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Après quinze mois durant lesquels les pays du G7 ont essayé de se renvoyer mutuellement ainsi que vers leurs rivaux les plus faibles, la responsabilité de la pandémie, après des millions de morts liés au coronavirus, après un chaos politique sans précédent aux États-Unis dont le point culminant fut l’invasion du Capitole, tout cela conjugué avec l’accélération de la crise climatique, l’aggravation des tensions internationales, les nouvelles embardées de l’économie mondiale, le sommet du G7 qui a eu lieu à Cornwall en juin, a donné une façade d’unité et de détermination entre les rivaux impérialistes. Derrière cette mascarade, le G7 est toujours un repaire de brigands. Le fait que la Chine, la seconde puissance économique mondiale n’était pas invitée au sommet en dit long sur la profondeur des tensions entre les puissances rivales. Les pays du G7 sont enfermés dans une lutte à mort pour dépecer et ravager la planète, ce afin de tenter désespérément de trouver et de contrôler les matières premières vitales pour « l’économie verte ». La seule chose qui a changé pour le G7 est que le remplacement de Trump par Biden signifie que les États-Unis ont rejoint la campagne unie de préoccupation hypocrite pour la nature et l’humanité et dans le but de jeter de la poudre aux yeux des travailleurs.
Un des éléments qui ont miné cette prétendue unité est la guerre que le gouvernement britannique mène avec l’Union européenne au sujet des saucisses, nuggets et autres viandes surgelées qui traversent la mer d’Irlande vers l’Irlande du Nord. La dispute au sujet de l’accord du Brexit a menacé de faire imploser la coquille vide du G7 et de son unité de façade. Boris Johnson a choisi d’ignorer les avertissements explicites que Biden a émis avant le meeting à cause de la tentative du Royaume-Uni d’utiliser le sommet afin de menacer de rompre le protocole d’accord sur l’Irlande du Nord si le gouvernement britannique ne pouvait pas agir à sa guise. Cette similitude avec les bouffonneries de Trump n’était pas un hasard. La Grande-Bretagne est devenue l’œil du cyclone populiste parmi les grandes puissances.
Des tensions grandissantes avec les gouvernements décentralisés
Aux États-Unis, les plus lucides factions de la bourgeoisie ont pour le moment réussi à écarter Trump du pouvoir. En Grande-Bretagne, des fractions similaires n’ont pas été capables de prendre de telles mesures afin de mieux contrôler leur appareil politique. Au lieu d’endiguer la marée populiste, le référendum de 2016 a ouvert les vannes. L’appareil politique tout entier a été paralysé dans la lutte sur le Brexit. La crise a donné naissance au gouvernement Johnson, dirigé par un politicien haï par beaucoup au sein de son propre parti pour ses mensonges, son irresponsabilité et son inclination prononcée pour la trahison. Le Parti travailliste, sous la direction de Keir Starmer, est entré dans une spirale de défaites électorales et de guerres intestines, laissant la classe dominante sans réelle alternative à ce stade pour remplacer ou agir comme modérateur face à Johnson.
Le prix à payer pour le maintien de ce gouvernement était clairement visible avec sa réponse initiale face au Covid. À un niveau beaucoup plus profond, la perte de contrôle de la bourgeoisie britannique sur son propre jeu politique menace d’accélérer les tensions, mettant en péril l’intégrité même de l’État britannique. Cela se remarque à travers le poids grandissant du Parti National écossais et ses appels à l’indépendance ainsi que les menaces grandissantes venant d’Irlande du Nord de rompre avec la Grande-Bretagne ou d’être jetée dans une violente tourmente à cause du Brexit.
