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Depuis le début du mois d’avril, le Covid-19 se propage à grande vitesse au quatre coins de la planète. Si la situation semble quelque peu se stabiliser en Europe et régresser aux États-Unis après une énorme flambée de contaminations, l’Amérique latine et le sous-continent indien sont désormais dans la tourmente. Des pays comme le Chili, dont la population avait été massivement traitée par les vaccins chinois, (1) sont touchés par une explosion des contaminations. La situation est si grave qu’au sein même des autorités chinoises, des voix ont été obligées de reconnaître l’efficacité “insuffisante” des vaccins. Officiellement, la pandémie a coûté la vie à plus de 3,2 millions de personnes dans le monde, et sans doute beaucoup plus, compte tenu des chiffres parfois éhontément mensongers de pays comme la Chine.
Si une année de recherche a permis de mieux connaître le virus, de mieux comprendre comment il se propage et comment lutter contre lui, l’incurie persistante de tous les États et l’irresponsabilité de la bourgeoisie ne permettent absolument pas la mise en œuvre de mesures cohérentes et efficaces pour limiter la prolifération du virus à l’échelle internationale. Les États, empêtrés dans une logique de concurrence, n’ont même pas été capables de se coordonner un minimum dans la politique vaccinale.
Face à cette absence de coordination, chaque État a dû mettre en place des mesures sanitaires à courte vue, avec des allers et retours sur les confinements, les semi-confinements, les états d’alerte ou les couvre-feux, en ouvrant ceci et en fermant cela. Sans moyens appropriés pour lutter contre la pandémie après des décennies de coupes budgétaires dans les systèmes de santé imposées par la crise, préoccupés par “l’économie” et le risque de se faire distancer par les concurrents, les États ont fini par s’accommoder des morts quotidiens et n’ont cessé d’ajuster leurs mesures sanitaires afin d’éviter une situation de chaos dans les hôpitaux et les cimetières (avec plus ou moins de réussite). C’est ce que la classe dominante appelle cyniquement : “vivre avec le virus”. Résultat : si certains États ont vacciné rapidement et à tout-va, on a laissé le virus se propager ailleurs en favorisant ainsi l’émergence de variants du Covid-19 plus résistant aux vaccins.
Inde, Brésil… une vision prémonitoire de l’avenir
Mais dans cette danse macabre, c’est probablement en Inde et au Brésil qu’on a pu voir les pires scènes de catastrophe. Au Brésil, “l’épidémie est hors de contrôle”, aux dires d’un scientifique brésilien : de nouveaux cimetières sont ouverts à tout-va, on transporte les cadavres en bus, la maladie emporte plusieurs milliers de victimes par jour. Bientôt le chiffre de morts atteindra le demi-million, dépassant les États-Unis dans cette course au record macabre. Les hôpitaux sont pleins, les gens crèvent dans leur brancard en attente d’un lit. Et tout cela en pleine avancée du nouveau variant originaire de Manaus, la grande ville amazonienne où, fin 2020, on avait cru au mirage de l’immunité collective, au moment même où une deuxième vague se répandait au Brésil dans un maelstrom apocalyptique. Pendant ce temps, Bolsonaro, le président du pays, celui qui prétendait qu’on avait à faire à une “gripezinha”, a continué à répéter “qu’il faut reprendre le travail et cesser de se plaindre”, tout en changeant de ministres comme de chemise dans une sinistre noria gouvernementale.
Au Brésil, le trafic d’animaux amazoniens et la déforestation massive exposent les êtres humains à des virus jusque-là “sous cloche”. D’après le biologiste Lucas Ferrante, chercheur à Manaus : “C’est en Amazonie qu’il y a le plus grand risque de voir surgir un nouveau virus, et ce risque est infiniment plus important que ce que l’on a vu à Wuhan”. (2) La destruction de la forêt amazonienne a pris les dernières années des dimensions catastrophiques. La bourgeoisie brésilienne, qui tire de juteux bénéfices de l’exploitation de la forêt amazonienne, n’est pas prête de stopper la destruction.
Mais depuis 15 jours, c’est la situation en Inde qui fait la Une de la presse. Il est difficile de décrire avec des mots l’horreur de la catastrophe sanitaire dans ce pays. L’Inde est aujourd’hui le pays le plus peuplé du monde. Malgré son développement économique, les services sanitaires étaient déjà sous-développés avant la pandémie. La santé n’était pas une priorité pour l’État. Le président indien, Narendra Modi, une espèce d’alter ego messianique de Bolsonaro, se vantait en février “d’avoir vaincu la pandémie” et que le pays “était un exemple pour le monde”. Modi s’était même permis de faire un peu comme la Chine et les autres grandes puissances possédant un vaccin : l’utiliser pour son rayonnement impérialiste. Désormais, on en interdit l’exportation.
Depuis janvier, ce gouvernement, très fortement marqué par l’hindouisme fondamentaliste, a délibérément encouragé un pèlerinage (la Kumbh Mela) de foules immenses venant des quatre coins du pays. Pendant les deux premières semaines d’avril, 2,8 millions d’Hindous se sont immergés les uns contre les autres sans masque, ni distanciation, ni contrôle de température, ni test préalable, dans les eaux du Gange infestées par les crémations rituelles de cadavres infectés. De véritables bombes à virus, sans oublier les meetings de campagne électorale !
Le retour de bâton de tant d’arrogance et de mépris ne s’est pas fait attendre. Les chiffres de la contagion et du taux de mortalité sont montés en flèche : 4 000 décès et autour de 4 millions de contagions par jour, “des statistiques très inférieures à la réalité”, disent les journaux, confirmées par le spectacle affligeant du manque d’oxygène, des lits occupés par plusieurs personnes, des queues devant les hôpitaux où les gens meurent sur les civières, dans le side-car de leur moto ou par terre !
