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Bakounine a créé une organisation secrète au sein de l'AIT destinée soit à la prendre sous son contrôle, soit, si cela n'était pas possible, à la détruire. L'AIT a réagi à cette gigantesque intrigue en consacrant le Congrès de La Haye (1872) à la défense de l'organisation contre cette tentative parasitaire de destruction.
Il faut rappeler que ce congrès a lieu un an après la Commune de Paris, la première fois dans l'histoire que le prolétariat tentait de prendre le pouvoir. Cependant, l'importance cruciale de défendre l'organisation révolutionnaire contre les tentatives de destruction a été consciemment assumée par l'AIT en lui donnant une priorité absolue et en rendant ses travaux publics.
Les leçons de ce combat sont capitales. Cependant, elles ont été totalement enterrées pour diverses raisons. La première est qu'elles ont été rapidement oubliées dans le mouvement ouvrier ultérieur - à la seule exception des bolcheviks ; c'est ainsi que Franz Mehring, le camarade de combat de Rosa Luxemburg dans la gauche de la social-démocratie, présente, dans sa biographie de Marx, le combat de ce dernier contre la conspiration de Bakounine comme une "confrontation personnelle". Bien entendu, les nombreux auteurs (historiens, marxologues, politologues) qui ont parlé du Congrès de La Haye ont répété ad nauseam le même refrain : tout se résumait à un "choc de personnalités" ou à un "combat entre autoritaires et libertaires". Aucune rigueur scientifique ne peut être attendue d’eux. Mais ce qui est scandaleux, c'est qu'un groupe comme la TCI[1], qui se réclame de la Gauche communiste, qui prétend lutter pour le Parti mondial du prolétariat, publie un article sur le congrès de La Haye[2], 150 ans après : "150 Years On: The Split in the First International" (Il y a 150 ans, la scission dans la Première Internationale), où se répètent les mêmes thèmes falsificateurs qui ont été propagés durant les 150 dernières années sur le dit congrès.
La trajectoire de Bakounine et son entrée à l'AIT
Qui était Bakounine ? Selon l'article de la TCI, un véritable révolutionnaire qui défendait des idées fausses comme le panslavisme, mais "Lorsque le soulèvement de 1863 éclata dans la Pologne divisée, Bakounine offrit ses services, mais fut repoussé. Il tenta alors de rejoindre le soulèvement par ses propres moyens, mais l'expédition échoua, tout comme le soulèvement lui-même : les insurgés polonais furent isolés et écrasés. Ces événements ont porté un coup aux espoirs panslavistes de Bakounine et l’ont finalement amené à reconsidérer ses idées politiques." Selon l'article de la TCI, cette reconsidération a conduit Bakounine à "formuler une nouvelle doctrine, caractérisée par l'abstentionnisme politique, l'antiétatisme et le fédéralisme, qui portait diversement les noms de socialisme révolutionnaire, de collectivisme et d'anarchisme. Il chercha d'abord des partisans parmi les partisans radicalisés de Giuseppe Garibaldi et des francs-maçons, pour finalement fonder une société secrète, l'Association révolutionnaire internationale. Les "catéchismes" de cette société secrète résument les idées autour desquelles Bakounine tentait de réorganiser les révolutionnaires en un réseau international".
Cette version donnée par l'article de la TCI ne correspond pas à celle du Conseil Général de l'AIT :
"À son retour de la Sibérie, il [Bakounine] prêcha dans le Kolokol de Herzen, comme fruit de sa longue expérience, le panslavisme et la guerre des races. Plus tard, durant son séjour en Suisse, il fut nommé au Comité directeur de la "Ligue de la paix et de la liberté", fondée en opposition à l’Internationale. Les affaires de cette société bourgeoise allant de mal en pis, son président, M. G. Vogt, sur l’avis de Bakounine, proposa une alliance au Congrès international réuni à Bruxelles en septembre 1868.
Le Congrès déclara à l’unanimité : de deux choses l’une, ou la Ligue poursuivait le même but que l’Internationale, et dans ce cas elle n’avait aucune raison d’être, ou bien son but était différent, et alors l’alliance était impossible. Au Congrès de la Ligue, tenu à Berne, quelques jours après, Bakounine opéra sa conversion. Il y proposa un programme d’occasion dont la valeur scientifique peut être jugée par cette seule phrase: "l’égalisation économique et sociale des classes". Soutenu par une infime minorité, il rompit avec la Ligue pour entrer dans l’Internationale, déterminé à substituer son programme de circonstance - repoussé par la Ligue - aux statuts généraux de l’Internationale et sa dictature personnelle au Conseil général. Dans ce but, il se créa un instrument spécial, l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, destinée à devenir une Internationale dans l’Internationale".3]
Ainsi, contrairement à ce que dit la TCI, Bakounine n'était pas un révolutionnaire qui "évoluait dans ses idées". Ses changements de position n'étaient pas basés sur des considérations relatives aux expériences qu'il avait vécues. Il a passé une grande partie de sa carrière avec des positions clairement bourgeoises, voire réactionnaires (panslavisme, Ligue pour la paix), mais, sentant que l'Internationale pouvait tomber entre ses mains, il a rapidement retourné sa veste, délaissant la Ligue pour la Paix et la Liberté comme une camelote inutile et s'est empressé d'entrer dans l'Internationale, inventant pour l'occasion un "programme de seconde main" suivant les critères du "marxisme à la Groucho Marx qui disait "ce sont mes principes, mais si vous ne les aimez pas, j'en ai d'autres dans ma poche". Ce n’était pas un militant sincère qui "évolue", c’était un aventurier politique.[4] Ces personnages sont très dangereux pour le mouvement ouvrier car ce qui les anime n'est pas la lutte pour les intérêts de la classe, mais leur ambition personnelle de vouloir jouer un "rôle politique" en utilisant les organisations ouvrières à des fins fallacieuses. Lassalle voulait faire du mouvement ouvrier allemand un pion dans son jeu avec Bismarck, avec qui il avait conclu un accord secret.[5] Bakounine voulait mettre l'AIT à son service. Par ailleurs, il est faux que Bakounine ait adopté un programme "abstentionniste, fédéraliste et antiétatiste", ses "principes" variaient selon les circonstances. Comme nous le verrons plus tard, il a été ultra-centraliste lorsqu'il pensait avoir la conquête de l'AIT à sa portée, mais lorsqu'il a échoué, il a abandonné ce centralisme intéressé pour se draper dans la bannière du fédéralisme qui s'avérait être le meilleur instrument pour harceler un Conseil général de l'AIT qui refusait de se mettre à ses pieds. Nous sommes devant deux visions antagonistes. Celle de l'article de la TCI qui dépeint Bakounine comme "un révolutionnaire romantique aux idées erronées" et celle du Conseil général de l'AIT qui le voit comme un aventurier politique intriguant et sans scrupules. Nous choisissons résolument la seconde vision car elle fournit un armement politique pour défendre et construire l’organisation. L'organisation révolutionnaire est une arme vitale du prolétariat qui doit non seulement intervenir dans ses luttes, mais aussi se construire consciemment et défendre son existence contre la répression bourgeoise et tous les instruments qu'elle peut utiliser, comme les aventuriers, le parasitisme politique, etc.
