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Malgré l'attention, les espoirs, la sympathie et l'enthousiasme que les ouvriers ont éprouvé à l'égard de la grève des cheminots, un relatif sentiment d'amertume, de rage et d'impuissance s'est développé à la fin de la lutte. De rage et d'impuissance quand les cheminots sont rentrés battus. De rage et d'impuissance de n'avoir pas su se mettre en grève quand il le fallait, dès le début : "nous avons raté une occasion, il fallait y aller avec eux ; tous ensemble !"
En grande partie, ce sentiment a été le produit de la contre-offensive que la bourgeoisie a su développer dès janvier contre les luttes (cf. article p.2 ) Une fois le danger d'extension aux autres secteurs écarté, une fois les cheminots enfermés dans l'impasse corporatiste, dans les "blocages de trains", toutes les forces bourgeoises se sont mises à l'œuvre. Pour essayer de transformer l'échec de la grève des cheminots en une déroute pour toute la classe ouvrière. D'un côté, le gouvernement durcit le ton contre les grévistes et... la CGT pourtant rejetée par tous les grévistes ; de l'autre, les syndicats appellent à la grève "dure et illimitée" dans les autres secteurs alors qu'ils étaient contre la grève SNCF à son début.
C'est un véritable piège pour les ouvriers. Une fausse alternative : ou suivre la CGT et les autres syndicats dans des grèves isolées et sans perspective, dans la défaite ; ou bien ne rien faire du tout au risque de paraître cautionner le gouvernement et sa politique de fermeté et d'austérité.
FACE AUX MANOEUVRES SYNDICALES: NE PAS RESTER PASSIF
Les deux mâchoires de ce piège n'ont pu se refermer complètement sur les ouvriers. Certes, les cheminots ont subi une défaite. Et avec eux, toute la classe ouvrière. Néanmoins, le refus presque général en particulier dans la Fonction publique, de suivre la CGT n'a pas permis à cette dernière de transformer l'échec en déroute. Ni ceux de l'EDF, ni ceux de la RATP, et encore moins ceux des PTT, pour ne parler que des secteurs les plus combatifs, ne se retrouvent aujourd'hui épuisés, démoralisés, ni même réellement déboussolés par une grève longue, épuisante, isolée, tel que le voulaient les syndicats.
En effet, les deux mâchoires du piège ne se sont pas complètement refermées car les ouvriers n'ont pas suivi les syndicats, ni ne sont restés sans rien taire. Dans les assemblées, où la participation était forte, dans les ateliers, centres de tri, agences EDF, dépôts de bus et de métro, etc., les discussions étaient nombreuses : "maintenant, c'est trop tard, il aurait fallu y aller au début, comme les cheminots, ce n'est plus le moment. Surtout pas avec la CGT! Alors qu'est-ce qu'on fait? Rien? Il ne faut pas rester passif; il ne faut pas laisser la CGT et les autres faire leurs magouilles habituelles!"
SE REGROUPER !
Plusieurs réponses ont essayé de se développer. L'une d'entre elles fut, dans l'élan de la mobilisation et des discussions, l'émergence de quelques regroupements ouvriers en comités de lutte. C’est par exemple la création d'un comité de lutte entre ouvriers de différentes agences EDF de la banlieue-sud de Paris dont nous publions le tract ci-joint. D'autres encore se sont constitués, ou ont essayé de se constituer, aux postes, dans les centres de tri parisiens et parmi les chauffeurs. Ces regroupements, refusant de laisser le terrain libre et le monopole de l'expression aux syndicats, visaient à :
- établir des contacts entre les différents lieux de travail ;
- tirer le bilan de la grève des cheminots;
- préparer les luttes à venir.
