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A l'heure où l’Espagne subit, plus que bien d'autres pays développés, le tourment de la crise générale du capitalisme, l'actuel regain du "particularisme" régionaliste met tout d'abord en relief la faiblesse constitutive du capital espagnol. Expression des contradictions au sein de la bourgeoisie, le régionalisme n'en agit pas moins corme force de mystification contre le prolétariat. Il contribue à l'isolement des luttes ouvrières et favorise dans le prolétariat les tendances localistes. Face à une résurgence ouvrière qui lui pose problème, toutes les fractions de la bourgeoisie, gauchistes compris, tentent de conjuguer leurs efforts pour renouveler le coup réussi en 1936-37, en faisant feu de tout bois, régionaliste et autre. Mais, dirigée vers une classe qui, contrairement à ce qui était en 1936, ne relève pas d'une défaite mondiale et multiplie les signes de sa combativité, la mystification régionaliste ne peut que voir son poids de plus en plus diminuer.
ITINERAIRE ET BILAN DU CATALANISME “REVOLUTIONNAIRE”
Que le particularisme se manifeste avec une exceptionnelle vigueur dans la péninsule ibérique n'est pas un pur produit d'un milieu géographique circonscrit, mais de l'histoire mondiale tout entière, voilà l'explication du marxisme. En Espagne, la force du séparatisme tient à ce que Marx qualifiait d’"ignominieuse et lente décomposition" de l’organisme social. Après la perte du Portugal et la tentative de sécession avortée de la Catalogne au 17° siècle, l'élan politique centralisateur impulsé par l'accumulation primitive est interrompu, l'unité économique entre les régions relâchée. La classe dominante, mélange hétéroclite de bourgeois flanqués de "caciques", de parasites des congrégations religieuses se replie sur son agriculture et veille principalement à maintenir son immense empire colonial.
Dans un pays où les aspirations a l'hégémonie politique d'une bourgeoisie catalane se trouvent bridées par une monarchie à l'arrière-ban de l'Europe, il y a un catalanisme républicain anticlérical comme il y a un fort sentiment séparatiste chez les ouvriers encore largement occupés dans la manufacture et le travail à domicile, comme il y a un catalanisme des communautés libertaires parmi les misérables métayers et les journaliers agricoles.
A un prolétariat qu'elle ne pouvait pas associer à une impossible prospérité, la bourgeoisie devait faire subir de terribles saignées. Sa chirurgie spécifique, et chaque fois "bénéfique" à l'organisme social, ce fut d'attirer les travailleurs et les paysans dans des aventures pour l'autonomie.
Combien de fois la bourgeoisie catalane a-t-elle réussi à les tromper cyniquement et à les meurtrir en agitant le thème du "statut d'autonomie de la province" ? Tantôt ce sont les émissaires alliancistes bakouniniens qui, assimilant unité politique et tyrannie gouvernementale, proposent la conquête de l'autonomie conjuguée au principe fédératif des groupes de producteurs, des communes et des régions. Un peu plus tard, c'est le courant de ces mêmes alliancistes agissant pour la "décentralisation" du pouvoir révolutionnaire dans chaque ville et village lors de la première république espagnole de 1873, écho lointain mais vite muet de la révolution démocratique européenne de 1848. Aux lendemains de la restauration de la monarchie, c'est le parti fédéraliste proudhonien de Pi y Margall qui prétend répondre aux aspirations du petit peuple catalan par un retour en arrière vers le régime des guildes et corporations de métiers libres de l'ancienne principauté catalane. Puis c'est 1'Esquerra de Macià et Companys qui cherchera à capter l'énergie des masses afin de l'utiliser dans sa lutte pour ramener le centre de gravité de la vie sociale et politique de Madrid à Barcelone^
De 1911 à 36, il n'y a pas un seul congrès de la Confédération qui ne fasse acclamer l'autonomie de la Catalogne, pas une seule prise de terre par les paysans, pas une seule grève où les cénétistes ne mettent en avant la "Catalogne libre", pas un déclenchement de soulèvement dans les "pueblos" n'agissant pour son compte sans se préoccuper des autres.
Autour des années 30, c'est la Fédération communiste catalano-baléare qui se présente sur la scène sociale en déployant le drapeau du droit de la nationalité catalane à la libre disposition d'elle-même, jusques et y compris le divorce. En 29, elle se sépare du squelettique parti officiel sur la critique qu'il n'agit pas dans le sens du vaste mouvement autonomiste qui agite toute la péninsule et affaiblit l'appareil d'Etat. Son mot d'ordre sera la "République fédérale" et elle estime que le prolétariat se suiciderait politiquement s'il tentait de substituer sa propre dictature de classe au régime du général Primo de Rivera tombé tout seul comme un fruit pourri. Pour Maurin, la tête pensante, cette révolution est typiquement "espagnole" et elle s'appuiera non sur les soviets mais sur les "Juntas", plus conformes à la "spécificité" locale.