Comment Bakounine est entré dans l'AIT ?
Bakounine a finalement réussi à adhérer à l'AIT. L'article de la TCI ignore totalement le danger que cette adhésion comportait et passe sous silence le fait que Bakounine avait l'intention d'entrer dans l'AIT en portant sur son dos l'Alliance internationale de la démocratie socialiste. Le Conseil général rejette ce piège :
"Considérant : que l'existence d'un second organisme international agissant au sein et en dehors de l'Association internationale des travailleurs serait le moyen le plus infaillible de la désorganiser ; que tout autre groupe d'individus résidant dans une localité quelconque aurait le droit d'imiter le Groupe de Genève initiateur et d'introduire, sous des prétextes plus ou moins ostensibles, au sein de l'Association internationale des travailleurs, d'autres Associations internationales ayant d'autres missions spéciales ; que, de cette façon, l'Association internationale des travailleurs deviendrait très vite le jouet de comploteurs de toute nationalité et de tout parti".
Face à ce refus, Bakounine commence à manœuvrer. Il fait semblant d'accepter les principes de l'Internationale et prétend dissoudre l'Alliance. Il recourt à une autre tromperie : il fait croire à l'organe central de l'AIT qu'il a reçu l'aval du Conseil fédéral de la Suisse Romande (ce qui s'avère faux). Fort de ces accréditations, Bakounine part à la conquête de l'Internationale et se rend au congrès de Bâle (1869) dans le but d'imposer son programme de circonstance basé sur "l'abolition du droit d'héritage" et surtout d'obtenir le transfert du Conseil général à Genève.
Avec cet objectif, Bakounine s'est imposé comme le plus ultra du centralisme. Cette manœuvre n'est pas reprise par la TCI dans son article, qui se montre "surprise" : "plus surprenant, Bakounine a également soutenu une motion visant à étendre les pouvoirs du Conseil général afin qu'il puisse suspendre toute section agissant contre les principes de l'Internationale".
L’article ne voit pas non plus la manœuvre d'instrumentalisation qui se cache derrière le "programme" de Bakounine : "Pour Bakounine, l'abolition du droit d'héritage constituait un point clé de son programme pour l'Alliance, une condition préalable à l'égalité sociale dans la société future. Pour Marx, toute la question du droit d'héritage était une distraction juridique qui serait résolue avec l'abolition de la propriété privée des moyens de production (déjà approuvée par l'Internationale)".
Selon l'article, il y aurait un "débat" entre la position de Marx et celle de Bakounine. Cette appréciation est erronée, il s'agit en réalité d'un lapin que Bakounine a sorti du chapeau, comme l'a dénoncé l'AIT : "le programme de l’Alliance, à la remorque d’un "Mahomet sans Coran", ne représente qu’un ramassis d’idées d’outre-tombe, déguisées sous des phrases ronflantes, ne pouvant effrayer que des bourgeois idiots, ou servir de pièces à conviction contre les internationaux aux procureurs bonapartistes ou autres". Bakounine ne cherchait pas le "débat", sa proposition vedette d'"abolition du droit d'héritage" était un moyen, associé à l'ultra-centralisme, pour prendre le contrôle de l'AIT. De même, pour la TCI, il n'y a rien d'anormal dans la revendication de déplacer le Conseil général à Genève où il pourrait être "accueilli "par Bakounine. Au contraire, la version de cette organisation est la suivante : "Les attaques contre sa personne n'ont pas cessé [se référant à Bakounine], puisque Moses Hess a publié un article à charge en octobre 1869, affirmant que Bakounine avait l'intention de saper l'Internationale et de transférer le Conseil général de Londres à Genève. Bakounine répondit par une tirade antisémite - non publiée - contre les "Juifs allemands" qui auraient conspiré contre lui (que même Herzen et Ogarev trouvèrent excessive). Par respect et par considération tactique, Bakounine épargna Marx, bien qu'il l'ait considéré à tort comme le cerveau de toutes ces attaques". Nous voyons ici que l’article de la TCI prend clairement le parti de Bakounine et loue même sa "magnanimité personnelle" à "pardonner" Marx. La TCI ne voit pas –ou ne veut pas voir– ce qui était en jeu, à savoir la manœuvre de Bakounine pour s'emparer de l'organe central de l'AIT en proposant de déplacer le Conseil général à Genève. Qu'est-ce qu'un organe central dans une organisation prolétarienne ? Un instrument de contrôle de l'organisation par un individu ou un groupe ? Ou une expression de l'organisation dans son ensemble qui doit être défendu contre les intrigues et les ambitions d'individus ou de groupes ? L'AIT adopte clairement cette dernière position qui est celle que nous, révolutionnaires, devons défendre, contrairement à celle de la TCI qui ne voit que des "conflits entre individus".
