Crise sanitaire, crise économique, terrorisme… Les syndicats au chevet du capital national

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“Depuis la fin du confinement, pas une semaine ne se passe sans qu’une annonce de plan social, de restructuration, voire de faillite ne soit faite” constate Le Figaro. ( 1) Les prévisions des licenciements à venir en France donnent ainsi le tournis : Bridgestone (863 suppressions de postes prévues), Air France (7 580), Airbus (5 000), Daher (2 000), Renault (4 600), Valeo (2 000), Sodexo (2 083), Elior (1 888), Auchan (1 475), Latécoère (475), etc., totalisant plus de 62 000 suppressions de postes annoncées à ce jour, rien que dans des entreprises employant au moins 50 salariés, soit plus du double de ceux annoncés sur la même période en 2019. En y ajoutant les licenciements touchant les ouvriers des entreprises de moins de 50 salariés, c’est plus de 66 000 licenciements qui sont officiellement annoncés au 25 octobre. (2)

Alors que le prolétariat en France fait face à ces attaques massives, les syndicats volent à la rescousse… de la bourgeoisie française.

Les syndicats agissent en défense de la bourgeoisie…

D’une part, afin de tenter de restaurer la compétitivité des entreprises menacées par la crise économique, les syndicats participent activement à la mise en place des attaques patronales, sous couvert de négocier “le moins mauvais accord possible”. D’autre part, afin de permettre aux attaques présentes et à venir de se dérouler sans accroc, les syndicats savent qu’il est nécessaire de diviser les ouvriers et de pourrir leur conscience. Ainsi à Valeo où a été signé “un accord majoritaire de compétitivité et de performance collective, avec les organisations syndicales CFE-CGC et FO” prévoyant, en plus des “départs volontaires”, de ne procéder “à aucune fermeture de sites et aucun licenciement économique contraint en France dans les deux ans à venir”. En contrepartie, les syndicats expliquent que l’accord prévoit un gel des salaires, une minoration des indemnités de départ à la retraite ou encore une réduction du montant des primes. “Nous avons fait le choix de la négociation collective afin d’associer nos partenaires sociaux aux décisions qui s’imposent face à la crise. La qualité du dialogue social nous a donné raison”, a commenté Jacques Aschenbroich, le PDG de Valeo”. (3)

À Airbus, les syndicats se sont d’abord attelés à monter les ouvriers les uns contre les autres : “On constate que nos dirigeants nous fabriquent un Airbus à deux vitesses”, avec “des contraintes sur les salaires et les conditions de travail pour les salariés de la production”, tandis que “les salariés des fonctions support et de l’ingénierie ne subissent rien du tout”, a protesté auprès de l’AFP Jean-François Knepper, délégué FO, à l’issue d’une réunion au ministère de l’Économie. À Bercy, le premier syndicat d’Airbus a “senti un ministère mobilisé derrière (ses) préoccupations. C’est essentiel et important”. (4) Ils ont ensuite signé un accord dans le cadre du plan social en invoquant un engagement d’Airbus pour le “zéro licenciement contraint”… rapidement démenti par la direction d’Airbus elle-même affirmant qu’il était “peu probable que les départs volontaires suffisent”. (5)

Parallèlement à ces manœuvres, on assiste aussi, notamment à l’appel de syndicats radicaux tels que la CNT-Vignoles, Solidaires, la FSU ou la CGT, à une multiplication d’actions locales, dispersées, chaque secteur étant appelé à mettre en avant ses soi-disant “revendications propres” et à agir isolément des autres tant géographiquement (chacun dans son coin, sans lien avec les autres secteurs) que temporellement (chacun sa journée d’action, différente des autres secteurs) : appel à la grève à l’aéroport de Roissy le 15 octobre, à Solocal le 16 octobre, à Nokia-Lannion le 19 octobre, des livreurs à vélo le 30 octobre, dans l’enseignement secondaire du 2 au 7 novembre, à Suez/Véolia le 3 novembre, dans l’enseignement en Seine-Saint-Denis le 17 novembre, ou encore de certaines catégories d’agents hospitaliers de différents lieux à différentes dates… Dans le contexte actuel de crise sanitaire défavorable à la lutte massive, l’objectif recherché de ce morcellement des luttes est d’épuiser en canalisant la colère et en stérilisant la combativité ouvrière dans des actions isolées et inefficaces et d’instiller un sentiment d’impuissance face à l’aggravation de la crise économique.

