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Dans le mouvement social contre la réforme des retraites en France, les partis de gauche radicale, comme La France Insoumise et ceux d’extrême-gauche n’ont pas de mots assez forts pour appeler à ne rien lâcher et à poursuivre la mobilisation. Appel à la lutte parlementaire et démocratique pour les uns, à la grève générale pour les autres, en passant par le rejet des directions syndicales et la prise en main du mouvement par « la base », tous ces partis, conspués par de nombreux grands médias, paraissent ainsi défendre avec force la classe ouvrière, combattre becs et ongles pour les intérêts des exploités. Mais la lutte du prolétariat peut-elle réellement s’appuyer sur eux ?
Le mythe de la lutte parlementaire
La France Insoumise (LFI) de Mélenchon, force vive de la NUPES, profite du mouvement contre la réforme des retraites pour recrédibiliser au maximum le terrain de la lutte démocratique et citoyenne, en dénonçant un gouvernement qui a « réduit le temps du débat parlementaire et malmène le travail des représentants du peuple ». LFI se présente au Parlement comme le porte-parole de la colère qui s’exprime dans la rue.
Mais que peut-on sérieusement attendre du « débat parlementaire » ? Rien ! Le Parlement n’est qu’une coquille vide. Parce que le capitalisme est en déclin, la classe ouvrière ne peut plus améliorer ses conditions de travail par la « lutte pour les réformes », ni appuyer une fraction progressiste de la bourgeoisie comme c’était le cas au XIXe siècle. Les cris d’orfraie des députés LFI ne sont que de la poudre aux yeux, une mystification destinée à faire croire que l’État bourgeois pourrait défendre d’autres intérêts que ceux de la bourgeoisie. (1)
La réalité, c’est que LFI et ses alliés (PS, EELV…) ne défendent pas les intérêts de la classe ouvrière, ils en sont même les ennemis acharnés. Alors que la massivité de la mobilisation contre la réforme des retraites est une expression de la reprise historique de la combativité du prolétariat à l’échelle internationale, alors que des millions d’ouvriers luttent de part le monde contre l’inflation, la misère croissante et l’austérité, les appels répétés des « insoumis » à la mobilisation du « peuple de France » pour la défense des « plus pauvres » n’a pas d’autre vocation que d’enfermer la mobilisation dans les frontières de l’Hexagone et de la « démocratie » nationale.
En somme, LFI participe activement à couper toute réflexion sur le caractère international de la lutte ouvrière. Il s’agit ni plus ni moins de couper la classe ouvrière en France de ses frères de classe en Angleterre, en Espagne, en Belgique pour mieux les réduire à l’impuissance, à ne pas se comporter comme classe en lutte, mais en bons citoyens accomplissant leur « devoir électoral ».
Il n’y a qu’à voir la pantomime orchestrée par les députés NUPES entonnant La Marseillaise (2) et criant au « tournant autoritaire » de Macron pour mieux se présenter comme les défenseurs de la démocratie républicaine, ce régime politique à travers lequel la bourgeoisie impose, de la façon la plus sournoise qui soit, sa dictature sur la société. Après l’échec de la motion de censure contre le gouvernement, les députés NUPES se sont donc empressés d’appeler au « retour aux urnes » pour détourner la mobilisation vers le chemin électoral au détriment de la lutte sociale !
L’extrême-gauche entretient aussi la mystification « démocratique »
Le 8 février dernier, le leader du syndicat « modéré » et « réformiste », Laurent Berger, exposait en ces termes ce qui, selon lui, formait l’enjeu de la situation : « Si le gouvernement persiste dans la voie qui est la sienne aujourd’hui, il fait une faute démocratique qu’il paiera très cher. “Qu’il paiera très cher”, ça ne s’appelle pas une menace, ça s’appelle un avertissement collectif que je pose […]. Bien sûr qu’il y a un risque que ça dégénère ». Cette mise en garde adressée au gouvernement traduisait la vigilance et l’attention que tous les syndicats portent à l’intensité de la combativité et à la réflexion qui tend à se développer dans les rangs de la classe ouvrière.
Et ils ne sont pas les seuls. Comme à leur habitude, toutes les organisations de l’extrême-gauche du capital se sont mises au diapason. En témoignent leurs discours très radicaux, aussi bien sur le fond que sur la forme, tentant de dévoyer ou de détourner tout embryon de réflexion sur la manière d’accentuer le rapport de force.
