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Fin janvier, la section du CCI en France a organisé des réunions publiques en ligne sur le thème : “Pandémie de Covid-19, assaut du Capitole à Washington : deux expressions de l’intensification de la décomposition du capitalisme”. Nos réunions publiques, comme nos permanences, (1) sont ouvertes à tous les camarades intéressés par le combat pour l’émancipation de la classe ouvrière et pour le communisme. Tous les individus, groupes et organisations politiques révolutionnaires sont les bienvenus pour débattre des positions, analyses et principes défendus par le CCI, y compris en cas de désaccords. Notre vision s’inspire de la culture du débat, telle qu’elle a toujours été défendue dans l’histoire du mouvement ouvrier, c’est-à-dire avec le souci de confronter les idées, avec une volonté d’écoute et le souci de convaincre.
Afin de lancer le débat, l’exposé introductif présenté par le CCI a commencé par donner un tableau de la gravité de la situation actuelle marquée par une accélération de la décomposition qui vient maintenant frapper de plein fouet les pays les plus industrialisés, et notamment la première puissance mondiale, les États-Unis. En voici de larges extraits : (2)
“La décomposition du capitalisme est due au fait qu’aucune des deux classes fondamentales de la société, ni la bourgeoisie ni le prolétariat, n’a pu apporter sa propre réponse à la crise économique : soit une nouvelle guerre mondiale (comme c’était le cas avec la crise des années 1930), soit la révolution prolétarienne. La bourgeoisie n’a pas réussi à embrigader le prolétariat derrière les drapeaux nationaux pour l’envoyer se faire massacrer sur les champs de bataille. Mais le prolétariat, de son côté, n’a pas pu développer des luttes révolutionnaires pour renverser le capitalisme. C’est cette absence de perspective qui a provoqué le pourrissement sur pied de la société capitaliste depuis la fin des années 1980. Depuis 30 ans, cette décomposition s’est manifestée par toutes sortes de calamités meurtrières : la multiplication des massacres y compris en Europe avec la guerre dans l’ex-Yougoslavie, le développement des attentats terroristes aussi en Europe, les vagues de réfugiés qui cherchent désespérément un asile dans les pays de l’espace Schengen, les catastrophes dites naturelles à répétition, les catastrophes nucléaires comme celles de Tchernobyl en 1986 en Russie et celle de Fukushima en 2011 au Japon. Et plus récemment, la catastrophe qui a complètement détruit le port de Beyrouth au Liban, le 4 août 2020”. Nous pourrions rajouter à cela le développement continu du chacun pour soi, du no future et de l’irrationnel.
Et sur tous ces plans, la pandémie comme l’assaut du Capitole révèlent l’aggravation de la décomposition de la société capitaliste : “La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui est l’événement le plus grave depuis l’effondrement du bloc de l’Est. Contrairement aux épidémies d’origine animale du passé (comme la peste introduite au Moyen Âge par les rats), cette pandémie est due essentiellement à l’état de délabrement de la planète : le réchauffement climatique, la déforestation, la destruction des territoires naturels des animaux sauvages, de même que la prolifération des bidonvilles dans les pays sous-développés,… La pandémie de Covid-19 n’est donc pas une catastrophe imprévisible qui répondrait aux lois obscures du hasard et de la nature ! Le responsable de cette catastrophe planétaire, de ces millions de morts, c’est le capitalisme lui-même. Un système basé non pas sur la satisfaction des besoins humains, mais sur la recherche du profit, de la rentabilité par l’exploitation féroce de la classe ouvrière. Un système basé sur la concurrence effrénée entre les entreprises et entre les États. Une concurrence qui empêche toute coordination et coopération internationale pour éradiquer cette pandémie. C’est ce qu’on voit aujourd’hui avec la “guerre des vaccins”, après la “guerre des masques” au début de la pandémie. Jusqu’à présent, c’étaient les pays les plus pauvres et sous-développés qui étaient régulièrement frappés par des épidémies. Maintenant, ce sont les pays les plus développés qui sont ébranlés par la pandémie de Covid-19, c’est le cœur même du système capitaliste qui est attaqué. Il faut dire que face à l’aggravation de la crise économique, dans tous les