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Le Parti Communiste Internationaliste (trotskiste) vient de finir son 3ème Congrès auquel nous avons pu assister en partie, certaines séances ayant été publiques et ouvertes aux représentants de la presse[1].
Nous n'insisterons pas sur l'aspect extérieur des débats. Les trotskistes nous ont invités à plusieurs reprises à admirer la démocratie de leur congrès et cette démocratie était en effet irréprochable. Mais quelle que soit l'importance de la démocratie interne dans une organisation ouvrière, en définitive ce n'est pas cela qui détermine son caractère prolétarien ou non. Ce qui est essentiel c'est l'idéologie et le programme. Or sur ce point le présent congrès apporte peu de nouveau malgré le renversement de majorité qui s'y est produit. On peut résumer ce congrès en cinq mots : le trotskisme reste le trotskisme.
TABLEAU DES TENDANCES
Cinq tendances se présentaient dans ce Congrès. On peut les examiner ainsi, en allant de ce qui est traditionnellement nommé la "droite" à ce qui est traditionnellement nommé la "gauche" (et en faisant les plus expresses réserves sur l'emploi de ces termes dans le cas présent ; nous y reviendrons) :
- l'ancienne minorité du Comité Central,
- a tendance Marcoux,
- l'ancienne majorité du CC,
- la tendance Montal,
- la tendance Guérin[2].
Les trois premières tendances étaient sur les positions traditionnelles de "la défense de l'URSS", les deux autres "antidéfensistes". La lutte principale se portait entre les deux tendances numériquement les plus fortes (de beaucoup) : la "majorité" et la "minorité". Cette lutte se terminait, après deux jours de débats sur "la politique générale", par la victoire (par 52 voix contre 46) de l'ancienne minorité sur un bloc hétéroclite composé de l'ancienne majorité, de la tendance Marcoux et de la tendance Montal. La tendance Guérin, qui avait refusé de faire bloc avec l'une ou l'autre des tendances défensistes, recevait 4 voix…
Examinons maintenant de plus près les positions politiques des différentes tendances et le sens de leur opposition.
La "politique générale"
Pour comprendre le sens d'un débat entre trotskistes, il faut avoir présent à l'esprit qu'aucun principe du trotskisme n'y est mis en cause (à l'exception de "la défense de l'URSS"). Les 4 premiers Congrès de l'IC sont considérés comme intangibles par toutes les tendances. Sur la question syndicale, la participation aux élections parlementaires, la question coloniale, le front unique, etc., aucune opposition de principe entre les diverses tendances. Aucune opposition non plus sur l'idée issue de "La maladie infantile du Communisme" de Lénine et qui peut être le centre et la clef de toute la politique trotskiste : l'idée que le rôle du parti révolutionnaire consiste essentiellement à "faire faire leur expérience aux MASSES" en lançant des "mots d'ordre transitoires". Aucune opposition non plus sur plusieurs de ces "mots d'ordre transitoires" confusionnistes et réactionnaires : échelle mobile des salaires, contrôle ouvrier, nationalisations[3]. Aucune opposition non plus sur cette idée essentielle que le rôle des révolutionnaires consiste, en tout temps, à rassembler "les masses autour d'un programme dont les principes n'ont pas à être discutés puisque le «bolchévisme-léninisme» apporte une réponse définitive à tous les problèmes théoriques fondamentaux." Unanimité également pour le principe des mots d'ordre démocratiques et pour "la lutte contre le fascisme".
Cette unanimité dans l'erreur est bien touchante et elle explique bien des choses. Elle explique en particulier ce caractère des discussions et des disputes trotskistes d'être bien éloigné de cette pauvre réalité qui a le tort de ne pas être "bolchévik-léniniste"…
En effet, sur la base de l'idéologie trotskiste telle que nous venons de la définir dans ses traits fondamentaux, il n'est pas possible de comprendre la situation actuelle ni d'ailleurs aucune situation. Ainsi, à travers les lunettes trotskistes, les luttes impérialistes en Grèce deviennent "la lutte du prolétariat grec", en Indochine elles deviennent "la révolution indochinoise" (unanimité de toutes les tendances sur ces deux points) ; etc.
