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D'un puissant concours dans l'orchestre démocratique bourgeois depuis la mort de Franco, les "bandas" régionalistes espagnoles, après 1'"historique" sanction des urnes de juin, redoublent de vigueur aux accents de frénétiques sardanes et autres fandangos. Dans le contexte d'une Espagne capitaliste pressée comme un citron par la crise, transpirant des chômeurs par centaines de milliers et n'offrant aux ouvriers "libérés" du fascisme pas une autre perspective qu'une exploitation accrue, l'austérité et la répression, il est déjà assez écœurant d'entendre les chantres nationalistes basques ou catalans reprendre à pleines voix leurs hymnes vétustes à la gloire de la langue, de la culture, des coutumes "libertaires" et du génie ancestral de "leur" peuple ; mais le "particularisme" atteint une dimension proprement caricaturale et délirante lorsque, derrière le Pays Basque, la Catalogne et la Gallice, il nous faut assister depuis l'Andalousie, le León, 1'Estrémadure même, et jusqu'aux plus grises sous provinces d'Espagne, au spectacle d'une cul-terreuse et épicière bourgeoisie s'exciter à retardement du chatouillis autonomiste. Le branle-bas régionaliste actuel est d'autant plus remarquable et consternant que, par rapport à la seconde république de 1931, on voit cette fois, et à quelques indécrottables phalangistes près, tout l'éventail des partis politiques espagnols, depuis l'extrême gauche -confondue à l'extrémisme sépariste- jusqu'au parti néo-franquiste de Fraga, en passant par le PSOE et le PCE, y participer sous une nuance ou une autre. Les marxistes, gens de froide rigueur, dit-on, ne s'épuisent pas en vaines colères, et pourtant la vision de toutes ces ganaches vieillies en exil avec encore sur elles le sang séché des massacres ouvriers de la république, les Dolores Ibárruri, les Federica Montseny et les Josep Tarradellas (successeur de Companys), qui viennent reprendre du service dans leur terroir, a de quoi les révulser.
En ouvrant des négociations avec Tarradellas et Jesús Maria de Leizaola pour la reconduction des statuts d'autonomie de la Catalogne et du Pays Basque, le gouvernement Suarez, au nom de la bourgeoisie, essaie de renouer le fil cassé de la maigre et peu brillante tradition démocratique espagnole, inséparable de la "question des nationalités" au regard de la structuration du capital et de son Etat.
Le problème national, en Espagne, a le même caractère que partout, dans le cours de la décadence capitaliste : il est pon progressiste et revêt une fonction de mystification contre le prolétariat. Il n'offre un intérêt d'examen aux révolutionnaires que par rapport à l'appréciation des forces de la bourgeoisie et des conditions de la lutte révolutionnaire des ouvriers dans ce pays.
Du point de vue de la bourgeoisie nationale, ce que traduit avant tout le "particularisme" régionaliste, c'est le caractère archaïque de l'économie espagnole. Même s'il faut bien reconnaître un progrès certain depuis la situation des années 30, le relatif retard historique du développement du capitalisme en Espagne s'accuse encore. Le régionalisme, comme première conséquence de cet archaïsme, découle, à un niveau superficiel, de la disparité de l'implantation des capitaux à l'intérieur de l'Espagne. Mais la conséquence fondamentale réside dans le poids toujours important que représentent, par rapport à l'ensemble de la bourgeoisie, les secteurs non industriels de cette classe, propriétaires terriens, commerçants, plus liés aux formes anciennes de production et, par nature, hostiles à la concentration et à l'étatisation. C'est donc tout naturellement parmi ces couches anachroniques que le régionalisme, dans ce qu'il a de plus bêlant et de proprement réactionnaire, trouve l'essentiel de son humus idéologique. Sous cet angle, la recrudescence présente du sentiment "particulariste", représente bien la ré réaction viscérale de couches arriérées de la bourgeoisie devant leur décomposition sous le fouet d'une crise qui contraint le capitalisme à la rationalisation.
Le fait que le régionalisme trouve son expression la plus consistante justement dans les aires les plus industrialisées d'Espagne, loin de venir en contradiction à notre analyse, la confirme. Il explique que, dans ces provinces, le Pays Basque et la Catalogne, le régionalisme peut adopter des formes d'autant moins primitives que la petite-bourgeoisie y est moins prépondérante. Le contenu de ce régionalisme-là, qui n'adopte une tournure fédéraliste que pour enjôler la petite-bourgeoisie, sinon le prolétariat, dénote une meilleure compréhension des intérêts globaux de la bourgeoisie espagnole et de ceux de l'Etat. C'est d'ailleurs pourquoi, sur cette base, la concession d'un statut d'autonomie, pour la Catalogne par exemple, fut et demeure parfaitement négociable en 1932 comme en 1977 par toutes les sphères de la bourgeoisie liées plus directement à l'Etat. Cet autonomisme-là n'en illustre que mieux le trait général d'immaturité du capitalisme espagnol par le fait qu'il tire sa substance ferme d'une excentration caractéristique des foyers économiques par rapport au siège de la vie administrative et politique madrilène.
11 est important de souligner toutes les conséquences qu'entraîne cette situation pour la lutte d'un prolétariat surtout concentré en Catalogne et au Pays Basque, cela dans le sens d'un affrontement différé avec la force centrale de l'Etat et d'une pente facilitée vers l'isolement localiste.
C'est d'ailleurs par ce dernier biais que le régionalisme a le plus de chance de figurer avec efficacité dans la panoplie mystificatrice de la bourgeoisie contre le prolétariat. En tant qu'exaltation idéologique du fait culturel et linguistique, sa capacité de brouillage, sensible peut-être dans les secteurs et les moments où le prolétariat, faible, se trouve isolé parmi les autres couches sociales, ne tient pas longtemps devant une classe ouvrière rassemblée et fortement combative, qui se ressaisit de toute une expérience historique où jamais il n'a été question d'un programme révolutionnaire régionaliste. Qu'est-ce que l'important contingent des travailleurs immigrés andalous et galiciens, en Catalogne et au pays Basque, peut bien avoir à faire avec la culture et la langue du pays ! Trimant, tels de vulgaires OS maghrébins en France, dans des bagnes industriels qui n'ont rien de spécifiquement régionaliste, ils ont par contre beaucoup à penser de syndicats, CNT, UGT et autres, qui viennent leur parler des intérêts ouvriers dans une langue qu'ils ne comprennent pas ! Ils ont là une bonne occasion de vérifier la sale besogne syndicale de division de la classe ouvrière ! De même, les travailleurs français, qu'ils soient bretons ou occitans et qui, venus passer leurs vacances en Espagne, ont vu leurs voiture se consumer dans les flammes de la passion gauchiste des supporters , basques et catalans confondus (sans doute l'ébauche d'une internationale régionaliste), d'Apalategui, pourront méditer et tirer, à partir de cet exemple extrême, la leçon du contenu hautement prolétarien du régionalisme, qu'il s'affuble ou non de la phraséologie révolutionnaire internationaliste.
Les régionalistes de toute vertu, qu'ils s'étouffent avec leurs millénaristes antiennes, c'est de l'expérience vive d'une classe porteuse d'avenir que les révolutionnaires tirent et répètent cette leçon : pas plus que l'émancipation du prolétariat mondial ne peut se contenir dans le cadre des nations, pas moindre peut être son exploitation que les capitalistes soient du village, du pays, du cru, ou pas.
Mx