pays, les gouvernements de droite comme de gauche, n’ont cessé depuis des décennies de réduire les budgets sociaux, les budgets de la santé et de la recherche. Le système de santé n’étant pas rentable, ils ont supprimé des lits, fermé des services hospitaliers, supprimé des postes de médecins, aggravé les conditions de travail des soignants. En France, le laboratoire Sanofi (lié à l’Institut Pasteur) a supprimé 500 postes de chercheurs depuis 2007. Toutes les recherches scientifiques et technologiques de pointe aux États-Unis ont été consacrées essentiellement au secteur militaire, avec y compris la recherche d’armes bactériologiques. Cette pandémie mondiale incontrôlable confirme que le capitalisme est devenu, depuis le cataclysme de la Première Guerre mondiale, un système décadent qui met en jeu la survie de l’humanité. Après un siècle d’enfoncement dans la décadence, ce système est entré dans la phase ultime de cette décadence : celle de la décomposition”. L’assaut du Capitole souligne que ce pourrissement touche jusqu’à la première puissance mondiale : “L’arrivée de Trump au pouvoir, puis le refus d’admettre sa défaite électorale aux dernières présidentielles, a provoqué une explosion effarante du populisme. À Washington, ses troupes de choc avec leurs commandos, leurs milices armées complètement fanatisées, ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier dernier, sans que les forces de sécurité, censées protéger ce bâtiment, n’aient pu les en empêcher. Le pays de la Démocratie et de Liberté est ainsi apparu comme une vulgaire république bananière du Tiers-Monde (comme le reconnaissait l’ex-président George Bush lui-même) avec le risque d’affrontements armés dans la population civile. La montée de la violence sociale, de la criminalité, la fragmentation de la société américaine, les violences racistes contre les noirs, tout cela montre que les États-Unis sont devenus un concentré et le miroir de la pourriture sociale”.
La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme
Suite à cette introduction, l’un des participants a affirmé que, pour lui, la pandémie comme l’assaut du Capitole étaient des symboles de la décadence du capitalisme et, donc, qu’il n’y avait pas “besoin d’utiliser la notion de décomposition” pour comprendre ces événements. Il est effectivement impossible de comprendre la situation actuelle sans se référer à la période de décadence. Mais cette période de décadence a elle-même une histoire.Pour comprendre l’ampleur de l’irrationalité, du chacun pour soi, de l’incurie, de la courte-vue de toutes les politiques menées partout par la bourgeoisie, il faut comprendre l’étape actuelle de la décadence : la décomposition, qui concentre en elle toutes les caractéristiques de la décadence. (3) En fait, de même que le capitalisme connaît différentes périodes dans son parcours historique (naissance, ascendance, décadence), chacune de ces périodes contient elle aussi un certain nombre de phases distinctes et différentes. Par exemple, la période d’ascendance comportait les phases successives du libre marché, de la société par actions, du monopole, du capital financier, des conquêtes coloniales, de l’établissement du marché mondial. De même, la période de décadence a aussi son histoire : impérialisme, guerres mondiales, capitalisme d’État, crise permanente et, aujourd’hui, décomposition. Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme, qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s’approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l’accumulation de toute ces caractéristiques d’un système moribond, celle-ci parachève et chapeaute trois quarts de siècle d’agonie d’un mode de production condamné par l’histoire. Concrètement, non seulement la nature impérialiste de tous les États, la multiplication des guerres et massacres, l’absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l’économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments.
La décomposition, une période historique inédite
Pourquoi le CCI parle-t-il d’une phase spécifique de décomposition alors que de nombreux phénomènes de décomposition se sont manifestés régulièrement dans toute l’histoire des sociétés de classe ? Ainsi, une camarade se demandait : “En quoi la décadence actuelle est-elle différente de celle des autres systèmes ? Est-ce que la décomposition du capitalisme est unique historiquement ?”
