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Contre la grève
La presse bourgeoise
Au début du conflit, la presse bourgeoise accorde sa "sympathie" à la grève. Cette sympathie est fort intéressée car il ne s'agit rien de plus, pour elle, que de mettre les staliniens en mauvaise posture. La presse bourgeoise relate donc, avec complaisance et avec force détails les diverses péripéties du conflit, et surtout la mauvaise fortune des dirigeants staliniens de la CGT qui se font huer et siffler par les assemblées de grévistes. Mais, à mesure que la grève prend de l'extension, ces messieurs deviennent sérieux. Ils comprennent que Renault n'est pas une simple répétition de la grève des postiers, ou de la grève de la Presse parisienne. Le ton change rapidement et, jusqu'au journal "Combat", on commence à s'inquiéter et à expliquer, par de savantes démonstrations, l'impossibilité absolue pour le gouvernement, gardien de la sécurité économique et du franc, d'accorder satisfaction aux revendications ouvrières.
À souligner que la presse bourgeoise est pleinement consciente des causes profondes de cette grève, à savoir : le mauvais ravitaillement aggravé par la décision de la diminution de la ration de pain, ce qui rend cette grève si dangereusement populaire.
La presse dite "ouvrière"
Le "Populaire", organe de la SFIO fait volontiers, pendant 3-4 jours, la publicité de la grève. Mais le jeu devient trop brûlant. Costes, secrétaire de la Fédération de la métallurgie et député stalinien, fait état d'une déclaration de Daniel Mayer, d'après laquelle la direction du parti socialiste désapprouvait les articles sur la grève parus dans le "Populaire" et rappelait à l'ordre la rédaction. En effet, on est loin de la grève des PTT. Et il ne se trouvera plus, cette fois, un Degain (fameux député socialiste qui a "défendu" à la Chambre la grève des postiers contre les staliniens) pour "défendre" à la Chambre le Comité de grève de Renault.
Quant à la Gauche socialiste, avec Pivert en tête, elle reste inébranlablement fidèle à elle-même, c'est-à-dire qu'elle soutient "moralement" les grévistes, mais PRATIQUEMENT son gouvernement socialiste de Ramadier, affameur des ouvriers.
"L'Humanité", organe des staliniens, bat tous les records et dépasse en abjection toute la presse bourgeoise. Sa haine anti-ouvrière n'est comparable qu'à la quantité de boue qu'elle jette sur les grévistes. Il est impossible de citer les articles de ce journal sans que le dégout ne vous monte à la gorge. Ce torchon est plein de pus. "Provocateurs, hitléro-trotskistes, éléments troubles, agents de De Gaulle, payés par l'extérieur" sont les épithètes les plus gentilles dont ce journal qualifie les ouvriers en grève. Il publie, le mercredi 3I, la photo d'un individu qu'on aurait trouvé armé dans l'usine et qui aurait appartenu à la LVF. Les staliniens ne répugnent à aucun moyen pour discréditer les grévistes. Un de leurs moyens préférés sera encore la provocation à la lutte physique entre les ouvriers.
"L'Avant-garde", organe des jeunesses staliniennes, écrit le mercredi 30 avril : "Vendredi dernier, une entrevue décisive devait avoir lieu avec la direction. Coïncidence troublante : la direction s'absenta et renvoya la discussion, tandis qu'au même instant des provocateurs, aidés par des éléments louches venus de l'extérieur, tentaient de lancer un mouvement."
Et voilà une autre insinuation perfide : "Ils (les ouvriers) se méfient des éléments irresponsables, surtout lorsque leurs tracts et leur matériel sont payés avec de l'argent venu de l'extérieur."
Il est vrai que l'argent en question est venu de "l'extérieur" comme le dit "l'Avant-garde". L'extérieur, ce sont les souscriptions faites rapidement par les ouvriers dans les autres usines et par des groupements ouvriers. Le montant des souscriptions qui, après dix jours, s'élevait à quelque 80 mille francs ainsi que les noms des souscripteurs et les comptes des dépenses qui ont été continuellement affichés à la porte, permettant à chaque ouvrier d'en prendre connaissance.
Les staliniens, eux, n'ont évidemment pas besoin de l'argent "extérieur", sauf celui touché à l'ambassade russe ainsi que les fonds secrets de leurs ministres dans le gouvernement français. À part cela, ils n'ont pas besoin de l'argent de l'extérieur car ils ont les centaines de millions escroqués, sous la forme de cotisations syndicales des ouvriers, à croquer et à dilapider.
Les organisations syndicales
La CFTC (syndicat chrétien), dans un tract paru le 28 avril, déclare : "Les syndicats de la métallurgie CFTC de Renault estiment que le minimum vital, réclamé depuis décembre I940 par la CFTC, n' ayant pas été retenu par le gouvernement qui n'a pu, en outre, améliorer les conditions de ravitaillement, ni obtenir une baisse notable du coût de la vie, décident de participer à l'action des Comités de grève des usines Renault pour faire aboutir leurs justes revendications."
