Le milieu révolutionnaire face à la guerre du Golfe

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Pour les organisations qui se réclament de la classe ouvrière, la guerre impérialiste, comme celle du Golfe à l’heure actuelle, constitue un épreuve de vérité. Dans une telle situation, il appartient aux organisations qui se situent sur le terrain de classe prolétarien de faire entendre la voix de l’internationalisme, à l’image des courants révolutionnaires aux cours des deux guerres mondiales.

La plupart de ces organisations n’ont pas failli aujourd’hui à cette tâche élémentaire : que ce soit dans la presse ou sous forme de tracts, l’ensemble du milieu politique prolétarien a pris position clairement pour dénoncer la guerre impérialiste, rejeter toute participation dans l’un ou l’autre camp et appeler les ouvriers à engager le combat contre le capitalisme sous toutes ses formes et dans tous les pays[1]. Bref, les organisations communistes existantes ont montré qu’elles sont... communistes.

En cette circonstance, d’ailleurs, il a fallu à certaines d’entre elles recouvrir d’un mouchoir pudique leurs élucubrations sur le soutien que le prolétariat devrait apporter aux "luttes d’indépendance nationales" dans certains pays sous-développés. Ainsi, lorsque le "Parti Communiste International" nous dit que :

"Les travailleurs n’ont rien à gagner et tout à perdre à soutenir les conflits impérialistes..." "Que la rente pétrolière enrichisse des bourgeois irakiens, koweïtiens ou français ne changera pas le sort des prolétaires d’Irak, de Koweït ou de France : seule la lutte de classe contre l’exploitation capitaliste peut le faire. Et cette lutte de classe n’est possible qu’en rompant "l’union nationale" entre les classes qui impose toujours des sacrifices aux prolétaires, qui les divise par le patriotisme et le racisme avant de les faire se massacrer sur les champs de bataille. " (tract du 24 août 90, publié par "Le Prolétaire"), nous ne pouvons que saluer son internationalisme. Mais cette organisation ferait bien de se demander en quoi les prolétaires arabes défendent leurs intérêts de classe lorsqu’ils sont enrôlés, comme elle les y appelle, dans la guerre pour la constitution d’un Etat national palestinien. Un tel Etat palestinien, s’il arrivait à voir le jour, ne serait pas moins impérialiste (même si moins puissant) que ne l’est aujourd’hui l’Irak, et les ouvriers n’y seraient pas moins férocement exploités. Ce n’est pas pour rien que Yasser Arafat compte parmi les meilleurs amis de Saddam Hussein. Pour le courant "bordiguiste" (auquel appartient "Le Prolétaire"), qui continue de se réclamer des positions de l’internationale communiste sur la question nationale, il serait temps de se rendre compte que l’histoire a démontré depuis 70 ans, et en de nombreuses reprises, l’inconsistance de ces positions. Sinon, ses exercices de corde raide entre internationalisme et nationalisme ne pourront que le conduire à la chute, soit dans le néant, soit dans le camp bourgeois (comme c’est arrivé, au début des années 80, pour une bonne partie de ses composantes).

Les incompréhensions des enjeux de la guerre

Si le milieu révolutionnaire a su, dans l’ensemble, faire la preuve de sa fidélité à la position internationaliste classique du mouvement ouvrier, il a également fait la preuve de son incapacité de prendre toute la mesure des enjeux de la période présente. Les différents groupes ont mis en évidence les origines de l’aventure irakienne : non pas la "folie mégalomane” d’un Saddam Hussein, mais le fait que l’Irak, après 8 ans de guerre terriblement meurtrière et ruineuse contre l’Iran, était pris à la gorge par une situation économique catastrophique et un endettement extérieur de près de 80 milliards de dollars. Comme l’écrit "Battaglia Comunista" dans son n° de septembre : "L’attaque contre le Koweït est donc le geste classique de celui qui, sur le point de se noyer, tente le tout pour le tout". En revanche, les raisons fondamentales du formidable déploiement militaire des Etats-Unis et de ses acolytes passent par-dessus la tête de ces groupes.