La guerre de Bakounine contre l'AIT
Le Congrès de Bâle rejette les "propositions" de Bakounine, ce qui l'amène à changer de stratégie : ne pouvant prendre le contrôle de l'AIT, il conspire désormais à sa destruction. Au service de cette stratégie, le centraliste extrême de Bâle devient le plus ultra-fédéraliste et son nouveau programme à la "Groucho Marx" est "l'abstention en politique", mais tout cela est "le signal de la guerre ouverte et incessante que fit l’Alliance, non seulement au Conseil Général, mais encore à toutes les sections de l’Internationale, qui refusèrent d’adopter le programme de cette coterie sectaire et surtout la doctrine de l’abstention absolue en matière politique"[6].
Examinons le cauchemar que Bakounine et son Alliance ont provoqué dans la vie de l'Internationale à partir de 1869. Nous en soulignerons quelques épisodes parmi les plus marquants.
L'affaire Netchaïev
"Déjà avant le Congrès de Bâle, Netchaïeff étant venu à Genève, Bakounine entra en relations avec lui, et fonda en Russie une société secrète parmi les étudiants. (…) Le grand moyen de propagande de cette société consistait à compromettre des personnes innocentes vis-à-vis de la police russe, en leur adressant de Genève des communications sous enveloppes jaunes, revêtues à l’extérieur, en langue russe, de l’estampille du "Comité révolutionnaire secret""[7].
Bakounine n'a aucun scrupule à rejoindre un informateur véreux qui livre aux tortionnaires tsaristes des personnes intéressées par l'Internationale. Ces "mauvaises fréquentations" sont considérées par la TCI comme une "erreur" de Bakounine, sans tenir compte du fait que, comme le montre le document de l'Internationale, c'est lui qui utilisait Netchaïeff. Selon la TCI, le goût de Bakounine pour les conspirations l'a rendu aveugle à l'ampleur de la tromperie et lorsqu'il a finalement pris ses distances avec Nechaïev, il était déjà trop tard. Des gens comme Borkheim et Outine disposaient désormais de munitions supplémentaires pour alimenter les soupçons de Marx. En d'autres termes, Bakounine était "friand de conspirations" (sic) et cela l'a "aveuglé" face aux manœuvres de Netchaïeff (sic) et lorsqu'il a fini par s'en rendre compte, il était "trop tard", ce qui a fini par donner des "munitions" à Marx mal conseillé par Berkheim et Outine. La TCI banalise le fait qu'au sein d'une organisation communiste il y ait des "amateurs de complots", ce qui signifie que, pour cette organisation qui se réclame de la Gauche communiste, l'"amateur de complot" pratiquerait un "passe-temps innocent", le "petit défaut" d'un "grand révolutionnaire" comme Bakounine.
Cette position de la TCI est tout simplement monstrueuse. Qu'au sein d'une organisation bourgeoise il y ait des "amateurs de complots" est habituel, mais qu'au sein d'une organisation communiste il y ait des "amateurs de complots" est quelque chose de radicalement incompatible avec ses principes de fonctionnement et de militantisme et qui la met immédiatement en péril.
Le "pauvre Bakounine" n'a pas vu l'ampleur des tromperies de Netchaïeff selon la TCI. Non ! La leçon à tirer est que Bakounine a utilisé et encouragé Netchaïeff, qu'il était au courant de ses agissements répugnants, et que lorsque toute l'affaire a commencé à être découverte, il était trop tard pour l'étouffer. Dans une organisation communiste, de telles "alliances" avec des éléments louches sont intolérables, et ceux qui les pratiquent sont tout aussi incompatibles avec les organisations communistes. Cela ne fait pas partie du champ de vision de la TCI et cela explique pourquoi elle n'a aucun scrupule à collaborer avec des mouchards et des escrocs comme la racaille du GIGC dans la mise en place des comités NWBCW.[8]
L'attaque contre le Conseil général en utilisant un journal de la Fédération Romande
Voyons quelle version la TCI nous donne de cette affaire qui se déroule en 1870 : "La controverse suivante concerne la Fédération romande, la section genevoise de la Première Internationale, où L'Égalité, éditée par des disciples de Bakounine tels que Paul Robin et Charles Perron, avait formulé un certain nombre de plaintes concernant le travail du Conseil général. En mars 1870, le Conseil général a diffusé une réponse de Marx, qui répondait aux critiques. Toutefois, Marx semblait croire à tort que Bakounine était personnellement à l'origine de cette initiative. Nikolai Outine, un autre émigré russe ayant une vendetta contre Bakounine, sent alors sa chance et entreprend de reprendre L'Égalité au nom de Marx. La section se divise, les Genevois se déclarant adeptes de Marx, les Jurassiens adeptes de Bakounine, et les uns et les autres revendiquant le nom de la Fédération romande". Selon cette explication, les partisans de Bakounine, à son insu, auraient attaqué le Conseil général. Dans sa réponse, au nom de ce dernier, Marx aurait été "mal informé" et, de plus, un adepte de Marx, Outine, voulant faire une vendetta contre Bakounine, aurait provoqué une scission dans la Fédération romande. L'AIT présente une version radicalement différente : "L’Alliance commença dans ce temps une polémique publique contre le Conseil général, d’abord dans le Progrès de Locle, puis dans l’Egalité de Genève, journal officiel de la fédération romande où s’étaient glissés quelques membres de l’Alliance à la suite de Bakounine. Le Conseil général, qui avait dédaigné