Notons que cette participation est restée "chrétienne", c'est-à-dire immatérielle, dès l'instant que le MRP a pris la position d'appuyer le gouvernement contre les revendications des ouvriers.
La CGT : la section syndicale des usines Renault a pris naturellement la position la plus hostile à la grève. Dans un tract publié le mardi 29 avril on lit : "La section syndicale des usines Renault a déposé à la direction le cahier de revendications suivant : ... 5° augmentation DE LA PRIME DE PRODUCTION DE TROIS FRANCS DE L'HEURE pour tous.
Nous maintenons les propositions d'une demande de trois francs de l'heure pour tous de majoration sur la PRIME DE PRODUCTION."
Après avoir relaté ces tractations avec la direction qui faisait la contre-proposition d'une augmentation d'un franc quarante de prime à la production, la section syndicale déclare qu'elle "continue le combat avec calme et fermeté" et dénonce la grève et le comité de grève comme "des irresponsables", des éléments provocateurs qui tentent de diviser les ouvriers pour faire échouer la conclusion favorable des revendications.
24 heures après, la CGT fait un tournant en prenant à son tour la revendication de 10 Fr (prime à la production).
Les réunions qu'elle convoque pour inciter les ouvriers au calme et à rester au travail, avec grand renfort de Hénaff et de Costes qui se font copieusement siffler, tournent à son désavantage.
La CGT se conduit absolument comme une organisation de briseurs de grève et l'hostilité des ouvriers contre elle va en croissant. Elle ne reprendra l'ascendant sur les ouvriers qu'après son tournant et grâce aussi à l'incapacité du Comité de grève. Et nous assisterons à ce spectacle écœurant : des voitures de haut-parleurs de la CGT viendront jouer à tue-tête des "Madelon" et "Internationale" à côté des assemblées de grévistes, à seule fin de faire de l'obstruction et empêcher les ouvriers de discuter de la marche de la grève.
La CNT
Il est assez intéressant de constater que, parmi toutes les tendances qui se sont manifestées à l'occasion de la grève de chez Renault, la CNT, cette centrale syndicale anarchiste, a brillé par son absence. Nous ne doutons pas que les militants de la CNT devaient être de cœur avec la grève, mais comment expliquer l'absence de leur organisation ?
N'avons-nous pas eu raison d'écrire lors de la constitution de la CNT : "Désormais une organisation syndicale ne peut exister qu'à la condition d'être une organisation de l'État capitaliste ou sinon elle ne peut être qu'une petite secte sans influence. L'existence des véritables organisations syndicales, groupant des masses et défendant les intérêts des ouvriers, est, dans la période présente du capitalisme décadent, un leurre, une illusion dangereuse."
La présence de la CGT, de la CFTC et l'absence de la CNT dans la grève de Renault viennent singulièrement démontrer et renforcer notre jugement sur les syndicats en général.
Du côté de la grève
La minorité syndicale CGT
Toute organisation politique a son opposition : la monarchie anglaise a l'opposition à Sa Majesté, le parti travailliste ; Truman a son Wallace ; la SFIO a sa gauche de Pivert et la CGT sa minorité syndicale. Dans la grève de Renault, la minorité syndicale, qui s'est solidarisée avec la grève, s'est manifestée par un court "appel" d'où nous tirons le passage suivant : "Nous recommandons à tous les travailleurs de ne pas quitter l'organisation syndicale mais d'exiger, dès maintenant, un contrôle permanent de tous les responsables."
Toute la Minorité est dans ce passage. Voyez-vous, le 3ème jour de la grève, alors que la CGT calomnie et s'emploie de toutes ses forces à briser la grève, alors que les ouvriers dégoûtés tentent de se libérer de cette caserne de l'État bourgeois, le souci essentiel de la "Minorité" syndicale est de ramener le troupeau. "Pourvu que les ouvriers ne quittent pas la CGT."
Quelles que soient, par ailleurs, les critiques que la "Minorité syndicale" adresse à sa "majesté" la CGT, quelles que soient ses intentions de défendre les intérêts des ouvriers, il n'en reste pas moins que la fonction essentielle de la "Minorité" est de maintenir les liens qui enchaînent les ouvriers, en les maintenant dans le cadre de l'organisation syndicale.
Le "Libertaire"
C'est gratuitement que les staliniens accusèrent les anarchistes de faire partie de ces "éléments louches et provocateurs" de la grève, car les anarchistes, en tant qu'organisation, n'étaient pas là et gardaient plutôt une attitude réservée.
Pas un tract, pas un appel n'ont été distribués concernant la grève, et le "Libertaire" du 1er mai -6ème jour de la grève- n'a pas trouvé de place, dans ses 4 pages hebdomadaires, pour un article sur la grève, hormis une petite manchette. C'est assez curieux pour une organisation qui est plutôt activiste et remuante, qui vient commémorer avec bruit l'anniversaire de la "République espagnole", qui s'est immédiatement émue et engagée à fond dans la lutte contre le "danger De Gaulle". Comment comprendre cette attitude pleine de réserve des anarchistes qui, par ailleurs, ont célébré avec pompe le 1er mai, par un meeting et un cortège indépendant dans les rues de Paris ?
