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La publication sur le site de Valeurs actuelles d’un “Appel des généraux”, soutenu par des militaires pour la plupart en retraite, a fait l’objet d’un véritable emballement médiatique. L’auteur de la lettre, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, un ex-capitaine de gendarmerie proche du RN, voulait selon ses dires : “libérer la parole” de l’armée face à ce qu’il qualifie de “délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre Constitution”. Macron et son gouvernement, considérant Marine Le Pen “bien molle”, a beau s’engager dans une politique du “tout sécuritaire”, avec des discours inspirés par l’extrême droite et une inflation de lois “antiterroristes”, rien n’y fait : le miasme des idéologies nauséabondes s’exprime inexorablement tel une hydre des profondeurs. Pour tenter de juguler le discrédit du gouvernement après un an d’incurie et de bévues dans la gestion de la crise sanitaire, LREM multiplie les sorties sur le terrain de l’extrême droite, espérant ainsi raffermir son “autorité”. La date de publication de “l’Appel”, soixante ans jour pour jour après le putsch d’Alger, (1) témoigne d’ailleurs symboliquement de cette défiance rampante vis-à-vis de l’exécutif. Une défiance incarnée par l’épisode tragi-comique de cette lettre, agrémentée de propos non moins hilarants de Philippe de Villiers qui en “appelle a l’insurrection”… et à son frère, haut gradé mécontent, démissionné de l’état-major et qui ferait un “bon président” pour 2022 !
Après gêne, tergiversations et hésitations, le gouvernement a finalement dû réagir par la voix de sa ministre des Armées, Florence Parly, réaffirmant le principe de “neutralité” et de “loyauté” de la Grande muette en annonçant des “sanctions” pour les frondeurs. Le gouvernement en a profité pour renvoyer dans les cordes le RN et sa tentative de récupération outrancière, Marine Le Pen ayant engagé les signataires à “rejoindre son action”.
Tout ce tintamarre, au-delà du contexte de la campagne électorale qui s’amorce, est un signe révélateur de l’accélération de la décomposition du système capitaliste. Dans cet épisode grotesque, deux aspects sont particulièrement significatifs de cette dynamique :
– le premier, c’est que “l’Appel” exprime une réaction irrationnelle et ridicule de la part de hauts gradés de l’armée. Même si ce sont des généraux retraités, ceci n’est pas anodin et souligne bien la réalité de la tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut au sein de l’appareil politique de la bourgeoisie. En appeler à une “guerre civile” ou à une “insurrection” est une pure expression de la perte progressive de crédibilité de l’État.
– le deuxième aspect est le fait que cet événement ne peut que contribuer à fragiliser l’exécutif, à alimenter davantage le phénomène du populisme et du rejet des “élites” en place jugées responsables d’une insécurité surmédiatisée, des violences urbaines…
Bien entendu, si Marine Le Pen a cherché à instrumentaliser l’événement à des fins électoralistes par son soutien sans faille aux militaires réfractaires, toutes les formations aux prises ont joué leur partition politicienne pour l’occasion : le gouvernement et LREM en prônant des “sanctions” ; une partie de la droite en n’osant prendre à rebrousse-poil les généraux, préférant souligner “un appel au secours” à “prendre en compte” (Henri Leroy, sénateur LR) pour qualifier la rebuffade des verts kaki.
Mais le pompon revient aux formations d’une gauche toujours en recherche d’unité, aux écologistes, aux socialistes, à La France Insoumise, tous “scandalisés” à la fois par l’attentisme présumé du gouvernement et par ce qu’ils qualifient de “menace pour la démocratie”. Ce que révèle cette mascarade granguignolesque de nos généraux retraités, c’est que l’État capitaliste et la République bourgeoise peuvent compter sur des défenseurs et des chiens de garde aguerris : ceux des partis de la gauche du capital ! Dès que la démocratie bourgeoise semble menacée, ces zélés patriotes surgissent en justicier pour défendre bec et ongles les institutions. Dans un remake entre factions bourgeoises de Règlements de comptes à O.K. Corral, ces messieurs ont déjà saisi le procureur de la République, à l’instar de Mélanchon, qui sur Twitter demande des “sanctions” contre “les factieux”.
Aujourd’hui, les défenseurs de la démocratie bourgeoise prennent de grands airs contre des généraux un peu séniles. Si ces derniers ne comprennent visiblement rien à l’importance de la démocratie pour assurer la domination de la bourgeoisie, ils ne menacent en rien l’ordre capitaliste. Mais tous les thuriféraires de la République, ces vendus au capital, les Mélenchon, les Hamon, les Jadot, etc., le moment venu, sauront parfaitement dénoncer les ouvriers et les révolutionnaires en lutte contre l’ordre établi, contre la République bourgeoise.
Au-delà des putschistes de pacotille, se cachent d’autres ennemis des ouvriers, bien plus dangereux et pernicieux que les ringards de l’extrême droite : les ayatollahs de gauche tout aussi réactionnaire qui défendent l’État bourgeois et, le moment venu, réprimeront sans vergogne la classe ouvrière !
WH, 30 avril 2021
1) Tentative de coup d’État fomentée par une partie de l’armée française à Alger, le 21 avril 1961. Elle fut conduite par quatre généraux (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) en réaction à la politique de Charles de Gaulle, considérée comme un abandon de l’Algérie française.