… et de son État, dont ils sont des rouages

En réduisant en permanence le capitalisme à sa composante libérale, au secteur privé, les syndicats s’échinent sciemment à passer sous silence la nature bourgeoise de l’État dans la société capitaliste, à présenter l’État bourgeois démocratique comme “le garant de l’intérêt général” et à prôner sa défense auprès de la classe ouvrière contre “les intérêts privés” sous couvert de “défense de la démocratie et des services publics”.

Le plan de relance annoncé par le gouvernement le 3 septembre a ainsi suscité des réactions syndicales consistant notamment en des appels à “ne pas oublier les salariés de la deuxième ligne”, à réclamer des “contreparties de la part des entreprises”, c’est-à-dire à demander un peu plus d’équité dans le capitalisme… que l’État capitaliste lui-même devrait garantir.

Mais c’est quand ils estiment “la patrie en danger” que les syndicats s’affichent le plus ouvertement comme défenseurs de l’État bourgeois. Ainsi cette “Adresse de la CGT au monde du travail”. Pour la CGT, en raison de la “convergence de crise sanitaire, économique, environnementale, sociale et menace terroriste… La France et le monde du travail font face à un péril inédit.” À en croire la CGT, les intérêts du prolétariat et ceux de la bourgeoisie française et de son État seraient donc liés. Partant de là, l’ “Adresse de la CGT” prodigue au gouvernement en place ses conseils de gestion des affaires du capital national : “Depuis le début de l’épidémie, le gouvernement navigue à vue et nous abreuve d’injonctions contradictoires, alors qu’il faudrait qu’une véritable stratégie de crise soit élaborée collectivement et démocratiquement avec toutes les forces politiques et syndicales de ce pays. […] Après l’effroyable assassinat de Samuel Paty et les attentats de Nice, des positionnements politiques qui cumulent les amalgames, la stigmatisation des musulmans et les remises en cause de l’État de droit se multiplient. On ne défend pas la République en la vidant de ses valeurs !”

Mais de quelles valeurs s’agit-il ? Celles de l’exploitation capitaliste : esprit patriotard, concurrence et chacun pour soi, compétitivité, flexibilité. Justifiant la baisse des salaires, le chômage de masse, l’atomisation et la pauvreté !

L’ “Adresse de la CGT” fait écho à ce vibrant appel signé, entre autres, par les syndicats CGT, CNT-Vignoles, FIDL, UNEF, UNL, Solidaires et par les organisations gauchistes NPA et UCL (6) en défense de “l’État de droit” et d’une “société française unie, laïque (7) et démocratique” : “Nous réaffirmons la nécessité de défendre partout et tout le temps la liberté d’expression, la liberté pédagogique, la liberté d’association, de conscience et de culte dans le cadre de l’État de droit […] Nous réitérons notre opposition au projet de loi “séparatisme” qui n’a rien à voir avec la laïcité et tout à voir avec une campagne raciste et liberticide visant à diviser la société française. Il est plus que jamais nécessaire que fassent front commun toutes les organisations et la population se battant contre toutes les formes de racismes, de discriminations et de sexisme. Nous entendons prendre nos responsabilités en ce sens à travers des initiatives publiques pour défendre une société démocratique, laïque et solidaire”. (8)

Une servilité nationaliste si manifeste, y compris de la part de syndicats radicaux s’autoproclamant “internationalistes” et “anticapitalistes”, ne doit pas nous étonner. Ce refrain connu est celui que les syndicats nous serinent depuis le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, date à laquelle ils ont définitivement été absorbés par l’État bourgeois afin de servir les intérêts de la classe dominante dans l’ “Union sacrée”. Depuis lors, chaque bourgeoisie nationale sait pouvoir compter sur ses syndicats en tant que force d’encadrement indispensable au maintien de l’ordre bourgeois.

DM, 7 novembre 2020

6 ) Sur le positionnement des organisations gauchistes vis-à-vis de la crise sanitaire actuelle : “Les groupes gauchistes face à la pandémie, chiens de garde et rabatteurs du capitalisme”, Révolution internationale no 483 (juillet-août 2020).

7 ) Voir : “La laïcité, une arme idéologique contre la classe ouvrière”, parties 1 et 2, Révolution internationale nos 453 et 454.

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Les syndicats contre la classe ouvrière