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Un grand progrès de centralisation du prolétariat et de sa lutte fut accompli lors de la transformation des organisations syndicales de corporations en syndicats d'industrie. Avant 1914, le mode de recrutement et d'organisation fut le métier, la profession. Cela correspondait assez à la petite production où les fabriques et ateliers ne faisaient qu'une espèce de production spécialisée. L'organisation syndicale groupait alors effectivement tous les ouvriers de l'atelier et pouvait se préparer et calculer ses chances de lutte en tenant compte de la particularité de la profession, de ses conjonctures saisonnières, des conditions propres à la profession. Ce fut l’âge d'or des chambres syndicales. Des corporations comme celle des chapeliers, des casquettiers ou des tailleurs pouvaient mener victorieusement une lutte acharnée et des grèves en pleine saison, durant des semaines. Bien connus sont les actes d'éclat du syndicat des électriciens de Paris, plongeant dans l'obscurité les grandes salles de théâtre en plein spectacle de gala.
Le développement de la grande industrie et des grandes usines à l'intérieur desquelles s'accomplit le travail de plusieurs métiers rendait cette structure élémentaire de l'organisation surannée et nuisible. L'existence dans la même usine de plusieurs syndicats professionnels luttant séparément divisait les ouvriers face à un même patronat. L'organisation par profession avait vécu.
Par ailleurs, le capitalisme opérait une concentration de ses forces. Les syndicats et les trusts d'industrie dirigeaient l'exploitation des ouvriers à l'échelle nationale. Face aux ouvriers d'une usine ne se dressait plus un patron isolé mais un consortium national. La grève dans une usine ou dans les usines d'une ville ne mettait plus le patronat dans des difficultés à exécuter ses commandes. Les usines d'une région subvenaient aux nécessités de la production que les autres usines n'étaient pas à même de satisfaire. A ces nouvelles conditions devait correspondre une nouvelle forme de l'organisation syndicale, centralisant et liant étroitement la lutte des ouvriers d'une même industrie sur l'échelle nationale. Ce fut la structure verticale de fédération d'industrie.
La crise permanente du capitalisme a modifié la vie sociale et les conditions de travail. L'économie relève de plus en plus d'un centre unique, de l'État capitaliste. La production comme la consommation, les conditions de travail, les salaires, la durée de travail sont directement réglés dans leur détail par l'État. Ce n'est plus face au patronat que les ouvriers se dressent. Face à leurs revendications qui sont de plus en plus sociales, ils trouvent les ministres et leur prolongement local, le préfet et autorités étatiques locales.
La lutte ouvrière cesse d'être conditionnée par la situation particulière de leur branche d'industrie mais est conditionnée par la situation sociale générale se subdivisant en situations régionales.
L'ouvrier métallurgiste de Marseille a plus de commun avec le docker ou le maçon de sa région qu'avec le métallurgiste de Lille. Aussi observons-nous le fait caractéristique de luttes présentes éclatant et embrasant non des branches d'industrie mais prenant l'aspect de grèves générales par localité et par région.
A ce nouveau stade de la lutte doit correspondre une nouvelle structure de l'organisation. C'est la structure horizontale. Elle groupe et relie les ouvriers sur leur lieu de travail et de localité. Au travers de ces organisations de base, par leur comité directement élu et sous le contrôle constant de tous les ouvriers s'établit la liaison immédiate et directe coordonnant la lutte des ouvriers sur le plan local, régional et national. Cette structure n'est pas une invention artificielle. Son principe se trouve déjà ébauché dans les luttes récentes en France.
Cette structure ne signifie pas la disparition de l'organisation syndicale. Elle ne fait que rendre plus efficace l'organisation en vue de la lutte dans une situation nouvelle plus avancée.
Le syndicat d'industrie a nié la structure professionnelle-locale. La structure horizontale est au syndicat d'industrie ce que ce dernier était au syndicat de profession. En le dépassant, il revient à la base locale sur un plan plus avancé.
Dans ce domaine aussi s'accomplit un processus dialectique suivant et traduisant le cours dialectique de la vie.