Si les différentes journées de mobilisations ont confirmé l’aptitude des syndicats à bien encadrer les manifestations, nous avons pu constater que les premières parties de cortèges, hors bataillons syndicaux, demeuraient très denses. De même, les appels syndicaux aux grèves reconductibles dans les transports ou les raffineries, c’est-à-dire à des grèves hyper sectorielles, chacun enfermé dans son entreprise, n’ont pas vraiment fonctionné pour le moment. Ce qui démontre une certaine forme d’indifférence, voire peut-être de méfiance vis-à-vis de certaines méthodes de luttes syndicales dans une partie de la classe ouvrière. D’où le déploiement d’un large éventail de mots d’ordre de la part des différentes organisations gauchistes visant à proposer de prétendues alternatives « au programme défensif », « aux erreurs et au conservatisme des dirigeants du mouvement ». (3) Pour le groupe trotskiste Combattre Pour le Socialisme, la pression sur le parlement bourgeois est la clé de la victoire. Les semaines précédentes il appelait à se mobiliser « par centaines de milliers devant le Palais Bourbon, au moment de la discussion de la loi ». Il persiste et signe après l’adoption du 49.3 en exhortant à se mobiliser face à l’Assemblée : « C’est là que se joue l’avenir de nos retraites, c’est là qu’il faut aller pour faire plier le gouvernement ! »
Ici, il s’agit de critiquer hypocritement l’inutilité criante des journées d’action syndicales pour mieux distiller l’illusion de la victoire par la pression démocratique sur l’État ! La mobilisation devrait s’exporter devant un emblème de l’État démocratique bourgeois. En somme, cette mauvaise boutique appâte le chaland avec la lutte de classe pour mieux vendre sa camelote frelatée : la mobilisation citoyenne.
De son côté, le NPA clame haut et fort qu’ « il n’y a rien à attendre du Parlement : c’est les travailleurs qui font grève et qui manifestent par millions dans la rue en donnant des sueurs froides au patronat et aux macronistes ». Mais ne soyons pas naïfs ! Si aujourd’hui, la massivité du mouvement et la réflexion sur une alternative au capitalisme exprimée par des minorités au sein de la classe ouvrière ne lui laisse pas d’autre choix que d’appeler à « être plus que jamais en grève et dans la rue ! », cela ne signifie pas qu’il abandonne pour autant sa sale besogne consistant à rabattre les ouvriers les plus combatifs vers le terrain stérile et mystificateur des élections. (4) L’adoption du 49.3 lui permet notamment de préparer le terrain. C’est un « scandale démocratique » montrant « le caractère particulièrement antidémocratique des institutions de la Ve République » clame le parti de Besancenot. En bon garant de l’ordre capitaliste, contrairement à son appellation, le NPA se contente donc de sous-entendre qu’une alternative (une VIe République ?) au sein de l’État bourgeois est tout à fait possible !
En réalité, dès que l’occasion se présentera, les têtes de gondoles du NPA, de LO et compagnie nous resserviront le plat indigeste des élections (y compris parlementaires) comme « tribune » à la cause révolutionnaire.
L’extrême-gauche rabat les ouvriers vers le piège syndical
« Contre Macron et son monde, à partir des 7 et 8 mars, bloquer le pays, partout et en même temps ! » (NPA). « Le 7 mars, la jeunesse du côté des travailleurs pour bloquer le pays ! » (Jeunesses communistes). « Construisons la grève reconductible ! » (Révolution Permanente)… Depuis le début du mouvement, les manifestations rassemblent des millions de personnes. Mais le sentiment que ces mobilisations massives ne suffiraient pas à faire plier le gouvernement a connu un écho de plus en plus fort au sein de la classe ouvrière. Par crainte d’être débordé, que la lutte n’échappe à leur contrôle, les syndicats ont adopté des méthodes de lutte prétendument plus radicales. D’où l’appel de l’intersyndicale à mettre « la France à l’arrêt ». Comme à leur habitude, les organisations gauchistes ont sauté sur l’occasion pour jouer leur rôle de rabatteurs, avec toujours la même méthode sournoise : feindre de fustiger les directions syndicales en exhortant « la base » à entrer en action.