Face à cette question, le CCI a avancé les arguments suivants. Il existe une différence cruciale entre la décadence du capitalisme et la décadence des autres modes de production l’ayant précédé. Pour ne donner que l’exemple de la décadence du féodalisme, celle-ci était limitée par l’émergence “en parallèle” des rapports sociaux capitalistes et l’ascension de façon graduelle et partielle de la classe bourgeoise. La société féodale en déclin pouvait donc se projeter dans le futur avec l’émergence en son sein d’un autre mode de production. Si la société féodale a connu des éléments de décomposition sociale, (4) ces derniers ont pu être atténués ou annihilés par l’ascension du nouveau mode de production capitaliste, celui-ci parvenant même à en instrumentaliser certains (même si ce n’était pas nécessairement avec une réelle conscience) pour défendre ses propres intérêts.
On peut en donner une illustration : la monarchie absolue a participé dans certains pays, comme en France au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, au développement économique du capital contribuant à former un marché national et à voir s’affirmer la bourgeoisie sur les plans économique et politique au détriment de la noblesse. C’est pour cela que, dans la décadence du féodalisme, il pouvait exister des manifestations de décomposition sociale plus ou moins poussées, mais il ne pouvait pas exister une période historique spécifique de décomposition. Dans l’histoire humaine, certaines civilisations très isolées ont pu finir dans une complète décomposition conduisant à leur disparition, tel que l’exemple bien connu de l’île de Pâques.
Cependant, seul le capitalisme peut avoir dans sa décadence une période globale de décomposition, comme phénomène historique et mondial. Comme le CCI l’a souligné dans la discussion, le communisme ne peut pas coexister avec le capitalisme décadent, ni même commencer à s’instaurer, sans que la nouvelle classe révolutionnaire, le prolétariat, ait auparavant exécuté la sanction de l’histoire en ayant préalablement pris le pouvoir politique en renversant celui de la bourgeoisie pour donner un avenir à toute la société. Le prolétariat commence sa révolution sociale là où les précédentes révolutions la terminaient en transformant d’abord les bases économiques de l’ancienne société qui n’était plus en mesure de développer les forces productives. Le communisme n’est pas l’œuvre d’une classe exploiteuse qui pourrait, comme par le passé, partager le pouvoir avec l’ancienne classe dominante. Classe exploitée, le prolétariat ne peut s’émanciper qu’en détruisant de fond en comble le pouvoir de la bourgeoisie. Il n’y a aucune possibilité pour que les prémices de nouveaux rapports de production, puissent venir alléger, limiter les effets de la décadence capitaliste.
Du fait que le prolétariat n’ait pas été en mesure jusqu’à présent d’affirmer son projet révolutionnaire face à l’impasse du capitalisme, la société se trouve confrontée à une absence totale de perspective, à un avenir qui semble bouché. C’est ce qui explique le pourrissement sur pied du système capitaliste. La morbidité de la décadence capitaliste s’impose à tous comme une voie sans issue ; le no future et la fuite en avant dans le chacun pour soi et l’irrationnel rongent toute la société qui tend de plus en plus à se disloquer, à se décomposer.
La décomposition et la perspective révolutionnaire
La phase de décomposition signifie-t-elle que la perspective communiste est devenue hors d’atteinte ou en tout cas fort compromise ? Une participante a ainsi résumé le pessimisme grandement partagé par l’assemblée : “L’alternative reste toujours la même : socialisme ou barbarie. Mais le prolétariat est dans une situation de plus en plus précaire. Sa conscience va en prendre un coup : le quotidien est de plus en plus difficile à gérer : pandémie et décomposition. La perspective révolutionnaire s’éloigne”. Il est vrai que cette situation de chaos généralisé donne une vision apocalyptique du monde. Mais l’avenir est-il complètement bouché ? Comme nous l’avons mis en avant dans notre exposé, notre réponse est : Non ! “Au fond du gouffre de la décomposition, il existe une force sociale capable de renverser le capitalisme pour construire un monde nouveau, une véritable société humaine unifiée. Cette force sociale, c’est la classe ouvrière. C’est elle qui produit l’essentiel des richesses du monde. Mais c’est elle aussi qui est la principale victime de toutes les catastrophes engendrées par le capitalisme. C’est elle qui va encore faire les frais de l’aggravation de la crise économique mondiale. La crise sanitaire ne peut qu’aggraver encore plus la crise économique. Et on le voit déjà avec les faillites d’entreprises, les charrettes de licenciements depuis le début de cette pandémie. Face à l’aggravation de la misère, à la dégradation de toutes ses conditions de vie dans tous les pays, la classe ouvrière n’aura pas d’autre choix que de lutter contre les attaques de la bourgeoisie. Même si, aujourd’hui, elle subit le choc de cette pandémie, même si la décomposition sociale rend beaucoup plus difficile le développement de ses luttes, elle n’aura pas d’autre choix que de se battre pour survivre. Avec l’explosion du chômage dans les pays les plus développés, lutter ou crever, voilà la seule alternative qui va se poser aux masses croissantes de prolétaires et aux jeunes générations ! C’est dans ses combats futurs, sur son propre terrain de classe et au milieu des miasmes de la décomposition sociale, que le prolétariat va devoir se frayer un chemin, pour retrouver et affirmer sa perspective révolutionnaire”.
