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« Nous avons le choix entre la loi de la jungle et la loi du droit. L’alternative est là », a déclaré Mitterrand devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
Il a bien compris la leçon. On ne saurait mieux résumer la situation actuelle et le problème auquel sont confrontées toutes les bourgeoisies nationales dans leurs visées impérialistes. Mais cette fameuse "loi du droit” à laquelle le gouvernement français soi-disant socialiste entend faire allégeance aujourd’hui avec un bel opportunisme, n’est pas autre chose dans l’univers de brigandage impérialiste où nous vivons que ce qu’on appelle plus communément la "loi du milieu", le code de conduite propre à la pègre, les règles du jeu en vigueur dans la maffia dont "les droits" se résument essentiellement à ceci : ils sont soumis à la loi du plus fort. C’est seulement sur ce terrain que l’on peut comprendre les agissements des bandes de requins qui gouvernent le monde, comme nous l’avons mis en évidence dans RI le mois dernier (voir l’article : "La bourgeoisie, une classe de gangsters”).
Voilà quelle est la sordide réalité du capitalisme : ce n’est pas parce que la féroce guerre de gangs entre l’Est et l’Ouest qui a sévi pendant 40 ans est terminée, se soldant par la faillite complète et l’éclatement du clan lié à l’URSS, que les mœurs de tous ces gangsters ont changé ou se sont assagis. Au contraire, de nouveaux appétits impérialistes surgissent, de nouvelles ambitions se réveillent chez tous ces truands. Et le problème ne peut se régler que comme dans une affaire de brigands : soit le plus puissant d’entre eux est capable de faire respecter sa loi et d’imposer le rapport de forces nécessaire pour préserver son autorité, comme aujourd’hui, soit la bagarre généralisée se déchaîne et c’est alors la loi de la jungle où chacun va chercher à faire rapine de son côté aux dépens du voisin en cherchant à le tailler en pièces.
C’est pour avoir enfreint ces règles que le petit malfrat Saddam Hussein, faisant un hold-up sur le Koweït pour son propre compte et sans l’accord des grands caïds, se retrouve aujourd’hui "hors-la-loi", mis à l’index par les grandes puissances et en passe d’être "liquidé".
C’est cette loi que vient rappeler brutalement et par la force le "parrain" américain à travers son intervention directe et musclée dans le Golfe et la démonstration de sa toute-puissance militaire qui, au-delà de la correction mémorable qu’elle compte infliger à l’Irak, entend faire un exemple à l’intention de tous ceux qui seraient tentés à l’avenir de faire cavalier seul ou de jouer les grands caïds. Ce sont toutes les autres nations qui sont mises en demeure de ravaler leurs propres prétentions impérialistes et de se mobiliser derrière leur chef. Toutes sont sommées d’obéir aux ordres et de participer d’une façon ou d’une autre à "l’effort militaire" et celles qui comme l’Allemagne ou le Japon, sont dans l’impossibilité de fournir des contingents militaires sont rançonnées, rackettées financièrement et n’ont pas d’autre choix que de s’exécuter.
Les Etats-Unis entendent démontrer plus que jamais aujourd’hui qu’ils restent "le patron" et qu’ils ne toléreront pas que leur autorité soit bafouée par qui que ce soit dans le monde, ni tout autant contestée au sein même de leur clan.
La France se retrouve particulièrement impliquée dans cette "leçon", étant parmi les puissances impérialistes occidentales une de celles qui se sont fait le plus tirer l’oreille. Ce n’est pas sans raison. Bénéficiant jusque-là d’un statut privilégié de gendarme du Moyen-Orient en tant que l’un des lieutenants les plus zélés du camp américain, elle s’était particulièrement acoquinée avec Saddam Hussein quand celui-ci bénéficiait encore du soutien occidental face à "l’aventure islamique" de l’Iran.
Tous les ténors politiques français lui ont manifesté un soutien empressé depuis l’ancien premier ministre Chirac, jusqu’à l’actuel ministre de la défense Chevènement qui, il y a six mois à peine, assurait S. Hussein "de l’estime et du respect des dirigeants français". Et pour cause : la France a été pendant plus de dix ans, le plus important fournisseur occidental en armements modernes de l’Irak.
Dès lors, la France était fort mal placée pour jouer les va-t-en-guerre par rapport à l’Irak. De là, les tergiversations, les hésitations du gouvernement français au cours des deux premières semaines du conflit qui tentait de s’abriter sous le masque hypocrite d’une "volonté de paix", prétendant même jouer un éminent rôle diplomatique dans "la recherche d’une solution négociée". Ce n’est nullement par souci "pacifiste", mais en fonction de bien sordides et mesquines considérations que la France "socialiste" adoptait une telle attitude première.
Cependant, ce gouvernement n’a pas tardé à comprendre ensuite que l’occupation militaire massive du terrain par les USA eux-mêmes signifiait la destitution de la France de ses fonctions de gendarme au Moyen-Orient et que cela impliquait aussi la menace directe de son éviction de cette zone stratégique et la privation de toute part du gâteau impérialiste à terme, si elle ne coopérait pas plus étroitement et continuait à traîner les pieds.
Dans ces circonstances, le gouvernement français n’avait plus le choix, il se retrouvait obligé d’emboîter le pas, même si cela n’était pas de gaieté de cœur et d’exécuter l’essentiel des volontés américaines en ravalant ses réticences et en passant sous les fourches caudines de l’attitude belliciste envers l’Irak.
C’est pour cela que Mitterrand n’a cessé de répéter depuis que "nous sommes dans une logique de guerre", que “le retrait des troupes irakiennes du Koweït n’est pas négociable" et qu’il a adopté un nouveau ton dur et intransigeant avec l’Irak, donnant également d’autres gages tangibles de sa "bonne volonté". Ainsi l’expédition de son armée en Arabie Saoudite (jusque-là cantonnée à 1000 km du théâtre des opérations) renforcée du nec plus ultra du matériel militaire "made in France" (missiles, chars AMX...) et des troupes d’élite les plus opérationnelles (les "forces d’action rapide")[1]
Et si la France essaie aujourd’hui de jouer encore les matamores, de "rouler les mécaniques" en tentant de démontrer qu’elle a son mot à dire "en propre", c’est autour de tentatives minables et sans consistance vouées à l’échec, comme celle de proposer "une harmonisation des missions de force des Etats membre et de mise en commun de leurs moyens logistiques sur le terrain” qui ne peut que laisser indifférents ses principaux partenaires européens ou celle de demander une "autonomie" dans le commandement militaire des opérations qui n’a aucune chance d’aboutir.
De telles velléités ne peuvent s’exprimer que parce qu’elles ne portent pas à conséquence dans la situation et que parce que la France exécute désormais pleinement son contrat. Elles prendraient un sens tout différent si les Etats-Unis ne parvenaient pas à l’avenir à imposer leur fameuse "loi du droit” par la force. Car l’unité actuelle et forcée que les USA font respecter aujourd’hui masque bien des tiraillements et des tensions au sein de l’ex-bloc occidental qui prouvent que les tendances au "chacun pour soi" ne guettent que l’occasion pour pouvoir s’exprimer au grand jour.
YD
[1] La violation de la résidence de l’ambassade de France à Koweït-City n’a été que le prétexte de ce renforcement, comme l’a révélé la presse notamment le “Canard Enchaîné". Cet envoi de troupes et de matériels supplémentaires avait été prévu et décidé huit jours auparavant.