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Lorsque face à la taxation, les petits commerçants ont fermé boutique, toute la "gauche" et l’"extrême gauche" ont brandi le drapeau de l‘alliance de toutes les "couches populaires" contre le capital. Soutien critique, soutien tactique, soutien conditionnel : chacun se démarque des affreux "opportunistes" d’à coté. Mais tous, sans exception, préconisent, l ‘union des couches inférieures du commerce avec le prolétariat.
Quant à nous, nous nous opposons absolument à tout front, fût-il temporaire, spécifique et "conditionnel", entre la classe ouvrière et d’autres couches sociales. Nous voulons ici essayer d’indiquer quelques-unes des raisons qui fondent notre position et montrer le sens des propositions d’alliance inter-classiste’ Nous traiterons uniquement du problème du petit commerce et non de celui de l’agriculture, qui est plus complexe (R.I. N° 5, ancienne série)
Quelle est la place des petits commerçants dans le système ?
Si la bourgeoisie et le prolétariat sont les deux classes fondamentales de la société capitaliste, elles ne sont pas seules. Il subsiste des catégories extérieures au schéma de la production capitaliste et qui sont des survivances de modes de production antérieurs.
Les petits commerçants en particulier sont des représentants de la période pré-industrielle. Mais ils n’en échappent nullement pour autant aux lois du capital qui domine l‘ensemble de la société. Ils dépendent étroitement des circuits de distribution et du marché dominé par le capital. Il est vrai que le capital leur abandonne les secteurs non rentables (ou pas encore). Il est vrai que, tirant profit de l’anarchie de la distribution, il arrive encore que, dans certains secteurs nouveaux ou de luxe, se développent des entreprises indépendantes. Mais il est clair que cela n’infirme pas la tendance à leur dépendance accrue et à leur disparition progressive, ni leur confère un rôle "indépendant" nouveau. Le petit commerçant n’est plus aujourd’hui le légendaire et fier entrepreneur qui défend sa "liberté" face au capital. Il reçoit ses marchandises soit directement d’entreprises capitalistes, soit de réseaux de distributions capitalistes. Le plus souvent, il dépend, pour se moderniser un tant soit peu, de la "générosité" du capital bancaire. Gueulard dans les meetings contre "les riches" en général, il est tout obséquieux devant ses fournisseurs et ses créditeurs. Avec ses airs de sans culotte, il trompe les journalistes et les gauchistes -mais pas les bourgeois !
Contrairement au prolétariat, les couches moyennes ne sont pas une classe porteuse d’une solution historique. Eh effet, ce qui fait l’unité d’une classe, c’est sa finalité historique, c’est la société qu’elle représente et non sa simple qualité de catégorie socio-économique. La finalité des classes moyennes n’existe pas; la forme de société à laquelle elles aspirent est une forme irréelle et irréalisable. Autrement dit, ces classes ne représentent pas un mode historique de production, elles ne sont porteuses d’aucune forme sociale.
Cette absence d’une forme sociale propre aux classes moyennes provient du fait que le capitalisme a poussé la socialisation de la production à un point où elle entre en contradiction avec toute forme d'échange, toute forme d'appropriation privée. Sauf si l'on suppose que l'humanité puisse retomber à un stade primitif ou dégénérer, sa survie exige désormais l’instauration du communisme : il n’y a plus d’autre rapport de production possible.
N’étant pas homogènes, les couches moyennes n’ont aucun intérêt commun :
- en tant que propriétaires de moyens de production, elles ne peuvent se hausser à la vision socialiste du monde, c’est à dire la fin de l’appropriation des richesses ;
- en tant que travailleurs indépendants et individuels, elles ne peuvent acquérir ni une vision collectiviste ni globale du monde ;
- en tant que travailleurs isolés elles ne peuvent acquérir un esprit de classe, chacun défend ses propres intérêts, qui ne sont pas les mêmes que ceux de son propre concurrent ;
- en tant que couches liées par toutes leurs fonctions à la marchandise, elles sont soumises à la forme actuelle (et la seule possible) de la société marchande : elles vivent en parasites du système. Elles "revendiquent” en son sein, mais tant qu’elles ne sont pas précipitées dans le prolétariat, tant qu’elles ne sont pas dépossédées, elles dépendent des conditions de leur survie sociale, même si cette survie n’est qu’une misérable agonie.
L’absence de vision historique des classes moyennes a une double conséquence : dans les luttes sociales, elles tentent bien de défendre leurs intérêts particuliers, mais sont réduites, quand les choses deviennent sérieuses, à l’impuissance; il ne leur reste plus qu’à se réfugier dans les bras du capital, sauf si le prolétariat, par sa force, leur inspire la prudence de rester neutres.