Sur la question des perspectives, deux positions étaient représentées au Congrès. L'ancienne majorité soutenait que nous nous trouvons dans une période de crise révolutionnaire montante où la moindre lutte revendicative pose "des problèmes politiques" ; "ça explose de partout !" disait un délégué (lui qui, pourtant, ne paraissait pas particulièrement explosif). Cette position était partagée par les deux tendances qui se sont détachées de l'ancienne majorité, les tendances Marcoux et Montal.
En face nous trouvons la position de l'ancienne majorité partagée partiellement par la tendance Guérin : devant les échecs répétés des prévisions de la majorité (chute de Staline, révolution inévitable en Allemagne, etc.), ces militants voient la nécessité d'une attitude moins naïvement "optimiste". Mais de là ils déduisent une perspective de… stabilisation économique du capitalisme ouvrant une longue période de luttes revendicatives !
Personne – sauf quelques mots isolés de camarades de la tendance Guérin – n'a avancé la seule appréciation juste de la situation : cours vers la 3ème guerre mondiale. Personne n'a même parlé de la perspective de guerre, même pas pour dire que celle-ci ne menace pas… Et finalement l'unanimité s'est faite pour saluer la grève des postiers comme une manifestation éclatante du réveil du prolétariat[4] !
Il est d'ailleurs significatif que le Congrès n'ait prévu aucune discussion spéciale sur la situation économique et politique internationale (la tendance Guérin était la seule à le regretter). C'est que, pour les trotskistes, la "politique générale" c'est essentiellement la discussion de la "tactique" à adopter en face de la situation concrète du pays même.
Passons donc à ces questions "tactiques". Nous entrons là dans les (…) mêmes du trotskisme, pleines de mystères pour le profane qui n'est pas au courant des subtilités du "bolchévisme-léninisme". En effet, sur la base de l'idéologie "bolchévik-léniniste", les principes étant hors de discussion, les seules questions qui se posent sont la recherche de la meilleure façon de les appliquer. Quelle est la meilleure façon de "faire faire leur expérience aux masses" ? Voilà le thème essentiel des discussions trotskistes.
Et comme les principes sont faux, comme en particulier il n'est pas possible pour un parti – je ne dis pas un parti révolutionnaire ; mais même pour un parti trotskiste – d'acquérir une importance suffisante dans la période actuelle pour influencer les "masses" en quoi que ce soit, cela aboutit à des résultats quelques fois amusants.
C'est ainsi que nous voyons les membres du PCI – "parti" dont nous n'avons pas à donner une évaluation numérique mais dont chacun sait qu'il compte strictement pour zéro à côté des grands partis qui font la politique française – nous voyons les membres de cette organisation, dis-je, discuter gravement de savoir s'ils doivent ou non pousser le PCF au pouvoir (!) ou s'ils devaient voter OUI, NON ou s'abstenir au dernier référendum… L'ancienne majorité était pour le boycott, la minorité pour le vote OUI ; la décision de voter OUI avait été obtenue par le fait que la tendance Marcoux s'était détachée de la majorité sur cette question et avait bloqué avec la minorité, mais tout en justifiant leur position par des arguments "théoriques" tout à fait différents de ceux de la minorité, arguments impossibles à résumer et d'ailleurs sans intérêts.
Si nous ajoutons que certaines tendances ne sont guère autre chose que des cliques qui cherchent surtout à obtenir des places au CC et pour lesquelles les divergences "politiques" et "théoriques" sont surtout un moyen de justifier leur existence, on comprendra que les discussions deviennent tout à fait inextricables. C'est ainsi qu'il existe régulièrement dans les organisations trotskistes une question sur laquelle s'engage un débat interminable et de plus en plus confus jusqu'au jour où une autre question surgit pour "délimiter les tendances" et où tout l'ancien débat tombe dans l'oubli.