les attaques du Progrès, organe personnel de Bakounine, ne pouvait ignorer celles de l’Égalité, qu’il devait croire approuvées par le Comité fédéral romand"[9]. Dans la controverse, L'Égalité a accusé le Conseil général de ne pas remplir ses fonctions. Ce dernier, dans une circulaire, précise que les critiques sur le fonctionnement de l'AIT ne doivent pas être formulées dans la presse publique de l'organisation, mais doivent passer par les organes statutaires, faute de quoi ces "critiques" donneraient des munitions aux attaques incessantes de la presse bourgeoise contre l'Internationale : "Lorsque le Comité fédéral romand nous adressera des demandes ou des réprimandes par la seule voie légitime, c’est-à-dire par son secrétaire, le Conseil général sera toujours prêt à y répondre. Mais le Comité fédéral romand n’a le droit ni d’abdiquer ses fonctions entre les mains des rédacteurs de l’Egalité et du Progrès, ni de laisser ces journaux usurper ses fonctions. Généralement parlant, la correspondance administrative du Conseil général avec les Comités nationaux et locaux ne pourrait pas être publiée sans porter un grand préjudice à l’intérêt général de l’Association. Donc, si les autres organes de l’Internationale imitaient le Progrès et l’Egalité, le Conseil général se trouverait placé dans l’alternative, ou de se discréditer devant le public en se taisant ou de violer ses devoirs en répondant publiquement. L’Égalité s’est jointe au Progrès pour inviter" le Travail" (journal parisien) à attaquer de son côté le Conseil général. C’est presque une Ligue du bien public."[10]. Pour commencer, Bakounine avait utilisé ses laquais pour lancer une attaque publique contre le Conseil général en utilisant frauduleusement L'Égalité, l'organe de presse de la Fédération Romande. La réponse, basée sur le respect des principes d'organisation, de la part du Conseil général est que les critiques à son égard doivent se faire par l'intermédiaire de l'organe central de la Fédération Romande et non pas en diffusant publiquement ces critiques dans le dos de l'organisation. Cette attaque contre le Conseil général s'est étendue à un autre organe à Paris. Au fur et à mesure que le Conseil général la dénonce, une "ligue" d'attaque publique contre lui se met en place. L'objectif est clair : discréditer l'organe central élu par le Congrès de Bâle et détruire ainsi la centralisation de l'AIT. L'enjeu n'est donc pas une vendetta personnelle d'Outine contre Bakounine, ni un Marx "mal informé", mais la défense d'une méthode de débat centralisé où la critique n'est pas utilisée pour discréditer les organes centraux, mais pour renforcer l'ensemble de l'organisation et l'organe central. Là où l'AIT voit des attaques vicieuses contre son organe central, la TCI voit des "vendettas personnelles" contre Bakounine. L'article de la TCI est très frappant : à chaque étape, nous voyons que sa principale préoccupation est la défense du "pauvre Bakounine" et que tout ce qui concerne la défense de l'organisation révolutionnaire, sa centralisation, la méthode de critique et de débat, a complètement disparu de son radar.
Le sabotage du congrès de la Fédération Romande
Un autre épisode de la conspiration de Bakounine contre l'Internationale fut la tentative, au congrès de La Chaux-de-Fonds, de s'emparer de la Fédération Romande en avril 1870. Voyons les manœuvres et les intrigues auxquelles Bakounine et ses acolytes ont eu recours : "Bien que, d’après leur propre recensement, les partisans de l’Alliance ne fussent que la représentation du cinquième des membres de la fédération, ils réussirent, grâce à la répétition des manœuvres de Bâle, à se procurer une majorité fictive d’une ou deux voix, majorité qui, au dire de leur propre organe (voir la Solidarité du 7 mai 1870) ne représentait que quinze sections, tandis qu’à Genève seule il y en avait trente ! Sur ce vote, le Congrès romand se divisa en deux partis qui continuèrent leurs séances séparément. Les partisans de l’Alliance se considérant comme les représentants légaux de toute la fédération, transférèrent le siège du Comité fédéral romand à La Chaux-de-Fonds, et fondèrent à Neufchâtel leur organe officiel, la Solidarité rédigé par le citoyen Guillaume. Ce jeune écrivain avait pour mission spéciale de décrier "les ouvriers de fabrique" de Genève, ces "bourgeois odieux", de faire la guerre à l’Égalité, journal de la fédération romande, et de prêcher l’abstention absolue en matière politique. Les articles les plus marquants relatifs à ce dernier sujet eurent pour auteurs, à Marseille, Bastelica et à Lyon les deux grands piliers de l’Alliance, Albert Richard et Gaspard Blanc"[11]. Nous avons donc :
- Une ruse pour obtenir une majorité fictive au Congrès en répétant la manœuvre qui avait permis à Bakounine de peser au Congrès de Bâle ;
- la division de la Fédération Romande entre les partisans de Bakounine et la majorité fidèle aux principes de travail de l’Internationale ;
- un complot pour détruire la Fédération Romande en créant un « organe central » improvisé et totalement soumis à Bakounine à La Chaux-de-Fonds ;
- une attaque contre les camarades fidèles au fonctionnement de l'Internationale en les présentant comme des "bourgeois odieux" et dans laquelle entre en scène le lieutenant de Bakounine, Guillaume. Les deux piliers de l'Alliance à Lyon sont les policiers Richard et Blanc.
