciers et inquiète. Une partie de la presse s’est ainsi montrée étonnamment prudente à la suite du Procureur de la République qui a initialement menti en affirmant qu’il est « faux d’affirmer que le groupe hostile serait composé d’individus tous originaires de la même ville et du même quartier ». Même Darmanin, pourtant habitué à la surenchère xénophobe, s’est déclaré « scandalisé » par les manifestations de l’extrême-droite et a menacé de dissoudre trois groupuscules. Tout comme Véran qui à dénoncer ces « factions d’ultradroite animées par la haine et le ressentiment ».
Pourquoi cette tentative de calmer la situation ? D’abord parce que le camp présidentiel est en train de se déchirer sur la nouvelle Loi Immigration et cette ambiance délétère ne fait que renforcer l’électorat du RN. Mais surtout, le rôle majeur de l’État, est de maintenir la cohésion de la société. Or la situation de crise politique qui affecte l’ensemble de la classe politique rend cette tache de plus en plus difficile et délicate. La fraction la plus lucide de la bourgeoisie, elle-même en partie déjà affectée, se rend compte que la situation est explosive, qu’il existe un risque de fragmentation sociale. Même Marine Le Pen a critiqué les propos incendiaires de Zemmour pour mieux se présenter en garante de la cohésion de la Nation, apte à diriger l’État.
Ce drame illustre bien, par ses conséquences, le processus de décomposition de la société capitaliste, au niveau mondial. Même si le fait d’instrumentaliser de tels drames et d’attiser les haines communautaires constitue un moyen de diviser les luttes des ouvriers et pourrir leur conscience, de tels phénomènes sont des produits de la décomposition du capitalisme qui ne fait que dégrader l’ensemble du corps social et ne sauraient être celui d’une simple volonté politique.
La bourgeoisie française se retrouve aujourd’hui coincée entre deux exigences : - d’une part, l’urgence de renforcer ses attaques contre la classe ouvrière pour résister à la crise économique qui ne cesse de s’aggraver, ce qui explique les campagnes de division, y compris racistes.
- d’autre part, il y a la nécessité de maintenir un minimum de cohésion sociale pour empêcher la société de sombrer dans un chaos (tel qu’on le voit, par exemple, en Amérique Latine) qui risquerait de bloquer encore plus toute l’activité politique et économique avec le danger d’une déstabilisation accrue.
Un autre facteur d’instabilité est la porosité de la jeunesse des « quartiers défavorisés » à la décomposition sociale ambiante, avec le risque à ce que les quartiers s’enflamment de nouveau à terme.
Les débats actuels concernant la nouvelle loi sur l’immigration à l’Assemblée nationale, au-delà des réelles querelles politiciennes, montrent les hésitations et l’impasse dans laquelle se trouve la bourgeoisie. Dans tous les cas, la situation ne pourra que se durcir pour les immigrés déjà largement criminalisés, sans que cela ne règle pour pourtant les contradictions croissantes au sein de la vie politique.
La bourgeoisie n’a pas intérêt à laisser le populisme se développer et gagner en influence de voix le RN pour les futures élections. Une victoire du RN aux élections ne pourrait que fragiliser davantage la bourgeoisie française et aggraverait une crise politique qui est en train, manifestement, de s’installer durablement.
L, 15 décembre 2023