Il y a 3 ans la question était le "bonapartisme", il y a 2 ans la "barbarie". Au Congrès présent la plus grande partie du débat de "politique générale" a été occupé, en plus des discussions sur les perspectives et sur le référendum, par la question du mot-d'ordre de "gouvernement PC-PS-CGT" : "PC-PS-CGT" ou "PC-PS soutenu par la CGT" ; "gouvernement PC-PS-CGT" ou "gouvernement ouvrier et paysan", les deux étant différents ou identiques, etc. Nous renonçons à résumer ce débat auquel, de l'aveu de plusieurs délégués, les trotskistes eux-mêmes ne comprennent plus rien[5]. Signalons simplement que la tendance Guérin est la seule à rejeter toutes les variantes de ce mot-d'ordre. Et encore elle pourrait peut-être l'admettre s'il s'agissait de pousser au pouvoir (!) le Labour Party par exemple et non les staliniens qui sont prêts à massacrer l'avant-garde révolutionnaire.
Finalement quel est le sens de l'opposition des deux principales tendances ? L'ancienne majorité traitait l'ancienne minorité de "tendance opportuniste", cependant que la minorité s'opposait au "sectarisme de la majorité". Ce sont là des mots traditionnels. Quelle réalité se trouve derrière ces mots ?
Dans la question de l'attitude à prendre envers le stalinisme, des représentants de la minorité déclaraient à plusieurs reprises : "Notre ennemi est la bourgeoisie et non le stalinisme ; le stalinisme n'est qu'un obstacle entre nous et le prolétariat.
À quoi la "majorité répondait : "La lutte contre la bourgeoisie passe par la lutte contre le stalinisme."
Si l'on y réfléchit d'une façon rationnelle, on ne voit pas de contradiction entre ces deux thèses. Mais alors où est l'opposition?
Elle apparaîtra plus clairement si, anticipant un peu, nous envisageons les positions de ces deux tendances sur la question russe. Sur ce plan, aucune divergence essentielle ne sépare l'ancienne minorité de l'ancienne majorité (ni de la tendance Marcoux).
Les uns et les autres étaient également partisans de "la défense de l'URSS", de la défense de l'État russe, y compris dans la guerre, surtout dans la guerre. Ainsi, c'est la "majorité" qui a écrit la lettre publiée dans "La Vérité" proposant l'unité d'action au CC du PCF (!) pour la défense de la pauvre Russie menacée par le grand méchant loup anglo-américain en Iran et ailleurs.
Mais, tandis que la "majorité" s'en tient strictement aux anciennes justifications subtiles de "la défense de l'URSS", le rapporteur de la "minorité" déclarait en substance : "Il faut en finir avec le bavardage sur le «…bastion de la révolution…» ; il faut reconnaître que nous défendons la Russie telle qu'elle est, uniquement son économie est collectivisée et planifiée, et en ayant conscience de tous ses côtés réactionnaires."
Et telle est, en définitive, le véritable sens de l'opposition entre "minorité" et "majorité" : une opposition qui ne porte pas sur les principes politiques (qui sont les mêmes de part et d'autre) mais sur la phraséologie qui justifie ces principes. La "majorité" essaie de conserver d'anciens bavardages "théoriques" cent fois démentis par les faits ; la "minorité" sent la nécessité de se débarrasser de ce fardeau et c'est pourquoi elle est capable dans une certaine mesure – dans la mesure où les principes trotskistes le permettent – d'avoir une vue plus lucide des événements et une politique plus cohérente. Les positions de la "minorité" représentent une adaptation de la "théorie" trotskiste aux réalités de l'heure présente. C'est pourquoi cette tendance est en progression, arrivant à conquérir la majorité de l'organisation trotskiste française après qu'une tendance analogue ait déjà conquis la majorité de l'organisation trotskiste anglaise, tandis que l'ancienne majorité se disloque en de multiples tendances et sous-tendances.