Elle pousse le souci d'exprimer la place tenue par la Catalogne dans le progrès social et l'apport culturel de son peuple[1] au point de se voir accuser de défendre des thèses "droitières" par une Internationale dont la théorie du socialisme en un seul pays et le kuomintangisme ont définitivement scellé le destin contre-révolutionnaire. Etait-ce à dire qu'elle est convaincue que la Catalogne est la "nation élue" et la classe ouvrière de Barcelone la plus avancée du monde ? A en croire les augures "marxistes", la révolution qui va s'accomplir en Catalogne surpassera à tous les niveaux celle de 17 dans la Russie "incomparablement plus arriérée". Que ce soit sous le label de Fédération communiste catalano-baléare, de "Bloc" -né de la fusion avec le Partit Comunista Catala- d'"Alliance" ou de POUM, s'enchaîne la spirale de toute une politique nationaliste catalane à couleur "maximaliste".
N'y a-t-il pas de la fierté nationale quand, après le succès de la "gauche" aux élections d'avril 31, qui apportent la seconde République, le "Bloc" envoie un détachement armé de ses propres forces assurer la garde du nouveau gouvernement, la Generalitat, que vient de se donner la bourgeoisie catalane ? Parce qu'à Barcelone, le "camarade" Companys est installé à la Generalitat, il n'y a aucune raison de se mettre en grève. Fier d'avoir réussi la première étape de la révolution démocratique, le Bloc propose à 1'Esquerra et à sa base paysanne l'Uniò des Rabassaires le front unique. L'Alliance Ouvrière, sous le nom duquel désormais agit le Bloc, pousse 1'Esquerra à armer les ouvriers contre les menaces de la "droite". La voilà apportant aide et appui à un gouvernement qui, derrière le paravent de sa "législation progressive” décrète illégales les grèves sans préavis et expulse les paysans qui occupent les terres.
Au "Bloc" a succédé le POUM par assemblage autour de la Fédération de plusieurs "agrupaciones", comme de bien entendu autonomes, localisés en Catalogne et de la majorité de la Gauche communiste de Nin. Sous la direction de celui-ci, au moment du pronunciamento franquiste, le POUM tout comme la CNT, va parachever sa politique d'union antifasciste. Que disait le POUM sur la nature de classe de la Generalitat ? Ce gouvernement n'est comparable à aucun autre, écrivaient et la "Batalla" et "El Comunista" : "Le gouvernement de la République est l'expression de la volonté des masses populaires incarnée par leurs partis et organisations" (5/ 12/36). Que faisait le POUM par rapport au problème fondamental de la destruction de l'Etat ? C'est avec l'argument de la lutte anti-fasciste qu'il entre dans le Conseil Economique, que ses milices s'intègrent dans l'armée régulière soumise à 1'Etat-Major qui a rétabli le code militaire de la monarchie, qu'il participe au gouvernement[2] (2). Et le gouvernement dans lequel Nin fait office de ministre de la justice est celui-là même qui décide la dissolution des Comités nés dans les premières journées révolutionnaires de juillet 36.
Quant à Messieurs les anti-étatistes, il était hors de question, par souci de tolérance politique, que la CNT déposât Companys et décrétât la dictature du prolétariat. Jetant aux orties son intransigeance de façade, elle acceptait de participer aux gouvernements centraux de Madrid et de Barcelone composés de partis ayant trempé jusqu'au cou dans la plupart des répressions antérieures. Côte à côte, en tournée de propagande républicaine, on a pu voir Nin unir ses efforts à ceux de Companys pour faire plier les derniers comités à la nouvelle légalité des conseils municipaux. Tandis qu'à Valence, l'anarchiste Oliver surveille l'application de la justice "populaire", à Barcelone, elle s'exécute sous l'oeil vigilant du "marxiste" Nin.
Déterminés à défendre, à l'intérieur du camp républicain, l'unité contre l"'ennemi commun" : le fascisme, les chefs de la CNT et du POUM prirent part à la liquidation des barricades édifiées au début de mai 37, sur le port et dans les faubourgs barcelonais. Oh ! bien sûr, pas en tirant directement sur les insurgés : d'un côté, la "Batalla" appela à abandonner la rue, de l'autre, "Solidaridad" arrangeait une "trêve" avec la Generalitat (cf. RI n° 38).
Avec leurs formules générales de gauche, les dirigeants cénétistes et poumistes ont laissé entrevoir aux ouvriers que pouvait exister un catalanisme à contenu "révolutionnaire" dépassant, il va de soi, celui de 1'Esquerra. Ce triste bilan du catalanisme "révolutionnaire" se passe de longs commentaires : une profonde défaite pour le prolétariat et un nouveau sursis pour la domination capitaliste.
R. C.