Cet épisode et les leçons claires qu'il nous enseigne sont ignorés par l'article de la TCI qui dit en passant, en se référant à la Conférence de Londres (1871) : "Au cours de la conférence, Marx prononce un discours dans lequel il reproche à l'Alliance de ne pas s'être dissoute en 1869, comme on le lui avait demandé, et prétend qu'elle existait comme société secrète au sein de la Première Internationale. Il soutient également que la section jurassienne ne doit pas utiliser le nom de Fédération romande (mais qu'elle peut s'appeler Fédération jurassienne) et il reproche à Guillaume d'avoir publié un appel en violation des statuts de l'Internationale". L'Alliance n'a pas commis d'"erreurs" comme le prétend la TCI, mais des attaques répugnantes contre l'organisation. L'article de la TCI ignore la raison précise de la dénonciation de Marx : "Le 10 août, l’Alliance, peu désireuse de voir ses agissements scrutés par une Conférence, déclarait qu’elle était dissoute depuis le 6 du même mois. Mais le 15 septembre, elle reparait et demande son admission au Conseil, sous le nom de Section des athées socialistes. D’après la résolution administrative n° V du Congrès de Bâle, le Conseil n’aurait pu l’admettre sans consulter le Comité fédéral de Genève, qui était fatigué des deux années de lutte avec les sections sectaires. D’ailleurs, le Conseil avait déjà déclaré aux sociétés ouvrières chrétiennes anglaises (Young mens’ Christian Association) que l’Internationale ne reconnaît pas de sections théologiques".[12] En d'autres termes, l'Alliance avait fait semblant de se dissoudre pour réapparaître sous les traits de la "Section des athées socialistes" ! La conspiration de Bakounine se poursuit et prend pour axe la Fédération Romande où il a (avec l'Espagne et l'Italie) une série d'adeptes. Depuis sa base d'opérations de La Chaux-de-Fonds, l'Alliance de Bakounine n'a de cesse de monter un scandale après l'autre pour désorganiser l'Internationale et paralyser son Conseil général par des exigences constantes. C'est ainsi qu'un délégué de l'Alliance, Robin, insiste avec acharnement pour que le Conseil général convoque une Conférence privée afin de donner enfin l'avantage à la "Fédération jurassienne" (le fief de Bakounine autour de La Chaux-de-Fonds) face à la Fédération romande.
La prolifération des sections sectaires
Comme le Congrès de Bâle avait marqué l'impossibilité de reprendre l'AIT "par le haut", Bakounine fait maintenant de la politique "par le bas" en utilisant ses disciples comme promoteurs de toutes sortes de "sections" au fonctionnement "autonome" et en prônant les alternatives les plus fantaisistes comme remèdes aux maux du monde. Le Conseil général voit dans toute cette agitation deux dangers politiques fondamentaux.
1) La désorganisation de l'AIT
L'AIT est disloquée par une prolifération chaotique de groupements arborant chacun une bannière différente. De plus, ces groupements aux mains de Bakounine et de l'Alliance se sont consacrés dès le début au harcèlement du Conseil général en recourant aux "arguments" les plus absurdes. Par exemple, le prétendu "pangermanisme" du Conseil général. Ainsi, un organe de presse, créé à la hâte par les amis de Bakounine en Suisse, la Révolution sociale, s’efforça "d’allumer, même dans l’Internationale, le feu des haines nationales. D’après lui, le Conseil général était un comité allemand, dirigé par un cerveau bismarkien". L'agitation antiallemande se poursuit par une action honteuse. Une "section émigrée de la Commune" installée à Londres, avec des provocateurs policiers comme Pyat, se consacre au dénigrement des militants ouvriers allemands qui se sont opposés à la guerre franco-prussienne : "La Conférence de Londres avait approuvé la conduite des ouvriers allemands pendant la guerre. […] huit jours après, le 20 novembre 1871, quinze membres de la "section française de 1871" inséraient dans le Qui vive! une "protestation" pleine d’injures contre les ouvriers allemands et dénonçait la résolution de la Conférence comme la preuve irrécusable de "l’idée pangermanique" qui possède le Conseil général. De son côté, toute la presse féodale, libérale et policière de l’Allemagne s’empara avidement de cet incident pour démontrer aux ouvriers allemands le néant de leurs rêves internationaux"[13].Il est important de noter que toutes les calomnies et insidiosités diffusées par les partisans de l'Alliance ont été immédiatement reprises dans les organes de presse bourgeois : "Remarquons en passant que le Times, ce Léviathan de la presse capitaliste, le Progrès (de Lyon), journal de la bourgeoisie libérale, et le Journal de Genève, journal ultra-révolutionnaire, accablèrent la Conférence des mêmes reproches et se servaient presque des mêmes termes que les citoyens Malon et Lefrançais."[14]
2) La résurrection des sectes
Toute l'agitation bakouniniste pour la création de sections sectaires au sein de l'AIT ramenait le mouvement ouvrier à l'époque de ses premiers pas (1800-1848) dominés par les sectes : "La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d’être à une époque où le prolétariat n’est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnant des solutions fantastiques que les ouvriers n’ont qu’à accepter, à propager, à mettre en pratique. Par leur nature même, les sectes formées par ces initiateurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d’ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indifférente ou même hostile à leur propagande. Les ouvriers de Paris et de Lyon ne voulaient pas plus des Saint-Simoniens, des Fouriéristes, des Icariens, que les chartistes et les trade-unionistes anglais ne voulaient des Owenistes. Ces sectes, leviers du mouvement à son origine, lui font obstacle dès qu’il les dépasse; alors elles deviennent réactionnaires; témoin, les sectes en France et en Angleterre, et dernièrement les Lassalliens en Allemagne qui, après avoir entravé pendant des années l’organisation du prolétariat, ont fini par devenir de simples instruments de police. Enfin, c’est là l’enfance du mouvement prolétaire, comme l’astrologie et l’alchimie sont l’enfance de la science. Pour que la fondation de l’Internationale fût possible, il fallait que le prolétariat eût dépassé cette phase". Contre ce retour en arrière, encouragé par Bakounine et sa multiplication des sections sectaires, "l’Internationale est l’organisation réelle et militante de la classe prolétaire dans tous les pays, liés les uns avec les autres, dans leur lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir organisé dans l’État. Aussi les statuts de l’Internationale ne connaissent-ils que des simples sociétés « ouvrières » poursuivant toutes le même but et acceptant toutes le même programme, qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l’élaboration théorique à l’impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique, et à l’échange des idées qui se fait dans les sections, admettant indistinctement toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs Congrès"[15].