Tout cela est un comble dans un pays qui, comme le Brésil, prétend devenir un géant économique. En Inde, à la place des images de familles à la recherche de terrain vague ou de parcs pour enterrer leurs proches, les bûchers alignés sur des centaines de mètres ont fleuri un peu partout pour incinérer les cadavres qui s’entassent et leur rendre un dernier hommage, misérable et indigne. Comme au Brésil et ailleurs, ce sont les plus démunis, c’est le prolétariat et les couches non exploitées qui payent le prix fort de telles incuries et des traumatismes qu’elles engendrent.
Quand on pense que ces deux pays, avec l’Afrique du Sud (3) avaient été classés comme ayant un potentiel de développement semblable à celui de la Chine, présentés quelque part comme l’expression du dynamisme d’un capitalisme éternel !
Le capitalisme s’enfonce dans la décomposition
Le Covid, comme les autres pandémies et fléaux qui menacent l’espèce humaine, est non seulement un produit mais aussi un puissant accélérateur de la décomposition sociale à l’échelle planétaire. L’Inde de Modi et le Brésil de Bolsonaro, mêmes s’ils sont dirigés par des gouvernements populistes qui les exposent à des décisions particulièrement stupides et irrationnelles, ne sont que deux expressions parmi les plus extrêmes, de l’impasse que représente le capitalisme pour l’avenir de l’humanité.
Il ne faut pas s’y tromper : Modi, Bolsonaro, Trump et bien d’autres représentants de la montée en puissance du populisme, à côté de leur administration erratique et bornée, restent, malgré leurs discours “anti-élites”, des défenseurs acharnés du capital national et les relais des besoins du capitalisme mondial : l’exploitation brutale et le saccage de la forêt amazonienne ainsi que l’extraction d’or sont encouragés par les pays importateurs de soja. Et du côté de Modi, les lois sur la fin de l’agriculture “protégée” ont été mises en œuvre afin d’ouvrir encore plus les campagnes aux besoins du capital. Malgré la victoire de Biden sur Trump aux États-Unis, la tendance à l’autodestruction et au chacun pour soi au sein de la classe dominante est inhérente au monde dans lequel nous vivons désormais.
Comme nous le mettions en avant dans notre “Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste” (juillet 2020) : “La pandémie de Covid […] est devenue un emblème incontestable de toute cette période de décomposition en rassemblant une série de facteurs de chaos qui expriment la putréfaction généralisée du système capitaliste, notamment :
– la prolongation de la crise économique à long terme qui a débuté en 1967 et l’accumulation et l’intensification des mesures d’austérité qui en ont résulté, ont précipité une réponse inadéquate et chaotique de la bourgeoisie à la pandémie, ce qui a obligé la classe dirigeante à aggraver massivement la crise économique en interrompant la production pendant une période significative ;
– les origines de la pandémie résident clairement dans la destruction accélérée de l’environnement créée par la persistance de la crise capitaliste chronique de surproduction ;
– la rivalité désorganisée des puissances impérialistes, notamment parmi les anciens alliés, a transformé la réaction de la bourgeoisie mondiale à la pandémie en un fiasco mondial ;
– l’ineptie de la réponse de la classe dominante à la crise sanitaire a révélé la tendance croissante à la perte de contrôle politique de la bourgeoisie et de son État sur la société au sein de chaque nation ;
– le déclin de la compétence politique et sociale de la classe dominante et de son État s’est accompagné de façon étonnante d’une putréfaction idéologique : les dirigeants des nations capitalistes les plus puissantes débitent des mensonges ridicules et des absurdités superstitieuses pour justifier leur inaptitude.
Covid-19 a ainsi rassemblé de manière plus claire qu’auparavant les principaux domaines de la vie de la société capitaliste tous impactés par la décomposition : économique, impérialiste, politique, idéologique et social. La catastrophe sanitaire actuelle révèle avant tout une perte de contrôle croissante de la classe capitaliste sur son système et sa perte de perspective croissante pour la société humaine dans son ensemble. […] La tendance fondamentale à l’autodestruction qui est la caractéristique commune à toutes les périodes de décadence a changé de forme dominante dans la période de décomposition capitaliste, passant de la guerre mondiale à un chaos mondial qui ne fait qu’accroître la menace du capitalisme pour la société et l’humanité dans son ensemble”.
Si le surgissement de la pandémie a mis un coup d’arrêt au développement des luttes ouvrières dans le monde, il n’a pas altéré la réflexion sur le caractère chaotique dans lequel baigne la société capitaliste. La pandémie offre une preuve supplémentaire de la nécessité de la révolution prolétarienne. Mais cette issue historique dépendra d’abord et avant tout de la capacité de la classe ouvrière, seule force révolutionnaire, de retrouver la conscience d’elle-même, de son existence, et de ses capacités révolutionnaires. Car seul le prolétariat, mobilisé et organisé autour de la lutte pour la défense de ses intérêts et de son autonomie de classe, a le pouvoir de mettre fin au joug tyrannique et mortifère des lois du capital et enfanter une autre société.
Inigo, 6 mai 2021
1) La Chine et la Russie ont sauté sur l’occasion pour inonder de vaccins les pays africains ou d’Amérique latine à des fins ouvertement impérialistes.
2) “Amazonie : point de départ d’une nouvelle pandémie ?”, France Culture (19 avril 2021).
3) Voir : “Covid-19 en Afrique : Du vain espoir de 2020 à la dure réalité de 2021”, Révolution internationale n° 487 (mars-avril 2021).