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Il y a six ans, toute une nuit, Paris est devenu le théâtre d’un massacre d’une horreur indicible. D’abord, une série d’explosions secoue l’entrée du stade de Saint-Denis où se déroule un match de football. Le président de la République d’alors, François Hollande, est évacué en urgence. Trois terroristes fauchent une vie et blessent une dizaine de personnes en se faisant exploser. S’ensuit une seconde série d’attaques, dans les rues de Paris. À l’intérieur du théâtre du Bataclan, où se tenait un concert de rock, les spectateurs sont froidement exécutés à la kalachnikov. Dans les cafés avoisinants, les badauds en terrasse essuient aussi les rafales de balles. Les hôpitaux parisiens se transforment en hôpitaux de guerre. Cette « nuit rouge » fera 130 tués, 350 blessés et scellera l’attentat terroriste le plus meurtrier qu’ait jamais connu la France.
Ce 8 septembre 2021 s’est ouvert le procès « hors-norme » des attentats du 13 novembre 2015.
Les terroristes sont le produit du capitalisme en décomposition
Six ans après, les survivants sont encore traumatisés et des centaines de familles toujours brisées. Nombreux sont ceux qui, tout naturellement, se raccrochent à ce procès, pour tenter de se reconstruire un peu. Il va durer neuf mois.
Mais, n’hésitant pas à instrumentaliser la douleur des victimes comme la peur entretenue dans la population, ce procès est surtout l’occasion pour l’État français d’une immense propagande :
– « Ce qui doit rester de ce procès, c’est la force de l’État de droit et de la démocratie ». (1)
– « Ce procès se doit d’être exemplaire. La seule façon de répondre à la barbarie, c’est par l’expression de la démocratie ». (2)
– « Ce qui fait la différence entre la civilisation et la barbarie, c’est la règle de droit ». (3)
Mensonges ! Comme l’écrivait Rosa Luxemburg en 1915 face à la boucherie impérialiste de la Première Guerre mondiale : « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse : voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment ». (4)
Ainsi, la sauvagerie terroriste ne puise pas ses racines hors-sol ou dans un autre monde. Non, elle pousse et éclot sur le sol capitaliste, sur la barbarie de ce système d’exploitation inhumain. Les kamikazes, que la « société bourgeoise, bien léchée et bien honnête » nous présente aujourd’hui comme des « monstres », sont en réalité un condensé de tout ce que cette même société porte de pire en elle : la haine et le mépris pour la vie, celle des autres comme la sienne propre. Tous ces terroristes suicidaires sont des êtres broyés, humiliés, désespérés, totalement irrationnels, emportés par une idéologie nauséabonde qui leur promet la reconnaissance qu’ils n’ont jamais eue et leur procure l’illusion de donner enfin un sens à une vie qui n’en a aucun.
Démocratie, impérialisme et terrorisme
Au-delà des individus, les groupes terroristes islamistes eux-mêmes trouvent leur origine dans les affrontements impérialistes des « États de droit », dans la barbarie guerrière des démocraties. Ainsi, l’intervention américaine en Irak en 2003, au-delà des 500 000 morts qu’elle a engendrés, a mis à bas le gouvernement sunnite de Saddam Hussein (5) et créé un chaos permanent. Ce sont sur ces ruines, sur le vide laissé par la déliquescence de l’État irakien qu’est né Daesh en 2006. La déstabilisation de la Syrie en 2012 va être l’occasion d’un nouveau développement de l’État islamique. Le 9 avril 2013, il devient « l’État islamique en Irak et au Levant ». Ainsi, chaque nouveau conflit impérialiste, dans lequel les grandes puissances démocratiques, fortes de leurs « États de droit », jouent toutes un rôle incontournable, va chaque fois être l’occasion pour Daesh d’étendre son emprise en poussant sur le terreau pour lui fertile de la haine et de l’esprit de vengeance. Vont ainsi lui prêter allégeance plusieurs groupes djihadistes, tels Boko Haram dans le Nord-Est du Nigeria, Ansar Maqdis Chouras Chabab al-Islamn en Lybie, Jund al-Khalifa en Algérie et Ansar Dawlat al-Islammiyya au Yémen. Indéniablement, la guerre impérialiste a nourri l’État islamique.
Mais la responsabilité des grandes puissances et des « États de droit » ne s’arrête pas là. Elles sont aussi bien souvent directement à l’origine de la création de toutes ces cliques meurtrières et obscurantistes qu’elles ont cherchées à instrumentaliser. L’État islamique est composé des fractions les plus radicales du sunnisme et a donc pour ennemi premier la grande nation du chiisme : l’Iran. C’est pourquoi les ennemis de l’Iran (l’Arabie saoudite, les États-Unis, (6) Israël, le Qatar, le Koweït…) ont tous soutenu politiquement, financièrement et parfois militairement Daesh.
En menant toutes ces guerres, en semant la mort et la désolation, en imposant la terreur des bombes et en attisant la haine au nom de la « légitime défense », en soutenant tel ou tel régime assassin, selon les circonstances, en ne proposant aucun autre avenir que toujours plus de conflits, et tout cela pour défendre leurs sordides intérêts impérialistes, les grandes puissances sont les premières responsables de la barbarie mondiale, y compris celle de Daesh. En cela, lorsque ce prétendu « État islamique » a pour sainte trinité le viol, le vol et la répression sanglante, lorsqu’il détruit toute culture, lorsqu’il vend des femmes et des enfants, parfois pour leurs organes, lorsqu’il massacre à la kalachnikov dans les rues de Bagdad, Kaboul ou Paris, il n’est rien d’autre qu’une forme particulièrement caricaturale, sans artifice ni fard, de la barbarie capitaliste dont sont capables tous les États du monde, toutes les nations, petites ou grandes, dictatoriales ou démocratiques. Telle est la réelle signification des attentats du 13 novembre à Paris qu’aucun procès n’établira jamais !
« Cette folie, cet enfer sanglant cesseront le jour où les ouvriers […] se tendront une main fraternelle, couvrant à la fois le chœur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes en poussant le vieil et puissant cri de guerre du travail : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (7)
Pawel, 26 septembre 2021
1) « 13 novembre : Ce qui doit rester de ce procès, c’est la force de l’État de droit et de la démocratie », Public sénat (8 septembre 2021).
2) Marie-Claude Desjeux, présidente de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac).
3) Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.
4) La crise de la social-démocratie (1915).
5) Rappelons que ce sont ces mêmes États-Unis qui avaient largement contribué à l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein en 1979 en Irak, en tant qu’allié contre l’Iran.
6) « Daesh dispose d’un véritable “trésor de guerre” (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daesh dispose d’équipements militaires nombreux, rustiques mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d’une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels. Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs (dont certains s’affichent en amis de l’Occident), d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis » (propos tenus par le général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po. Paris lors de son audition par le Sénat français au sujet de l’opération « Chammal » en Irak et disponible sur le site web du Sénat).
7) Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie (1915).