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Le 21 janvier dernier, des centaines d’étudiants sont descendus dans la rue partout en France pour exprimer leur exaspération et leur colère. Depuis maintenant un an, pour faire face à la pandémie, le gouvernement a régulièrement stoppé les cours en présentiel dans les universités, laissant les étudiants sans autre perspective qu’un tête à tête avec un écran d’ordinateur. Macron a eu beau claironner haut et fort qu’il était hors de question de confiner uniquement les vieux et les jeunes, c’est pourtant bien un des axes de la politique menée dans la gestion de la pandémie. Par conséquent, les cours se résument à des vidéoconférences pour les plus chanceux ou de simples fichiers PDF pour les autres. Quant aux enseignants en arrêt, ils ne sont pas remplacés et les étudiants doivent se débrouiller pour trouver seuls sur Internet le contenu de leurs cours. À cette situation d’isolement, s’ajoute la précarité financière faisant de la jeunesse une des victimes privilégiées de l’accroissement de la misère. En temps normal, 40 % des étudiants travaillent pour boucler leurs fins de mois… mais les jobs étudiants ont quasiment tous disparu, laissant une grande frange de cette population appauvrie et dans la détresse. 75 % d’entre eux affirment avoir des difficultés financières. Beaucoup n’ont plus de quoi payer leur loyer ou même de quoi se nourrir à partir du 15 du mois, ce qui amène un nombre croissant de cette frange de la population à gonfler les rangs de ceux qui sont réduits à la “soupe populaire” ou à recourir aux “banques alimentaires”.
Et ce n’est pas les quelques miettes jetées par le gouvernement Macron pour “calmer les esprits” qui changera quelque chose. Un chèque-santé pour aller voir un psychologue ?… Quand on sait que dans cette profession, ils sont au nombre de 1 pour 30 000 étudiants sur les campus ! Deux repas à 1 euro par jour pour tous ?… Cela a conduit certains restaurants universitaires à fortement diminuer les portions et la qualité des repas !
Moins d’argent, quasiment plus de vie sociale, aucune perspective, tel est le sort que la société “offre” aux jeunes générations : “Un jeune sur six a arrêté ses études, 30 % a renoncé à l’accès aux soins, et plus de la moitié est inquiète pour sa santé mentale”. (1) Les troubles psychologiques explosent, touchant 30 % des étudiants contre 20 %, il y a 4 ans. (2) L’isolement extrême lié à la pandémie et l’atomisation de la société capitaliste semblent avoir raison de toute une génération. Face à une situation aussi insoutenable, les tentatives de suicides se sont multipliées ces derniers mois, (3) marque supplémentaire du désespoir et de l’absence de futur auprès d’une frange toujours plus grande la population.
“Entre la fatigue, le flou, la colère et la solitude, on fait quoi ?” (4)
Si les étudiants se définissent eux-mêmes comme “une génération sacrifiée”, ils ne sont pas prêts pour autant à baisser les bras et à se laisser piétiner par le capitalisme pourrissant. “La vie d’un étudiant ne doit pas finir au cimetière” ! (5)
Ainsi, malgré le risque sanitaire, les plus combatifs ont repris le chemin de la rue pour dénoncer leurs conditions d’existence mais aussi pour tous ceux qui restent isolés : “c’est pour cela qu’on est là aussi, c’est pour s’exprimer pour eux aussi”, (6) témoignait un étudiant en manifestation.
Mais cela fait des années, voire des décennies que le malaise étudiant existe. Déjà, en 2017, 20 % des étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté, 46 % travaillaient pour vivre. Des chiffres édifiants tandis que depuis 2009, le coût de la vie étudiante ne cessait d’augmenter. (7) En septembre 2019, symbole de cette dégradation sans fin, un étudiant s’immolait par le feu devant le CROUS (8) de l’Université de Lyon. Il accompagnait son geste d’un message sur Facebook où il dénonçait les conditions de vie étudiantes et “les politiques menées depuis plusieurs années” par les différentes fractions de la bourgeoisie au pouvoir, “Macron, Hollande, Sarkozy notamment”. (9) Et déjà, en réaction, les étudiants descendaient dans la rue pour revendiquer le droit d’étudier dignement : “la précarité tue !” “conditions de vie décentes pour tout.te.s les étudiant.e.s”, (10) pouvait-on lire à cette époque d’avant Covid.
