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Devant une situation indécise et chaotique résultant de la défaite de la première vague révolutionnaire de 1917, en Europe particulièrement, le Comité exécutif élargi de l'IC, après le 3ème congrès, s'est réuni pour examiner cette situation et en tirer la tactique appropriée.
Les masses sont fatiguées ; elles subissent l'assaut du capitalisme doublement, par la répression et le chômage qui donne à l'ennemi de classe une armée industrielle de réserve allant toujours croissant et permettant de plus en plus une réduction du niveau de vie.
La classe ouvrière n'est pas encore rassemblée autour de l'IC comme le prouvent les expériences d'Italie et d'Allemagne ; pourtant elle manifeste un désir d'unité et dessine une volonté à rassembler ses forces pour un nouvel assaut.
Quelles sont les organisations qui polarisent les masses opprimées ? Dans le camp du prolétariat, l'IC ; dans le camp de la bourgeoisie, la 2ème internationale. Il y a donc une partie de la classe ouvrière qui continue à s'illusionner sur le caractère prolétarien des PS. C'est cette masse travailleuse qu'il faut arracher à l'influence des social-patriotes. Voilà la tâche de cette conférence.
La tactique ne sera pas conséquente des idées maîtresses de la Révolution d'Octobre. Elle pose comme point premier la question de l'unité prolétarienne ; il faut satisfaire ce désir de la classe ouvrière. Comment ? En le groupant le plus possible sur un programme minimum dans des actions quotidiennes, en démasquant les PS. C'est sur cette opération de démasquage que l'IC fait la fausse manœuvre.
Au lieu de démasquer le caractère contre-révolutionnaire des PS par la concrétisation du programme minimum dans la lutte de tous les jours, l'IC invite les sections nationales à proposer des actions communes aux PS même en dehors du programme minimum. Ainsi, disent-ils, si les partis traîtres refusent l'action commune, c'est eux qui paraîtront aux yeux du prolétariat comme les scissionnistes de la classe ouvrière ; et s'ils acceptent, de par leur nature et fonction contre-révolutionnaires ils se démasqueront pleinement au cours de la lutte.
La Conférence résumait justement, dans cette nouvelle tactique, une transformation de la nature du parti et de l'Internationale puisqu'elle pose comme condition d'adhésion au parti le programme minimum, tendant ainsi à considérer que l'unité prolétarienne autour de l'IC est fonction de l'élargissement à la classe entière du parti (parti de masse) avant la révolution et malgré le capitalisme au pouvoir.
Octobre 1917 avait prouvé que, même après la révolution, le parti avait à disputer l'influence, dans la classe ouvrière, à la bourgeoisie. Cette nouvelle tactique déformait la signification et l'enseignement de la Révolution russe et se donnait non pas la révolution comme but immédiat posé par la situation mais l'intégration des masses ouvrières dans le parti.
Pour ce qui est du démasquage des PS, le premier mouvement de méfiance de l'Internationale jaune n'a pas donné les résultats qu'on escomptait. Bien au contraire elle a permis de réduire le programme minimum d'action commune à sa forme la plus désossée et d'introduire des mesures réformistes qui achevaient de neutraliser les derniers éléments proprement révolutionnaires qui restaient dans le programme.
Une fois ce premier travail achevé, même dans l'action commune, les PS n'ont pas été démasqués car l'unité artificielle, réalisée en dehors des critères proprement de classe, a donné à des partis traîtres une auréole révolutionnaire qui leur a permis de freiner en sous-main l'action indépendante du parti.
Et quand les PC protestaient, les partis traîtres pouvaient impunément dire à la classe ouvrière que l'unité était en danger par la faute des communistes.
C'était un cercle vicieux dans lequel l'IC s'était introduite. L'unité de la classe ne réside pas dans le rassemblement de la classe indépendamment du programme révolutionnaire et uniquement sur des actions communes sans rattachement direct au but final.