Avant les élections locales de mai, l’un des principaux porte-paroles des factions anti-populistes de la bourgeoisie, The Economist, a lancé ce sinistre avertissement :
« Briser l’union d’un pays ne devrait jamais être fait à la légère car c’est un processus douloureux politiquement, économiquement et émotionnellement. Demandez aux Indiens, aux Pakistanais, aux Bangladais, aux Serbes ou aux anciens citoyens de Yougoslavie. Très peu de séparations se produisent aussi pacifiquement et avec autant de facilité que celle qu’ont connu les Tchèques et les Slovaques. Bien qu’il semble inconcevable que les citoyens du Royaume-Uni d’aujourd’hui commencent à s’entre-tuer, c’est exactement ce qu’ils ont fait durant les troubles en Irlande du Nord qui se sont terminés il y a moins d’un quart de siècle ».
La guerre civile n’est pas à l’ordre du jour mais la dynamique de fragmentation est bien réelle. Cela est particulièrement clair en Écosse où l’effort désastreux de contenir le populisme avec le référendum sur le Brexit n’a pas seulement ouvert les portes au populisme en lui permettant d’infecter le parti conservateur mais a donné une immense impulsion au nationalisme écossais. Le feu nationaliste a été alimenté, par ailleurs, par les déclarations provocantes du gouvernement Johnson s’opposant à l’indépendance et par sa gestion de la pandémie. La perspective de ne pas avoir de changement imminent dans l’équipe dirigeante à Londres fournit plus de munitions au parti national indépendantiste. Johnson est si toxique en Écosse que son propre parti lui a interdit de faire campagne là-bas car sa présence aurait augmenté le potentiel électoral du parti national.
Le Brexit a également mis à nu un profond problème pour l’État britannique en relation avec l’Irlande du Nord : son manque de contrôle total sur l’une de ses propres régions. L’accord du Vendredi Saint en 1998 imposé à l’impérialisme britannique par l’impérialisme américain, était basé sur l’hypothèse que le Royaume-Uni continuerait à faire partie de l’Union européenne. Il a donné aux rivaux du capitalisme britannique en Europe une influence au sein de son propre territoire : ils ont fourni de l’argent et furent les arbitres en fin de compte dans les disputes entre l’État britannique et les différentes forces du nationalisme irlandais. Parmi eux, le Sinn Fein et surtout sa branche armée, l’IRA, ont bien accueilli l’accord parce qu’il leur donnait une part de pouvoir politique dans le Nord et laissait intact son contrôle des zones nationalistes. La bourgeoisie unioniste (et ses forces paramilitaires) fut forcée de partager le pouvoir et l’État britannique dut faire face à ses rivaux, les États-Unis, l’Allemagne, la France et la République irlandaise, empiétant sur le contrôle d’une partie de son propre territoire.
Le Brexit a réouvert cette blessure du côté de l’État britannique, le laissant encore plus exposé aux ingérences de ses rivaux. La bourgeoisie britannique a été mise dos au mur par l’Union européenne dès le début des négociations sur le Brexit. Bien que les deux parties se soient mises d’accord sur le fait que l’Irlande du Nord reste dans l’union douanière jusqu’à un accord commercial définitif, une frontière physique serait rétablie, ce qui menacerait de raviver les troubles. C’est ce qui était au cœur du fameux filet de sécurité irlandais de Teresa May. Johnson et la ligne dure des Brexiters ont torpillé cela mais ils ont été confrontés au même problème et furent forcés de signer un accord encore pire.
En cela, Johnson a imprudemment trahi le Parti unioniste démocrate (DUP) et le reste des forces unionistes en Irlande du Nord. Lorsque le DUP a appuyé sa candidature à la tête du parti en 2018, il leur a dit qu’aucun Premier ministre ne pourrait signer un accord qui érigerait une frontière maritime entre l’Irlande du Nord et le reste du royaume. Ainsi lorsque Johnson a signé le Protocole, il a saboté l’influence politique du DUP et a affaibli sa crédibilité envers les factions loyalistes, forces paramilitaires incluses, et a fait croître les tensions au sein du DUP. Cela a conduit à l’éviction d’Arlene Foster comme Première ministre, au court intérim d’Edwin Poots et à son remplacement par Jeffery Donaldson.