Cela nous permet de comprendre la vanité qu'il y aurait à opposer ces tendances comme "droite" et "gauche". La "théorie" trotskiste traditionnelle se prétend révolutionnaire ; mais cette "théorie" est en contradiction avec les faits et avec la pratique trotskiste de toutes les tendances.
Sur la base de "la défense de l'URSS" et du "bolchévisme-léninisme" il n'est pas possible de mener une politique révolutionnaire.
Maintenant que cette contradiction devient trop criante, dans la mesure où une tendance voit la nécessité de mettre sa "théorie" un peu mieux en accord avec sa pratique, elle est amenée à rejeter certaines phrases "révolutionnaires" et à apparaître à "droite". Seulement ce qui compte ce ne sont pas les phrases justificatives, ce sont les positions effectives prises en face des événements, et sur ce plan nous ne constatons pas une opposition entre une "droite" et une "gauche" mais une identité profonde entre les deux tendances[6].
A plusieurs reprises les délégués de la "majorité" ont reproché à la politique de la minorité de n'être que du "stalinisme de gauche". C'est juste ! Mais c'est vrai pour le trotskisme tout entier.
En définitive, ce renversement de majorité n'aura que des conséquences minimes sur la politique effective du PCI (et de la 4ème Internationale) : le trotskisme reste le trotskisme.
La "question de l'URSS"
La dernière journée des séances publiques était occupée par la discussion sur la "question de L'URSS", question soulevée par les deux tendances "anti-défensistes", les tendances Montal et Guérin.
Si le débat sur "la politique générale" nous avait fait assister à la lutte acharnée de la "majorité" et de "la minorité", cette dernière journée nous montrait surtout la lutte commune des trois tendances "défensistes" contre les deux tendances "anti-défensistes". Mais la lutte n'était plus acharnée, le cœur n'y était plus, la grande lutte – celle qui décidait des places au CC – était terminée. Et finalement le Congrès, dans une motion votée à l'unanimité, décidait… de ne rien décider. La question de l'URSS, disait en substance la motion d'unanimité, est une question nouvelle non encore discutée, on verra plus tard ; jusque-là le parti continuera à défendre la Russie.
Cela a quelque chose d'amusant. Depuis 30 ans qu'il existe un trotskisme, "la question de l'URSS" – de la caractérisation sociale de l'URSS, de la défense de la Russie… - revient périodiquement sur le tapis. Ainsi, le nouveau secrétaire du PCI, Craipeau, a été dans sa jeunesse le représentant d'une tendance "anti-défensiste" contre laquelle Trotsky a polémiqué durement.
Plus près de nous, en 1944, deux groupes de militants se sont détachés du PCI sur la base du défaitisme révolutionnaire en Russie (l'auteur de ces lignes faisait partie d'un de ces groupes) pour constituer, avec les RKD, l'Organisation Communiste Révolutionnaire. Depuis lors, le camarade Magneux[7], qui avait refusé de nous suivre dans la scission, n'a pas cessé de soutenir les positions "anti-défensistes" dans le PCI. Question non encore discutée ? !
Tel est le cadre dans lequel se déroule cette discussion, cadre qu'il faut avoir présent pour apprécier à leur juste valeur les tendances "anti-défensistes" et leurs perspectives d'avenir.
Sur le fond, beaucoup de bonnes choses ont été dites par les représentants des tendances Montal et Guérin. Il ne nous est pas possible de les résumer ni de faire une critique détaillée des points faibles de leurs argumentations.