Les trotskistes
Le PCI et le groupe qui publient "Lutte de classe", tous deux trotskistes, ont occupé, par leurs militants et leur activité, une place de premier plan dans la grève de Renault. Malheureusement et peut-être naturellement, il ne semble pas qu'ils aient compris l'importance et la portée de cette grève. D'ailleurs, leur programme de revendication le leur interdisait.
Toute leur action est basée sur la revendication uniquement économique : augmentation de 10 Frs.
Dans le premier tract signé par le Comité de grève, ils formulent en ces termes leur objectif :
"Ce que nous voulons ? Un salaire minimum vital, c'est à dire pour nous limiter au chiffre de la CGT de 7000 Frs par mois, 10 Frs d'augmentation sur le taux de base."
Cette revendication économique de 10 Frs s'avère rapidement insuffisante pour élargir le mouvement à toute la classe ouvrière. Aussi les trotskistes renforcent par cette autre revendication ce qui est, comme on le sait, leur cheval de bataille (un cheval un peu boiteux) : l'échelle mobile.
La revendication de 10 Frs, écrivent-ils, "doit mettre fin une fois pour toutes à cet état de choses. Car l'augmentation que nous réclamons doit être garantie par son adaptation constante aux indices des prix, en fonction de ce qu'il nous faut acheter pour vivre sans mettre en danger notre santé. Nous voulons l'échelle mobile des salaires."
On ne saurait mieux dire, pour démontrer le caractère profondément réformiste de cette revendication trotskiste de l'échelle mobile qui, avec les 10 Frs de plus, doit mettre fin, une fois pour toutes, à cet état de choses.
Les ouvriers, moins naïfs, ne croient pas trop à ce miracle. Les trotskistes ont surement tort d'insister que "cette revendication, la CGT elle-même l'avait mise en avant au mois de décembre 1946". L'autorité de la CGT en matière de mettre fin "une fois pour toutes" à la misère des ouvriers est bien douteuse et d'un fort mauvais goût. En plus, les trotskistes dénonçaient, à l'occasion de la grève, ce qu'ils appellent les "mauvaises" nationalisations (les usines Renault sont des usines nationalisées). À les entendre, la situation des ouvriers aurait été meilleure si on les avait écoutés et si on avait procédé à de "vraies" nationalisations sans indemnités ni rachat, sous le contrôle des syndicats. Les bagnes staliniens en Russie "sans indemnités ni rachat" ont-ils tellement amélioré la situation des ouvriers pour en faire un objectif de lutte pour les ouvriers français ?
Un autre souci, capital pour les trotskistes, est d'éviter que les ouvriers dégoûtés ne quittent la CGT. Dans un article de l'édition spéciale de la "Vérité" sur la grève de Renault, on met ingénieusement dans la bouche d'un ouvrier la phrase suivante : "... on est contre toute espèce de scission dans la CGT. La CGT est à nous, nous ne la quitterons pas, mais nous obligerons les bonzes à défendre nos revendications".
Rien de moins que cela ; et la reprise par la CGT de la revendication de 10 Frs de la grève doit évidemment être comprise comme une victoire du trotskisme obligeant "les bonzes à défendre les revendications" des ouvriers.
C'est bien ainsi que s'exprime, dans le même numéro de la "Vérité", le délégué du "Front Ouvrier" pour qui la grève de Renault est qualifiée de : "Premier pas vers un minimum vital, premier pas vers une vraie CGT".
Les absents
Il ne serait pas gentil de passer complètement sous silence, dans cette liste, les petits groupes comme le RKD et la FFGC, malgré leur totale absence. Certes, leur absence est passée inaperçue pour la masse des ouvriers en grève mais, pour les militants, elle est d'autant moins explicable que ces groupes se targuaient de ne pas être des "cercles de théoriciens" (comme nous) mais des activistes "agissant dans la masse".
Le RKD dans la grève des postiers et la FFGC dans celle de la presse voyaient et proclamaient le début d'une vague montante de luttes offensives du prolétariat. Ils n'avaient que du mépris pour notre critique objective de ces mouvements. Ils nous reprochaient notre "pessimisme".
Aujourd'hui nous devons constater, sans joie, la vérification par trop rapide de ce que nous disions alors à ce propos : "En prenant leur désir pour la réalité, ces groupes s'épuisent dans une agitation stérile et un activisme à contre-sens. Pour ces mêmes raisons, demain, quand surgiront des mouvements réels de classe, ces groupes ne les verront pas et resteront absents." En sommes-nous déjà là ?
La GCF
On lira plus loin les positions défendues par nous dans la grève et dans le Comité. Par des souscriptions, des tracts et par la parole dans les assemblées de grévistes, notre groupe, dans la mesure de ses faibles forces, a participé étroitement à cette grève. Nous considérons que cette grève marque un moment de la lutte du prolétariat dans un cours général réactionnaire et de recul ouvrier.
J. MARCOU