Aujourd’hui, si la pandémie a certes renforcé l’isolement et l’atomisation, elle n’a été au final qu’un catalyseur de la dégradation incessante et continue des conditions de vie étudiantes, et cela pas seulement en France mais dans toute l’Union européene ou en Grande-Bretagne où se sont généralisées une détérioration et une précarisation accélérées des conditions de vie totalement similaires. (11) Une partie de la nouvelle génération de prolétaires le ressent. La colère n’est pas seulement dirigée contre les effets délétères de la crise du Covid comme l’atomisation et l’enfermement imposé par l’État. Comme on a pu le constater dans les cortèges, les préoccupations demeuraient bien plus larges : “étudiants révoltés : contre l’État et la précarité”, “étudiant.e.s : nous isoler est leur arme, la solidarité était, est et sera notre riposte”, “au lycée, à la fac, à l’usine et partout, combattons la précarité et la misère”. (12) Derrière ces revendications, se cache un leitmotiv sous-jacent : Comment lutter contre cette société ? Comment envisager un autre avenir ?
Les manifestations étudiantes de ce mois de janvier en France se placent donc dans la continuité des luttes de l’automne 2019 et de l’hiver 2020. La stupeur et la sidération provoquées par le surgissement de la pandémie n’ont pas totalement brisé la volonté de se battre, de lutter ensemble, de discuter et d’échanger même si le chemin vers le développement de luttes plus massives est encore long.
En effet, ces mobilisations sont demeurées très furtives du fait du contexte sanitaire et de la capacité de la bourgeoisie à désamorcer très rapidement la mobilisation en écartant “la crainte” d’un nouveau confinement et par le travail de division des syndicats. Ceux-ci ont fait tout leur possible pour empêcher la participation des étudiants à la journée de mobilisation interprofessionnelle du 6 février en organisant des rassemblements alternatifs et des assemblées générales isolées et stériles à l’intérieur même des universités ou encore en mettant en avant des mots d’ordres spécifiques tels que “jeunesse oubliée : nous ne paierons pas la crise” !
Pourtant, malgré ces tentatives d’opposer cette jeunesse que l’on “sacrifie pour la santé des plus vieux”, la mayonnaise a des difficultés à prendre. “70 % des 18-30 ans pensent en effet que c’est choquant de dire qu’on a sacrifié leur génération pour sauver les plus âgés”. (13)
Non : il n’y a pas opposition entre les générations d’une même classe ! C’est dans la solidarité et les leçons des luttes passées que les jeunes prolétaires doivent puiser leur force. Le capitalisme n’a rien à offrir à aucune génération de prolétaire. Ainsi le slogan forgé lors du mouvement contre le Contrat Premier embauche (CPE) en 2006 reste pleinement d’actualité : “Vieux croûtons, jeunes lardons : tous la même salade !” (14)
Élise, 18 février 2021
1) “Covid-19 en France : les étudiants en détresse”, France 24 (26 janvier 2021).
2) “Le nombre d’étudiants souffrant de fragilités psychologiques est passé de 20 % à 30 % en 4 ans”, Le Journal du dimanche (27 janvier 2021).
3) “La crise sanitaire pèse sur la santé mentale des étudiants”, Le Monde (28 décembre 2020).
4) “Mobilisation étudiante : “Entre la fatigue, le flou, la colère et la solitude, on fait quoi ?”, Le Monde (21 janvier 2021).
5) “On se sent abandonnés” : face à la crise sanitaire, des étudiants manifestent leur détresse”, Le Parisien (20 janvier 2021).
6) Ibid.
7) “Précarité : près de 20 % des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté”, Le Monde (14 novembre 2019).
8) Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires.
9) “Que disent les chiffres sur la précarité étudiante ?”, Le Journal du Dimanche (13 novembre 2019).
10) Ibid.
11) En Allemagne, par exemple, 40 % des étudiants avouaient en 2019 (avant le Covid) de très grosses difficultés financières pour survivre, alors qu’à Londres, où les frais d’inscription universitaires sont exorbitants, il leur est quasiment impossible de trouver un logment à moins de 800 euros.
12) Ibid.
13) “Coronavirus : 81 % des 18-30 ne se reconnaissent pas dans l’appellation génération Covid”, 20 minutes (10 juin 2020).
14) En 2006, les étudiants et jeunes précaires qui luttaient contre le CPE ont été rejoints et soutenus par toutes les générations de prolétaires.