Signalons toutefois un argument caractéristique qu'un délégué "défensiste" opposait à la tendance Guérin : "Si vous pensez, disait-il en substance, que l'URSS n'est plus un État ouvrier parce que l'État opprime le prolétariat, alors il vous faudra également conclure qu'il n'y avait pas d'État ouvrier en 1921 quand l'État massacrait les marins de Cronstadt." Eh oui, camarade Guérin ! C'est là qu'il te faudra en venir si tu as le mauvais goût de continuer à réfléchir ! D'une façon générale, le défaut fondamental des positions trotskistes "anti-défensistes" sur la Russie c'est de penser que "la question de l'URSS" ne se pose objectivement que d'une manière récente, par suite d'une évolution récente de la Russie, c'est de croire qu'il est possible d'y donner une réponse complète sur la base de la théorie léniniste (et marxiste) de "l'État ouvrier".
D'une façon plus générale encore, le défaut des deux tendances Montal et Guérin est de rester trotskiste dans toutes les questions autres que la question russe. Nous avons déjà souligné leur accord avec les autres tendances sur les bases du "bolchévisme-léninisme". Rappelons encore que la tendance Montal (la tendance Guérin a été plus digne) n'a pas craint de mêler ses voix avec celles des auteurs de la lettre au CC du PCF (proposant l'unité d'action pour la défense de la Russie) afin de "faire échec à la minorité", suivant ainsi la pratique trotskiste qui conduit à voter pour le PCF afin de faire échec au MRP, etc.
Nous savons bien qu'il est difficile de se débarrasser des traditions "bolchévistes-léninistes", que cela n'est possible qu'après – souvent longtemps après – la rupture organisationnelle avec les organisations trotskistes (l'exemple personnel de l'auteur de cet article est là pour en témoigner). Malheureusement, on ne peut rompre avec une organisation que si l'on sent la nécessité de cette rupture et les camarades des deux tendances "anti-défensistes" ne sentent visiblement pas cette nécessité.
Ces camarades - qui rompraient immédiatement avec une organisation ayant à son programme la défense de l'impérialisme français par exemple, qui par ailleurs jugent l'État "soviétique" comme un État impérialiste, aussi anti-prolétarien que tout autre – ne sentent pourtant aucune contradiction à rester dans une organisation qui défend l'impérialisme russe ! Sous prétexte que la question n'est pas discutée (!), ils acceptent de se plier à la discipline de la 4ème Internationale et de participer à la propagande trotskiste en faveur de la Russie.
Dans ces conditions, une alternative se présente à ces camarades : ou bien ils finiront par comprendre la vanité de leurs discussions à l'intérieur du PCI, ils rompront individuellement ou en groupes, ils constitueront un groupe autonome ou se rallieront aux groupes "ultra-gauches" déjà existant et alors ils pourront avoir une chance de progresser dans la compréhension de l'idéologie révolutionnaire et d'apporter quelque chose au prolétariat ; ou bien ils resteront dans le PCI et ils participeront par discipline à la préparation de la prochaine guerre impérialiste, ayant droit en compensation à soulager leur cœur dans le Bulletin intérieur et dans les congrès, si même ils ne suivent pas le chemin de Craipeau.
Il est vrai que le camarade Guérin a de grands espoirs : il espère un mouvement de la 4ème Internationale sur la question russe. Il compte sur l'appui des sections grecque, indienne, du groupe espagnol de Mexico, etc., et d'organisations actuellement extérieures à la 4ème Internationale comme le Workers Party de Schachtman.
Un tel espoir est vain. Il y a une place dans la société pour le trotskisme "défensiste". Aucune opposition ne pouvant exister légalement en Russie ni dans les PC, il est inévitable qu'une opposition modérée au stalinisme s'exprime dans une organisation extérieure aux PC. Il n'y a pas de raison pour qu'une opposition modérée, qui est actuellement représentée par la 4ème Internationale, disparaisse tant qu'il existera un stalinisme.