Pour "Le Prolétaire", en effet: "Les Etats-Unis ont défini sans fard "l’intérêt national américain" qui les faisait agir; garantir un approvisionnement stable et à un prix raisonnable du pétrole produit dans le Golfe : le même intérêt qui les faisait soutenir l’Irak contre l’Iran les fait soutenir maintenant l’Arabie Séoudite et les pétro-monarchies contre l’Irak. " C’est la même idée qu’énonce la "Communist Workers Organisation" dans un tract : "En fait, la crise du Golfe est réellement une crise pour le pétrole et pour qui le contrôle. Sans pétrole bon marché, les profits vont chuter. Les profits du capitalisme occidental sont menacés et c’est pour cette raison et aucune autre que les Etats-Unis préparent un bain de sang au Moyen-Orient...". Quant à "Battaglia Comunista" (BC), c’est, avec un langage plus prétentieux qu’elle défend la même idée : "Le pétrole, présent directement ou indirectement dans presque tous les cycles productifs, dans le procès déformation de la rente monopoliste a un poids déterminant et, en conséquence, le contrôle de son prix est d’une importance vitale."..."Avec une économie qui donne clairement des signes de récession, une dette publique d’une dimension affolante, un appareil productif en fort déficit de productivité par rapport aux concurrents européens et japonais, les Etats-Unis ne peuvent le moins du monde se permettre en ce moment de perdre le contrôle d’une des variables fondamentales de toute l’économie mondiale : le prix du pétrole. "

A cet argument, qui est également celui de beaucoup de groupes gauchistes qui n’ont qu’une idée en tête : vilipender la rapacité de l’impérialisme américain afin de justifier leur soutien ("critique") à Saddam Hussein, "Il Programma Comunista" (PC) apporte un début de réponse : "Dans tout cela, le pétrole (...) n’entre que comme dernier facteur. Dans les grands pays industriels, les réservoirs sont pleins et, dans tous les cas, la majorité de l’OPEP (...) est prête à augmenter la production et ainsi stabiliser les prix du brut". En fait, l’argument du pétrole pour expliquer la situation actuelle ne va pas très loin. Même si les Etats-Unis, de même que l’Europe et le Japon, sont évidemment intéressés à pouvoir importer un pétrole à bon marché, cela ne saurait expliquer l’incroyable concentration de moyens militaires opérée par la première puissance mondiale dans la région du Golfe. Une telle opération ne fait que grever encore plus les déficits déjà considérables des Etats-Unis et coûtera bien plus à l’économie de ce pays que l’augmentation du prix du pétrole demandée par l’Irak. D’ailleurs, dès à présent, avec la perspective d’affrontements majeurs, ce prix a grimpé bien au-delà du niveau qui aurait pu être établi par des négociations avec ce pays si les Etats-Unis avaient voulu de telles négociations (ce n’est certainement pas pour faire "respecter" les intérêts du cheikh Jaber et de son peuple que les Etats-Unis font preuve d’une intransigeance totale vis-à-vis de l’occupation du Koweït). Et les destructions qui résulteront de l’affrontement militaire risquent fort d’aggraver encore les choses. Si vraiment c’était le prix du pétrole qui préoccupait fondamentalement les Etats-Unis, on peut dire qu’ils ne s’y prennent pas de la meilleure façon : leur démarche évoquerait plutôt celle d’un éléphant voulant mettre de l’ordre dans un magasin de porcelaine.

En réalité, l’ampleur même du déploiement militaire fait la preuve que l’enjeu, pour les Etats-Unis comme pour tous les autres pays va bien au-delà d’une question de prix du pétrole. C’est ce que touche du doigt BC en essayant d’élargir son cadre d’analyse : "La rupture des équilibres issus de la seconde guerre mondiale a, en réalité, ouvert une phase historique dans laquelle nécessairement d’autres devront se constituer accentuant de ce fait la concurrence entre les différeras appétits impérialistes"... une chose est sûre, [quelle que soit l’issue de ce conflit] aucune des questions que la crise du golfe a mises en évidence ne pourra trouver de solution de cette façon". Mais c’était trop lui demander : immédiatement, cette organisation se noie de nouveau dans... le pétrole : "Une fois l’Irak éliminé, pour l’exemple, il ne se passera pas longtemps avant que quelqu’un d’autre ne pose la même question : modifier la répartition de la rente [pétrolière] à l’échelle mondiale : parce que c’est cette répartition qui détermine la hiérarchie internationale que la crise de l’URSS a remise en cause. " Quant à PC, s’il comprend bien qu’il y a autre chose de plus important que le pétrole, il n’arrive pas à dépasser les généralités : “l’enchevêtrement d’un conflit né d’intérêts de puissance colossaux, qui en se résolvant ne pourra qu’en susciter de nouveaux, défaisant et recomposant les alliances... ".