Pour notre part, nous, révolutionnaires, malgré la reprise du travail à la SNCF, à la RATP et à l'EDF, nous avons poussé à la formation de tels comités. Nos militants travaillant aux Postes participèrent à la formation d'un comité de lutte "postiers en colère" et à la distribution de son tract : "... nous avons décidé de former un comité de lutte. Il ne s’agit pas d'un nouveau syndicat mais au contraire que ce soit la base qui décide. Nous ne voulons plus laisser le monopole de l'information aux syndicats, ni non plus le choix du moment pour appeler à la lutte. Il y en a assez des magouilles et des mensonges ! Il faut préparer la lutte:
- en établissant des contacts et l'information entre les différents centres;
- en préparant l'unification la plus large possible de la base, syndiqués - non-syndiqués;
- en proposant les revendications les plus unitaires pour tous les travailleurs : 700 F pour tous;
- contre les suppressions d'emploi et le chômage. Le chômage qui, quoiqu'on en dise nous touche à nous aussi postiers au moins indirectement par les suppressions de postes et le blocage des mutations."
Le tract se terminait par un appel à rejoindre le comité à tous ceux qui était d'accord avec les leçons de la grève des cheminots:
- ce sont les Assemblées Générales qui prennent les décisions, nomment leurs comités de grève et leurs délégués révocables;
- ce sont les A.G. qui définissent les revendications et qui, par leur coordination, négocient s'il le faut;
- ce sont les A.G. qui se chargent de l'extension aux autres secteurs.
Les deux comités, celui de l'EDF et celui des Postes, ont pris contact et tenu deux réunions afin L'essayer de constituer un comité de lutte inter-catégoriel. Participèrent à ces réunions, une quinzaine de travailleurs. Malheureusement, la mobilisation pour une telle activité retomba très vite. A la dernière réunion, les présents ont décidé d'arrêter pour le moment le comité PTT vu le peu d'écho immédiat qu'il a eu ; de vérifier l'état réel de la mobilisation parmi les camarades de l'EDF et de garder les contacts pour pouvoir se toucher en cas de lutte. Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Nous profitons de l'occasion pour appeler tous les lecteurs connaissant de telles expériences à nous le faire savoir.
DES COMITES POUR PREPARER LES LUTTES
Aussi limitées soient ces expériences, les surgissements de comités de lutte vont se reproduire dans un avenir proche.
Car ils répondent aujourd’hui à la nécessité de plus en plus ressentie et partagée chez les ouvriers de se regrouper et de s'organiser pour préparer les luttes et ne pas laisser le terrain libre aux syndicats. Ne pas leur laisser le monopole de l'information. Opposer à leurs manœuvres de sabotage et d'isolement, la nécessité pour les A.G. d'organiser l'extension et l'unification des luttes ouvrières.
Car ils répondent aujourd'hui à une possibilité : la grève des cheminots a certainement réveillé, ou révélé, nombre de consciences ouvrières assoupies ; réveil qui commence et ne manquera pas de s'exprimer en particulier dans la préparation et le déroulement des prochains combats.
Ces comités de lutte ne sont pas de nouveaux syndicats, même si ce danger peut les guetter. Mais dans ce cas, c'est leur mort. Ils ne sont pas et ne peuvent pas être l'embryon des futures A.G., ni des comités de grève élus par ces assemblées. En l'absence de lutte et avec le recul de la mobilisation, il leur est difficile de subsister en tant que tels.
Par contre, ces comités de lutte vont jouer un rôle très important:
- pour prendre contact et tisser des liens entre les différents secteurs et corporations, pendant et même avant les luttes;
- tirer les leçons des luttes précédentes, être des lieux de discussion;
- être des lieux de regroupement ouverts aux ouvriers de tout secteur, y compris les ouvriers au chômage ;
- face aux syndicats, être des outils pour propager les enseignements des grèves celle des cheminots, pour défendre la nécessité pour toute lutte de ne pas rester isolée prisonnière du corporatisme, et de s'étendre;
- s'organiser pour cela et se préparer à intervenir par tract, par prise de parole dans les grèves, dans les assemblées, non seulement dans leur propre secteur, mais aussi dans les autres.
C'est le sens de notre intervention dans les quelques comités surgis durant et après la grève des cheminots. C'est dans ce sens que nous interviendrons dans les comités qui ne manqueront pas de réapparaître lors des mobilisations futures. Et cela, nous en sonnes sûrs, rapidement.
Le 21/2/87. R.L.