Les conclusions du Congrès de La Haye
Nous avons rappelé qui était Bakounine, son parcours et l'action de sabotage et de désorganisation qu'il avait menée au sein de l'AIT. Cette œuvre de destruction minait l'Internationale de l'intérieur. L'Internationale devait organiser sa défense et cette défense consista à :
- dénoncer la conspiration parasitaire de Bakounine et de son Alliance,
- affirmer les principes d'organisation de l'AIT,
- prendre les mesures nécessaires pour la défendre contre l'assaut organisé par Bakounine.
Telle fut l'œuvre du congrès de La Haye de septembre 1872 : l'AIT tout entière s'est unie contre trois années d'intrigues incessantes qui l'ont empêchée de réaliser ses objectifs et l'ont conduite à la paralysie et à la destruction. L'article de la TCI voit les choses d'une manière antagoniste et différente :
1) La TCI estime qu'il y a eu des "divergences politiques" entre Marx et Bakounine : "Marx acceptait que la Première Internationale, en tant qu'organisation, puisse devenir obsolète avec le développement de la lutte des classes, alors que pour Bakounine la Première Internationale était l'embryon de la société future. Bakounine, bien qu'approuvant initialement l'augmentation des pouvoirs du Conseil général, conclut qu'il devrait être réduit à un simple bureau de correspondance et de statistiques entre des sections autonomes. Marx, qui voyait dans le Conseil général un moyen de centraliser l'action vers un but commun, répondait qu'il préférait voter pour la suppression du Conseil général que pour un Conseil général qui ne serait qu'une boîte aux lettres. Telles étaient leurs approches fondamentales différentes, et elles étaient incompatibles. Elles furent bientôt vulgarisées en un conflit entre "centralistes" et "fédéralistes"(distinction qu'Engels rejeta publiquement)". Nous avons déjà montré que ce "débat" était une manœuvre d'instrumentalisation pour détruire l'Internationale. Qu'au sein de l'Internationale il y ait des opinions différentes sur la centralisation, sur la fonction de l'organisation, sur les mesures pour atteindre le communisme, c'était évident. Mais pour cela, l'Internationale avait des statuts qui encourageaient le débat, comme l'a dit Engels, "Marx s'en remettait uniquement au développement intellectuel de la classe ouvrière, qui devait résulter de l'action et de la discussion communes. Les événements et les vicissitudes de la lutte contre le Capital, les défaites plus encore que les succès, ne pouvaient manquer de faire sentir aux combattants l'insuffisance de toutes leurs panacées et les amener à comprendre à fond les conditions véritables de l'émancipation ouvrière."[16] Les intrigues, les changements de position soudains et inexpliqués, les calomnies, les organisations secrètes, toute la pratique depuis 1868 de Bakounine et de ses disciples, n'ont fait qu'empêcher le débat, puisqu'ils exploitaient ces divergences à leurs propres fins inavouables, les mêlant à des tensions personnelles et à des intérêts fallacieux, les envenimant en rendant impossible leur clarification. Ce n'est pas le débat qu'ils recherchaient, mais la désorganisation, la division et l'affrontement au sein de l'AIT.
2) La TCI laisse entendre que Marx et "ses partisans" ont utilisé des méthodes et des alliances sournoises dans leur lutte contre Bakounine : "Pour un certain nombre de raisons, la fin de la procédure a été peu glorieuse. Au moins l'un des membres de la commission chargée d'enquêter sur l'Alliance s'est avéré par la suite être un espion bonapartiste. Et pour renforcer le dossier contre Bakounine, la commission spéciale l'a également accusé de vol et d'intimidation. Bakounine avait reçu l'avance pour la traduction du Capital, mais n'avait pas achevé le projet et n'avait pas rendu l'argent. C'est toutefois Netchaïeff, probablement à l'insu de Bakounine, qui a ensuite menacé l'éditeur de violence". Ainsi, les "partisans de Marx" auraient fait de "vilaines" choses et se seraient laissé emporter par l'antipathie envers Bakounine et auraient porté des accusations injustes contre lui. Il n'en est rien ; c'est l'ensemble du congrès qui a adopté comme point principal de l'ordre du jour l'enquête sur les activités de l'Alliance. Cette décision a été activement soutenue par les Proudhoniens et d'autres tendances anarchistes. Le Congrès de La Haye n'était pas une lutte entre "autoritaires marxistes" et "libertaires bakouninistes", mais une lutte pour la défense de l'organisation. Comme le dit notre article sur le congrès de La Haye : "Le Congrès, sauf la minorité bakouniniste, soutint les conclusions de la commission. En réalité, la commission ne proposa que 3 exclusions : celles de Bakounine, Guillaume et Schwitzguébel. Seules les deux premières furent adoptées par le Congrès. Voilà ce que vaut la légende selon laquelle l'Internationale voulait éliminer une minorité gênante par des moyens disciplinaires ! Contrairement à ce qu'anarchistes et conseillistes proclament, les organisations prolétariennes n'ont pas besoin de telles mesures, elles n'ont pas peur d'une clarification politique totale à travers le débat, mais y sont, au contraire, très attachées. Et elles n'excluent des membres que dans des cas, totalement exceptionnels, d'indiscipline ou de déloyauté graves. Comme l'a dit Johannard à La Haye : "L'exclusion de l'AIT constitue la sentence la pire et la plus déshonorante qui puisse être portée contre un homme ; un tel homme ne pourra plus jamais faire partie d'une société honorable." [17]
L'objectif n'était pas la personne de Bakounine, mais sa politique et surtout la dénonciation de l'organisation secrète qu'il avait mise en place, "une Internationale dans l'Internationale", c'était ses méthodes qu'on voulait dénoncer et éradiquer. L’enjeu du congrès de La Haye n’était pas de savoir si les partisans de Marx ou les partisans de Bakounine gagneraient, mais plutôt d’affirmer les principes organisationnels de l’Internationale. Une organisation communiste ne peut fonctionner sans des principes clairs d’organisation et de militantisme. C’est là le nœud du problème que l’article de la TCI ignore scandaleusement. Avec l'écrasement de la Commune de Paris, l'AIT se retrouve dans une situation très dangereuse : "Jules Favre demandait l’extradition des réfugiés comme criminels de droit commun, à tous les gouvernements, même à celui de l’Angleterre; où Dufaure proposait à l’Assemblée rurale une loi mettant l’Internationale hors la loi et dont Malou plus tard servait aux Belges une contrefaçon hypocrite; où, en Suisse, un réfugié de la Commune était arrêté préventivement, en attendant la décision du gouvernement fédéral sur la demande d’extradition; où la chasse aux Internationaux était la base ostensible d’une alliance entre Beust et Bismarck, dont Victor Emmanuel s’empressa d’adopter la clause dirigée contre l’Internationale; où le gouvernement espagnol, se mettant entièrement à la disposition des bourreaux de Versailles, forçait le bureau fédéral de Madrid à chercher un refuge en Portugal; au moment enfin où l’Internationale avait pour premier devoir de resserrer son organisation et de relever le gant jeté par les gouvernements."[18] L'attaque généralisée des gouvernements européens a été soutenue au sein de l'AIT par la cinquième colonne bakouniniste, "l’appui que la réaction européenne trouve dans les scandales provoqués par cette Société, à un moment où l’Internationale traverse la crise la plus sérieuse, depuis sa fondation, obligerait le Conseil Général à faire l’histoire de toutes ces intrigues".[19] L'Alliance et ses machinations constituaient une menace totale contre l'AIT, l'un des membres de l'Alliance, le lieutenant de Bakounine, Guillaume, allait jusqu'à dire avec impudence que : "Tout membre de l'Internationale a parfaitement le droit d'adhérer à n'importe quelle société secrète, même à la franc-maçonnerie. Toute enquête sur une société secrète équivaudrait simplement à une plainte à la police" [20].
