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Aujourd'hui, il est clair pour tous les ouvriers que le formidable mouvement de lutte engagé par les cheminots, depuis la mi-décembre, contre la dégradation de leurs conditions de travail, contre la baisse de leur niveau de vie, n'a pas abouti. Malgré leur colère, leur détermination, leur combativité, migré le fait qu'ils aient pris en charge (du moins dans un premier temps) leur lutte, qu'ils aient tout fait pour la contrôler eux-mêmes, qu'ils l'aient étendue à la plupart des secteurs de la SNCF, un constat s'impose : cette bataille a été perdue.
Aujourd'hui, les cheminots ont repris le travail sans avoir rien obtenu sinon quelques vagues promesses de négociations sur les revendications, de la part du gouvernement et de la direction, promesses dont la classe ouvrière connaît la valeur et dont elle a si souvent fait l'amère expérience.
Ce sont les syndicats qui ont été les principaux maîtres d'œuvre de cette défaite ouvrière.
Alors que, dans les dix premiers jours du mouvement ils ont été débordés, mis sur la touche et parfois rejetés par les ouvriers, qui se méfient à juste titre d'eux; que, pris de court et quasi impuissants, ils révélaient leur vraie nature anti-ouvrière en dénonçant la grève, en appelant les ouvriers à l'arrêter -car elle était "impopulaire"-, en méprisant les tentatives de coordination du mouvement faites par les ouvriers eux-mêmes, taxées par eux "d'insignifiantes" (Krasucki)…, à l'approche du nouvel an, voilà que leur langage change.
"Que le flot monte", claironnait Krasucki relayé en fanfare par tous les médias de la bourgeoisie. C'est la contre-offensive de la classe capitaliste qui S'affirmait ainsi par la bouche du secrétaire général de la CCT.
Cette contre-offensive s'est déclenchée d'abord parce que le mouvement des cheminots a permis qu'elle se déclenche. En s'enfermant dans leur lutte, leurs revendications spécifiques, en mettant en avant, avant tout ce qui les distingue et non ce qui les unit aux autres ouvriers, en protégeant jalousement leur lutte, encouragés en cela par les syndicats et les gauchistes, les cheminots ont dissuadé les ouvriers des autres secteurs de les rejoindre massivement dans la lutte, entretenant ainsi l'isolement de leur mouvement.
Mais il est vrai surtout que la bourgeoisie, grâce aux bons offices des syndicats, avait écarté le principal danger : l'extension du mouvement aux autres secteurs de la fonction publique surtout quand celui-ci se trouvait dans sa phase ascendante.
C'est ainsi que, durant la période autour du réveillon de Noël, les syndicats ont réussi notamment à convaincre les ouvriers de la RATP de cesser la grève qu'ils venaient d'entamer avec détermination en leur promettant la reprise de celle-ci pour les 30 et 31 décembre.
Mais cette contre-offensive devenait surtout nécessaire et même vitale pour la bourgeoisie du fait des risques importants de contagion que provoquait, par son exemplarité, la lutte à la SNCF, vers les autres secteurs ouvriers et particulièrement ceux de la fonction publique où la colère gronde tout aussi fort et où la nécessité de lutter est autant ressentie.
Quand la CGT lançait pompeusement aux ouvriers ses formules faussement combatives du style : "lève-toi et marche", ou : "que le flot monte"; quand, plus ou moins suivie car les autres syndicats, elle appelait et déclenchait les grèves à l'EDF-GDF, à la RATP ou aux PTT et organisait des manifestations, durant les premières semaines de janvier, au nom de l'extension de la "solidarité" et de 1'"unité", son seul but était de mener les ouvriers, et en premier les cheminots, à la défaite.
Pour cela, il lui a fallu avant tout se placer à la tête des luttes en se montrant la plus radicale et la plus combative, la seule capable de défendre les intérêts ouvriers, aidée dans ce sens par les autres fractions de la bourgeoisie, partis et syndicats, qui lui "reprochaient" de "politiser" les luttes, d'être "jusqu'au-boutiste", "intransigeante". Elle a cherché aussi, par ce biais, à faire oublier son attitude ouvertement anti-ouvrière au début du mouvement à la SNCF.
En prenant l'initiative de ces luttes, en les contrôlant, elle a empêché les ouvriers à l'EDF-GDF, à la RATP, et aux PTT de prendre exemple sur ceux de la SNCF, et de le faire eux-mêmes tout en cherchant à leur faire croire que c'était la base qui décidait et qu'elle ne faisait que les suivre et les soutenir.