Voir dans un front unique avec les organisations traîtres, les PS, la possibilité d'unité prolétarienne, c'est tomber dans cette erreur ; et pour détacher les masses restées attachées aux PS, il était faux de poser le démasquage sur le respect ou non du front unique par les PS et non sur la clarification de la conscience de classe au travers des luttes qui auraient pu unir tous les ouvriers par-dessus les PS.
C'est parce que le programme minimum était révolutionnaire qu'il fallait à tout prix le maintenir en dehors du front unique. La révolution allemande de 1923 a prouvé que les masses avaient atteint le niveau du programme minimum et voulaient le dépasser pendant que le parti avait encore sa lutte sur la mixture programmatique du front unique. Il y avait un décalage entre les masses et le parti mais cette fois-ci le parti était en arrière des masses.
Même quand la révolution allemande de 1923 éclata, le parti, dirigé sur la nouvelle nature du parti découlant du front unique, ne put saisir le caractère de révolution des mouvements de l'époque, n'ayant pas encore assemblé dans son sein la presque totalité de la classe ouvrière.
Ainsi le résultat de la révolution pour ce qui avait trait au parti devenait la condition nécessaire pour la révolution. Le parti de masse n'avait pas rassemblé tout le prolétariat ; et par l'introduction dans son sein d'éléments groupés uniquement sur le programme minimum, nous assistons à une diminution de la puissance combattive du parti et au développement de l'opportunisme et de la confusion dans le parti.
Le 4ème congrès de l'IC accentua cette nouvelle tactique. Le 5ème congrès, devant les résultats désastreux du front unique aurait dû remettre en question cette tactique. Zinoviev se contente de rejeter la faute des échecs de la classe ouvrière non sur la tactique mais sur la mauvaise application de la tactique due aux thèses du 3ème congrès écrites par Radek. Il attaqua violemment Radek pour proposer ensuite que le front unique soit pratiqué non seulement à la tête mais aussi à la base.
Les PC italien, français et espagnol s'étaient déjà opposés à une telle tactique à la conférence du Comité Exécutif élargi.
Au 5ème congrès, Bordiga et Rossi critiquèrent de nouveau cette position, déclarant entre autres que les militants révolutionnaires et même les ouvriers acquis au PC ne comprenaient pas cette politique qui obscurcissait leur conscience et les rendait méfiants. Ils ne considéraient qu'un seul front unique possible : à la base, sur le lieu du travail, par-dessus la direction des PS traîtres.
La différence entre le 4ème et le 5ème congrès de l'IC réside uniquement dans le fait qu'au 4ème le front unique n'était pratiqué que par la tête, et au 5ème on devait le proposer aussi à la base.
La révolution chinoise devait, hélas, continuer à démentir cette tactique. Le front unique par la base permit de concrétiser révolutionnairement les révoltes sourdes des ouvriers et des paysans qui se regroupèrent autour du PC. Le front unique par la tête permit à Tchang Kaï-Chek de contrôler l'activité du PC, de pratiquer un freinage de l'action révolutionnaire des ouvriers et paysans à l'aide de la petite-bourgeoisie, par la création de l'unité de la résistance au régime impérial pourrissant.
Ainsi un nouvel impact du front unique se concrétisera pleinement : la bourgeoisie pouvait s'immiscer dans les leviers de commande du parti et contrôler son action.
Des centaines de milles de chinois assassinés ont payé cette erreur de tactique de l'IC.
Cette tactique, la GCI l'a combattue à l'intérieur de l'IC et dans l'opposition dès 1927. L'expérience de l'accord anglo-russe est venue encore une fois confirmer que les masses avaient dépassé le programme minimum du parti pendant que le parti demeurait sur un programme encore plus minimum et réformiste en raison de son front unique avec les trade-unions.
C'est cette forme de front unique défini par les 5ème et 4ème congrès de l'IC que la GCI condamne et pose comme question de principe le rejet, pour le parti, d'une telle tactique.
Nous traiterons dans un prochain article de la question du front unique syndical et du front unique à la base.
Sadi