Depuis l’aube du mouvement ouvrier, la bourgeoisie mène une guerre à mort contre les organisations communistes, aussi bien lorsqu’elles sont importantes et ont une grande influence, que lorsqu’elles sont minuscules et n’ont pratiquement aucun impact sur la classe. La Ligue des Communistes, une fois dissoute, ne fut pas oubliée par la bourgeoisie qui organisa le monstrueux procès de Cologne contre ses militants (1852). De même, Marx fut personnellement l'objet d'une campagne de diffamation orchestrée par Herr Vogt, qui l'obligea à faire un an de travail pour les réfuter[21]. L'expérience de l'AIT et celle des 40 dernières années de la Gauche Communiste mettent en lumière un autre moyen de guerre de la bourgeoisie contre les organisations révolutionnaires : utiliser des forces qui ne sont pas directement créées par elle, mais qui, en raison de leur haine aveugle des organisations communistes et de ce qu'elles représentent, agissent admirablement en faveur de la bourgeoisie. C’est le cas des parasites : "Le Congrès de La Haye montra que l'Alliance de Bakounine n'avait pas agi toute seule mais qu'elle était le centre coordinateur d'une opposition parasitaire au mouvement ouvrier soutenue par la bourgeoisie."[22]
Aux États-Unis, l'Alliance a reçu le soutien d'un groupe sinistre, d'orientation spiritualiste, celui de Victoria Woodfull, ainsi décrit par une intervention de Marx au Congrès de La Haye : "Le mandat de West est signé par Victoria Woodhull qui a mené des intrigues pendant des années pour accéder à la présidence des Etats-Unis ; elle est présidente des spiritualistes, prêche l'amour libre, fait des affaires bancaires, etc." Elle publia, comme l'a rappelé Marx, le "célèbre appel aux citoyens de langue anglaise des Etats Unis dans lequel toute une série de non-sens sont attribués à l'AIT et sur la base duquel plusieurs sections furent formées dans le pays. Entre autres choses, l'appel mentionnait la liberté personnelle, la liberté sociale (l'amour libre), la façon de s'habiller, le droit de vote des femmes, un langage universel, etc. (Ces gens) posaient la question des femmes avant celle de la classe ouvrière et refusaient de reconnaître l'AIT comme organisation ouvrière."[23] (intervention de Marx).
Le parasitisme allemand, c'est-à-dire les Lassalliens expulsés de l'Association pour l'éducation des travailleurs allemands à Londres, rejoignirent également ce réseau international du parasitisme, à travers le Conseil fédéraliste universel de Londres susmentionné, auquel ils participèrent ensemble avec d'autres ennemis du mouvement ouvrier tels que les francs-maçons radicaux français et les mazzinistes italiens (...) En Italie, par exemple, la bourgeoisie a lancé la Societa universale dei razionalisti qui, sous la direction de Stefanoni, s'est consacrée à attaquer l'Internationale dans ce pays. Sa presse publia les calomnies de Vogt et des Lassalliens allemands contre Marx et défendit ardemment l'Alliance de Bakounine.
"Le but de ce réseau de pseudo-révolutionnaires était de "calomnier à faire rougir les journaux bourgeois, dont ils sont les infâmes inspirateurs, contre les internationaux", et ils appelaient cela "grouper les ouvriers" (Intervention de Duval)[24].
Les leçons du congrès de La Haye sont fortes :
- L’histoire a montré que chaque fois que le prolétariat fait un pas dans la construction de ses organisations communistes, la bourgeoisie promeut (ou stimule) la formation d’organisations fallacieuses qui tentent de combattre ce pas. Face à la formation de la Première Internationale, les médias bourgeois ont donné naissance à la Ligue pour la paix et la liberté. Compte tenu de son échec, l'initiative de Bakounine d'infiltrer l'AIT a été encouragée par les médias bourgeois. Contre le Congrès de formation de la IIe Internationale en 1889, les possibilistes français - avec le soutien de la bourgeoisie - organisèrent un congrès parallèle ; La constitution de la Troisième Internationale a été combattue par la formation précipitée de la "Deuxième Internationale et demie".
- Bakounine et l'Alliance ont été un moyen de division, de désorganisation et d'affrontement au sein de l'AIT.