Au cours de sa longue histoire, Lutte Ouvrière est passée maître dans ce type de basse besogne et ne semble pas avoir perdu la main : « Aussi unitaires soient-ils, les appels des centrales syndicales ne sont rien si les travailleurs n’en font pas leur combat. Alors, dès mardi, profitons-en pour constituer des équipes de travailleurs combatifs capables d’entraîner les autres ! Profitons de cette journée pour discuter entre nous, nous réunir en assemblées générales, formuler nos revendications, qui vont bien au-delà des retraites et préparer la suite ! ». Sous un verbiage radical et surtout très ambigu, LO appelle ainsi les ouvriers à prendre eux-mêmes en main… l’unité syndicale.
Nouveau venu dans le paysage de l’extrême-gauche, Révolution permanente semble apprendre vite. Elle aussi déplore la tiédeur de l’intersyndicale à poursuivre le blocage de l’économie après la journée du 7, et appelle à la prise en main par « la base » : « Pour mettre la “France à l’arrêt”, elle doit généraliser la perspective de la reconductible […]. Il y a urgence à nous doter d’un plan de bataille alliant élargissement des revendications et auto-organisation à la base pour imposer cette orientation ».
Mais les spectres du « syndicalisme de base » ou même des coordinations, agités comme la voie royale vers l’auto-organisation de la classe ouvrière dans la lutte, n’expriment en rien un appel à rejeter les syndicats et le syndicalisme. Au contraire ! Ils visent ni plus ni moins qu’à les y enchaîner en faisant la publicité de leurs variantes plus « radicales » du même piège enserrant les prolétaires dans leur corporation, leur secteur, leur catégorie (jeunes, femmes…).
Les gauchistes torpillent la réflexion politique
D’ailleurs, LO et ses comparses, veillent à bien établir un « cordon sanitaire » étanche autour de jeunes ouvriers susceptibles de se politiser. Lors de la manifestation du 31 janvier, à Lyon, un tract de LO est distribué : « Le capitalisme détruit la société. Il faut le renverser ! REUNION JEUNES (lycéens, étudiants, jeunes travailleurs) ». Alors que des militants du CCI demandent un de ces tracts où est écrit « Viens rencontrer des militants communistes et révolutionnaires », il leur est carrément refusé dans un premier temps parce qu’ils ne sont plus des « jeunes », et qu’une telle réunion doit permettre à des jeunes de pouvoir s’exprimer sans « la pression de plus anciens » qui, eux, n’ont pas peur de parler (sic !). Il s’agit d’un véritable travail de sape magistral, contre la réflexion, la solidarité et l’unité inter-générationnelle.
Cette pratique de division des luttes et de torpillage de la réflexion n’est pas nouvelle. En 1986, lors de la grève à la SNCF, des coordinations avaient surgi dans la lutte, sur la base de critiques ouvertes aux syndicats. Lutte Ouvrière, d’une manière très radicale, avait su prendre le relais, avec son leader cheminot Daniel Vitry, en interdisant, par exemple, l’entrée des Assemblées générales à d’autres ouvriers venant de la Poste ou des impôts, souhaitant apporter leur solidarité et appeler à étendre la lutte à d’autres secteurs.
Les gauchistes toujours et à jamais dans le camp de la bourgeoisie
Tendance marxiste internationale, Révolution Permanente, Nouveau Parti Anti-capitaliste, Lutte Ouvrière… Derrière le masque fabriqué d’un vernis révolutionnaire et communiste, se cache le vrai visage de LO, du NPA et compagnie ! Si aujourd’hui toutes ces organisations adoptent un ton critique vis-à-vis des syndicats (qu’ils noyautent pour certains et contribuent à animer avec zèle), si, comme LO indiquant ces derniers jours que la seule guerre est « celle contre nos intérêts de travailleurs », elles parlent désormais plus volontiers de « lutte de classes », de « révolution » et même de communisme, ce n’est pas parce qu’elles ont changé de camp mais bien parce qu’elles se chargent du sale boulot que les forces classiques d’encadrement (syndicats et partis de gauche) ne sont pas totalement en mesure d’assumer.
Par conséquent, la classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusions. Elle rencontrera de plus en plus la « gauche radicale » et les gauchistes sous les masques les plus variés, « combatifs », « radicaux », voire « révolutionnaires », comme obstacles majeurs au développement de ses luttes. Et si elle doit être plus consciente de cela, elle doit aussi savoir qu’elle ne pourra pas éviter l’obstacle mais bel et bien affronter tous ces faux-amis.
Vincent / Stopio (20 mars 2023)
2Le chant des Versaillais qui ont massacré les Communards en 1871.
3Tendance internationale (TMI) qui publie Révolution !