La sous-estimation de la gravité de la situation actuelle

En fin de compte, s’il y a un point commun entre les différentes analyses de la signification de la guerre du Golfe, c’est bien la sous-estimation dramatique de la gravité de la situation dans laquelle se trouve le monde capitaliste aujourd’hui. Tels des montres arrêtées, les groupes communistes, même lorsqu’ils sont capables de reconnaître le bouleversement que vient de connaître l’arène impérialiste mondiale, ne font que plaquer des schémas du passé à cette nouvelle situation. Nous ne développerons pas ici notre analyse suivant laquelle le capitalisme est entré aujourd’hui dans la phase ultime de sa décadence: celle de la décomposition générale de la société (voir la Revue Internationale n°57 et 61). Mais c’est notre devoir de dire que le refus des groupes communistes de regarder cette réalité en face (lorsqu’ils ne nient pas, purement et simplement, que le capitalisme est un système décadent, comme le font les bordiguistes) ne saurait leur permettre d’assumer pleinement leur responsabilité face à la classe ouvrière[2]. La guerre du Moyen-Orient n’est pas simplement une guerre comme les autres face à laquelle il suffit de réaffirmer les positions classiques du "défaitisme révolutionnaire". Sans être une guerre mondiale, elle est la première manifestation majeure d’un chaos et d’une barbarie comme jamais la société humaine n’en a connus. Voilà ce que les révolutionnaires doivent affirmer clairement à leur classe afin que celle-ci puisse prendre pleinement conscience des enjeux de son combat contre le capitalisme.

FM (29/9/90)


[1] Le silence dans lequel s’est maintenu jusqu’à présent le "Ferment Ouvrier Révolutionnaire", une des rares organisations communistes existant en France, n’en est que plus inacceptable. Apparemment, le FOR est beaucoup plus en verve lorsqu’il s’agit, en leur faisant dire n’importe quoi, de faire des procès stupides aux autres organisations révolutionnaires (voir son article "Encore un plat piquant du CCI" dans "L’arme de la critique" n°6) qu’au moment où il faut faire entendre la voix internationaliste contre la barbarie guerrière du capitalisme.
[2] Ces incompréhensions et sous-estimations du milieu révolutionnaire ne sont encore rien, évidemment, à côté de la parfaite stupidité que révèle le tract publié le 28/9/90 par la "Fraction externe du CCI". Comme il sied à un petit cercle qui prétend reprendre le flambeau de l’approfondissement" théorique que le CCI aurait abandonné, c’est très "profondément* que la FECCI, pour expliquer la guerre du Golfe, se plonge... dans le pétrole. Bel effort théorique ! Mais ce n’est pas tout. Ce qui pour tout le monde, surtout après cette guerre, crève les yeux : la disparition de l’ancien bloc de l’Est, échappe à la "profondeur" de la FECCI. C’est vrai que, comme des enfants de deux ans, il faut aux membres de celle-ci, pour affirmer leur personnalité, s’opposer à tout ce que le CCI a pu dire après qu’ils l’aient quitté (voir notre article d-contre). Eux se revendiquent du "vieux CCI', celui qui bénéficiait encore de leurs lumières. C’est pourtant ce "vieux CCI" qui, depuis longtemps, avait mis en évidence l’extrême faiblesse du bloc de l’Est et de l’URSS. Celle-ci ne disposait d’aucune base économique sérieuse pour devenir une "grande puissance", encore moins une tête de bloc. Seul le fait circonstanciel de se retrouver, par la grâce d’Hitler, parmi les "vainqueurs" lui avait permis, à Yalta, de se faire payer le prix du sang des 20 millions de morts subis par sa population. L’URSS n’avait pu exercer son contrôle sur la zone d’influence qui constituait sa "rétribution" qu’aux prix de dépenses militaires exorbitantes qui, en même temps que son économie aberrante héritée de la contre-révolution stalinienne, l’ont conduite, elle et les pays de son bloc, à la ruine complète qui se trouve à l’origine de l’effondrement spectaculaire de ce dernier en 89. Voilà ce que, aujourd’hui, la FECCI se refuse obstinément à comprendre afin de pouvoir affirmer son originalité "théorique".

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