- Ils ont servi de centre de regroupement pour toutes les forces qui, prétendant "s’opposer à la société capitaliste", avaient pour objectif principal de détruire l’organisation qui a lutté de la manière la plus cohérente contre le capitalisme : l’AIT.
- La bourgeoisie a utilisé la cinquième colonne, qu’était l’Alliance, à des fins répressives visant à écraser l’AIT. À l’écrasement de la Commune, avec plus de 30,000 morts, s’ajoute la tentative d’écraser l’Internationale prolétarienne.
5) L'AIT s'est défendue en affirmant les principes prolétariens d'organisation et de fonctionnement, en nommant une commission d'enquête pour dénoncer la conspiration de Bakounine et de son alliance.
Ces leçons sont jetées à la poubelle par l'article de la TCI qui conclut : "Après une séance tumultueuse, Bakounine fut expulsé à la majorité et dès lors, les tendances rouge et noire du mouvement ouvrier suivirent leur chemin."
Il n’y a pas eu de scission entre la "tendance rouge" et la "tendance noire" ! Il n'y avait pas de contentieux personnel entre Marx et Bakounine, et les différences politiques ou la conception organisationnelle n'étaient pas non plus la cause de la scission au sein de l'AIT. Le véritable problème était la conspiration parasitaire de Bakounine contre l'Internationale et ce que le Congrès souverain de La Haye a fait en 1872 a été de défendre l'organisation contre ce complot destructeur.
Pourquoi la TCI produit-elle un article sur le congrès de La Haye ?
Nous constatons donc que la TCI n'écrit pas l'article sur le Congrès de La Haye pour récupérer et nourrir la mémoire historique du prolétariat. Si tel avait été son objectif, elle aurait dû s'appuyer sur les documents du Congrès lui-même, qu'elle ne cite à aucun moment. Selon l’article lui-même, l’objectif est le suivant : "À ce moment historique crucial, où chaque jour où le capitalisme continue de survivre est une menace pour l’existence même de l’humanité, nous appelons tous ceux qui se considèrent comme des anarchistes dévoués à la lutte des classes à reconsidérer comment les choses ont changé sur ce long chemin vers l’auto-émancipation de la classe ouvrière il y a 150 ans".
Il existe ici un piège, l’anarchisme est un marécage où cohabitent de nombreuses tendances politiques. La majorité est clairement bourgeoise, ils soutiennent la guerre en Ukraine et défendent des positions telles que la libération nationale du peuple kurde du Rojava. Seule une minorité défend des positions clairement situées dans le camp du prolétariat. L’article ne s’adresse pas à cette minorité, mais avec un opportunisme évident, il s’adresse aux "anarchistes en général" et pour les satisfaire, il blanchit Bakounine, cache sa conspiration anti-organisationnelle, dénigre Marx et cache les leçons que l’AIT a tirées.
Il y a deux manifestations claires d’opportunisme dans ce comportement. La première est de prôner une "discussion" avec l’anarchisme, en cachant le fait que la majorité de ce milieu est clairement constitué par des organisations bourgeoises. Le deuxième, encore plus grave, est le blanchiment de personnages comme Bakounine et ses méthodes qui, comme l’a clairement démontré l’AIT, sont incompatibles avec les organisations communistes.
Bien sûr, ce devrait être à la TCI elle-même d'expliquer les raisons de son article ; cependant, une autre raison non dissimulée qui découle de sa collaboration actuelle à travers les comités NWBCW avec les parasites et, pire encore, les mouchards et para-policiers du GIGC. Il est évident qu’en plus de flirter sans vergogne avec l’anarchisme, l’article sur Bakounine sert également à blanchir le comportement du GIGC, en lui accordant une "légitimité", ce qui est tout simplement scandaleux.
Falsifier les leçons authentiques du Congrès de La Haye, blanchir Bakounine, donner une légitimité aux mouchards parasites du GIGC, flirter avec l'anarchisme... Jusqu'où ira la TCI dans son opportunisme ?
C. Mir (24 août 2023)
[1]Tendance Communiste Internationaliste
[2] Il est très choquant de voir comment l'article (“Meanwhile in London, the Polish uprising and the American Civil War served as the impetus for the founding of the First International in 1864”). considère les racines de l'AIT. En effet, il est incroyable qu'une organisation qui se réclame de la Gauche communiste voit les origines de l'AIT non pas comme une expression du mouvement ouvrier, mais comme le résultat de la révolte en Pologne ou de la guerre civile américaine ! Cela diffère radicalement de l’appréciation de Marx et Engels sur l’origine de l’AIT.
[3] Les prétendues scissions de l'Internationale . Association Internationale des Travailleurs. (Marxists.org). Sans indication contraire, les citations proviennent de ce document.
[4] Lire à ce propos Questions d'organisation, IV - La lutte du marxisme contre l'aventurisme politique- Revue internationale 88.
[5] Sur Lassalle, voir Lassalle et Schweitzer : La lutte contre les aventuriers politiques dans le mouvement ouvrier- Revue internationale, 2021, Numéro spécial.
[6] Les prétendues scissions de l'Internationale.
[7] Les prétendues scissions de l'Internationale.
[8] Voir Attaquer le CCI : la raison d'être du GIGC et Un comité menant les participants dans une impasse -Courant communiste international (internationalism.org).
[9] Les prétendues scissions de l'Internationale
[17] Questions d'organisation, III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique
[20] La vie de Karl marx, p. 409. B. Nicolaïevski, Edition Gallimard, 1970
[21] Lire en espagnol El caso Vogt: el combate de los revolucionarios contra la calumnia (I) et El caso Vogt: el combate de los revolucionarios contra la calumnia (II)
[22] Questions d'organisation, III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique, Revue Internationale 87, 1996
[23] Questions d'organisation, III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique, Revue Internationale 87, 1996
[24] Questions d'organisation, III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique, Revue Internationale 87, 1996