Pourquoi la démagogie de la "gauche" ?
La "gauche" s'apitoie naturellement sur le sort des petits commerçants. La CGT et le PC en tête, elle multiplie les oppositions de collaboration de classe entre toutes "les victimes de la politique (?) du gouvernement en matière (?) d'inflation." (L’Humanité)
Chaque jour nous amène son lot de perles. L‘hebdomadaire du PCF, "France Nouvelle", déclare : "Peut-on être révolutionnaire, peut-on vouloir le socialisme et considérer la démocratie avancée comme l’ouverture à ce dernier et, en même temps, défendre les intérêts des petites et moyennes entreprises, c’est à dire, de propriétaires de moyens de production et d’échange, dont un certain nombre exploite la force de travail?" Sa réponse est affirmative. Et il conclut ; "En fin de comptes, et pour en revenir à l’alliance, sa base n’est donc en aucune manière conjoncturelle." La CFDT paraît avoir un langage plus gauchiste. Après la réunion tenue avec le bureau de la Fédération Nationale des syndicats des Commerçants non sédentaires, la CFDT déclare..."Comprendre le mécontentement des détaillants". Elle (la CFDT) leur a soumis en vue d’actions communes le texte de la déclaration des syndicats et des partis de gauche du 8 Novembre en insistant sur le caractère anti-capitaliste des objectifs poursuivis, qui mettent en cause tant le gouvernement que le patronat. Cela devient plus absurde encore que la CGT. Cette dernière en effet proposé aux commerçants une lutte contre les "monopoles" et le gouvernement, ce qui a au moins l’avantage d’être formellement logique. Mais la CFDT propose à des marchands de lutter contre le capital qu’il parasite. Autant demander du lait à un bouc.
Les fascistes ou le programme commun pourraient à la rigueur entraîner les commerçants dans l’attrape-nigaud de la lutte contre les "gros”. Mais quand M. Maire leur demande de devenir "anti-capitalistes", il leur demande de signer leur arrêt de mort. En fait, la CFDT ne croit pas à son propre baratin. Elle cherche simplement à paraître un peu plus à gauche que la CGT avec son "anticapitalisme" de pacotille, de façon à grignoter quelques ouvriers crédules.
Mais le but de toute cette démagogie effrénée est essentiellement de noyer toute réaction ouvrière dans le flot larmoyant des jérémiades démocratiques et inter-classistes. Un grand mouvement populaire sur un objectif concret et précis : La vie chère, dans lequel toute tentative par la classe ouvrière de -s ‘attaquer au capital puisse être traitée de "division" -voilà le rêve de M. Séguy; tant que les ouvriers sont noyés parmi la masse des "victimes" du gouvernement, la gauche peut manœuvrer, contrôler la classe, rassembler les "voix" des mécontents. Il faut à la gauche dans les conditions actuelles, pour parvenir au pouvoir, une classe docile, disciplinée, qui répond aux consignes syndicales et un glissement des voix de la petite bourgeoisie.
La gauche sait très bien que le seul dénominateur commun des prolétaires et des petits commerçants, c’est un antigouvernementalisme superficiel qui ne peut trouver son expression que sur le terrain "politique" des élections. Ce terrain est son terrain en tant que fraction du capital, et de plus, il est le terrain où les travailleurs atomisés et passifs ne lui poseront aucun problème.
Et dans cette opération, les gauchistes tiennent leur place habituelle, comme on va le voir.
Comment les gauchistes s'associent à cette opération
L’hebdomadaire "Rouge" du 16 novembre 1973 se permet de critiquer le PC qui soutient "inconditionnellement les petits commerçants". "Rouge" une fois de plus a le cul entre deux chaises et dit calmement sans rire, "le mouvement actuel des commerçants ne peut être soutenu inconditionnellement" (Nous soulignons). "Rouge" sera sans doute obligé de poser aux commerçants ses "conditions"! Le ridicule ne tue plus . Dans un accès de démagogie, "Rouge" abandonne toutes ses réserves et il se permet de dire que "les petits commerçants auraient tout à gagner à un système socialiste de distribution où ils ne seraient plus à la merci du grand capital, où ils n’auraient plus à payer les conséquences des aléas de la vente". Belle découverte ! Dans un "système socialiste", les commerçants, le marché et la vente existeront-ils toujours ? Évidemment, il n’y aurait plus d’aléas ! Le capital s’accumulerait en toute tranquillité ! Nous n’avons pas eu connaissance de ce socialisme-là. Il faut se rendre à l’évidence : soit nous ne connaissons pas la B-A-BA du marxisme, soit ces théoriciens sont en train de "révolutionner" le socialisme.