Cette sensation d’être menés en bateau par l’État britannique a déjà provoqué des émeutes chez les loyalistes et les marches orangistes durant l’été pourraient créer une poudrière susceptible de générer encore plus de violence. Les paramilitaires loyalistes ont déjà averti qu’ils pourraient attaquer le commerce entre le Sud et le Nord car ils voient dans l’augmentation des échanges cette année entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord un pas vers l’unification qu’ils refusent.
En mai, le ministre chargé du Brexit et le secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord ont pris contact avec les paramilitaires loyalistes et il se pourrait qu’ils aient encouragé leurs menaces de violences contre des agents des douanes de l’UE dans les ports d’Irlande du Nord. Mais ils jouent avec le feu. Les paramilitaires ne font pas confiance au gouvernement et se sentent de plus en plus isolés.
La bourgeoisie nationaliste irlandaise a été encouragée par l’évidente faiblesse de l’État britannique et par l’affaiblissement des partis unionistes. L’accord du Vendredi Saint contient la possibilité d’un référendum sur l’unification avec le Sud. L’intégration d’une population de paramilitaires loyalistes armés et furieux au sein même de son territoire, placerait l’État irlandais dans une situation identique à celle de l’État britannique. Cependant, l’irrationalité et le chaos grandissants dans la société pourraient amener les nationalistes dans le Nord à demander un référendum, ouvrant ainsi une nouvelle boîte de Pandore.
Des évolutions dangereuses pour la classe ouvrière
La posture ridicule du gouvernement Johnson au sujet de l’exportation de viande surgelée depuis la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord résume juste à quel point la classe dominante britannique a été affaiblie et humiliée par le Brexit. Elle a été réduite à menacer de rompre un traité international, juste pour être autorisée par des rivaux à transporter des saucisses sur son propre territoire. Johnson n’a réussi qu’à se couvrir de ridicule dans sa tentative de rivaliser avec Biden sur ce sujet durant le sommet du G7 mais peu importe la faction au pouvoir, elle serait confrontée au même dilemme : ou risquer de remettre le feu aux poudres en Irlande du Nord en rompant le Protocole ou accepter l’interférence de rivaux impérialistes au sein de son propre territoire.
Les contradictions insurmontables de cette situation vont générer des tensions massives. Au vu de l’irresponsabilité politique et de la vision à court terme qui caractérisent les mesures du gouvernement Johnson, la possibilité que la situation devienne hors de contrôle est bien réelle. Cela pourrait mener à l’unification de l’Irlande et entraîner un nouveau cycle de terreur sectaire et de guérilla en Irlande du Nord qui pourrait s’étendre en Grande-Bretagne.
Le prolétariat en Grande-Bretagne est dans une situation difficile. L’accélération des forces centrifuges qui expriment la profondeur de la crise économique et la perte de contrôle grandissante de la bourgeoisie sur sa vie politique offrent aux travailleurs une perspective déroutante. De toutes les grandes nations, seul le prolétariat en Espagne est confronté à des pressions similaires conduisant à un danger de fragmentation et à une division concurrentielle en son sein derrière des factions bourgeoises. La capacité de la classe ouvrière à résister à ces pressions dépend du fait de mettre en avant ses intérêts de classe comme une classe antagoniste au capital : la solidarité de classe parmi toutes ses composantes contre les attaques grandissantes du capitalisme, la compréhension que l’ennemi est le système capitaliste et non les travailleurs des autres nationalités, la reconnaissance du besoin d’étendre les luttes, au-delà des frontières, des secteurs d’activité ou des régions, sont les seuls moyens de dépasser ces pressions grandissantes. C’est seulement en comprenant qu’il est une force sociale autonome qui contient l’unique alternative révolutionnaire au capitalisme, que le prolétariat pourra finalement renverser le système en rejetant toutes ces divisions.
Phil, 30 juin 2021
(traduction d'un article paru dans World Revolution, organe de presse du CCI au Royaume-Uni)