LA DEUXIEME MORT DE SACCO ET VANZETTI

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On ne les a pas envoyés tout droit à la chaise électrique, mais l'infernale machine judiciaire du Massachussetts les a tués 7 fois 365 jours avant de le faire. Après ces années de torture morale dans leur prison de Boston, de lutte avec la mort comme bien peu l'on connue, le 22 août 1927, les deux anarchistes italiens Sacco et Vanzetti étaient électrocutés par la mercantile Amérique. Pays où se respire à pleins poumons l'air le plus libre du monde, c'est à dire que la "loi du peuple américain" pendit les cinq martyrs de Chicago, que 1'American Legion brûla vifs femmes et enfants d'un campement de mineurs à Ludlow, que la milice patronale de Manville-Jackes battit à mort et braqua ses fusils sur les ouvriers du textile à Gastonia, que des centaines de militants membres des IWW pourrirent dans les pénitenciers.

Il n'y a nul système d'exploitation et de contrainte de l'homme par l'homme comme le capitalisme pour appeler à son aide ceux qui figurent en victimes de la tragédie sociale et les faire plaider pour leur propre bourreau en une mise en scène parodique de l'histoire. Ainsi, s'ordonnèrent les procès du "Centre anti-soviétique trotskyste" de Moscou. Ou alors, c'est le bourreau lui-même qui s'approprie sa propre victime. Ainsi, Mussolini, tortionnaire du prolétariat italien, mêlera sa voix pour sauver Sacco et Vanzetti, "ses infortunés frères italiens".

Mais le capitalisme n'était pas encore arrivé aux limites de la récupération que nous lui connaissons désormais. Il sera donné à notre époque de montrer à quels sommets de détournement il peut se hisser pour transformer la boue en or, la haine en vénération. Ce n'était pas assez qu'il payât grassement des juges pour condamner et des flics pour tuer. En ce cinquantième anniversaire du supplice de Sacco et de Vanzetti, à son déclin, le capitalisme s'adonne à tous les trafics, use de toutes les combines de brouillage idéologique. Voilà qu'aujourd'hui le gouverneur en place du Massachussetts décrète le 23 août "journée du souvenir" de Sacco et Vanzetti pour, paraît-il, réparer l'injustice de son prédécesseur. De distingués professeurs honoris causa, d'éminents juristes, des sociologues certifiés, tous ceux à qui incombent le devoir d'éclairer de leurs lumières le chemin de la démocratie, commentent les pièces et les témoignages du procès de Delham. Avec une charité toute chrétienne, ils conclueront à la "non-culpabilité" de ce "bon cordonnier et du pauvre crieur de poissons", deux parias de l'opulente Amérique.

Maintenant, l'Amérique puritaine et obscène de Carter ne craindra pas d'utiliser l'agonie de Sacco et de Vanzetti pour faire passer au monde le message de son nouvel ange exterminateur : l'évangile des "droits de l'homme". C'est ainsi que le capitalisme se sert sans vergogne du sang répandu par lui quotidiennement pour huiler les mécanismes de son système de broyage et d'abrutissement de l'homme ; qu'il transforme sa chaîne de brutalités en une couronne de pitié. Sous tous les cieux, le capitalisme anthropophage joue la grandiloquente scène de la concorde universelle.

Sous toutes les latitudes, ivres de sang humain, dansent les goules du capitalisme en chantant la gloire des "droits de l'homme". Ces "droits de l'homme" qui se glissent dans la vie des hommes comme l'ombre funeste des rapports de propriété !

Il n'y a aucune organisation de l'ennemi de classe qui, tel le PCF, peut émasculer toute protestation prolétarienne devant l'assassinat d'un sans- grade de la guerre de classe. Pas encore tout à fait mis à genoux par la contre- révolution, le prolétariat qui s'était dressé unanime dans de grandioses manifestations pour empêcher /'inéluctable exécution de Sacco et de Vanzetti, se trouva travesti des oripeaux mangés aux mites de la "démocratie". L'attaque du palais de la SDN dans la paisible Genève, la grève des mineurs gallois et des dockers de la Tamise, l'important défilé des grévistes du port de Sydney et les batailles de rue dans le Paris des ouvriers deviendront, pour les staliniens, autant de marques d'attachement du prolétariat mondial aux institutions républicaines.

Malheureusement, le fait est que l'épuisement du prolétariat permettait aux staliniens de transformer la révolte de dégoût des ouvriers du monde entier en une démonstration de son respect des codes et des lois érigés par la bourgeoisie, à métamorphoser ces vibrants hommages d'internationalisme prolétarien en un combat de défense et d'élargissement des conquêtes constitutionnelles.

Que le prolétariat toléra et accepta que sa révolte se convertisse en campagne démocratique avec l'inévitable kyrielle d'avocats et de représentants de l'intelligentsia révélait bien son état d'extrême affaiblissement dont le débouché sera la mobilisation à la guerre.

Cependant, les hésitations de la bourgeoisie américaine à exécuter la sentence de mort réflétèrent sa crainte d'un sursaut, d'une dernière flambée de l'incendie social encore plausible en 1927. Aussi, dans la nuit où Sacco et Vanzetti se dirigeaient vers la chaise électrique, dehors la prison de Charlestown était équipée comme si elle allait avoir à soutenir un siège militaire : à la garde ordinaire, le gouverneur ajouta d'autres flics et des centaines de ses prétoriens armés de mitrailleuses et de lance-grenades.

Il n'y a pas dans 1'"affaire Sacco et Vanzetti, un cas exceptionnel à dissocier du mouvement historique général dont il n'est qu'un témoignage. Au moment où le prolétariat vaincu descend la pente fatale vers la guerre, à l'échelle de deux individus, la mort de Sacco et de Vanzetti symbolise la tragédie que vit dans ses chairs la classe révolutionnaire, le prolétariat. Leur mort marque effectivement le signal de recrudescence de l'offensive capitaliste pour conjurer le "péril rouge". Les deux électrocutés de Boston annonceront la vague de répression sanglante qui, immédiatement, allait s'abattre sur le prolétariat du monde entier.

S'adressant une dernière fois à ses camarades de lutte, Sacco écrivait que "la classe capitaliste ne connaît pas de pitié pour les bons soldats de la révolution". Ont réellement été des soldats de la révolution sociale, ceux dont nous saluons ici la mémoire -bien que nous ne nous réclamions pas de l'idéologie anarchiste-, et non des chantres de la Démocratie. Sacco et Vanzetti ont payé de leur vie la politique contre-révolutionnaire de la social-démocratie durant l'assaut révolutionnaire des années 20. De tels souvenirs ne doivent jamais s'effacer du cœur et de l'esprit des prolétaires. Ils doivent leur redonner la soif de combattre par l'affirmation d'une claire perspective de lutte.

C'est le prolétariat mondial qui renversera l'ordre du bourreau. Cela seul, la révolution prolétarienne, permettra de rendre définitivement impossible les meurtres que le capitalisme perpètre de sang-froid à l'abri de la loi républicaine ou de la "constitution socialiste". Quand le prolétariat se mettra debout pour reprendre la lutte intransigeante, alors se réalisera ce qui ne pouvait être qu'un vœu de Sacco : "DEMOLIR CETTE HORRIBLE MAISON DE MORT AVEC LES MARTEAUX DU PROGRES !"

R. C.

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