"Lutte Ouvrière", elle, ne s’embarrasse pas de toutes ces nuances et reproduit le mot d’ordre du PC (inadmissible d’après "Rouge") "Halte à la vie chère" parce qu’il rassemble tous les mécontents". LO se jette sans scrupules dans les bras des petits commerçants. "Le petit commerce a lui, face au pouvoir, les mêmes intérêts (sic !) que les travailleurs, victimes de la même inflation. C’est là qu’ils doivent chercher leurs alliés, s’ils veulent réellement voir leur sort changer." (LO, 26/11/73 page 12). La logique du frontisme amène ce groupe dans le populisme le plus abject. Ces populistes fustigent la CFDT qui est trop intransigeante et qui "dressera ouvriers et petits boutiquiers les uns contre les autres ... quitte à ne pas toucher les intérêts des grandes surfaces, des grands industriels des grandes banques. Tout comme ce fut la politique de la gauche au Chili, celle qui mena directement à la catastrophe actuelle ". (op cit.) Ce raisonnement nous laisse pantois : la "gauche" a réalisé l’Unité Populaire avec plusieurs couches de la population et c’est cette politique qui a fait faillite au Chili, comme en Espagne et en France en 1936. C’est cette politique qui a toujours fait faillite, qui a amené les prolétaires à la boucherie. Lutte Ouvrière feint d’oublier ces circonstances et affirme que si cette politique de vaste alliance avait été réalisée il n’y aurait pas eu de massacre au Chili.
Nous réaffirmons que les prolétaires n’ont pas à prendre parti dans la lutte sans merci que se livrent les différentes fractions du capital, ils ont encore moins à prendre parti pour la lutte des commerçants, ils ne défendent pas les petits capitalistes contre les gros et encore moins des fractions arriérées. Si au 19è siècle, les révolutionnaires prenaient parti pour certaines fractions de la bourgeoisie, c’était en vue de permettre le développement du capitalisme qui était encore un système progressiste. Aujourd’hui, il est définitivement entré dans sa phase de décadence, les révolutionnaires n’ont plus à soutenir des luttes bourgeoises, ils ont encore moins à prendre parti pour des couches condamnées par les secteurs encore dynamiques du capital.
L’attitude du prolétariat
"Toutes les autres classes se placent sur le terrain de la propriété privée des moyens de production et ont comme but commun la conservation de la société actuelle". Cette phrase d’Engels est aujourd’hui encore le fondement de la position du prolétariat sur la question. Le prolétariat, classe en lutte contre l’économie marchande n’a aucun intérêt commun avec les couches qui en vivent. Il ne peut former sa conscience politique et son organisation de classe que par la lutte contre les positions des classes moyennes. Cette lutte est le seul moyen de précipiter le passage de ces couches au prolétariat.
En effet, ce n’est qu’en montrant le maximum de détermination dans la défense de son programme et en s’affirmant comme porteur de la seule solution à la crise, la destruction de la société marchande, que le prolétariat peut forcer la neutralité des couches moyennes.
Les fractions petites bourgeoises ne sont révolutionnaires que dans l‘imminence de leur passage social au prolétariat.
En attendant, "les ouvriers devront porter tout seul le poids de la révolution" Gorter (Réponse à Lénine sur "la maladie infantile du communisme"-1920). Il nous faut tirer la leçon de cinquante ans de contrerévolution et d’alliances avec les couches petites-bourgeoises. Le prolétariat a été sans cesse massacré sous le drapeau de l’Unité Populaire. Il faut d’une part démystifier la fraction de "gauche" de la bourgeoisie qui pour arriver au pouvoir réclame une large alliance avec les couches moyennes. D’autre part, lutter pour que le prolétariat conquière son autonomie face à toutes les couches bourgeoises et qui en unifiant ses luttes, il impose son programme. Il faut réaffirmer qu’un petit nombre de petits-bourgeois rejoindront le programme prolétarien seulement si cette autonomie se dégage clairement.
En conclusion, nous disons que chaque fois que le prolétariat a perdu son autonomie de classe et accepté de se battre pour les buts des classes moyennes, sa défaite était acquise d’avance et celle des classes moyennes avec elle. Les couches moyennes devront accepter, de gré ou de force, la solution prolétarienne à la crise : leur propre disparition en tant que producteurs indépendants et leur intégration dans une économie socialisée et associée c’est à dire la dissolution de la production marchande.
Roux