Quels sont ces dangers qu’il faut aujourd’hui prévenir ? Un camarade dans l’assistance a commencé à répondre à cette question : “La crise économique fait tomber dans la pauvreté beaucoup de couches sociales. On en voit les prémices au travers des luttes interclassistes. Le prolétariat est embrigadé par des couches sociales qui n’expriment pas une perspective pour l’humanité. La situation la plus difficile, c’est d’être englué dans ces couches sociales, en particulier la petite bourgeoisie. Renouer avec une identité de classe, se reconnaître comme classe, porteur d’un projet social.”
Tout au long de son existence, le CCI a mis en garde la classe contre les émeutes et les luttes des couches sociales non-exploiteuses, qui par leurs objectifs et leurs méthodes de lutte risquent de dévoyer certaines fractions du prolétariat vers des luttes interclassistes où le prolétariat perd son autonomie de classe en se dissolvant dans la population en général, dans le “peuple” au milieu de couches intermédiaires telles que la petite bourgeoisie confrontée à une paupérisation croissante. Il risque aussi de se mobiliser sur le terrain de luttes “parcellaires” en se focalisant sur un aspect partiel de la domination capitaliste (contre le racisme, l’oppression des femmes ou le réchauffement climatique). Il risque même de se laisser entraîner sur un terrain bourgeois, comme la revendication d’une police “propre” et “démocratique”, se disant au “service du peuple” alors que les forces de répression ne servent qu’à maintenir l’ordre du capital. La phase historique de la décomposition multiplie ces risques, sans oublier le poids des visions complotistes, nihilistes, du fondamentalisme religieux que porte une petite bourgeoisie étranglée par la crise et tous les éléments déclassés qui viennent en prophètes promettre le paradis sur terre ou l’apocalypse. Face à cette situation pleine de dangers pour la lutte de classe, la tâche de l’heure pour les révolutionnaires est de défendre la solidarité prolétarienne et l’affirmation de l’autonomie de classe du prolétariat.
Le poids de l’isolement et du sentiment d’impuissance liée à la pandémie est indéniable, comme l’a très bien fait remarquer une intervention : “Je reviens sur le défaitisme : quand je discute avec des copains, le défaitisme est difficile à dépasser. Oui, individuellement, tu ne peux rien faire. Comment dépasser cela ? [...] En ce moment, il est difficile de lutter contre le défaitisme ambiant”. C’est aussi pour cela que les réunions organisées par le CCI, comme toutes les réunions des organisations révolutionnaires, sont des moments importants pour la classe ouvrière : en débattant, en cherchant à confronter nos positions et à les clarifier, nous faisons aussi vivre ce qu’est l’âme du prolétariat, son activité consciente collective, sa solidarité dans la lutte et dans le développement de sa conscience révolutionnaire.
Malgré toutes les souffrances qu’elle engendre, la crise économique reste, aujourd’hui encore, la meilleure alliée du prolétariat. Il ne faut donc pas voir dans la misère que la misère, mais aussi les conditions du dépassement de cette misère. L’avenir de l’humanité appartient toujours à la classe exploitée.
RI, 28 février 2021
1) Les dates des réunions sont indiquées sur notre site internet (rubrique “agenda”).
2) La version complète est disponible sur notre site internet.
3) Voir : “La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste”, Revue internationale n° 107.
4) Par exemple, la dislocation du corps social dans certaines parties de l’Europe au cours des XIVe et XVe siècles à travers les effets de la guerre de Cent Ans ou de la peste noire.