Ce qui est par contre possible c'est que, parallèlement à l'accentuation du contraste Russie-USA, il se produise une accentuation de l'opposition entre les tendances stalinisantes et anti-staliniennes dans le mouvement trotskiste. Il n'est pas exclu que ce processus aboutisse à une scission internationale du trotskisme. Mais les partis trotskistes "anti-défensistes" qui surgiraient n'auraient rien de plus prolétarien que les autres. Dans la guerre qui vient, ils se trouveraient simplement du côté des USA tandis que le trotskisme officiel se trouverait du côté de la Russie. L'idéologie trotskiste peut fournir un arsenal suffisant pour justifier un tel revirement, à travers "la lutte contre le fascisme", "la défense des minorités nationales opprimées", etc. Le Workers Party de Schachtman apparaît déjà comme une préfiguration de cet avenir sombre qui attend les "anti-défensistes" qui ne sauraient pas rompre avec le trotskisme.
L'orientation actuelle du cours des événements vers la 3ème guerre mondiale exclut la possibilité qu'une scission à large échelle du trotskisme soit déterminée par autre chose qu'une prise de position dans la guerre elle-même et pour la guerre. J'ajouterai même que la différence dans l'évolution des tendances trotskistes "anti-défensistes" en 1944 et en 1946 paraît être un résultat de la différence des situations.
Signalons pour terminer que le camarade Guérin, dans son rapport, a proposé d'envisager des pourparlers d'unification avec le PCI d'Italie (bordiguiste). "Les bordiguistes italiens, a-t-il dit en substance, forment une forte organisation et, par suite, ils ont été obligés de faire des progrès ; c'est ainsi qu'ils ont participé aux élections, critiqués en cela par les groupuscules bordiguistes français." Cette appréciation est tout à fait analogue à celle que nous donnions dans "Internationalisme" N° 12, à savoir qu'une "orientation vers les masses" dans la situation actuelle ne peut mener qu'à des fautes opportunistes. Seulement le camarade Guérin appelle "progrès" ce que nous appelons régression. Nous ignorons si les représentants de la Fraction Française "officielle" de la Gauche Communiste, qui se trouvaient dans le public, se sont sentis flattés ou gênés de cet éloge adressé à leur organisation-soeur (ou mère).
Pour le moment d'ailleurs, cette entrée du PCI d'Italie dans la 4ème Internationale, aussi bien que la scission internationale du trotskisme, reste dans le cadre des rêveries concernant l'avenir. Si nous revenons sur le terrain concret des résultats du 3ème Congrès du PCI français, nous pouvons conclure notre analyse du débat sur la question russe par une phrase que nous avons déjà écrite : le trotskisme reste le trotskisme.
BERGERON
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Note sur l'article du camarade Bergeron
Dans l'article ci-dessus sur le Congrès du PCI trotskiste, le camarade Bergeron a tenu à formuler, en plus des positions qui nous sont communes (sur l'appréciation du trotskisme et sa critique), quelques idées qui lui sont personnelles. Ces idées concernent surtout l'appréciation portée par Bergeron sur les premières années de la Révolution russe. Ne pouvant faire la critique détaillée de cette appréciation dans le présent numéro (voir pour cela la collection d'Internationalisme) et pour éviter tout malentendu, nous avons estimé nécessaire de la spécifier.
La Rédaction.
[1] Signalons en passant l'illogisme des trotskistes qui invitent les représentants de la presse à leur congrès mais qui tiennent cachés dans des bulletins strictement intérieurs les textes discutés dans ce congrès.
[2] Ne pas confondre avec Daniel Guérin.
[3] La tendance Guérin a seulement déclaré que ce mot-d'ordre devait être employé "avec doigté" (sic!).
[4] Voir notre appréciation sur ce point dans Internationalisme N° 12.
[5] "La Vérité", dans son compte-rendu, parle "de nombreuses positions extrêmement nuancées". Qu'en termes galants…
[6] Au référendum, la "minorité" était pour le vote OUI et la "majorité" pour le boycott. Mais à l'égard du parti du peuple algérien, la "minorité" reprochait à la "majorité" de ne pas se délimiter suffisamment d'un parti nationaliste français bourgeois. Où est la droite ? Où est la gauche ?
[7] Aujourd'hui représentant de la tendance Guérin dans le nouveau CC.