Mais surtout, à travers ces luttes, elle a appelé, avec l'aide des autres centrales syndicales, à une fausse extension au moment le plus défavorable, quand le mouvement des cheminots refluait.
Cette parodie d'extension, les ouvriers en ont maintes fois fait les frais dans le passé. Ils en ont fait les frais encore une fois en acceptant de se lancer, derrière les syndicats, dans des actions isolées, dispersées et stériles. La véritable extension est celle qui permet d'opposer à la classe capitaliste le front le plus large et le plus unifié, celle qui est décidée, prise en charge, dirigée par les ouvriers eux-mêmes et coordonnée entre tous les secteurs. Quand les syndicats parlent d'extension, c'est pour organiser la dispersion des ouvriers. Quand ils parlent d'unité, c'est soit pour revendiquer l'unité syndicale -c'est-à-dire l'unité des saboteurs, des ennemis de la lutte- soit pour organiser l'isolement des luttes et leur désunion. Et, le plus souvent, les deux à la fois. Les cheminots et les ouvriers de l'EDF-GDF, de la RATP ou des PTT, qui ont accepté de suivre la CGT et les autres syndicats dans 1'"action" savent aujourd'hui que, s'ils ont pu effectivement exprimer leur colère et leur combativité, cela ne les amenés qu'à l'épuisement et parfois même à subir la répression, mais en aucune manière à imposer un rapport de forces favorable.
“Oui ! le flot monte et c'est tant mieux. Certains le craignent. Pas la CGT". Krasucki a raison de pavoiser, il n'y a rien à craindre tant que les ouvriers en lutte le suivront. Aujourd'hui encore, il les a menés à la défaite.
Mais cette défaite est loin d'être décisive. Tout d'abord parce que, malgré les appels conjugués, répétés et amplifiés des syndicats -pour lesquels "l'action est à l'ordre du jour partout et pour tous" (Krasucki)- la majorité des ouvriers du pays et même dans la fonction publique, ont refusé de lutter derrière ces derniers, ont refusé de se laisser entraîner dans la spirale de la défaite. Même ceux qui ont fait grève dans des conditions défavorables, loin d'être démoralisés, sont rentrés amers, avec la rage au ventre et encore plus méfiants vis-à-vis des syndicats.
Aujourd'hui, malgré sa victoire sur les cheminots, la bourgeoisie n'a pas réussi à entamer la colère générale et les potentialités de combativité dans la classe ouvrière, au contraire.
De plus, toute l'expérience riche et magnifique de la lutte des cheminots, que la bourgeoisie et ses syndicats a cherché en permanence à minimiser, dénaturer et effacer, reste pleinement vivace dans les consciences ouvrières.
Pour les ouvriers, dans tous les secteurs, dans toutes les régions, l'exemple des cheminots reste à suivre et à répandre. Mais cela ne pourra se faire victorieusement qu'après en avoir tiré toutes les leçons principales et, plus particulièrement, en prenant conscience que ce qui a été déterminant dans l'évolution du conflit de classe, c'est l'enfermement de la lutte sur elle-même et l'absence d'extension réelle aux autres secteurs.
Ce besoin de réflexion a commencé à se faire sentir au sein de la classe ouvrière, alors même que tous les cheminots n'étaient pas tous rentrés, et cela malgré l'occupation envahissante du terrain de la lutte par les syndicats (pour dénaturer tous les besoins et acquis de la lutte, ils sont capables de les reprendre à leur compte; comme le disait un militant CFDT : "nous allons créer partout, s’il le faut, des comités de grève et des coordinations").
Aujourd’hui, des manifestations de ce besoin apparaissent ouvertement parmi les ouvriers, notamment dans la fonction publique ou de fortes minorités d'entre eux, plus méfiants que jamais vis-à-vis des syndicats et clairement conscients des manœuvres que ceux-ci ont développées durant ces dernières semaines, cherchent à maintenir des contacts entre eux, à se regrouper dans des comités de réflexion et d'action.
Un tel comité s'est constitué au niveau des centres de tri parisiens/ regroupant des agents du tri et des chauffeurs, intéressant également des ouvriers de l'EDF-GDF, et se donne comme objectif de tirer collectivement les leçons du dernier combat, de faire participer le maximum d'ouvriers à cette réflexion, en la diffusant, et de préparer les prochaines batailles qui sont inévitables.
Tout ouvrier conscient, tout révolutionnaire conséquent ne peut que soutenir de tels efforts, encourager et participer à de tels comités dans l'ensemble de la classe, dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Cela est un atout décisif pour que les ouvriers sortent victorieux dans les prochaines batailles et qu'ils fassent échec aux manœuvres de sabotage et de division des syndicats.
J. E.